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Amélie Pinçon, document sous licence CC-BY-SA Correction du corpus : scènes de repas Madame Bovary, Flaubert, La Jalousie, Robbe-Grillet Les Choses, Perec Le corpus étudié est composé des trois textes des XIXème et Xxème siècles. Madame Bovary de Flaubert, publié en 1857, est un roman réaliste. Robbe-Grillet est quant à lui un des théoriciens et romancier du Nouveau Roman, courant qui remet en question la notion même de personnage, notamment dans le roman La Jalousie, publié juste un siècle après Madame Bovary. Enfin, Perec rédige Les Choses en 1965. Ces quatre extraits mettent en scène des personnages de roman au cours de repas. Dès lors on peut se demander dans quelle mesure ce motif de la scène de repas hérité des romans réalistes propose différents modes de représentation des personnages. On s'intéressera d'abord au point de vue adopté puis nous verrons que ces scènes de repas présentent les relations entre plusieurs personnages avant de nous intéresser à la construction du personnage et en particulier à son nom. Les personnages sont d'abord représentés grâce au point de vue adopté. C'est le point de vue interne à Emma qui domine dans le texte de Flaubert. On remarque ainsi la présence des cinq sens avec par exemple l'évocation du « parfum », des « cristaux à facettes », du « froid » dans la bouche d'Emma. Ce point de vue interne traduit l'émerveillement d'Emma pour se dîner. Mais on perçoit en filigrane l'ironie de Flaubert pour Emma, qui s'émerveille de tout, de façon un peu naïve. C'est également le point de vue interne au mari qui est adopté dans le texte de Robbe-Grillet. Le texte s'apparente presque à un monologue intérieur puisque le lecteur a seulement accès aux pensées du mari. L'auteur radicalise le point de vue interne, le pousse à l'extrême. Enfin, le point de vue omniscient est utilisé chez Perec même si à de nombreuses reprises l'auteur fait entendre les pensées et paroles des personnages grâce au discours rapporté : « ils parlaient […] de la vie qu'ils auraient aimé mener ». Le mode de représentation des personnages est aussi donné à lire dans la façon qu'ils ont d'interagir avec les autres. La scène de repas chez Flaubert est ainsi l'occasion de dresser un portrait de la société, de la cour comme espace de jugements. Le « disait-on » rappelle ainsi les médisances de la Cour. Chez Robbe-Grillet, c'est le sentiment de jalousie qui domine. On retrouve le schéma traditionnel du triangle amoureux avec la femme, A..., le mari et l'amant soupçonné, Franck. Les indications objectives du narrateur sont à comprendre comme les signes de sa jalousie : « leurs têtes sont l'une contre l'autre ». Du reste, le texte de Perec met en scène un « groupe » où les personnages sont indistincts. Enfin, le mode de représentation des personnages passe par leur identification et leur nom. Dans Madame Bovary, les noms sont très précis. On observe une dimension réaliste et historique avec la mention précise des noms et de l'histoire de chaque personnage : « le marquis de Conflans », « MM. De Coligné et de Lauzun », « l'amant de la reine Marie-Antoinette »... Dans le texte de Robbe-Grillet, le personnage est soit réduit à un simple prénom, Franck, soit à une initiale dans le cas de A... ou même au néant dans le cas du mari dont on ne connaît jamais le nom. Le personnage semble s'effacer. Enfin, chez Perec, les personnages ne sont plus réalistes, individuels mais représentent toute une catégorie comme en témoignent des expressions comme « rêve collectif » ou tout simplement le titre : « une histoire des années soixante ». Si tous ces extraits mettent en scène des personnages au cours de repas, pour autant on remarque une modification et une évolution dans le mode de représentation des personnages selon les époques : de la précision réaliste chez Flaubert à la collectivité chez Perec en passant par une forme de destruction du personnage réduit à ses seules pensées chez Robbe-Grillet.

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Amélie Pinçon, document sous licence CC-BY-SA

Correction du corpus : scènes de repasMadame Bovary, Flaubert,La Jalousie, Robbe-Grillet

Les Choses, Perec

Le corpus étudié est composé des trois textes des XIXème et Xxème siècles. MadameBovary de Flaubert, publié en 1857, est un roman réaliste. Robbe-Grillet est quant à lui un desthéoriciens et romancier du Nouveau Roman, courant qui remet en question la notion même depersonnage, notamment dans le roman La Jalousie, publié juste un siècle après Madame Bovary.Enfin, Perec rédige Les Choses en 1965. Ces quatre extraits mettent en scène des personnages deroman au cours de repas. Dès lors on peut se demander dans quelle mesure ce motif de la scène derepas hérité des romans réalistes propose différents modes de représentation des personnages. Ons'intéressera d'abord au point de vue adopté puis nous verrons que ces scènes de repas présentent lesrelations entre plusieurs personnages avant de nous intéresser à la construction du personnage et enparticulier à son nom.

Les personnages sont d'abord représentés grâce au point de vue adopté. C'est le point de vueinterne à Emma qui domine dans le texte de Flaubert. On remarque ainsi la présence des cinq sensavec par exemple l'évocation du « parfum », des « cristaux à facettes », du « froid » dans la bouched'Emma. Ce point de vue interne traduit l'émerveillement d'Emma pour se dîner. Mais on perçoit enfiligrane l'ironie de Flaubert pour Emma, qui s'émerveille de tout, de façon un peu naïve. C'estégalement le point de vue interne au mari qui est adopté dans le texte de Robbe-Grillet. Le textes'apparente presque à un monologue intérieur puisque le lecteur a seulement accès aux pensées dumari. L'auteur radicalise le point de vue interne, le pousse à l'extrême. Enfin, le point de vueomniscient est utilisé chez Perec même si à de nombreuses reprises l'auteur fait entendre les penséeset paroles des personnages grâce au discours rapporté : « ils parlaient […] de la vie qu'ils auraientaimé mener ».

Le mode de représentation des personnages est aussi donné à lire dans la façon qu'ils ontd'interagir avec les autres. La scène de repas chez Flaubert est ainsi l'occasion de dresser un portraitde la société, de la cour comme espace de jugements. Le « disait-on » rappelle ainsi les médisancesde la Cour. Chez Robbe-Grillet, c'est le sentiment de jalousie qui domine. On retrouve le schématraditionnel du triangle amoureux avec la femme, A..., le mari et l'amant soupçonné, Franck. Lesindications objectives du narrateur sont à comprendre comme les signes de sa jalousie : « leurs têtessont l'une contre l'autre ». Du reste, le texte de Perec met en scène un « groupe » où les personnagessont indistincts.

Enfin, le mode de représentation des personnages passe par leur identification et leur nom.Dans Madame Bovary, les noms sont très précis. On observe une dimension réaliste et historiqueavec la mention précise des noms et de l'histoire de chaque personnage : « le marquis de Conflans »,« MM. De Coligné et de Lauzun », « l'amant de la reine Marie-Antoinette »... Dans le texte deRobbe-Grillet, le personnage est soit réduit à un simple prénom, Franck, soit à une initiale dans lecas de A... ou même au néant dans le cas du mari dont on ne connaît jamais le nom. Le personnagesemble s'effacer. Enfin, chez Perec, les personnages ne sont plus réalistes, individuels maisreprésentent toute une catégorie comme en témoignent des expressions comme « rêve collectif » outout simplement le titre : « une histoire des années soixante ».

Si tous ces extraits mettent en scène des personnages au cours de repas, pour autant onremarque une modification et une évolution dans le mode de représentation des personnages selonles époques : de la précision réaliste chez Flaubert à la collectivité chez Perec en passant par uneforme de destruction du personnage réduit à ses seules pensées chez Robbe-Grillet.