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Institut d’égyptologie François Daumas UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes » Cnrs – Université Paul Valéry (Montpellier III) Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche des systèmes chromatiques Bernard Mathieu Citer cet article : B. Mathieu, « Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche des systèmes chromatiques », ENIM 2, 2009, p. 25-52. ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement téléchargeable depuis le site internet de l’équipe « Égypte nilotique et méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes » : http://recherche.univ-montp3.fr/egyptologie/enim/

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Institut d’égyptologie François Daumas

UMR 5140 « Archéologie des Sociétés Méditerranéennes »

Cnrs – Université Paul Valéry (Montpellier III)

Les couleurs dans les Textes des Pyramides :

approche des systèmes chromatiques

Bernard Mathieu

Citer cet article :

B. Mathieu, « Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche des systèmes chromatiques », ENIM 2, 2009, p. 25-52.

ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet est librement téléchargeable depuis le site internet de l’équipe « Égypte nilotique et méditerranéenne » de l’UMR 5140, « Archéologie des sociétés méditerranéennes » : http://recherche.univ-montp3.fr/egyptologie/enim/

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Les couleurs dans les Textes des Pyramides : approche des systèmes chromatiques

(Enquêtes dans les Textes des Pyramides, 2)

Bernard Mathieu

Institut d’égyptologie François Daumas

UMR 5140 (CNRS - Université Paul-Valéry - Montpellier III)

Sa Majesté s’avança ensuite (…), vaillant dans sa barque d’or (…),

sa voile tendue de tissu rouge et vert. (Thoutmosis IV, stèle de Konosso, Urk. IV, 1546, 6-8)

OUT COMME LA perception du spectre lumineux, fondamentalement culturelle, la notion même de « couleur » (grec crw`ma, lat. « color », all. « Farbe », etc.), on le sait, n’est pas universelle 1. Le mot, de fait, n’a pas de réel correspondant dans le lexique hiéroglyphique,

puisque deux vocables au moins sont susceptibles d’être traduits ainsi : , jwn et jnm 2. Si les deux termes ont été parfois confondus par les Égyptiens eux-mêmes 3, il

demeure qu’il n’existe pas dans leur langue de strict équivalent de notre mot « couleur ».

Jnm désigne en effet, plutôt qu’une couleur à proprement parler, une surface considérée sous son aspect matériel, tactile, conformément à son sens étymologique, « peau », que rappellent explicitement les déterminatifs ou . Parallèlement, le terme jwn, dont le sens premier est sans doute « pelage », très voisin de jnm par conséquent, s’applique à une surface considérée sous l’angle de sa texture apparente et de son « teint » 4. C’est ce qu’illustre parfaitement, comme le signale St. Quirke 5, le Conte du Pâtre qui vit une déesse, où le jeune protagoniste décrit ainsi sa réaction

1 « La couleur est un phénomène difficilement saisissable, étroitement culturel et rebelle à toute généralisation », rappelle M. PASTOUREAU, « La couleur et l’historien », dans Pigments et colorants de l’Antiquité et du Moyen Age, Paris, 1990, p. 21. 2 Wb I, 52, 10-18 et Wb I, 96, 14-20. Le terme ry.t (Wb II, 399, 10-11), attesté à partir des Textes des Sarcophages, traduit parfois par « couleur », désigne en réalité les pigments destinés à fabriquer l’encre et l’encre elle-même ; cf. par exemple CT VI, 142c [TS 545], et les commentaires de J.R. HARRIS, Lexicographical Studies on Ancient Egyptian Materials and Minerals, VerOr 54, Berlin, 1961, p. 147-148. De même r(w) (Wb V, 386, 11-12), ne signifie pas « couleur », mais désigne génériquement les différents pigments ocres, et spécifiquement l’ocre rouge ; cf. J.R. HARRIS, op. cit., p. 154-155. Le mot jrtjw (Wb I, 116, 10-11), d’autre part, ne signifie « couleur » – dans le P. Edwin Smith – que par glissement sémantique, à partir du sens premier de « minéral bleu », et dans une acception très concrète, peut-être celle de « pigment broyé » ; cf. D. MEEKS, AnLex I, 77.0410 ; Cl. TRAUNECKER, LÄ II, 1977, p. 115-117, s. v. « Farbe ». On notera enfin que s b ne signifie pas « multicolore », « bariolé », comme il est souvent traduit (encore St. QUIRKE, « Colour vocabularies in Ancient Egyptian », dans W.V. Davies (éd.), Colour and Painting in Ancient Egypt, Londres, 2001, p. 188), mais « tacheté ». Dans les TP, les s b.wt sont « les serpents tachetés » (§ 1211c [TP 519], TP 1051 B). 3 Voir par exemple V. LORET, Kêmi 12, 1952, p. 23, n. 1 ; S. SAUNERON, BIFAO 60, 1960, p. 36 ; J.R. HARRIS, op. cit., p. 161 ; R. EL-SAYED, MDAIK 36, 1980, p. 362, n. 26. 4 S. DONNAT, « Lumière, couleurs et peaux dans l’Égypte ancienne (autour de la formule A du P. Berlin 3027), dans M. Carastro (éd.), L’antiquité en couleurs. Catégories, pratiques, représentations, Paris, 2009, p. 197-198. 5 Op. cit., p. 187.

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devant l’apparition de celle qu’il devine être une divinité : « mes cheveux se sont dressés quand j’ai vu sa chevelure bouclée et le poli de son teint » ( nwy j df( w) m j srw s n n n(y) jwn s) 6. L’éclat particulier de la peau de celle « qui n’était pas de la race des humains » est à l’évidence une évocation de l’or, dont est censée être faite la chair des dieux.

Dans les deux cas, manifestement, le sémantisme excède la seule dimension chromatique. Ajoutons que jwn et jnm sont susceptibles d’acceptions dérivées, pour désigner notamment la « complexion » ou le « comportement » d’un individu.

Pour tenter de pénétrer dans l’univers chromatique égyptien, on doit donc tenir compte de ces décalages culturels et considérer d’autres critères que les seules divisions du spectre visible de la lumière, comme la texture, l’intensité, la brillance, etc. Parallèlement, une approche analytique, par systèmes complémentaires ou antinomiques, est légitimée, on va le voir, par les sources tirées de l’ample corpus des Textes des Pyramides (TP) 7.

Le noir

Correspond à notre « noir » le terme égyptien km, litt. « sombre, foncé ». C’est la couleur, éminemment positive, il faut y insister, de la terre fertilisée par le limon du Nil, logiquement associée au territoire cultivé, habité, et donc « civilisé » de l’Égypte, dite « la Noire » (Km.t), ainsi qu’à Osiris en tant que divinité du cycle végétal 8. C’est probablement cette association du noir et de la fertilité qui justifie dans les TP : « car tu es le Bélier noir, fils de la Brebis noire » (n wt js Sj km s Sj.t km.t) 9 ; et surtout « N. a tété le lait des Deux Vaches noires, les deux nourrices des Baou d’Héliopolis » (snq~n N. pn m jr .t Jd.tj km.t(j) mn .tj b .w Jwnw) 10, où la rencontre du noir de la fertilité et du blanc nourricier, pour nous paradoxale, trouve toute sa cohérence.

Avec une valeur tout aussi positive, bien que d’origine différente, cette couleur décrira plus tard, par exemple, les cheveux de la belle Moutirdis, prêtresse d’Hathor : « ses cheveux sont plus noirs que le noir de la nuit, que les raisins et les figues » (km nw.w s r km n(y) gr r j( )rr(.t) d b.w) 11. C’est que l’anatomie religieuse égyptienne prête aux créatures divines une chevelure à la fois sombre et luisante, aux reflets bleutés, à lier sans doute à la couleur du ciel nocturne, caractéristiques que les textes traduisent généralement par l’image du lapis-lazuli 12 : « Sa nuque est haute, sa poitrine resplendissante, ses cheveux : du vrai lapis-lazuli. Son bras l’emporte sur l’or, ses doigts sont

comme des boutons de lotus » (q .t n b.t wb .t qby.t sbd m nw s gb s r j .t nwb b .w s mj

6 P. Berlin 3024, col. 160-161 ; cf. A.H. GARDINER, Die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, Leipzig, 1909, p. 6, 15 et pl. 16-17 ; B. MATHIEU, « Le conte du Pâtre qui vit une déesse (P. Berlin 3024, verso). Nouvelles lectures », à paraître dans un volume d’Hommages, 2009 (avec bibliographie antérieure). 7 Les conventions utilisées sont celles adoptées par la Mission archéologique française de Saqqâra (MAFS) : voir C. BERGER-EL NAGGAR, J. LECLANT, B. MATHIEU, I. PIERRE-CROISIAU, Les textes de la pyramide de Pépy Ier. Édition. Description et analyse, MIFAO 118/1, Le Caire, 2001, p. 6-9. 8 H. KEES, Farbensymbolik in ägyptischen religiösen Texten, Nachrichten von der Akademie der Wissenschaften in Göttingen, Phil.-Hist. Kl., Göttingen, 1943, p. 418-422. 9 § 252b [TP 246]. L’allusion, il est vrai, est assez obscure ; cf. Chr. LEITZ et al., Lexikon der ägyptischen Götter und Götterbezeichnungen VI, OLA 115, 2002, p. 412, 413. 10 § 531c [TP 325] = § 2208b [TP 706], TP 1025. Ces Deux Vaches noires, qui font écho au dieu memphite Apis et au Kemour d’Athribis, tous deux associés à des taureaux noirs, ont probablement été assimilées (secondairement ?) à Isis et Nephthys, qui seraient aussi « les deux Ba qui président aux Baou d’Héliopolis » (§ 460a [TP 302], TP 1031). 11 Stèle Louvre C 100, l. 3 ; cf. J. YOYOTTE, CRIPEL 11, 1989, p. 117-121 et pl. 14. 12 On rappellera que les liens entre noir et bleu peuvent être culturellement très étroits : « [le bleu] cette couleur qui pendant plusieurs millénaires ne fut considérée en Occident que comme un noir d’un type particulier » (M. PASTOUREAU, op. cit., p. 23).

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s n.w) 13. Pour exprimer cette spécificité, les TP recourent très précisément à la métaphore du noir de charbon, ou « noir de jais » ( b.t) 14 ; ainsi, les Enfants d’Horus sont « ces quatre adolescents aux cheveux noir de jais » (fdw j.pw .w b.w n(w)) 15.

Pourvue de ces connotations culturelles, la couleur km fonctionne dans les TP à l’intérieur de deux principaux systèmes d’opposition : un système complémentaire noir / blanc (km / ) et un système

antinomique noir rouge (km d r).

Le système complémentaire noir / blanc (km / )

Un premier système associe le noir (km) au blanc ( ), ou, plus exactement, le foncé au clair, association que révèle explicitement le lexique égyptien entre l’obsidienne et le quartz (ou cristal de roche) 16, deux minéraux offerts au défunt, ayant la particularité d’être translucides [fig. 1a-b], et nommés respectivement mnw-km et mnw- , « pierre ménou foncée » et « pierre ménou claire » 17.

Fig. 1a. Obsidienne

Fig. 1b. Quartz

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Obsidian_1.jpg

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/54/Kwarc2.jpg

Deux minéraux qui forment un couple sélénien pour les Égyptiens, fortement signifiant d’un point de vue théologique, entre la nouvelle lune (ps tjw), ou « lune obscure », et la pleine lune. Il s’agit ni plus ni moins que d’exprimer métaphoriquement le passage de l’absence à la présence, du néant à la création, que les textes évoquent aussi en termes de mutilation (nkn) et de retour à l’intégrité (w ). Faire croître l’œil noir (srwd jr.t km.t), reconstituer l’œil mutilé (qd nkn.t), le remplir (m ), décrivent des actes rituels revenant à éclairer l’obscur, à blanchir le noir, dans une dialectique où les deux nuances, qui se succèdent l’une à l’autre, sont nécessairement complémentaires 18.

13 P. Chester Beatty I, v° C 1, 3-4 ; autres références dans B. MATHIEU, La Poésie amoureuse de l’Égypte ancienne. Recherches sur un genre littéraire au Nouvel Empire, BiEtud 115, 1996, p. 36, n. 34. 14 Wb V, 536, 8-17. Voir en particulier J.R. HARRIS, op. cit., p. 159-160. 15 § 1105c [TP 507]. 16 Dioxyde de silicium (SiO2). 17 § 33b [TP 43]. 18 Voir, parmi de multiples exemples, les formules TS 154-156 ou LdM 116.

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La dualité s’exprime volontiers sous la forme des yeux du créateur, dont le défunt doit disposer, et délibérément représentés en tant que tels dans la disposition graphique adoptée par les graveurs de la pyramide d’Ounas : « prends les yeux d’Horus, le noir et le blanc » (m jr.tj r km.t .t) 19 [fig. 2].

Fig. 2. § 33a [TP 43], sur W/F/N I 37.

La même dualité fonctionne dans le cadre de la géographie religieuse, le noir, emblématique du Delta, correspondant au blanc, emblématique de la Vallée. Cette répartition justifie le passage des TP où sont cités conjointement le nome de Kemour (Athribis) et la couronne vénérable (wrr.t) :

« viens voir ton fils que sert le nome de Kemour et que sert la couronne oureret » (mj m s p r n f Km-wr p r n f wrr.t) 20. Sont associées ici la terre noire de Basse Égypte, symbolisée par le nome athribite, territoire central (Athribis < w.t- ry-jb, litt. « la Demeure du centre »), et son Taureau noir, d’une part, et la Haute Égypte, symbolisée par la couronne blanche oureret, étroitement liée à la déesse vautour Nekhbet, « la Blanche de Nékhen », d’autre part ; l’une et l’autre se mettant au service du défunt. On notera l’assonance, bien sûr délibérée, entre Kem-our et oureret.

La littérature amarnienne fournit de ce point de vue un autre texte topique : « Installe-le (le roi) ici (à Tell el-Amarna) jusqu’à ce que l’oiseau nékhénet noircisse et que l’oiseau snéfrou soit devenu blanc, jusqu’à ce que les montagnes se soient levées pour marcher, jusqu’à ce que le courant coule en amont ! » (jm sw dy r km n n.t r t snfrw r t w.w r m.t r nt mty) 21. L’oiseau nékhénet pourrait être l’oiseau de la déesse Nekhbet, la Blanche de Nékhen, c’est-à-dire le vautour percnoptère, par opposition à l’oiseau snéfrou qui serait, à titre de pure hypothèse, l’aigrette des récifs (Egretta gularis), remarquable par son plumage noir, les deux volatiles se référant respectivement à la Haute et à la Basse Égypte.

19 § 33a [TP 43]. Voir aussi : « prends l’Œil blanc d’Horus » (§ 96a [TP 161], § 108b [TP 189]) ; « prends le doigt de Seth qui permet à l’Œil blanc d’Horus de voir » (§ *48a [TP *69]). La formule TP 43 est attestée dans la quasi totalité des pyramides à textes : Ounas (W/F/N I 37 = W 37), Téti (T/F/N I 49-50, en cours d’étude), Pépy Ier (P/F/Ne I 79-80), Mérenrê (M/F/Ne, en cours d’étude), Pépy II (N/F/Ne II 44-45 = N 264-265), Neit (Nt/F/Ne A I 42-43 = Nt 106-107), Ipout (Ip, fgt 10, col. 8), Oudjebten (Oudj/F/Ne B I 43-44 = Oudj 46-47), Aba (Aba/F/Ne A I 27 = Aba 96). Comme le précise la suite du texte (« Un vase hatjès en cristal et un vase hatjès en obsidienne, l’œil droit et l’œil gauche »), la nouvelle lune est l’œil droit, tandis que la pleine lune est l’œil gauche ; la distribution œil droit / œil gauche = soleil / lune, est postérieure ; cf. H. WILLEMS, The Coffin of Heqata (Cairo JdE 36418), OLA 70, 1996, p. 403, n. 77. 20 § 556b-c [TP 342]. 21 Tombe de Houya et Âhmès : N. DE G. DAVIES, The Rock Tombs of El Amarna III, 1905, p. 32, pl. III et XXIX ; M. SANDMAN, Texts from the Time of Akhenaten, BiAe VIII, Bruxelles, 1938, p. 9, 6-9.

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Le système antinomique noir rouge (km d r)

La notion km fonctionne également dans un système antinomique entre la couleur sombre de la terre fertile et celle, rouge/rosée, du désert stérile. C’est le contraste bien connu, et fondamental, entre la « terre noire » d’Égypte (Km.t), d’une part, et le désert et les contrées étrangères, d’autre part (d r.t,

s.wt), contraste qui se traduit mythologiquement par le conflit entre Osiris (ou Horus l’Ancien) et Seth 22.

Nombreuses sont les illustrations, dans la littérature royale officielle, de cette distribution géographique : « il règnera sur l’Égypte et gouvernera le désert » (nswy f Km.t q f d r.t, litt. « il règnera sur la Noire et gouvernera la rouge ») 23 ; « l’Égypte et le désert me redoutent, ma puissance faisant se courber les contrées étrangères » (Km.t d r.t r ry.t j b .w j r sks s.wt) 24 ; « Égypte et désert étaient sous son autorité, chaque pays étant courbé sous sa puissance » (Km.t d r.t r s.t- r f t nb m ksw n b w f) 25.

On comprend alors ce passage des TP où Seth, le dieu des terres rouges, est envoyé pour prix de ses forfaits dans les Montagnes noires :

J.sb jr k r ·w.w kmt(j).w m j.sb r T b.tj

Va donc dans les Montagnes noires, (c’est) terminé, va à Takhebti ! 26

Vouer Seth aux régions sombres, c’est le condamner à séjourner dans un univers qui lui est par nature hostile et antinomique. On prétend noircir Seth pour atteindre sa propre identité. Une formule des Textes des Sarcophages reprend du reste cette symbolique des couleurs à l’œuvre dans les rituels : « Je suis venu (…) pour noircir la couronne rouge déchéret du vase mentchat » (J~n( j) (…) r skm.t d r.t m mn .t) 27. Bien que le sens précis du texte nous échappe, le processus de noircissement du rouge, variante plus subtile du rituel bien connu du « bris des vases rouges » 28, est

22 Cf. PLUTARQUE, Isis et Osiris, 22 : « Les Égyptiens, en effet, rapportent que… Typhon était fauve (purrovn), Horus, blanc (leukovn), Osiris, noir (melavgcroun) ». 23 Urk. IV, 58, 16-17 ; extrait de l’autobiographie d’Inéni (Thoutmosis II). 24 Grande Inscription du Spéos Artémidos d’Hatchepsout (col. 11-12). Dernière étude de ce texte : J.P. ALLEN, « The Speos Artemidos Inscription of Hatshepsut », BES 16, 2002, p. 1-17 et pl. 1-2. 25 Stèle de la Restauration » de Toutânkhamon, l. 10 ; cf., pour la traduction, J. BENNET, « The Restauration Inscription of Tutankhamun », JEA 25, 1939, p. 8-15. 26 § 1269c [TP 534]. Le toponyme Takhebti (var. Tabet ou Takhbet ?), qui n’est pas localisé avec certitude, était un lieu hostile à Seth ; ce dernier y fut retenu par des entraves : § *1904e [TP N665 A], § *1921g [TP N666 A], § *2228d [TP *717], § *2263c [TP *734], N/F/Sw B 11 = N 709 + 11, N/A/E inf 63 = N 1055 + 76. 27 CT II, 318b [TS 156]. 28 S d r.wt (§ 249 [TP 244]). Sur ce rite, voir S. SCHOTT, « Die Zeremonie des Zerbrechens der roten Töpfe », ZÄS 63, 1928, p. 101 ; L. BORCHARDT, « Bilder des „Zerbrechens der Krüge“ », ZÄS 64, 1929 p. 12-16 ; H. BALCZ, « Die Gefässdarstellungen des Alten Reiches », MDAIK 4, 1933, p. 219 ; A. MORET, « Le rite de briser les vases rouges au temple de Louxor », RdE 3, 1938, p. 167 ; A.H. GARDINER, JEA 41, 1955, p. 16 et n. 4-5 ; E. OTTO, Das ägyptische Mundöffnungsritual, ÄgAb 3/1-2, Wiesbaden, 1960, II, p. 42-44 ; G. POSENER, dans Annuaire du Collège de France, 74e année, Paris, 1973-1974, p. 397-405 ; J. VAN DICK, LÄ VI, 1986, col. 1389-1396, s. v. Zerbrechen der roten Töpfe ; R.K. RITNER, The Mechanics of Ancient Egyptian Magical Practice, SAOC 54, Chicago, 1993, p. 144-153 ; J. ASSMANN, « Spruch 23 der Pyramidentexte und die Ächtung der Feinde Pharaos », dans Hommages à J. Leclant, BiEtud 106/1, 1994, p. 50-52 ; D. POLZ et al., Für die Ewigkeit geschaffen, Mainz am Rhein, 2007, p. 89, Abb. 124.

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indéniable : il revient, finalement, à « osirianiser » le territoire séthien, ou, tout, au moins, à le délimiter.

Il serait tentant, de ce point de vue, de risquer l’hypothèse d’une interprétation sémantique de la fameuse céramique prédynastique rouge polie à bord noir (« Red-Polished » ou « Black-Top »), dont la signification, issue de la culture agricole, serait alors celle d’une sorte de bornage territorial, la terre noire cultivée délimitant l’extension du domaine désertique rouge ; on signalera, sans en tirer bien sûr aucune conclusion hâtive, qu’un exemplaire célèbre, découvert à Nagada et conservé à Oxford 29, porte précisément le signe de la couronne rouge [fig. 3].

Fig. 3. Fragment de poterie rouge à bord noir (Nagada I), (Oxford, Ashmolean Museum 1895.795). Restitution d’après

G.A. Wainwright, JEA 9, p. 32, fig. 2.

Au bornage osirien du rouge répond, corrélativement, le rougissement séthien de la terre noire civilisée. Pour décrire l’invasion étrangère du territoire égyptien, les Lamentations d’Ipouour recourent ainsi à la métaphore chromatique inverse, que seule une traduction littérale permet de mettre en évidence :

Jw-ms d r.t t t sp .wt b ( w) p .t rwty jy tj n Km.t.

Le désert s’est répandu dans le pays, les nomes sont dévastés, une peuplade étrangère est arrivée en Égypte.

Litt. : La terre rouge s’est répandu dans le pays, les nomes sont dévastés, une peuplade extérieure est

venue sur la Terre noire 30.

La pénétration du rouge équivaut dans ce contexte à une progression de l’isfet, une agression des forces séthiennes contre le territoire osirien. Mais ce rouge séthien diffère radicalement d’un autre, on le verra, positivement connoté (jns).

29 Ashmolean Museum 1895.795. Ce fragment de jarre provient de la tombe 1610 de Nagada (Nagada I, vers 4000 av. J.-C.) ; voir en particulier G.A. WAINWRIGHT, « The Red Crown in Early Prehistoric Times », JEA 9, 1923, p. 26-33 ; J.C. PAYNE, Catalogue of the Predynastic Egyptian Collection in the Ashmolean Museum, Oxford, 1993, p. 94 (774) et fig. 34 ; J. BAINES, « Origins of Egyptian Kingship », dans D. O’Connor, D. Silverman (éd.), Ancient Egyptian Kingship, Leyde, 1995, p. 149, fig. 3.1 ; T.A.H. WILKINSON, Early Dynastic Egypt, Routledge, Londres, 1999, p. 48-49. Rien ne prouve que le signe de la couronne appartienne déjà à un système linguistique, comme le souligne P. VERNUS, « La naissance de l’écriture dans l’Égypte ancienne », Archéo-Nil 3, 1993, p. 81-82. 30 Lamentations d’Ipouour, 3, 1. Pour le texte, voir désormais R. ENMARCH, The Dialogue of Ipuwer and the Lord of All, Oxford, 2005 ; traduction récente par V.A. TOBIN, dans W.K. Simpson (éd.), The Literature of Ancient Egypt. An Anthology of Stories, Instructions, Stelae, Autobiographies, and Poetry, 3e éd., New Haven, Londres, 2003, p. 188-210.

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Le blanc

Le système antinomique blanc rouge ( d r)

À côté de l’association blanc / noir ( / km), un système antinomique politico-géographique oppose

blanc et rouge ( d r). Cette opposition chromatique a pour origine le processus de formation de l’État pharaonique telle que la présente l’historiographie égyptienne, à savoir le mythe fondateur de la soumission du royaume de Nagada et de son dieu majeur, Seth de Noubet (Ombos) [fig. 4], au royaume méridional de Hiéraconpolis, placé sous l’égide du dieu faucon Horus de Nékhen.

Fig. 4. Seth de Noubet (Ombos, Nagada). Temple funéraire de Sahourê, Abousir.

Pas forcément très éloigné de ce que nous sommes en mesure de reconstruire aujourd’hui de la réalité historique, au milieu du quatrième millénaire 31, ce mythe fondateur se traduit métaphoriquement par le motif de l’absorption par la couronne blanche d’Horus de Nékhen de la couronne rouge de Seth l’Ombite. Comme dans le célèbre « hymne cannibale » (TP 273-274), la métaphore de l’ingestion exprime ici une forme de domination qui s’exerce non pas nécessairement sur le modèle de l’action offensive, mais selon un processus d’assimilation de l’adversaire.

L’événement référentiel qui ne concernait au départ que les deux royaumes du Sud, Hiéraconpolis et Ombos – Nékhen et Noubet –, fut dans un second temps transposé à l’échelon du pays entier, la couronne blanche s’appliquant alors à la totalité de la Haute Égypte et la couronne rouge à l’ensemble du Delta. Ce phénomène fournirait une explication plausible à l’iconographie protodynastique – dont la Palette de Nârmer est l’exemple le plus célèbre – de la « conquête du Delta » ou de sa soumission : plutôt que la commémoration d’un hypothétique événement historique, ce motif iconographique ne serait pas autre chose que la transposition « nationale », mais largement fictive, d’un processus régional, consacrant la généralisation territoriale de la victoire d’Horus de Nékhen, le roi-dieu à la couronne blanche. Dans ce contexte spécifique, le blanc devient la couleur horienne antinomique du rouge séthien, sur lequel elle a de facto prépondérance ; un

31 Ce scénario est en effet celui généralement admis : M. LICHTHEIM, Ancient Egyptian Literature I, 1975, p. 32 ; B.J. KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization, 1989, p. 31-46 ; D. O’CONNOR, « The Status of Early Egyptian Temples: An Alternative Theory », dans R. Friedman, B. Adams (éd.), The Followers of Horus. Studies dedic. to M.A. Hoffman, ESAP 2, Oxford, 1992, p. 83-98 ; T.A.H. WILKINSON, « Political Unification: towards a reconstruction », MDAIK 56, 2000, p. 377-396.

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conflit régional transposé puis résorbé, dont témoigne à l’envi, est-il besoin de le rappeler, le dispositif régalien de la double couronne ou l’iconographie du séma-taouy.

Il fallait exposer sommairement ce schéma historiographique « à double détente », en quelque sorte, pour interpréter trois passages des TP, qui trouvent ainsi un nouvel éclairage : « la couronne blanche sortira après avoir avalé la (couronne) vénérable, après que la couronne blanche aura avalé pour lui la (couronne) vénérable » (pr .t m~n s wr.t m~n n f 32 .t wr.t) 33. La couronne blanche, horienne, « avale » la vénérable (wr.t), qui n’est autre qu’Ouret-hékaou, « la Vénérable de magie », la couronne rouge de Seth d’Ombos, surnommé logiquement « Our-hékaou » 34. On peut alors dire du défunt : « N. se délectera à lécher les effusions provenant de la couronne rouge déchéret » (fjw N. nsb f sb .w jmj.w d r.t) 35. Un autre texte complète ainsi la formulation de ce motif : « il a mangé la couronne rouge déchéret ; il a avalé la (couronne) ouadjet » (jw wnm~n f d r.t jw m~n f w .t) 36. Dans son processus d’acquisition de toutes les formes possibles de puissance, le mort absorbe ainsi, à l’instar du roi mythique des origines, le royaume séthien, puis, dans un second temps, l’ensemble de la Basse Égypte.

Le système complémentaire (couleur) argent / (couleur) or ( / nwb)

Outre les deux systèmes noir / blanc (km / ) et blanc rouge ( d r), déjà abordés, le blanc fonctionne dans un troisième système chromatique qu’on pourrait qualifier de « métallique », et qui associe l’argenté ( ) au doré (nwb). L’association était assez évidente pour les Égyptiens qui connaissaient depuis longtemps les deux métaux [fig. 5a-b], ainsi que leur alliage naturel sous forme d’électrum.

Nous pénétrons à présent dans l’univers des conceptions égyptiennes de la « génétique divine », qui concerne à la fois le corps des dieux, des rois et des défunts, et qui mériterait, à elle seule, une vaste étude 37. Le corps divin est en effet de nature métallique, comme l’exprime clairement le texte du P. Caire JE 97249 : « Osiris-Khentyimentiou, ton corps est d’airain, il ne moisira pas (…), Osiris N, ta chair est d’or, elle ne souffrira pas, Osiris N, ton ossature est d’argent, elle ne disparaîtra jamais » (Wsjr ⁄nty-jmnty.w w k m bj nn sd f (…) Wsjr N jwf k m nwb nn s(w)nj f Wsjr N qsw k m nn skj f r n .t) 38. Cette formulation à valeur dogmatique expose le principe fondamental. Le bj désigne un matériau d’origine céleste, étymologiquement le fer météoritique, avec ici une acception

32 Le groupe doit être lu , et non (pace Sethe). 33 § 243a-b [TP 239]. 34 « Change-toi donc, toi, en Our-hékaou, en Seth de Noubet, le seigneur de Haute Égypte ! » ( tm tj n k w m Wr- k w St jmj Nwb.t nb T - m w) (§ 204a-b [TP 222]). 35 § 411a [TP 274]. K. GOEBS, Crowns in Egyptian Funerary Literature. Royalty, Rebirth and Destruction, Griffith Institute Monographs, Oxford, 2008, p. 250 (aq), propose, à juste titre, d’écarter la traduction traditionnelle « répugner à » ; cf. CT VI, 181g [TS 573]. 36 § 410a [TP 274]. 37 Des pages essentielles ont déjà été consacrées à ce sujet par S. SAUNERON, « Le germe dans les os », BIFAO 60, 1960, p. 19-27 ; J. YOYOTTE, « Les os et la semence masculine. À propos d’une théorie physiologique égyptienne », BIFAO 61, 1961, p. 139-146 ; D. MEEKS, Chr. FAVARD-MEEKS, La vie quotidienne des dieux égyptiens, Paris, 1993, p. 83-124 ; Th. BARDINET, Les Papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Paris, 1995. 38 G. BURKARD, Die Papyrusfunde, ArchVer 22, 1986, p. 64 ; cité par S. AUFRÈRE, L’Univers minéral dans la pensée égyptienne, BiEtud 105/2, 1991, p. 436 et n. 49, dont la traduction ne peut être retenue. Rapprocher aussi, dans le Livre de la Vache du Ciel : « Sa Majesté (= Rê) était devenue vieille : ses os étaient d’argent, son corps d’or, sa chevelure de lapis-lazuli véritable » ([jst] rf m f ( . w. s.) j w w qs.w f m w f m nwb ny f m sbd m {.t}). Traduction récente et bibliographie antérieure chez E.F. WENTE, dans W.K. Simpson (éd.), The Literature of Ancient Egypt. An Anthology of Stories, Instructions, Stelae, Autobiographies, and Poetry, 3e éd., New Haven, Londres, 2003, p. 289-298. Voir encore P. mag. Harris 4, 9 : « (Amon) dont les os sont d’argent, la chair d’or, et ce qui couvre sa tête de lapis-lazuli véritable » (qs f (m) jwf f m nbw ryw tp f m sbd m ). Les exemples pourraient être multipliés.

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plus générale de « métal » – « airain » en est la transposition poétique que nous avons adoptée conventionnellement pour la traduction –, correspondant à l’acception générale et collective de w, « corps » 39. La suite de l’énoncé apporte une précision d’ordre anatomique : à l’intérieur du corps, les éléments mous (jwf), chair, mais aussi peau, muscles, organes internes, viscères, etc., sont d’or, tandis que les éléments durs (qsw), os, mais aussi dents et ongles, sont d’argent. L’or, de fait, est plus malléable que l’argent.

Fig. 5a. Pépite d’argent.

Fig. 5b. Pépite d’or.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:SilverUSGOV.jpg

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5b/GoldNuggetUSGOV.jpg

Les TP fournissent les premiers témoignages de cette théorie génétique, preuve que cette dernière fut très tôt élaborée et formulée, selon une répartition qui semble avoir été, dans un premier temps bj = éléments durs / nwb = éléments mous : « les os de ce N sont d’airain, ses membres sont impérissables » (qs.w N. pn bj .w .wt f j. m.(w)t-sk) 40 ; « les os de ce N. sont d’airain, les membres de ce N. sont les astres impérissables » (qs.w N pn bj .w .wt N. pn m sb .w j. m.w-sk) 41 ; « Purification pour N., qu’il se saisisse de ses os d’airain et qu’il prenne ses membres impérissables qui sont dans le ventre de (sa) mère Nout ! » (w b jr N. sp f n f qs.w f bj .w w f n f .wt f j. m.(w)t-skj jm(j.w)t .t mw.t Nw.t) 42.

Le texte le plus explicite est celui de la formule TP *723 :

39 Sur le radical bj en général, voir E. GRAEFE, Untersuchungen zur Wortfamilie bj , Cologne, 1971. 40 § 1454b [TP N570 A]. Le terme .wt nomme de manière distributive ce que w nomme collectivement. 41 § 2051c-d [TP 684]. 42 § 530a-b [TP 325].

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H N. pw s w r qs.w k bj (.w) .wt k nwb.t w k pw n(j)-sw n r n s ~n f n tm~n f n w ~n f.

Ô ce N., dresse-toi sur tes os d’airain et tes membres dorés, car ce tien corps, il appartient à un dieu : il

ne saurait moisir, ni s’anéantir, ni se putréfier 43.

On doit préciser que le recours au lexique des métaux n’a d’autre fonction que d’exprimer de manière métaphorique le caractère imputrescible du corps divin, radicalement différent du corps humain, tout en tenant compte de la différenciation éléments durs / éléments mous inhérente au système de représentation anatomique égyptien 44. Dans ce cadre, nwb et ont des signifiés complexes, englobant notamment, outre la stricte dimension chromatique (jaune / blanc), les attributs de malléabilité et de brillance ; nous retrouvons là la compacité sémantique propre à la conception égyptienne de la « couleur ».

Le rouge

Le terme égyptien d r correspond, globalement, à notre « rouge » 45. Il s’applique en réalité à toutes les nuances de rose et de rouge, celles du flamant (Phoenicopterus ruber roseus), dont le hiéroglyphe sert précisément à écrire d r 46. Le mot peut évoquer encore les couleurs de la flamme (> « flamant » !), comme l’illustre par exemple ce passage de la « Grande Inscription de Kanaïs » du règne de Séthy Ier : « ce sont eux, les membres du tribunal […], qui engageront un procès pour leurs biens, qui deviendront rouges comme un holocauste parce qu’ils feront brûler eux-mêmes ceux qui ne m’auront pas écouté » (ntsn .t […] jr sn w b r .t w d r sn mj sbj-n(y)-s .t n snw sn

.w sn tm.w s m n j) 47. Cette couleur est fondamentalement associée à Seth, et s’oppose au noir osirien ainsi qu’au blanc horien, comme on l’a vu, mais elle se distingue aussi d’autres nuances de rouge (en particulier jns et ms) et fonctionne par conséquent à l’intérieur de plusieurs systèmes antinomiques ou complémentaires.

d r, le rouge « fauve »

Le rouge d r est la couleur de Seth, le dieu « fauve », « roux », en raison, sans doute, de la couleur du sable du désert, le territoire « extérieur » et étranger, mais aussi de la couronne rouge de l’ancien royaume de Noubet (Nagada), la Ouret-hékaou ou « Grande de magie » de Haute Égypte. Le caractère séthien de cette couronne rouge, logiquement nommée d r.t, ressort nettement des TP :

43 § *2244a-c [TP *723]. 44 Comme l’a démontré Th. BARDINET, op. cit. 45 Wb V, 488, 1 - 490, 13. 46 W.M. Fl. PETRIE, Meidum, Londres, 1892, frontispiece, n° 6. Le flamant rose se dit en égyptien d rw (Wb V, 487, 9). 47 « Texte C », col. 12-13 = KRI I, 69, 4-5.

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H N. pw tm w m Jr.t r d r.t wr.t b w .t wnn.w.

Ô ce N., munis-toi de l’Œil d’Horus, la couronne rouge déchéret au vénérable pouvoir et aux

nombreuses émanations 48.

Le jeu implicite sur wr.t b w et Wr.t- k w caractérise indéniablement comme séthienne la couronne en question.

« Le ba qui est dans son sang rouge » (b jmj d rw f) 49 désigne Osiris assassiné par Seth, le syntagme « sang rouge » se référant au sang versé à cause de l’attentat séthien. C’est ce que dit plus clairement le TP 369 : « ton adversaire a été frappé par les Enfants d’Horus, ils l’ont frappé au sang et ils l’ont incinéré » ( w ftj k jn Ms.w r sd r~n sn w.t f j.ss~n sn sw) 50. Par un retournement de situation, le sang que Seth et ses acolytes ont fait couler devient le leur. Il est dit de même des adversaires du défunt que « leurs cœurs tomberont sous ses doigts, leurs entrailles revenant aux habitants du ciel et leur sang rouge aux habitants de la terre » (j. r tj.w sn n b .w f bsk.w sn n jrj.w p.t d rw sn n jr(j).w t ) 51. C’est peut-être en fonction du thème du châtiment de Seth qu’il faut interpréter également l’obscur « la flamme rougira et le scarabée vivra » (d r s .t n prr), qui intervient dans deux formules 52.

Dans ce contexte du conflit entre Seth et Osiris (ou Horus l’Ancien), les substituts sacrificiels, animaux objets rituels, peuvent ainsi être qualifiés de « rouges » : « j’ai mangé le bœuf ih rouge » (wnm~n( j) j d r) 53 ; « briser les vases rouges » (s d r.wt) 54.

La dimension péjorative de la « couleur » d r trouve son expression la plus manifeste dans le P. Ebers (1, 14-15), où il est demandé à Isis, fort à propos qualifiée de « Vénérable de magie » : « Ô Isis, Vénérable de magie, veuille me délivrer, veuille me libérer de tout mal, de toute infection, de tout ce qui est rouge ! » (J s.t Wr.t- k w w t wj f t wj m- .t nb.t bjn.t w.t d r.t).

48 § 901a-b [TP 468]. 49 § 854a [TP 456] = § *2138g [TP N692 E]. 50 § 643a [TP 369]. 51 § 292a-b [TP 254]. 52 § 561c [TP 346] = § 570 [TP 353]. 53 § 1550a [TP 580]. 54 Cf. supra, n. 28.

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Le système antinomique rouge fauve rouge vif (d r jns)

Antinomique du noir osirien et du blanc horien, le rouge fauve d r contraste avec une autre nuance de rouge, jns, que l’on peut qualifier de « vif » ou « écarlate » 55. Ainsi s’explique l’opposition de couleur, dans les TP, des sangs respectifs d’Isis et de Nephthys :

N. pw jns pr m s.t N. pw d rw pr m Nb.t- w.t.

C’est N., le sang écarlate issu d’Isis, c’est N., le sang rouge issu de Nephthys 56.

Il faut ajouter qu’il devait y avoir assonance entre jns et s.t, « sang écarlate » et « Isis », comme le suggère un autre jeu phonique, à l’œuvre dans le recueil magique Mutter und Kind, entre jns.t, « la cuisse », et s.t, « Isis » : jns.t k m s.t, « l’une de tes cuisses est Isis » 57.

Ce texte important établit une différentiation de nature entre un sang osirien, positif, chargé du souffle de vie, – on pourrait le qualifier d’« oxygéné » ! – et un sang séthien, négatif, voué à la mort et à la destruction, fort logiquement nommé d rw, les deux sangs étant attribués respectivement à Isis, compagne d’Osiris, et à Nephthys, compagne de Seth. On rappellera que dans le même recueil Mutter und Kind celle qui accouche avant terme est dite « femme rouge », c’est-à-dire « séthienne » :

mw.t-r( ) n(y).t m.t d r.t ms(w).t prww.

incantation pour la femme rouge qui a mis au monde un enfant prématuré 58.

Voilà qui connote de manière significative les « tissus écarlates » (jns.w) utilisés dans les rituels osiriens, associés dans un second temps à la fureur sanguinaire de l’Œil de Rê et de Sekhmet 59, et déjà évoqués dans les TP : « Toi (= Osiris) qui as été protégé par la main de N., c’est N. qui a dit ce qui est dans le cœur de la Vénérable lors de la fête du Tissu écarlate ( b Jns) » (N (j) m N. jn N.

55 Wb I, 100, 4-13 ; cf. M. ALLIOT, « Une famille de mots reconstituée. jns “être rouge” », RdE 10, 1955, p. 1-7. P.A. Gautier avait déjà signalé le statut ambigu du « rouge » : « si le vert est indéfectiblement positif, le rouge manifeste une ambivalence qui, dans un contexte efficient, ne va pas sans quelques précautions » (« Le rouge et le vert : sémiologie de la couleur en Égypte ancienne », ArchéoNil 7, 1997, p. 14). 56 § 1464a-b [TP N570 B]. 57 P. Berlin 3027, v° 5, 4. Voir pour ce texte, depuis A. ERMAN, Zaubersprüche für Mutter und Kind aus dem Papyrus 3027 des Berliner Museums, Berlin, 1901 : S. DONNAT, La Mère et l’Enfant. Un recueil magique du Moyen Empire (P. Berlin 3027), DEA inédit de l’Université Paul-Valéry, Montpellier, 1998 ; N. YAMAZAKI, Zaubersprüche für Mutter und Kind. Papyrus Berlin 3027, Achet Schriften zur Ägyptologie B2, Berlin, 2003. 58 P. Berlin 3027 v° 6, 1. 59 Voir J.-Cl. GOYON, Rituels funéraires de l’Ancienne Égypte, LAPO 4, Paris, 1972, p. 144-145.

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d jmj.t jb Wr.t m b jns) 60 ; « Protecteur vénérable qui est dans ses tissus écarlates » (S wr jmj

jns.w f) ( [W] [T]) 61.

La valeur positive de ce rouge anti-séthien est magnifiquement confirmée par le rôle qu’il joue dans le système complémentaire rouge écarlate / vert « frais » (jns / w ), comme nous le verrons plus loin.

Le système complémentaire fauve / pourpre (d r / ms)

On ne peut clore cette rapide évocation du rouge séthien sans signaler l’existence, dans les TP, d’une autre nuance, nommée ms 62, que nous traduirons par « pourpre ».

La première formule d’une séquence de trois s’adressant manifestement à des entités divines gardiennes de porte (TP 549-551) interpelle le babouin Babouy, le prototype du dieu Bébon 63 :

k B bwj d r ms r ms r.t ~n k jw n rpw.t k tp r( ) k !

Arrière, Babouy, celui à l’oreille rouge et à l’arrière-train pourpre, toi qui as porté à ta bouche la cuisse destinée à ton effigie répout ! 64

Dieu voleur d’offrandes, déjà, comme le prouve ce texte, et à ce titre forme séthienne de Thot, Babouy est dépeint avec le rouge séthien d r et la couleur ms. Dans la mesure où le premier est appliqué à la partie antérieure de l’animal et la seconde à la partie postérieure, il est très vraisemblable que le couple d r / ms fonctionne au sein d’un système complémentaire. La confirmation du caractère séthien de cette dernière nuance est apportée par cet autre passage : « N. est plus grand qu’Horus le pourpre, que la couronne rouge déchéret qui est sur Rê » ( N. r r mstj d r.t tp(j).t R ) (§ 702b) 65. « Horus le pourpre », placé sur le même plan que la couronne rouge déchéret, n’est autre que Seth d’Ombos, sur lequel le défunt a autorité, le théonyme « Horus » ayant

60 § 268a-b [TP 250]. 61 § 285d [TP 254]. 62 Wb V, 369, 7-12. 63 Cf. Ph. DERCHAIN, « Bébon, le dieu et les mythes », RdE 9, 1952, p. 23-47 ; id., « Nouveaux documents relatifs à Bébon », ZÄS 90, 1963, p. 22-25 ; J.F. BORGHOUTS, « The Victorious Eyes: a Structural Analysis of two Egyptian Mythologizing Texts of the Middle Kingdom », dans Studien zu Sprache und Religion Ägyptens (Fs. Westendorf) II, 1984, p. 703-716 (en part. p. 709) ; D. KURTH, « Bebon und Thot », SAK 19, 1992, p. 225-230 ; G. MEURER, Die Feinde des Königs in den Pyramidentexten, OBO 189, 2002, p. 214-218. 64 § 1349a-b [TP 549]. 65 § 702b [TP 404].

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le sens ici, comme souvent, de « dieu » 66. La couronne déchéret est précisément qualifiée ailleurs de « pourpre » :

[N]

ms.t d r.t ;

la pourpre, la couronne rouge déchéret 67.

Comme l’indique le déterminatif , le vocable ms peut s’appliquer à la couleur de l’encre rouge utilisée par le scribe. Or cette encre rouge ms, éminemment « séthienne », comme on vient de le voir, pourrait bien être la lointaine ancêtre de l’« encre typhonienne » ou de l’« ocre rouge de Typhon » évoquée dans les textes magiques de l’Égypte gréco-romaine 68.

Le vert

Le mot w signifie avant tout « frais » 69, nouvel exemple d’un terme égyptien de « couleur » impliquant fondamentalement une dimension extra-chromatique, en l’occurrence celle de fraîcheur et d’humidité, associée, secondairement, aux notions de viridité, de croissance ou de crudité. À ce titre, w est la couleur du vivant. L’acception « vert » n’est qu’un sens dérivé, parce que w s’applique très fréquemment au monde végétal, notamment à la tige de papyrus, et aux étendues liquides ; il peut convenir indifféremment, de ce fait, à toutes les nuances allant du vert au bleu.

La couleur des eaux et du ciel

La couleur fraîche intervient bien sûr dans le composé W -wr, « le Grand Vert », fréquent dans les TP 70, qui désigne en général toute étendue liquide, et métaphoriquement, le ciel en tant qu’espace où se meuvent les entités divines sous leur forme astrale de baou. Une figure de fécondité nommée « Ouadj-our », et dont le corps est parcouru de filets d’eau, est représentée dans le temple funéraire de Sahourê 71 [fig. 6].

66 « Souvent, “Horus” pourrait être avantageusement traduit par “Dieu”, en sous-entendant une connotation de souveraineté » (J. YOYOTTE, « Le roi Merdjefa-Rê et le dieu Sopdou. Un monument de la XIVe dynastie », BSFE 114, 1989, p. 48). 67 § 911a [TP 470]. 68 Cf. H.D. BETZ, The Greek Magical Papyri in Translation Including the Demotic Spells, 2e éd., Chicago, London, 1992, p. 136 (PGM VII. 653), 156 (PGM XII. 96-97). Le rapprochement n’a pas été fait par G. PINCH, « Red things : the symbolism of colour in magic », dans W.V. Davies (éd.), Colour and Painting in Ancient Egypt, Londres, 2001, p. 182-185. Le terme rw, qui désigne dans les TP le sang « ocre rouge » ou « rouge encre » (§ 451c [TP 301], § 1263c [TP 533], TP 1039 [P/A/E 36].), ne semble pas lié à Seth. Mais on signalera toutefois rj, « l’Ensanglanté » (?), nom donné à l’adversaire ophidien au § 426 [TP 285]. L’encre typhonienne n’est autre que du sang d’âne, dans le corpus magique grec. Sur les différents types d’encre utilisés dans la magie des époques tardives, voir S.H. AUFRÈRE, « Les encres magiques à composants végétaux … », dans id., (éd.), ERUV II, OrMonsp 11, Montpellier, 2001, p. 363-384. 69 Wb I, 264, 12 - 266, 9. Cf. E. IVERSEN, Some ancient Egyptian paints and pigments. A lexicographical study, Copenhague, 1955, p. 6-19. 70 § 628c [TP 366], § 707b [TP 406], § 802b [TP 437], § 1022a [TP 484], § 1213a, b [TP 519], § 1260b [TP 532], § 1505b, 1508c [TP 576], § 1720c [TP 610], § 1734d [TP 612], § 1752a [TP 619], § *1846 [TP *655], § *1907c [TP N665 A], § *1925g [TP N666 A], § 2186b [TP 700], § *2231c [TP *717], TP 1023. 71 Je remercie Nadine Guilhou de m’avoir signalé ce document.

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Fig. 6. Figure de fécondité, temple funéraire de Sahourê (d’après L. BORCHARDT, Das Grabdenkmal des Königs Sahu-re II, Berlin, 1913,

réimpr. Osnabrück, 1981, pl. 30).

Ainsi s’explique sans doute l’expression « sillonne le vert » ( b b w w : § 205b), adressée au défunt, qui l’enjoint à parcourir les espaces célestes. Selon des TP, le Grand Vert est situé « sous le dessous de Nout » (§ 1720c), sous son abdomen (§ 802b) ; le défunt se dirige vers lui (§ 1260b), descend sur lui (§ 1213a), apparaît en son centre comme une « émergence de terre » ( n t : § 1022a), s’y dresse sur ses pieds (§ *1907c), le traverse sous la forme (lunaire) de l’« Astre qui traverse le Grand Vert » (Sb W -wr : § 802b, 1508c, 1720c, *1846, TP 1023), ou en tant qu’« Horus qui est dans le Grand Vert » (§ 1505b, 1508c).

C’est dans ce cadre aussi qu’il faut interpréter le « Seigneur des Champs verts » (Nb S .wt-w .wt : § 700a), qui appartient à la corporation des Taureaux d’Atoum chargés de rendre prospère (sw , litt. « faire verdir ») le défunt.

Malachite et turquoise

W est aussi, bien sûr, la couleur du « fard vert », nommé simplement w w 72, qui forme couple avec le fard noir msdm.t. Ces fards étaient obtenus à partir, respectivement, de malachite 73 ou « chrysocolle » et de galène broyées, qui permettent, comme le soulignent des jeux de mots, d’attacher (sdm) les yeux au visage du défunt et de lui rendre son intégrité (w ) visuelle :

72 Le TP 1053 (P/A-S/S 10-13) est un hymne au Fard vert. « Horus, seigneur de la pierre verte » ( r nb w : § 457c [TP 301]) n’est autre que le dieu Sopdou, qui préside aux richesses minérales de l’Est, dont la malachite du Sinaï ; cf. S. AUFRÈRE, L’Univers minéral…, p. 543. 73 Carbonate de cuivre : Cu2(CO3)(OH)2.

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H Wsjr N. pw sdmj n k jr.t(j) k r r k w t(j) m k jm sn ! W 1 rf msdm.t 1 rf !

Ô cet Osiris N., tes yeux ont été attachés à ton visage, toi qui es complet, pour que tu puisses voir grâce

à eux ! Un sachet de fard vert, un sachet de fard noir 74.

On peut ainsi nommer « Œil d’Horus vert » (Jr.t r w .t) 75 l’offrande du fard, en jouant sur la paronomase w / w .

Parallèlement, la couleur w s’applique aussi à la turquoise (mfk .t) 76. Dans les TP, le papyrus ouadj de la déesse céleste évoque à la fois la couleur de « la turquoise des astres » (fk .t sb .w) et la viridité du défunt 77. De même, plus tard, dans le recueil Mutter und Kind, la turquoise est qualifiée de w : « il y a une perle verte de turquoise » ([w ]by.w w .t jm n(y).t mfk .t) 78.

En dehors du cuivre, qui entre du reste dans leur composition, les deux principaux produits du Sinaï, malachite et turquoise, présentant en effet différentes nuances de vert [fig. 7a-b], passaient donc pour être w . Géographiquement associés, organiquement et chromatiquement apparentés, on comprend que les Égyptiens les aient réunis au sein d’un système complémentaire.

Fig. 7a. Malachite polie.

Fig. 7b. Galet de turquoise.

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Malachit_getupft.jpg

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Turquoise.pebble.700pix.jpg

C’est ce que confirme la formule TP 350 adressée à la forme féminine (hathorique) de la lune :

74 § 54d et 55d [TP 79-80]. Voir aussi H. WILLEMS, The Coffin of Heqata (Cairo JdE 36418), OLA 70, 1996, p. 62. 75 § 96c [TP 162], 107a [TP 186]. cf. S. AUFRÈRE, op. cit., p. 226, n. [d]. Noter que Jr.t r w .t est aussi une désignation du vin : D. MEEKS, BiOr LV/1-2, 1998, col. 115 ; glosé « vin de l’oasis » dans Edfou II, 212, 1 : G. CHARPENTIER, Recueil de matériaux épigraphiques relatifs à la botanique de l’Égypte antique, Paris, 1981, n° 162. 76 Wb II, 56, 1-14. Composition chimique : CuAl6(PO4)4(OH)8·4H2O. 77 § 569c [TP 352]. Voir également CT VII, 97m [TS 885] : « Mes amulettes ouadjet sont en turquoise ». 78 P. Berlin 3027, r° 1, 1.

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J J .t-wr.t s sw sm.t mfk .t sb .w w w N. w n n w !

Ô, Voyageuse vénérable, sème et fais verdir la malachite et la turquoise des astres ! Si tu verdis, N.

verdira et la plante hen vivante verdira ! 79.

Le système complémentaire vert / blanc (w / )

Les textes ptolémaïques précisent que le fard vert est réservé à l’œil droit (pleine lune) et le noir, logiquement, à l’œil gauche (nouvelle lune) 80. Si l’on songe au couple sélénien quartz / obsidienne rencontré dans les TP, lui aussi lié à l’œil droit et à l’œil gauche du créateur, on en déduira aisément qu’il y a équivalence entre quartz (mnw- ) et malachite, d’une part, et obsidienne (mnw-km) et galène, d’autre part. Si l’équation entre obsidienne et galène coule de source, étant donné leur noirceur commune, celle entre quartz et malachite repose, on le voit, non sur une identité chromatique, mais sur une analogie fonctionnelle : parvenu au faîte de sa croissance et de sa clarté, l’astre lunaire est complet (w ), tout à la fois w et .

Nous sommes ainsi conduits à poser l’existence d’un système complémentaire unissant ces deux « couleurs », système tout aussi cohérent que celui qui associe le noir de l’obsidienne à celui de la galène.

79 § 567a-c [TP 350]. 80 Voir Z. el-KORDY, « L’offrande des fards dans les temples ptolémaïques », ASAE 68, 1982, p. 195-222 ; S. AUFRÈRE,

op. cit., p. 226, 581-586.

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Un jeu de mots, présents dans les TP, démontre la validité de ce système, qui fut appliqué à une autre réalité funéraire, celle des dents du défunt qui doivent être .w w .w, « blanches et saines » 81. Or c’est précisément la déesse Ouadjet (W .t), dame de Dep, dont le nom est à dessein orthographié , litt. « la Blanche » (!), qui est invoquée dans Mutter und Kind pour fournir au nourrisson un lait maternel thérapeutique capable de chasser le mal ssmy, dont on suppose qu’il désigne une douleur dentaire : « dis à […] et à Hedjyt / Ouadjyt dame de Dep : “Apportez-lui de ce lait !” » ( d n k n […] (n) W .yt nb.t Dpw jn n s nw n(y) jrt.t) 82. Ici aussi, les « couleurs » w et

sont associées, au point d’être graphiquement confondues.

Le système antinomique vert « frais » rouge « fauve » (w d r)

S’il est complémentaire du blanc , le vert « frais » w est en revanche antinomique du rouge d r 83. Il suffit de rappeler le contraste violent, dans la géographie égyptienne, entre la fraîcheur du Nil, des terres cultivées et de la végétation du Delta et l’aridité du désert.

Mais l’opposition s’exprime surtout, dans les TP, en termes politico-théologiques. La formule TP 404, en effet, établit une hiérarchie entre la puissance de la déesse Ouadjet et celle, jugée inférieure et subordonnée, de la couronne rouge déchéret :

81 § 79a [TP 125]. 82 P. Berlin 3027, 7, 7 ; voir références supra, n. 57. 83 Cf. P. A. GAUTIER, « Le rouge et le vert : sémiologie de la couleur en Égypte ancienne », ArchéoNil 7, 1997, p. 9-15 ; S. DONNAT, « Lumière, couleurs et peaux dans l’Égypte ancienne » (op. cit., supra, n. 4), p. 194-195.

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N w N pn n k N wtj (4 sp d) tp(j) j .wt W .t. N. r r mstj d r.t tp(j).t R ! W N. pn m njs Jr.t k jmj.t b w w N. n k !

Ce N. se lovera avec toi, le Lové (quatre fois), qui es sur les pavois de Ouadjet. N. est plus grand qu’Horus le pourpre, que la couronne rouge déchéret posée sur Rê ! La viridité de ce N. vient de la

langue de ton Œil qui est dans le feu, N. reverdira avec toi ! 84.

L’apparente difficulté du passage provient de ce qu’il fourmille de références culturelles tout en jouant sur la dimension iconique du signe linguistique. Le Lové (litt. « l’Enroulé ») se réfère clairement à l’élément en forme de spirale, divinisé, qui orne le pavois de la déesse Ouadjet ; le

signe hiéroglyphique est explicite : 85. Il n’est pas indifférent qu’un élément de forme

similaire, le crochet chabet ( ) 86, orne la couronne rouge, puisque cette couronne est justement citée dans la suite du passage. « Horus le pourpre » désigne, on l’a vu, Seth de Noubet. Quant au

terme , njs, « langue », qui est dit « venir de l’Œil qui est dans le feu », il se réfère

probablement à l’élément de l’œil oudjat ( ), tout en évoquant une partie du papyrus (ce qu’indique le déterminatif) et la flamme (nsr.t) de l’uraeus.

Le texte, finalement, établit une équivalence entre le corps lové de l’uraeus ( ), enroulé autour

du pavois de la déesse Ouadjet ( ), un élément constitutif de l’œil oudjat ( ), une partie, appelée « langue », du papyrus, et enfin la « langue » de la flamme ; le point commun entre toutes ces réalités est à la fois iconographique – la forme spiralée – et phonétique, puisqu’une nouvelle fois les notions w et w sont imbriquées. Tous ces éléments sont posés comme plus grands que le

crochet de la couronne rouge ( ), ce qui permet d’aboutir à l’énoncé central consacrant la suprématie du défunt sur Seth : N. est plus grand qu’Horus le pourpre. On ne peut mieux définir la relation antinomique qu’entretiennent w et d r.

84 § 702a-d [TP 404]. 85 § 702a [version T]. 86 § 1459a [TP N570 B] [version M]. Ce dernier texte évoque le crochet de la couronne ouadjet.

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Un système antinomique minéral : turquoise / « faïence » cornaline (mfk .t / n.t rs.t)

Parallèlement à l’antinomie entre vert « frais » et rouge « fauve » (w / d r), les textes permettent d’observer une opposition dérivée, en quelque sorte, sur le plan minéral, entre turquoise (mfk .t) et « faïence » ( n.t) 87, d’une part, et cornaline ( rs.t) 88, de l’autre. Cette opposition semble avoir été transposée, à une époque ancienne, dans la géographie religieuse ; en effet, tandis que la turquoise est réputée sinaïtique et donc orientale, il est dit du dieu Sobek « seigneur de Bakhou », dans les Textes des Sarcophages, en l’occurrence divinité des marges occidentales du territoire égyptien, que « sa demeure divine est en cornaline » 89.

La cornaline, souvent associée au feu, au sang et à la fureur, contraste fortement avec la turquoise ou la « faïence », aux couleurs « fraîches ». On retrouve ici l’opposition bien connue entre les deux aspects de la déesse lointaine (Hathor, Sekhmet, Tefnout, Bastet, etc.), dangereuse ou apaisée, qu’un texte tentyrite expose de manière lumineuse :

Mfk .t jnm tp r rs.t.

(Hathor) la turquoise, couleur qui apaise la face de cornaline 90.

C’est cette même opposition minérale qui permet d’exprimer métaphoriquement, dans la littérature sapientiale, le topos de la double nature des femmes :

Jw ngb tw s r .t n f sw tw m w.t n(y).t n.t s pr tj m rs.t .t.

Des milliers d’hommes se tournent contre leur propre intérêt ; est-on affolé par un corps de faïence

qu’il se change soudain en cornaline 91.

Connue dès le Prédynastique, la « faïence » égyptienne, on le sait, est en réalité une pâte siliceuse ou argileuse glaçurée par une fine couche vitreuse 92. Il entrait donc dans la définition de n, pour les Égyptiens, la notion de « brillance », d’« éclat », qualité plus fondamentale que l’aspect chromatique, très fluctuant quant à lui, puisque ce dernier recouvre toutes les nuances allant du vert

87 Wb V, 390, 11 - 391, 15. 88 Wb III, 150, 9-15. 89 w.t-n r f m rs.t (CT II, 376d-377b [TS 160]). 90 Dendara IV, 251, 5-6. 91 Enseignement de Ptahhotep, 284-288 (L2) ; Z. ZABA, Les Maximes de Ptahhotep, éd. de l’Acad. tchécosl. des sciences, Prague, 1956, p. 38 ; passage commenté par L. TROY, « Good and Bad Women. Maxim 18/284-288 of the Instruction of Ptahhotep », GöttMisz 80, 1984, p. 77-81. 92 Voir notamment A. CAUBET, G. PIERRAT-BONNEFOIS, Faïences de l’Antiquité. De l’Égypte à l’Iran, Musée du Louvre, Paris, 2005 ; De sable et d’azur. La faïence dans l’Égypte antique, Musée de Tessé, Le Mans, 2007. Sur le rite de répandre la poudre verte ( n.t) dans les textes des temples tardifs, cf. J.-Cl. GOYON, dans J. van Dick (éd.), Essays on Ancient Egypt in Honour of H. te Velde, Egyptological Memoirs 1, Groningen, 1997, p. 85-100.

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au bleu. Partageant cette qualité, « faïence » et cornaline fonctionnent ainsi dans un système d’opposition cohérent [fig. 8a-b].

Fig. 8b. Œil oudjat en « faïence » égyptienne

Fig. 8b. Cornaline polie

Œil oudjat (Basse Époque), Ventura County Collection

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/fe/Karneol2.jpg

Le système complémentaire vert « frais » / rouge vif (w / jns)

Le vert « frais » w forme enfin un système complémentaire avec le rouge vif ou écarlate jns 93. Si l’on songe que w s’oppose au d r séthien et que jns est elle aussi une couleur anti-séthienne, associée à la fureur de Sekhmet et par conséquent à celle du roi contre ses adversaires 94, ce couple chromatique n’a rien de surprenant. La manifestation la plus explicite de cette complémentarité est bien postérieure au corpus des TP, mais elle devait être signalée ici, car elle permet de nourrir la réflexion pour une synthèse finale.

Voici comment est décrit, dans la célèbre « Stèle de Konosso » du règne de Thoutmosis IV, l’équipage royal remontant le cours du Nil pour réprimer l’ennemi nubien révolté :

93 Sur le bandeau s d « vert et rouge » (w r jns), voir R. GERMER, Die Textilfarberei und die Verwendung gefärbter Textilien im alten Ägypten, ÄgAbh 53, 1992, p. 127. 94 Enseignement loyaliste, § 5 : (le roi) c’est Sekhmet pour qui aura transgressé son ordre ; cf. G. POSENER, L’Enseignement loyaliste. Sagesse égyptienne du Moyen Empire, Genève, 1976, p. 85-91.

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Sa Majesté s’avança ensuite pour renverser celui qui l’avait attaqué dans le pays de Nubie, vaillant dans sa barque d’or comme Rê lorsqu’il prend place dans la barque mésektet, sa voile tendue de pièces de tissu rouges et vertes, les attelages en ordre de bataille auprès de lui, sa troupe avec lui, les vétérans en rang et les recrues à ses côtés, le navire équipé de sa suite, et le roi voguait en amont comme Orion, faisant étinceler la Haute Égypte de sa splendeur 95.

Le texte nous apprend que les voiles du navire d’apparat sont tendues de pièces de tissu rouges et « vertes » ( t f m ( w) m jnsy.w r w .w). Or il devait en être de même des voiles des embarcations composant la procession nautique de la fête d’Opet sous Hérihor 96 ; la légende,

partiellement en lacune, a conservé en effet le groupe , p jns, « le tissu rouge », mais le quadrillage des voiles prouve qu’elles étaient bicolores, et il n’est pas difficile de restituer, en fonction du parallèle thoutmoside, la couleur manquante [fig. 9]. Un autre parallèle intéressant de voile quadrillée bicolore rouge et « verte », avec alternance de carrés de tissu blanc, est fourni par la restitution d’un des navires royaux de Ramsès III à Médinet Habou 97.

Fig. 9. Les voiles quadrillées bicolores de la procession nautique de la fête d’Opet sous Hérihor (restitution de l’auteur, d’après le fac-similé publié dans The Temple of Khonsu I, pl. 20).

95 Urk. IV, 1546, 6-14. 96 The Temple of Khonsu I, OIP 100, 1979, pl. 20, col. 6 et p. 6, n. (a). 97 Reproduit dans D. JONES, Boats, Londres, 1995, pl. VIII.

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La signification de cette bichromie est claire : sont combinées deux couleurs aux connotations anti-séthiennes depuis les TP, le « vert » évoquant la fraîcheur du territoire égyptien opposée à l’aridité des contrées désertiques, le rouge écarlate rappelant le tissu isiaque et osirien, couleurs spectaculairement « affichées » sur la nef royale voguant à l’assaut de l’adversaire.

Le bleu et le jaune

Nous ne mentionnerons que pour mémoire, ici, les correspondants égyptiens du « bleu » et du « jaune ».

Il n’existe en effet aucun mot, dans les TP, qui soit l’équivalent de notre « bleu » générique. Les termes susceptibles d’y correspondre ont déjà été évoqués précédemment, et ils en sont en réalité assez éloignés : la couleur lapis-lazuli ( sb ) [fig. 10] est conçue comme une variante du noir, applicable notamment à la chevelure divine 98, la couleur w ne se rapporte à notre bleu que parce que la fraîcheur est une caractéristique des étendues liquides, et la turquoise (mfk .t), qui servait à fabriquer le pigment qu’il est convenu de nommer, bien improprement, le « bleu égyptien » 99, est une déclinaison minérale du w .

La littérature postérieure fournit encore d’autres vocables, comme jwn-n(y)-p.t, « couleur ciel » – noter que l’égyptien ne dit pas, précisément, « bleu ciel » –, à l’origine une désignation poétique du lin (m w) 100, ou jrtjw, qui s’appliquait au départ à un « minéral bleu » 101, ou encore frr / tfrr, un autre minéral de couleur bleue, dont le nom a servi à former le dérivé tfrr, « bleuir » 102. La relative richesse lexicale implique en elle-même que les Égyptiens ne percevaient pas cette couleur de manière spécifique comme nous le faisons.

Enfin, si l’on met de côté le cas particulier de la couleur « or » (nwb), déjà traitée ici, aucun mot n’est susceptible dans les TP de correspondre à notre « jaune ». Le terme qnj, souvent traduit ainsi, est en réalité un fantôme de la lexicographie égyptienne, que l’on a confondu avec qnj.t, « orpiment » 103. Il est à comprendre toujours par « endommager, mutiler », par référence au mythe lunaire, dans les TP :

Qnj- r nb s .t, « Celui au visage mutilé, le seigneur du crépuscule » (§ 515d [TP 320]) ;

j Gb .t tp=f qnj.t(j) f ( ) jr r f, « Geb vient son pouvoir d’attaque sur lui et ses (pupilles)

mutilées au visage » (§ 1032c [TP 485]) ;

98 Un seul passage, dans les TP, semble faire intervenir le terme sb dans un système : « Horus aux yeux lapis lazuli vient contre vous, gardez-vous d’Horus aux yeux rouges, à l’attaque douloureuse » (J r n r sb jr.tj s n r d r jr.tj mr .t ; § 253a-b [TP 246]). Le texte est d’interprétation difficile, et cette complémentarité sb / d r ne m’est pas connue par ailleurs. Citant ce texte, St. Quirke ne donne aucune explication convaincante (« Colour vocabularies in Ancient Egyptian », dans W.V. Davies (éd.), Colour and Painting in Ancient Egypt, Londres, 2001, p. 189). 99 Cf. M.S. TITE et al., « The Technology of Egyptian Blue », dans M. Binson, I.C. Freestone (éd.), Early Vitreous Materials, British Museum Occasional Papers 56, 1987, p. 39-46 ; S. PAGÈS-CAMAGNA, S COLINART, « The Egyptian green pigment: its manufacturing process and links to Egyptian blue », Archaeometry 45, 2003, p. 637-658. Des expériences récentes de fabrication de pigment « bleu » à partir de pains de malachite ont été réalisées par le centre égyptologique de l’Université de Yerevan (Armenian Egyptology Centre) : C. DE VARTAVAN, « Reconstruction of Ancient Egyptian Blue », AEC Newsletter 8, déc. 2008, p. 2. 100 D. MEEKS, RdE 24, 1972, p. 116-119. 101 Voir supra, n. 2. 102 Ibid., p. 116, n. 6. 103 D. MEEKS, LingAeg 13, 2005, p. 258 (« le verbe qnj, “être jaune”, n’existe sans doute pas »). Sur le problématique qnj mentionné sur certaines vignettes du Chapitre 149 du Livre des Morts, voir St. QUIRKE, op. cit., p. 189.

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.t tw tp.t (…) ms.t n qnjt jr.t r, « cette première génération (…) enfantée avant que ne soit mutilé l’œil d’Horus » (§ 1463e [TP N570 B]).

On connaît bien sûr des pigments jaunes dans la peinture égyptienne 104 : stj, « ocre jaune », « jarosite ? », qnj.t, « orpiment » 105, k , « carthame, (jaune) safran » 106.

Fig. 10. Lapis-lazuli.

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lapis-lazuli_hg.jpg

Les « couleurs » égyptiennes : un dispositif idéologique

Les analyses précédentes reposent essentiellement sur le témoignage des Textes des Pyramides. Elles sont donc loin d’être exhaustives. Elles permettent toutefois, au terme de l’observation des systèmes chromatiques à l’œuvre dans ce corpus, de formaliser quelques conclusions [fig. 11].

La première observation est une confirmation de ce qui avait déjà été relevé par plusieurs auteurs : qu’ils soient de type complémentaire ou antinomique, les systèmes chromatiques révèlent l’existence de quatre « couleurs fondamentales ». C’est ce que rappelait G. Pinch dans son étude récente de l’utilisation du vocabulaire des couleurs dans la littérature magique : « Schenkel (1963, 131-6) and Baines (1985, 282-3) have both argued that for most of its history, the Egyptian language had only four basic (non-specific) colour terms. These were km (black), (white), d r (red), and w (green/blue). (…) Four colours may symbolize completeness, like the four directions » 107.

104 S. COLINART, « Analysis of inorganic yellow colour in ancient Egyptian painting », dans W.V. Davies (éd.), Colour and Painting in Ancient Egypt, Londres, 2001, p. 1-4. 105 Wb V, 52, 10-16 ; discussion dans I. BLOM-BÖER, « Zusammensetzung altägyptischer Farbpigmente und ihre Herkunftslagerstätten in Zeit und Raum », OMRO 74, 1994, p. 81, n. 182. 106 Le mot k / g(w)ƒ, désigne le « carthame des teinturiers » (Carthamus tinctorius L.), « faux safran » ou « safran bâtard » : W. HELCK, JARCE 6, 1967, p. 136 (k) ; D. MEEKS, Le grand texte des donations au temple d’Edfou, BiEtud 59, 1972, p. 103-104 (n. 177) ; J.-M. KRUCHTEN, Le Décret d’Horemheb, 1981, p. 63-64 ; G. CHARPENTIER, Recueil de matériaux épigraphiques relatifs à la botanique de l’Égypte antique, Paris, 1981, p. 758-759 (n° 1276) ; G. ROQUET, ASAE 69, 1983, p. 339-340 ; R. GERMER, Flora des pharaonischen Ägypten, DAIAK 14, 1985, p. 173-175 ; H. BARAKAT, N. BAUM, La végétation antique de Douch, DFIFAO 27, 1992, p. 34-35 ; R. GERMER, Die Textilfarberei und die Verwendung gefärbter Textilien im alten Ägypten, ÄgAbh 53, 1992, p. 120-122. 107 « Red things: the symbolism of colour in magic », dans W.V. Davies (éd.), Colour and Painting in Ancient Egypt, Londres, 2001, p. 182.

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« couleurs » complémentaire antinomique

1-noir km

(sombre)

blanc rouge d r

2-blanc

(clair, argenté)

noir km

doré nwb

vert w

rouge d r

3-rouge d r

(fauve)

rouge pourpre ms noir km

blanc

vert w

rouge vif jns

4-vert w

(frais)

blanc

rouge vif jns

rouge d r

Fig. 11. Les systèmes chromatiques égyptiens d’après les Textes des Pyramides

Mais cet apparent carré chromatique, loin d’être homogène, recouvre une disparité patente. La principale conclusion qui ressort de cette synthèse, en effet, et qui n’apparaît guère dans les études proposées jusqu’ici, est qu’à l’inverse de chacune des autres couleurs, qui entretiennent entre elles des relations de complémentarité, la couleur d r est la seule à fonctionner à l’intérieur de systèmes antinomiques vis-à-vis des trois autres couleurs fondamentales. On comprend bien que cette spécificité du d r égyptien repose sur un principe totalement étranger à la logique du spectre lumineux : celui, idéologique, de la stigmatisation de la couleur séthienne et, donc, du combat contre l’adversaire. Les systèmes de représentation chromatiques apparaissent ainsi comme fondamentalement conditionnés par des exigences et des motivations politiques.

On relèvera avec intérêt, pour finir, illustration frappante d’un cas de diversité culturelle, que le couple km / (noir / blanc, ou foncé / clair), que nous percevons instinctivement, selon nos catégories occidentales, comme antithétique, est, tout au contraire, parfaitement complémentaire dans l’Égypte ancienne : le couple ne saurait être conflictuel, puisqu’il fait alliance, précisément, contre un adversaire commun. Il est vraisemblable que la prégnance de la lune et de son cycle dans les structures fondamentales de la société égyptienne 108, qu’il s’agisse des multiples héritages de la culture nomade, des grands mythes cosmogoniques et des calendriers religieux, ou encore des déclinaisons de la thématique lunaire dans la phraséologie royale, a largement favorisé l’émergence de cette complémentarité.

108 Voir par exemple L. ECKENSTEIN, « Moon-Cult in Sinaï on the Egyptian Monuments », AncEg I, 1914, p. 9-13 ; É. DRIOTON, « Le roi défunt, Thot et la crue du Nil », Egyptian Religion I/2, 1933, p. 39-51 ; Ph. DERCHAIN, « Mythes et dieux lunaires en Égypte », dans La Lune. Mythes et rites, SourcOr V, Paris, 1962, p. 17-68 ; R.A. PARKER, « The Beginning of the Lunar Month in Ancient Egypt », JNES 29, 1970, p. 217-220 ; J.G. GRIFFITHS, « Osiris and the Moon in Iconography », JEA 62, 1976, p. 153-159 ; P. BARGUET, « Le cycle lunaire d’après deux textes d’Edfou », RdE 29, 1977, p. 14-20 ; W. HELCK, LÄ IV/2, 1980, col. 192-196, s. v. Mond ; Fr.-R. HERBIN, « Un hymne à la lune croissante », BIFAO 82, 1982, p. 237-282 ; J.-Cl. GOYON, « Aspects thébains de la Confirmation du pouvoir royal : les rites lunaires », JSSEA XIII/1, 1983, p. 2-9 ; L. DEPUYDT, Civil Calendar and Lunar Calendar in Ancient Egypt, OLA 77, 1995 ; P.P. KOEMOTH, « Osiris-Lune, l’horizon et l’œil oudjat », ChronEg LXXI/142, 1996, p. 203-220 ; H. WILLEMS, The Coffin of Heqata (Cairo JdE 36418), OLA 70, 1996, p. 253-255 ; Fr. LABRIQUE, « Les escortes de la lune dans le complexe lunaire de Khonsou à Karnak », BSFE 140, oct. 1997, p. 13-26.

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Résumé : Les notions de « couleurs » dans l’Égypte ancienne doivent être appréhendées non pas isolément mais selon une approche structurale, à l’intérieur de systèmes complémentaires ou antinomiques. L’analyse du vaste corpus des Textes des Pyramides permet ainsi de mettre en évidence la spécificité et les implications idéologiques du rouge (décher), qui s’oppose aux trois autres couleurs « fondamentales » que constituent le noir (kem), le blanc (hedj) et le vert (ouadj). Abstract :

Concepts of “colors” in the Egyptian language cannot be studied separately; they have to be delt with inside structural systems, either complementary or antinomic. Through the analysis of the large corpus of the Pyramid Texts, this paper tries to highlight the specificity and the ideological background of the red colour (decher), as opposed to three other “fundamental” colors: black (kem), white (hedj) and green (ouadj).

ENiM – Une revue d’égyptologie sur internet.

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