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Les Chaises de Eugène Ionesco Deux vieux, âgés de 94 et 95 ans, vivent isolés dans une maison située sur une île battue par les flots. Pour égayer leur solitude et leur amour désuet, ils remâchent inlassablement les mêmes histoires. Mais le vieil homme, auteur et penseur, détient un message universel qu’il souhaite révéler à l’humanité. Il a réuni pour ce grand jour d’éminentes personnalités du monde entier. Un orateur, spécialiste dans l’art des mots, est missionné pour traduire cette pensée. Un à un, les invités invisibles se présentent à la porte de leur demeure et viennent prendre place sur les chaises préparées pour les accueillir. Bientôt la maison est encombrée de ces fantômes auxquels vient se joindre l’Empereur en personne. Cette multitude d’absences devient un piège dont ils sont prisonniers, éloignés l’un de l’autre, aux deux confins de la scène. Submergés par ce flot de chaises vides qui ne cesse de monter, ils ne peuvent se rejoindre et se jettent chacun par une fenêtre au moment où l’orateur sourd et muet trace au tableau des hiéroglyphes illisibles. Cette pièce où le drame devient cocasse confère au tragique un sens nouveau, celui de l’inaccomplissement de l’homme face à son impossibilité de communiquer. Les chaises(1952) Pièce en un acte Le Vieux et la Vieille, qui sont âgés de quatre-vingt-quinze et quatre-vingt-quatorze ans, habitent sur une île. Ils ont convoqué pour la soirée « tous les personnages, tous les propriétaires et tous les savants [...], le pape, les papillons et les papiers... » car l’homme pense avoir un message à délivrer à l’humanité. Personne ne se présente, malgré les coups de sonnette répétés et les chaises proposées par les vieillards à leurs invités invisibles, qui, peu à peu, envahissent l’espace. Enfin intervient un personnage de chair et d'os, un orateur, qui reste désespérément muet. Alors que les deux vieux finissent par se jeter par la fenêtre, l'orateur délivre un message obscur, puis quitte la scène pour la livrer au brouhaha d'une foule invisible.

Les Chaises

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Les ChaisesdeEugne IonescoDeux vieux, gs de 94 et 95 ans, vivent isols dans une maison situe sur une le battue par les flots. Pour gayer leur solitude et leur amour dsuet, ils remchent inlassablement les mmes histoires. Mais le vieil homme, auteur et penseur, dtient un message universel quil souhaite rvler lhumanit. Il a runi pour ce grand jour dminentes personnalits du monde entier. Un orateur, spcialiste dans lart des mots, est missionn pour traduire cette pense. Un un, les invits invisibles se prsentent la porte de leur demeure et viennent prendre place sur les chaises prpares pour les accueillir. Bientt la maison est encombre de ces fantmes auxquels vient se joindre lEmpereur en personne. Cette multitude dabsences devient un pige dont ils sont prisonniers, loigns lun de lautre, aux deux confins de la scne. Submergs par ce flot de chaises vides qui ne cesse de monter, ils ne peuvent se rejoindre et se jettent chacun par une fentre au moment o lorateur sourd et muet trace au tableau des hiroglyphes illisibles. Cette pice o le drame devient cocasse confre au tragique un sens nouveau, celui de linaccomplissement de lhomme face son impossibilit de communiquer.Les chaises

(1952)

Pice en un acte

Le Vieux et la Vieille, qui sont gs de quatre-vingt-quinze et quatre-vingt-quatorze ans, habitent sur une le. Ils ont convoqu pour la soire tous les personnages, tous les propritaires et tous les savants [...], le pape, les papillons et les papiers... car lhomme pense avoir un message dlivrer lhumanit. Personne ne se prsente, malgr les coups de sonnette rpts et les chaises proposes par les vieillards leurs invits invisibles, qui, peu peu, envahissent lespace. Enfin intervient un personnage de chair et d'os, un orateur, qui reste dsesprment muet. Alors que les deux vieux finissent par se jeter par la fentre, l'orateur dlivre un message obscur, puis quitte la scne pour la livrer au brouhaha d'une foule invisible.

Commentaire

Sous-titre farce tragique, la pice, qui n'est pas la plus facile au rpertoire du matre mais en dit la libert drangeante, qui dploie l'association du burlesque et du tragique chre Ionesco, avec grincements de dents, angoisse diffuse, clats de rire, traite un thme rcurrent chez Ionesco : la prolifration de la matire comme rponse au vide et au silence. Lenvahissement par les chaises dtruit une situation dabord paisible qui devient la fois absurde et mtaphysique. Le projet se fait en effet manifestement plus ambitieux. Plus qu'une pice sur la solitude (ce serait en rester ce thtre psychologique dont Ionesco n'eut de cesse de se dmarquer), plus qu'une pice potique , en dpit d'un certain lyrisme, Les chaises sont comme la manifestation ultime du personnage dans un univers dont la ralit mme s'est retire. La scne se vide de tout lment concret, l'exception des chaises, preuves irrcusables de l'absence. Les deux vieillards eux-mmes sont, ds le lever du rideau, dans la demi-obscurit de leur irrmdiable effacement, et les bruits de foule prcdant le baisser de rideau renvoient les spectateurs, non sans ironie, leur propre phmre ralit. L'orateur muet est le smaphore dtraqu de ce message par nature incommunicable, le symbole grotesque de cette esthtique du fading : sa visibilit n'est qu'une convention arbitraire (Notes et contre-notes). Plus de langage : rien . On voit donc aussi, comme dans La cantatrice chauve et La leon, les mots se librer du sens en litanies ou en babil.

Alors quen 2009, Andr Le Gall, biographe dIonesco, vit dans la pice une autobiographie d'anticipation, elle aurait pu tre le testament spectaculaire d'un auteur trop tourment. Il n'en fut rien.

Ionesco affirma aussi une nouvelle position face l'objet-thtre : celle du metteur en scne. Il multiplia ici les indications scniques, les schmas et les directives. Il entendit avoir un vritable droit de regard sur ses visions.

La pice fut cre en avril 1952 au thtre Lancry, dans une mise en scne de Sylvain Dhomme, et publie en 1954. En 2009, l'occasion du centenaire de la naissance d'Eugne Ionesco, Michel Robin et Clotilde de Bayser reformrent pour la premire fois leur couple, la Comdie-Franaise dans une mise en scne de Jean Dautremay.