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Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions

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Page 1: Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions
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J'ai demandé à Georges Migot de me laisser choisir parmi tous ses écrits.

En voici une première collection de trois volumes. La variété des sujets peut suggérer que la connais-

sance de ceux-ci servira à faire mieux comprendre tout ce que ce maître musicien français apporte à la musique dans ses compositions musicales.

La pensée créatrice d'un artiste exprime son unité dans sa multiplicité même. Une œuvre véritable est toujours placée au carrefour de routes rayonnantes et diverses. Chacun est libre d'accéder par une ou par l'autre de celles-ci. Encore faut-il qu'on les connaisse afin de faire son choix.

J. D.

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MATÉRIAUX ET MENTIONS

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DU MÊME AUTEUR

JEAN. PHILIPPE RAMEAU ET LE GÉNIE FRANÇAIS DANS LA MUSIQUE - DELAGRAVE. éditeur

ESSAIS POUR UNE ESTHÉTIQUE GÉNÉRALE (épuisé) E. FIGUIËRE, éditeur

APPOGGIATURES RÉSOLUES ET NON RÉSOLUES Trois cahiers (I et II épuisés)

LA DOUCE FRANCE, éditeur

Copyright by George, Migot 1932

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LES ÉCRITS DE GËORGES MIGOT RECUfiffcLJS PAR JEAN DELAYE

II

MATÉRIAUX ET

MENTIONS

LES PRESSES MODERNES 45, Rue de Maubeuge — PARIS Ateliers à Reims, 15, Rue des Telliers

1 9 3 2

Page 7: Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions

LE PRÉSENT VOLUME, ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 15 DÉCEMBRE 1932, SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE DES PRESSES MODERNES, 45, RUE DE MAUBEUGE, A PARIS, ATELIERS DE REIMS (MARNE), A ÉTÉ TIRÉ A 500 EXEMPLAIRES SUR PAPIER ALFA DES PAPETERIES NAVARRE ET 80 EXEM- PLAIRES SUR PAPIER HOLLANDE DONT 60 NUMÉROTÉS DE 1 A 60 ET

20 NUMÉROTÉS DE 1 A XX.

EXEMPLAIRE N°

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Qu'on ne considère pas ces notes écrites au jour le jour comme des affirmations dogmatiques.

Qu'on ne les considère pas non plus comme des vérités.

Ce ne sont que des jalons posés sur ma route, sur mes chemins, à la recherche de vérités peut-être inac- cessibles aux hommes. Je dirai mieux, qu'il est possible que de mauvaises routes aient été parcourues par moi.

Je n'engage donc personne à me suivre. Mais je puis bien dire que, malgré certaines de ces

routes jugées mauvaises pour d'autres, j'ai eu plaisir à voir, regarder, admirer, étudier tout ce qui les bordait : des herbes, des fleurs, des arbres, des hommes, des œuvres. Au-dessus de tout cela du Ciel : Idéal et Foi (i).

G. M.

(i) Ces notes et remarques consignées sur des carnets, en vue d'un ouvrage dont le sens est indiqué au courant du vo- lume par deux ou trois fragments pour une préface, ont été commencées en 1922.

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MATÉRIAUX ET MENTIONS

AVANT UNE PREFACE A FAIRE

Je ne suis pas un personnage digne d'intérêt. J'ai simplement accompli ma tâche. J'ai rempli mes brouettes avec toutes les pierres

trouvées.

Les unes seront peut-être considérées comme des oeuvres significatives d'une préhistoire.

D'autres seront assez bonnes pour construire des maisons où l'on vivra.

Et les dernières, foulées aux pieds, renforceront les routes à parcourir par l'avenir.

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ŒUVRES REVOLUTIONNAIRES ŒUVRES NOUVELLES

[20 Mai 1924 (1)]. Il y a des œuvres nouvelles et des œuvres révolution-

naires. Ces dernières ne sont que des réalisations d'actua-

lités, des troubles, des snobismes, des fantaisies de l'époque où elles naissent.

Les œuvres nouvelles sont des projections du présent dans l'avenir.

L'Œuvre nouvelle précède l'Œuvre révolutionnaire. Comme les écrivains qui annoncèrent la Révolution de 1789 ne virent pas cette Révolution.

L'Œuvre révolutionnaire, par ses excentricités mêmes, prépare la voie à l'Œuvre nouvelle qui sait attendre pour apparaître dans tout son équilibre.

Voiture et les Précieuses, dans leur agitation précé- dèrent Racine dans sa stabilité séculaire.

L'Œuvre révolutionnaire termine une époque, une évolution.

Lorqu'apparaît la Révolution dans ses excentricités, c'est que la vraie Révolution est terminée, attendant la fin des « clowns » pour prendre sa place.

(1) Ces dates ne signifient pas que toutes les notes et re- marques qui les suivent ont été écrites au jour indiqué. Elles sont éparses dans le manuscrit, comme des points de repère de l'ordre chronologique que nous respectons. — J. D.

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SENSIBILITE DES ENFANTS DEVANT LA MUSIQUE MODERNE

Des enfants de 8 à 14 ans ont joué des œuvres modernes avec une technique et une compréhension qui égarent la réflexion; les plus parfaits avaient 8 et 10 ans.

La « connaissance de la vie » apparaît donc comme inutile dans l'œuvre d'art, aussi bien pour l'interprète que pour le créateur.

L'oeuvre d'art est bien un tout en soi, parfaitement réalisée et interprétée, dès que les rapports sont en place, en eurythmie.

SUR LA CREATION DE LA CHANSON DITE POPULAIRE

[27 Mai 1924].

Avec Mme G. V..., venue me voir pour lui donner des directives sur le travail nécessaire à la mise en œuvre du folklore, j'ai expliqué ce qui me paraissait être une chanson populaire :

1° Ronde sonore autour d'une dominante (une note qui domine) ;

20 Que la carrure rythmique, en dehors des airs à danser, est un apport, un grillage mnémotechnique posé sur la ligne créée par un musicien par le besoin popu- laire de pouvoir se souvenir.

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La chanson n'est donc création populaire que par sa carrure rythmique et sa ponctuation.

La ligne sonore est création d'un individu ; la carrure rythmique, création de la collectivité.

30 Puis la ligne sonore s'organise par différentes et successives étapes.

Ronde autour de la dominante, puis atteinte d'une tierce ou sixte, d'une quarte, enfin, ascension vers l'octave en passant par la septième, et retour.

Si le développement se prolonge, c'est que le musi- cien aura jonglé avec la note réelle ou altérée du mode (par exemple ton de fa, avec si ou si bémol) ce qui lui permettra d'aller à la recherche d'une autre note qui domine, il ira vers ré dièse (en harmonique de mi bémol) — quinte de si bémol.

Son élément rythmique naîtra de toutes ces ascen- sions successives vers les notes de plus en plus loin- taines. — Le rythme sera d'autant plus serré (noires, croches, doubles croches, broderies) qu'il sera plus loin des notes naturelles du mode.

D'autant plus large qu'il en sera plus près.

Avec ces observations, tenter un travail de remise en place d'une vieille chanson ; d'abord voir si elle est plus vieille que les airs de danse ; dans ce cas, la débarrasser de sa carrure rythmique ajoutée après coup et recons- tituer la liberté rythmique de sa ligne d'après ces remarques.

Le rythme, dans sa durée, y sera fonction du rapport modal de la note dans la ligne sonore.

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Ainsi sera supprimée la ridicule fantaisie d'attribuer à une ligne mélodique une coupe rythmique qui n'exis- tait pas à l'époque où naquit cette ligne.

Nous ne verrons plus se répéter l'indication de 6/8 pour des lignes du moyen âge.

En dehors des airs à danser il y a les chansons de métier.

Périodicité rythmique certaine, mais basée sur l'eurythmie des gestes « rituels » du métier.

C'est ainsi qu'il en faut reconstituer le rythme.

CHANSONS RELIGIEUSES L'histoire des lignes grégoriennes, en suivant leur

évolution ascendante du VIIIe au XIIIe siècle, nous prouve que leur construction était une transposition plastique sonore des mots et des images plastiques qu'ils éveillaient — le rythme dépend de cela.

CHANSONS D'AMOUR La reconstitution rythmique découle du texte et sur-

tout de la respiration de la passion exprimée.

CHANSONS DE PLEIN AIR Création d'une ligne par les harmoniques d'un son

émis et les échos. Elles sont fonction de la géographie du sol, montagne, plaine ou mer.

De là une étude sur l'influence des régions au point de vue de la modalité.

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Chaque région peut-être a son mode préféré — son mode naturel, géographique.

Il y aurait peut-être le mode ethnographique — puis, individuel avec la tonalité (mode préféré de certains musiciens : Haydn la mineur, Mozart ré mineur, Beethoven ut mineur).

En France, plus de souplesse, plus de finesse; nos musiciens conservant un sens modal par les harmoni- ques du son.

AUDITION — SILENCE [31 Mai 1924].

La musique dépend de tant de circonstances pour être exécutée, entendue et comprise, que seuls les musi- ciens peuvent savoir les tragédies égales du silence et de l'audition.

DE LA DANSE [3 Juin 1924].

Nous l'avons dit ailleurs, il serait juste de considérer toutes les esthétiques chorégraphiques comme pouvant participer à un grand ensemble superposé et non fusionné — une symphonie chorégraphique, un contre- point chorégraphique.

Plastique, hiératique et chorégraphique (ce dernier mot dans le sens de danse classique du XVIIIe s. fran- çais) ; hiératique serait extrême-orient ; plastique serait grecque. A tout cela s'ajouterait la mimique.

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Dans notre préparation d' « Hagoromo », où nous avions nous-même enseigné la chorégraphie de cette œuvre à la danseuse principale, nous avons tenté de conserver tout le vocabulaire chorégraphique de la danse classique, mais en faisant ponctuer chacune des périodes créées avec cette syntaxe par des gestes plas- tiques, hiératiques et mimiques. Il en résultait, non seulement de la variété, mais aussi par opposition une précision du sens chorégraphique classique lui-même.

DE LA MUSIQUE DANS LA COMEDIE

[24 Juin 1924].

J'ai expliqué à L. Ch., pour lui et J. C., quel devait être le rôle de la musique dans la comédie. Cela pour réagir contre la « musique de scène » qui va contre l'action même, puisqu'elle est conçue sans tenir compte du rythme intérieur que doit posséder toute bonne interprétation d'une œuvre de comédie.

Il faut laisser chaque personnage libre de ses mouve- ments, de son mouvement, de son tempo émotif et lyrique.

Malgré cela le rôle de la musique est indéniable au théâtre, où se doivent réunir tous les compagnons d'art pour une unité d'action.

Il ne faut donc pas un développement musical [une architecture musicale] qui serait à lui seul un tout et

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dont les carrures et rapports créeraient un quadrillage derrière lequel apparaîtraient les acteurs raidis et encarrés en dehors d'eux-mêmes et de leur propre volonté.

Que doit être la musique dans la Comédie ? Elle doit revenir au rôle de l'ancien « tenere » (ténor).

La partie de « tenere » ou de ténor n'était-elle pas dans les siècles passés une partie libre où, sur une ronde écrite, le chanteur ou le violon pouvait impro- viser toute la variété linéaire et rythmique dont il était capable ; les autres parties faisant un substratum sonore ?

(Ceci d'ailleurs a existé dans l'école du violon jus- qu'au commencement du XIXe siècle).

Donc: un théâtre, où chaque personnage suivant sa voix, son rôle, son importance, aurait le « continuo de son âme » dans un instrument.

Chaque instrument suivrait l'acteur avec des tenues sonores (et non pas avec des dessins rythmiques qui brideraient celui-ci...) en laissant au musicien le soin de faire de temps en temps un dessin sonore aux moments principaux du personnage.

Au musicien qui sera là de le faire entrevoir pour le ponctuer aux moments essentiels — pour le reste, celui- ci créera une ambiance sonore et celle-ci sera continue, car sa discontinuité casserait la « suite » de la comédie. C'est là le pouvoir de la musique au théâtre.

Il ne s'agit donc pas d'un tempo indiqué avec une barre de mesure.

Bien au contraire, afin de faire comprendre son rôle

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exact à l'exécutant musicien, il serait mieux de lui indi- quer le texte avec les notes qui doivent être jouées sous les mots principaux, et les broderies sonores qu'il peut faire.

Ainsi serait évité le chef d'orchestre dans le sens de batteur d'une mesure proposant involontairement aux acteurs une période rythmique contraire à la leur, à celle qu'ils doivent exprimer. Ainsi, serait sollicitée des exécutants une attention, une participation étroite au déroulement de la comédie verbale.

Comédie verbale: sons, rythmes, couleurs et plans; musiciens, acteurs, lumières et décors.

Tout ceci d'ailleurs dans la tradition de la mélopée et de la ligne grégorienne : examiner la transformation de la ligne grégorienne sur un texte en remontant du XIIe s. au V I l l e s.

DE LA « MATIERE SONORE » DANS L'ŒUVRE MUSICALE

[25 Juin 1924]. En corrigeant dans le domaine sonore un « impromp-

tu » de F. B., comme je l'ai déjà fait pour M., D., D., et tant d'autres, je me suis rendu compte qu'un cours de « matière sonore » dans l'œuvre musicale serait nécessaire.

Quand cela se fera-t-il? Cela est important. On pense

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« harmonies », on oublie « harmoniques » et pourtant notre grand Rameau nous permettait d'entrevoir pareil problème.

Intensité et hauteur du son ne sont pas assez étudiées dans leur rôle important, dans l'œuvre musicale. Je vois toujours le piano écrit dans les 3 ou 4 octaves du milieu de son clavier; on ne va jamais ni vers le grave, ni vers l'aigu, alors qu'il y faudrait écrire les résonances harmoniques des lignes musicales écrites.

Cet oubli crée dans l'œuvre un manque d'air, un manque de fluidité et de résonances, d'où naît la mono- tonie sonore et de là une monotonie générale.

Même remarque pour les cordes, même remarque pour tous les instruments à l'orchestre.

On pense trop « timbre », on oublie intensité et hauteur.

De sorte que des idées musicales remarquables peu- vent paraître ternes écrites dans la matière sonore.

Mauvaise habitude prise de croire qu'une pensée serait cassée si elle se déplaçait d'octave, si elle faisait percevoir des sons d'une autre octave au cours de son développement.

Et pourtant, si la broderie de seconde a été créée pour faire vibrer plus la corde du clavecin, il ne faut pas oublier que le piano, instrument resonnant des har- moniques, doit quelquefois faire ce que nous nomme- rons la broderie à l'octave afin de jouer la note qui résonne déjà un peu par les harmoniques des sons écrits et joués. Tout est là. Et nous affirmons qu'un son n'a pas de hauteur réelle dès qu'il rentre dans la

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musique, c'est-à-dire dès qu'il participe à un dévelop- pement harmonique et polyphonique. Il se déplace d'octave suivant les réactions des milieux sonores où il se trouve passé.

C'est au compositeur à écrire ses différents passages d'octave ; ainsi, il aérera sa musique et la rendra sonore, ce qui, croyons-nous, est l'essentiel en musique.

Sincèrement, peut-on toujours sans raisonnement fixer la « hauteur exacte d'un son entendu à l'orchestre, au piano, au violon, à la voix » ? Non, car les réactions sonores sont multiples qui favorisent des déplacements auditifs d'octaves.

DU DEVELOPPEMENT MUSICAL [ 12 Juillet 1924].

Improvisateur et organiste obligé de composer des œuvres nouvelles pour chaque dimanche, il est tout naturel que Bach ait vu dans la fugue le moyen de composer plus rapidement mais non l'unique moyen d'expression musicale. De là cette longueur de dévelop- pement, en attendant le « rayon de feu ». Comme il est loin de la belle tenue, pleine de pudeur et de décence esthétique de ses contemporains français, les organistes de Grigny, Marchand et tant d'autres !

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QUELQUES REFLEXIONS [17 Juillet 1924].

— Parler à Autrui, c'est bien souvent parler dans le désert.

— Toute œuvre d'art parfaite est une preuve tan- gible, matérialisée, de l'existence passée, présente et future d'hommes parfaits, ou qui furent tels quelques instants.

— La courbe de l'art hindou, la courbe de l'art gothi- que (français) sont les deux pôles spirituels entre lesquels se développe la pensée créatrice supérieure.

— Un rythme (période rythmique) est l'organisation mnémotechnique d'une succession de sensations. Une ligne est une continuité, c'est une pensée.

Notre corps crée le rythme Notre pensée crée la ligne Toute langue primitive est rythmique Toute langue supérieure est musique Chaque invasion barbare nous apporte le rythme

exclusif. Les barbares créent des rythmes d'angles et de volu-

mes. Ils sont assez naïfs pour croire au définitif et au défini. Les initiés créent l'évolution éternelle de la ligne courbe et de la sphère (dans toutes leurs transforma- tions).

L'Europe est la presqu'île de l'Asie. La France est sa lumière.

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N'a-t-il pas fallu que le christianisme quitte Rome pour venir en Gaule, afin d'atteindre une part du sens universel ?

SUR RAMEAU [19 Juillet 1924].

Dans un ouvrage sur Rameau, je dirai tout ce qu'il faudrait dire de ce musicien formidable, de ce lyrique qui fut le premier et le seul à réaliser la superposition, le contrepoint et non la fusion (signe de décadence) du rythme intérieur de la comédie (qu'est le texte) et du rythme lyrique de la musique.

Il fut unique aussi dans sa compréhension des alter- nances et des superpositions des décors, des chorégra- phies.

Qui expliquera le formidable des 4 temps de silence d' « Hippolyte n'est plus »?

Quelques-uns diront: il y a eu Lully. Non, répondrons-nous; allons plus loin, et plus fran-

çais : M. A. Charpentier. Un jour peut-être voudra-t-on prendre la peine d'étu-

dier cet ancêtre et de voir sa grandeur, son apport. Il est placé comme un pôle entre Rotrou et Corneille.

Nous admirons la musique italienne des Italiens, mais il n'y a aucune raison d'exiger de musiciens fran- çais d'avoir celle des Italiens.

C'est possible pour des petits musiciens, pas pour

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des grands ; encore moins pour un géant comme Rameau. Il peut prendre en effet un petit procédé, mais il lui est absolument impossible de puiser toute une esthétique en dehors du génie de sa race. C'est ce qu'on ne comprend jamais assez.

On peut subir des influences, mais jamais de « fonda- mentales ».

Par « fondamentales » il faut entendre le rythme intérieur du génie de toute une race, et auquel vient instinctivement s'alimenter tout génie individuel de cette race.

RACE

A ce sujet, nous pensons ceci : Que pour arriver au développement complet de son

être, de sa pensée, il faut avoir un vocabulaire complet, car la pensée ne se peut manifester à autrui sans les termes d'expression.

On sera d'autant plus soi-même (c'est-à-dire parfai- tement expliqué) que les mots seront de même famille, un Français aura plus de facilité de se trouver en assi- milant tout ce qui est de sa race.

Bien plus, toute assimilation de termes et de moyens étrangers pour s'exprimer ralentit la réalisation de l'expression personnelle de la pensée.

Et nous dirons qu'un pays, qu'un individu, qui n'a

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pas une langue à lui, c'est-à-dire assimilée par lui, subit cette crise.

Donc, pour dire et créer une œuvre, nous affirmons qu'il faut apprendre le vocabulaire complet de sa race, puis l'assimiler, puis rejeter tout apport extérieur, en sa forme, car il resterait extérieur, parasite à la pensée même.

L'étude des moyens étrangers ne doit servir et être considérée que comme un terme de comparaison, de revalorisation des moyens de notre race.

CREATION ARTISTIQUE [21 Juillet 1924].

Toute création dépend de la double oscillation : Emotion-Intelligence — Intelligence-Emotion. Le premier terme, émotion-intelligence, est la période

de ce qu'il est convenu de nommer inspiration ; Le second terme, intelligence-émotion, montre la

faculté d'organiser, de composer les éléments reçus et assimilés et de conserver dans cette organisation, dans cette composition même, la « petite porte émotion » pour le retour éternel de celle-ci qui fut génératrice inconsciente peut-être, mais certaine, de l'Œuvre.

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MUSIQUE DU XVI SIECLE

[23 Juillet 1924].

Pourquoi la musique vocale des siècles passés (XVIe siècle par exemple), donne-t-elle à chaque audition, cette même et éternelle sensation d'être neuve, alors qu'il n'en est pas de même pour la musique sympho- nique ?

Une première raison, tout extérieure, c'est qu'elle est. moins souvent exécutée et entendue.

La vraie raison, croyons-nous, c'est que dès le XVIe siècle, la technique de la voix a été portée à son point extrême (virtuosité et valeur expressive), elle était même plus parfaite que de nos jours. Elle ne peut être dépassée. De sorte qu'elle demeure; mettant toujours en valeur, par ses éléments techniques les œuvres qui utilisent les moyens vocaux, alors que les œuvres sym- phoniques voient leurs procédés techniques vieillir à chaque apport successif d'effets nouveaux.

C'est Strauss entendu après Wagner; Strauss après Debussy. Ceci sans rien retirer de la valeur musicale de l'œuvre, mais la nouveauté du vêtement sonore exerce aussi une influence sur notre émotion.

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DEVANT DES ŒUVRES DE MUSIQUE ANCIENNES

[23 Juillet 1924].

Un musicien ne doit pas les analyser en musico- graphe seulement, il doit même oublier cette analyse musicographique, pour voir toute chose en musicien qui crée lui-même des œuvres, c'est-à-dire considérer toute œuvre comme vivante, actuelle, au point de ne pas chercher une explication théorique d'une particu- larité, mais une explication émotive; celle-là seule lui donnera à lui-même la possibilité d'y trouver de quoi aller plus loin.

Ne jamais vouloir trouver des fautes dans un texte, mais des accents particuliers ayant une raison d'être, ayant une valeur. Quand je dis faute, je veux dire ce qui ne s'explique pas par tel ou tel enseignement théo- rique.

Ne disons pas, par exemple, la « pédale » dans Tite- louze ou Marchand n'est pas amenée avec la perfection d'un Bach : c'est autre chose ; — deux races, deux écoles —, mais disons que celle de Bach est une affir- mation finale (les trois marches d'un monument). C'est une affirmation tonale.

Alors qu'au contraire, chez Titelouze, Marchand, de Grigny, la « pédale » est une pensée, un recueillement, un trouble tonal, un moment syncopé de la tonalité. Et l'on saisira mieux tout ce qu'il est possible de réaliser avec ce moyen expressif.

Page 27: Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions

BRODERIE [26 Juillet 1924].

Un jour sera-t-il possible de voir dans la broderie, le « mordant » de nos musiciens français des XVIIe et XVIIIe siècles, autre chose que la nécessité de faire vibrer plus les cordes fragiles du clavecin. Ne pourrait- on pas considérer ces effets comme des contractions des mélismes de la ligne grégorienne et de la vocalise de plein air. Il en résulterait plus de musique dans l'inter- prétation.

MODES MUSICAUX [27 Juillet 1924].

Pour les modes musicaux, nous avions fait observer l'influence géographique dont ils étaient peut-être dépendants.

Il semble que nous pouvons en avoir un exemple avec les modes de Basse-Bretagne, identiques selon Bourgault-Ducoudray à ceux de Grèce.

— Question de ressemblance géographique — mais restons-en là et n'affirmons pas l'identité des deux musiques (grecque et bretonne). Ce serait affirmer qu'un même mode détermine une même création musi- cale. Affirmation absurde.

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BRETAGNE [20 Août 1924].

J'ai vu des chapelles et landes bretonnes où j'ai pu atteindre l'âme d'ancêtres celtiques que je vénère ; mais que la Bretagne est difficile à pénétrer ! Sur ces Bre- tons, descendants d'une telle race, et dépositaires d'une telle âme, il semble ne rester, comme témoignage, que les lignes du visage et la sonorité d'une langue; tout comme les saints en bois colorié peuvent nous faire entrevoir l'âme mystique. Ces saints figurés ne parlent pas. C'est à nous de retrouver le sens profond de ces visages qui nous offrent la construction syntaxique d'une phrase qu'on n'entend plus.

Il faut aller à ce génie pétrifié, en lui offrant sa propre sensibilité, comme une hostie, afin d'atteindre une transsubstantiation spirituelle qui permette de lire ces hiéroglyphes humains.

SPECIALISATION [10 Octobre 1924].

La spécialisation, c'est le perfectionnement de la « lettre ». L'idée générale, c'est le perfectionnement de l' « esprit ».

La « lettre » améliore peut-être les conditions maté- rielles ; mais si fragmentairement, que l'état spirituel ne

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peut progresser. De là peut-être cette crise matérialiste sans issue de ces dernières années.

Tout spécialiste tue son moi intérieur, pour acquérir un équilibre fragmentaire et passager avec la vie qui passe. Est-il préférable d'être caméléon et non sphinx ?

DANSE [4 Décembre 1924].

J'ai dit souvent, et je le répète : pour la chorégraphie il n'est pas nécessaire (même inutile bien souvent) que les danseurs cherchent à rivaliser de vitesse avec l'orchestre. Bien au contraire, un dessin chorégra- phique lent, ponctuant les accents principaux du dis- cours sonore, donnera plus de dynamisme que la vitesse plastique, parallèle avec la vitesse sonore.

Le contraire est de bon emploi.

NOUVEAUTE EN ART

[19 Décembre 1924].

La nouveauté en art n'est pas la surprise. C'est la constatation inéluctable que l'œuvre entraîne ailleurs que là où l'on va habituellement.

Page 30: Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Matériaux et Mentions 11

Psaumes - , . . , . . . . . . . 229

Page 31: Les écrits de Georges Migot (2). Matériaux et mentions

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