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Les Créateurs célestes

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Christopher B. de Centaures

Les Créateurs célestes

Roman

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Les Créateurs Célestes

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Introduction

Et si la pensée ne connaissait pas de temporalité ?

Que les plus grands penseurs de notre Humanité se

retrouvaient dans un banquet, au-delà des âges ? Que se

diraient-ils ? C’était là l’idée de départ : convoquer en une

même assemblée des hommes et des femmes de pensée qui

auraient, par leur vision, la possibilité de (r)évolutionner nos

sociétés. Je ne vous les citerai pas de suite, mais c’est en

termes de « créateurs célestes » que je vous les décrirai.

Ils furent (ou seront) les initiateurs prophétiques d’une

nouvelle façon de voir le monde et de le comprendre, selon

leur propre orientation idéologique, qu’ils incarnaient (ou

incarnèrent) parfois au péril de leur vie, confrontés aux

anathèmes d’une vie faite d’exil et d’errance. Les créateurs

célestes, tel que je les nomme, ont fait de leur vie une

expérimentation. Pour eux, la pensée vaut bien le sacrifice de

leur confort matériel. C’est en cela qu’ils sont inactuels et

qu’ils sommeillent, en attendant l’heure d’une nouvelle

(r)évolution. Le créateur céleste est en fait révolté contre toute

forme de médiocrité, et partant contre le modèle de société

qu’on lui propose, à savoir le travail, la famille ou la patrie

(comme du métro, boulot, dodo). À cela s’ajoute sa rébellion

contre les valeurs d’un empire (américain) qui veut, à tout

prix, l’acculturer. C’est ainsi que le narrateur rencontre

d’autres personnages animés par la même fougue, pour

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convertir toutes les valeurs de notre société (fondée sur le

Matérialisme et le Capitalisme Financier) en un univers fait de

plus de salubrité. Le narrateur devait se résoudre au choix

divisé entre la pensée et l’action (ou la praxis), témoin (pour

les générations futures) d’un monde réduit à la globalisation,

c’est-à-dire au rouleau compresseur du Néolibéralisme. C’est

en cela que les créateurs célestes sont atypiques, car, en

s’ouvrant les veines (comme le Christ en Croix), ils font acte

d’un don absolu pour tous ceux qu’ils aiment et qui souffrent,

à savoir le don de soi, pour une meilleure compréhension du

monde, dont ils entendent la souffrance et qui réduit tout livre

au Néant, au Rien, si ce n’est à un message pour les grands de

ce monde comme pour les indigents !

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…Le ciel au-dessus de toi

La Terre en dessous de toi

Entre le paradis et l’enfer

S’étend l’homme mortel…

Chapitre premier

Au sortir d’un trottoir, je fis la rencontre d’un homme

inconnu, reclus dans un recoin, proche de mon supermarché.

Je vins à sa rencontre, car cet homme hirsute, barbu, muet, me

semblait bien étrange. Il était là chaque jour, aux mêmes

heures, et, bien que certainement souffrant de faim (ou tel que

je l’imaginais), il ne disait mot et ne quémandait point.

Prenant mon courage à deux mains, j’allai l’aborder : qui

était-il ? Quelle avait été son histoire, pour en venir à

demeurer ainsi ? Sa figure me rappelait celle de Karl Marx,

mais qu’aurait-il fait de son capital, lui, le créateur céleste ?

— Monsieur, monsieur : j’ai besoin de comprendre ! Ou

peut-être de vous comprendre ? À moins que cela ne soit de

me comprendre moi-même ?

Il me sourit et dit :

— qu’attends-tu de moi, garçon, d’un pauvre homme

impuissant ?

— De la sagesse, peut-être.

— Tu es jeune, plutôt attirant, et pourtant tu sembles

vivre de peu, mon jeune ami.

— Je souffre, monsieur, et votre assise de bouddha

m’interpelle. Vous vivez là, pauvre, démuni, comme un

ascète, à côté d’un temple de la consommation. Vous attendez

peut-être quelque argent, une obole, comme disent les

Chrétiens ?

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Marx me répondit :

— Oublie toutes les religions, oublie toutes les philosophies,

oublie toutes les politiques, ainsi que les sciences et les

économistes ; enfin, oublie-toi toi-même, et fais de ton passé

table rase.

C’est alors qu’il sortit de sa poche un morceau de papier

tout froissé :

— Voici un billet de cinq cents euros, encadre-le : tu verras, il

prendra un jour de la valeur !

— Je suis déconcerté. On m’a toujours appris que la seule

valeur était l’argent, et vous, vous voulez que je renonce à

consumer cette idole. Nous pourrions aller dîner, vous

habiller, échanger même cet argent contre une bonne dose de

pur sexe, avec les putes du quartier, ou quelques lignes de

coke, avec un de mes amis dealer (je faisais référence au petit

Jean, mon ami, homosexuel thaïlandais, qui m’avait pris

d’amitié, me nourrissant, tout en assurant son existence, de la

vente de quelques pilules d’ecstasy, lors de nos soirées «

night-clubbing »).

Mais Marx me répondit :

— Tu sais, jeune homme, au jour d’aujourd’hui, c’est la

disparition des Utopies, certains m’ont même parlé de la mort

des idéologies ! Je t’aime bien, tu sais ; pour un homme de

mon âge, tes préoccupations sont prophétiques, mais je te

préfère abandonné à ceux qui constituent présentement les

élites de la nation. Alors, écris de ma part à Adam Smith, sur

la richesse des nations, à Von Hayek, un très bon modèle pour

l’anoblissement de lady Margaret (Thatcher), ou encore à

Friedman, et dis-leur, à tous ces philosophes économistes, que

le créateur céleste les emmerde, eux et leur Néolibéralisme.

Et de continuer :

— Tu verras : ils te répondront à l’évocation de mon seul

nom, car la guerre ne connaît pas de fin pour l’Homme ; il

suffit d’être du bon parti. Alors, encadre ce billet, et offre-le-

leur en sérigraphie, comme un certain Andy Warhol, continue

à te faire des amis milliardaires, à vivre l’été à Porto-Cervo, à

Saint-Tropez, à Ibiza, à Marbella ou à Saint-Barth, et tu

trouveras là-bas la plus grande erreur, ou la plus grande

bassesse : le vide, la mort, le déclin d’une civilisation que l’on

a voulu t’imposer avec l’avènement du Capitalisme Financier

… Enfin, grandeur et décadence de l’empire romain ; crois-

moi, petit homme, tout cela s’écroulera bien un jour, mais cela

grâce à toi, comme d’un nouveau prophète. Allez, dit-il

encore, lève-toi, jeune homme, moi qui suis trop vieux pour le

devenir.

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Je quittai donc ce créateur céleste, cet homme de rien qui

m’avait tout appris.

La richesse des hommes n’était décidemment pas dans le «

bien » Matériel, comme je l’avais écrit un jour dans l’un de

mes livres, intitulé Le Livre de la connaissance.

Il était temps d’en finir avec cette société du mensonge :

halte au marketing et aux manipulations !

L’empire américain, bien sûr, contre-attaquerait, mais que

pouvait-il faire contre ces derniers guerriers Jedi, unis en une

même conscience en tout point de notre terre ? Contre la

pensée, il ne pouvait rien, si ce n’était s’incliner. C’est donc

de part mon expérience que je vais mieux vous faire

comprendre le combat de ces hommes contre le Système

financier tel qu’il prévalait en notre Postmodernité.

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Chapitre II

Bel Ami, ancien pirate des caraïbes, m’avait bien expliqué

la fin du productivisme. Comment par le vol (car « la

propriété était du vol », comme le disait mon ami Proudhon)

cesser toute activité de labeur, celui-là même qui avait été à

l’origine des premières sécurités sociales. Comme quoi, loin

de nos préjugés, ceux que l’on aurait qualifiés de délinquants

étaient en fait des hommes de génie, par leur courage. Il me

fallait donc trouver une solution, afin de mieux redistribuer

cette richesse spoliée par des affairistes drogués.

Je soumettais l’idée à Oussama ben Laden. Il fallait faire

un coup de force : court-circuiter l’électronique des Bourses

du monde entier.

Je l’avais déjà tenté par une autre voie, lorsque j’avais

rencontré, dans un club sélect dénommé La Couronne, le

professionnel des soirées pseudo-excentriques particulières à

la jet-set de mon époque, ma jeunesse et ma fraîcheur ayant

sans doute attiré son regard d’homosexuel.

J’étais toujours invité par Homéro (tel était son prénom) et

je lui rendis grâce, car, derrière son masque et ses

bouffonneries, il s’agissait d’un homme de cœur. Et c’est

donc à cette époque que je rencontrais Georges, ex-trader qui

devait m’initier à l’univers des affaires, terme a posteriori

bien trouble, puisque s’y mélangeaient plus d’arnaqueurs et de

tuyaux éventés, que la capacité de faire un one shot en

millions de dollars pour vivre jusqu’à la fin de ses jours dans

une fiction de liberté.

J’entrai donc dans le milieu des affaires comme on entre en

religion, avec la ferme intention de détourner de l’argent pour

faire de ce monde de voleur un monde d’équité.

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— Telle était la praxis, aurait répondu le créateur céleste, un

sacrifice au nom d’un certain idéalisme.

Nous avions, Georges et moi, une affinité commune :

changer le monde par l’écroulement du Système capitaliste,

au sein même du Néolibéralisme qui régnait alors en maître.

Georges connaissait mon Bottin mondain, bien que je ne fusse

pas, quant à moi, une putain de la République. Georges était

un escroc, mais je ne lui en voulais point. Ayant perdu son

travail de trader, il avait chuté et connu les affres du

darwinisme social, alors que moi, reclus dans mon ignorance,

je me divertissais. Au fond, c’était là une revanche sur mes

études de philosophie. Divertir, amuser, sympathiser, séduire,

j’apprenais à cette même époque les codes de la nuit, de mon

night-clubbing à celui de la jet-set « bling-bling ». C’était que

j’avais connu quelques princes arabes venus s’acoquiner,

grâce à la globalisation, à des jeux ludiques. J’appris très vite

(mais aussi parfois très lentement) qu’un nom ne faisait pas

une richesse, et que celle là était toute relative.

Georges m’expliqua son projet : créer un fond commun de

placement offshore, domicilié dans un paradis fiscal, une île

paradisiaque. Collecter l’argent des plus riches, par un fond

fermé, comme celui dénommé « Quantum », du même

Georges (Sorros), qui lui s’était appuyé sur la pensée

pragmatique et l’idée d’une « société ouverte » de Karl

Popper pour lutter contre l’empire communiste, et son enfer

totalitaire. Il s’agissait là de bien placer son argent, et de

corrompre si nécessaire. Mais Georges allait plus loin : son

objectif était le principe d’un « Projet équité » : faire affluer,

par des crédits à taux zéro, des masses colossales d’argent,

pour ensuite faire banqueroute. Telle aurait été là la

vengeance ultime d’un trader fou, à la foi génie, mégalomane

et escroc, empli de ressources, mais tout aussi combatif, que

certains de ses frères, à savoir les créateurs célestes.

Après tout, les gens, aujourd’hui, ne pensaient qu’à se

divertir, lorsqu’ils rentraient de leur petit boulot ; ils devaient

supporter leur femme, ou inversement, dans une maison à

crédit sur vingt, trente, quarante ou cinquante ans, avec un

enfant à charge, fruit d’un amour qui ne sera jamais, au fil du

temps, qu’évanescent. Alors pourquoi ne pas profiter de ces

esclaves pour s’enrichir, puis faire table rase par une Crise

économique mondiale ? Pourquoi se battre pour tous ces cons

qui ne veulent à aucun prix réfléchir, ce qui, pour eux,

représente une véritable prise de tête ?

Je retrouvai là Oussama ben Laden.

— Tu sais, lui dis-je, nous avons en commun un combat, une

lutte pour un monde meilleur, mais ceux qui nous nuisent, ce

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sont les politiciens. Ce sont tous ces faiseurs de grands

discours : ils vivent de leur parole. Moi, personnellement, je

vis de mes actes.

Faire le choix de la praxis était en effet faire le choix de

l’isolement, de la réprobation, des manipulations médiatiques,

d’un manichéisme ambiant, entre les forces du mal et celle du

bien.

Oussama me répondit :

— Je ne crois qu’en ma cause, et celle-là est spirituelle. Au

fond, je suis peut-être comme toi un créateur céleste, mais j’ai

le goût de la vengeance, pour ceux qui m’ont utilisé puis

lâchement abandonné, comme le roi Fahd, qui avait préféré à

mes missionnaires, l’utilisation des forces militaires de

l’empire américain en nôtre Terre sainte. Tout comme toi,

nomade, je hais le Matérialisme !

— Mais voilà, moi, je ne suis pas un héros, et donc nullement

un djihadiste.

…Or, il nous restait en commun cette même flamme d’un

Sens donné à sa vie qui ne soit pas réduit au seul confort

d’une vie matérialiste. D’autres horizons s’ouvraient donc à

nous…

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Chapitre III

J’avais dans ma vie connu quelques individus rares :

Granier, philosophe nietzschéen, m’avait enseigné à la

faculté, alors que je n’avais que seize ans et que je poursuivais

mes études au lycée, l’amour de la philosophie. Cet homme

toujours élégant, en complet cravate, dégageait une aura qui

irradiait sa figure d’un halo de blancheur céleste. C’était lui

aussi un de ces créateurs célestes, totalement désintéressé par

le fric, ou les récompenses que notre société réserve aux

chiens médiatisés. Je devais donc tomber en philosophie par

cet être sublime, qui apportait enfin les questionnements

exacts que je m’étais toujours posés depuis ma plus tendre

enfance. Au catéchisme déjà je posais la question de

l’existence ou de la non-existence de Dieu. Granier me

répondait par la preuve de saint Anselme. Si l’on parle de

Dieu, c’est qu’il doit exister. Mais voilà, les créateurs célestes

ne niaient pas Dieu, puisqu’ils en étaient les prophètes. Leur

secret résidait dans l’ascétisme.

C’est à eux que l’on devait les plus grandes révolutions de

l’Humanité. La Crise de l’ultralibéralisme était par eux

annoncée, tout comme la mort de l’empire américain et celle

de Dieu. De nouvelles valeurs étaient à construire. Ils s’y

étaient déjà préparés…

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Je retournai donc voir Karl qui comme à son habitude, était

là, au coin de son temple de la consommation.

— Que dois-je faire Marx ?

— Ne fais rien ! Quand tu as faim, tu manges, quand tu as

soif, tu bois, quand tu veux t’exprimer, exprime-toi. La vie est

facile pour ceux qui ont compris sa simplicité ! Et, toi

comment vas-tu ?

— J’ai des hauts, j’ai des bas. Je voudrais peut-être élever les

gens à de nouvelles Valeurs. Mais voilà, je ne suis rien. Je

n’ai même pas le courage de ton ascétisme.

— Connais-tu un homme qui s’appelle Jim, un plasticien ?

Appelle-le, il vit aujourd’hui dans la terre de Thatcher,

comme moi lorsque je finirai mes jours en cette ville de

Londres. Cet homme est 1 Erudit. Il t’entretiendra de

physique quantique comme de Philosophie Analytique. Nous

partageons tous 2 la même Volonté de faire de la grandeur de

nos pensées 1 large diffusion aux générations hébétées par les

idées consensuelles qui nous sont par trop médiatisées. Lui,

saura t’orienter (à défaut de Toi-même) car au fond, tu sais,

ton meilleur ennemi peut être ton meilleur ami. N’est-ce pas

le cas des Néolibéraux qui paradent aujourd’hui !!!

Je répondis :

— J’entends parler à gauche d’Altermondialisme et, à droite,

d’Anti-mondialisme. D’un côté, un nouvel Ordre économique

mondial teinté de Tiers-mondisme, de l’autre un retour au

Protectionnisme et au Nationalisme. Quelle est la voie, Karl ?

Je suis perdu !

— La voie, c’est en toi-même que tu la découvriras.

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Chapitre IV

Il est vrai qu’à mon adolescence j’étais un individu

romantique animé par des valeurs aristocratiques plutôt

conservatrices, quelque peu éduqué dans la flagellation

catholique et les récits de mon grand-père sur les guerres

héroïques. J’étais né le jour de la mort du Christ, le 7 avril, à

l’Hôtel-Dieu ; ma vie avait été marquée par ce pessimisme

prophétique, au son de la Tristesse de la musique de Chopin.

Il est vrai que j’avais été abandonné et que, étant passé de

mains en mains à la maternité, cela avait dû marquer ma vie,

jusqu’à l’âge de mes trente ans, où une bouffé délirante me

conduisit à l’hôpital psychiatrique, suite à la découverte d’un

trouble bipolaire, anciennement appelé psychose maniaco-

dépressive.

Je découvris ainsi que Jésus était lui aussi un créateur

céleste, tout comme Moïse ou le prophète Mahomet. Les

ayant rencontrés, ils m’avaient expliqué qu’ils avaient tous été

comme moi, dès leur enfance, des êtres isolés et révoltés :

révoltés par la misère des braves gens, leurs souffrances, leur

esclavage, leurs égarements ou leur ignorance, et, comme des

médecins de l’âme, avaient tenté de les guérir de leurs maux.

Ils me rappelaient à la philosophie, car la révolte naît de

l’expression du doute, dans un monde déstructuré où tout

semblait marcher sur la tête, puisque ceux d’en bas, des gens

souvent merveilleux qui sauvaient chaque jour des vies,

comme les infirmiers, les médecins, les chirurgiens ou les

sapeurs-pompiers, étaient moins bien rétribués que les

connards qui tiraient, à mon époque, dans un ballon de foot, et

qui séduisaient le peuple du haut des arènes, comme de jeunes

gladiateurs !

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Ce n’est qu’arrivé à la grande ville que mon idéalisme se

transforma en un cynisme désabusé. Comme disait mon ami

Nietzsche, tout ce que l’on m’avait appris jusqu’alors était

erroné.

Il s’agissait donc de retourner aux sources de la pensée, qui

ne réduisait pas l’homme à sa simple capacité de consommer.

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Chapitre V

C’est que le Capitalisme devait jusqu’à nous encore

perdurer avec ses conséquences désastreuses liés au

consumérisme et au productivisme.

Je m’adressai donc à Marx :

— Que penses-tu que du passé nous fassions table rase ?

Étais-ce là le passé de l’Humanité, ou ton passé personnel,

que tu voulais annihiler ? Marx, n’as-tu jamais eu honte de tes

origines ?

Karl me répondit :

— Si ! Si seulement mon enfance avait été différente, bien

sûr, je n’aurais peut-être pas cherché, sous les traits d’un

Chiron, à vouloir soigner les maux et les âmes d’une classe

laborieuse, moi, fils de bourgeois, d’une famille que je

haïssais !

— C’est au fond peut-être cela que l’on appelle

l’émancipation ? Refaire l’Histoire, s’élever en mythe ? La

haine de soi nous conduit à de grandes choses. Peut-être

que Hitler n’était pas un si mauvais artiste : peintre ou

écrivain, il eût été préférable qu’il le demeure. En tout cas,

tel était mon point de vue d’alors : rejetant ma famille dans

les oubliettes de sa médiocrité, et à travers elle la majorité

d’un peuple de labeur que j’exécrais. « La plume est plus

forte que le glaive, et la parole sainte résiste au temps. » «

Ce que ne fait pas la balance de la justice, l’Homme

l’accomplit par des mots », me disait Pyrrhon d’Élis,

fondateur du scepticisme, lui qui avait suivi Alexandre

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dans ses conquêtes, mais qui n’en avait pas retiré un

denier. Lui avait fait le choix de ne pas écrire : quelle

vanité pour un créateur céleste. Alors mes mots auraient-ils

une Postérité, c’était là ce que je recherchais. Mais, voilà la

parade, j’avais trouvé les moyens matériels de les

immortaliser. Tel était l’un de mes secrets. Accéder à l’Au-

delà, telle était l’origine de ma mélancolie, et cela sans

Dieu (puisqu’à mon époque, il était mort), mais grâce au

diable, mon bien cher ennemi, qui avait depuis longtemps

annoncé la mort de la chrétienté : j’étais libéré de mon

idéalisme romantique pour un cynisme désabusé. Car la

beauté ne peut être que l’œuvre du diable. J’en appelais

donc au démon de l’acédie (peut-être une part restante et

nostalgique de mon passé romantique). Il me fallait égaler

Dieu ! Pour cela, je frappai à sa porte. Il me l’ouvrit. Je lui dis :

— J’ai essayé en ce bas monde d’être un homme libre, mais

ce monde d’ici-bas ne connaît pour seule valeur à la liberté

que l’argent. Penses-tu me dire ce que représente pour toi

mille milliards de dollars ?

À cela, Dieu me répondit simplement :

— Un dollar.

Je réfléchis, moi pour qui comptait par-dessus tout la

Postérité.

— Que représente pour toi l’éternité ?

— Pour moi, une seconde.

— Mais alors, tu pourrais me prêter un dollar ? (Ce que ne

faisaient même plus les gens de bonté qui avaient renoncé à

toute charité, depuis la mort de la chrétienté.)

Et Dieu me répondit :

— Attend une seconde !

Décidément, même Dieu était un enfoiré !

Je renonçai donc à égaler Dieu. Je retournai sur Terre et

retrouvai ce trader fou, ce créateur céleste si prompt à utiliser

les gens contre eux-mêmes afin de les escroquer, dans une

République devenue le paradis du vice. C’était là

certainement le châtiment d’un ange déchu. Le Mal est sans

espoir, aussi ai-je dû le taire et poursuivre mon désespoir dans

un engagement révolutionnaire : un travail herculéen (cela va

sans dire) !

— Mais n’était-ce pas là le lot de tous les grands hommes,

me dit Zénon ; un créateur céleste doit savoir rester stoïque.

Personnellement, je n’attendais rien du peuple, un troupeau

de moutons, mais qui sait si, un jour, je ne pourrai pas

conduire ces « bêtes » à l’abattoir. Après tout, l’homme est un

loup pour l’homme.

Je savais que rester dans cette société matérialiste ne me

ferait pas connaître d’utopistes : aucune reconnaissance, aussi

bien de la part des élites de la nation, prêchant l’oligarchie et

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la ploutocratie, que de la part du peuple, trop habitué à subir

les maux, plutôt qu’à lire un livre de délivrance.

Je repartis donc dans les déserts visiter mes frères bédouins.

Un retour au désert, en attendant que s’écroule l’empire

américain. Tel était mon refuge. Je vivais là sur cette Terre,

m’enfonçant dans la vie comme dans le sable. Le créateur

céleste était donc un mystique, citoyen du monde, Au-delà des

temps, libéré de l’espace et éternellement errant.

Je délaissai mes études. Je faisais fi de la raison et

retrouvai mon ami, le prince Saoud. Je me souvenais des

paroles de Marx : « Quand tu as faim, tu manges, quand tu as

soif, tu bois, etc. »

Une vie simple dans un espace immense. Peu pour vivre,

mais le partage et la famille nous structurant : en fait, encore

un reste d’un communisme primitif, où tous les biens étaient

mis en commun. La plus grande amitié pour la plus grande

solidarité. À l’heure du Terrorisme anti-matérialiste, dans le

jeu d’une Mondialisation en fin de règne, l’argent ici-bas

n’avait sens que comme une culture d’exportation. C’était là

la fin de l’impérialisme financier qui était proche puisque

totalement fictif !

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Chapitre VI

Le cheikh Anazi, chef de tribu, m’avait invité sous sa tente,

où les gens chantaient chaleureusement. Il fut à mon égard

d’une grande écoute : Khaled, mon ami bédouin, m’offrit son

faroua, sorte de grand manteau que les Bédouins utilisaient

pour leur servir de couverture contre les froideurs du désert.

Sa tribu s’étendait de la Syrie à la Terre d’Arabie et comptait

au bas mot quatre cent mille nomades en déshérence.

Puis, à un instant, les hommes se levèrent (ce qui était la

coutume lorsqu’un invité de haute lignée apparaissait). C’était

Oussama ben Laden.

— Alors Christopher, me dit-il, comprends-tu mieux

pourquoi la technologie est impuissante à me condamner ?

Toi le chrétien, nous vivons ici comme à l’époque du Christ.

Les faucons sont nos messagers, nos déserts éreintent nos

adversaires. Qui n’est pas né Bédouin ne peut l’assimiler.

Quelle belle façon pour un mystique que de retrouver des

gens de foi, car, en ce qui me concerne, je savais que je

n’avais nul courage pour devenir un kamikaze. Ici nul

productivisme, nul impératif commercial, nul travail : ne rien

faire, si ce n’est méditer, aimer et jouer.

Oussama continua à m’interpeller :

— Nous aussi avons formés des traders aux États-Unis.

Et c’est là la meilleure arme que le gouvernement américain

nous ait fournie, bien plus que les armes de guerre en

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Afghanistan. La guerre est économique : le pétrole bien sûr en

est une dimension. Je serai un mort sans sépulture.

Voilà la vraie histoire des créateurs célestes : celles

d’hommes déchus, de juifs errants, de marginaux, de

résistants, de réfractaires, de révolutionnaires, d’éternels

vagabonds, nomades ou chasseurs solitaires, condamnés à

errer pour l’éternité, pour des siècles et des siècles : Amen !

Nous sommes des astres dont l’influence s’exerce dans tout

l’univers, des étoiles filantes dans le ciel nocturne : des soleils

noirs, comme le répétait le démon de l’acédie.

C’est qu’il ne fallait plus penser le monde, mais le

transformer, comme un individu seul peut évoluer de son

adolescence à sa maturité !

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Chapitre VII

Je cherchais, à l’adolescence, à sortir à tout prix de ma

condition. Il me fallait fuir, quitter cette province au regard

trop étroit, à la médiocrité trop patente.

Je me voyais, peut-être par ma mégalomanie, un enfant

issu du mariage improbable entre un prince (le prince Yazid,

pour ne pas le nommer, lui qui au cours de ses voyages était

passé dans ma ville à de nombreuses reprises par attrait pour

les courses hippiques) et une catholique non musulmane que

ses parents auraient reniée si elle avait dû reconnaître cet

enfant issu d’une union illégitime. Moi qui étais né orphelin,

j’imaginais faire du passé table rase, et fuir cette province qui

me condamnait à un Destin par trop médiocre. Jeune homme

noble au sang aristocratique, portant un nom célèbre, je

recherchais là un Sens à une quête de mes origines. Je me

réinventais, comme dans une fiction, pour un mythe, une

nouvelle identité.

Tel était le début d’une nouvelle orientation. Fuir ma

condition me permit, à la capitale, de rencontrer nombre de

gens comme moi désabusés. C’est ainsi que je retrouvai mon

« Projet équité ». Mais voilà, à mes dépens, j’apprenais

lentement le domaine des affaires. Georges (au sujet duquel il

n’y avait rien à dire, si ce n’est qu’il devait m’escroquer)

m’avait fait éprouver une sincère et naïve amitié pour sa

personne, puisqu’il vivait sans le sou, et avait su survivre au

sein de la jungle urbaine. Notre projet commun, dit « Projet

équité », devait ruiner la finance internationale de l’intérieur,

grâce à nos expériences à la marge de la légalité. Au fond,

nous pratiquions un certain entrisme. Peut-être comme un

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gourou avait-il su me manipuler, à mes risques et périls ?

C’est là que j’appris ce qu’était un effet de levier, ou

comment utiliser les gens à leurs dépens, sous le masque de

l’amitié, tout en conservant un profond machiavélisme a-

crédité. C’est alors que je compris que la Grandeur de nos

sociétés pouvait engendrer des monstres atrocement

désespérés.

Comme je disais à Marx :

— Il n’est plus question de praxis.

Et Marx me répondait :

— Ne t’inquiète pas : d’autres consciences de part le monde

suivent comme toi le chemin des créateurs célestes. Un jour,

tu verras, tu ne seras plus seul ! À moins que tu ne préfères

faire de ta vie une œuvre d’art !

Mais, voilà, toutes ces expériences n’étaient pas vaines, car

elles me renforçaient, moi qui étais né dans un milieu

populaire, trop habitué à se laisser aller, je repris mes études

pour mieux avancer.

Le risque de toute expérience aventureuse est le

fourvoiement. Je recherchais à vivre l’extra-ordinaire, dans la

médiocrité ordinaire de notre Temps. J’étais bien un souffle,

j’étais bien une âme. Je n’attendais que le moment où

Babylone s’effondrerait.

À mon tour d’être glorifié, à mon tour d’être sacralisé, à

mon tour d’être starifié : il était temps que je gagne, comme

eux, de l’argent, pour immortaliser ma pensée, et faire

comprendre aux générations futures le chemin d’un homme

de peu à l’heure de sa temporalité. Je me devais d’être inclus

dans la société, de me socialiser, de trouver ma parole et ma

voie. Mais voilà, Hasard ou Destinée, il semblait que je

n’étais que de passage partout où je me rendais. C’était un

chemin fait de croix. Je n’étais peut-être pas ce créateur

céleste, moi qui ne demandais partout qu’une bouée de

sauvetage, une aide, même sociale.

Il s’agissait donc de me « réincarner » et d’appliquer à

moi-même mes propres pensées !

Page 23: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre VIII Il était temps de faire un point : nous avons tous une vision

du monde qui s’ancre dans un espace et dans un temps qui

nous sont propres. Et c’était le cas des créateurs célestes, à la

différence près qu’ils incarnaient cette vision.

Gandhi m’avait dit avant qu’il ne meurt :

— Je n’utilise pas la non-violence à mes propres fins, je suis

la non-violence jusque dans ma chair, jusque dans mes gènes,

tout comme l’était mon Maître Jaïne Vardhamana. Mais voilà,

toi, jeune Jedi né de la Crise de la Postmodernité des années

60, voilà à ton tour de recréer les Lumières, au grand jour,

pour éclairer les indigents.

Était-ce à dire que les créateurs célestes avaient une

Mission ? Nietzsche me répondit en sursaut de son éveil :

— Tu ne nais pas sage : tu le demeures. Telles sont les

histoires des héros, telle est la souffrance de la vie d’un

créateur céleste, et Jésus en Croix ne te contredirait pas,

même s’il voyait aujourd’hui s’effondrer son édifice, et

comprenait finalement que son père, à vrai dire Dieu, était

bien mort et enterré.

Le créateur céleste n’était jamais seul, même s’il vivait en

ascète : il était dans le monde, par le monde, puisqu’il faisait

le monde (à sa manière). Au fond, il n’était qu’un homme,

mais un homme malade, malade de sa situation, victime de

ses incompréhensions, de ses doutes, de ses angoisses, triste à

l’idée de mourir sans avoir enfanté : son enfance était d’être

un homme de souffrance. Telle était sa condition. Il ne

pouvait que sourire à lui-même, s’il ne voulait verser dans la

tragédie de son existence. Heureusement, seul ses amis,

consciences lointaines et isolées, pouvaient le réconforter. Si

tu as les mains sales et la nausée, Sartre te répondrait : « Ne

t’en inquiète pas, ce n’est peut-être au fond pas ta

responsabilité, mais, cela, ne le répète à personne, c’est notre

secret. Moi aussi j’ai appris à douter ! »

Page 24: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

24

Anormal, le créateur céleste sera toujours un étranger, mais

son Altérité n’est que la prémisse de son Identité, toujours sur

le fil de l’impermanence et de la variabilité. Son don, c’est

d’être là tout en n’y étant pas, comme ces masques africains

que l’on retrouve dans les musées, masques momifiés ayant

perdu leur raison d’être, puisque avilis par les colonisateurs

issus d’un monde blanc et sans couleurs. En cela, le créateur

céleste rêve parfois d’un monde imaginaire, utopique et

meilleur. Souviens-toi du petit Platon, de ses Lois et de sa

République, du jeune saint François d’Assise ou encore du

délirant Thomas More et de Fontenelle ou Robert Owen,

comme d’un Étienne Cabet, etc., qui, en leur temps, et en leur

cité, avaient su encore rêver de l’authenticité d’un monde

meilleur. Qui se souvient de la provocation de Copernic ? Il

avait eu une formation de boxeur en métaphysique. Son direct

du gauche était redoutable, et voilà qu’à la Renaissance il mit

« chaos » tout l’édifice hérité depuis des siècles de part son

prédécesseur Ptolémée. Sa critique mit en cause toute leur

belle scientificité. Du géocentrisme, nous passions à

l’héliocentrisme, du dogmatisme au relativisme, et au

scepticisme. Il remit en question par sa simple présence, en

homme seul, tout le modèle de la connaissance classique,

ainsi que ses concepts et ses schismatiques. Et tout cela pour

une question de Vision ! Tout devait dès lors être redéfini.

Décidément, ces créateurs célestes faisaient de nous des

nihilistes, et les libres-penseurs, au fond de leur tombeau,

pouvaient bien en rire. La philosophie était mère des sciences,

mais les scientifiques l’avaient oublié, nous qui sommes des

empêcheurs de tourner en rond sur cette Terre, invivables, et

voilà pourquoi nous mourrons pour la Postérité tels des héros.

Nous étions acculés, totalement désorientés, mais, voilà,

nous ne tenions pas la boussole, car les créateurs célestes, par

leur magnétisme, aimantent et irradient bien plus que la nature

humaine, qui perd son Universalisme. Plus de limites, plus de

discriminations, plus de rationalisme, la mort et la fin des

encyclopédistes : la vie, seulement la vie, dans un monde

devenu sans repères car instable.

Page 25: Les Créateurs Célestes Master

25

Mais voilà, en qui croit le créateur céleste, si tout le monde

croit : il croit qu’il ne croit pas et, dans un long périple,

s’émancipe de toutes les croyances des hommes, dans leur

pluralité, pour leur demander de se comprendre les unes les

autres, sans qu’aucune d’elle ne se veuille un jour supérieure à

l’autre (et cela, je m’en excuse auprès de Nietzsche). Au fond,

le penseur, tout comme l’homme de science, est le révélateur

d’une pensée commune à une famille d’une époque donnée

dans un lieu donné.

Il s’agissait donc pour moi, en tant que créateur céleste, de

continuer mes pérégrinations, par de nouvelles réincarnations

ou rencontres, au Banquet de mes sœurs et de mes frères de

noble Mission.

Page 26: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre IX

Qui n’a jamais eu la sensation de se perdre ? Au cours de mes

pérégrinations, je partis observer le monde : lors de mon déplacement en

Inde, je devins hindouiste. Mais en ma qualité de « libre penseur » on m’

éleva au rang de la classe sacerdotale des brahmanes. Un jour, je

rencontrai Vardhamana, que je suivis dans ses méditations et dans son

ascétisme, lui qui avait renoncé à son rang et à tous ses biens pour

atteindre la voie de la non-existence, que mon ami Bouddha appelait le

nirvana. Je fis donc seul l’expérience de la souffrance, de la vieillesse, de

la maladie et de la pauvreté (ce qui était un comble pour le jeune homme

que j’étais, habitué à vivre dans une société de con-sommation). Et

pourtant, voilà qu’un autre modèle de vie était possible, sans nul besoin

des politiques : un chemin intérieur, plus fort que leurs lois ou leurs

décrets, amendés par un parlement dont l’effectivité restait à démontrer.

Telle était ma révolution copernicienne : « changes et le monde changera

».

Puis, avec le développement du bouddhisme, d’abord austère, du petit

véhicule, à sa laïcisation, vers le grand véhicule, mon chemin se sépara de

celui de Siddharta. De l’Inde, je passai en Chine : là, j’y rencontrai

Confucius. Lui s’était élevé contre les princes fainéants. Le prince pour

lui devait être un modèle, un homme de vertu, un sage, mais, à mes yeux,

il portait encore trop de foi en la société dans laquelle il vivait et qui

l’avait si souvent exclu.

Je me rapprochai donc du Taoïsme, qui était une croyance religieuse

plus proche de l’Animisme. Lao-tseu m’ouvrit donc ses portes et dit :

Page 27: Les Créateurs Célestes Master

27

— Tous les créateurs célestes ont porte ouverte dans les lieux de mes

sanctuaires.

Je lui demandai si je pouvais téléphoner et inviter quelques amis, que

seul reliaient nos consciences, à des distances comptées en années-

lumière. Fort heureusement, je ne payai jamais la note de téléphone. À

chacun d’eux, je leur dis de venir me rejoindre dans la contrée sauvage de

mon nouvel ami, Laozi.

J’invitai donc de façon complètement hasardeuse sir Edward Burnett

Tylor l’animiste, Baruch Spinoza le panthéiste, Vardhamana le jaïniste,

Siddharta le bouddhiste, Socrate l’Athée, Confucius, Mencius, Guo

Xiang, Homère le polythéiste, Hésiode, Apollonius de Tyane le païen,

Aménophis IV le monothéiste, Manès, Moïse, David, Jésus, dit le Christ,

Luther le protestant, Mahomet, dit le Prophète le musulman, Abaris le

mystique, Pythagore, Plotin, Al-Ghazali, sainte Thérèse d’Avila, Georges

Cuvier le créationniste, Charles Darwin l’évolutionniste, Galilée le

déterministe, Isaac Newton, Albert Einstein, Max Planck l’indéterministe,

Niel Bohr, Pyrrhon d’Élis le sceptique, Michel Eyquem de Montaigne,

Ænésidème le relativiste, Friedrich Nietzsche le perspectiviste, Max

Stirner l’individualiste, Aristippe de Cyrène l’hédoniste, Pierre Abélard le

nominaliste, Guillaume d’Occam, Charles Sanders Peirce le pragmatique,

Antisthène le cynique, Diogène de Sinope le dogmatique, Zénon de

Citium le stoïque, Sénèque, Épicure l’épicuriste, John Locke l’empiriste,

David Hume, John Duns Scot le réaliste, Gautier Burley, John Wyclif,

Démocrite le matérialiste, Pierre Henri Dietrich d’Holbach, Diderot,

Soren Kierkegaard l’existentialiste, Jean-Paul Sartre, Platon l’idéaliste,

Hegel, George Berkeley l’immatérialiste, René Descartes le rationaliste,

Emmanuel Kant, Voltaire le progressiste, Pétrarque l’humaniste, Leibniz

l’optimiste, Antiochus d’Ascalon l’éclectique, Henry David Thoreau

l’écologiste, Frantz Fanon le tiers-mondiste, Ernesto Guevara (dit le Che)

le gauchiste, Guy Ernest Debord, Pierre Joseph Proudhon l’anarchiste,

Michel Bakounine, Kropotkine, Louise Michel, Jules Guesde le socialiste,

Jean Jaurès, Gandhi le pacifiste, Oussama ben Laden le terroriste,

Gracchus Babeuf l’égalitariste, Aristophane le féministe pour son

Assemblée des femmes, Christine de Pisan, Simone de Beauvoir, saint

François d’Assise, Thomas More l’utopiste, Robert Owen, Étienne Cabet,

Jeremy Bentham l’utilitariste, Condorcet le laïque, Montesquieu le libéral,

Alexis de Tocqueville, Sophocle l’immoraliste et son Antigone, Edmund

Burke le conservateur, Joseph de Maistre, Louis Gabriel de Bonald,

Maurice Barrès le nationaliste, Charles Maurras, Charles de Gaulle, Juan

Peron, Gamal Abdel Nasser, Arthur de Gobineau le raciste, Adolf Hitler

pour son livre Mein Kampf, John Maynard Keynes l’interventionniste,

Friedrich List le protectionniste, Adam Smith le libéral, Friedrich von

Hayek, Milton Friedman, mon ami Karl Marx le communiste, Friedrich

Engels et Lénine, dont vous pouvez retrouver les biographies dans mon

Encyclopédie cognitive.

À ma surprise, ils répondirent tous présents, pour ce qui devait être le

Banquet de la Postérité. Austérité dans les plats, austérité dans les mots, si

seulement les « peoples » de mon temps avaient pu s’en faire écho.

Page 28: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre X

Les créateurs célestes, nomades, voyageurs, ne sont pas

soumis au diktat des milieux dans lesquels ils vivent, car ils

ne restent pas suffisamment pour s’intégrer à leur

communauté adoptive, qu’ils questionnent, qu’ils observent

pour mieux comprendre ce que le commun des mortels

n’appréhende pas. Ils ne sont donc pas prisonniers d’une seule

manière de penser, de sentir ou d’agir. Même choqués, ils ne

le sont jamais vraiment, ils ne jugent pas : ils constatent et

voient. Les créateurs célestes sont dans leur grande majorité

des gens sympathiques, même si leurs réflexions peuvent

apparaître cruelles, car ce n’est pas le libre penseur qui est à

stigmatiser, mais plus souvent les comportements des gens

qu’ils perçoivent. Certes, comme pour tout individu, ce que

disent les créateurs célestes est à recontextualiser, dans le

temps et dans l’espace qui sont les leurs. Si leurs pensées sont

mortelles, leurs actes, entraînaient par leurs pensées, ne le

sont point, car ils marquent toujours l’Histoire d’un grand H.

Toute définition se veut arbitraire et réductible. Que de sens

pour un même mot : cela expliquant ceci, les

incompréhensions et les querelles des créateurs célestes

resteraient célèbres. À l’heure de mes vingt ans, je me

considérais comme un philosophe de la praxis, ce qui faisait

sourire mon ami Marx. Il est vrai qu’à mon époque je me

consacrais pleinement à la réalisation de mes desseins

philosophiques. Ma vie mondaine primant alors sur ma vie

estudiantine, le milieu universitaire m’étant devenu étranger :

j’y étais devenu réfractaire. Je préférais déjà pour tout dire

l’expérimentation dans des univers divers et variés. Une

Mission occupait alors tous mes loisirs : la direction d’un

projet nommé « Excellence », cercle d’affaires ayant pour

vocation de promouvoir les valeurs aristocratiques, dans le

Page 29: Les Créateurs Célestes Master

29

respect des Traditions et d’un certain art de vivre. J’entrais en

affaires comme on entre en religion, avec la foi de

l’entrepreneur. Mais toute Croyance est illusoire, et aux

illusions devaient succéder les désillusions. La cruauté n’est

pas un concept – même nietzschéen –, mon cher Friedrich :

elle est faite de chair, de sueur et de sang. En cela, vous

pourrez toujours reconnaître mon écriture. Mais cette

expérience fut une Ouverture au monde qui me fut salutaire.

Qu’importent les propos de la métaphysique. Elle affirmait

ma position critique à l’égard du philo-centrisme, et

confirmait ma position relativiste concernant l’ensemble des

entreprises cognitives (qu’elles soient d’ordre scientifique ou

philosophique), les re-contextualisant comme vision, vue de

l’esprit, et aperception transcendantale relevant d’une

mythologie ethnocentrique. J’étais là encore bien loin de notre

Banquet engagé avec Laozi.

Page 30: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

30

Chapitre XI

De tous les créateurs célestes que j’ai pu rencontrer ou

retrouver à notre Banquet, aucun n’avait d’enfant, d’emploi

ou de femme, ni ne vivait dans une structure adaptée. Ils

étaient étrangers et réfractaires à toute Autorité, peut-être

parce qu’ils faisaient Autorité. Ils vivaient en marge,

influencés sans être influençables. Par exemple, je me

souviens de Mahomet, que les premiers disciples

considéraient comme prophète, et dont la vie devait être d’une

grande influence. Il avait lu la Bible, l’Ancien Testament des

juifs et celui, moins anciens, des chrétiens. Il en reconnaissait

la Postérité et me disait :

— J’ai écrit ce livre, me présentant le Coran, un livre saint

comme l’était pour moi Le Livre de la connaissance. J’encre

ma vie dans l’Histoire : celle d’une certaine Humanité que je

veux universelle. Voilà ce qui m’a influencé (influencé sans

être influençable).

Je me disais personnellement qu’il avait certainement

raison, pour celui qui deviendrait le dernier des prophètes, et

je me disais aussi qu’il était bien temps que je retourne sur le

chemin austère de la connaissance, en retournant vivre dans

les villes de mes déserts dévastés (à savoir mes écrits si

divers, depuis l’aube de ma créativité). J’essaierai peut-être

toute ma vie d’en faire une œuvre d’art. Mais, en tant que

Centaures c’était à la réussite que je puisais ma source. Mes

mots étaient comme cette eau sans laquelle la vie n’est que

mortelle, et la décadence, virtuelle. La mort, le mal, la

vieillesse, la maladie sont pour tout un chacun des maux à

fuir, ce qui explique que la souffrance de toute expérience en

vaut bien la peine. Dépasser le mal, se dépasser soi-même est

une justification que seul un légionnaire ou un boxeur pourrait

vous expliquer. Jeune, j’essayais d’être plus que moi-même,

vivant entre fantasme et réalité. C’était peut-être là une

escroquerie, mais envers moi-même, et dont j’étais la victime.

Page 31: Les Créateurs Célestes Master

31

J’apprendrai plus tard que cette forme de mystique relevait

peut-être de la pathologie psychiatrique, mais, en attendant,

comment pourrais-je vous expliquer cette exaltation de vivre

dans l’union du microcosme et du macrocosme, dans cette

union de l’âme avec l’esprit universel, où l’Homme ne se

contrôle plus, où tout s’accélère dans sa petite boîte à penser :

ce que j’appelais de mes mots, pour l’avoir vécu, le

complémentarisme dialectique ! Le créateur céleste était donc

un mystique, et savait se contenter de peu : il ne désirait rien

d’autre que l’Absolu. À quoi bon une petite vie de merde

lorsque l’on peut toucher la gloire par la pensée ? Mais allez

faire comprendre cela aux êtres de peu de sensibilité,

anesthésiés qu’ils sont par leur perception ! Insoumis, révolté,

engagé, puis tout à la fois déçu, désolé par le monde et son

iniquité, le créateur céleste préfère s’isoler en attendant

l’heure, l’appel au jugement dernier, car il garde, et gardera

toujours son âme de guerrier. Le créateur céleste ne cherche

pas à faire carrière, il rejette toute certitude. Sa science est

inconstante, variable, indéterminée. Il ne cherche ni à

s’exclure de la société ni à s’y adapter. Il ne rejette que la

médiocrité, et c’est peut-être pour cette raison que la société le

rejette, à la fois admirative et effrayée. Ce fut d’ailleurs ce que

Adolf Hitler me confirmait :

— Regarde-moi, me disait-il, ils n’ont pas voulu de moi, le

peintre, l’écrivain, le fou : j’en ai ressenti de la haine jusque

dans mes veines pour tous ces mécréants. Qui, dans la vie, n’a

pas un jour été rejeté pour sa différence : eh bien, voilà ce que

j’en fais de leur différence : je la brûle !

C’était peut-être une façon suicidaire d’en finir avec la

naïveté, la sienne comme, surtout, celle d’autrui, qui se dit

toujours innocent alors qu’il est le premier à suivre les ordres

d’un gradé.

— Qu’ils brûlent tous en enfer, ces imbéciles manipulés !

Au fond, comme Bel Ami, Hitler avait dû être un corsaire.

Belle revanche contre la société, pour ceux que la société

rejetait au nom de leur perversité.

Les créateurs célestes ne pouvaient pas se contenter de

donner comme Sens à leur vie le pouvoir de l’argent et du

sexe, se contenter de la basse matérialité des corps

enchevêtrés. Oh ! certains d’entre eux n’auraient pas dénié

(comme moi d’ailleurs) partouzer ; mais ne faire que cela,

comme une pute ou un trader, les aurait vite agacés, car,

comme la belle nature, ils ne savaient se contenter du Vide

d’1 existence conduite à l’Absurdité !!!

Libertins, dépravés peut-être, mais aux yeux de la cité, car,

ce qui leur importait, c’était de résister. Comme des chevaux

sauvages, ils préféraient mourir que de se faire dompter,

apprivoiser, enfermer dans un zoo ou un musée. Ils ne se

satisfaisaient pas non plus de manipuler que d’être manipulés,

ils étaient de la race de ces seigneurs qui préféraient la

Page 32: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

32

contrainte à la lâcheté. Ce que Georges, mon « ami » trader

avec lequel je fus un certain temps associé (et dont j’ai dû

vous parler), exprimait par le terme d’effet de levier.

Être un créateur céleste relevait d’une certaine Destinée.

Moi le fils, l’enfant adopté, « on » m’avait affublé d’un

prénom de saint patron au cœur des voyageurs. À la

maternelle, le sceau qui me distinguait était celui d’un petit

homme. Pendant un temps, j’habitais rue de Nazareth, et je

priais à la synagogue de mon quartier : peut-être étais-je

atteint du syndrome de Jérusalem, moi, le nouveau prophète ?

— Tu te prends pour Jésus de Nazareth ! me répliquait ma

petite amie d’alors.

Mais peut-être n’était-ce là qu’un signe (pathologique).

Le créateur céleste ne veut pas grandir : il s’en moque. Il

restera toujours cet enfant au fond de lui-même, avec ce sceau

de petit homme attaché à sa besace.

En fait, pour revenir à ce que disait Hitler, c’est peut-être

plutôt le créateur céleste qui se brûlait et se consumait. Il était

un ange sans aile : un ange déchu, un démon qui avait chuté

dans la mélancolie, un démon de l’acédie. Mais voilà, à

l’aventure comme à l’aventure. De toute façon, tout

s’arrêterait bien un jour.

— Où en était donc notre fameux Banquet ?, me répétait

Laozi, lui qui préférait méditer et me laisser tout organiser.

— Cela suit son cours, lui répondis-je, le cours de ma pensée !

L’aventure est un long voyage à la quête de soi-même, et je

peux vous l’affirmer, d’autant plus que j’ai moi-même été

abandonné (ce qui fut à l’origine de ma plus grande blessure).

Tel un mystique, le créateur céleste s’abandonne et dérive au

gré des flots, dans un mouvement de va-et-vient, dans les cités

du monde. Son identité n’est pas nationale, car il ne connaît

pas de frontières : c’est au fond un citoyen du monde ; mais

voilà, trop souvent, ce monde l’attriste, lui qui n’y voudrait

voir que beauté. Le créateur céleste dans ses pérégrinations ne

connaît point de structures, car, enfant lui-même, il n’est que

peu structuré. S’il était l’univers, il serait excentré. Et c’est

peut-être là toute sa nouveauté, car, où qu’il soit, il interpelle

et est interpellé. Tel est son art : art de vivre, art d’aimer, art

d’haïr, etc. Le créateur céleste est un artiste du concret. Mais

revoilà Hitler (décidément, il nous fait chier).

— Un artiste du concret, mais un artiste renié, et voilà

pourquoi mes peintures ont été brûlées.

Et maintenant de citer Antisthène :

— Ceux que l’on traite comme des chiens finissent par agir

comme des chiens, et voilà pourquoi, de mon nom, on me fit

un cynique.

La petite histoire fait la grande Histoire : mais voilà, tout le

monde s’en fout.

Page 33: Les Créateurs Célestes Master

33

Lénine, que de morts en ton nom !

— Je devais porter la lutte des classes par la dictature du

prolétariat.

Et voilà Marx, qui revenait m’emmerder.

— O.K. ! Karl, à ton tour de parler.

— La religion est l’opium du peuple, tu le sais, alors Jésus,

toi le Christ, que de crimes en ton nom !

Et Jésus de répliquer :

— Ce n’est pas moi qui ai tiré la première balle : que fais-

tu d’Aménophis ; après tout, il est bien le fondateur du

monothéisme !

Et Luther de relancer :

— Qu’avons-nous fait de si mal, nous les protestants, que

de protester pour revenir aux origines des écritures saintes, et

des textes sacrés ? Ce sont bien les catholiques qui ont voulu

nous museler !

À Moïse d’interroger :

— Je n’ai pas écrits les tables de la Loi pour qu’un

nouveau prophète du nom de Mahomet se dise porteur d’un

message universel, au-delà de son propre peuple : l’Arche

d’Alliance nous appartient !

Et Darwin de résister :

« C’est vous, les créationnistes, qui vous êtes fourvoyés,

avec votre influence sur des pseudosciences. La création n’est

pas divine, l’Histoire de l’Homme n’est que celle d’une lente

évolution.

Devant tout ce brouhaha, je devais intervenir :

— Charles, repris-je, que fais-tu du darwinisme social ; il

est le même qui a justifié notre mission civilisatrice, en

anéantissant des cultures entières, dont les croyances

animistes nous reportaient à la sagesse de l’aube de

l’Humanité.

Comme le constatait Laozi, son Banquet était déjà des plus

animés. Quant à moi, isolé, je contemplais ces penseurs

affamés avec une certaine hilarité.

Décidément, nos créateurs célestes devaient préférer fuir le

monde dans lequel ils vivaient plutôt que, par la praxis, s’y

impliquer. Je vous laisse seul juge des querelles du passé.

Quant à moi, je comptais les points. Que resterait-il de toutes

ces pensées ? Peut-être rien, dans l’immensité de notre

univers de papier glacé !

On dit que les héros sont souvent solitaires : qui n’a pas

fait sa traversée du désert ? Je ne peux citer de nom. Chacun

se reconnaîtra. Les créateurs célestes ont toujours de grands

desseins, et pour une raison simple : ils se savent mortels.

C’est peut-être pour cela qu’ils comprennent mieux que

Page 34: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

34

quiconque la vie, les errances, les doutes, les

excommunications de leurs « frères ». Et, s’ils sont francs, ils

ne sont pas toujours maçons, bien qu’ils construisent des

édifices de papier en des cathédrales de mots. Qu’ils écrivent

ou n’écrivent pas, leur parole est un non-sens pour leur

époque, mais c’est l’enfantement d’une histoire, redessinée

par les peines de leurs disciples dissidents qui y perçoivent

une lumière dans l’obscurité du jour. Comme Zarathoustra, ils

se promènent dans les belles journées, flammes au vent, pour

annoncer : « Dieu est mort ! »

Et voilà que parfois, après leur mort, en moins d’un siècle,

la profondeur de leur pensée renaît, après des années d’exil,

d’exclusion ou de rejet. Car c’est aussi dans la lutte que

s’accroît l’expérience. Nul ne saurait éviter les luttes, les

guerres et les jeux de pouvoir, mais le créateur céleste,

interné, isolé, se fout de tous ces regards, puisque lui seul est à

même de Voir.

Pourquoi ce terme de créateur associé à un univers

céleste ? Tout simplement parce que ces hommes se

moquaient de la monnaie pour conquérir leur liberté : ils

étaient totalement désintéressés, sauf pour ce qui touchait à

leur Immortalité. Mais quelles étaient leurs croyances ? Je

vous répondrai : toutes comme aucune. Seul le don de leur

personne pour un but qui les dominait faisait de leur

transcendance une vie inestimable, que seuls les spéculateurs

auraient aimé s’offrir par une donation à des musées. Car

voilà, le Temps n’a pas de prise sur les créateurs célestes.

Leur petite histoire se confond avec la grande : les créateurs

célestes ne sont pas des marchands, des bourgeois ou des

roturiers, mais des Seigneurs ! Amen. Tel fiert qui ne tue point

est leur devise. Leurs mains ne sont pas entachées de sang, car

le sang leur sert de plume. Mais leurs œuvres ou leur parole

sont des armes à contresens pour tout idiot qui s’en veut aller

guerroyer.

Page 35: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre XII

C’est ainsi que se poursuivait notre Banquet avec au Menu

l’expression des Idées de chacun de nos invités, des plus

proches au plus op-posés. Sir Edward Burnett Tylor engagea

la conversation :

— je vous le dis, et je le pense mes Amis, l’origine des

Systèmes religieux trouve sa naissance dans 1 Animisme

primitif, pour lequel la Croyance se fonde en des êtres

spirituels, en d’autres termes, en 1 Ame séparée du Corps !

….

Et Lucien Lévy-Bruhl d’ajouter qu’il fallait voir dans les

prémices des mentalités dites « primitives », des Croyances en

des forces mystiques.

— Voilà ce que j’entends, nous dit Levy Bruhl : « le

primitif » à travers ses Visions, ses rêves et la présence des

Morts, provoque des expériences spirituelles tout à fait

singulières, le renseignant sur le Monde qui l’environne !

Et pourtant à l’heure de la Mondialisation, nous ne pouvions

constater, malgré nos résistances, qu’à la fin annoncée de la

« Biodiversité » de nos modes de vie et de pensée. Seuls les

Créateurs célestes prouvaient qu’il existait encore des

dissidences face à l’Uniformisation d’1 Mode de Vie Made in

USA. Nous devions prendre 1 exemple, et ce fut au tour de

Pythagore de se lever pour expliquer sa Vision de la cité :

— Il s’agissait pour Moi, nous dit-il, non pas d’affranchir

l’individu de son existence terrestre, que de réaliser un lien

entre l’Homme et le Divin, et sur la base de ce lien, de

transformer la cité, en exaltant l’idéal civique, et sur ce

Modèle égalitaire, d’imposer 1 discipline collective.

Page 36: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

36

Pour nos amis mystiques, auxquels figuraient attablés Plotin,

Al Ghazali ou encore Sainte Thérèse d’Avila, il s’agissait

pour un moment de ne plus faire qu’ « Un » avec le Tout, ou

la Totalité de l’Univers, dans 1 quête d’Absolu, tendue vers

l’Extase, et ce par-delà les Mots.

Mais les rationalistes s’élevèrent vite pour critiquer 1 telle

supercherie et un tel dévoiement de la Pensée, dénonçant

l’approche du réel par la seule sensibilité, l’imagination, les

Mythes, les Religions ou encore l’intuition !

Malebranche, en fin gourmets, pris la Parole :

— Il n’est de vraie connaissance que par les Idées claires et

distinctes

Et à Descartes d’ajouter :

— Il s’agit pour nous, à votre différence, de nous rendre

Maitre et possesseur de la Nature. Les hommes pourrait ainsi

jouir, sans aucune peine, des fruits de la Terre, et de toutes les

commodités qui s’y rencontrent. Ils pourront de même

conserver la santé et peut-être s’exempter de l’affaiblissement

de la vieillesse.

N’étais-ce pas là la promesse d’1 Eternelle Richesse, comme

nos utopistes nous l’avaient exposés, tel 1 Ovide, dans ses

Métamorphoses : une société sans contraintes et sans armes,

vouée à l’économie de la cueillette, vivant dans 1 printemps

Eternel, 1 communisme primitif en quelque sorte, retrouvé

chez les Amérindiens, chez lesquels l’Absence de propriété,

tant individuelle que collective, se caractérisait par 1 mise en

commun de tous les Biens.

Thomas More sur ces mots s’éleva et d’1 verre à la main dit :

— Levons nos verres au Bonheur collectif !!! A la fin de la

Misère, et que ce Banquet en atteste. Faisons ripaille nous qui

célébrons le bien commun tous différents de convictions que

nous sommes. Car pour vous dire le fond de ma pensé, il me

semble que partout où l’appropriation est privée, ou pour tous

l’Argent est la mesure de tout, il est à peu près impossible que

la République soit régie de façon juste et prospère, à moins

que vous n’estimiez juste 1 société où les meilleurs biens

échoient au plus méchants, et heureuse une société où tous les

Page 37: Les Créateurs Célestes Master

37

biens, encore que de façon inégale soient réparties entre le

plus petit nombre, les autres étant réduits à 1 totale Misère !!!

Marx d’1 bon s’éleva et entonna l’Internationale, pendant

qu’Adam Smith s’égosilla :

— Que n’ai-je été invité à ce Banquet pour entendre de telles

ignominies, un même Individu peut être guidé à la fois par

son intérêt personnel dans ses comportements économiques,

et par la Morale commune dans sa vie sociale. J’ajouterais

qu’1 « main invisible » pousse chacun à agir en conformité

avec les intérêts de l’ensemble de la société !!!

Mais était-ce encore le cas avec l’Abolition des frontières à

l’heure de la Mondialisation Néo-libérale, en ce début de

21ème siècle (de notre ère chrétienne) ???

— Je soutiens que « oui » … répondit Von Hayeck : il est

possible et souhaitable de laisser l’économie aux libres Lois

immanentes du Marché. Je récuse l’intérêt général au nom

duquel les keyneysiens impot-sent leurs interventions

étatiques, et font des pouvoirs publics le seul recours à la

marche de la cité. Cela ne peut que nous conduire à

la Récession, c’est-à-dire à l’inflation, au chômage et à la

dépression !!! »

Marx, dans son coin, maugréait, pendant que Keynes ne dit

mot et partit, laissant son repas froid, en interpellant Smith,

Hayeck et Friedman d’1, vous n’êtes qu’1 bande d’escrocs.

Diogène assistant à la scène, à moitié aviné, au sortir de son

tonneau, lui cria :

— ôte toi de mon soleil Keynes !!!, Nul n’a besoin de ton

assistance, comme de notre amitié d’ailleurs, mes frères et

mes sœurs. Laissez-moi me gaver, et m’enivrer de tous ces

bons mets en toute impudeur. La Vertu est dans les Actes et

elle n’a besoin ni de Discours, ni de Sciences exactes.

— ta gueule Diogène, lui répliquèrent d’un seul et même

propos Proudhon, Bakounine et Louise Michel

— ton attitude de dépravé ne nous fait nullement avancée, et

tes mots n’ont de subversifs que ta conduite malheureuse qui

ne peut être prise pour Modèle. Quant à nous Résistons,

contre le Capitalisme financier et son système de castes, pour

1 redistribution équitable des richesses par le recours à

l’Autogestion comme seule solution à 1 économie équitable.

Page 38: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

38

Bien plus que réformer le Système, c’est l’individu que nous

voulons voir émancipé. Tel est le Sens d’1 Ame révolté par la

misère des opprimés !!! Et à Proudhon d’expliquer le fond de

sa pensée :

— Je sais ce que c’est que la misère. J’y ai vécu. Tout ce que

je suis, je le dois au désespoir. Pour la supprimer, je ne vois

que la suppression de la Monnaie pour 1 plus juste échange

entre des citoyens éclairés par 1 mutualisme pour lequel j’ai

été condamné à m’exiler. Tel est le Destin des socialistes

utopistes.

— Et de tous les anarchistes !!! Lui répondit Bakounine, qui

lui aussi avait connu 1 vie faite d’exil, c’est des déclassés que

naitra notre ( R)évolution, comme d’1 phénomène spontané.

Ce qui n’était pas sans me rappeler Georges, cet ex trader,

avec lequel j’avais « initié » notre « projet équité » et qui

faisait de nous, tous, 2, des conspirateurs.

A vous de voir par notre labeur (comme dans ce livre) à notre

verve, 1 dimension subversive.

Mais voilà, il était temps de donner la parole à 1 femme, notre

amie Louise :

— Ton livre, camarade, trône sur mon chevet. J’en ferai

bonne lecture auprès des plus jeunes comme des indigents, car

c’est de noir vêtu que nous comparaitrons devant la

« Justice » des puissants, même s’ils préfèrent ne voir en nous

que des « FOUS », pour « impot »-ser leur Etat de fait comme

d’1 normalité justifiant les inégalités subies par la Majorité,

qui chaque jour est repoussé dans la pauvreté, enfermée dans

les portes clôturées d’Asile d’Aliénés…

Page 39: Les Créateurs Célestes Master

39

Chapitre XIII

Comment rencontrer un créateur céleste : je dirai par

exemple lors de la fête des fous, de ces carnavals où tout est

permis pour quelques jours et qui font oublier au peuple sa

condition de misère. Pour un temps s’oublie la pauvreté. Ceux

d’en bas sont les rois, ceux d’en-haut, les esclaves ou les

bagnards. Le sexe s’émancipe : voilà la fête des libertins, or,

le créateur céleste est un libre-penseur. Il y peut là s’enivrer

sous les masques dorés sans se faire remarquer. Le créateur

céleste est avant tout un homme du peuple, non démagogue,

puisque ses valeurs aristocratiques nient leur médiocrité ;

mais voilà, pour un jour, un jour seulement, il retourne avec

ceux qui l’ont éduqué, rejeté ou maltraité : en un mot,

maudit ; tel était son démon de l’acédie. Après tout, le temps

est fuyant, il faut le vivre intensément, ici, là et maintenant.

Le créateur céleste demeure et demeura, jusqu’à sa vieillesse,

et à sa mort, un enfant, aimé comme mal-aimé, de ses parents.

Il se laisse donc guider par sa vie, ce qui le conduit à sa perte,

errant de porte en porte, cherchant toujours de nouvelles

conquêtes, lâchant prise et laissant son jugement aux autres, à

leurs discours moraux et à leurs débats métaphysiques. Si la

beauté rend à l’amour, le créateur céleste est un homme

aimant, aimant des femmes, aimant des hommes, aimant de la

vie, si aimant que lui-même aimante autrui. Tout comme

souffrir lui-même lui donne la mesure de la douleur d’autrui,

il s’évertue à lui donner un Sens pour mieux se guider dans un

monde avili qu’il maudit, ce qui le rend parfois cruel. Tout ici

n’est plus qu’un « je ». Et voilà Max Stirner d’élever la voix :

— Nous sommes seuls au monde, seuls avec nos souffrances,

seuls et mortels, alors jouissons d’un pur égoïsme indifférent

aux autres où lorsque tu es dans le merde, toi seul te

démerdes. Rappelle-toi, les gens ne sont mus que par leur

intérêts personnel, ce qu’a bien compris Jeremy (Bentham),

alors n’attends rien d’eux, car le bonheur commun, le bien, le

mal ne viennent que du bien privé, du bonheur ludique.

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Les Créateurs Célestes

40

Et de rajouter :

— La vie est une fête, même si elle n’est que la fête d’un

jour, alors sois comme moi spontané, enlève ton masque, ne

cache plus rien, émancipe-toi de la collectivité. Vis au

présent, fais comme ce connard de Marx, de ton passé fais

table rase.

Mais voilà que revoilà Marx et ses amis, à commencer par

Engels, Lénine, Platon et Aristote.

— L’homme est un animal politique, il ne serait rien sans

la collectivité. Comment pouvez-vous nier ainsi la société ?

Au chaos, nous préférons le logos et les révolutions, même

utopiques. Stirner, un jour, un de nos hommes te tuera.

Et à Mahomet d’acquiescer :

— Tu n’existes en rien sans l’Ouma et sa communauté. Nous

sommes là pour unir et non diviser. Tu n’es qu’un serpent,

Stirner.

Décidément, plus le temps passait, plus notre Banquet

s’animait.

Un homme affranchi de ses limites est un homme sage : au

fond, n’est-ce pas là la Destinée de l’Homme ; toujours plus

haut, toujours plus fort ? En tant que libertin, j’apprenais à

vivre de mes « maîtres » contemporains. Exalter mes

sentiments (préférant le sexe à la dépendance romantique et à

son corollaire, la jalousie), courir les plaisirs, accepter le

vouloir vivre comme le plaisir dionysiaque, l’oubli de soi

jusque dans la frénésie, l’exacerbation des sens et de la

sexualité, l’Éros, non comme sens à la vie, mais comme la

libération de la morale judéo-chrétienne, et ce jusqu’à

l’ivresse des Centaures, qui violaient habilement les Lois de la

Nature dans une urgence de vivre et de désirer (jusqu’à en

souffrir) où, lorsque dans l’excès, le plaisir devient

souffrance, et que derrière les sens se profile le vide,

l’alchimie entre la bête et le surhumain, comme tu aimais à le

dire, mon cher ami Nietzsche. Je me souviens qu’après un bon

dîner aux chandelles nous descendions dans ce club, ma petite

amie et moi-même, pour aller danser. Là, les premiers corps à

corps s’amorçaient : les caresses, les frottements et le toucher,

sur des rythmes « endiablés » (car voilà, je n’étais qu’un curé

défroqué). Entre deux verres de champagne, le temps d’un

repas bien mérité, l’accord des couples, des deux parties se

reformait, d’hommes à femmes ou de femmes à femmes,

jusqu’à se conduire dans les chambres à coucher ou sur les

canapés. Là encore les premiers baisers, les caresses

renouvelées, les jeux de langues jusqu’entre les fessiers, puis,

autour de soi, les autres couples jouisseurs, les voyeurs

patentés. Échangistes, mélangistes et autres mateurs enfoncés

dans la pénombre, réunis pour mieux s’encanailler jusqu’à ce

que la baise commence, ou recommence, après s’être une

Page 41: Les Créateurs Célestes Master

41

nouvelle fois échangés. Tout cela éveillait ma curiosité.

Hédoniste, le créateur céleste savait aussi se mouiller, et ce

n’est pas Aristippe qui m’aurait contrarié, même si je risquais

dans la nouvelle Rome de m’attirer les foudres de puritains

comme Jean Calvin : « Vie laborieuse et chasteté ! »

Dans ces moments d’ivresse, le créateur céleste était un

danseur : il lâchait prise, se jetait et ne mentait point, car sinon

il tombait. Ce qui lui importait, c’était de ressentir ce que les

autres pouvaient éprouver. S’il était le Christ, il en

accepterait, comme Socrate, la souffrance, jusqu’à la mort.

Toujours dans le devenir, il aimerait citer Héraclite (comme

l’initiateur de tout mouvement) : « On ne se baigne jamais

deux fois dans le même fleuve. »

Lorsqu’il se fait anthropologue, pour mieux comprendre

son monde contemporain, il préfère saisir les Traditions et les

us et coutumes de ses compagnons, et cela au sein de sa

communauté. Il rejoint ainsi leur subjectivité, et est plus à

même d’accepter, par leur compréhension, leurs différences.

C’est ainsi qu’il parle de la vie, en partant de l’expérience

quotidienne pour mieux la transcender, d’où son naturel

décomplexé.

Mais voilà, à notre Banquet, nous n’avions pu convier que

quelques femmes célèbres depuis l’aube de l’Humanité. Il

n’était donc pas question de bander. Cependant, pourquoi

étaient-elles si rares dans le milieu de la pensée ? Les

créateurs célestes les avaient-ils condamnées à être les faire-

valoir de leur incrédulité ?

Seul pour lui la simplicité permettait de comprendre la

complexité de(s) monde(s). Sans compromission, les créateurs

célestes avaient bien compris Pindare : « Deviens ce que tu

es ! »

Mais voilà, qu’étaient-ils, tous ces penseurs qui firent de

leur originalité l’Histoire de notre Humanité ?

Page 42: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

42

Chapitre XIV

La réalité nous est souvent insupportable : mais nullement

pour l’Antéchrist. Esprit libre, le créateur céleste est le plus

éloigné du centre. Sa vie, il la conduit aux extrêmes, ce qui ne

laisse pas de faire peur, car voilà, la peur est la chose la plus

commune aux braves gens. Les créateurs célestes conjurent le

sort : chaque jour, ils défient la mort. Nul ne sait s’ils sont

plus proches du Diable que de Dieu. Mais, en cela, tout n’est

qu’une question de Croyances. À lui l’être, aux autres l’Avoir,

comme disait Simone de Beauvoir. Leurs pouvoirs

diaboliques, ils les puisent dans l’Éros, car « l’existence

précède l’essence » le sexe n’est pour eux qu’1 acte de

volonté. Une forme de délinquance contre l’oppression et en

réaction à la misère physique, sociale ou morale de notre

Humanité. En quelque sorte, un acte militant. Et puis tout cela

finira par mourir un jour. Alors continuons à vivre la fête des

fous. À l’assemblée des femmes, Aristophane leur donne le

pouvoir. Plus de société patriarcale. Mais les femmes

jouissent toujours de leurs armes.

— Tant d’hommes imbéciles se sont fait tuer pour nous, me

rappelait Christine de Pisan, et même des chevaliers des plus

estimables.

Sauf que la femme n’a pu se résoudre à être un ange

créateur. C’est peut-être pour cela qu’elle se dissimule,

invisible, dans l’Histoire de la Pensée. Peu de femmes sont

des saintes : je n’en retiendrai qu’une, celle d’Avila, la sœur

Thérèse, mais rare sont les gens à atteindre ce périlleux

chemin qui fait du Mysticisme un territoire de spiritualité.

Bien que celle-ci affirmait :

— L’Amour est ma délivrance. Aime, aime, aime de tout ton

cœur, et autrui t’aimera. Aimer, c’est espérer. Depuis

toujours, les hommes ont eu besoin d’Amour. Pour tous ceux

qui tendent leurs mains, l’amour est leur Salut. Aimer, c’est

fonder une espérance. Que peut-on contre l’Amour ? Contre

l’amour, on ne peut rien, et cela explique notre saint sacrifice,

et qu’à l’enfer, femme, je préfère le paradis. Un monde sans

amour est un monde de prostitution.

Page 43: Les Créateurs Célestes Master

43

Et elle avait bien raison, jusqu’à mon époque, où se

généralisait une génération de jeunes hommes et de jeunes

femmes sans repères, paumés, seuls, désœuvrés, qui ne

savaient que faire : abandonnés de tout foyer, de ce feu

ancestral, issus de familles recomposées qui les délaissaient à

leurs propres responsabilités, qu’ils ne savaient pas assumer.

De quel monde sera fait ce lendemain ? Je m’inquiétai : une

génération de SDF, d’oisifs, d’assistés, ou de cœurs rebelles

prêts à tout faire sauter ? Comprenne dès lors qu’en d’autres

sociétés plus asexuées le Terrorisme soit perçu comme un

vent de liberté.

— Il ne suffisait pour cela que de s’engager, me dit à l’oreille

Oussama ben Laden. Comme toi, lorsque j’étais jeune, j’étais

un idéaliste passionné.

Si le monde n’est qu’illusion, quelle chute, quelle

désillusion fait basculer la vie d’hommes et de femmes dans

la voie du Terrorisme ? Quitter le monde, se suicider, mais en

beauté : une explosion suivie d’un éclat de cruauté. Une lutte

armée, un bref moment de lucidité sur la compréhension

d’un monde désordonné. Puis le silence dans les nuées.

Et Oussama d’ajouter :

— Je n’étais pas né comme toi, mais je t’aimais.

Telle était sa façon de rejoindre notre communauté. Esprits

célestes, terre de liberté, nomade marginalisés.

— J’EMMERDE LES U.S.A.

N’était-ce pas là une autre façon de lutter au sein d’un

empire déshumanisé ? À qui, et pour qui, le pouvoir : dans la

volonté de désacraliser et de profaner l’indifférence de tous

ces nantis qui vivaient de la misère et de la pauvreté d’Autrui,

de tous les peuples martyrisés, acculturés ou humiliés par ces

colons si fortement armés ?

Alors voilà, préférer encore la mort à l’indignité. Mais à

cela les marchands ne faisaient que plus d’argent. Fort

heureusement, le monde ne peut être maîtrisé.

Les créateurs célestes étaient là pour le prouver. Il n’en

suffisait que d’un pour que les gens voient enfin toutes les

possibilités de (r)évolutionner leur quotidienneté. Tel était le

don de ces aventurier : caméléons métamorphosés. À l’heure

de la décadence de l’empire américain, tel un Alcibiade, les

créateurs célestes savaient encore rire et se moquer de toute

leur sacralité. Ils faisaient de leur vie une œuvre d’art, de la

pensée, une pensée incarnée, et c’est en cela que je

continuerai à vous les présenter…

Page 44: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

44

Chapitre XV

…Le créateur céleste ne juge pas, et c’est bien là tout

l’enseignement que reprit Montaigne dans ses Essais, du sage

Pyrrhon la dictée. C’est aussi pour cela qu’il risquait à tout

moment de se fourvoyer, avec des délinquants et tant d’autres

marginaux, car il essayait d’en comprendre leur humanité. Et

c’est bien fort de toutes ses expériences qu’il savait

reconnaître les arrivistes, les opportunistes, les irresponsables,

les délictueux, les sophistes, les démagogues, les avocats, des

inculpés ; car le créateur céleste avait appris d’un grand art,

aujourd’hui désuet, à survivre dans le désintérêt. Ambitieux, il

ne l’était qu’avec l’ambitieux, fort avec le fort, faible avec le

déshérité, virulent avec l’obscénité, indulgent avec

l’imbécillité.

Les créateurs célestes aiment à faire de leur vie une

expérimentation. Leur seul et unique but était de comprendre

l’âme humaine et ses mystères. Il en allait de même de leur

comportement, qui n’était que le résultat d’une analyse du

comportement de leurs contemporains. Ils savaient être

aimables avec les gens aimables, insolents avec les gens

violents, cyniques avec les puissants, immoraux avec les

aristocrates de leur rang, et que sais-je encore. Pourtant eux

qui essayaient de comprendre Autrui n’étaient pas compris

des autres, d’où leurs tourments. Ils préféraient donc

l’ailleurs, dans leurs propres voyages intérieurs, et s’avéraient

être souvent fuyants : par peur ? Ou peut-être pour éviter trop

Page 45: Les Créateurs Célestes Master

45

de malheurs. Ils étaient au fond des poètes errants. On a

souvent remarqué que ce qui était fiction pour les uns était

réalité pour les autres. C’est peut-être pour cela que les

hommes et les femmes les plus sceptiques ignorent ou nient

l’existence des créateurs célestes : ils n’y croient tout

simplement pas. À l’impossible l’Homme est tenu, mais voilà,

à côtoyer les anges, même déchus, le commun des mortels

préfère la retenue. Il est parfois avantageux de ne pas Croire,

surtout lorsqu’il s’agit de la Destinée ou du Hasard. Les

créateurs célestes ont pourtant gravé leur nom dans l’Histoire,

et leur intuition de grandeur était une prédétermination. Ils ont

fait le choix, ou peut-être pas ? d’une vie faite de sacrifices

pour comprendre l’Humanité : prophète, mystique, poète,

scientifique, philosophe ou politique, etc. Je vous avais cité

certain des plus célèbres, mais combien nombreux étaient-ils

par leur conscience universelle ! Frères ou sœurs, ils avaient

su, à travers les âges, à travers les Temps, communiquer en

télépathes. Celui qui mourait redonnait vie à celui qui naissait.

Ce don, mon ami Platon vous l’a très bien expliqué. Je ne

vous révélerai donc pas plus sur celui-là, et je me tairai.

Les créateurs célestes n’attendaient rien de personne et

encore moins de la cité : ils ne votaient pas, car ils ne

connaissaient aucunes lois que celles qu’ils s’imposaient à

eux-mêmes. Ils préféraient inventer et savaient plus que

d’autres s’adapter, et faire de leur destin une destinée. Le

créateur céleste était pour tout dire indéterminé. S’il

cheminait, d’un pas lent ou rapide, c’était pour mieux frôler la

mort : homme libre, son issue était incertaine et imprévisible,

car il demeurait ouvert à tous les possibles. Les créateurs

célestes font face même à l’infortune ou au sentiment de

l’Absurde (ce que Sartre confirmait).

Pour quelle raison pensaient-ils la vie ? Je vous

répondrais : pour en conjurer le sort. Il s’agissait de s’en

sortir, mais de quoi ? De la misère ? De la banalité ? De la

solitude ? De l’exclusion ? De la fragilité ? Mais la réponse

était universelle, et seul lui se la posait. Quel SENS donner à

sa vie ? Entre solitude et conformité, anticonformisme et

amitié, le créateur céleste était un homme de science,

nullement par passion ou par vocation, mais par nécessité.

Son expérimentation, qui faisait de lui un caméléon, il

l’accomplissait comme une Mission. Peu importent les

logiques, la sagesse ou la raison, qui, par calcul, font de vous

un carriériste : les créateurs célestes étaient quant à eux des

héros qui connaissaient tous les risques, et pour lesquels la

question que faire ? ne s’imposait pas, puisqu’ils ne faisaient

que ce qui leur plaisait. Plaire, c’était peut-être là au fond ce

qu’ils auraient aimés faire. Mais alors pourquoi tant de

sacrifices, puisque les créateurs célestes préféraient l’ombre à

la lumière ? C’est peut-être pour cela qu’ils étaient

éternellement insatisfaits et maladivement perfectionnistes

Page 46: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

46

(jusqu’à en mourir). Mais que représentait la mort pour eux,

dans une société qui les avait toujours stigmatisés comme des

condamnés. Pour vivre comme un créateur céleste, il fallait

savoir être fort : ne pas se laisser emporter par les bonnes,

comme par les mauvaises influences. Ce qui faisait du

créateur céleste un homme indifférent aux critiques d’autrui,

car toujours dominant et tolérant face à la diversité des

opinions du monde, avec lesquelles il aimait entretenir une

réelle et sincère convivialité.

Mais voilà, il était temps de revenir à notre Banquet, où

s’animaient les pensées en un combat fictif des idéologies

pugilistiques, jusqu’à plus soif, dans1 sincère convivialité.

Car j’aimais à retrouver la compagnie de mes frères et de mes

sœurs célestes : sir Edward Burnett Tylor, Baruch Spinoza,

Vardhamana, Siddharta, Socrate, Confucius, Mencius, Zhou

Dunyi, Homère, Hésiode, Apollonius de Tyane, Flavius

Claudi, Aménophis IV, Manès, Moïse, David, Jésus, dit le

Christ, saint Pierre, Luther, Jean Calvin, Mahomet, dit le

Prophète, Abaris, Pythagore, Plotin, Al-Ghazali, sainte

Thérèse d’Avila, Thomas Henry Huxley, Georges Cuvier,

Charles Darwin, Galilée, Johannes Kepler, Isaac Newton,

Albert Einstein, Max Planck, Niels Bohr, Pyrrhon d’Élis,

Ænésidème, Friedrich Nietzsche, Max Stirner, Aristippe de

Cyrène, Roscelin de Compiègne, Charles Sanders Peirce,

Antisthène, Diogène de Sinope, Parménide, Zénon de Citium,

Épicure, Lucrèce, John Locke, David Hume, Alfred North

Whitehead, Bertrand Arthur William Russel, John Duns Scot,

Démocrite, Pierre Henri Dietrich d’Holbach, Diderot, Soren

Kierkegaard, Jean-Paul Sartre, Platon, Johannes Fichte,

George Berkeley, René Descartes, Voltaire, Pétrarque, Didier

Érasme, François Rabelais, Antiochus d’Ascalon, Victor

Cousin, Henry David Thoreau, Frantz Fanon, Henri Lefebvre,

Pierre Joseph Proudhon, Michel Bakounine, Louise Michel,

Jules Guesde, Jean Jaurès, Gandhi, Oussama ben Laden,

Gracchus Babeuf, Aristophane, pour son Assemblée des

femmes, Christine de Pisan, Simone de Beauvoir, saint

François d’Assise, saint Thomas More, Robert Owen, Étienne

Cabet, Condorcet, Jules Ferry, Montesquieu, Alexis de

Tocqueville, Sophocle et son Antigone, John Maynard

Keynes, lord William Beveridge, Friedrich List, Adam Smith,

Friedrich von Hayek, Milton Friedman, Max Weber, mon ami

Karl Marx, Engels et Lénine, et tous ces penseurs aux

positions si divergentes.

Page 47: Les Créateurs Célestes Master

47

Pour tout vous dire, il me fut très difficile d’organiser ce

Banquet, pour des femmes et des hommes de conditions si

différentes.

De quoi parlerions-nous ? Que mangerions-nous ? Des

nourritures spirituelles ? Et puis il y avait ceux qui aimaient à

s’enivrer, à boire, à fumer, à roter, à péter, à injurier, à

critiquer, à s’opposer ou à se taire, voire à communier. Tout

cela dans un Chaos indescriptible, qui, dans un ciel gris et

pluvieux, se dispersait pour laisser entrevoir cet arc-en-ciel de

la pensée humaine dont mon ami Laozi s’irradiait.

Parallèlement à ce Banquet, il s’agissait pour moi de

continuer à vous décrire la vie si singulière de ces êtres que

l’on nommé « créateurs célestes ».

Page 48: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

48

Chapitre XVI

Les créateurs célestes avaient tous pour idée que toute

pensée énoncée se transformerait un jour consciemment pour

eux-mêmes, ou inconsciemment pour les ignorants, en acte. Je

me retrouvais là, Centaure en habit de Chiron. La scène de ce

Banquet était hypnotique (pardon au docteur Freud pour son

absence), mais les créateurs célestes m’avaient demandé

d’écrire ce rôle comme un testament à leur pensée : une

thérapie de groupe, mieux qu’aurait pu le faire l’Humanité

tout entière. C’était à mon tour de relayer ce que j’avais

réalisé par mon Livre de la connaissance et mon Encyclopédie

cognitive. Tout cela au fond n’était que le fruit d’un combat

dont j’avais essayé de dessiner les contours, par un

comportement idéal type : faire face la garde haute, rendre

coup pour coup, tout en les refusant, d’effort en effort me

mobiliser, me battre et me défendre pour mieux, par la

révolte, militer. Anticiper les réflexions de mes adversaires

pour mieux les désarçonner. Je m’apprêtais à boxer comme je

vivais, non plus à reculons, démobilisé, mais surmontant mes

peurs des mauvaises interprétations qui prêtaient plus à rire

qu’à pleurer. Je devais être fort, avoir de l’autorité, être ferme,

déterminé, volontaire, sans me laisser faire ; argumenter, oser,

être direct, agressif, manifester ma puissance : ne pas

renoncer !

Page 49: Les Créateurs Célestes Master

49

Le point commun de tous ces créateurs célestes, c’est

qu’ils disaient la bonne aventure : ils étaient dans le temps,

hors du temps, et dominaient l’avenir, ce qui était une

aventure hasardeuse, sans dessein, sans objectif fixé (ce que

ne démentait pas mon ami Marx : « il faut savoir tenir un cap,

un objectif, une destinée »). Mais je crois que pour lui,

l’aventure s’était arrêtée à sa première déception amoureuse,

ce qui dû le sauver de ses dérives, pour mieux manipuler la

classe ouvrière. Et puis, après tout, eudémoniste, je

recherchais mon bonheur dans un « vivons heureux, vivons

caché ». Entre Tradition et Modernité, les points de vue

s’opposaient. Que nous restait-il à espérer, si ce n’étaient nos

écrits, nos pensées et un certain espoir de simple

convivialité ? Il fallait à nouveau nous exiler après ce

Banquet, car voilà, les créateurs célestes étaient toujours sur le

départ, sans autre chose à emporter que leur Liberté !

J’aimais à marquer les esprits. Au fond, c’est là mon seul

moyen de survivre à travers la mémoire d’Autrui. Savoir qu’à

des milliers de kilomètres et dans des temps futurs on pensera

à moi me rassurait. Il était l’heure pour moi de rendre grâce à

ma famille adoptive, au dévouement paternel, au quotidien de

son labeur, pour l’être unique que j’étais, qui représentait à lui

seul sa raison d’être. Cet enfant-roi mourra-t-il un jour en

prince souverain ? Je l’espérais, et je me souviens de mon ami

saoudien, le prince Saoud ben Yazeed, que je rejoindrai après

ma mort au paradis des réconforts.

Le créateur céleste pouvait, à la vue de ce monde, se réfugier

dans ses rêves de Grandeur et ne faire que critiquer cette vie

des braves gens et leur banale quotidienneté. Mais voilà, il ne

vit point dans le ressentiment. Il accepte sa condition, et ce

n’est pas mon ami Nietzsche qui le démentirait. Donc nulle

amertume envers ce monde de médiocrité, mais de la

complaisance vis-à-vis de la trivialité pour un homme par trop

souvent révolté. Tels sont les aléas de la vie d’un créateur

céleste : à lui et à lui seul de former son réseau de solidarité,

où la passion commune réunit les êtres d’exception, même si

leur origines auraient dû les séparer !

Hegel me disait toujours que l’esprit se déploie dans une

dialectique. Et il est vrai que, plus jeune, je compris que le

premier moment de la dialectique était l’innocence, voire

l’ignorance, puis, d’échec en échec, de victime à bourreau,

une seconde phase nous imposait d’apprendre ce que l’on

ignorait, à savoir les structures des sociétés et leur

fonctionnement hiérarchisé : une certaine forme d’entrisme

pour atteindre l’ultime moment où la synthèse dialectique

conduit à la maîtrise d’un savoir universel m’exaltait. Moi qui

vous écris depuis maintenant un certain moment, je me

demande, si vous êtes jusque-là arrivés à me lire, ce que vous

en pensez. Ce roman, que je qualifierais de « philosophique »,

est, je le sais, fort atypique : un seul héros, le créateur céleste,

Page 50: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

50

et sa voix pour tout maux. Quelques rencontres de ses sœurs

ou de ses frères, des descriptions de vies ou de morts sans

ordre, et avec peut-être beaucoup trop de mots, pour ne rien

dire. Or telle n’a pas été ma démarche, bien au contraire.

J’aurais voulu vous conter une belle histoire, mais, voilà, les

créateurs célestes ne le peuvent point. Ils s’en savent

incapables, car seul leur importe le fond des choses. Tel est là

peut-être mon positionnement ; tout comme Montaigne et sa «

branloire pérenne », je branle entre la littérature et la

philosophie, telles qu’on les enseigne. Mais voilà, que peut-on

faire contre notre nature, vous qui ne me connaissez pas, et

moi de même ? C’est pourtant à vous que ce livre s’adresse.

Vous qui m’aviez peut-être incompris, ou mal compris, mais

la seule chose que je puis vous affirmer, c’est que je ne vous

ai jamais menti ou trahi !

On ne critique que ce qui profondément nous attire : la

sexualité débridé des libertins, la vie confortable des

bourgeois (même bohémiens), l’argent gagné trop facilement

par les spéculateurs, les mensonges des marketeurs ou des

décideurs et des journalistes-présentateurs. Un monde de

médiocrité dont on aimerait être les acteurs. Mais les créateurs

célestes sont des gens trop exigeants, et leurs écrits comme

leur pensée sont inestimables. Ce caractère unique fait d’eux

des gens atypiques, voir hautains, pour tout téléspectateur

sans destin. C’est alors que je dis : halte à l’Audimat !

Mais tout s’explique peut-être dès leur enfance : de leurs

rapports familiaux ou filiaux, d’une mère trop intransigeante,

d’un père trop exigeant, des querelles d’héritage, de la

violence d’un couple prêt à divorcer, d’un abandon, et qui sait

encore ce que cachent les secrets intimes de leur humanité ?

D’où peut-être, après le rejet d’une famille, le rejet d’une

certaine société inégalitaire. Mais voilà, que faire ? Après

l’enfance, l’adolescence est souvent une période de perte de

repères, où la déprime se fait suicidaire. Le créateur céleste

est au fond resté un enfant, curieux de tout, curieux du monde,

en pleine découverte. Trop materné, la plénitude de sa pensée

s’exprime par son intériorité : sa tour d’ivoire reste encore

celle du ventre maternel. C’est peut-être de là que sont nées

ses peurs et ses angoisses, abandonné qu’il était à un univers

qu’il ne savait pas encore décrypter. L’apprentissage du

monde, de sa brutalité, il le fit avec des boxeurs comme

Turney, contre la force brutale et paternelle d’un Jack

Dempsey. Le créateur céleste écrit avec sa vie et avec son

corps : tel est son génie, exploitable, mais trop souvent

inexploité. Les multinationales pourront bien agir, mais que

faire contre une page blanche et un stylo ? Le créateur céleste

est sans pitié, lui qui n’a jamais ressenti aucune moralité.

Cœur chaud au sang froid, s’il aime, c’est pour le pire, et non

Page 51: Les Créateurs Célestes Master

51

pour le meilleur. Sa force, il la puise dans la persuasion. Il

manipule par la séduction. Le créateur céleste est un être

déraisonnable, qui n’a nullement peur du scandale, si redouté

des bourgeois de province. Ce que les gens disent de lui

l’importe peu : immoral, il se rit des bonnes mœurs comme

des morales. Aux études universitaires, le créateur céleste

préfère l’école buissonière ; c’est-à-dire celle de la vie. À

vingt ans, il était déjà aux faits des vanités humaines : du

pouvoir de l’argent, des hommes de paille, du blanchiment

des mafias et des multinationales, des hommes d’affaires

(financiers ou banquiers), des institutions internationales dont

il avait su décrypter les usines à gaz. Son seul but : «

connaître », au risque d’être emprisonné. Mais, voilà, le savoir

est un risque, et le créateur céleste est un homme infiltré.

Raconter le monde, pour lui, c’est déjà commencer à le

recréer. Espion, il ne l’est vraiment que pour mieux faire

comprendre le monde aux non-initiés. Poursuivons donc notre

description…

Page 52: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre XVII

…Le créateur céleste est un homme affranchi de sa

condition d’esclave. Sa vie n’est faite que d’une suite de

voyages dans des univers sociaux divergents. Il représente aux

yeux d’autrui cet émerveillement que l’on porte à celui qui a

su franchir les barrières ou les frontières des limites imposées

aux hommes de pensée. Seul face à l’adversité. Entre

rationalisation et intuition, entre la réflexion et

l’expérimentation, les créateurs célestes vont et viennent. Leur

vie n’est pas comptable : ils ne calculent pas. Seule leur

importe la compréhension. Ce qui ne les laisse pas de vivre

dans une certaine inquiétude. Mais ce qu’ils aiment avant tout,

c’est de faire à partir de leur ignorance et de leurs lacunes un

travail sur eux-mêmes de réorientation. Le créateur céleste

apprend de tout et de n’importe qui. Si vous le rencontrez un

jour, ne soyez pas surpris qu’il vienne à vous, souriant, pour

vous demander indirectement votre avis sur votre vision du

monde et d’autrui. Tel Socrate, il sait aiguiller une

conversation. S’il est volontiers cultivé, il ne vous le montrera

pas, car telle n’est pas sa finalité, à court terme. Son objectif

est à plus long terme : la célébrité pour moyen, la postérité

pour fin. Et, comme Machiavel, il saura utiliser tous les

moyens pour arriver à ses fins, qui seules peuvent transcender

la vie de tout homme mortel. Si le monde peut se montrer

cruel, il l’affronte seul et y fait face : la peur, il la laisse au

renoncement, à la lâcheté des petites gens qui suivent les Lois

Page 53: Les Créateurs Célestes Master

53

comme d’autres suivent le vedettariat. Le créateur céleste

n’est pas un imitateur, mais un acteur : il se joue de la vie

comme de la mort. Ni exploiteurs ni imposteurs, les créateurs

célestes ne trichent pas comme le font leurs imitateurs. Cet

homme séducteur ne l’est qu’à ses dépens : car tout jugement

sur lui est bien souvent une erreur. Ce qui fascine les gens,

c’est avant tout leur propre candeur. Il est réellement bien

difficile de saisir ce genre d’homme errant. De sa sympathie,

il fait volontiers des sympathisants. De leurs défauts, il fait

leurs qualités. Et si le monde se transforme, le créateur

céleste, de chrysalide, sait se métamorphoser en un papillon

dont les battements d’ailes déclenchent des cyclones à l’autre

bout du monde. Si sa vie est chaotique, c’est que l’Univers est

un Chaos, duquel il s’affaire à décrypter les mystères. Ce qui

faisait débat au Banquet des adversaires nobiliaires (entre

Einstein et Max Planck). Einstein parlait ainsi :

— Ce que nous attendons de la science nous situe maintenant

aux antipodes l’un de l’autre. Vous, vous croyez en un Dieu

qui joue aux dés, et moi, je crois aux règles parfaites de la loi

dans un univers où il existe quelque chose d’objectif que je

m’efforce de saisir d’une façon farouchement spéculative.

Mais voilà, ce qu’ils oubliaient tout deux, c’était la

réplique cinglante de Centaures : « de l’un et de l’autre, je

n’aperçois que croyances ». Et de là, il clôturait le débat.

Einstein se leva avant même de finir son dessert. Heureux

Banquet pour Max Planck, qui, pour une fois, entrevoyait une

autre façon d’expliquer l’Univers à la lumière de

l’Indéterminisme.

Les créateurs célestes font souvent école, mais ne leur

parlez pas d’enseignement. Tous les programmes scolaires

sont à leurs yeux insuffisants pour faire des hommes et des

femmes de bons citoyens. Ce qui, selon le créateur céleste, est

une volonté du pouvoir public. C’est en cela qu’il lui fallait

prendre des chemins de traverse. S’intéresser à tout et à

chacun ; questionner, s’informer, lire et se former,

expérimenter. C’est ce qui donnait au créateur céleste une

telle densité et tant d’illusions à des projets d’émancipation,

ayant droit de cité. Il était donc rejeté des gouvernants, exclu,

marginalisé, car pour eux le savoir devait être une contrainte,

et non un plaisir. « C’est qu’il leur fallait travailler plus pour

gagner plus. » Mais voilà, il serait vain de tenter d’affaiblir,

d’emprisonner, de faire souffrir les créateurs célestes, car, de

toute épreuve, ils savent en faire un gain. Ils sont pure volonté

de puissance, en eux-mêmes, lorsqu’ils se replient pour

méditer, envers autrui, lorsqu’il s’agit de l’affronter. Tels des

fauves, ils savent bondir et rugir : de vrais tigres sauvages.

Mais voilà, regardez ce qu’ont fait les hommes de la Nature

sauvage : ils l’ont mise en cage. Ce qui faisait des créateurs

célestes des fous, des malades de la psyché, condamnés à

l’isolement psychiatrique. Ce qui leur était indifférent, car les

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Les Créateurs Célestes

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créateurs célestes étaient sans états d’âme. Mais peut-on le

leur reprocher, lorsque l’on vit l’âpreté et la dureté d’un

monde auquel on se doit de se confronter ? Leur Parole

comme leurs maux étaient révélateurs des maux de la société :

la réification, qui fait d’autrui un simple objet, ne pouvait les

résoudre à y participer. Préférer mourir en Surhomme que

vivre dans l’indignité. Ils auraient pu se jouer des mots,

comme d’un combat de rappeurs dans des banlieues

désœuvrées : les créateurs célestes demeuraient des hommes

révoltés, et c’est cela qui les faisait respecter. Tout comme

Martin Luther, ils étaient les « Kings » de rêves envolés. Mais

aussi les délinquants des actes qu’ils assumaient. Ouvrier avec

les ouvriers, SDF avec les sans-logis, seigneur avec la haute

pété. Le créateur céleste avait appris, au contact des hommes,

à être un homme prudent, paradoxalement. À qui avait-il

affaire ? Pour quoi faire ? Pour quelle finalité ? Tout comme

son savoir, il savait, en effet, par effet de levier, influencer et

manipuler. À la fois ange et démon, mi-homme, mi-cheval,

comme un Centaure entre l’ivresse et les soins de Chiron, il se

différenciait par ses opinions, qui, comme d’un sage, faisaient

de lui un conseiller recherché par les gouvernants confrontés,

au jour le jour, à la confusion de leur cité. Mais voilà, tels sont

les hommes savants qu’ils sont indifférents aux réactions des

hauts dignitaires.

Les créateurs célestes n’étaient pas des sophistes, ils ne

faisaient pas de leur art de persuasion une rhétorique : leur

seul génie, ils le puisaient dans la violence de l’évidence. Un

ami de bonne fortune, le baron Pierre Henri Dietrich

d’Holbach, ami des Lumières, aimait à leur raconter cette

anecdote :

— Cette femme ne vous aimerait pas si vous étiez pauvre.

— Et alors, croyez-vous que je l’aimerais si elle était laide ?

Après tout, ce que l’on subit, on le fait subir à Autrui. C’est

ainsi que beaucoup d’hommes désillusionnés par la trahison

d’un amour décidaient de ne plus aimer et de s’en remettre au

pur plaisir de l’attractivité. Le sexe aurait pu être un réel

problème pour nombre de créateurs célestes, mais les plus

raisonnables voyaient dans le sexe une façon enivrante de se

libérer de l’Amour, c’est-à-dire de la Propriété d’un individu

sur un autre, qui confine aux pires des maux : la jalousie. Tel

était peut-être le cas pour l’amitié : peu de créateurs célestes y

croyaient, ou pour le temps d’une brève salubrité, car ils

avaient pu, au cours de leur vie, s’être eux-mêmes fourvoyés.

Car, voilà, on n’utilise pas impunément les autres. Comment

avait-on pu croire que quelqu’un qui les contraignait à abuser

d’autrui, les délaissant aux pires compromissions, était un

ami, un frère, une famille ? Cette illusion, le créateur céleste

préférait la rejeter, car il se savait faible au regard de son

Page 55: Les Créateurs Célestes Master

55

affectivité. Il y perdait sa lucidité. Il ne s’agissait plus donc

que de laisser les traîtres à leur traîtrise. Mentir était au fond

toujours se mentir à soi-même. La parole pure est une

délivrance, car il savait que seule la justice était immanente.

Le créateur céleste n’était pas un bien-pensant, mais, s’il

était conduit à rencontrer des délinquants, il savait que ces

malfaiteurs, ces escrocs, aussi intelligents étaient-ils,

connaîtraient leur propre souffrance. On ne peut éperdument

s’attaquer aux faibles, et les créateurs célestes, tels des

samouraïs, avaient appris à être des hommes ou des femmes

d’une grande dureté. S’ils savaient pardonner, ils préféraient

l’oubli, car seul leurs importait la connaissance, que leurs

malheurs avaient su conserver. Les salauds, les traîtres et les

judas savaient très bien que leur plaisir actuel s’achèverait au

bûcher. Mais le créateur céleste ne voulait pas les accabler,

car il était toujours impressionné par ce genre de marginalité.

Prendre conscience de la vilenie de la Nature Humaine était,

au plus profond, la découverte de sa capacité propre à la

Barbarie. Nul ne doit manger la main de celui qui le nourrit.

J’en rends encore hommage à son altesse, mon ami, mon

frère, le prince Al-Saoud. Le créateur céleste était pour lui un

légionnaire, et non un mercenaire. Tout comme le légionnaire,

le créateur céleste était un homme sans passé, sans nom, sans

paraître ni avoir : tout cela, il le laissait à la société des ses

contemporains. Mais peut-être était-ce la voie des derniers

guerriers samouraïs. Survivre là où les autres n’aspiraient

qu’au plaisir : un regard habité par la mort, mais délivré par la

fraternité de leur famille, qui ne les laissait pas périr sous le

feu du combat. Persévérants, déterminés, ils savaient tous que

la route serait longue, mais la gloire faite de beauté. Nul

besoin de noms, ils savaient se reconnaître entre eux et

sympathiser : l’empathie faisait de leur conscience une

conscience universelle, comme animée de télépathie, en

éternelle communication aux quatre coins de l’Univers. Leur

harcèlement prouvait qu’ils ne renonçaient jamais, car c’était

dans l’acier qu’ils avaient été moulés, jusqu’à s’en faire

condamner. Conquérir, combattre, vaincre, tout cela n’était

qu’une victoire sur eux-mêmes, et une vengeance contre le

mépris de la cité. Le créateur céleste pouvait se laisser aller,

car ses bagages n’étaient pas lourds : à la trentaine, il était

déjà sûr de sa Postérité, sans pourtant s’être fixé d’autres

objectifs, comme aurait pu le faire la rationalité d’un

carriériste. Le créateur céleste se jouait des structures de la

société, y compris de la célébrité, à son seul profit, pour faire

de son Destin une Destinée. Il se méfiait des idées trop

souvent utilisées pour conditionner les comportements de ses

contemporains, et, s’il faisait de la politique, ce n’était que par

l’engagement d’un être révolté. S’ils aimaient à se livrer à la

critique de leur contemporanéité, les créateurs célestes le

faisaient avec brio et éclat, car ils restaient trop souvent

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Les Créateurs Célestes

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incompris des foules, fascinées par des hommes si étranges et

étrangers à eux-mêmes. Sans famille autre que la leur, sans

profession, sans enfant, éloignés de toute vie normale, les

créateurs célestes fascinaient, car ils représentaient tous les

rêves de ces masses qui n’avaient su, à elles seules, voir le

monde, le comprendre pour mieux s’en émanciper. Lénine

lui-même disait qu’il n’avait aucun attachement au pouvoir,

mais que c’était le pouvoir qui l’avait menotté. Alors,

pourquoi tant de morts ? Les créateurs célestes, à vrai dire, se

foutaient de leur responsabilité. Seule comptait leur liberté,

mais celle-là avait un prix si cher, celui de la solitude et de

l’isolement, que, par leurs discours ou leurs écrits, tous

attendaient l’heure de la revanche, la fin du rejet et de

l’exclusion. Tel était peut-être là, leur Devoir ou leur

Mission : mais à cela, ils n’apportaient crédit ni au hasard ni à

leur destinée. Car la route est longue, mais la gloire faite de

beauté.

— Vous n’avez pas voulu de moi, disait Marx, rassurez-vous,

je ne veux pas de vous !

C’était là un capital de sympathie. Entre contre-pouvoir et

insouciance, le créateur céleste était toujours de la fête des

fous, tel que je vous l’avais expliqué. Au plus haut était pour

lui la chute, car il lui arrivait encore de rêver, rêves d’errance

qui conduisent tout droit à la délinquance. Le créateur céleste

aimait à se travestir, tel le gang des postiches, et se jouer de

multiples identités qui devaient parfois le conduire aux enfers

de l’irresponsabilité. Enfant perdu, abandonné, sans repères, il

suffisait d’analyser son enfance pour mieux comprendre sa

déshérence. Aux feux de la rampe, il se consumait, mais,

voilà, loin de lui de renoncer à ce qu’il était : un sage épris de

compréhension, avide de rendre aux hommes leur liberté. Dur

sacrifice, mais cela ne regardait que lui : telle était sa

Destinée. Il avait commencé par rêver de s’émanciper de sa

condition : il s’était construit une image, cohérente et

rationalisée, puis, longtemps après avoir chuté, il ne restait

plus que lui-même : un exilé. Après tout, nul n’est prophète en

son pays, c’est peut-être pour cela qu’il se refusait à toute

frontière, et séjournait de pays en pays pour mieux

expérimenter. Ce qu’il était : c’était ce qu’il n’était pas. Mais

de tout cela, nous en avons déjà parlé. Nous vivions dans un

monde d’apparences auxquelles le créateur céleste se pliait,

mais tout cela n’était qu’un jeu. Il savait aussi bien faire rire

que pleurer ; sa sympathie le rendait aimable, mais c’est de

l’entrisme qu’il faisait. Il n’aimait pas se prendre au sérieux,

même si ses spectateurs prenaient ses paroles au premier

degré :

— Je n’ai pas peur de moi, disait le Christ, j’ai peur des

autres et de leurs mal-interprétations !

Page 57: Les Créateurs Célestes Master

57

Et il avait bien raison puisqu’il finit sur la Croix. Car la vie

n’est pas un théâtre, ou alors, comme me le disait Artaud, que

j’avais côtoyé à mon hospice, un théâtre de la cruauté.

Le créateur céleste se foutait d’être pris au ridicule par les

honnêtes gens. S’il préférait rire et amuser la galerie, il

n’oubliait jamais que c’était lui l’initiateur et le réel

propriétaire de la pensée. On pouvait l’imiter, mais jamais

l’égaler. C’est en cela qu’on l’apercevait comme distant, car il

l’était de lui-même. C’est qu’il s’agissait d’affronter la vie, lui

le mort-vivant, le vampire, le Satan : la réalité n’admettait que

très rarement ses fantasmes. Il n’était pas aisé de jouer dans la

cour des grands. Le créateur céleste trouvait son réconfort

dans sa quête d’épanouissement (et ce que je vous confie

aujourd’hui est bien le fruit de ce développement). Alors, que

faire ? À ses trente-cinq ans, il ne restait que ses livres, une

plume et un papier au créateur céleste pour exprimer ses

éclaircissements. Je peux vous l’avouer maintenant, comme

tous mes sœurs et mes frères cités plus haut : j’étais aussi de

ces créateurs célestes.

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Chapitre XVIII

Aux dépens des moralistes qui n’a rêvé de la vie d’un

sybarite, dans le fantasme d’une vie facile de rentier. C’est ce

que j’avais essayé de m’évertuer à tenter, c’est-à-dire de

m’improviser agent d’affaires à l’international, au vu de mon

relationnel, avec ce fils de pute qu’avait été Georges (ce

maudit trader avec lequel j’avais cru voir émerger la

possibilité d’1 « Projet équité », à savoir retourner la

spéculation contre elle-même afin d’annihiler le Capitalisme

financier pour faire émerger une société plus équitable), et

profiter de mon influence pour faire jouer mon carnet

d’adresse auprès des princes du Moyen-Orient, que j’avais

connus lors de leur périple pour découvrir un monde

occidental dont je m’étais fait leur guide. Mais, voilà, la vie

n’est pas si facile, et l’argent, qui me faisait parler en millions

de dollar, se réduisait souvent à des cocktails mondains. De

plus, il me fallait me former, car, jeune encore, je faisais face

à des hommes de trente ans mes aînés qui connaissaient déjà

tous les rouages et les usines à gaz de l’économie de marché.

En fait, ce qui me passionnait, c’était cette rencontre, faite de

diversités, avec un monde qui jusqu’alors m’était inconnu.

Moi qui n’avais jamais voté, car j’analysais les pouvoirs de

notre société, non comme une république (res publica : «

chose publique »), mais plutôt comme une oligarchie (le

pouvoir accaparé par un petit nombre de personnes pour leur

profit personnel celui des deux cents familles) et une

ploutocratie (le pouvoir à l’argent), je comprenais qu’il était

temps de me former et de passer de l’ignorance à une plus

grande lucidité. Je devais donc à nouveau m’exiler. Vivre de

nouvelles expériences, comme de nouveaux voyages, pour

mieux être en communion avec moi-même et autrui. Je

retournai donc au Banquet m’enivrer de mots et de belles

paroles. La différence constitue parfois le Sens, et

Page 59: Les Créateurs Célestes Master

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l’ethnologie avait su démontrer que l’absence d’État dans

certaines sociétés primitives n’était pas forcément synonyme

de Barbarie ou d’associabilité. L’Homme dans la Nature, au

rythme de la vie : c’est ce que je découvrais de la vie des

derniers nomades. Le vide du désert comblait ma vie. Ici,

nulle réflexion ou pensées profondes, mais l’être à l’état pur.

Je comprenais mieux maintenant la démarche cénobitique

dont m’avaient entretenu Moïse, Jésus et Mahomet. Les

déserts étaient les derniers lieux fantomatiques. Leur

présence-absence animait la vie des ermites. J’avais encore

beaucoup à apprendre au Banquet de la vie. Laozi, lui, était

reparti dans ses déserts intérieurs, où l’on retrouvait les danses

spontanées des chamanes illettrés. Ce qui est un défaut ici

était une force là-bas. Il suffisait de rester éternellement un

contemplateur, comme celui du Chaos de nos villes, sans la

nécessité de recourir à des modèles ou à des mirages. Le

créateur céleste y ressentait l’âme d’un poète : faire de son

Destin une histoire, de sa vie une Œuvre d’art. Le désert

inspirait tous les transports. Les nomades étaient le peuple, et

j’étais leur roi, car, au fond, lorsque l’on donne le meilleur à

autrui, on peut tout aussi bien lui donner le pire. Le créateur

céleste était un insoumis, un paria, sauf de ceux qui l’avaient

par chance si bien compris. Ils connaissaient ses blessures et

toute sa haine portée à l’égard de la grégarité, qui avait su

l’exclure de sa propre société. Car, pour tout dire, le créateur

céleste était un homme blessé qui ne s’apitoyait pas sur son

sort, et beaucoup l’ignoraient. Mais, voilà, toute sa souffrance

s’évertuait à jouir de la reconnaissance.

Enfin, un peu de répit, il s’agissait de retourner à la table

du Banquet de mes frères et amis : tout du moins de ceux qui

étaient restés insoumis. Le Che vint me consoler :

— Tu sais, toi, le créateur céleste, ce que la vie peut nous

faire endurer. Nous sommes de la même veine. Tout comme

toi, je me sens révolté, et cette révolte occasionna de belles

aventures qui, du fond de mon Argentine, m’avaient fait

constater les pleurs de l’Amérique latine. Ce fut à cette

occasion que je rencontrai mon (fidèle ?) ami Fidel Castro,

afin de tout changer. « Seul, tu ne peux rien, car, par la praxis,

tu te remets à espérer la victoire des ouvriers sur la caste des

bourgeois et des rois usurpateurs », ajoutait Marx ; et je

compris dès lors pourquoi il avait fondé la première

Internationale.

À moi aussi les réjouissances du divertissement

dionysiaque avec, qui sait, au détour, des rencontres

privilégiées. Mon époque était celle de la postmodernité, où

l’individu apprend à se retrouver seul, bien qu’accompagné.

J’étais là, au fond, pour remplir le vide, telle la star d’un «

village people ». Je devais repartir, j’avais un rendez-vous

avec l’incrédulité. Guy Debord m’expliquait :

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Les Créateurs Célestes

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— Tu vis dans une société du spectacle, mais c’est ta vie qui

doit être spectaculaire. Ta médiatisation ne serait que

pathétique, même si je reconnais qu’elle pourrait contribuer à

faire émerger une pensée à un « loser » et, en quelques livres,

une préface à ta Postérité.

— Il me faudrait donc encore souffrir ? lui répondis-je.

— La souffrance, c’est la vie, me dit Bouddha, assis sous un

arbre. Sans ta souffrance, ton exclusion, ta pauvreté, aurais-tu

été si loin dans tes pensées ?

— Certes non, je me serais contenté de con-sommer.

— Tu vois donc bien que la plus grande des richesses : c’est

toi-même, alors continue sur ce pas !

— Attendrai-je comme toi le nirvana, et ce avant de mourir ?

— Peu importe, il te reste, je te rassure, encore toute une vie

à illuminer de tes pensées, de la grâce et de la beauté. La vie

ne vaut d’être vécue à moitié. Le créateur céleste ne peut se

résoudre à la médiocrité. Sinon, quel ennui !

C’est qu’il ne s’agissait pas de rechercher l’originalité pour

l’originalité, mais la terre dévastée par les hommes, devenus

par trop occidentalisés. À l’heure de la mondialisation, le

monde ne s’y reconnaissait plus. Thoreau m’expliqua que

l’écologie était avant tout un art de vivre, et non une simple

idée qu’il fallait rentabiliser. Il me conseilla de repartir à

Walden. J’y devais comprendre ce qu’était la désobéissance

civile. Me fallait-il, après tout, comme Sartre ou Simone de

Beauvoir, m’engager et militer ? Sartre me répondit :

— L’homme est engagé dans l’Absurde : militer pour lui,

c’est être un homme de responsabilité.

C’était encore là me poser la question du Sens à donner à

ma vie ! Mais, voilà, je n’étais qu’un homme de passage, seul,

et cette fois volontairement. Je déclinai donc l’invitation, trop

farouche et attaché à mon indépendance, moi qui avais trop

longtemps espéré de gens qui ne voulaient que par trop se

servir de moi et de mon influence. Mon capital demeurait mon

intériorité. Je décidai donc à nouveau de retourner

m’immerger au sein de l’Humanité, tel un anthropologue de

ma contemporanéité. Je décidai donc de tout oublier pour de

nouveau m’exiler. Le créateur céleste était l’ami des princes,

des rois comme des indigents. Ainsi était-il accueilli partout,

dans une franche convivialité. Se battre ou renoncer. Lutter ou

s’abandonner. J’avais tout essayé. Celui qui essaie d’être plus

qu’il n’est. Celui qui essaie de s’extraire de sa condition. Il

avait eu honte de lui comme de sa condition, il s’en excusait.

Peut-être avait-il de lui donner une image faussée ? Celle d’un

fou, mégalomane, paranoïaque, nymphomane, celle d’un

homme dangereux pour lui-même, comme pour autrui. Les

apparences jouaient contre lui, bien qu’il ne fût jamais un

homme méchant mais un homme malade, malade de son

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histoire comme de la grandeur de sa vie. Mais voilà, le

créateur céleste se foutait de donner une bonne image de lui,

sauf lorsqu’il devait l’utiliser comme moyen pour obtenir ses

fins. Devait-il rentrer dans le droit chemin ou rester à ses

dépens un marginal ? Pour tout dire, rien n’était plus

emmerdant pour lui qu’une vie bien rangée, au risque d’être

rejeté. « C’était un homme louche, je vous assure, disaient les

gens, un homme trouble et obscur. » Mais tous les créateurs

célestes avaient connu ces troubles, puisqu’ils étaient

bipolaires. Ils étaient tous de grands malades. N’est-ce pas,

Hitler ? À la fois perturbé, et donc perturbateur. Il émanait

pourtant de ces créateurs célestes un pouvoir d’attraction : non

pas qu’ils n’aient pas voulu s’intégrer à la société, se

socialiser, vivre une vie rangée, rencontrer le grand amour,

enfanter et travailler, mais curieuse était leur Destinée, qui de

partout les faisaient rejeter. Ils constataient leur éternelle

façon de vivre inadaptée. En quelque sorte, des handicapés :

mais leur handicap était à la fois source de richesse et de

pauvreté. Ils naviguaient dans les extrêmes. Bien au-delà des

nuées. Tout ce qu’ils essayaient par eux-mêmes, ils le rataient.

L’amour était pour eux une éternelle quête d’absolu, mais,

trop passionné, il réduisait les autres à des objets de désirs

insensés qu’ils brisaient finalement. Hantés, ils hantaient. Et

parfois s’abandonnaient, dans un vain désespoir, à harceler un

amour définitivement éloigné.

Page 62: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre XIX

Les créateurs célestes ne peuvent vivre en paix, car ils sont

naturellement accablés par les maux de la terre, ce qui fait

d’eux d’éternels révoltés. Ils restent donc célibataires, loin de

la petite vie tranquille des gens de bien reclus dans la banalité

d’une fausse sérénité. Et même lorsqu’ils se retirent pour

écrire et mettre de l’ordre dans le chaos de leurs idées, les

créateurs célestes ne manquent aucune occasion pour se faire,

à leurs dépens, remarquer. Farouchement fiers de leur liberté,

ils n’en restent pas moins dépendants de leur affectivité. S’ils

savent prendre des risques, s’ils s’endurcissent au contact des

mondes qu’ils analysent et qu’ils voient, ils n’ont pas l’âme

des purs, de ces activistes qu’ils côtoient. Car, s’ils

contemplent le monde, ils veulent aussi en jouir à leur endroit,

mais sans stupre ni luxure. Ils fondent une famille, et c’est

bien là leur seul refuge. Mais voilà, notre ami Marx n’avait,

quant à lui, pas compris tout cela.

— Tu ne peux, me disait-il, te contenter d’expliquer ; il faut

que tu saches agir.

— Je l’ai fait, Karl, lui répondis-je. Mais je suis las, fatigué

par tant d’impostures : je ne suis ni un prophète ni un roi, et

de ta praxis, j’en fais mes choux gras.

Fin de la conversation. Jouir pour en finir avec la

dépression. Solide remède. C’est qu’il s’agissait d’être à la

fois dans le monde et hors du monde, tel un éternel voyageur.

Qui n’a rêvé dans sa vie de lier les mot « sens » et «

jouissance » ? Le créateur céleste n’avait pas pour mission ou

vertu de changer le monde ni de mourir pour des idées, ou

alors de mort lente. Il ne s’en savait d’ailleurs pas à la

hauteur. À l’idéalisme romantique, il préférait donc le

Page 63: Les Créateurs Célestes Master

63

cynisme. S’il faisait, il se taisait, et lorsqu’il ne faisait rien, il

écrivait pour mieux parler, d’une parole qu’il savait animer

les foules.

— Prends tout ce que tu peux prendre : apprends à

désapprendre, lui répétait Centaures. L’esthétique rejoint

souvent l’éthique. La vie du créateur céleste était celle d’un

artiste qui ne pouvait se résoudre à vivre sans un dessein ou

un grand Destin. Mais que la liste des choses à faire était

longue à la vue d’une si courte vie ! Bandit ou dandy, il fallait

faire un choix. Mais voilà, la vie ne choisit pas : elle s’impose.

— Ta vie, dit Chrysippe, est celle d’un héros tragique, car tu

es né et tu mourras d’un travail herculéen !

Or j’avais tant souffert pour ne pas le contredire :

— Au Banquet de la vie, infortuné convive, homme libre,

j’apparus un jour, et je meurs. Je meurs, et sur ma tombe,

où lentement j’arrive, nul ne viendra verser le sang de ses

pleurs , dit Agapè de Centaures.

C’était peut-être là une bonne formule pour ajourner le

Banquet de Laozi. Rejoindre chacun nos routes et, d’un pas

lent, marcher, et à la souffrance se rappelaient tous les maux

de notre singulière humanité.

Page 64: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre XX

L’homme essaie d’organiser sa vie. Le créateur céleste aussi.

De même il planifie, car il veut comprendre comment sortir de

sa condition humaine. Mais, si tout chez lui est calculé, parce

qu’il est un homme de raison, son cœur a des raisons que la

raison ne connaît pas. Ce qui le conduit, à force de vouloir vivre

de prospérité, à faire volte-face, afin de mieux vouloir réformer

un monde qu’il aimerait régenter, car il y a ce que l’on veut être

et ce que l’on est.

— Vivons heureux, vivons caché, ne cessait d’affirmer Épicure,

et d’ajouter : comment veux-tu, à notre Banquet, nous soûler de

tes maux ? Retourne à tes travaux.

Mais voilà, le créateur céleste ne veut être exploité comme un

vulgaire salarié. Il fait de l’Entrisme ; aux ordres, il résiste. Au

travail, il préfère les jeux de rôle inconscients. Le créateur

céleste reste un enfant. Mais son image trouble questionne : qui

est-il ? De quoi vit-il ? Aux yeux d’autrui, il n’est que suspect de

ses agissements. Il faut dire que son relationnel est très diversifié

et que, pour le juger, il faudrait l’accompagner jusque dans

l’illégalité, ce qui ne manquerait pas de le faire considérer dans

toute sa complexité.

— Que faisiez-vous avec Oussama ben Laden ? demanda un

jour un juge. Et Hitler plutôt que le Front populaire ?

Espion, terroriste, proxénète, activiste… Autant d’images

faussées ? Mais après la condamnation exemptée, quelle

satisfaction d’avoir fait tourner en bourrique tous ces salauds si

prêts à promptement me juger ! C’est qu’il fallait payer. Tout a

un prix dans une société de crédulité. Entre fiction et réalité, le

créateur céleste aime parfois à se laisser entraîner dans des

histoires rocambolesques et compliquées. Cela, je l’avais

Page 65: Les Créateurs Célestes Master

65

compris de Georges (le financier) : usine à gaz, montage, écran

de fumée. Ce que les ignorants et les exécutants redoutaient en

fait le plus, c’était de suivre le chemin sinueux de

l’intelligibilité. Tout homme raisonnable se perd dans un

labyrinthe, sauf celui qui use de l’intuition donnée de façon

innée à ces quelques créateurs virevoltants avec le chaos d’une

société désordonnée ! Si les créateurs célestes savaient

s’enflammer pour éclairer l’ignorance d’autrui, ils savaient aussi

dans leur vie si dense relativiser et ne pas prendre tout au

premier degré, ce qui en faisait de très bons conseillers, aimés

des princes, des rois comme des indigents. Mais ce qu’ils

aimaient par-dessus tout, et ce qui en faisait encore des

philosophes, c’était de semer le doute auprès des plus

convaincus de leurs croyances. Inconscients de leurs mots,

lorsqu’ils vivaient dans l’abstrait, ils pouvaient être très concrets

dans leur quête de moyens, pour faire de leur rêve une réalité, ce

qui pouvait les paniquer. C’est en cela que, dans l’autre sexe (le

plus souvent), ils aimaient à retrouver le réconfort à leur

Adversité. Ils répétaient, au Banquet de la vie :

— Mes très chères sœurs, mes très chers frères, vous m’avez

nourri quand j’avais faim, couvert quand j’avais froid, écouté

quand j’étais seul, et, cela, je ne pourrai jamais l’oublier :

Liberté, Équité, Fraternité.

Mais, entre créateurs célestes, l’aide et la compréhension

étaient de mise, malgré le conflit des interprétations.

— Je vous remercie mes chers amis d’avoir répondu

positivement à notre invitation pour ce Banquet. A vous sir

Edward Burnett Tylor, Monsieur Lucien Lévy-Bruhl, Baruch

Spinoza, Vardhamana, Siddharta, Socrate, Confucius, Mencius,

Homère, Hésiode, Apollonius de Tyane, Aménophis IV, Manès,

Moïse, David, Jésus, dit le Christ, saint Pierre, saint Paul,

Constantin le Grand, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin,

Luther, Jean Calvin, Mahomet, dit le Prophète, Abaris,

Pythagore, Plotin, Al-Ghazali, sainte Thérèse d’Avila, Thomas

Henri Huxley, Georges Cuvier, Charles Darwin, Galilée, Isaac

Newton, Albert Einstein, Max Planck, Niels Bohr, Pyrrhon

d’Élis, Michel de Montaigne, Ænésidème, Friedrich Nietzsche,

Max Stirner, Aristippe de Cyrène, Arthur Schopenhauer,

Roscelin de Compiègne, Pierre Abélard, Guillaume d’Occam,

Charles Sanders Peirce, sir Karl Raimond Popper, Antisthène,

Diogène de Sinope, Parménide, Zénon de Citium, Chrysippe,

Sénèque, Épictète, Marc Aurèle, Épicure, Lucrèce, John Locke,

David Hume, John Duns Scot, Démocrite, Pierre Henri Dietrich

d’Holbach, Diderot, Soren Kierkegaard, Jean-Paul Sartre,

George Berkeley, René Descartes, Emmanuel Kant, Voltaire,

Pétrarque, Juan Luis Vives, Didier Érasme, François Rabelais,

Antiochus d’Ascalon, Henri David Thoreau, Frantz Fanon,

Ernesto Guevara (dit le Che), Pierre Joseph Proudhon, Michel

Bakounine, Piotr Alexis Kropotkine, Louise Michel, Jules

Guesde, Jean Jaurès, Gandhi, Oussama ben Laden, Gracchus

Page 66: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

66

Babeuf, Aristophane pour son Assemblée des femmes, Christine

de Pisan, Simone de Beauvoir, saint François d’Assise, saint

Thomas More, Robert Owen, Étienne Cabet, Condorcet,

Montesquieu, Alexis de Tocqueville, Sophocle et son Antigone,

Arthur de Gobineau, Houston Stuart Chamberlain, Adolf Hitler

pour son livre Mein Kampf, John Maynard Keynes, lord William

Beveridge, Friedrich List, Adam Smith, Friedrich von Hayek,

Milton Friedman, Max Weber, mon ami Karl Marx, Engels et

Lénine, etc.

Quel flamboyant Banquet, qui se poursuivait malgré

l’absence de notre hôte Laozi.

Les créateurs célestes étaient donc provocateurs, ce qui ne

laissait pas de redouter une certaine promiscuité. Quant à moi,

j’essayais de comprendre simplement le point de vue d’autrui.

C’était là la voie de la conciliation et de la paix (au moins

intérieure). Mais voilà, lorsque je me sentais mal à l’aise, je me

souvenais des paroles de Hitler : « Le mal engendre le mal », et

d’ailleurs le malaise. C’est qu’il s’agissait de prendre son temps,

car la mort, toujours présente à l’esprit des créateurs célestes,

leur faisait vivre leur vie intensément. La société nous rend

calculateurs, nous demande de fixer des objectifs, même les plus

incertains. C’est pour cela que les créateurs célestes avaient fait

de leur jeunesse une retraite, là où les carriéristes étaient déjà

dans l’angoisse du doute face au devenir de leur existence. Les

créateurs célestes ne dépendaient jamais d’un travail alimentaire

: ils auraient encore préféré manger le papier de leur nourriture

livresque.

Page 67: Les Créateurs Célestes Master

67

Si avec l’écriture naît la civilisation, je peux affirmer, en

homme civilisé, que mes voyages, trop souvent, ne révélèrent

que la Barbarie des hommes envers eux-mêmes, envers autrui et

leur environnement, que la raison seule ne pouvait expliquer la

rationalisation, même des pires sacrifices. Le créateur céleste se

jouait donc de la raison et aimait à railler ceux qui prétendaient

être des philosophes. Lui n’était qu’un sage qui appliquait la

compréhension de ses expérimentations à lui-même, sans école,

ni disciple ni partisan, et cela à ses dépens. Paradoxalement,

c’était le Néolibéralisme économique qui faisait du passé table

rase, comme l’on pouvait le constater du style international (en

architecture). L’ultralibéralisme avait gagné sur le Communisme

par une prise étonnante d’art martial.

Le créateur céleste pouvait partir n’importe où, n’importe

quand : il était un citoyen du monde, hors des limites de toute

frontière (de ces mondes qui ne connaissent de frontières que

mentales).

Le créateur céleste vivait des mondes qui l’environnaient.

C’était peut-être pour cela que son engagement politique se

réduisait à éclairer les hommes et les femmes à leur citoyenneté.

À son époque, les conflits avaient changé : ils n’étaient plus

entre l’Est et l’Ouest, mais entre le Nord et le Sud, dont le

pillage des ressources naturelles au nom d’un plus grand

productivisme entraînait les rébellions et le chaos planétaire,

comme par un effet de boomerang. Ce n’était pas la nature que

l’on défigurait ou que l’on annihilait : c’était l’Homme. Mais

voilà quelle était la question : « dans quel monde, voulions-nous

vivre ? » Il s’agissait de le rendre à la plus grande pluralité des

opinions. Cet engagement, le créateur céleste le percevait plus

facilement, car il avait les outils pour décrypter les haines et les

passions. Toujours accompagné de son Encyclopédie cognitive,

il était capable de refaire la genèse de nos positions. C’est que

nous vivions, à l’heure de la Mondialisation, dans un monde de

plus en plus complexe, où seul ce GPS pouvait nous indiquer les

bonnes orientations. C’était là sa mission, qu’il savait perdue

sans une grande (R)évolution : de celle qui fait des esclaves,

salariés ou ouvriers, des leaders sûrs d’eux-mêmes, des je-m’en-

foutistes au devenir des persécutés. L’honnêteté du créateur

céleste, il ne la devait qu’à lui-même : elle était son Salut et lui

permettait de faire face aux problèmes, de trouver toujours des

solutions. Rien n’était donc jamais perdu : tel était le recyclage

de sa pensée, par ceux de ses compagnons. Et s’il mentait,

c’était pour mieux cacher la honte de ses origines. Honte qui

aurait dû être celle de la globalisation : « tel que tu es, tu ne

peux que demeurer. Au matérialisme, tu devras t’incliner ».

Mais voilà, les hommes de « bien » sont souvent réduits aux

geôles de la corruption : misère, misère, toi qui fis des hommes

et des femmes des salauds, pauvres et incultes, dont la seule

arme était la parole de leurs maux. Jésus, tu avais compris cela,

Page 68: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

68

et c’est pour cela qu’ils te firent subir le supplice de la Croix.

Maintenant, voilà, c’était le tour d’Oussama. Créateurs célestes,

poète de la vie, prophètes démentis, telle était votre singulière

condition : le refus de toute réification. Mais que retiendrait

l’Histoire : celle des vainqueurs ? Ou celle des vaincus ? Celle

des voleurs ? Ou celle des pas perdus ? Ton chemin resterait

encore long pour sortir de ces déserts inhabités, car la pauvreté

n’intéresse que les pauvres, et la mort est délivrance pour qui ne

peut plus rien espérer. Le créateur céleste savait cacher son

désespoir, qu’il présentait sous des apparences illusoires ;

révolté contre toutes les formes d’Inquisitoire.

Page 69: Les Créateurs Célestes Master

69

Chapitre XXI

Seuls les créateurs célestes faisaient payer aux riches très cher

leurs conseils. C’est qu’ils savaient pactiser avec le diable,

celui-là même qui avait décidé que la liberté avait un prix. Les

créateurs célestes ainsi savaient s’imposer et, avec eux,

imposer la célébrité nécessaire à leur pensée, pour qu’elle

devienne postérité. S’ils étaient possédés, c’était de leurs

connaissances qu’ils se savaient dépossédés. Mais elles

étaient d’un salaire net, non imposé. J’avais su d’ailleurs par

mes expériences passées être un bon financier, puisque ma

richesse, je l’avais exploitée en ces terres célestes, où le

paradis était encore espéré. Pour comprendre le(s) monde(s)

dans lesquels je vivais, il en fallait comprendre leur économie,

car c’était elle qui conditionnait les politiques, et non la

politique celle des financiers. C’était là un chemin sinueux

que j’avais emprunté, alors plus jeune, en tant qu’agent

d’affaires : l’univers des sociétés offshore, des

multinationales, des usines à gaz, du blanchiment de ces

papiers dont on fait de l’or ou de la menue monnaie. Mais

peut-être, un jour, je vous souhaite d’en comprendre la face

cachée : le livre noir du Capitalisme. Car le philosophe est un

étrange parasite : s’il vit de la société, il ne la fait pas vivre.

Sa seule arme est son assiduité à comprendre ce que le peuple

s’évertue à ignorer. « Business is Business », comme le disait

de façon cynique Diogène. Dur constat, mais, comme vous

avez pu le lire dans mon Livre de la connaissance : « Aussi

bien ne rien changer. Après tout, le monde est ce qu’il est, il

s’agit de s’y adapter ou, au pire, de s’y confort-mer. » Tel

était là le principe de réalité : obéir aux structures de la

société, comme la majorité. Préféré subir les ordres, même les

plus infâmes, des gouvernants, plutôt que de risquer les

blâmes d’une société plongée dans un chaos désordonné. Mort

était l’homme d’affaires éclairé : nul honneur, nul respect, car

c’était la guerre, que seul les aveugles n’avaient pas visualisée

(car manipulés), à l’heure de la Mondialisation Néo-libérale.

Paix artificielle, sans partage ni respect. Je me disais qu’il

était réellement temps que l’empire américain soit ruiné. «

Pax Americana », et qu’avec elle se finisse cette idéologie du

Page 70: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

70

Néo-libéralisme prouvant qu’1 Autre monde était possible

comme d’1 Altermondialisme. Mais je comprends là votre

doute, car, après tout, on peut de tout douter.

Les créateurs célestes étaient, tel Chiron, des médecins de

l’âme qui, plutôt que de traiter les effets, préféraient traiter les

causes, comme « l’exploitation de l’homme par l’homme ».

La question était de savoir qui de l’homme ou de la machine

était sacralisé. La Mondialisation, bien sûr, et le

Néolibéralisme, pour évangéliser les péchés capitaux ; à

savoir l’envie, la gourmandise, l’avarice, l’orgueil, la paresse,

la colère et la luxure, dont elle faisait ses hérauts. C’est qu’il

s’agissait de ne plus désacraliser les Croyances de ce monde,

pour en conserver leur diversité. Il s’agissait de laisser une

trace, car sinon à quoi bon vivre, si ce n’est pour se

sustenter ? Un héritage. Tout cela n’était qu’une question de

Vision du temps : jouir à court terme, puisque, après tout,

nous n’avions qu’une vie sur cette Terre, ou bien, à long

terme, construire quelque chose qui perdure jusqu’à la

Postérité. Comme à tout un chacun, il arrivait au créateur

céleste d’être rêveur. Le travail dévalorisé, la prostitution

généralisée. Une société du mensonge dans le prisme du

marketing. Alors, fallait-il l’intégrer, au risque que cet

Entrisme ne finisse par se faire assimiler, par la séduction

d’une vie plus ap-aisée ? Mais voilà, les créateurs célestes

n’étaient pas de ces mercenaires. S’ils n’étaient pas contre

fonder un foyer, et de ce fait retrouver leur famille, le Destin

des créateurs célestes les faisait toujours échapper à la

dépression, par la quête d’une éternelle diversité, d’aventures

qui les embarquaient à la dérive vers d’incessantes nouvelles

pensées qui multipliaient leurs opportunités. À vouloir être

théorique, on en perd la pratique. Le créateur céleste naviguait

entre deux eaux. Car les gens n’apprécient guère les

dépressifs, et les femmes préfèrent les hommes joyeux,

souriants, sensuels, rigolos, pour gigolos, ou indifférents

comme des machos. Tout cela en valait-il la peine ? Le

créateur céleste avait appris qu’au jeu des passions, il fallait

savoir rester ferme. Mais sa folie faisait de lui un homme ou

une femme instable, à terme. Ce qu’il savait mieux faire,

c’était de se perdre, en l’absence d’aide. Toujours sur la

brèche, il ne savait donner du temps au temps, car il

connaissait le temps mortel. Il aimait donc se laisser aller à

l’inconscience et à l’irresponsabilité : il faisait ce sacrifice au

nom d’1 certaine Humanité. Après tout, comme me le disait

Hegel :

Page 71: Les Créateurs Célestes Master

71

— Rien de grand dans l’Histoire ne s’est fait sans passion !

Aujourd’hui, combien de millions de morts ? Ces mots

avaient fait illusion !

S’il n’y a pas d’Amour, mais seulement des preuves

d’amour, l’amour-passion avait échaudé le créateur céleste :

ce qui fit de lui, après tant de déceptions, un cynique et un

libertin. Au moins trouvait-il dans le sexe la plus grande

liberté, sans la moindre contrainte, ou, comme aimait à le

répéter Aristippe :

— Je possède, je ne suis pas possédé !

Le créateur céleste était donc paradoxalement un

hédoniste. C’était peut-être de là qu’il puisait sa force à

demeurer un être (singulier) à part de tous les clichés et de

toutes les revendications. Incrédule, égoïste et je-m’en-

foutiste, puisqu’il l’avait appris à l’être en raison de la société

qui voulait le con-ditionner. Car il ne jugeait jamais les autres.

Il savait que ce qui était un jour serait différent le lendemain.

Et c’est bien à la Différence que le créateur céleste

s’intéressait. Il ne tentait nullement, comme les philosophes,

d’expliquer une idéologie, il partait la vivre, au risque de s’y

endoctriner, car c’est toujours en s’immergeant, il le savait,

que l’Homme s’oublie face à la cruauté. Ce que font, par

exemple, les pompiers ou les infirmiers, qui soignent avec

plus grand sang-froid, parce qu’ils connaissent, dans l’action,

le pouvoir de l’objectivité. Et, en fait, il en allait des médecins

comme des avocats ou des policiers, ce qui n’était pas sans

risque pour un créateur céleste, resté encore dans l’âge de

l’immaturité. L’homme qui a mal fait le mal. Les créateurs

célestes ne voulaient céder à ce genre de tentation : ils

préféraient, comme des boxeurs, esquiver et reculer si

nécessaire pour mieux contre-attaquer. Leur Parole, comme

leurs mots, étaient des armes qui pouvaient déstabiliser, voire

même tuer. Et cela, ils le savaient. De leur Tragédie dépendait

le sort de l’Humanité. N’était-il pas vrai, Hitler, ce

raisonnement ? Et Hitler de répondre :

— Je ne connais pas de Vérité : seule la réalité m’intéresse !

Elle seule fonde l’Histoire !!!

C’est qu’il fallait parfois faire, en apprenant à se taire.

Combien de fantasmes ont conduit les hommes à se faire de

fausses idées, d’où le désespoir d’une vision pessimiste

déambulant dans le brouillard des condamnés ! Comme je

vous le disais, le créateur céleste souffrait, mais quelle en était

sa profonde raison : « à vaincre sans souffrance, on vainc sans

gloire » ; or, que la route était longue, et la gloire Illusoire.

C’est qu’il fallait espérer sans espoir. Les idéologies n’étaient

toutes que des supercheries, mais, voilà, comment vivre sans ?

Telle était la question. Les créateurs célestes se savaient

Incrédules, car ils avaient bien tous compris que leurs

Croyances étaient des illusions. Mais pouvaient-ils renoncer à

Page 72: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

72

être ? Le nirvana n’était pas chose que l’on acquérait

facilement. Bouddha nous expliquait :

— Il vous faudra beaucoup de temps, de réincarnations,

pour que votre pensée suscite la dés-illusion.

Et il rajoutait :

— Étranger à moi-même je suis !

Autant dire qu’il ne suffisait pas de toute une vie pour

qu’un créateur céleste épuise ses batteries, dont le secret était

l’Energie.

Page 73: Les Créateurs Célestes Master

Chapitre XXII

C’est que les créateurs célestes avaient tous eu leur part de

traumatismes :

— Regarde cet enfant, il est ta chair, il est ton sang.

C’était dans cette enfance qu’ils puisaient leur

dénigrement, à l’égard d’une société matérialiste qui essayait

de les rendre inexistants. Mais, à l’heure où je vous parle, nul

ne savait vraiment jusqu’où ce Matérialisme nous conduirait.

Entre tragédie et comédie ? Nul ne savait s’il fallait pleurer ou

rire. À trop vouloir, on n’obtient rien, si ce n’est, derrière les

illusions, le Vide ou le Chaos. Les créateurs célestes se

savaient être les bouffons des rois, mais ce que ne savaient

pas les rois, c’est que ces bouffons étaient aussi des activistes

et que, lorsqu’ils avaient tout perdu par leur Entrisme, ils

n’avaient qu’eux-mêmes à perdre, tel des anarchistes.

Écoutons Proudhon :

— La propriété, c’est le vol.

Les créateurs célestes, eux, n’étaient propriétaires de rien.

Et c’était pour cela qu’ils savaient prendre tous les risques.

Les hommes passent parfois toute leur vie à se soigner.

D’images en images, d’apparences en apparences, d’illusions

en désillusions, les créateurs célestes avaient appris à

s’assumer, loin de toute futilité. Ils se foutaient de faire peur

ou d’être incompris : ils traçaient leur voie, seuls, mais en

communauté d’esprit avec leurs frères et leurs sœurs, avec

lesquels ils se savaient communier d’esprit à esprit, sans

limite d’Espace ou de Temps. Ce qui souvent les rendait

étrangers aux gens. Ils savaient que dramatiser leur vie était

signe d’Angoisse et que leurs discours sur la cité pouvaient

être prisonniers de leur mentalité. Ils étaient donc instables et

inconstants, comme les mouvements de l’Univers, dans lequel

ils se savaient être poussières. Mais poussières d’étoiles, avec

une telle luminosité que leur Vision du monde pouvait tout

Page 74: Les Créateurs Célestes Master

Les Créateurs Célestes

74

changer. C’est que les créateurs célestes n’étaient pas venu

sur cette Terre que pour vivre et espérer : ils existaient d’une

façon dense, de cette densité qui vous transporte au-delà des

préjugés, des idées toutes faites, pour rejoindre l’impensé.

Qui, après tout, aurait voulu vivre sur cette Terre pour rien ?

La mort alors aurait été préférable à l’absence d’un vide

sidéral. Les créateurs célestes étaient devenus des hommes

forts, par nécessité : c’est qu’il fallait avoir survécu à leur

condition qui, au départ, les condamnait à l’enfer d’une vie

faite de banalité. Ce qu’ils recherchaient en tout, c’était

l’extra-ordinaire. Quoi qu’ils fassent, ou qu’ils aient fait, tout

les ramenait à leur singulière et étrange destinée d’hommes ou

de femmes engagés dans un combat vers plus de dignité. Leur

histoire était ainsi faite qu’il leur suffisait d’être pour exister.

Ils avaient su communier avec leur nature, qui n’était autre

que la Nature des éléments de l’Univers. Ils avaient vécu,

lecteur, ces moments de grâce où tout fusionne dans une

intense Liberté.

Le créateur céleste ne menait pas carrière. Il ne pouvait

donc qu’avoir peu de succès, car il préférait traverser les

déserts, sans frontières, de l’inexpliqué. Telle était sa raison

d’être, qu’il n’avait pourtant pas volontairement ou

sciemment souhaitée. C’était comme cela : il était. Bouddha le

répétait au Banquet des illuminés :

— Qu’importe toutes tes apparences : les princes savent se

faire oublier et s’abstraire de leur communauté.

Sage adage qui émancipe de l’esclavage de la parenté. Au

fond, qu’importait que l’on nous juge par lâcheté : notre quête

n’était pas celle de notre société. Le créateur céleste vivait en

marginalité, bien qu’il haïsse la pauvreté. C’est que le créateur

céleste savait ruser des apparences et s’adapter : pauvre parmi

les pauvres, riche parmi les riches, inculte avec le peuple,

savant avec les Doctes, etc. C’est qu’il y avait toujours à

apprendre, et qu’apprendre ou expérimenter était pour le

créateur céleste son seul métier. « Qu’avais-tu voulu faire de

ta vie ? » : qui ne s’était posé cette question ? Pour le créateur

céleste, sa destinée terrestre ne connaissait aucune vocation.

Car, après tout, à quoi bon entrer dans des systèmes, si ce

n’était pour mieux les contourner ? À quoi cela importait, si

ce n’était de créer ? Une lente évolution de l’enfance à l’âge

de la maturité. Être, mais non assisté. Tel était là le problème.

Il fallait savoir raison garder, entre ce que l’on pense pouvoir

être et ce que l’on est. C’est peut-être pour cela que les

créateurs célestes prenaient des chemins de traverse afin,

parfois peut-être, de s’égarer avant de se retrouver. Mais

voilà, chercher les problèmes parfois n’en vaut pas la peine,

même si le créateur céleste était un cheval de trait, ce que

n’aurait pas démenti, même de sa vaillance, Centaures, qui

Page 75: Les Créateurs Célestes Master

75

écrivait : « Au plus mal vainc la témérité. » Du « Mal »

comme du « Bien », qu’il pouvait expérimenter, le créateur

céleste n’en retenait que l’aspect positif de sa liberté. Des plus

dures épreuves, seul le savoir lui importait. Il était un homme

savant, mais son savoir, il l’avait acquis au prix de ses larmes

et de son sang ! C’est en cela qu’éternel observateur le

créateur céleste ne s’était fourvoyé dans aucun parti : la

politique lui était indifférente, car il savait que, de ses

enseignements, il en serait l’originalité. Il avait appris ainsi

qu’en plus, de la société qu’on lui présentait, restaient bien

des modes de pensée et de représentation, bien d’autres

sociétés ou civilisations à explorer. Il avait donc renoncé à ses

grands projets pour changer de société, à l’heure de la

Mondialisation, pour mieux s’expliquer l’universalisation du

Néo-capitalisme financier, qu’il avait en vain cherché, de

l’intérieur, à annihiler.

Le créateur céleste était chaque année invité à ce Banquet

qu’il avait initié avec ses frères et sœurs, où il savait qu’il

puiserait de nouvelles Valeurs adaptées, à l’évolution de sa

pensée. Puis il revenait observer la société, à laquelle il

essayait de s’adapter.

Le créateur céleste s’était éloigné de tout affairisme, même

s’il en avait conservé l’idée et la formation. Après tout,

connaître le Mal lui avait appris que l’on pouvait en obtenir

un gain. Et si le monde devait faire face à la récession, il se

savait déjà prêt à survivre dans une économie de système D

où la Décroissance incite le peuple à plus de solidarité et

d’amitié dans la quotidienneté. Si le mysticisme n’est pas

mystique, peut-être envisageait-il un regain d’intérêt pour ses

œuvres de bonté, car tout le secret était de bouleverser les

forces cosmiques. Le créateur céleste était lui aussi un

mystique. Il ne suffisait plus que d’attendre la chute de

Babylone et de l’empire américain. La pensée d’un penseur

mystique est souvent complexe et labyrinthique, mais le

créateur céleste, s’il laisse ces paroles à ceux de ses amis,

dans un enseignement ésotérique, se voulait avant tout

compris d’un peuple agnostique. Les créateurs célestes ne

pouvaient se résoudre à une petite vie faite de banalité. Leurs

héros, comme je vous l’ai dit, étaient herculéens, des forces de

la Nature qu’ils préféraient à une société sans cœur. C’est que

nous ne vivions pas dans un monde libre, mais dans une

illusion de paix et de liberté. Seuls les gouvernants savaient

qu’ils menaient, au jour le jour, une guerre économique ou

militaire au nom du Marché. Mais que pouvions-nous faire,

nous qui n’étions que des pions sur un échiquier ? S’en sortir

ou le brûler. Tout cela devait bien arriver un jour ! Quel serait

alors l’héroïsme des créateurs célestes ? Ne se replieraient-ils

pas dans leur tanière, eux qui avaient déjà tant souffert, ou

s’engageraient-ils dans un conflit délétère, au nom d’une

Mission salutaire ? Changer d’idéologie, rompre avec

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Les Créateurs Célestes

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l’empire américain, mais voilà : que dire ? Surtout lorsque le

monde est animé de si différentes et diverses croyances. Aussi

bien rester un observateur, ou bien fuir dans une île

paradisiaque. On dit, par exemple, que l’Islande est une terre

confortable pour les aventuriers. Mais tout cela en valait-il la

peine ? Je réponds que « oui », car, comme l’avait écrit

Centaures : « Parce que l’Homme fait le monde à son image,

et que de son bien-être en dépend la bonté… Parce que

l’honnête homme n’est réellement jugé que sur ses actes, et

non sur sa volonté. Et que nos écrits, tout comme nos paroles,

ne sont que littérature : regarde les (hommes) souffrir,

supporter le martyr, endurer l’adversité, la misère, la violence

ou la privation de liberté,

car je te le dis, de l’épreuve seulement se paie le prix de la

connaissance. » [Extrait du Livre de la connaissance.]

Au Banquet de Laozi, je devais rencontrer d’autres

compagnies, dont la diversité d’esprit m’interpellait sur ma

propre condition de vie.

Les créateurs célestes n’aimaient pas faire plaisir ou

divertir. Ils se foutaient de l’Audimat, et c’est peut-être pour

cela qu’ils étaient tant espérés. Leur nécessaire intégrité,

quant à leur parole, faisait d’eux d’éternels insoumis. Seule

resterait leur pensée, si tant est qu’elle ne soit brûlée ou

condamnée à l’autodafé. Car le(s) monde(s) qu’ils aimaient à

côtoyer étaient encore emplis de salauds et d’enculés.

C’étaient donc à eux de prévenir, c’est-à-dire d’agir sur le

concret. Il s’agissait de vaincre ses peurs, mais pour cela, tous

les créateurs célestes n’étaient pas d’accord, eux qui

préféraient contempler le Ciel et de la Nature la Beauté. Il leur

fallait apprendre à ne plus se laisser impressionner. Nietzsche

m’interrompit :

— C’est parce que j’ai désacralisé Dieu qu’il est mort et

enterré.

Mais voilà, il restait encore beaucoup de labeur pour

généraliser et arrêter de spéculer !

Combien d’hommes et de femmes malades dans notre

société occidentale, vivaient dans l’ignorance ? C’est qu’il

fallait se battre contre toute forme d’in-con-science. Mais tout

cela, encore une fois, en valait-il la peine ? Pour Lénine :

— Oui, me répondit-il, si tu veux que ta petite histoire

s’inscrive dans la grande.

Tant de morts pour finir dans une encyclopédie ou un

dictionnaire. Qu’en restera-t-il dans mille ans ? Une vanité ?

Pour finalement voir toute une civilisation s’effondrer. Dès

lors, le créateur céleste, peut-être par peur, se défiait de toute

grandeur.

— Cultive ton jardin, disait Voltaire.

— Mais où ?

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77

— En toi-même ! me répondit-il.

— Et surtout, suspends ton jugement, ajouta Pyrrhon d’Élis.

Qu’importe le regard d’autrui qui avait vu en toi un fou, un

paranoïaque, un mythomane, un sectaire, un homme

dangereux, un rigolo, un faux prophète, un gigolo, un mafieux

ou un escroc, etc. Il était préférable d’en rire, même et surtout

face aux autorités. Aussi bien ne rien faire, ne rien changer

alors ? Peut-être, suis ton chemin, il te conduira vers ta

destinée. Souviens-toi, tout n’est qu’une question de

croyances. Alors, jusqu’au bout, crois en toi et ne doute pas

de ta pensée. Résiste, mais ne renonce pas. Mieux vaut une

icône que l’image d’une apparence trompeuse qui se dégonfle

à la moindre confrontation. C’est en toi que tu dois trouver les

solutions. Dédramatiser et ne pas croire aux fictions : prendre

du recul et ne pas te laisser impressionner par la première

désillusion. Car il y aura toujours deux scènes : celle connue

par le public et, en coulisses, celle connue des seuls initiés.

Ici, dans cette assemblée, il s’agit de démystifier. La vie est

éphémère, constatent nos contemporains : dès lors, comprenne

qui pourra que notre économie soit jouée au casino de

l’incrédulité. L’heure est au Néolibéralisme, celui d’Adam

Smith, d’Hayek et de Friedman. Mais tout cet empire anglo-

saxon consomme trop pour ne pas créer de ( R)évolutions. À

ce sujet, créateur céleste, il est préférable de te taire. Garde en

toi tous les secrets de l’univers : ils seront exposés plus tard,

dans les cimetières ou les musées mortifères. Nous vivions

dans un monde à l’envers, où ceux d’en bas ne légifèrent, et

préfèrent idolâtrer les politiques plutôt que les Missionnaires.

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Les Créateurs Célestes

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Chapitre XXIII

Si l’on connaissait réellement l’enfance de tous les

créateurs célestes, on s’apercevrait qu’ils avaient tous connus

l’exclusion, le rejet et la marginalité. Jeune encore, ils étaient

miraculeusement révoltés : hors de toute société, victimes de

l’injustice. Cela expliquant ceci, les créateurs célestes

inventaient de nouvelles philosophies, des Visions du monde

pour Autrui qui devaient illuminer l’incroyance et l’ignorance

de ceux qui, plus jeunes, les avaient suppliciés. C’est que de

se battre, ils n’avaient pas eu le choix, et cela en toute matière.

Leur Parole était celle De la Délivrance, eux qui avaient si

longtemps été bâillonnés.

Ils pouvaient troubler l’Ordre public, mais c’était à leurs

dépens, car ils savaient qu’ils finiraient tous crucifiés. Les

plus courageux étaient certainement les plus illuminés, car ils

pouvaient irradier un public désabusé. D’autres, les plus sages

ou les plus lucides, n’utilisaient pas leur pouvoir, qu’ils

préféraient réserver à l’élite des générations futures. Les

créateurs célestes ne connaissaient pas de Temporalité. Ils

faisaient l’Histoire, car ils étaient l’Histoire : il en allait ainsi

des premiers chamanes de l’époque de l’homme de

Neandertal jusqu’à notre ami Marx, d’une vie peu banale.

Mais, voilà, juger d’un homme, c’était juger d’une époque,

d’un système, d’un contexte. C’était pour cela que certains

avaient connu les enfers de la prison ou de

l’excommunication.

« Aux grands hommes, la patrie reconnaissante », mon cul

! Les créateurs célestes n’étaient pas de ceux que l’on ait vus

corrompus. À dire vrai, les gens en avaient souvent honte, car

ils leur présentaient leur miroir, leur face cachée, leur vie de

merde, celle d’un mariage raté, d’un enfant délaissé, d’un

crédit ruineux, d’un licenciement ou d’un divorce, c’est-à-dire

du démembrement d’une vie ridiculisée à l’heure des

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délocalisations. La vie banale des hommes de peu, des braves

gens, ne s’éveille souvent qu’à la lumière d’un drame, et, s’ils

ne se suicident pas tous, ils ne comprenaient plus que le mot

« Sens » pouvait rimer avec « les Maux de l’existence ». C’est

peut-être pour cela qu’ils se réfugiaient dans les bras des

créateurs célestes, car eux n’avaient fait ni de la Tradition ni

de la grégarité l’actualité de leur vie égarée. Leur Œuvre se

terrait dans l’ombre, et ils laissaient la mise en scène du

théâtre de leur vie aux nécrophages politiques, marketeurs à la

petite semaine, récupérateurs, recycleurs de peu de génie, à la

grandeur de leur maladie. Au fond, pourquoi subir le martyr et

ne pas s’en foutre, comme tout un chacun ? Le monde est ce

qu’il est. Vous, les créateurs célestes, vous restez encore des

enfants trop idéalistes. Venez avec moi et jouissons : il est

temps de fuir les terres de l’incrédulité.

Fini Moïse, fini Jésus, fini Luther, fini Mahomet, fini

Plotin, et tant d’autres déjà cités. Nous ferons de leur pensée

un cocktail d’idées pour en finir aussi avec cette suicidaire

Humanité. Pour le moment, laissons s’envoler le prix des

matières premières, nous qui ne nous nourrissons que de

nourritures célestes.

Travail, Famille, Patrie, Métro, Boulot, Dodo étaient des

maux inconnus des créateurs célestes. À tout dire, ils

préféraient subir le martyr que de se salir les mains. À

l’ombre de leur prison décharnée, ils préféraient s’expliquer

sous les lambris dorés d’une Justice qui ne connaissait comme

droit, que le droit à l’iniquité. Parler en ces moments difficiles

était déjà l’exploit d’une grande fierté, eux qui se savaient

condamnés avant même d’avoir été arrêtés. C’est qu’il fallait

rendre hommage à tous ceux et celles qui avaient été oubliés,

abandonnés, humiliés par un État animé par la cruauté :

retenons ces mots de Louise Michel : « communarde je suis,

je reste et je demeurerai ». Mais voilà, tous ne connaissaient

pas cette héroïne des temps passés qui restait un modèle pour

les créateurs célestes, par son abnégation, sa bravoure et son

humilité. Je me souvenais de notre Banquet au sein de ces

ouvriers (sculpteurs de nos pensées) qui avaient su rejeter

toute forme de respectabilité : mon ami Marx, qui se

gloutonnait, Engels qui, avec Lénine, planifiait, Max Weber,

qui observait, David Ricardo en rentier, Adam Smith, Hayek,

Friedman, qui se gaussaient du succès de leur pensée, au

sceau du Néolibéralisme et de notre Postmodernité, Friedrich

List, qui désespérait de plus d’égalité entre les pays riches, et

ceux, relégués à la pauvreté, Keynes et Beveridge, qui

sentaient l’heure venir de se réincarner, McCarthy, Poujade,

Berlusconi, qui, du haut de leur pouvoir, écrivaient des listes

d’ennemis comploteurs au sein de leur communauté,

Gobineau, Chamberlain et Hitler, morts et enterrés, qui

n’avaient pas pu finir leur souper empoisonné, Georges

Boulanger, Barrès, Maurras, de Gaulle, Peron et Nasser, qui

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Les Créateurs Célestes

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s’interrogeaient sur ce qu’était une Identité et sur le terme de

Nationalité, Edmund Burke et de Maistres qui criaient haro

contre la Révolution française, pour mieux imposer la Notion

de Tradition, Sénèque le moraliste, pour qui il fallait respecter

l’Ordre (des mets) jusqu’à l’Absurdité, contre Antigone

(héroïne de Sophocle) qui sauvait par son héroïsme les actes

de la Cité, enfin, Montesquieu, qui riait, pensant que ses écrits

prônaient un libéralisme politique de droits qui servirait les

intérêts des marchands, comme prétexte à la spoliation des

richesses au nom de la Démocratie et de la Liberté, et tant

d’autres encore, qui faisaient de notre assemblée un Chaos

désordonné. Quant à moi, le plus jeune de ces penseurs,

c’était bien là mon dernier mot :

— L’avenir sera à l’indéterminisme et à la probabilité.

Mais c’était là, grâce à ce Banquet improvisé, que nous

avions essayés de briser des murs, pour mieux construire des

ponts entre des points de vue si différents, voire divergents.

L’Histoire est une chose compliquée que l’on ne peut résumer

dans des livres : qui furent les bons ? Qui furent les mauvais ?

Lorsque tout s’inverse, où étaient les héros ? Je réponds : dans

le sacrifice de leur personnalité. S’il y avait bien une histoire à

écrire, c’était celle de ces martyrs. C’est qu’il s’agissait

d’obéir, sans se poser de mauvaises questions. C’est aussi

pour cela que les créateurs célestes dérangeaient : ils posaient

toujours trop de questions, car c’était à eux-mêmes d’en

révéler le vide ou l’impensé. Mais, après tout, ne valait-il pas

mieux l’oubli de toute dissertation ? Il s’agissait parfois de se

taire. Mais voilà, comment bâillonner un créateur céleste, si

ce n’est en le torturant, en lui coupant la langue ou les mains :

encore serait-il capable d’écrire comme un pied. Alors,

« plutôt Hitler que le Front populaire ». La servilité anéantit

toute conscience. Sauf celle des hommes d’affaires. Même la

guerre est un business. C’est pour cela que les créateurs

célestes étaient de farouches résistants : il s’agissait pour eux

d’exploiter les exploiteurs, de voler les voleurs, d’escroquer

les escrocs (ceux d’en haut), de marketer les marketeurs, etc.

Tel Machiavel, ils avaient appris à être de bons princes ; par

effet de levier, leur fin justifiait tous les moyens, dans un

monde d’apparences fait de crédulité. Face à une République

qui n’en avait plus que le nom, où la vertu était devenue un

vice, ils avaient fait de leur entrisme une réflexion : celle de

l’anthropologie de l’aperception. Étaient-ils des espions ?

Certes non, mais des observateurs qui sauraient un jour

convertir toutes les Valeurs d’une société néolibérale en une

utopie, et ce, contre l’Ordre établi. Ils étaient donc des

activistes sans nom, ce qui, pour l’État, les rendait coupables

d’activité suspecte, c’est-à-dire de Terrorisme ! À relire le

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Livre de la connaissance, on se demandait qui de l’État ou des

activistes étaient les vrais terroristes. Peut-être les

multinationales ? Plus promptes à suivre leurs intérêts

particuliers et ceux de leurs actionnaires, qui se contentaient

de laisser faire en exploitant la misère, qu’à s’intéresser à

l’Ordre national. Car la pauvreté n’intéresse que les pauvres.

Que peut-on faire lorsqu’une République est sacrifiée au nom

d’1 Oligarchie et d’une Ploutocratie ? Voter blanc, ou peut-

être tout simplement une révolution douce et apaisée, à savoir

ne pas voter ! C’est que, pour changer la société, il fallait être

au-dessus des partis. Et ce n’est pas toi, mon ami Charles, de

France ou de Gaulle, qui me contredirait : « J’ai fait mon

chemin entre le choix de la Résistance et celui d’une Destinée

: seuls mes amis, et l’Histoire, me glorifieront, et voilà

pourquoi je ne craignais plus la mort. Car pour l’éternité je

survivrai. »

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Chapitre XXIV

Peut-être que les hommes se trompaient à vouloir changer

le monde plutôt qu’à vouloir se changer eux-mêmes. Mais

tout cela n’était qu’une question de Vision. Dès lors, pourquoi

pas une société alternative ? Mais laquelle ? À ce sujet,

Robert Owen, Étienne Cabet, Fontenelle, More, saint François

d’Assise et Platon avaient eu leur propre solution. Parfois, le

mal naît pour un bien ; souffrir, c’est aussi apprendre à

s’ouvrir. Nous sommes souvent surpris de nos amis : la

trahison précède la lapidation. C’est que les créateurs célestes

avaient eu aussi leur part de combat à la rencontre de leurs «

frères de la côte », ces pirates et mercenaires, ou simples

dissidents, qui appliquaient une société égalitaire sur cette

Terre qu’ils avaient quittée pour en fuir l’enfer ; car aucun

d’eux ne croyait au Paradis, sauf lorsqu’il s’agissait de battre

le fer pour conquérir leurs trésors imaginaires. C’était là ce

qu’appelaient les créateurs célestes une revanche sur la

misère, entre l’ivresse, les putes et la guerre. Car ils étaient

tous animés d’une même et farouche colère. Si créer un

monde parallèle à la société des maîtres de l’univers était là,

peut-être, un appel d’aide humanitaire, eux, les anges noirs

d’une révolte radicale contre l’Ordre social, savaient qu’il

fallait être du côté du pouvoir pour s’en extraire. Ces pirates

apprirent à leurs dépens comment devenir de bons corsaires.

Des légionnaires. Il s’agissait pour eux de se conditionner

pour devenir ces hommes forts, autoritaires, fermes,

déterminés, à la volonté de fer, sans jamais se laisser faire ni

impressionner : insister, oser, être direct et agressif, tout en

gardant son calme et sa sérénité. Car la vie d’un guerrier

repose sur l’humanité, l’amour et la sincérité. Autant de

faiblesses à conjurer. C’était là un bon début pour se soigner

de ses maux enfantés. Une thérapie par le rire : cela va sans

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dire, pour ne rien aggraver de sa popularité. Le don pour un

créateur céleste était une vertu : aux souffrants, il donnait les

soins, aux miséreux, la richesse, aux vieux, la jeunesse, aux

riches, la pauvreté, qui était un « bien », car celui qui le

possédait n’était dépossédé par rien, sauf par lui-même. Là il

pouvait commencer à se recréer. Mais tout cela était illusoire,

dans un monde où l’insécurité justifiait aux États le recours à

toute forme de brutalité, à l’encontre de leurs propos sur les

Droits de l’Homme, si souvent rabâchés. Nous vivions dans

un monde où tout était bafoué, encadré, mesuré, réprimé,

comme de la Liberté. Il n’y avait plus de sanctuaires ni de

refuges, sauf peut-être pour les terroristes d’Oussama ben

Laden. Mais voilà toi, où te cachais-tu ? Dans les nuées ? Où

étais-tu ? Peut-être préservé par l’empire américain avec

lequel tu t’étais fourvoyé ? Tout comme moi, dans un hôpital

psychiatrique, isolé ? Ton symptôme était devenu l’indice de

leur fragilité !

Mais au fond tout cela n’était qu’un Système : les juges

jugeaient, les policiers réprimaient (puisqu’ils vivaient de la

misère des gens, des putes et des délinquants), pendant que les

politiques discouraient, que les pauvres s’appauvrissaient, que

les riches s’enrichissaient et que les hommes d’affaires

s’affairaient, que les escrocs escroquaient, etc. Le créateur

céleste était désabusé : blanc bonnet, bonnet blanc. S’agissait-

il d’intervenir ou de se retirer ? La Sagesse évolue avec les

temps. Chaque créateur céleste avait choisi son camp. Quant à

moi, j’avais trop souffert pour ne pas jouir. Après tout,

comme le disait Héraclite :

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Les Créateurs Célestes

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— Tout coule ? Panta rei.

S’agissait-il alors pour chaque citoyen d’accepter une

Liberté contrôlée ? L’avenir nous le dirait.

— Laissez-moi libre, laissez-moi vivre en paix, dans la

tranquillité, laissez-moi m’exiler !

Je n’étais pas, dans la réalité des faits, un héros de bande

dessinée. Je n’étais tous simplement pas à la hauteur : je

laissais cela aux rêveurs qui n’avaient pas connu les horreurs

de la guerre. À tout cela, comme à mon grand-père, je restais

réfractaire. Je n’étais pas prêt pour la conversion de toutes les

valeurs. Alors voilà, moi qui ne suis plus de ce monde, que,

de ma mémoire d’outre-tombe, chers lecteurs, vous puissiez

comprendre mieux la réalité de votre univers. Et sachez que la

Liberté n’a pas de prix, et que j’ai tenté par ma vie d’en faire

un modèle.

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Chapitre XXV

Chacun pour soi, tous contre tous, la loi du plus fort :

n’hésitez pas à nier ce darwinisme social et sa cohorte

d’individualisme. Darwin, Stirner et bien d’autres, je vous

emmerde ! Derrière ces lambris, derrière ces dorures, derrière

ces costumes ridicules, regardez-vous vous-même, votre

science est ridiculisée. Avec le temps, l’individualisme

mourra, et moi avec : injustice faite ou défaite. S’agissait-il

encore de se vendre, l’âme corrompue : peut-être ? Mais

voilà, le créateur céleste était un aristocrate, et pour lui, pas

question de vendre ses terres : il attendait le krach et le

moment où l’empire américain, ainsi que toutes ses valeurs,

s’effondrerait. Dès lors, le maintien de l’Ordre par la

répression ne pourrait plus s’affirmer. Mais tout cela relevait

de mécanismes bien compliqués que seul les créateurs

célestes étaient à même de décrypter, puisque la majorité des

gens s’en foutait, comme des crimes contre l’Humanité.

Conduis seul ta vie sans envier celle d’autrui. Le bonheur est

divers : il est en toi, et son expérience fait ta richesse. La vie

est comme une Œuvre d’art : elle te porte, si elle véhicule un

Message. Le créateur céleste aurait pourtant parfois espéré,

pour sa santé, tout oublier : après tout, tel était le principe de

réalité ; la société était forte de Structures devant lesquelles il

s’agissait de s’incliner, et qu’on ne pouvait que très rarement

Révolutionner. Ce qui faisait des créateurs célestes des

hommes ou des femmes déstructurés, perdus dans un monde

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Les Créateurs Célestes

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qu’ils ne reconnaissaient plus. L’attrait du confort les perdait,

tout comme ces derniers nomades de l’Humanité. Et pourtant

ils préféraient souffrir, y compris de pauvreté, car le temps

était pour eux une fiet attente qui leur avait permis de

s’enrichir des connaissances liées à la survie : du système D à

l’élévation, à la spiritualité. Souffrir, car, comme des boxeurs,

ils savaient sublimer la souffrance et, au fil du temps, mieux

résister. Qu’importe l’égoïsme ou le je-m’en-foutisme : ils

étaient la protection des condamnés.

C’est qu’il fallait parfois préférer l’enfer au paradis, dans

un monde de prostitution généralisée. Tout comme les

boxeurs, il s’agissait d’être endurant et de donner du temps au

temps. Au physique, le psychisme était bien supérieur : tel un

légionnaire, il fallait être prêt pour l’heure dernière. C’est que

nous vivions dans un monde en guerre, une guerre

transparente comme une vitre, à la lumière. La masse

aveuglée, elle, ne voyait rien. La Mondialisation, au prix des

délocalisations, faisait des salariés, autant de soldats réduis à

la réification. Les Droits de l’Homme, la Démocratie n’étaient

que des paravents à la misère. À cela, l’empire américain

préférait les atrocités des guerres. Tout cela n’était que du

business. Les créateurs célestes le savaient, eux qui avaient

tout déclenché par leur pensée guerrière. L’idéologie s’était

propagée, jusqu’à l’heure dernière. Ils savaient que d’autres

de leurs frères s’élèveraient pour conquérir de nouvelles

Terres. Marx contre Stirner ; Socrate contre Homère ; les

papes contre Luther ; Voltaire contre Hitler ; Snyder contre

Weber, etc. Autant de combats pour l’émulation de notre

pensée. Mais voilà, tout le monde s’en branlait, même mon

éditeur : ce qui faisait de moi un penseur sans tuteur. C’était

donc par la parole que je devais m’exprimer. Le Verbe serait

mon sauveur. Influencer les décideurs : je serais conseiller ou

débatteur. Tout comme eux, je m’accaparais le bien public par

la conversion de toutes les valeurs. Mais, après tout cela, ne

restera plus que ma statue de commandeur. J’y viens,

j’arrive : j’attends la mort. Tout a été écrit : mon testament

était celui d’un imposteur. Je n’attendais plus qu’un dernier

baiser au seuil de ma mort. Il sera celui de ma Destinée et de

mon triste sort.

— « Au Banquet de la vie, infortuné convive. Homme libre,

j’apparus un jour, et je meurs. Je meurs et, sur ma tombe, où

lentement j’arrive, nul ne viendra verser le sang de ses pleurs

», d’Agapè de Centaures.

Alors, à ceux qui sont encore rêveurs, je dis :

— Allez au bout de vos rêves, même dans la plus grande des

candeurs. Trouvez votre bien-être dans le réconfort : la

lucidité est à ce prix. Un long chemin tortueux, où les

créateurs célestes s’élèvent jusque dans les cieux. Quant à

Page 87: Les Créateurs Célestes Master

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moi, j’espère ne pas avoir été trop prise de tête : je vous

espère maintenant émancipé. Oh ! Monde débile, monde

ridicule, vous me faites rigoler ! Tout comme la publicité qui

avec le recul, nous apprend bien plus sur la société actuelle et

sa servilité. Mais une idéologie n’est rien sans civisme : ce

qu’était alors l’Ecologisme. Une idée ne peut suivre les modes

sans postérité.

C’est pourquoi les créateurs célestes avaient appris à

s’endurcir. Que serait le monde de demain ? Nous attendions,

comme certain, le déclin de l’empire américain. De cela

dépendait notre Destin ! Les créateurs célestes seraient-ils des

mercenaires ou des missionnaires ? Ou bien ni l’un ni l’autre,

puisque solitaires ? À moins qu’il ne faille s’en remettre à

Dieu ?

C’est que la mort est la seule égalité sur cette Terre et

qu’après tout ne reste que poussière. La vie est comme une

flamme qui s’éteint graduellement. Dès lors la question, vers

quelle Idéologie notre monde futur dépend, me semblait être

une Croyance parmi d’autres sans nul descendance. Le

créateur céleste était un boxeur qui aimait être poussé jusque

dans ses derniers retranchements. Hasard ou Destinée où nos

choix dépendaient parfois d’un rien ou d’une poussière. Le

créateur céleste était, rappelez-vous, un ange déchu. Il avait

essayé de faire de sa vie une Œuvre d’art, car l’art l’avait

reclus. Dans sa prison intime, il voulait libérer l’Humanité.

Mais voilà, aujourd’hui, en serait-il le guide ? Qu’apporterait-

il aux gens, si ce n’est cette Bible orientant les indigents ?

Serait-il cette lumière, ce phare dans la nuit, pour dernier

repère ? Mystère ! Le créateur céleste se devait de rester terre

à terre. À moins qu’il ne ralluma la flamme de la foi en

chacun de soi. Car tout était possible. Si le créateur céleste, à

nouveau, se mettait à rêver, il espèrerait et retrouverait son

âme de guerrier : une exemplarité. Mais il ne fallait peut-être

pas non plus délirer. Laissez les gens à leur cécité,

indifférents, anesthésiés, plutôt qu’apeurés. Car le Mal n’était

pas le sien, mais celui des autres. À chacun de faire sa vie, à

chacun d’en faire l’Histoire, malgré les maux, malgré les

déboires, éternellement seul sur son chemin de désespoir. Au

mieux valait-il de se réfugier dans la folie ? Loin de toute

forme de Barbarie. Car le créateur céleste savait qu’il pouvait

la causer. Son chemin était de se connaître lui-même, au prix

des pires dangers. C’est qu’il était un homme de sciences, qui

s’inoculait lui-même le venin, pour trouver la guérison, en

attendant le jugement dernier. Car, si la métaphysique n’était

pour lui que littérature, la physique était l’alpha et l’oméga

des sciences de la Nature. Céleste, il était, céleste, il

demeurerait, créateur à jamais, qu’il ne fallait pas énerver, car

sa colère était révolutionnaire. Vous me disiez croire, mais en

quoi ? En quoi s’enracinait votre foi ? Dans un traumatisme

qui fit de votre maladie une folle guérison. Ce dur labeur de

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l’écrivain n’était peut-être pas vain. Sauf lorsqu’il faisait

d’une victime un bourreau, variant selon ses humeurs. Tout

n’était qu’une question de Vision (inculquée) : pour tout dire,

elle était dominée par la perception, où l’Idéologie

prédominait et que le dollar et la propagande de l’espoir

diffusaient : entre Démocratie et libre marché, l’Empire

américain se justifiait. Aussi, quelle nouvelle Idéologie

pourrait à l’avenir s’y convertir ? Des créateurs célestes,

l’attente de leur Parole faisait toute leur responsabilité. Nous

vivions une époque où désacralisation rimait avec

démystification, et mes livres n’étaient tout au plus que du

papier. Idéaliste à vingt ans, cynique à trente, le créateur

céleste avait vu son heure sonner.

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Chapitre XXVI

Avec l’âge, l’homme s’endurcit. Il connaissait les

désillusions de la vie, ou comment ne pas croire aux paroles

d’autrui, mais en ses actes. Ne pas savoir pourquoi on fait les

choses est un bon commencement pour les faire. Regardez ce

livre, que pèsera-t-il demain ? À quelle fin sera-t-il, par le

système, recyclé ? Que m’en coûtera-t-il, sur le marché des

antiquités ? Dans un monde de duplicité et de lâcheté, où les

malades font fuir, pour ne pas, à leur contact, attraper leur

mots-dire. Des solutions s’offrent à toi ? Il s’agit de les saisir :

entre le choix d’une vie droite, pour réussir, ou le chemin

tortueux d’un profond délire. Créateur céleste, de votre vie, il

ne faut médire. À la mort, il faut survivre, et rire, rire, rire.

Car voilà, l’heure pour vous est venue de convertir. Une

nouvelle Mission ferait-elle de vous des martyrs ? Créateurs

célestes, il s’agit pour vous de réécrire ou de mourir comme

les indigents, à la foule, indifférents. Il fallait, des plaines

dévastées, tout reconstruire. Rebondir. À nouveau réfléchir,

désobéir, mais surtout ne pas fuir. À tombeau ouvert, il fallait

replonger vers des Croyances trop longtemps ignorées. J’en

avais fait un catalogue dans mon Livre de la connaissance. Je

savais que la sagesse y retrouverait une descendance.

Tout comme la publicité

— Marx, pourrais-tu me reparler de ce communisme primitif,

que tu avais su dissimuler ?

— Il est perdu, je crois, à tout parler. Mort et enterré, son

Animisme s’est effondré lorsque l’homme blanc l’a éradiqué,

et que les dernières tribus qui le pratiquaient n’ont plus eu un

seul espace pour se préserver.

Et il ajouta :

— Va voir Tylor, il fut le dernier témoin de leur virginité.

Fallait-il remonter si loin, à la genèse des paradis célestes ?

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Tylor me répondit :

— L’ethnocentrisme a fait de l’homme blanc un homme

d’Universalité. Seul un retour à la relativité préserverait le

monde des mondes et de leur diversité.

Ænésidème d’ajouter :

— Le Relativisme est peut-être notre dernier espoir pour

sauver l’Humanité. Car, après, quelle nouvelle pensée pourrait

à ce jour germer ?

C’était peut-être là les dernières Paroles de ce qui avait été

notre Banquet.

Les créateurs célestes étaient de ces visionnaires qui

savaient changer de Vision du monde, des femmes et des

hommes éloignés de leurs lointaines contrées. Mais, à ce jour,

en l’an 35 de l’ère centaurienne, quoi de neuf pouvait-on

dire ? L’Ecologisme avait déjà connu ses précurseurs, tout

comme l’Anarchisme et le Socialisme, qui, face au

Néolibéralisme, avaient perdu de leur saveur. Il fallait peut-

être rechercher des compatibilités d’humeurs, mais là encore

Stirner avait fait florès, et son Individualisme était devenu un

égoïsme de fait. Il fallait donc chercher ailleurs. Voyager, ne

pas se résoudre à une société de con-sommation et à sa

Mondialisation. À moins, bien sûr, que la Nature, par ses

ravages, ne reprenne d’elle-même ses droits sur la nature

humaine !

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Chapitre XXVII

C’est que, en ce qui me concerne, par la pensée comme par

la praxis, j’avais tout essayé, mais, voilà, j’avais aussi tout

raté. Il ne resterait de moi que ces maigres écrits pour toute

Postérité. Créateur céleste, je n’aurais peut-être pas changé le

monde, mais au moins je l’aurais compris, ce qui était déjà un

challenge, dans la complexité chaotique de notre Univers.

C’est que le Sens que l’on donne à sa vie est différent pour

chacun. Ne s’agissait-il pas maintenant de respecter cette

différence ? Il était venu le temps des rires et des chants pour

éclairer nos semblables d’un monde devenu fou et

irresponsable. Encore jeune, je me devais de repartir sur les

chemins de l’aventure, à la compréhension d’autres cultures.

Car, si j’étais un bon observateur, que j’avais le sens du

sacrifice, mon rôle s’arrêtait à l’approche de l’héroïsme : je ne

franchissais pas le pas. Ceux qui souffrent sont les seuls qui

pourraient me comprendre. Je ne pouvais me résoudre à finir

en Christ sur la Croix et vivre le supplice des martyrs. Mais

voilà, avais-je le choix ? Seul mon avenir pourrait le dire. Les

créateurs célestes naviguaient toujours entre Hasard et

Destinée. « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante »,

mon cul : tout aujourd’hui était désacralisé. C’est qu’il

s’agissait de retrouver de nouvelle spiritualité. Socrate devant

les juges de la cité, entre ce qu’il aurait dû dire et ce qu’il

disait, face à l’assemblée, entre ce qu’il aurait dû être et ce

qu’il était, dans les faits, avait été, selon Platon, d’une sérénité

exemplaire. Mais voilà, ils avaient fini par le tuer. Le

Panthéon sera pour moi toujours fermé. Après tout,

l’originalité émerge toujours de la marginalité. Elle prend du

temps pour la comprendre, et un peu moins pour

l’appréhender, pour les tenants de l’Ordre moral et de la

Normalité. Mais au jeu des échecs, le créateur céleste ne

pouvait se résoudre à être un pion. Au casino de notre

économie, c’était à lui de faire échec et mat. Dans les

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coulisses de l’Entrisme, contre ses ennemis, il pouvait être un

salaud, car seule lui importait la connaissance, quel qu’en ait

été le prix. Sa richesse était toute intérieure. Ce qui l’avait fait

rejeter des matérialistes et des progressistes, qui ne

conservaient la richesse qu’en papier monnaie, qu’une seule

flamme pouvait anéantir. Mais après tout, qui ne recherche

pas à s’élever par pur intérêt ?

Jeremy Bentham m’avait enseigné son utilitarisme :

— Ce qui est utile pour chacun l’est pour la communauté.

C’était peut-être là mon devoir, moi qui n’avais connu

jusqu’alors qu’une société de droit. Mais le devoir conduit au

sacrifice, et je ne pouvais trahir, emprisonner ma seule

femme, du nom de Liberté. Je n’étais décidément pas de ces

activistes. Tout n’était qu’une question d’éducation, mais

voilà, enseignait-on encore Proudhon ? Je me savais hors de

toute institution. Égocentrique, j’étais plongé dans un univers

fait d’excentricité. Ce que Einstein aurait pu médire, lui qui,

au nom du pacifisme, avait incité les empereurs américains à

utiliser l’arme nucléaire contre les derniers samouraïs

japonais. Les créateurs célestes n’étaient pas à l’abri de dire

des conneries. « Encore un fou qui passe, il va on ne sait où,

et nous suivons sa trace, s’il est plus fou que nous. » Tout

comme la laideur peut connaître la beauté (ce qui m’avait

marqué lors d’un séjour à New York, capitale alors de cet

empire exalté). Il nous fallait parfois nous mettre dans la

difficulté pour découvrir des femmes et des hommes modèles

à notre société. Le théâtre de la cruauté. Les créateurs

célestes ne vivaient pas de Croyances : ils les avaient toutes

analysées. Mais ils n’étaient pas non plus comme Antiochos

d’Ascalon, à les résumer dans un éclectisme ne retenant que la

part bonne de leur volonté. Ce qui ne souffrait pas l’exception

de l’Indéterminisme, où tout n’était que probabilité dans un

monde réduit à un Chaos de plus en plus incontrôlé. Il

s’agissait donc, une nouvelle foi, d’espérer sans espoir, entre

Caïn et Abel, haïr d’aimer.

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— Tu ne vois pas que l’on t’aime, me disait le public révolté.

Tu nous as apporté une nouvelle façon de penser, une

relecture de l’Histoire à travers les différents points de vue

conditionnés. Alors, n’aie pas peur : élève-toi ! Et marche.

Il était vrai que vous m’aviez tant donné, tant appris, que je

vous aimais autant que je vous détestais. Mais voilà peut-être

l’aube d’une belle journée, d’un soleil d’été, d’une journée

« illuminée », et vous constatiez :

— Tu as changé.

Mais c’est grâce à chacun de vous que j’ai grandi et

évolué. Avoir la tête dans le ciel mais conserver les pieds sur

Terre était là un jeu d’équilibriste. Mais tout cela n’était

qu’éphémère. Moi l’enfant abandonné, je parcourais cette

Terre à la recherche désespérée d’une mère qui m’avait renié.

Tout comme vous, les créateurs célestes connaissaient les

traumatismes du passé, mais ils savaient, eux, les sublimer.

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Chapitre XXVIII

Le créateur céleste était un révolté et il n’acceptait pas,

sous le sceau de la Modernité, que l’Américanisation de nos

sociétés ruine les Traditions dont nous étions les héritiers. Il

fallait selon lui, pour chacun, retrouver la dignité de son

Identité, dans le nécessaire respect de l’Altérité. C’est qu’il

fallait en finir avec l’importation d’une culture et d’un mode

de vie qui s’était propagés à crédit par cet empire démesuré.

Fort heureusement, l’Europe essayait de se constituer. C’était

le retour des chevaliers, d’une aristocratie que les créateurs

célestes avaient su préserver, même maudits et humiliés. Ils

étaient restés vivants parmi nous, sous des aspects changeants,

et même dans la mendicité. Ils n’étaient pas de ces gens que

l’on impressionne. Ils savaient tout au plus les manipuler.

C’est qu’ils avaient connu plus jeune la naïveté, et qu’eux

aussi s’étaient fait escroquer par un Affairisme devenu

incontesté. Devaient-ils le devenir à leur tour, certes, mais,

après avoir brisé les chaînes de la crédulité ? C’est qu’il est

difficile de faire de sa petite histoire une grande. « Or la

grandeur n’est plus, et je me morfonds » se plaisait à répéter

Centaures. Le monde n’est plus qu’un vaste Monopoly, un jeu

où « je » ne me reconnaissais plus. C’est que la médiocrité

était la chose la mieux partagée dans le temps. Mais après

tout, revenons à Héraclite : « Tout coule : panta rei »

Le monde changera, évoluera, peut-être sans nous, mais

avec le temps. Après tout, qu’avons-nous à faire de ces

créateurs, même célestes : des boucs émissaires, des hommes

dépendants des aides d’une société qu’ils méprisaient ?

Autant les laisser se livrer à leur triste sort. Mais c’était là

oublier toute leur dangerosité. Les créateurs célestes ne

l’oubliaient jamais, car ils étaient, par leur parole ou leurs

écrits, des dangers pour les plus hautes Autorités, puisqu’ils

remettaient tout en question. Ce n’est pas qu’ils n’avaient pas

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essayé de changer : le doute les habitait, mais leur nature

l’ignorait. C’est que les créateurs célestes ne calculaient point.

— Parfois enfermé dans le savoir de leur tour d’ivoire, ils

se faisaient oublier du monde, pour mieux s’y réincarner,

disait Bouddha lors de notre Banquet.

L’exercice de la rationalité, ils le réservaient aux

technocrates, pour mieux transgresser l’Ordre établi. C’est

qu’ils étaient protégés des princes, et qu’ils fascinaient la

haute pété, ce qui était facile au Banquet de leur luminosité.

Avaient-ils un secret pour que leur pensée soit si

développée ?

Car les gens d’aujourd’hui n’avaient pas compris que leur

accession à la célébrité ne les mènerait pas à la postérité. Que

retiendrait-on de l’Histoire de la pensée, si ce n’est ce fameux

Banquet offert aux créateurs célestes ? Ils pouvaient enfin

sortir de leur cage, en hommes libres et s’exprimer sur tous

les sujets (sans anathèmes). Leur nature les protégeait, eux qui

avaient su survivre dans la jungle urbaine, guerroyer,

exprimer leurs pulsions les plus primitives, s’enivrer du

tourbillon des idées ! Ils étaient tous prêt à renaître contre la

Modernité : Vardhamana, Siddharta, Socrate, Confucius, Lao-

tseu, Aménophis IV, Manès, Moïse, Jésus, dit le Christ, saint

Pierre, saint Paul, Luther, Calvin, Mahomet, dit le prophète,

etc.

Mais voilà, ce jour-là, bien que présent au banc de tous ces

sages « criminels », j’étais absent, et je n’ai pu vous dire tout

ce qu’ils pensaient de notre société actuelle. Ce que je sais,

c’est qu’ils avaient tous des visions à court, moyen et long

terme. Pour certains, des projets pour une société nouvelle,

pendant que d’autres discouraient à en perdre haleine.

Comment fallait-il agir ? Mais, seulement, fallait-il agir ? Ou

se réfugier en soi-même, dans un vide zen ?

Les créateurs célestes ne changeraient jamais : leur vie était

faite de peines ; eux, les observateurs de la misère humaine.

Alors fallait-il s’associer, coopérer ou, à chacun, laisser vivre

une Vision du monde isolée ? Certains étaient des guerriers.

Ils pensaient pouvoir agir sur l’Histoire. D’autres avaient de

loin abandonné. Mais voilà, par quelle magie avaient-ils su

au-delà des temps, par leurs lumières, demeurer dans

l’Histoire de la pensée ? Peut-être par l’économie, importer un

mode et une philosophie de vie. Quelle en avait été la

moralité, pour que survive leur mentalité et que leurs

idéologies aient imprégnées de si diverses contrées ?

Les créateurs célestes avaient su oser : être de ces

combattants farouchement déterminés, sur la même voie

droite, en organisant et en planifiant leur Postérité. Ils avaient

dû croire en leur Destinée : créer une personnalité, une

exemplarité, seuls, abandonnés ou en toute fraternité. Ils

avaient dû comprendre, comme Centaures, que les « sociétés

des hommes » étaient de « partout les mêmes en leur

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Les Créateurs Célestes

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singularité » ; qu’il fallait juger des hommes et non des

systèmes. Peut-être était-ce là un des secrets du Livre de la

connaissance : « vis, expérimente, voyage, démystifie, car,

après seulement, du monde, tu apercevras la complexité ».

Les créateurs célestes avaient donc su voyager, à travers les

pensées, su se détourner des difficultés, et s’adapter aux

mœurs de leur société pour mieux les critiquer en hommes

révoltés. Ils avaient su mûrir des projets, en même temps que

leurs expériences les avaient fait évoluer. Leur présence, il la

devait à la durée, en des terres hostiles, en des sociétés dites

civilisées. Leur principal problème avait été de s’insérer, car

ceux qui ne les comprenaient pas les rejetaient. Menaient-ils

donc une vie, aux yeux des simples gens, gâchée ? Seule la

Postérité pouvait en décider. Mais voilà, la dignité ne consiste

pas à posséder des honneurs, mais à les mériter. C’est qu’il

s’agissait de ne pas se laisser aller. Des causes étaient à

défendre. Heureusement, pour Être, il n’y avait pas besoin

d’Avoir. Le créateur céleste avait appris à voyager léger. Il

avait même déposé son passé. Que connaissions-nous de son

enfance ? De sa famille ? De ses amis ? Rien que du déni. Les

créateurs célestes savaient se faire des ennemis. Ils savaient

pourtant aussi que leur anormalité serait un jour vécue comme

Normalité. Les créateurs célestes étaient des maîtres à penser.

Mais comment de tels êtres étaient-ils bien nés ? C’était là se

poser la question de l’origine de l’Humanité. De Moïse à

Darwin, que de conflictualité. C’est ainsi que chacun ne

connaissait que peu d’amitié. Et voilà, si tout s’éteignait, plus

d’énergie, plus d’électricité : l’homme de Neandertal

ressusciterait, et avec lui sa spiritualité. De l’économie, tout

devait changer. Un retour au civisme : manger français, une

agriculture respectant la biodiversité, des matières premières

sur d’autres planètes devraient être exploitées. J’attendais

avec impatience tous ces changements avec fébrilité. Mais il

fallait juger des résultats sur la transformation de nos réalités.

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C’est que, pour notre contemporanéité, il fallait oublier la

mort, les douleurs, la vieillesse et la maladie. Nous devions

tous n’être que des winner aux dents blanches et aux crocs

bien acérés. Jouer des apparences et faire fi des réalités. Mais,

tout cela, un jour, devrait bien s’arrêter. J’attendais avec

impatience tous ces changements avec fébrilité. Il n’était plus

question de télé-réalité, mais de la survie de notre Humanité.

Le 11 septembre 2001 (après Jésus-Christ) n’était pour

l’empire américain que les prémices d’un Déclin annoncé, et

non la fin. Les créateurs célestes l’avaient bien compris, eux,

les anges déchus : « il n’y aurait plus de Salut ».

Le ciel au-dessus de toi

La Terre en-dessous de toi

Entre le paradis et l’enfer

Le créateur céleste

Naissait sans foi ni loi …