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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Les Cent Poèmes Français Les Plus Célèbres

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Les Cent Poèmes Français Les Plus Célèbres

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  • Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Les 100 pomes franais les plus clbres

    Ces posies sont classes par ordre chronologique de

    naissance de leurs auteurs. Les pomes les plus anciens ont t rcrits en franais moderne afin de les rendre comprhensibles. La slection des pomes de cette anthologie a t ralise par les diteurs de Culture Commune.

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  • Rutebeuf

    1230 (?) - 1285 (?) La complainte Que sont mes amis devenus ; que javais de si prs tenus...Et tant aims. Ils ont t trop clairsems,Je crois le vent les a ts. Lamour est morte.

    Ce sont amis que vent emporteEt il ventait devant ma porte ; les emporta.

    Avec le temps quarbre dfeuilleQuand il ne reste en branches feuilleQui naille terre... avec pauvret qui matterreQui de partout me fait la guerre aux temps dhiver.

    Ne convient pas que vous raconteComment je me suis mis honte, en quelle manire.

    Que sont mes amis devenus ; que javais de si prs tenus...Et tant aims. Ils ont t trop clairsems,Je crois le vent les a ts. Lamour est morte.

    Le mal ne sait pas seul venir. tout ce qui mtait venir...

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  • Mest avenu.Pauvres sens et pauvre mmoire ;Ma Dieu donn le Roi de gloire.Et pauvre rente... et froid au cul quand bise vente.Le vent me vient, le vent mvente. Lamour est morte.

    Ce sont amis que vent emporteEt il ventait devant ma porte ; les emporta. La griche dhiver

    Quand vient le temps quarbre dfeuillequand il ne reste en branche feuillequi naille terre,par la pauvret qui matterre,qui de toutes parts me fait guerre,prs de lhiver,combien se sont changs mes vers,mon dit commence trop diversde triste histoire.Peu de raison, peu de mmoirema donn Dieu, le roi de gloire,et peu de rentes,et froid au cul quand bise vente :le vent me vient, le vent mventeet trop souventje sens venir et revenir le vent.La griche ma promis autantquelle me livre :

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  • elle me paie bien et bien me sert,contre le sou me rend la livrede grand misre.La pauvret mest revenue,toujours men est la porte ouverte,toujours jy suiset jamais je ne men chappe.Par pluie mouill, par chaud suant :Ah le riche homme !Je ne dors que le premier somme.De mon avoir, ne sais la sommecar je nai rien.Dieu ma fait le temps bien propice :noires mouches en t me piquent,en hiver blanches.Je suis comme losier sauvageou comme loiseau sur la branche ;lt je chante,lhiver je pleure et me lamenteet me dfeuille ainsi que larbreau premier gel.En moi nai ni venin ni fiel :ne me reste rien sous le ciel,tout passe et va.Les enjeux que jai engagsmont ravi tout ce que javaiset fourvoyet entran hors de ma voie.Jai engag des enjeux fous,je men souviens.Or, bien le vois, tout va, tout vient:

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  • tout venir, tout aller convienthors les bienfaits.Les ds que les dtiers ont faitsmont dpouill de mes habits ;les ds moccient,les ds me guettent et mpient,les ds massaillent et me dfient,cela maccable.Je nen puis rien si je meffraie :ne vois venir avril et mai,voici la glace.Or jai pris le mauvais chemin;les trompeurs de basse originemont mis sans robe.Le monde est tout rempli de ruse,et qui ruse le plus sen vante ;moi quai-je faitqui de pauvret sens le faix ?Griche ne me laisse en paix,me trouble tant,et tant massaille et me guerroie ;jamais ne gurirai ce malpar tel chemin.Jai trop t en mauvais lieux ;les ds mont pris et enferm :je les tiens quittes!Fol est qui leur conseil habite ;de sa dette point ne sacquittemais bien sencombre,de jour en jour accrot le nombre.En t il ne cherche lombre

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  • ni chambre frachecar ses membres sont souvent nus :il oublie du voisin la peinemais geint la sienne.La griche la attaqu,la dpouill en peu de tempset nul ne laime.

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  • Ren Charles dOrlans

    1391 - 1465 Rondeaux de printemps

    Le temps a laiss son manteauDe vent, de froidure et de pluie,Et sest vtu de broderie,De soleil luisant, clair et beau.

    Il ny a bte ni oiseauQuen son jargon ne chante ou crie :Le temps a laiss son manteauDe vent, de froidure et de pluie.

    Rivire, fontaine et ruisseauPortent en livre jolieGouttes dargent, dorfvrerie ;Chacun shabille de nouveau :Le temps a laiss son manteau. ***

    Hiver vous ntes quun vilain.Et est plaisant et gentil,En tmoignent Mai et AvrilQui laccompagnent soir et matin.

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  • t revt champs, bois et fleursDe sa livre de verdureEt de maintes autres couleursPar lordonnance de Nature.

    Mais vous, Hiver, trop tes pleinDe neige, vent, pluie et grsil ;On vous doit bannir en exil.Sans point flatter, je parle plain,Hiver vous ntes quun vilain !

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  • Franois Villon

    1431 - 1463 La Ballade des pendus Frres humains, qui aprs nous vivez,Nayez les curs contre nous endurcis,Car, si piti de nous pauvres avez,Dieu en aura plus tt de vous mercis.Vous nous voyez ci attachs, cinq, six :Quant la chair, que trop avons nourrie,Elle est pia dvore et pourrie,Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne sen rie ;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

    Se frres vous clamons, pas nen devezAvoir ddain, quoique fmes occisPar justice. Toutefois, vous savezQue tous hommes nont pas bon sens rassis.Excusez-nous, puisque sommes transis,Envers le fils de la Vierge Marie,Que sa grce ne soit pour nous tarie,Nous prservant de linfernale foudre.Nous sommes morts, me ne nous harie,Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

    La pluie nous a dbus et lavs,

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  • Et le soleil desschs et noircis.Pies, corbeaux nous ont les yeux cavs,Et arrach la barbe et les sourcils.Jamais nul temps nous ne sommes assisPuis , puis l, comme le vent varie,A son plaisir sans cesser nous charrie,Plus becquets doiseaux que ds coudre. Ne soyez donc de notre confrrie ;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

    Prince Jsus, qui sur tous a maistrie,Garde quEnfer nait de nous seigneurie :A lui nayons que faire ne que soudre.Hommes, ici na point de moquerie ;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! Ballade des Dames du temps jadis

    Dites-moi o, nen quel pays,Est Flora la belle Romaine,Archipiades, et Thas,Qui fut sa cousine germaine,Echo, parlant quant bruit on mneDessus rivire ou sur tang,Qui beaut eut trop plus quhumaine ?Mais o sont les neiges dantan ?

    O est la trs sage Hlos,Pour qui fut chtr et puis moine

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  • Pierre Esbaillart Saint-Denis ?Pour son amour eut cette essoine.Semblablement, o est la roineQui commanda que BuridanFt jet en un sac en Seine ?Mais o sont les neiges dantan ?

    La roine Blanche comme un lisQui chantait voix de sirne,Berthe au grand pied, Bietrix, Aliz,Haramburgis qui tint le Maine,Et Jeanne, la bonne LorraineQuAnglais brlrent Rouen ;O sont-ils, o, Vierge souvraine ?Mais o sont les neiges dantan ?

    Prince, nenquerrez de semaineO elles sont, ni de cet an,Que ce refrain ne vous remaine :Mais o sont les neiges dantan ?

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  • Clment Marot

    1496 - 1544 DAnne qui lui jeta de la neige Anne, par jeu, me jeta de la neige,Qui je cuidais froide certainement ;Mais ctait feu; lexprience en ai-je,Car embras je fus soudainement.Puisque le feu loge secrtement,Dedans la neige, o trouverai-je placePour nardre point ? Anne, ta seule grceteindre le feu que je sens bien,Non point par eau, par neige, ni par glace,Mais par sentir un feu pareil au mien. De soi-mme

    Plus ne suis ce que jai tEt plus ne saurai jamais ltreMon beau printemps et mon tOnt fait le saut par la fentreAmour tu as t mon matreJe tai servi sur tous les dieuxAh si je pouvais deux fois natreComme je te servirais mieux

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  • Petite ptre au Roy En mbattant je fais rondeaux en rimeEt en rimant bien souvent je menrimeBref cest piti dentre nous rimailleursCar vous trouvez assez de rime ailleursEt quand vous plat mieux que moi rimassezDes biens avez et de la rime assez,Mais moi, tout ma rime et ma rimailleJe ne soutiens, (dont je suis marri) maille.

    Or ce, me dit un jour quelque rimard Viens a Marot, trouves-tu en rime artQui serve aux gens, toi qui a rimass ?Oui vraiment, rponds-je, Henri Mass,Car vois-tu bien la personne rimanteQui au jardin de son sens la rime ente,Si elle na de biens en rimoyant,Elle prendra plaisir en rime oyant.Mon pauvre corps ne serait nourrit moisNi demi jour car la moindre rimetteCest le plaisir o faut que mon ris mette.

    Si vous supplie qu ce jeune rimeurFassiez avoir un jour par sa rime heurAfin quon dit en prose ou en rimant : Ce rimailleur qui sallait en rimantTant rimassa, rima, et rimona,

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  • Quil a connu quel bien par rime on a.

    Au Roi, pour le dlivrer de prison(extrait) Roi des Franais, plein de toutes bontsQuinze jours a, je les ai bien compts,Et ds demain seront justement seize,Que je fus fait confrre au diocseDe Saint-Marry, en lglise Saint-Pris.Si vous dirai comment je fus surpris,Et me dplat quil faut que je le die.Trois grands pendards vinrent ltourdieEn ce palais me dirent en dsarroi : Nous vous faisons prisonnier, par le Roi. Incontinent, qui fut bien tonn ?Ce fut Marot, plus que sil et tonn.Puis mont montr un parchemin crit,O ny avait seul mot de Jsus-Christ :Il ne parlait tout que de plaiderie,De conseillers et demprisonnerie. Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors,Que vous tiez lautre jour l-dehors,Quon recourut un certain prisonnierEntre vos mains ? Et moi de le nier !Car, soyez sr, si jeusse dit oui,Que le plus sourd dentre eux met bien ouEt dautre part, jeusse publiquementt menteur : car, pourquoi et comment

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  • Euss-je pu un autre secourir ?Quand je nai su moi-mme secourir ?Pour faire court, je ne sus tant prcherQue ces paillards me voulsissent lcher.Sur mes deux bras ils ont la main pose,Et mont men ainsi quune pouse,Non pas ainsi, mais plus roide un petit.Et toutefois jai plus grand apptitDe pardonner leur folle fureurQu celle-l de mon beau procureur :Que male mort les deux jambes lui casse !Il a bien pris de moi une bcasse,Une perdrix, et un levraut aussi,Et toutefois je suis encore ici !Encor je crois, si jen envoyais plus,Quil le prendrait ; car ils ont tant de glusDedans leurs mains, ces faiseurs de pipeQue toute chose o touchent est grippe... une Demoiselle malade Ma Mignonne,Je vous donneLe bonjour.Le sjourCest prison ;GurisonRecouvrez,Puis ouvrez

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  • Votre porte,Et quon sorteVitement,Car ClementLe vous mande.Va, friandeDe ta bouche,Qui se coucheEn dangerPour mangerConfitures ;Si tu duresTrop malade,Couleur fadeTu prendras,Et perdrasLembonpoint.Dieu te doitSant bonne,Ma Mignonne.

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  • Joachim du Bellay

    1522 - 1560 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage Heureux comme Ulysse, a fait un beau voyage,Ou comme celui-l qui conquit la ToisonEt puis sen est retourn, plein dusage et raison,Vivre entre ses parents le reste de son ge ! Quand reverrai-je hlas de mon petit villageFumer la chemine, et en quelle saisonReverrais-je le clos de ma pauvre maison,Qui mest une province et beaucoup davantage ? Plus me plat le sjour quont bti mes aeuls,Que des palais romains le front audacieux,Plus que le marbre dur me plat lardoise fine : Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,Plus mon petit Lir que le Mont-PalatinEt plus que lair marin la douceur angevine. Je vis loiseau qui le soleil contemple

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  • Je vis loiseau qui le soleil contempleDun faible vol au ciel saventurer,Et peu peu ses ailes assurer,Suivant encor le maternel exemple.Je le vis crotre, et dun voler plus ampleDes plus hauts monts la hauteur mesurer,Percer la nue, et ses ailes tirerJusquau lieu o des dieux est le temple.L se perdit : puis soudain je lai vuRouant par lair en tourbillon de feu,Tout enflamm sur la plaine descendre.Je vis son corps en poudre tout rduit,Et vis loiseau, qui la lumire fuit,Comme un vermet renatre de sa cendre. Comme le champ sem... Comme le champ sem en verdure foisonne,De verdure se hausse en tuyau verdissant,Du tuyau se hrisse en pi florissantDpi jaunit en grain, que le chaud assaisonne ; Et comme en la saison le rustique moissonneLes ondoyants cheveux du sillon blondissant,Les met dordre en javelle et du bl jaunissantSur le champ dpouill mille gerbes faonne ; Ainsi de peu peu crt lempire romain,

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  • Tant quil fut dpouill par la barbare main,Qui ne laissa de lui que ces marques antiques, Que chacun va pillant; comme on voit le glaneurCheminant pas pas recueillir les reliquesDe ce qui va tomber aprs le moissonneur. France, mre des arts, des armes et des lois

    France, mre des arts, des armes et des lois,Tu mas nourri longtemps du lait de ta mamelle :Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,Je remplis de ton nom les antres et les bois.

    Si tu mas pour enfant avou quelquefois,Que ne me rponds-tu maintenant, cruelle ?France, France, rponds ma triste querelle.Mais nul, sinon cho, ne rpond ma voix.

    Entre les loups cruels jerre parmi la plaine,Je sens venir lhiver, de qui la froide haleineDune tremblante horreur fait hrisser ma peau.

    Las, tes autres agneaux nont faute de pture,Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

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  • Pierre de Ronsard

    1523 - 1585 Quand vous serez bien vieille... Quand vous serez bien vieille, au soir, la chandelle,Assise au coin du feu, dvidant et filant,Direz, chantant mes vers, en vous merveillant :Ronsard me clbrait du temps que jtais belle ! Lors, vous naurez servante oyant telle nouvelle,Dj sous le labeur demi sommeillant,Qui, au bruit de Ronsard ne saille rveillant,Bnissant votre nom de louange immortelle. Je serai sous la terre, et fantme sans os,Par les ombre myrteux, je prendrai mon repos ;Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour et votre fier ddain.Vivez, si men croyez, nattendez demain ;Cueillez ds aujourdhui les roses de la vie Je vous envoie un bouquet

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  • Je vous envoie un bouquet que ma mainVient de trier de ces fleurs panies ;Qui ne les et ce vpre cueillies,Chutes terre elles fussent demain.

    Cela vous soit un exemple certainQue vos beauts, bien quelles soient fleuries,En peu de temps cherront toutes fltries,Et, comme fleurs, priront tout soudain.

    Le temps sen va, le temps sen va, ma dame ;Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,Et tt serons tendus sous la lame ;

    Et des amours desquelles nous parlons,Quand serons morts, nen sera plus nouvelle.Pour caimez-moi cependant qutes belle. Mignonne ... Mignonne, allons voir si la roseQui ce matin avait dcloseSa robe de pourpre au Soleil,A point perdu cette vespreLes plis de sa robe pourpre,Et son teint au votre pareil. Las : Voyez comme en peu despace,Mignonne, elle a dessus la place,

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  • Las ! las ! ses beauts laiss choir ! vraiment martre Nature,Puisquune telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez, mignonne,Tandis que votre ge fleuronneEn sa plus verte nouveaut,Cueillez, cueillez votre jeunesse :Comme cette fleur, la vieillesseFera ternir votre beaut. Prends cette rose... Prends cette rose aimable comme toiQui sert de rose aux roses les plus belles,Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles,Dont la senteur me ravit tout de moi. Prends cette rose et ensemble reoisDedans ton sein mon cur qui na point dailes :Il est constant et cent plaies cruellesNont empch quil ne gardt sa foi.La rose et moi diffrons dune chose :Un Soleil voit natre et mourir la rose,Mille Soleils ont vu natre mamour,Dont laction jamais ne se repose.Que plt Dieu que telle amour, enclose,Comme une fleur, ne meut dur quun jour.

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  • Matresse embrasse-moi Matresse, embrasse-moi, baise-moi, serre-moi,Haleine contre haleine, chauffe-moi la vie,Mille et mille baisers donne-moi je te prie,Amour veut tout sans nombre, amour na point de loi. Baise et rebaise-moi ; belle bouche pourquoiTe gardes-tu l-bas, quand tu seras blmie, baiser (de Pluton ou la femme ou lamie),Nayant plus ni couleur, ni rien semblable toi ? En vivant presse-moi de tes lvres de roses,Bgaye, en me baisant, lvres demi-closesMille mots trononns, mourant entre mes bras. Je mourrai dans les tiens, puis, toi ressuscite,Je ressusciterai, allons ainsi l-bas,Le jour tant soit-il court vaut mieux que la nuite.

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  • Louise Lab

    1526 - 1566 Je vis, je meurs ; je me brle et me noie

    Je vis, je meurs ; je me brle et me noie ;Jai chaud extrme en endurant froidure :La vie mest et trop molle et trop dure.Jai grands ennuis entremls de joie.

    Tout un coup je ris et je larmoie,Et en plaisir maint grief tourment jendure ;Mon bien sen va, et jamais il dure ;Tout en un coup je sche et je verdoie.

    Ainsi Amour inconstamment me mne ;Et, quand je pense avoir plus de douleur,Sans y penser je me trouve hors de peine.

    Puis, quand je crois ma joie tre certaine,Et tre au haut de mon dsir heur,Il me remet en mon premier malheur.

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  • Thodore Agrippa dAubign

    1552 - 1630 Accourez au secours de ma mort violente Accourez au secours de ma mort violente,Amants, nochers experts en la peine o je suis,Vous qui avez suivi la route que je suisEt damour prouv les flots et la tourmente.

    Le pilote qui voit une nef prissante,En lamoureuse mer remarquant les ennuisQuautrefois il risqua, tremble et lui est avisQue dune telle fin il ne perd que lattente.

    Ne venez point ici en espoir de pillage :Vous ne pouvez tirer profit de mon naufrage,Je nai que des soupirs, de lespoir et des pleurs.

    Pour avoir mes soupirs, les vents lvent les armes.Pour lair sont mes espoirs volagers et menteurs,La mer me fait prir pour senfler de mes larmes.

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  • Marguerite de Valois

    1553 - 1615 Nos deux corps sont en toi,

    Nos deux corps sont en toi,Je le sais plus que dombre.Nos amis sont toi,Je ne sais que de nombre.Et puisque tu es toutEt que je ne suis rien,Je nai rien ne tayantOu jai tout, au contraire,Avoir et tout et tien,Comment se peut-il faire ?...Cest que jai tous les mauxEt je nai point de biens.

    Je vis par et pour toiAinsi que pour moi-mme.Tu vis par et pour moiAinsi que pour toi-mme.

    Le soleil de mes yeux,Si je nai ta lumire,Une aveugle nueEnnuie ma paupire.Comme une pluie de pleurs

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  • Dcoule de mes yeux,Les clairs de lamour,Les clats de la foudreEntrefendent mes nuitsEt mcrasent en poudre.Quand jentonne les cris,Lors, jtonne les cieux.

    Je vis par et pour toiAinsi que pour moi-mme.Tu vis par et pour moiAinsi que pour toi-mme.

    Nous naurons quune vieEt naurons quun trpas.Je ne veux pas ta mort,Je dsire la mienne.Mais ma mort est ta mortEt ma vie est la tienne.Ainsi, je veux mourirEt je ne le veux pas.

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  • Franois de Malherbe

    1555 - 1628 Consolation M. Du Prier sur la mort de sa fille

    Ta douleur, du Prier, sera donc ternelle,Et les tristes discoursQue te met en lesprit lamiti paternelleLaugmenteront toujours

    Le malheur de ta fille au tombeau descenduePar un commun trpas,Est-ce quelque ddale, o ta raison perdueNe se retrouve pas ?

    Je sais de quels appas son enfance tait pleine,Et nai pas entrepris,Injurieux ami, de soulager ta peineAvecque son mpris.

    Mais elle tait du monde, o les plus belles chosesOnt le pire destin ;Et rose elle a vcu ce que vivent les roses,Lespace dun matin.

    Puis quand ainsi serait, que selon ta prire,Elle aurait obtenu

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  • Davoir en cheveux blancs termin sa carrire,Quen ft-il advenu ?

    Penses-tu que, plus vieille, en la maison clesteElle et eu plus daccueil ?Ou quelle et moins senti la poussire funesteEt les vers du cercueil ?

    Non, non, mon du Prier, aussitt que la Parquete lme du corps,Lge svanouit au de de la barque,Et ne suit point les morts...

    La Mort a des rigueurs nulle autre pareilles ;On a beau la prier,La cruelle quelle est se bouche les oreilles,Et nous laisse crier.

    Le pauvre en sa cabane, o le chaume le couvre,Est sujet ses lois ;Et la garde qui veille aux barrires du LouvreNen dfend point nos rois.

    De murmurer contre elle, et perdre patience,Il est mal propos ;Vouloir ce que Dieu veut, est la seule scienceQui nous met en repos.

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  • Pierre de Marbeuf

    1596 - 1645 Philis

    Et la mer et lamour ont lamer pour partage,Et la mer est amre, et lamour est amer,Lon sabme en lamour aussi bien quen la mer,Car la mer et lamour ne sont point sans orage.

    Celui qui craint les eaux, quil demeure au rivage,Celui qui craint les maux quon souffre pour aimer,Quil ne se laisse pas lamour enflammer,Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

    La mre de lamour eut la mer pour berceau,Le feu sort de lamour, sa mre sort de leau,Mais leau contre ce feu ne peut fournir des armes.

    Si leau pouvait teindre un brasier amoureux,Ton amour qui me brle est si fort douloureux,Que jeusse teint son feu de la mer de mes larmes.

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  • Pierre Corneille

    1606 - 1684 Stances Marquise si mon visage quelques traits un peu vieux,Souvenez-vous qu mon geVous ne vaudrez gure mieux. Le temps aux plus belles chosesSe plat faire un affront,Et saura faner vos rosesComme il a rid mon front. Le mme cours des plantesRgle nos jours et nos nuits:On ma vu ce que vous tesVous serez ce que je suis. Cependant jai quelques charmesQui sont assez clatantsPour navoir pas trop dalarmesDe ces ravages du temps. Vous en avez quon adore ;Mais ceux que vous mprisezPourraient bien durer encore

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  • Quand ceux-l seront uss. Ils pourront sauver la gloireDes yeux qui me semblent doux,Et dans mille ans faire croireCe quil me plaira de vous. Chez cette race nouvelle,O jaurai quelque crdit,Vous ne passerez pour belleQuautant que je laurai dit. Pensez-y, belle Marquise.Quoiquun grison fasse effroi,Il vaut bien quon le courtise,Quand il est fait comme moi. Perc jusques au fond du cur(extrait Le Cid, Acte 1, scne 6) Perc jusques au fond du curDune atteinte imprvue aussi bien que mortelle,Misrable vengeur dune juste querelle,Et malheureux objet dune injuste rigueur,Je demeure immobile, et mon me abattueCde au coup qui me tue.Si prs de voir mon feu rcompens, Dieu, ltrange peine !En cet affront mon pre est loffens,

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  • Et loffenseur, le pre de Chimne ! Que je sens de rudes combats !Contre mon propre honneur mon amour sintresse :Il faut venger un pre, et perdre une maitresse.Lun manime le cur, lautre retient mon bras.Rduit au triste choix ou de trahir ma flamme,Ou de vivre en infme.Des deux cts mon mal est infini. Dieu, ltrange peine !Faut-il laisser un affront impuni ?Faut-il punir le pre de Chimne ? Pre, matresse, honneur, amour,Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.Lun me rend malheureux, lautre indigne du jour.Cher et cruel espoir dune me gnreuse,Mais ensemble amoureuse,Digne ennemi de mon plus grand bonheur,Fer qui cause ma peine,Mest-tu donn pour venger mon honneur ?Mest-tu donn pour perdre ma Chimne ? Il vaut mieux courir au trpas.Je dois ma matresse aussi bien qu mon pre Jattire en me vengeant sa haine et sa colre ;Jattire ses mpris en ne me vengeant pas.A mon plus doux espoir lun me rend infidle,Et lautre indigne delle.Mon mal augmente le vouloir gurir

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  • Tout redouble ma peine.Allons, mon me; et, puisquil faut mourir,Mourons du moins sans offenser Chimne... ...Oui, mon esprit stait du.Je dois tout mon pre avant qu ma matresse ;Que je meure au combat, ou meure de tristesse,Je rendrai mon sang pur comme je lai reu.Je maccuse dj de trop de ngligence :Courons la vengeance ;Et, tout honteux davoir tant balanc,Ne soyons plus en peine,Puisquaujourdhui mon pre est loffens,Si loffenseur est pre de Chimne. Imprcations de Camille(extrait Horace, Acte 4, scne 5) Rome, lunique objet de mon ressentiment !Rome, qui vient ton bras dimmoler mon amant !Rome qui ta vu natre, et que ton cur adore !Rome enfin que je hais parce quelle thonore !Puissent tous ses voisins ensemble conjursSaper ses fondements encor mal assurs !Et si ce nest assez de toute lItalie,Que lOrient contre elle lOccident sallie ;Que cent peuples unis des bouts de luniversPassent pour la dtruire et les monts et les mers !Quelle mme sur soi renverse ses murailles,

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  • Et de ses propres mains dchire ses entrailles !Que le courroux du Ciel allum par mes vuxFasse pleuvoir sur elle un dluge de feux !Puiss-je de mes vux y voir tomber ce foudre,Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,Voir le dernier Romain son dernier soupir,Moi seule en tre cause et mourir de plaisir Nous partmes cinq cents(extrait Le Cid, acte 4, scne 3)

    Sous moi donc cette troupe savance,Et porte sur le front une mle assurance.Nous partmes cinq cents ; mais par un prompt renfortNous nous vmes trois mille en arrivant au port,Tant, nous voir marcher avec un tel visage,Les plus pouvants reprenaient de courage !Jen cache les deux tiers, aussitt quarrivs,Dans le fond des vaisseaux qui lors furent trouvs ;Le reste, dont le nombre augmentait toute heure,Brlant dimpatience, autour de moi demeure,Se couche contre terre, et sans faire aucun bruitPasse une bonne part dune si belle nuit.Par mon commandement la garde en fait de mme,Et se tenant cache, aide mon stratagme;Et je feins hardiment davoir reu de vousLordre quon me voit suivre et que je donne tous.Cette obscure clart qui tombe des toilesEnfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;

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  • Londe senfle dessous, et dun commun effortLes Maures et la mer montent jusques au port.On les laisse passer ; tout leur parat tranquille ;Point de soldats au port, point aux murs de la ville.Notre profond silence abusant leurs esprits,Ils nosent plus douter de nous avoir surpris ;Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,Et courent se livrer aux mains qui les attendent.Nous nous levons alors, et tous en mme tempsPoussons jusques au ciel mille cris clatants.Les ntres, ces cris, de nos vaisseaux rpondent ;Ils paraissent arms, les Maures se confondent,Lpouvante les prend demi descendus ;Avant que de combattre ils sestiment perdus.Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;Nous les pressons sur leau, nous les pressons sur terre,Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,Avant quaucun rsiste ou reprenne son rang.Mais bientt, malgr nous, leurs princes les rallient,Leur courage renat, et leurs terreurs soublientLa honte de mourir sans avoir combattuArrte leur dsordre, et leur rend leur vertu.Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges ;De notre sang au leur font dhorribles mlanges.Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,Sont des champs de carnage o triomphe la mort. combien dactions, combien dexploits clbresSont demeurs sans gloire au milieu des tnbres,O chacun, seul tmoin des grands coups quil donnait,

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  • Ne pouvait discerner o le sort inclinait !Jallais de tous cts encourager les ntres,Faire avancer les uns et soutenir les autres,Ranger ceux qui venaient, les pousser leur tour,Et ne lai pu savoir jusques au point du jour.Mais enfin sa clart montre notre avantage;Le Maure voit sa perte, et perd soudain courageEt voyant un renfort qui nous vient secourir,Lardeur de vaincre cde la peur de mourir.Ils gagnent leurs vaisseaux, ils en coupent les cbles,Poussent jusques aux cieux des cris pouvantables,Font retraite en tumulte, et sans considrerSi leurs rois avec eux peuvent se retirer.Pour souffrir ce devoir leur frayeur est trop forte ;Le flux les apporta, le reflux les remporte ;Cependant que leurs rois, engags parmi nous,Et quelque peu des leurs, tous percs de nos coups,Disputent vaillamment et vendent bien leur vie. se rendre moi-mme en vain je les convie :Le cimeterre au poing ils ne mcoutent pas;Mais voyant leurs pieds tomber tous leurs soldats,Et que seuls dsormais en vain ils se dfendent,Ils demandent le chef; je me nomme, ils se rendent.Je vous les envoyai tous deux en mme temps ;Et le combat cessa faute de combattants.

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  • Jean de la Fontaine

    1621 - 1695 Le Corbeau et le Renard Matre Corbeau, sur un arbre perch,Tenait en son bec un fromage.Matre Renard, par lodeur allch,Lui tint peu prs ce langage : H ! bonjour, Monsieur du Corbeau.Que vous tes joli ! que vous me semblez beau !Sans mentir, si votre ramageSe rapporte votre plumage,Vous tes le Phnix des htes de ces bois. ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;Et pour montrer sa belle voix,Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.Le Renard sen saisit, et dit : Mon bon Monsieur,Apprenez que tout flatteurVit aux dpens de celui qui lcoute :Cette leon vaut bien un fromage, sans doute. Le Corbeau, honteux et confus,Jura, mais un peu tard, quon ne ly prendrait plus. La Cigale et la Fourmi

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  • La Cigale, ayant chant tout lt,Se trouva fort dpourvueQuand la bise fut venue :Pas un seul petit morceauDe mouche ou de vermisseau.Elle alla crier famineChez la Fourmi sa voisine,La priant de lui prterQuelque grain pour subsisterJusqu la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle,Avant laot, foi danimal,Intrt et principal. La Fourmi nest pas prteuse :Cest l son moindre dfaut.Que faisiez-vous au temps chaud ?Dit-elle cette emprunteuse. Nuit et jour tout venantJe chantais, ne vous dplaise. Vous chantiez ? jen suis fort aise.Eh bien! dansez maintenant. Deux pigeons saimaient damour tendre Deux Pigeons saimaient damour tendre.Lun deux sennuyant au logisFut assez fou pour entreprendreUn voyage en lointain pays.

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  • Lautre lui dit : Quallez-vous faire ?Voulez-vous quitter votre frre ?Labsence est le plus grand des maux :Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,Les dangers, les soins du voyage,Changent un peu votre courage.Encor si la saison savanait davantage !Attendez les zphyrs. Qui vous presse ? Un corbeauTout lheure annonait malheur quelque oiseau.Je ne songerai plus que rencontre funeste,Que Faucons, que rseaux. Hlas, dirai-je, il pleut :Mon frre a-t-il tout ce quil veut,Bon soup, bon gte, et le reste ?Ce discours branla le curDe notre imprudent voyageur ;Mais le dsir de voir et lhumeur inquiteLemportrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :Trois jours au plus rendront mon me satisfaite ;Je reviendrai dans peu conter de point en pointMes aventures mon frre.Je le dsennuierai : quiconque ne voit gureNa gure dire aussi. Mon voyage dpeintVous sera dun plaisir extrme.Je dirai : Jtais l ; telle chose mavint ;Vous y croirez tre vous-mme.A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.Le voyageur sloigne ; et voil quun nuageLoblige de chercher retraite en quelque lieu.Un seul arbre soffrit, tel encor que lorageMaltraita le Pigeon en dpit du feuillage.Lair devenu serein, il part tout morfondu,

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  • Sche du mieux quil peut son corps charg de pluie,Dans un champ lcart voit du bl rpandu,Voit un pigeon auprs ; cela lui donne envie :Il y vole, il est pris : ce bl couvrait dun las,Les menteurs et tratres appas.Le las tait us ! si bien que de son aile,De ses pieds, de son bec, loiseau le rompt enfin.Quelque plume y prit ; et le pis du destinFut quun certain Vautour la serre cruelleVit notre malheureux, qui, tranant la ficelleEt les morceaux du las qui lavait attrap,Semblait un forat chapp.Le vautour sen allait le lier, quand des nuesFond son tour un Aigle aux ailes tendues.Le Pigeon profita du conflit des voleurs,Senvola, sabattit auprs dune masure,Crut, pour ce coup, que ses malheursFiniraient par cette aventure ;Mais un fripon denfant, cet ge est sans piti,Prit sa fronde et, du coup, tua plus d moitiLa volatile malheureuse,Qui, maudissant sa curiosit,Tranant laile et tirant le pi,Demi-morte et demi-boiteuse,Droit au logis sen retourna.Que bien, que mal, elle arrivaSans autre aventure fcheuse.Voil nos gens rejoints ; et je laisse jugerDe combien de plaisirs ils payrent leurs peines.Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?Que ce soit aux rives prochaines ;

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  • Soyez-vous lun lautre un monde toujours beau,Toujours divers, toujours nouveau ;Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;Jai quelquefois aim ! je naurais pas alorsContre le Louvre et ses trsors,Contre le firmament et sa vote cleste,Chang les bois, chang les lieuxHonors par les pas, clairs par les yeuxDe laimable et jeune BergrePour qui, sous le fils de Cythre,Je servis, engag par mes premiers serments.Hlas ! quand reviendront de semblables moments ?Faut-il que tant dobjets si doux et si charmantsMe laissent vivre au gr de mon me inquite ?Ah ! si mon cur osait encor se renflammer !Ne sentirai-je plus de charme qui marrte ?Ai-je pass le temps daimer ?

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  • Nicolas Boileau

    1636 - 1711 Les embarras de Paris

    Qui frappe lair, bon Dieu ! de ces lugubres cris ?Est-ce donc pour veiller quon se couche Paris ?Et quel fcheux dmon, durant les nuits entires,Rassemble ici les chats de toutes les gouttires ?Jai beau sauter du lit, plein de trouble et deffroi,Je pense quavec eux tout lenfer est chez moi :Lun miaule en grondant comme un tigre en furie ;Lautre roule sa voix comme un enfant qui crie.Ce nest pas tout encor : les souris et les ratsSemblent, pour mveiller, sentendre avec les chats,Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,Que jamais, en plein jour, ne fut labb de Pure.

    Tout conspire la fois troubler mon repos,Et je me plains ici du moindre de mes maux :Car peine les coqs, commenant leur ramage,Auront des cris aigus frapp le voisinageQuun affreux serrurier, laborieux Vulcain,Quveillera bientt lardente soif du gain,Avec un fer maudit, qu grand bruit il apprte,De cent coups de marteau me va fendre la tte.Jentends dj partout les charrettes courir,Les maons travailler, les boutiques souvrir :

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  • Tandis que dans les airs mille cloches muesDun funbre concert font retentir les nues ;Et, se mlant au bruit de la grle et des vents,Pour honorer les morts font mourir les vivants.

    Encor je bnirais la bont souveraine,Si le ciel ces maux avait born ma peine ;Mais si, seul en mon lit, je peste avec raison,Cest encor pis vingt fois en quittant la maison ;En quelque endroit que jaille, il faut fendre la presseDun peuple dimportuns qui fourmillent sans cesse.Lun me heurte dun ais dont je suis tout froiss ;Je vois dun autre coup mon chapeau renvers.L, dun enterrement la funbre ordonnanceDun pas lugubre et lent vers lglise savance ;Et plus loin des laquais lun lautre sagaants,Font aboyer les chiens et jurer les passants.Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage ;L, je trouve une croix de funeste prsage,Et des couvreurs grimps au toit dune maisonEn font pleuvoir lardoise et la tuile foison.L, sur une charrette une poutre branlanteVient menaant de loin la foule quelle augmente ;Six chevaux attels ce fardeau pesantOnt peine lmouvoir sur le pav glissant.Dun carrosse en tournant il accroche une roue,Et du choc le renverse en un grand tas de boue :Quand un autre linstant sefforant de passer,Dans le mme embarras se vient embarrasser.Vingt carrosses bientt arrivant la fileY sont en moins de rien suivis de plus de mille ;

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  • Et, pour surcrot de maux, un sort malencontreuxConduit en cet endroit un grand troupeau de bufs ;Chacun prtend passer ; lun mugit, lautre jure.Des mulets en sonnant augmentent le murmure.Aussitt cent chevaux dans la foule appelsDe lembarras qui croit ferment les dfils,Et partout les passants, enchanant les brigades,Au milieu de la paix font voir les barricades.On nentend que des cris pousss confusment :Dieu, pour sy faire our, tonnerait vainement.Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre,Le jour dj baissant, et qui suis las dattendre,Ne sachant plus tantt quel saint me vouer,Je me mets au hasard de me faire rouer.Je saute vingt ruisseaux, jesquive, je me pousse ;Gunaud sur son cheval en passant mclabousse,Et, nosant plus paratre en ltat o je suis,Sans songer o je vais, je me sauve o je puis.

    Tandis que dans un coin en grondant je messuie,Souvent, pour machever, il survient une pluie :On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau,Veuille inonder ces lieux dun dluge nouveau.Pour traverser la rue, au milieu de lorage,Un ais sur deux pavs forme un troit passage ;Le plus hardi laquais ny marche quen tremblant :Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant ;Et les nombreux torrents qui tombent des gouttires,Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivires.Jy passe en trbuchant ; mais malgr lembarras,La frayeur de la nuit prcipite mes pas.

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  • Car, sitt que du soir les ombres pacifiquesDun double cadenas font fermer les boutiques ;Que, retir chez lui, le paisible marchandVa revoir ses billets et compter son argent ;Que dans le March-Neuf tout est calme et tranquille,Les voleurs linstant semparent de la ville.Le bois le plus funeste et le moins frquentEst, au prix de Paris, un lieu de sret.Malheur donc celui quune affaire imprvueEngage un peu trop tard au dtour dune rue !Bientt quatre bandits lui serrent les cts :La bourse !... Il faut se rendre ; ou bien non, rsistez,Afin que votre mort, de tragique mmoire,Des massacres fameux aille grossir lhistoire.Pour moi, fermant ma porte et cdant au sommeil,Tous les jours je me couche avecque le soleil ;Mais en ma chambre peine ai-je teint la lumire,Quil ne mest plus permis de fermer la paupire.Des filous effronts, dun coup de pistolet,branlent ma fentre et percent mon volet ;Jentends crier partout: Au meurtre ! On massassine !Ou : Le feu vient de prendre la maison voisine !Tremblant et demi-mort, je me lve ce bruit,Et souvent sans pourpoint je cours toute la nuit.Car le feu, dont la flamme en ondes se dploie,Fait de notre quartier une seconde Troie,O maint Grec affam, maint avide Argien,Au travers des charbons va piller le Troyen.Enfin sous mille crocs la maison abmeEntrane aussi le feu qui se perd en fume.

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  • Je me retire donc, encor ple deffroi ;Mais le jour est venu quand je rentre chez moi.Je fais pour reposer un effort inutile :Ce nest qu prix dargent quon dort en cette ville.Il faudrait, dans lenclos dun vaste logement,Avoir loin de la rue un autre appartement.

    Paris est pour un riche un pays de Cocagne :Sans sortir de la ville, il trouve la campagne ;Il peut dans son jardin, tout peupl darbres verts,Recler le printemps au milieu des hivers ;Et, foulant le parfum de ses plantes fleuries,Aller entretenir ses douces rveries.

    Mais moi, grce au destin, qui nai ni feu ni lieu,Je me loge o je puis et comme il plat Dieu.

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  • Jean Racine

    1639 - 1699 Thramne(extrait Phdre, acte 5, scne 6) A peine nous sortions des portes de Trzne,Il tait sur son char. Ses gardes affligsImitaient son silence, autour de lui rangs ;Il suivait tout pensif le chemin de Mycnes ;Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rnes.Ses superbes coursiers, quon voyait autrefoisPleins dune ardeur si noble obir sa voix,Lil morne maintenant et la tte baisse,Semblaient se conformer sa triste pense.

    Un effroyable cri, sorti du fond des flots,Des airs en ce moment a troubl le repos ;Et du sein de la terre une voix formidableRpond en gmissant ce cri redoutable.Jusquau fond de nos curs notre sang sest glac ;Des coursiers attentifs le crin sest hriss.

    Cependant sur le dos de la plaine liquideSlve gros bouillons une montagne humide ;Londe approche, se brise, et vomit nos yeux,Parmi des flots dcume, un monstre furieux.Son front large est arm de cornes menaantes,

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  • Tout son corps est couvert dcailles jaunissantes,Indomptable taureau, dragon imptueux,Sa croupe se recourbe en replis tortueux.Ses longs mugissements font trembler le rivage.Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,La terre sen meut, lair en est infect,Le flot qui lapporta recule pouvant.

    Tout fuit, et sans sarmer dun courage inutile,Dans le temple voisin chacun cherche un asile.Hippolyte lui seul, digne fils dun hros,Arrte ses coursiers, saisit ses javelots,Pousse au monstre, et dun dard lanc dune main sre,Il lui fait dans le flanc une large blessure.De rage et de douleur le monstre bondissantVient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,Se roule, et leur prsente une gueule enflamme,Qui les couvre de feu, de sang et de fume.La fureur les emporte, et sourds cette fois,Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix.En efforts impuissants leur matre se consume,Ils rougissent le mors dune sanglante cume.On dit quon a vu mme, en ce dsordre affreux,Un dieu qui daiguillons pressait leur flanc poudreux.

    travers des rochers la peur les prcipite.Lessieu crie et se rompt. Lintrpide HippolyteVoit voler en clats tout son char fracass.Dans les rnes lui-mme il tombe embarrass.

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  • Excusez ma douleur. Cette image cruelleSera pour moi de pleurs une source ternelle.Jai vu, Seigneur, jai vu votre malheureux filsTran par les chevaux que sa main a nourris.Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;Ils courent. Tout son corps nest bientt quune plaie.De nos cris douloureux la plaine retentit.Leur fougue imptueuse enfin se ralentit.Ils sarrtent non loin de ces tombeaux antiquesO des Rois nos aeux sont les froides reliques.Jy cours en soupirant, et sa garde me suit.De son gnreux sang la trace nous conduit.Les rochers en sont teints ; les ronces dgouttantesPortent de ses cheveux les dpouilles sanglantes.Jarrive, je lappelle, et me tendant la main,Il ouvre un il mourant quil referme soudain.

    Le ciel, dit-il, marrache une innocente vie.Prends soin aprs ma mort de ma chre Aricie.Cher ami, si mon pre un jour dsabusPlaint le malheur dun fils faussement accus,Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,Dis-lui quavec douceur il traite sa captive,Quil lui rende... ce mot ce hros expirNa laiss dans mes bras quun corps dfigur,Triste objet, o des Dieux triomphe la colre,Et que mconnatrait lil mme de son pre.

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  • Voltaire

    1694 - 1778 Madame du Chatelet Si vous voulez que jaime encore,Rendez-moi lge des amours ;Au crpuscule de mes joursRejoignez, sil se peut, laurore. Des beaux lieux o le dieu du vinAvec lAmour tient son empire,Le temps, qui me prend par la main,Mavertit que je me retire. De son inflexible rigueurTirons au moins quelque avantage,Qui na pas lesprit de son ge,De son ge a tout le malheur. Laissons la belle jeunesseSes foltres emportements.Nous ne vivons que deux moments :Quil en soit un pour la sagesse. Quoi ! pour toujours vous me fuyez,Tendresse, illusion, folie,Dons du ciel, qui me consoliez

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  • Des amertumes de la vie! On meurt deux fois, je le vois bien ;Cessez daimer et dtre aimable,Cest une mort insupportable ;Cesser de vivre, ce nest rien. Ainsi je dplorais la perteDes erreurs de mes premiers ans :Et mon me, aux dsirs ouverte,Regrettait ses garements, Du ciel alors daignant descendre,LAmiti vint mon secours ;Elle tait peut-tre aussi tendre,Mais moins vive que les Amours. Touch de sa beaut nouvelle,Et de sa lumire clair,Je la suivis; mais je pleuraiDe ne pouvoir plus suivre quelle.

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  • Philippe Fabre dglantine

    1750 - 1794 LHospitalit Il pleut, il pleut, bergre,Presse tes blancs moutons,Allons sous ma chaumire,Bergre, vite, allons.Jentends sur le feuillageLeau qui tombe grand bruit ;Voici, voici lorage,Voici lclair qui luit.

    Bonsoir, bonsoir, ma mre,Ma Sur Anne, bonsoir !Jamne ma bergrePrs de nous pour ce soir.Va te scher, ma mie,Auprs de nos tisons.Sur, fais-lui compagnie ;Entrez, petits moutons.

    Soupons : prends cette chaise,Tu seras prs de moi ;Ce flambeau de mlzeBrlera devant toi :Gote de ce laitage ;

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  • Mais tu ne manges pas ?Tu te sens de lorage ;Il a lass tes pas.

    Eh bien, voici ta couche ;Dors-y jusques au jour ;Laisse-moi sur ta bouchePrendre un baiser damour.Ne rougis pas, bergre :Ma mre et moi, demain,Nous irons chez ton preLui demander ta main.

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  • Jean-Pierre Claris de Florian

    1755 - 1794 Plaisir damour Plaisir damour ne dure quun moment,Chagrin damour dure toute la vie. Jai tout quitt pour lingrate Sylvie,Elle me quitte et prend un autre amant... Plaisir damour ne dure quun moment,Chagrin damour dure toute la vie. Tant que cette eau coulera doucementVers ce ruisseau qui borde la prairie,Je taimerai, me rptait Sylvie ;Leau coule encore, elle a chang pourtant ! Plaisir damour ne dure quun moment,Chagrin damour dure toute la vie.

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  • Andr Chnier

    1762 - 1794 La jeune Tarentine Pleurez, doux alcyons, vous, oiseaux sacrs,Oiseaux chers Thtis, doux alcyons, pleurez.

    Elle a vcu, Myrto, la jeune Tarentine.Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.L lhymen, les chansons, les fltes, lentement,Devaient la reconduire au seuil de son amant.Une clef vigilante a pour cette journeDans le cdre enferm sa robe dhymneEt lor dont au festin ses bras seraient parsEt pour ses blonds cheveux les parfums prpars.Mais, seule sur la proue, invoquant les toiles,Le vent imptueux qui soufflait dans les voilesLenveloppe. tonne, et loin des matelots,Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.

    Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.Son beau corps a roul sous la vague marine.Thtis, les yeux en pleurs, dans le creux dun rocherAux monstres dvorants eut soin de la cacher.Par ses ordres bientt les belles NridesLlvent au-dessus des demeures humides,Le portent au rivage, et dans ce monument

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  • Lont, au cap du Zphir, dpos mollement.Puis de loin grands cris appelant leurs compagnes,Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,Toutes frappant leur sein et tranant un long deuil,Rptrent : hlas ! autour de son cercueil.

    Hlas ! chez ton amant tu nes point ramene.Tu nas point revtu ta robe dhymne.Lor autour de tes bras na point serr de nuds.Les doux parfums nont point coul sur tes cheveux.

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  • Marceline Desbordes-Valmore

    1786 - 1859 Les roses de Saadi Jai voulu ce matin te rapporter des roses,Mais jen avais tant pris dans mes ceintures closesQue les nuds trop serrs nont pu les contenir. Les nuds ont clat .Les roses envolesDans le vent , la mer sen sont alles.Elles ont suivi l eau pour ne plus revenir. La vague en a paru rouge et comme enflamme.Ce soir , ma robe encore en est toute embaume....Respires-en sur moi , lodorant souvenir. La ronce Pour me plaindre ou maimer je ne cherche personne ;Jai plant larbre amer dont la sve empoisonne.Je savais, je devais savoir quel fruit affreuxNat dune ronce aride au piquant douloureux.Je saigne. Je me tais. Je regarde sans larmesDes yeux pour qui mes pleurs auraient de si doux

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  • charmes.Dans le fond de mon cur je renferme mon sort,Et mon tonnement, et mes cris, et ma mort.Oui ! Je veux bien mourir dune flche honteuse,Mais sauvez-moi, mon Dieu ! De la piti menteuse.Oh ! La piti qui ment ! Oh ! Les perfides brasValent moins quune tombe a labri des ingrats.La foret. Francois-Ren de ChateaubriandForet silencieuse, aimable solitude,Que jaime a parcourir votre ombrage ignor !Dans vos sombres dtours, en revant gar,Jprouve un sentiment libre dinquitude !Prestiges de mon cur ! je crois voir sexhalerDes arbres, des gazons une douce tristesse :Cette onde que jentends murmure avec mollesse,Et dans le fond des bois semble encor mappeler.Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entireIci, loin des humains !... Au bruit de ces ruisseaux,Sur un tapis de fleurs, sur lherbe printanire,Quignor je sommeille a lombre des ormeaux !Tout parle, tout me plat sous ces voutes tranquilles ;Ces genets, ornements dun sauvage rduit,Ce chvrefeuille atteint dun vent lger qui fuit,Balancent tour a tour leurs guirlandes mobiles.Forets, dans vos abris gardez mes vux offerts !A quel amant jamais serez-vous aussi chres ?Dautres vous rediront des amours trangres ; Le serment

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  • Idole de ma vie,Mon tourment, mon plaisir,Dis-moi si ton envieSaccorde mon dsir ?Comme je taime en mes beaux jours,Je veux taimer toujours.

    Donne-moi lesprance ;Je te loffre en retour.Apprends-moi la constance ;Je tapprendrai lamour.Comme je taime en mes beaux jours,Je veux taimer toujours.

    Sois dun cur qui tadoreLunique souvenir ;Je te promets encoreCe que jai davenir.Comme je taime en mes beaux jours,Je veux taimer toujours.

    Vers ton me attirePar le plus doux transport,Sur ta bouche adoreLaisse-moi dire encor :Comme je taime en mes beaux jours,Je veux taimer toujours.

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  • Alphonse de Lamartine

    1790 - 1869 Le Papillon Natre avec le printemps, mourir avec les roses,Sur laile du zphyr nager dans un ciel pur ;Balanc sur le sein des fleurs peine closes,Senivrer de parfums, de lumire et dazur;Secourant, jeune encor, la poudre de ses ailes,Senvoler comme un souffle aux votes ternelles ;Voil du papillon le destin enchant :Il ressemble au dsir, qui jamais ne se pose,Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,Retourne enfin au ciel chercher la volupt. Automne Salut ! bois couronns dun reste de verdure !Feuillages jaunissants sur les gazons pars !Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la natureConvient la douleur et plat mes regards !Je suis dun pas rveur le sentier solitaire,Jaime revoir encor, pour la dernire fois,Ce soleil plissant, dont la faible lumire

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  • Perce peine mes pieds lobscurit des bois !Oui, dans ces jours dautomne o la nature expire, ses regards voils, je trouve plus dattraits,Cest ladieu dun ami, cest le dernier sourireDes lvres que la mort va fermer pour jamais !Ainsi, prt quitter lhorizon de la vie,Pleurant de mes longs jours lespoir vanoui,Je me retourne encore, et dun regard denvieJe contemple ses biens dont je nai pas joui !Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;Lair est si parfum ! la lumire est si pure !Aux regards dun mourant le soleil est si beau !Je voudrais maintenant vider jusqu la lieCe calice ml de nectar et de fiel !Au fond de cette coupe o je buvais la vie,Peut-tre restait-il une goutte de miel ?Peut-tre lavenir me gardait-il encoreUn retour de bonheur dont lespoir est perdu ?Peut-tre dans la foule, une me que jignoreAurait compris mon me, et maurait rpondu ? ...La fleur tombe en livrant ses parfums au zphyre ; la vie, au soleil, ce sont l ses adieux ;Moi, je meurs; et mon me, au moment quelle expire,Sexhale comme un son triste et mlodieux. Le Lac Ainsi, toujours pousss vers de nouveaux rivages,

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  • Dans la nuit ternelle emports sans retour,Ne pourrons-nous jamais sur locan des gesJeter lancre un seul jour ? lac ! lanne peine a fini sa carrire,Et prs des flots chris quelle devait revoir,Regarde ! je viens seul masseoir sur cette pierreO tu la vis sasseoir !Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dchirs,Ainsi le vent jetait lcume de tes ondesSur ses pieds adors.Un soir, ten souvient-il ? nous voguions en silence ;On nentendait au loin, sur londe et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadenceTes flots harmonieux.Tout coup des accents inconnus la terreDu rivage charm frapprent les chos ;Le flot fut attentif, et la voix qui mest chreLaissa tomber ces mots : temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !Suspendez votre cours :Laissez-nous savourer les rapides dlicesDes plus beaux de nos jours ! Assez de malheureux ici-bas vous implorent,Coulez, coulez pour eux ;Prenez avec leurs jours les soins qui les dvorent ;Oubliez les heureux. Mais je demande en vain quelques moments encore,Le temps mchappe et fuit ;Je dis cette nuit : Sois plus lente ; et laurore

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  • Va dissiper la nuit. Aimons donc, aimons donc ! de lheure fugitive,Htons-nous, jouissons !Lhomme na point de port, le temps na point de rive ;Il coule, et nous passons ! Temps jaloux, se peut-il que ces moments divresse,O lamour longs flots nous verse le bonheur,Senvolent loin de nous de la mme vitesseQue les jours de malheur ?Eh quoi ! nen pourrons-nous fixer au moins la trace ?Quoi ! passs pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,Ne nous les rendra plus !ternit, nant, pass, sombres abmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimesQue vous nous ravissez ? lac ! rochers muets ! grottes ! fort obscure !Vous, que le temps pargne ou quil peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir !Quil soit dans ton repos, quil soit dans tes orages,Beau lac, et dans laspect de tes riants coteaux,Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvagesQui pendent sur tes eaux.Quil soit dans le zphyr qui frmit et qui passe,Dans les bruits de tes bords par tes bords rpts,Dans lastre au front dargent qui blanchit ta surfaceDe ses molles clarts.Que le vent qui gmit, le roseau qui soupire,Que les parfums lgers de ton air embaum,

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  • Que tout ce quon entend, lon voit ou lon respire,Tout dise : Ils ont aim ! Milly ou la terre natale

    Pourquoi le prononcer, ce nom de la patrie ?Dans son brillant exil mon cur en a frmi;Il rsonne de loin dans mon me attendrie,Comme les pas connus ou la voix dun ami.

    Montagnes que voilait le brouillard de lautomne,Vallons que tapissait le givre du matin,Saules dont lmondeur effeuillait la couronne,Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,

    Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,Fontaine o les pasteurs accroupis tour tourAttendaient goutte goutte une eau rare et limpide,Et, leur urne la main, sentretenaient du jour,

    Chaumire o du foyer tincelait la flamme,Toit que le plerin aimait voir fumer;Objets inanims, avez-vous donc une meQui sattache notre me et la force daimer ?

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  • Alfred de Vigny

    1797 - 1863 Le Cor I

    Jaime le son du Cor, le soir, au fond des bois,Soit quil chante les pleurs de la biche aux abois,Ou ladieu du chasseur que lcho faible accueille,Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

    Que de fois, seul, dans lombre minuit demeur,Jai souri de lentendre, et plus souvent pleur !Car je croyais our de ces bruits prophtiquesQui prcdaient la mort des Paladins antiques.

    montagnes dazur ! pays ador !Rocs de la Frazona, cirque du Marbor,Cascades qui tombez des neiges entranes,Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrnes ;

    Monts gels et fleuris, trne des deux saisons,Dont le front est de glace et le pied de gazons !Cest l quil faut sasseoir, cest l quil faut entendreLes airs lointains dun Cor mlancolique et tendre.

    Souvent un voyageur, lorsque lair est sans bruit,

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  • De cette voix dairain fait retentir la nuit ; ses chants cadencs autour de lui se mleLharmonieux grelot du jeune agneau qui ble.

    Une biche attentive, au lieu de se cacher,Se suspend immobile au sommet du rocher,Et la cascade unit, dans une chute immense,Son ternelle plainte au chant de la romance.

    Ames des Chevaliers, revenez-vous encor ?Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre valleLombre du grand Roland nest donc pas console !

    II

    Tous les preux taient morts, mais aucun navait fui.Il reste seul debout, Olivier prs de lui,LAfrique sur les monts lentoure et tremble encore. Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More ;

    Tous tes Pairs sont couchs dans les eaux des torrents. Il rugit comme un tigre, et dit : Si je me rends, Africain, ce sera lorsque les Pyrnes Sur londe avec leurs corps rouleront entranes.

    Rends-toi donc, rpond-il, ou meurs, car les voil.Et du plus haut des monts un grand rocher roula.Il bondit, il roula jusquau fond de labme,

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  • Et de ses pins, dans londe, il vint briser la cime.

    Merci, cria Roland, tu mas fait un chemin.Et jusquau pied des monts le roulant dune main,Sur le roc affermi comme un gant slance,Et, prte fuir, larme ce seul pas balance.

    III

    Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preuxDescendaient la montagne et se parlaient entre eux. lhorizon dj, par leurs eaux signales,De Luz et dArgels se montraient les valles.

    Larme applaudissait. Le luth du troubadourSaccordait pour chanter les saules de lAdour ;Le vin franais coulait dans la coupe trangre ;Le soldat, en riant, parlait la bergre.

    Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi.Assis nonchalamment sur un noir palefroiQui marchait revtu de housses violettes,Turpin disait, tenant les saintes amulettes :

    Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ; Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu. Par monsieur saint Denis, certes ce sont des mes Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

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  • Deux clairs ont relui, puis deux autres encor. Ici lon entendit le son lointain du Cor.LEmpereur tonn, se jetant en arrire,Suspend du destrier la marche aventurire.

    Entendez-vous ! dit-il. - Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux pars sur les hauteurs, Rpondit larchevque, ou la voix touffe Du nain vert Obron qui parle avec sa Fe.

    Et lEmpereur poursuit ; mais son front soucieuxEst plus sombre et plus noir que lorage des cieux.Il craint la trahison, et, tandis quil y songe,Le Cor clate et meurt, renat et se prolonge. Malheur ! cest mon neveu ! malheur! car si Roland Appelle son secours, ce doit tre en mourant. Arrire, chevaliers, repassons la montagne ! Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de lEspagne !

    IV

    Sur le plus haut des monts sarrtent les chevaux ;Lcume les blanchit ; sous leurs pieds, RoncevauxDes feux mourants du jour peine se colore. lhorizon lointain fuit ltendard du More.

    Turpin, nas-tu rien vu dans le fond du torrent ? Jy vois deux chevaliers : lun mort, lautre expirant Tous deux sont crass sous une roche noire ;

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  • Le plus fort, dans sa main, lve un Cor divoire, Son me en sexhalant nous appela deux fois.

    Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

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  • Victor Hugo

    1802 - 1885 La conscience

    Lorsque avec ses enfants vtus de peaux de btes,chevel, livide au milieu des temptes,Can se fut enfui de devant Jhovah,Comme le soir tombait, lhomme sombre arrivaAu bas dune montagne en une grande plaine ;Sa femme fatigue et ses fils hors dhaleineLui dirent : Couchons-nous sur la terre, et dormons. Can, ne dormant pas, songeait au pied des monts.Ayant lev la tte, au fond des cieux funbres,Il vit un il, tout grand ouvert dans les tnbres,Et qui le regardait dans lombre fixement. Je suis trop prs , dit-il avec un tremblement.Il rveilla ses fils dormant, sa femme lasse,Et se remit fuir sinistre dans lespace.Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.Il allait, muet, ple et frmissant aux bruits,Furtif, sans regarder derrire lui, sans trve,Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grveDes mers dans le pays qui fut depuis Assur. Arrtons-nous, dit-il, car cet asile est sr.Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. Et, comme il sasseyait, il vit dans les cieux mornes

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  • Lil la mme place au fond de lhorizon.Alors il tressaillit en proie au noir frisson. Cachez-moi ! cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,Tous ses fils regardaient trembler laeul farouche.Can dit Jabel, pre de ceux qui vontSous des tentes de poil dans le dsert profond : Etends de ce ct la toile de la tente. Et lon dveloppa la muraille flottante ;Et, quand on leut fixe avec des poids de plomb : Vous ne voyez plus rien ? dit Tsilla, lenfant blond,La fille de ses Fils, douce comme laurore ;Et Can rpondit : je vois cet il encore ! Jubal, pre de ceux qui passent dans les bourgsSoufflant dans des clairons et frappant des tambours,Cria : je saurai bien construire une barrire. Il fit un mur de bronze et mit Can derrire.Et Can dit Cet il me regarde toujours! Hnoch dit : Il faut faire une enceinte de toursSi terrible, que rien ne puisse approcher delle.Btissons une ville avec sa citadelle,Btissons une ville, et nous la fermerons. Alors Tubalcan, pre des forgerons,Construisit une ville norme et surhumaine.Pendant quil travaillait, ses frres, dans la plaine,Chassaient les fils dEnos et les enfants de Seth ;Et lon crevait les yeux quiconque passait ;Et, le soir, on lanait des flches aux toiles.Le granit remplaa la tente aux murs de toiles,On lia chaque bloc avec des nuds de fer,Et la ville semblait une ville denfer ;Lombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;

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  • Ils donnrent aux murs lpaisseur des montagnes ;Sur la porte on grava : Dfense Dieu dentrer. Quand ils eurent fini de clore et de murer,On mit laeul au centre en une tour de pierre ;Et lui restait lugubre et hagard. mon pre !Lil a-t-il disparu ? dit en tremblant Tsilla.Et Can rpondit : Non, il est toujours l. Alors il dit: je veux habiter sous la terreComme dans son spulcre un homme solitaire ;Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. On fit donc une fosse, et Can dit Cest bien ! Puis il descendit seul sous cette vote sombre.Quand il se fut assis sur sa chaise dans lombreEt quon eut sur son front ferm le souterrain,Lil tait dans la tombe et regardait Can. Booz endormi

    Booz stait couch de fatigue accabl ;Il avait tout le jour travaill dans son aire ;Puis avait fait son lit sa place ordinaire ;Booz dormait auprs des boisseaux pleins de bl.

    Ce vieillard possdait des champs de bls et dorge ;Il tait, quoique riche, la justice enclin ;Il navait pas de fange en leau de son moulin ;Il navait pas denfer dans le feu de sa forge.

    Sa barbe tait dargent comme un ruisseau davril.

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  • Sa gerbe ntait point avare ni haineuse ;Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse : Laissez tomber exprs des pis, disait-il.

    Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,Vtu de probit candide et de lin blanc ;Et, toujours du ct des pauvres ruisselant,Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

    Booz tait bon matre et fidle parent ;Il tait gnreux, quoiquil ft conome ;Les femmes regardaient Booz plus quun jeune homme,Car le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand.

    Le vieillard, qui revient vers la source premire,Entre aux jours ternels et sort des jours changeants ;Et lon voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,Mais dans loeil du vieillard on voit de la lumire.

    Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens ;Prs des meules, quon et prises pour des dcombres,Les moissonneurs couchs faisaient des groupes sombres ;Et ceci se passait dans des temps trs anciens.

    Les tribus dIsral avaient pour chef un juge ;La terre, o lhomme errait sous la tente, inquiet

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  • Des empreintes de pieds de gants quil voyait,tait mouille encore et molle du dluge.

    Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,Booz, les yeux ferms, gisait sous la feuille ;Or, la porte du ciel stant entrebilleAu-dessus de sa tte, un songe en descendit.

    Et ce songe tait tel, que Booz vit un chneQui, sorti de son ventre, allait jusquau ciel bleu ;Une race y montait comme une longue chane ;Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu.

    Et Booz murmurait avec la voix de lme : Comment se pourrait-il que de moi ceci vnt ?Le chiffre de mes ans a pass quatre-vingt,Et je nai pas de fils, et je nai plus de femme.

    Voil longtemps que celle avec qui jai dormi, Seigneur ! a quitt ma couche pour la vtre ;Et nous sommes encor tout mls lun lautre,Elle demi vivante et moi mort demi.

    Une race natrait de moi ! Comment le croire ?Comment se pourrait-il que jeusse des enfants ?Quand on est jeune, on a des matins triomphants ;Le jour sort de la nuit comme dune victoire ;

    Mais vieux, on tremble ainsi qu lhiver le bouleau ;Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,Et je courbe, mon Dieu ! mon me vers la tombe,

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  • Comme un boeuf ayant soif penche son front vers leau.

    Ainsi parlait Booz dans le rve et lextase,Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noys ;Le cdre ne sent pas une rose sa base,Et lui ne sentait pas une femme ses pieds.

    Pendant quil sommeillait, Ruth, une moabite,Stait couche aux pieds de Booz, le sein nu,Esprant on ne sait quel rayon inconnu,Quand viendrait du rveil la lumire subite.

    Booz ne savait point quune femme tait l,Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait delle.Un frais parfum sortait des touffes dasphodle ;Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

    Lombre tait nuptiale, auguste et solennelle ;Les anges y volaient sans doute obscurment,Car on voyait passer dans la nuit, par moment,Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

    La respiration de Booz qui dormaitSe mlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.On tait dans le mois o la nature est douce,Les collines ayant des lys sur leur sommet.

    Ruth songeait et Booz dormait ; lherbe tait noire ;Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;Une immense bont tombait du firmament ;

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  • Ctait lheure tranquille o les lions vont boire.

    Tout reposait dans Ur et dans Jrimadeth ;Les astres maillaient le ciel profond et sombre ;Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de lombreBrillait loccident, et Ruth se demandait,

    Immobile, ouvrant loeil moiti sous ses voiles,Quel dieu, quel moissonneur de lternel t,Avait, en sen allant, ngligemment jetCette faucille dor dans le champ des toiles. Oceano nox Oh ! combien de marins, combien de capitainesQui sont partis joyeux pour des courses lointaines,Dans ce morne horizon se sont vanouis !Combien ont disparu, dure et triste fortune !Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,Sous laveugle ocan jamais enfouis !Combien de patrons morts avec leurs quipages !Louragan de leur vie a pris toutes les pagesEt dun souffle il a tout dispers sur les flots !Nul ne saura leur fin dans labme plonge.Chaque vague en passant dun butin sest charge ;Lune a saisi lesquif, lautre les matelots !Nul ne sait votre sort, pauvres ttes perdues !Vous roulez travers les sombres tendues,Heurtant de vos fronts morts des cueils inconnus.

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  • Oh ! que de vieux parents, qui navaient plus quun rve,Sont morts en attendant tous les jours sur la grveCeux qui ne sont pas revenus !On sentretient de vous parfois dans les veilles.Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouilles,Mle encor quelque temps vos noms dombre couvertsAux rires, aux refrains, aux rcits daventures,Aux baisers quon drobe vos belles futures,Tandis que vous dormez dans les gomons verts !On demande : O sont-ils ? sont-ils rois dans quelque le ?Nous ont-ils dlaisss pour un bord plus fertile ? Puis votre souvenir mme est enseveli.Le corps se perd dans leau, le nom dans la mmoire.Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,Sur le sombre ocan jette le sombre oubli.Bientt des yeux de tous votre ombre est disparue.Lun na-t-il pas sa barque et lautre sa charrue ?Seules, durant ces nuits o lorage est vainqueur,Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,Parlent encor de vous en remuant la cendreDe leur foyer et de leur cur !Et quand la tombe enfin a ferm leur paupire,Rien ne sait plus vos noms, pas mme une humble pierreDans ltroit cimetire o lcho nous rpond,Pas mme un saule vert qui seffeuille lautomne,Pas mme la chanson nave et monotoneQue chante un mendiant langle dun vieux pont !O sont-ils, les marins sombrs dans les nuits

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  • noires ? flots, que vous savez de lugubres histoires !Flots profonds redouts des mres genoux !Vous vous les racontez en montant les mares,Et cest ce qui vous fait ces voix dsespresQue vous avez le soir quand vous venez vers nous! Demain, ds laube Demain, ds laube, lheure o blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu mattends.Jirai par la fort, jirai par la montagne.Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixs sur mes penses,Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,Seul, inconnu, le dos courb, les mains croises,Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni lor du soir qui tombe,Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,Et quand jarriverai, je mettrai sur ta tombeUn bouquet de houx vert et de bruyre en fleur. Aprs la bataille

    Mon pre, ce hros au sourire si doux,

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  • Suivi dun seul housard quil aimait entre tousPour sa grande bravoure et pour sa haute taille,Parcourait cheval, le soir dune bataille,Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.Il lui sembla dans lombre entendre un faible bruit.Ctait un Espagnol de larme en drouteQui se tranait sanglant sur le bord de la route,Rlant, bris, livide, et mort plus qu moiti.Et qui disait : boire! boire par piti ! Mon pre, mu, tendit son housard fidleUne gourde de rhum qui pendait sa selle,Et dit : Tiens, donne boire ce pauvre bless. Tout coup, au moment o le housard baissSe penchait vers lui, lhomme, une espce de maure,Saisit un pistolet quil treignait encore,Et vise au front mon pre en criant: Caramba ! Le coup passa si prs que le chapeau tombaEt que le cheval fit un cart en arrire. Donne-lui tout de mme boire , dit mon pre. Jeanne tait au pain sec...

    Jeanne tait au pain sec dans le cabinet noir,Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,Jallai voir la proscrite en pleine forfaiture,Et lui glissai dans lombre un pot de confitureContraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cit,Repose le salut de la socit,Sindignrent, et Jeanne a dit dune voix douce :

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  • Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;Je ne me ferai plus griffer par le minet.Mais on sest rcri : Cette enfant vous connat ;Elle sait quel point vous tes faible et lche.Elle vous voit toujours rire quand on se fche.Pas de gouvernement possible. chaque instantLordre est troubl par vous ; le pouvoir se dtend ;Plus de rgle. Lenfant na plus rien qui larrte.Vous dmolissez tout. Et jai baiss la tte,Et jai dit : Je nai rien rpondre cela,Jai tort. Oui, cest avec ces indulgences-lQuon a toujours conduit les peuples leur perte.Quon me mette au pain sec. Vous le mritez, certe,On vous y mettra. Jeanne alors, dans son coin noir,Ma dit tout bas, levant ses yeux si beaux voir,Pleins de lautorit des douces cratures : Eh bien, moi, je tirai porter des confitures. Cent mille hommes

    Cent mille hommes, cribls dobus et de mitraille,Cent mille hommes, couchs sur un champ de bataille,Tombs pour leur pays par leur mort agrandi,Comme on tombe Fleurus, comme on tombe Lodi,Cent mille ardents soldats, hros et non victimes,Morts dans un tourbillon dvnements sublimes,Do prend son vol la fire et blanche Libert,Sont un malheur moins grand pour la socit,

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  • Sont pour lhumanit, qui sur le vrai se fonde,Une calamit moins haute et moins profonde,Un coup moins lamentable et moins infortunQuun innocent, - un seul innocent condamn, -Dont le sang, ruisselant sous un infme glaive,Fume entre les pavs de la place de Grve,Quun juste assassin dans la fort des lois,Et dont lme a le droit daller dire Dieu : Vois ! Ce sicle avait deux ans

    Ce sicle avait deux ans ! Rome remplaait Sparte,Dj Napolon perait sous Bonaparte,Et du premier consul, dj, par maint endroit,Le front de lempereur brisait le masque troit.Alors dans Besanon, vieille ville espagnole,Jet comme la graine au gr de lair qui vole,Naquit dun sang breton et lorrain la foisUn enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;Si dbile quil fut, ainsi quune chimre,Abandonn de tous, except de sa mre,Et que son cou ploy comme un frle roseauFit faire en mme temps sa bire et son berceau.Cet enfant que la vie effaait de son livre,Et qui navait pas mme un lendemain vivre,Cest moi.

    Je vous dirai peut-tre quelque jourQuel lait pur, que de soins, que de vux, que damour,

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  • Prodigus pour ma vie en naissant condamne,Mont fait deux fois lenfant de ma mre obstine,Ange qui sur trois fils attachs ses paspandait son amour et ne mesurait pas ! lamour dune mre ! amour que nul noublie !Pain merveilleux quun dieu partage et multiplie !Table toujours servie au paternel foyer !Chacun en a sa part et tous lont tout entier !

    Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuseFera parler les soirs ma vieillesse conteuse,Comment ce haut destin de gloire et de terreurQui remuait le monde aux pas de lempereur,Dans son souffle orageux memportant sans dfense, tous les vents de lair fit flotter mon enfance.Car, lorsque laquilon bat ses flots palpitants,Locan convulsif tourmente en mme tempsLe navire trois ponts qui tonne avec lorage,Et la feuille chappe aux arbres du rivage !

    Maintenant, jeune encore et souvent prouv,Jai plus dun souvenir profondment grav,Et lon peut distinguer bien des choses passesDans ces plis de mon front que creusent mes penses.Certes, plus dun vieillard sans flamme et sans cheveux,Tomb de lassitude au bout de tous ses vux,Plirait sil voyait, comme un gouffre dans londe,Mon me o ma pense habite, comme un monde,Tout ce que jai souffert, tout ce que jai tent,

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  • Tout ce qui ma menti comme un fruit avort,Mon plus beau temps pass sans espoir quil renaisse,Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,Et quoiquencore lge o lavenir sourit,Le livre de mon cur toute page crit !

    Si parfois de mon sein senvolent mes penses,Mes chansons par le monde en lambeaux disperses ;Sil me plat de cacher lamour et la douleurDans le coin dun roman ironique et railleur ;Si jbranle la scne avec ma fantaisie,Si jentre-choque aux yeux dune foule choisieDautres hommes comme eux, vivant tous la foisDe mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ;Si ma tte, fournaise o mon esprit sallume,Jette le vers dairain qui bouillonne et qui fumeDans le rythme profond, moule mystrieuxDo sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ;Cest que lamour, la tombe, et la gloire, et la vie,Londe qui fuit, par londe incessamment suivie,Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,Fait reluire et vibrer mon me de cristal,Mon me aux mille voix, que le Dieu que jadoreMit au centre de tout comme un cho sonore !

    Dailleurs jai purement pass les jours mauvais,Et je sais do je viens, si jignore o je vais.Lorage des partis avec son vent de flammeSans en altrer londe a remu mon me.Rien dimmonde en mon cur, pas de limon impur

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  • Qui nattendt quun vent pour en troubler lazur !

    Aprs avoir chant, jcoute et je contemple,A lempereur tomb dressant dans lombre un temple,Aimant la libert pour ses fruits, pour ses fleurs,Le trne pour son droit, le roi pour ses malheurs ;Fidle enfin au sang quont vers dans ma veineMon pre vieux soldat, ma mre vendenne ! Petit Paul

    Sa mre en le mettant au monde sen alla.Sombre distraction du sort ! Pourquoi cela ?Pourquoi tuer la mre en laissant lenfant vivre ?Pourquoi par la martre, deuil ! la faire suivre ?Car le pre tait jeune, il se remaria.Un an, cest bien petit pour tre paria ;Et le bel enfant rose avait eu tort de natre.Alors un vieux bonhomme accepta ce pauvre tre ;Ctait laeul. Parfois ce qui nest plus dfendCe qui sera. Laeul prit dans ses bras lenfantEt devint mre. Chose trange, et naturelle.Sauver ce quune morte a laiss derrire elle,On est vieux, on nest plus bon qu cela ; tcherDtre le doux passant, celui que vont chercher,Dinstinct, les accabls et les souffrants sans nombre,Et les petites mains qui se tendent dans lombre ;Il faut bien que quelquun soit l pour le devoir ;Il faut bien que quelquun soit bon sous le ciel noir,

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  • De peur que la piti dans les curs ne tarisse ;Il faut que quelquun mne lenfant sans nourriceLa chvre aux fauves yeux qui rde au flanc des monts ;Il faut quelquun de grand qui fasse dire : Aimons !Qui couvre de douceur la vie impntrable,Qui soit vieux, qui soit jeune, et qui soit vnrable ;Cest pour cela que Dieu, ce matre du linceul,Remplace quelquefois la mre par laeul,Et fait, jugeant lhiver seul capable de flamme,Dans lme dun vieillard clore un cur de femme.

    Donc lhumble petit Paul naquit, fut orphelin,Eut son grand il bleu dombre et de lumire plein,Balbutia les mots de la langue ingnue,Eut la frache impudeur de linnocence nue,Fut cet ange quest lhomme avant dtre complet ;Et laeul, par les ans pli, le contemplaitComme on contemple un ciel qui lentement se dore.Oh ! comme ce couchant adorait cette aurore !

    Le grand-pre emporta lenfant dans sa maison,Aux champs, do lon voyait un si vaste horizonQuun petit enfant seul pouvait lemplir. Les plainestaient vertes, avec toutes sortes dhaleinesQui sortaient des forts et des eaux ; la maisonAvait un grand jardin, et cette floraison,Ces prs, tous ces parfums et toute cette vieCaressrent lenfant ; les fleurs nont pas denvie.

    Dans ce jardin croissaient le pommier, le pcher,

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  • La ronce ; on cartait les branches pour marcher ;Des transparences deau frmissaient sous les saules ;On voyait des blancheurs qui semblaient des paules,Comme si quelque nymphe et t l ; les nidsMurmuraient lhymne obscur de ceux qui sont bnis ;Les voix quon entendait taient calmes et douces ;Les sources chuchotaient doucement dans les mousses ; tout ce qui gazouille, tout ce qui se tait,Le remuement confus des feuilles sajoutait ;Le paradis, ce chant de la lumire gaie,Que le ciel chante, en bas la terre le bgaie ;En t, quand lazur rayonne, pur jardin !Paul tant presque un ange, il fut presque un den ;Et lenfant fut aim dans cette solitude,Hlas ! et cest ainsi quil en prit lhabitude.

    Un jardin, cest fort beau, nest-ce pas ? Mettez-yUn marmot ; ajoutez un vieillard ; cest ainsiQue Dieu fait. Combinant ce que le cur souhaiteAvec ce que les yeux dsirent, ce poteComplte, car au fond la nature cest lart,Les roses par lenfant, lenfant par le vieillard.Lenfant voisine avec les fleurs, cest de son ge ;Et laeul vient, sachant quil est du voisinage ;Et comme cest exquis de rire au mois davril !Un nouveau-n vermeil, et nu jusquau nombril,Couch sur lherbe en fleur, cest aimable, Virgile !Hlas ! cest tellement divin que cest fragile !Paul est dabord bien frle et bien chtif. Qui sait ?

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  • Vivra-t-il ? Un vent noir, lorsquil naquit, passait,Souffle tratre ; et sait-on si cette bise amreNe viendra pas chercher lenfant aprs la mre ?Il faut allaiter Paul ; une chvre y consent.Paul est frre de lait du chevreau bondissant ;Puisque le chevreau saute, il sied que lhomme marche,Et lenfant veut marcher. Et laeul patriarcheDit : Cest juste. Marchons. Oh ! les enfants, celaTremble, un meuble est Charybde, une pierre est Scylla,Leur front penche, leur pied flchit, leur genou ploie,Mais ce frmissement nte rien leur joie.Frmir nempche pas la branche de fleurir.Un an, cest lge fier ; crotre, cest conqurir ;Paul fait son premier pas, il veut en faire dautres.(Mres, vous le voyez en regardant les vtres.)Frais spectacle ! lenfant est suivi par laeul. Prends garde de tomber. Cest cela. Va tout seul. Paul est brave, il se risque, hsite, appelle, espre,Et tout coup se met en route, et le grand-preLentoure de ses mains que les ans font trembler,Et, chancelant lui-mme, il laide chanceler.Et cela sachevait par un clat de rire.Oh ! pas plus quon ne peut peindre un astre, ou dcrireLa fort blouie au soleil se chauffant,Nul nira jusquau fond du rire dun enfant ;Cest lamour, linnocence auguste, panouie,Cest la tmrit de la grce inoue,La gloire dtre pur, lorgueil dtre debout,

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  • La paix, on ne sait quoi dignorant qui sait tout.Ce rire, cest le ciel prouv, cest Dieu visible.

    Laeul, grave figure mettre en une bible,Mage que sur lHoreb Mose et tutoy,Ntait rien quun bon vieux grand-pre extasi ;Il ne rsistait pas au charme, et, sans dfense,Honorait, consultait et vnrait lenfance ;Il regardait le jour se faire en ce cerveau.Paul avait chaque mois un bgaiement nouveau,Effort de la pense travers la parole,Sorte dascension lente du mot qui vole,Puis tombe, et se relve avec un gai frisson,Et ne peut tre ide et sachve en chanson.Paul assemblait des sons, leur donnait la vole,Scandait on ne sait quelle obscure strophe aile,Jasait, causait, glosait, sans se taire un instant,Et la maison tait ravie en lcoutant.Il chantait, tout riait, et la paix tait faite ;On et dit quil donnait le signal de la fte ;Et les arbres parlaient de cet enfant entre eux ;Et Paul tait heureux ; cest charmant dtre heureux !

    Avec lautorit profonde de la joiePaul rgnait ; son grand-pre tait sa douce proie ;Laeul obissait, comme il sied. Pre, attends. Il attendait. Non. Viens. Il venait. Le printempsA sur le vieil hiver tous les droits du jeune ge.Comme ils faisaient ensemble un bon petit mnage,Ce petit-fils tyran, ce grand-pre opprim !Comme janvier cherchait plaire au mois de mai !

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  • Comme, au milieu des nids chantant leurs oreilles,Erraient gament ces deux navets pareilles,Dont lune avait deux ans et lautre quatrevingt !Un jour lun oublia, mais lautre se souvint ;Ce fut lenfant. La nuit pour eux ntait point noire.Laeul faisait penser Paul, qui le faisait croire.On et dit quchangeant leur me en ce beau lieu,Chacun montrait lautre un des cts de Dieu.Ils mlaient tout, le jour leurs jeux, la nuit leurs sommes.Oh ! quel cleste amour entre ces deux bonshommes !Ils navaient quune chambre, ils ne se quittaient pas ;Le premier alphabet, comme le premier pas,Quelles occasions divines de sentendre !Le grand-pre navait pas daccent assez tendrePour faire peler lange attentif et charm,Et pour dire : mon doux petit Paul bien-aimDialogues exquis ! murmures ineffables !Ainsi les oiseaux bleus gazouillent dans les fables. Prends garde, cest de leau. Pas si loin. Pas si prs.Vois, Paul, tu tes mouill les pieds. - Pas fait exprs. Prends garde aux cailloux. Oui, grand-pre. Va dans lherbe.Et le ciel tait pur, pacifique et superbe,Et le soleil tait splendide et triomphantAu-dessus du vieillard baisant au front lenfant.

    Le pre, ailleurs, vivait avec son autre femme.Cest en vain quune morte en sa tombe rclame,Quand une nouvelle me entre dans la maison.

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  • De sa seconde femme il avait un garon,Et Paul nen savait rien. Quimporte ! Heureux, prospre,Gai, tranquille, il avait pour lui seul son grand-pre !Le reste existait-il ?

    Le grand-pre mourut.

    Quand Sem dit Rachel, quand Booz dit Ruth :Pleurez, je vais mourir ! Rachel et Ruth pleurrent ;Mais le petit enfant ne sait pas ; ses yeux errent,Son front songe. Laeul, parfois, se sentant las,Avait dit : Paul ! je vais mourir. Bientt, hlas !Tu ne le verras plus, ton pauvre vieux grand-preQui taimait. Rien nteint cette douce lumire,Lignorance, et lenfant, plein de joie et de chants,Continuait de rire.

    Une glise des champs,Pauvre comme les toits que son clocher protge,Souvrit. Je me souviens que jtais du cortge.Le prtre, murmurant une vague oraison,Les amis, les parents, vinrent dans la maisonChercher le doux aeul pour laller mettre en terre ;La plaine fut riante autour de ce mystre ;On dirait que les fleurs aiment ces noirs convois ;De bonnes vieilles gens priaient, mlant leurs voix ;On suivit un chemin, creux comme une tranche ;Au bord de ce chemin, une vache coucheRegardait les passants avec maternit ;Les paysans avaient leurs bourgerons dt ;

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  • Et le petit marchait derrire lhumble bire.On porta le vieillard au prochain cimetire,Enclos dsert, mur dun mur croulant, auprsDe lglise, pre et nu, point orn de cyprs,Ni de tombeaux hautains, ni dinscriptions fausses ;On entrait dans ce champ plein de croix et de fosses,Lieu svre o la mort dort si Dieu le permet,Par une grille en bois que la nuit on fermait ;Aux barreaux sajoutait le croisement dun lierre ;Le petit enfant, chose obscure et singulire,Considra lentre avec attention.

    Le sort pour les enfants est une vision ;Et la vie leurs yeux apparat comme un rve.Hlas ! la nuit descend sur lastre qui se lve.Paul navait que trois ans.

    Vilain petit satan !Mchant enfant ! Le voir mexaspre ! Va-ten !Va-ten ! je te battrais ! Il est insupportable.Je suis trop bonne encor de le souffrir table.Il ma tach ma robe, il a bu tout le lait. la cave ! Au pain sec ! Et puis il est si laid ! qui donc parle-t-on ? Paul. Pauvre doux tre !Hlas ! aprs avoir vu laeul disparatre,Paul vit dans la maison entrer un inconnu,Ctait son pre ; puis une femme au sein nu,Allaitant un enfant ; lenfant tait son frre.

    La femme labhorra sur-le-champ. Une mreCest le sphinx ; cest le cur inexorab