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Les désordres alimentaires Anorexie et Boulimie par Guy Sabourin Santé-Juin 1993 L L e e s s d d é é s s o o r r d d r r e e s s a a l l i i m m e e n n t t a a i i r r e e s s A A n n o o r r e e x x i i e e et B B o o u u l l i i m m i i e e Les experts Les experts Les experts Les experts sont form sont form sont form sont formels els els els : l’incidence : l’incidence : l’incidence : l’incidence des troubles des troubles des troubles des troubles alimentaires augmente, au point de sembler alimentaires augmente, au point de sembler alimentaires augmente, au point de sembler alimentaires augmente, au point de sembler quasi quasi quasi quasi épidémique. Quant à la prévention et au traitement de épidémique. Quant à la prévention et au traitement de épidémique. Quant à la prévention et au traitement de épidémique. Quant à la prévention et au traitement de ces troubles, selon l’Institut national de la ces troubles, selon l’Institut national de la ces troubles, selon l’Institut national de la ces troubles, selon l’Institut national de la nutrition, nutrition, nutrition, nutrition, les ressources sont tout simplement insuffisantes. les ressources sont tout simplement insuffisantes. les ressources sont tout simplement insuffisantes. les ressources sont tout simplement insuffisantes. Aujourd’hui, sur 100 Aujourd’hui, sur 100 Aujourd’hui, sur 100 Aujourd’hui, sur 100 femmes femmes femmes femmes de 12 à 25 ans, 1 est anorexique et 5 sont boulimiques. Inquiétant, certes, et il y a plus inquiétant encore : loin de diminuer, les pressions que subit la femme pour que son corps épouse la silhouette des mannequins sont omniprésentes. Il ne passe pas une journée sans qu’elle soit rappelée à l’ordre : désormais, aucune excuse pour afficher un seul kilo en trop! Par dizaines, les centres d’amaigrissement proposent de s’occuper d’elle. Les conseils fusent de partout. Quand on lui dit de faire de l’exercice ou de bien s’alimenter, c’est trop souvent strictement dans le but de contrôler son poids. Pour l’homme, au contraire, performance et santé priment. Il n’est donc pas étonnant que les désordres alimentaires touchent essentiellement les femmes… Si l’idéal féminin revenait à la pulpeuse Marilyn Monroe ou aux langoureux modèles de Renoir, nul doute que les incidences de troubles alimentaires chuteraient rapidement! Le mal vient de loin : les filles grandissent souvent dans une famille où mère et sœurs parlent continuellement d’alimentation, de kilos en trop, de régimes amaigrissants… Elles enregistrent les frustrations et les insuccès multiples de leurs proches dans leurs tentatives de maigrir (dans 95% des cas, les régimes yoyo ne donnent rien à long terme). Pas étonnant qu’elles tombent dans le piège à leur tour!

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Les désordres alimentaires Anorexie et Boulimie

par Guy Sabourin Santé-Juin 1993

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ces troubles, selon l’Institut national de laces troubles, selon l’Institut national de laces troubles, selon l’Institut national de laces troubles, selon l’Institut national de la nutrition, nutrition, nutrition, nutrition,

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Pour l’homme, au contraire, performance et santé priment. Il n’est donc pas

étonnant que les désordres alimentaires touchent essentiellement les femmes… Si l’idéal féminin revenait à la pulpeuse Marilyn Monroe ou aux langoureux modèles de Renoir, nul doute que les incidences de troubles alimentaires chuteraient rapidement! Le mal vient de loin : les filles grandissent souvent dans une famille où mère et sœurs parlent continuellement d’alimentation, de kilos en trop, de régimes amaigrissants…

Elles enregistrent les frustrations et les insuccès multiples de leurs proches dans

leurs tentatives de maigrir (dans 95% des cas, les régimes yoyo ne donnent rien à long terme). Pas étonnant qu’elles tombent dans le piège à leur tour!

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Les pressions qu’exerce la société

sur le corps de la femme sont-elles alors la seule cause des désordres alimentaires? Rien n’est moins sûr. Les experts, faute d’avoir identifié LA raison, parlent pour l’instant d’un ensemble de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Il suffit que la graine ait été semée dans un milieu qui lui permettre de germer… Quelques exemples : un nourrisson sevré rapidement du sein maternel; un bébé sous-alimenté; un parent qui terrorise son enfant afin qu’il vide son assiette; un adolescent qui redoute d’aller s’asseoir trois fois pas jour en face de ses parents autoritaires pour les incontournables repas; un père qui tyrannise sa famille; un enfant qui boude les aliments pour attirer l’attention; une mère très inquiète de son poids et de son alimentation…

Selon un manuel de psychiatrie de

l’enfance, il s’agit là de situations déclencheuses. Le désordre n’apparaîtra

bien souvent que des années plus tard. C’est pourquoi l’histoire de la patiente et celle de sa famille font partie intégrante du traitement. « Nous cherchons pour chaque cas ce qui prédispose, précipite et perpétue les désordres alimentaires, explique Hélène Gauthier, coordonnatrice de la clinique des troubles alimentaires à l’hôpital Douglas. Notre intervention se fait principalement sur les facteurs qui perpétuent la maladie, dans un contexte de thérapie à court terme. » Un traitement urgentUn traitement urgentUn traitement urgentUn traitement urgent es consultations externes sont réservées aux cas les moins graves. Mais quand les anorexiques et les boulimiques souffrent de malnutrition sévère ou ont perdu le contrôle de leur comportement alimentaire, il faut les hospitaliser. Première étape : les encourager à manger, les aider à contrôler leurs comportements autodestructeurs, leur faire reprendre du poids peu à peu. Seul un milieu strict, encadré et piloté par un personnel qualifié, peut laisser espérer de bons résultats. Dans la famille, malgré les meilleures intentions du monde, les affects interfèrent. Peu à peu, quelques repas plus tard, la confiance s’installera entre la thérapeute et la patiente. L’anorexique remettre enfin le contrôle de son alimentation entre les mains d’une personne avec qui elle aura développé un lien de confiance. Elle parlera enfin de sa crainte de grossir. Comment expliquer ceComment expliquer ceComment expliquer ceComment expliquer ce changement de cap? changement de cap? changement de cap? changement de cap?

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Peur et anxiété s’atténuent dès que la personne reprend des forces. Il faut bien comprendre que l’anxiété est un puissant symptôme qu’amplifie la sous-alimentation : la famine neutralise en effet le fonctionnement normal du cerveau, et celui-ci s’emprisonne en quelque sorte dans une « logique »… illogique, sous l’emprise de la peur et de l’anxiété. Plus l’anorexique prive son corps et plus la boulimique se gave, plus elles courent le risque de rester emprisonnées dans le cercle vicieux de la malnutrition : voilà l’une des clés du traitement. On a longtemps cru que toute une série de symptômes émotionnels – dépression, irritabilité, anxiété et sautes d’humeur – et de symptômes physiques – maux de tête, fatigue, perte des cheveux, troubles visuels et auditifs, besoin réduit de dormir, baisse de la température corporelle et des battements cardiaques, apparition d’un duvet parce que le corps a froid – découlaient directement de l’anorexie et de la boulimie. Erreur! Il s’agit là tout simplement des symptômes de la famine. Il y a quelques années, 36 jeunes et vigoureux volontaires américains en bonne santé, en ont fait la preuve. Soumis à un régime sévère les privant durant 24 semaines de la moitié de leurs calories habituelles, les voilà complètement obsédés par la nourriture, devenue au fil des jours leur principal sujet de conversation et de lecture. À des degrés divers, ils ont tous souffert de la faim, et tous les symptômes décrits plus haut sont apparus. Les volontaires se sont refermés sur eux-mêmes, ont perdu leur sens de l’humour et leurs capacités intellectuelles. La famine les avait profondément transformés. Avertissement formel, donc : les causes reconnues jusqu’à maintenant des désordres alimentaires ne sont en fait que les effets redoutables d’une alimentation déficiente. Comment aider Marie?Comment aider Marie?Comment aider Marie?Comment aider Marie? arie, 17 ans, souffre depuis 2 ans d’anorexie accompagnée de crises de boulimie. Quand tout va bien dans sa vie, elle ingurgite deux raisins pour déjeuner, une pomme pour dîner, un verre de lait et deux carottes pour souper. Elle se sent légère, au meilleur de sa forme, et toute sa famille constate sa bonne humeur. Cette situation se maintient deux ou trois jours, voire quelques semaines. Puis quelque chose soudain se détraque. Un rien, une contrariété, deux ou trois fautes dans une dictée ou son copain qui annule un rendez-vous… Marie saute alors sur la nourriture et avale tout ce qui lui tombe sous la main, mange à s’éclater, puis court dans la douche pour se faire vomir sous l’eau, afin que sa famille ne s’aperçoive de rien. Ou elle avale une boîte complète de laxatifs. Pourtant, Marie connaît très bien les vertus des aliments, autant qu’une diététiste qualifiée! Elle connaît surtout tous les secrets des calories… Elle sait où se cachent les gras, où découvrir les vitamines et les minéraux, combien de fibres et de protéines il faut consommer chaque jour. Mais quand vient le moment de choisir entre digérer un repas ou le vomir, la phobie de grossir l’emporte sur la raison. Marie, en fait, est obsédée par la minceur et par les calories. Son entourage lui répète à satiété qu’elle est maigre. « Mais quand je me regarde dans le miroir, je me vois grosse comme un éléphant », confie-t-elle à sa meilleure amie. Ses proches s’inquiètent. Sa mère vit un cauchemar : sa petite fille est en

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train de « se suicider ». Elle perd ses cheveux. Ses dents se déchaussent. Elle a des faiblesses et manque parfois de perdre connaissance. Elle nie évidemment toutes ces choses, et surtout le fait qu’elle met sa vie en danger. Les adolescentes vivant au présent, elles nient les conséquences parfois irréversibles d’un désordre alimentaire sur leur santé future. Cœur, reins, estomac, intestins et ossature peuvent en effet leur donner du fil à retordre pour le restant de leur vie. Le plus difficile, c’est de reconnaître le mal. « On n’admet pas volontiers que son enfant souffre d’une maladie mentale, dira la mère de Marie. C’est tabou. On se sent terriblement coupable et on ne sait pas comment aborder la question. » Les experts recommandent à la famille d’adopter une attitude ouverte et honnête, sans oublier pour autant qu’il y a une limite à ce qu’elle peut faire. Il ne faut surtout pas avoir peur de dire à son enfant qu’on s’inquiète pour sa santé et qu’on aimerait l’aider. En exprimant sa colère, sa frustration, son impuissance et sa peur, le parent accorde implicitement à l’enfant malade la permission de vivre ses propres émotions. Les membres de la famille ont cependant des questions à se poser sur leurs propres comportements alimentaires. Tenter la jeune fille anorexique avec ses mets préférés, la forcer à manger ou parler continuellement de nourriture ou de poids, voilà autant de comportements nuisibles. Les proches doivent souvent s’engager à fond dans une thérapie familiale ou conjugale. Reste qu’ils ont de la difficulté à admettre leur part de responsabilité… « Si vous accordez beaucoup d’importance à votre corps, à votre poids, à la minceur et aux régimes que vous suivez, ne soyez pas étonné que la personne anorexique ou boulimique ne change pas ses propres opinions sur son corps et son idéal de minceur », soutient Dorita Shemie, directrice de la Fondation de l’anorexie nerveuse et de la boulimie du Québec. Réagir rapidementRéagir rapidementRéagir rapidementRéagir rapidement : Essentiel!: Essentiel!: Essentiel!: Essentiel! outes les adolescentes surveillent plus ou moins leur poids, mais toutes ne deviendront pas anorexiques. La candidate à cette maladie présente déjà des signes inquiétants : elle ne se laisse plus servir à table par ses parents, s’octroie – elle-même – de minuscules portions, trouves toutes sortes d’excuses pour se défiler rapidement et couper court à son repas ou carrément le sauter (trop fatiguée, trop d’étude, pas le temps, ne se sent pas bien, mal à la tête, etc.). Plus le temps passe, moins elle mange, et plus elle maigrit. Par ailleurs, elle n’est plus menstruée depuis quelques mois. On ne sait pas encore qu’elle souffre de malnutrition. Difficile d’y voir clair car elle ne parle pas volontiers de son attitude devant la nourriture et ne veut pas entendre parler de sa maladie.

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Faire admettre à sa patiente qu’elle souffre de trouble alimentaire, voilà l’un des principaux défis du médecin soignant. Il faut encore qu’il soit consulté sans délai, dès qu’apparaît un doute sérieux : c’est la seule façon de prévenir la chronicité de la maladie et d’augmenter les chances de réussite du traitement. Malheureusement, la plupart des omnipraticiens ne savent que faire avec une patiente anorexique ou boulimique. Leur premier réflexe sera de l’envoyer dans une clinique spécialisée, où elle ne fera que s’inscrire en bas d’une longue liste d’attente. Avant que ne débute le traitement, la patiente sera laissée à elle-même. « Or, la meilleure façon de soigner ces maladies, de prévenir la chronicité, c’est de les prendre dès le début », soutient le Dr Jean Wilkins, pédiatre à Sainte-Justine, spécialisé en troubles alimentaires. Les symptômes de l’ALes symptômes de l’ALes symptômes de l’ALes symptômes de l’Anorexie…norexie…norexie…norexie… ‘adolescente anorexique se recrute dans les rangs des perfectionnistes. Ses objectifs dans la vie se révèlent trop souvent déraisonnables, voire impossibles à réaliser, et ne sont par conséquent jamais atteints. Quant à son désir de peser 36 kilos, il est – malheureusement! – parfaitement réalisable. Son pèse-personne lui dira bientôt : mission accomplie. De plus, la façon de penser de nuances : tout est noir ou blanc. Les spécialistes estiment qu’elle a peur de vieillir, peur de vivre une sexualité conforme à celle des personnes de son âge, peur de l’indépendance. « C’est un peu comme de vouloir arrêter le temps, avant de plonger dans la vie adulte qui exige performance, efficacité, succès », rappelle Hélène Gauthier. En quête d’elle-même, de son identité, l’anorexique cherche à répondre parfaitement à ce que veulent ses parents. Le traitement l’amènera à construire sa personnalité, à se détacher doucement des parents, à combler le vide qui ne manque pas de surgir quand le comportement anorexique cesse de lui servir de masque. … Et de la Boulimie… Et de la Boulimie… Et de la Boulimie… Et de la Boulimie a boulimique, elle aussi, souffre d’une peur intense de devenir obèse si elle adopte un comportement alimentaire normal. Les formes de son corps – et jusqu’à sa vie elle-même – lui déplaisent. Il lui arrive de manger hors de tout contrôle, d’ingurgiter des milliers de calories d’un seul coup. Après, survient l’opération remords : elle se purge, jeûne ou fait de l’exercice de façon compulsive pour se débarrasser des intruses… Ces comportements jouent sur son humeur. Cette personne pourrait bien être assaillie de pensées suicidaires, et passera parfois aux actes. Son poids varie sans cesse, mais elle ne deviendra jamais maigre comme l’anorexique. La boulimique est presque toujours sous l’emprise d’un régime sévère, mais elle perd souvent le contrôle, surtout en soirée, et en profite pour se gaver. L’abus sexuel fait aussi partie du portrait clinique d’environ 50% des boulimiques, soutient Agnès Hack, médecin à la clinique des troubles alimentaires de l’Hôpital Douglas.

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« Nous ne prétendons pas que c’est LE facteur déclenchant pour toutes les femmes, mais ce l’est pour plusieurs d’entre elles. Inceste, agression ou abus sexuel de quelque nature que ce soit laissent des marques dans l’estime – déjà fragile – que se porte la boulimique. Plusieurs ressentent un grand sentiment de culpabilité et estiment, surtout quand elles sont jeunes, qu’elles ont été agressées par leur faute. La boulimie devient une sorte d’autopunition. » Danièle Le Blond, ergothérapeute en psychiatrie à l’Hôpital Notre-Dame, refuse pour sa part de chiffrer le nombre de cas d’abus sexuels. « Mais j’observe dans le cadre de mon travail que plusieurs anorexiques et boulimiques ont souvent

grandi dans un climat malsain, surtout dans la relation avec le père. On peut parler d’inceste latent plutôt que réel, de situations équivoques, sans passage réel à l’acte. » Le Dr Leichner, psychiatre et ex-directeur de la clinique des troubles alimentaires à l’hôpital Douglas, estime que les anorexiques ont des tendances compulsives obsessionnelles tandis que les boulimiques souffrent davantage de troubles de la personnalité, contrôlent mal leurs impulsions, éprouvent un sentiment de vide émotionnel et sont facilement frustrées et moroses. Si les boulimiques demandent plus facilement de l’aide que les anorexiques, il n’en reste pas moins que leur faible estime d’elles-mêmes et la honte qui les paralyse font qu’elles remettent toujours leur décision… au lendemain. En pleine contradictionEn pleine contradictionEn pleine contradictionEn pleine contradiction n tentant de contrôler leur corps, anorexiques et boulimiques pensent avoir leur vie bien en main. Mais ce besoin d’établir un tel contrôle dévoile plutôt l’absence de tout contrôle. C’est ce que soutient Catrina Brown, thérapeute à la clinique des troubles alimentaires de l’hôpital général de Toronto. Selon elle, la vie de nombre de femmes oscille entre deux cycles : en contrôle et hors contrôle. Quand elles suivent une diète, elles maîtrisent la situation et se sentent bien; quand elles n’en suivent pas, c’est l’anarchie et elles se sentent mal. En fait, il s’agit là d’un drame intérieur perpétuel. « Contrôler son corps devient pour la femme un substitut précaire au contrôle réel de sa vie, soutient Catrina Brown. Tout thérapeute, pour réussir son traitement, doit comprendre cette notion clé de pouvoir et éviter d’imposer son propre contrôle à sa patiente. Le but de la démarche – retrouver une estime de soi qui ne passe pas par la nourriture et le contrôle du poids – doit être consenti par la patiente et les étapes décidées conjointement avec le thérapeute. La victime d’un désordre alimentaire doit se sentir à la fois en terrain sûr et stimulée par des défis. »

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« Les femmes parlent avec leur corps, soutient pour sa part l’Américaine Susie Orbach. Pour plusieurs d’entre elles, le corps reste le lieu où s’expriment les déceptions de leur existence, l’arène où se disputent leurs luttes. Plutôt que de changer leur vraie vie et de s’attaquer aux vrais problèmes, elles tentent de transformer leur corps. » Anorexie et boulimie sont en fait des protestations voilées, un message que l’entourage n’entend pas toujours… S’en sortir?S’en sortir?S’en sortir?S’en sortir? outes, malheureusement, ne quitteront pas leur prison alimentaire. Grosso modo, un tiers des personnes atteintes reprendra pour toujours une vie normale; un second tiers fera des rechutes, c’est-à-dire qu’anorexie et boulimie resteront leur façon à elles d’exprimer leur détresse durant certains moments difficiles de leur existence; en ce qui concerne le dernier tiers, elles resteront les cas chroniques et, parmi elles, jusqu’à 15% mourront des suites de la malnutrition. Dans tous les cas : une situation à prendre au sérieux, et vite.

Vomir et Abuser des LaxatifsVomir et Abuser des LaxatifsVomir et Abuser des LaxatifsVomir et Abuser des Laxatifs : Danger!!!: Danger!!!: Danger!!!: Danger!!!

La boulimique qui vient de manger à se défoncer et l’anorexique qui a succombé à une rage d’aliments se retrouvent toutes deux aux prises avec la culpabilité. Il faut évacuer à tout prix les effets de cette orgie alimentaire qui, estiment-elles, risque de laisser d’abominables kilos! Leur arsenal : s’enfoncer les doigts dans la gorge pour vomir, ou encore avaler une boîte complète de laxatifs. Bien qu’elles semblent à première vue sans conséquence, ces méthodes expéditives restent très dangereuses. C’est qu’elles font perdre à l’organisme beaucoup d’eau et de minéraux (potassium, sodium et chlorures) essentiels à certaines fonctions organiques, dont le transport de l’influx nerveux. Ce qui peut arriver : non seulement de graves hémorragies en vomissant, mais encore fatigue, constipation, arythmie ou arrêt cardiaque, fonctionnement des reins et du cerveau perturbé, spasmes musculaires, détérioration de l’émail des dents, rétention d’eau, émotions en dents de scie et cycle menstruel irrégulier. En plus d’être dangereux, ces moyens restent totalement inefficaces, soutient Danielle Bourque, dans son ouvrage À dix kilos du bonheur. L’organisme assimile très vite les calories dans le processus digestion. Le temps d’aller se faire vomir, le corps a souvent emmagasiné davantage de calories que si l’on avait mangé normalement durant la journée. Le laxatif, pour sa part, ne fait que vider très vite le gros intestin, mais trop tard, car tout a déjà été assimilé par l’organisme. Le purgatif ne fait que laisser une sensation de

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vide, ce vide qu’aiment bien l’anorexique et la boulimique, ayant appris à l’associer à la minceur.

Les Lumières de L’analyseLes Lumières de L’analyseLes Lumières de L’analyseLes Lumières de L’analyse Pour la psychanalyse, l’aliment demeure le langage le plus expressif qui soit. Toutes les cultures, en regard de l’alimentation, ont leurs particularités biologiques (pas les mêmes aliments), morales (on ne s’alimente pas pour les mêmes raisons) et sociales (on ne s’alimente pas de la même manière). Chaque société voit donc son alimentation régie par des règles très strictes qui soudent en quelque sorte les individus entre eux. Entrer en conflit avec l’une ou l’autre des ces règles, de quelque manière que ce soit, peut conduire au désordre alimentaire. L’alimentation étant au centre de la vie et la table au centre de la famille, c’est donc le lieu « où ça se passe ». Autant il peut y régner harmonie, échange et équilibre, autant peuvent y éclater les conflits et s’y déchaîner les passions. Jour après jour, la table devient donc le lieu d’un rêve ou… d’un drame. Cette deuxième éventualité, elle aussi, entraîne parfois le désordre alimentaire