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1 Les deux Ajax ou Ajax seul dans la tradition homérique et après* A. Les deux Ajax dans l’épopée homérique L’épopée homérique cite deux Ajax, le fils de Télamon et le fils d’Oïlée. Parmi les héros mentionnés par l’Iliade, ce ne sont pas les seuls homonymes, il y en a beaucoup d’autres. Ainsi, on rencontre : - deux Agésilaos 1 , un Achéen et un Troyen - cinq Adrestos 2 , deux Achéens et trois Troyens - deux Akamas 3 , tous deux du côté troyen - quatre Alastor, 4 deux Achéens et deux Troyens - deux Amphimachos 5 , un Achéen et un Troyen, etc. Le cas des deux Ajax dans l’armée achéenne n’a donc a priori rien d’extraordinaire. Ce qui les différencie des autres homonymes, c’est que, pour les autres, Homère évite de les montrer ensemble et qu’il s’agit pour la plupart de personnages secondaires, souvent des figurants 6 , tandis que les deux Ajax sont des héros importants et qu’ils sont souvent mentionnés ensemble. L’un, le fils de Télamon, dirige, dans le Catalogue des Vaisseaux, le contingent de Salamine, transporté par douze vaisseaux (B 557-558). C’est un guerrier de grande taille qui porte un bouclier énorme, grand comme une tour, fait de sept peaux de bœuf recouvertes d’une plaque de bronze (H 219-224, Λ 544). Après Achille, c’est le plus valeureux des Achéens (B 768 7 ). Teukros est le frère d’Ajax, peut-être légitime (il est dit de même père et de même mère, κασίγνητος 8 καὶ ὄπατρος, Μ 371), mais ailleurs il est appelé « bâtard » (νόθος, Θ 284). En plusieurs passages, Teukros se défend en tirant des flèches meurtrières. Télamon n’est mentionné que comme père d’Ajax ou, en quelques passages 9 , comme celui de Teukros. L’autre Ajax est petit et, dans le Catalogue des Vaisseaux, il conduit les Locriens amenés sur quarante vaisseaux (B 527-535). Guerrier valeureux, il est fameux pour sa rapidité à la course. *Texte d’une co m ive m unication présentée à l’Un rsité Charles-de-Gaulle – Lille III, le 30 mai 2008. 1 P. WATHELET, Dictionnaire des Troyens de l’Iliade, 2 vol., Liège, Bibl. de la Fac. de Philosophie et Lettres, 1988, 6 αος, p. 15 -1 o Ἀγέλ 0 52 (D cumenta et Instrumenta, 1). 2 ATHELET ΙΙ, n° 12 Ἄδρηστος III, p. 170-178. P. W , Dict. des Troyens…, n° 10 Ἄδρηστος Ι, n° 11 Ἄδρηστος 3 P. ATHELET W , Dict. des Troyens…, 17 Ἀκάμας Ι et n° 18 Ἀκάμας II, p. 242-250. 4 ATHELET στωρ II, p. 251-255. P. W , Dict. des Troyens…, n° 20 Ἀλάστωρ Ι et n° 21 Ἀλά 5 P. WATHELET, Dict. des Troyens…, n° 29 Ἀμφίμαχος, p. 268-270. 6 s, par e C’est le ca xemple, pour les deux Agélaos, pour Adraste II et Adraste III, pour les deux Alastor, etc. 7 Après le Catalogue des vaisseaux et avant celui des Troyens, il y a une évocation des meilleurs chevaux (B 763- 767), puis des meilleurs guerriers (B 768-770). 8 Le sens premier de κασίγνητος et son étymologie continuent de poser un problème (cf. P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, p. 503, s.v. κασίγνητος). Sur ὄπατρος, cf. P. WATHELET, Les traits e grecque, Rome, Ateneo, 1970, p. 176. éoliens dans la langue de l’épopé 9 Θ 281, 283, Ν 170, 177, Ο 462.

Les deux Ajax ou Ajax seul dans la tradition homérique et ...kubaba.univ-paris1.fr/actualites/actu_2008/ajax_ajax.pdf · Ajax, fils de Télamon, se distingue comme le plus brave

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    Les deux Ajax ou Ajax seul dans la tradition homérique et après* A. Les deux Ajax dans l’épopée homérique

    L’épopée homérique cite deux Ajax, le fils de Télamon et le fils d’Oïlée. Parmi les héros

    mentionnés par l’Iliade, ce ne sont pas les seuls homonymes, il y en a beaucoup d’autres. Ainsi, on rencontre :

    - deux Agésilaos1, un Achéen et un Troyen

    - cinq Adrestos2, deux Achéens et trois Troyens

    - deux Akamas3, tous deux du côté troyen

    - quatre Alastor,4 deux Achéens et deux Troyens

    - deux Amphimachos5, un Achéen et un Troyen, etc.

    Le cas des deux Ajax dans l’armée achéenne n’a donc a priori rien d’extraordinaire. Ce qui les différencie des autres homonymes, c’est que, pour les autres, Homère évite de les montrer

    ensemble et qu’il s’agit pour la plupart de personnages secondaires, souvent des figurants6, tandis

    que les deux Ajax sont des héros importants et qu’ils sont souvent mentionnés ensemble.

    L’un, le fils de Télamon, dirige, dans le Catalogue des Vaisseaux, le contingent de Salamine, transporté par douze vaisseaux (B 557-558). C’est un guerrier de grande taille qui porte

    un bouclier énorme, grand comme une tour, fait de sept peaux de bœuf recouvertes d’une plaque

    de bronze (H 219-224, Λ 544). Après Achille, c’est le plus valeureux des Achéens (B 7687).

    Teukros est le frère d’Ajax, peut-être légitime (il est dit de même père et de même mère, κασίγνητος8 καὶ ὄπατρος, Μ 371), mais ailleurs il est appelé « bâtard » (νόθος, Θ 284). En plusieurs passages, Teukros se défend en tirant des flèches meurtrières. Télamon n’est mentionné

    que comme père d’Ajax ou, en quelques passages9, comme celui de Teukros.

    L’autre Ajax est petit et, dans le Catalogue des Vaisseaux, il conduit les Locriens amenés sur quarante vaisseaux (B 527-535). Guerrier valeureux, il est fameux pour sa rapidité à la course.

    *Texte d’une co m ivem unication présentée à l’Un rsité Charles-de-Gaulle – Lille III, le 30 mai 2008. 1 P. WATHELET, Dictionnaire des Troyens de l’Iliade, 2 vol., Liège, Bibl. de la Fac. de Philosophie et Lettres, 1988, n° 6 αος, p. 15 -1 o Ἀγέλ 0 52 (D cumenta et Instrumenta, 1). 2 ATHELET ΙΙ, n° 12 Ἄδρηστος III, p. 170-178. P. W , Dict. des Troyens…, n° 10 Ἄδρηστος Ι, n° 11 Ἄδρηστος3 P. ATHELETW , Dict. des Troyens…, n° 17 Ἀκάμας Ι et n° 18 Ἀκάμας II, p. 242-250. 4 ATHELET στωρ II, p. 251-255. P. W , Dict. des Troyens…, n° 20 Ἀλάστωρ Ι et n° 21 Ἀλά5 P. WATHELET, Dict. des Troyens…, n° 29 Ἀμφίμαχος, p. 268-270. 6 s, par e C’est le ca xemple, pour les deux Agélaos, pour Adraste II et Adraste III, pour les deux Alastor, etc. 7 Après le Catalogue des vaisseaux et avant celui des Troyens, il y a une évocation des meilleurs chevaux (B 763-767), puis des meilleurs guerriers (B 768-770). 8 Le sens premier de κασίγνητος et son étymologie continuent de poser un problème (cf. P. CHANTRAINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, p. 503, s.v. κασίγνητος). Sur ὄπατρος, cf. P. WATHELET, Les traits

    e grecque, Rome, Ateneo, 1970, p. 176.

    éoliens dans la langue de l’épopé9 Θ 281, 283, Ν 170, 177, Ο 462.

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    Il porte une cuirasse de lin (λινοθώρηξ - Β 529)10 et il excelle au lancer du javelot (ἐγχείῃ - Β

    530)11. Il est fils d’Oïlée et d’Eriopis. Le nom d’Oïlée apparaît en quelques passages. Cet Ajax a

    un demi-frère, Médon, bâtard d’Oïlée, né de Rhéné, et qui réside à Phylakos, en Thessalie, où il a

    dû s’exiler après avoir tué un frère de sa marâtre, Eriopis (N 694-697 = O 333-336). Avec sept

    nefs, Médon dirige les troupes de Philoctète, lequel avait été abandonné à Lemnos (B 716-728).

    Médon est tué par Enée (O 332).

    Si le grand Ajax est accompagné de plusieurs compagnons, ceux-ci ne sont jamais

    désignés comme salaminiens. Les vers du Catalogue des Vaisseaux consacrés à Ajax et à son contingent avaient été suspectés dans l’Antiquité. Les Mégariens accusaient Solon de les avoir

    introduits après la mention du contingent athénien, afin de justifier les prétentions d’Athènes sur

    Salamine12. Les vers en question (B 557-558) :

    Αἴας δ’ ἐκ Σαλαμῖνος ἄγεν δυοκαίδεκα νῆας

    στῆσε δ’ ἄγων ἵν’ Ἀθηναίων ἵσταντο φάλαγγας.

    Ajax, de Salamine, menait douze vaisseaux. Il les fit se placer là où des Athéniens se tenaient les guerriers.

    sont très différents du reste de la présentation du Catalogue. Pour l’immense majorité des autres contingents, la liste des localités, la mention du nombre des vaisseaux et celle de ceux qui les

    commandent figurent dans des vers différents13. De plus, en ce qui concerne les localités, on n’y

    trouve pas de mention de provenance, mais des indications de situation, du type Ceux qui tenaient telle et telle localité. Or, pour Ajax, un seul vers (B 557) comporte le nom du commandant, le nombre des vaisseaux et une indication de provenance, le second hexamètre

    10 L’épithète n’apparaît que deux fois chez Homère, pour Ajax, le Locrien, et, pour un Troyen, Amphios, cité dans le Catalogue troyen (B 830). On peut s’interroger sur l’utilité d’une cuirasse de lin, sans doute s’agit-il d’une cuirasse légère qui permet au combattant de se déplacer rapidement. Afin d’être efficace, elle devait être rembourrée d’une manière ou d’une autre (cf. Frank H. STUBBINGS, Arms and Armour, dans Alan J. B. WACE - Frank H. STUBBINGS,

    , 1962, p. 507). A Companion to Homer, Londres, Macmillan11 ἀλλὰ πολὺ μείων · ὀλίγος μὲν ἔην, λινοθώρηξ,

    ἐγ · χείῃ δ’ ἐκέκαστο Πανέλληνας καὶ Ἀχαιούς tit de lin, Mais beaucoup plus pe , à cuirasse Et, par sa pique, il surpassait Panhellènes et Achéens, Apparemment, le terme de Panhellènes désigne des Grecs du nord (il n’apparaît qu’une seule fois dans l’Iliade, dans le passage cité ici, en B 530). Cf. P. WATHELET, L’origine du nom des Hellènes et son développement dans la tradition homérique, dans LEC, 43 (1975), p. 119-128 - ἐγχείη, comme ἔγχος, désigne une lance ou une pique, il s’agit d’un terme archaïque, sans étymologie et qui pourrait être un trait achéen (C. J. RUIJGH, L’élément achéen dans la langue épique, Assen, 1957, p. 91-93 - W. BECK, s.v. ἔγχος et ἐγχείη, dans Lexikon des frühgriechischen Epos, II, 1984, c. 391-395). 12 Brève allusion chez ARISTOTE, Rhéth., I, 15, 29-30 (1375b) – L’histoire est développée par PLUTARQUE, Vie de Solon, 10, qui donne des détails et rapporte que les deux fils d’Ajax, Philaios et Eurysakès, avaient obtenu le droit de cité à Athènes et qu’ils firent don de leur île de Salamine à la Cité – Cf. aussi DIOGENE LAERCE, Solon, I, 46-48 - Schol. à l’Iliade b (BCE3) en B 558 – Cf. G.S. KIRK, The Iliad : A Commentary, Vol. I : books 1-4, Cambridge U ty Press, 1 85 niversi 9 , p. 208.13 P. WATHELET, Argos et l’Argolide dans l’épopée, spécialement dans le Catalogue des Vaisseaux, dans [M. PIERART], Polydipsion Argos. Argos de la fin des palais mycéniens à la constitution de l’Etat classique, Paris, De Boccard, 1992, p. 99-116 (BCH, suppl. XXII).

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    soulignant la proximité de ce contingent avec celui d’Athènes. Si les vers en question étaient

    l’œuvre de Solon, qui aurait agi par intérêt politique, il faut reconnaître qu’il se serait montré bien

    piètre faussaire. En n’imitant pas la phraséologie de tout le passage, il se serait comporté comme

    un faux monnayeur qui, aujourd’hui, aurait imprimé des billets de 26 Euros ! La mention du

    contingent de Salamine étonne par sa forme, est-elle due à Homère lui-même qui, ailleurs, a

    corrigé des passages du Catalogue14 ou bien s’agit-il d’une addition ou d’un aménagement ultérieur, on ne pourrait dire.

    Les deux Ajax sont souvent mentionnés ensemble, ils apparaissent plus comme des

    défenseurs que comme des spécialistes de l’offensive. Il sont souvent désignés par le duel Αἴαντε

    ou, plus rarement, par le pluriel Αἴαντες, selon des impératifs métriques. Ils sont cités en

    compagnie des principaux chefs achéens en diverses circonstances15. Au chant IV (285-291), lors

    de la revue qu’il fait des chefs achéens, Agamemnon n’a rien à leur reprocher, mais, au contraire,

    il les félicite de leur bravoure. A la fin du chant XIII (N 701-702), Homère souligne qu’Ajax, fils

    d’Oïlée, ne s’éloigne jamais de son homonyme. Ensemble, ils sont comparés à deux bœufs (N

    703-707) ou à deux lions (N 198-200). Outre leur nom, les Ajax ont d’autres points communs. A

    l’inverse des autres combattants, ils semblent ignorer l’usage du cheval et du char, aucun cocher

    ne leur est attribué. La longue présence des Achéens en Troade, loin de leur patrie, ne conduisait

    guère à parler de leur femme et de leur famille, mais, à l’inverse de la plupart des principaux chefs

    achéens, on ne leur connaît aucune épouse, aucune compagne et, hormis pour chacun son père et

    son frère, ils semblent dépourvus de famille16. Ils ont tous deux un frère légitime ou bâtard,

    moins important qu’eux.

    Aucun des deux Ajax n’est régulièrement protégé par une divinité, comme par exemple

    Diomède et Ulysse le sont par Athéna ou Idoménée par Poséidon. Il arrive qu’un dieu leur soit

    favorable, mais ce sont des cas isolés. Ainsi, au chant XVII, devant le danger, Ajax supplie Zeus

    d’aider les Achéens, il est exaucé (P 645-650). A un moment du combat, les deux Ajax sont

    stimulés par Poséidon (N 46-75), qui a pris la forme de Calchas pour les exhorter à la bataille ; il

    les touche de son bâton et les remplit tous deux d’une force qui leur monte de terre dans les

    14 C’est notamment le cas pour les contingents de Protésilaos (B 695-710), de Philoctète (B 716-728) et d’Achille (B 682-694). Ces trois héros, qui sont partis de Grèce vers Troie, ne se trouvent plus dans les rangs achéens : Protésilaos a été tué le premier à l’arrivée à Troie, Philoctète, blessé au pied, a été abandonné à Lemnos et Achille vient de se retirer du combat. 15 Lors d’un sacrifice (B 406), quand Agamemnon fait la revue de ses troupes (Δ 273, 280, 285), dans les combats (E 519, Z 436, H 164, Θ 79, Κ 228, Μ 265, 335, N 46-126, 197-203, Π 555-556). 16 C’est spécialement vrai pour le fils de Télamon, puisque, indirectement (Mérion a tué un frère de sa marâtre), nous connaissons le nom de la mère du fils d’Oïlée, Eriopis (Ν 694-697).

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    membres. Dès l’Iliade, Athéna semble n’avoir qu’une estime réduite pour les Ajax, ainsi qu’il apparaît lors des concours funèbres en l’honneur de Patrocle17.

    Ajax, fils de Télamon, se distingue comme le plus brave des Achéens après Achille (B

    768), et, vu que ce dernier est absent des combats pendant une bonne partie de l’Iliade, Ajax, fils de Télamon, le remplace. Il est présenté comme « le rempart des Achéens » ἕρκος Ἀχαιῶν (Γ

    229). Au cours des combats, il tue un grand nombre de Troyens : treize sont cités nommément,

    sans parler de la masse des autres18.

    Le héros auquel Ajax s’oppose le plus souvent est le plus valeureux des Troyens : Hector.

    Au chant sept, à l’instigation d’Athéna et d’Apollon, Hector provoque en duel un héros que les

    Achéens désigneront. Les chefs achéens se concertent, plusieurs se présentent, un tirage au sort a

    lieu et le hasard fait bien les choses : Ajax est désigné (H 179-200)19. Le duel commence, Hector

    est renversé par Ajax, mais il est remis sur pieds par Apollon. Finalement le combat est

    interrompu par l’arrivée de la nuit et les deux protagonistes échangent des cadeaux : Ajax donne à

    Hector une ceinture pourpre et Hector lui offre une épée à clous d’argent, arme archaïque (H

    305)20. En une dizaine de passages, les deux héros s’affrontent21. Grâce à l’arrivée de Patrocle,

    Ajax tente de frapper Hector, mais celui-ci se borne à tenter de sauver les siens (Π 358-363).

    Après la mort de Patrocle, la bataille s’engage autour de son corps. Appelé par Ménélas, Ajax

    tente d’empêcher Hector de le dépouiller de ses armes, mais il ne peut y parvenir ; il oblige

    toutefois Hector à reculer (Ρ 102-128). Revêtu des armes d’Achille, Hector revient au combat et il

    s’efforce d’enlever le cadavre de Patrocle ; la lutte reprend de plus belle, au cours de laquelle Ajax

    17 P. WATHELET, Athéna chez Homère ou le triomphe de la déesse, dans Kernos, 8(1995), p. 167-185, sp. p. 175 – On va en reparler ci-après, p. 5. 18 Simoeisios, fils d’Anténor (Δ 473-489), Αmphios, fils de Sélagos (E 610-617), Doryklos, Pandokos, Lysandros, Pyrasos et Pylartès (Λ 489-491), Hyrtios, fils de Gyrtios, chef des Mysiens (Ξ 511-512). Pour venger Prothoénor, fils d’Aréilykos, massacré par le Panthoïde Polydamas, visant ce dernier, Ajax tue Archélochos, fils d’Anténor (Ξ 460-474). Il abat encore Laodamas, un autre fils d’Anténor (O 516-517), Lèthos, fils d’Hippothoos (P 288-303), puis Phorkys, fils de Phainops (P 312). 19 casion d’ e ad it sp nt proposé H -1 C’est l’oc un rebuff e pour Ménélas, qui s’éta ontanéme ( 92 20).20 Fr. H. STUBBINGS, Arms and Armour, dans A. J. B. WACE - Fr. H. STUBBINGS, A companion to Homer, p. 517 - SOPHOCLE, Ajax, 817 ; HYGIN, Fab., 112, 2. La tradition post-homérique attribuera à ces cadeaux une vertu néfaste : c’est avec la ceinture qu’Achille attachera le corps d’Hector à son char (SOPHOCLE, Ajax, 1929-1031, prétend qu’Hector était encore vivant au moment où Achille l’a attaché) et c’est sur l’épée qu’Ajax se suicidera – Contrairement à ce qui se passerait aujourd’hui, on ne recherchait pas alors des armes récentes et par conséquent plus efficaces, et le fait d’offrir une arme archaïque est flatteur. 21 Hector évite d’affronter Ajax, qu’il redoute (Λ 542). Au chant XIII (N 183-194), Hector a tué Amphimaque, qu’il veut dépouiller de ses armes. Ajax l’en empêche ; quelques temps après, Hector attaque du côté des vaisseaux d’Ajax et de Protésilaos (N 680-681) et Ajax provoque Hector (N 809-820), qui lui répond sur le même ton (N 824-832). Au chant XIV (Ξ 402-432), un nouveau combat oppose Ajax et Hector et ce dernier est blessé par Ajax, qui le frappe d’une pierre (Ξ 409-413). Rétabli par Apollon sur l’ordre de Zeus, Hector revient au combat (O 220-262), les Achéens et spécialement Ajax tentent de s’opposer à l’avance troyenne. Alors que les Troyens veulent incendier leurs vaisseaux, Hector est face à Ajax, qui frappe un cousin du héros troyen, Kalètor, fils de Klytios (O 419-428) ; Hector vise Ajax, le manque et abat un de ses compagnons, Lycophron, fils de Mastor (O 430-431). Hector et Ajax excitent chacun ceux qui les entourent. Malgré tous ses efforts, Ajax doit céder du terrain devant l’avance troyenne (O 727). Au chant XVI (Π 112-123), protégé par Zeus, Hector brise la lance de frêne d’Ajax (Π 114-118), puis il met le feu aux vaisseaux achéens.

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    joue un rôle essentiel. Au chant XVIII (Σ 163-175), les Achéens, spécialement les Ajax, doivent

    abandonner le corps du héros sous les attaques d’Hector. Ajax, fils de Télamon, restera le

    défenseur des Achéens jusqu’au moment où Achille revient au combat ; dès lors il n’est plus

    question d’Ajax comme combattant.

    Non seulement Ajax arrête à plusieurs reprises l’avance des Troyens, mais, alors qu’Ulysse

    a été blessé, Ajax accède à la demande de Ménélas, qui s’inquiète du sort d’Ulysse ; il vient se

    poster près de lui et il couvre sa retraite (Λ 485-486).

    En dehors de la bataille, Ajax est peu actif. Au chant IX, il accompagne Ulysse et Phénix

    qui transmettent à Achille les propositions d’apaisement d’Agamemnon (I 169). Alors qu’Ulysse

    et Phénix se lancent chacun dans un long discours destiné à émouvoir Achille, l’action d’Ajax se

    borne à constater, en quelques mots, l’échec de leur mission (I 622-642), non sans reproches à

    l’adresse d’Achille. S’il brille dans les combats, son fort n’est pas dans l’éloquence22, ni dans

    l’habileté, qualités dans lesquelles Ulysse excelle.

    Aux concours funèbres en l’honneur de Patrocle, Ajax affrontera Ulysse à la lutte, mais,

    pour éviter qu’ils ne s’épuisent, Achille les arrête et les déclare tous deux vainqueurs (Ψ 735-737).

    De même, un duel en armes est organisé : Diomède et Ajax s’affrontent, mais on craint qu’Ajax

    ne soit blessé et le combat est interrompu, le premier prix est donné à Diomède (Ψ 822-825).

    Polypoitès, Léonteus, Epeios et Ajax participent au lancer du disque, l’épreuve est remportée par

    Polypoitès et Ajax est second (Ψ 836-849). En somme, Ajax remporte peu de premiers prix dans

    des concours, où le rôle d’Athéna est prépondérant. L’autre Ajax n’a guère plus de chance dans

    ces mêmes épreuves. Au chant XXIII (Ψ 768-783), lors de la course à pied, le petit Ajax, très

    rapide, est sur le point de gagner la course contre Ulysse, mais Athéna veille et, pour favoriser son

    protégé, elle fait glisser Ajax dans une bouse de vache, dans laquelle il tombe, figure en avant.

    Ulysse remporte le premier prix et lui, arrivé deuxième, reçoit le second prix, … une vache !

    Homère présente le fils d’Oïlée avec une certain ironie, il souligne qu’il est plus petit, beaucoup plus petit (μείων, πολὺ μείων) que le fils de Télamon (Β 528-529)23. Ils sont comparés à deux bœufs, un grand et un rapide (N 703-707). On imagine ce que, dans la réalité, un pareil

    attelage peut donner ! Homère s’amuse. Il en va sans doute de même quand Ajax, fils de

    Télamon, résiste aux Troyens, « tel un âne » que des enfants ne peuvent chasser d’un champ où,

    malgré leurs coups, il reste et se nourrit à l’aise (Λ 558-562). L’âne a beau ne pas être méprisé

    22 Contrairement à l’avis d’Hélène DESCHAMPS (L’Eschyle perdu : Edition, Traduction et Commentaire des Fragments d’Eschyle. La trilogie sur Ajax : le Jugement des Armes, Les Femmes de Thrace, Les Salaminiennes, Université de Paris IV- Sorbonne, U. F. R. de grec, 2005-2006, p. 4), l’éloquence d’Ajax est des plus limitée, elle ne se manifeste que brièvement, quand il s’agit d’exciter ses troupes au combat (cf. O 502-513, 561-564 et 733-741). 23 Les vers étaient condamnés par Aristarque, ainsi que l’indique le scholiaste D, mais on ne peut suivre A. SEVERYNS, Le Cycle épique dans l’école d’Aristarque, Liège-Paris, 1928, p. 122-123, qui se rallie à l’opinion du savant alexandrin. Il convient en effet de tenir compte de l’humour d’Homère.

  • 6

    dans les pays méditerranéens comme il l’a souvent été chez nous, être comparé à un âne risque de

    ne pas être flatteur pour un héros.

    Sans qu’il soit aussi brillant que le fils de Télamon, Ajax, fils d’Oïlée abat Satnios, fils

    d’Enops (Ξ 440-448), et bon nombre de Troyens (Ξ 520-522). Profitant de l’intervention de

    Patrocle, Ajax, fils d’Oïlée, prend vivant le Troyen Kléoboulos et il le massacre (Π 330-331).

    Les deux Ajax ont chacun un frère, donné comme bâtard : pour le fils de Télamon, c’est

    Teukros24, et, pour le fils d’Oïlée, c’est Médon (N 693-695). Teukros est un archer redoutable (N

    313-314)25 ; visant Hector, il tue Gorgythion, fils de Priam (Θ 302-303), puis cherchant toujours à

    atteindre Hector, il abat son cocher Archéptolème (Θ 312) ; quand Hector, d’une pierre, brise la

    corde de son arc, Teukros s’écroule à genoux et Ajax le couvre de son bouclier (Θ 330-331). De

    ses traits, Teukros tue Kleitos, fils de Peisénor (O 445), puis il vise Hector, mais Zeus intervient

    et brise la corde de son arc ; Ajax lui conseille de mettre son bouclier et de se battre avec sa pique.

    (O 458-483). Le texte précise que Teukros excelle au combat singulier. Quant à Médon, il périt

    sous les coups d’Enée (O 332).

    Ajax, fils de Télamon, est entouré d’hommes nombreux et braves, qui l’aident quand il est

    trop fatigué de porter son bouclier ; en revanche, il est dit explicitement des Locriens, qu’ils ne

    combattent pas au côté de leur chef, Ajax, fils d’Oïlée (N 709-718), car ce sont des archers ou des

    frondeurs26, ce qui les maintient à une certaine distance de la mêlée.

    L’Odyssée cite brièvement les deux Ajax, qui ont connu tous deux une fin tragique. En deux passages, Homère rappelle qu’Ajax, fils de Télamon, est mort à Troie : recevant

    Télémaque, Nestor évoque ceux des Achéens qui ont quitté Troie, mais il ajoute qu’Ajax et

    Achille ont été tués en Troade (γ 109) ; au dernier chant, dans le royaume d’Hadès, les âmes des

    s

    ,

    24 Voir plus haut note 8. 5 Ν 313 Ἀχαιῶν 2 Αἴαντές τε δύω Τεῦκρός θ’, ὃς ἄριστος

    το ὸς δ ξοσύνῃ, ἀγαθ ὲ ἐν σταδίῃ ὑσμίνῃ· et o l r chéenLes deux Ajax Teukr s, qui e meilleu des A Au tir à l’arc, plein de valeur aussi dans la lutte… Lors des concours funèbres en l’honneur de Patrocle, Teukros, qui participe au tir à l’arc, n’a pas invoqué Apollon et il ’atteindra et qui remportera le prix (Ψ 859-883). rate la colombe qui servait de cible, c’est Mérion qui l26 Ν 714 οὐ γὰρ ἔχον κόρυθας χαλκήρεας ἱπποδασείας,

    ῦρα οὐδ’ ἔχον ἀσπίδας εὐκύκλους καὶ μείλινα δο ἀλλ’ ἄρα τόξοισιν καὶ ἐυστρεφεῖ οἶος ἀώτῳ Ἴλιον εἰς ἅμ’ ἕποντο πεποιθότες , οἷσιν ἔπειτα τα β λ οντ ν ῥήγνυντο φάλ γας·

    e is ρφέα ά λ ες Τρώω αγ e a s ues rn br a e p cheval,

    b i nCar ils n port ient pas d ca q ga de onze v c anache de

    p e ucliers bi n n de l es de frê es, Ils n’avaient as non plus d o en ro ds, ancur f e n Mais dans leurs arcs et dans le ronde d lai e bien tressée

    tr l ls n ivi, , ar rmesPleins de confiance, con e I ion, i o t su et p ces a En les frappant serrés, ils brisaient les rangs des Troyens, Dans l’épopée grecque, comme d’ailleurs dans l’épopée médiévale française, les guerriers spécialisés dans les armes de jet sont peu estimés, leurs armes leur permettent de se tenir loin de leurs ennemis et la tendance est de considérer qu’ils n’ont pas le courage d’affronter l’adversaire au corps à corps. Cf. le cas de Pâris, archer redoutable, considéré comme un lâche.

  • 7

    prétendants retrouvent les ombres des héros morts à Troie, dont Ajax (ω 17). Dans la Nékyia (λ 543-551), le poète est plus explicite, c’est Ulysse qui parle :

    λ543 οἵη δ’ Αἴαντος ψυχὴ Τελαμωνιάδαο νόσφιν ἀφεστήκει, κεχολωμένη εἵνεκα νίκης

    τήν μιν ἐγὼ νίκησα δικαζόμενος παρὰ νηυσὶ

    τεύχεσιν ἀμφ’ Ἀχιλῆος · ἔθηκε δὲ πότνια μήτηρ.

    Παῖδες δὲ Τρώων δίκασαν καὶ Παλλὰς Ἀθήνη.

    Ὡς δὴ μὴ ὄφελον νικᾶν τοιῷδ’ ἐπ’ ἀέθλῳ

    τοίην γὰρ κεφάλην ἕνεκ’ αὐτῶν γαῖα κατέσχεν,

    Αἴανθ’, ὃς περὶ μὲν εἶδος, περὶ δ’ ἔργα τέτυκτο

    λ551 τῶν ἄλλων Δαναῶν μετ’ ἀμύμονα Πηλείωνα.

    Et seule l’ombre d’Ajax, fils de Télamon, A l’écart se tenait, dans sa colère pour la victoire Que, sur lui, moi, j’avais gagnée, lors du jugement près des nefs, Au sujet des armes d’Achille. Dame sa mère les avait déposées Et les fils des Troyens avaient jugé et Pallas Athèné. Comme il aurait fallu que je n’aie pas gagné dans une telle épreuve ! Une si belle tête pour ce motif la terre ne tiendrait, Cet Ajax, qui, pour la forme et pour les actes, Dominait tous les Danaens, après l’incomparable Achille.

    Ulysse tente d’apaiser la colère de l’ombre d’Ajax en lui disant son regret, mais celui-ci s’éloigne sans répondre. Ajax s’était donc suicidé lorsqu’il avait constaté que, quand il s’était agi

    d’attribuer les armes d’Achille, Ulysse lui avait été préféré.

    Au chant quatre de l’Odyssée, Ménélas raconte à Télémaque et à Pisistrate les informations qu’il avait obtenues de Protée. A la prière de Ménélas, Protée lui donne des

    nouvelles des autres chefs achéens, il lui annonce notamment la mort d’Ajax, fils d’Oïlée. Le

    vaisseau d’Ajax a été jeté sur les roches Gyres par Poséidon, mais le dieu a sauvé Ajax, qui s’en

    serait tiré, malgré la haine d’Athéna (δ 502), si le héros n’avait clamé que c’était malgré les dieux qu’il avait échappé. Sa jactance suscite la colère de Poséidon, le dieu brandit son trident et il

    frappe le roc où Ajax s’est réfugié, provoquant sa chute dans la mer et sa mort (δ 499-511) .

    L’Odyssée ne donne pas d’autre explication, elle se borne à évoquer la haine d’Athéna. La tradition attestée après Homère donne la raison de cette haine de la déesse : lors de la prise de

    Troie, Ajax, fils d’Oïlée, aurait violé ou tenté de violer Cassandre, fille de Priam, réfugiée dans le

  • 8

    temple d’Athéna et qui tenait embrassée la statue de la déesse, outrée d’un pareil attentat27.

    Homère connaissait très probablement le récit.

    B. Les deux Ajax dans la tradition pré-homérique

    Tout ce qui concerne les Ajax dans la tradition pré-homérique est évidemment

    hypothétique.

    B1 : les emplois formulaires du nom Leur nom est lié à un certain nombre de formules ou d’expressions formulaires.

    Ensemble, ils sont dits, notamment, en début de vers :

    Δ 285 (=Μ 354), Ρ 508, 669 : Αἴαντ’ Ἀργείων ἡγήτορε… , Η 311 Αἴαντε αὖθ’ ἑτέρωθεν… , Κ 228

    ἠθελέτην Αἴαντε δύω, θεράποντες Ἄρηος, Μ 265 ἀμφοτέρω δ’ Αἴαντε…. , Π 555 Αἴαντε πρώτω

    προσέφη… , Ν 313 Αἴαντες δύω Τεῦκρός θ’…. , Ρ 752 ὣς αἰεὶ Αἴαντε…. , Η 164, Θ 262 τοῖσι δ’

    ἐπ’ Αἴαντες …. , Θ 72 Οὔτε δύ’ Αἴαντες … , M 353 Στῆ δὲ παρ’ Αἰάντεσσι…. , Δ 273 ἦλθε δ’ ἐπ’

    Αἰάντεσσι… , Δ 280 τοῖαι ἅμ’ Αἰάντεσσι… et, en fin de vers, …δύω Αἴαντε κορυστὰ (Ν 200, Σ

    163).

    La question se pose de la survivance du duel en éolien durant la phase de composition

    éolienne de l’épopée, car on trouve dans la langue épique un certain nombre de verbes au duel

    qui semblent être des éolismes28. En l’occurrence, la question doit être posée avec prudence dans

    la mesure où la disparition du duel ne s’est certainement pas produite d’un seul coup ; elle résulte

    d’une longue évolution29, certaines formes disparaissant avant d’autres. Les cas obliques du duel

    ont dû sortir de l’usage très tôt, puisque aucun de ceux de la troisième déclinaison ne subsiste

    dans l’épopée. Le duel κορυστά, avec un α long irréductible en fin de vers, pourrait recouvrir une

    finale analogique -αε, avec contraction des deux voyelles, ce qui est susceptible de s’être produit

    en éolien oriental avant la fin de la phase éolienne de composition30. L’affaiblissement du duel a

    conduit les aèdes à employer le pluriel au nominatif, mais aussi au datif, avec la forme de datifs

    analogiques en -εσσι qui constitue un éolisme.

    27 Outre l’article d’Od. TOUCHEFEU, Aias II, dans LIMC, Zürich, Artemis, 1981, I, n° 16-108, voir sur la question Juliette DAVREUX, La légende de la prophétesse Cassandre d’après les textes et les monuments, Liège-Paris, Faculté de Philosophie et Lettres, 1942 (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fasc. 94). 28 P. WATHELET, Les traits éoliens… , p. 330-334. 29 an ύω se le un pléonas e L’emploi simult é du duel et de δ mb m qui témoigne de l’affaiblissement du duel. 30 P. WATHELET, Le rôle de l’eubéen et celui de l’Eubée dans l’épopée homérique, dans Gaia, 11( 2007), p. 25-52, sp. p. 37.

  • 9

    Ajax est fils de Télamon, avec, comme patronyme, un adjectif dérivé en -ιος31, en début

    de vers comme :

    Ι 644 =Λ 465 : Αἶαν διογενὲς Τελαμώνιε, κοίρανε λαῶν

    Λ 526 : Αἶαν κλονέει Τελαμώνιε· εὖ δέμιν ἔγνω

    ou en fin d’hexamètre

    Λ 562, 590, Ρ 115 : … Αἴαντα μέγαν, Τελαμώνιον υἱὸν

    Ν 67 : … Αἴαντα προσέφη, Τελαμώνιον υἱὸν

    L’élément formulaire … Τελαμώνιος Αἴας termine une série de vers (Β 528, 768, Δ 473, Ε

    615, Η 224, Η 283 [= Ν76], Μ 370, Π 116). On trouve, toujours en fin de vers, …μέγας

    Τελαμώνιος Αἴας (Ε 610, Μ 364, Ν 321, Ξ 409, Ο 471[= Ρ 715], 560, Ρ 628, Ψ 708 [= 811], 722,

    842), ou bien … Τελαμώνιος ἄλκιμος Αἴας (Μ 349, 362), …Αἴαντα μέγαν, Τελαμώνιος υἱόν (Λ

    563, 591, Ρ 115).

    Plusieurs expressions réunissent le nom d’Ajax et le patronyme32 en -ίδης de Télamon, au

    génitif en -αο, caractéristique des périodes achéenne ou éolienne ancienne de la composition33 ;

    c’est le cas à la fin des vers : Λ 7 …Αἴαντος κλισίας Τελαμωνιάδαο, O 289 …Αἴαντος θανέειν

    Τελαμωνιάδαο, P 235 …Αἴαντος ἐρύειν Τελαμωνιάδαο, Σ 193 …Αἴαντός γε σάκος

    Τελαμωνιάδαο, λ 542 …Αἴαντος ψυχὴ Τελαμωνιάδαο, P 235 …Αἴαντος ἐρύειν Τελαμωνιάδαο, Σ

    193 …Αἴαντός γε σάκος Τελαμωνιάδαο, λ 542 … Αἴαντος ψυχὴ Τελαμωνιάδαο.

    Ajax, fils de Télamon, est dit rempart des Achéens dans les vers : Ζ 5, Μ 378 Αἴας δὲ πρῶτος Τελαμώνιος , ἕρκος Ἀχαιῶν

    Γ 229 οὗτος δ’ Αἴας ἐστὶ πελώριος ἕρκος Ἀχαιῶν

    H 211 τοῖος ἄρ’ Αἴας ὦρτο πελώριος, ἕρκος Ἀχαιῶν34

    Dans les deux derniers vers, πελώριος, avec le traitement labial de l’ancienne labio-vélaire devant

    e, est un traitement propre à l’éolien35. Plusieurs expressions soulignent l’importance du bouclier-tour d’Ajax :

    Η 219 (= Λ 485) Αἴας …. φέρων σάκος ἠύτε πύργον,

    Ce bouclier est recouvert de sept peaux de bœuf :

    Η 235 καὶ βάλεν Αἴαντος δεινὸν σάκος ἑπταβόειον,

    31 P. WATHELET, Les traits éoliens… , p. 350-353. 32 ATHELET P. W , Les traits éoliens… , p. 346-349.33 P. WATHELET, Les traits éoliens… , p. 235-236. 34 L’adjectif πελώριος est encore appliqué à Ajax au début du vers, en Ρ 174 ὅς τέ με φῂς Αἴαντα πελώριον… et en Ρ 360 Ὣς Αἴας ἐπέτελλε πελώριος αἵματι δὲ χθών. L’adjectif est à la même place qu’en Γ 229 et H 211. Il qualifie aussi Hadès (E 395), Arès (Η 208), Orion (λ 572), Hector (Λ 820), Achille (Φ 527, Χ 92) et Périphas (E 842, 847) - Cf. J.-M. RENAUD, Le mythe d’Orion. Sa signification, sa place parmi les autres mythes grecs et son apport à la

    issance d al ti .L., 2004, p. 46. conna e la ment ité an que, Liège, C.I.P5 P. WATHELET, Les traits éoliens…, p. 63-91 3

  • 10

    Η 266 τῷ βάλεν Αἴαντος δεινὸν σάκος ἑπταβόειον,

    Et il peut servir d’abri à Teukros :

    Θ 267 στῆ δ’ ἄρ’ ὑπ’ Αἴαντος σάκει Τελαμωνιάδαω36.

    Ajax, fils de Télamon, est μεγάλητωρ37 dans plusieurs hexamètres :

    Ο 674 Οὐδ’ ἄρ’ ἔτ’ Αἴαντι μεγαλήτορι ἥνδανε θυμῷ,

    Ρ 166 ἀλλὰ σύ γ’ Αἴαντος μεγαλήτορος οὐκ ἐτάλασσας,

    Ρ 626 οὐδ’ ἔλαθ’ Αἴαντα μεγαλήτορα καὶ Μενέλαον.

    Il est également …φαίδιμος Αἴας à la fin des vers Ε 617, Η 187, Λ 494, Ο 419, Ρ 284, Ψ 779. Il

    partage l’épithète avec Hector38.

    Quelques expressions formulaires désignent Ajax, fils de Télamon :

    Αἴας διογενής …début de Δ 489, Η 249

    Αἴας δὲ πρῶτος …début de N 809, Ξ 402, 511

    Le nom du héros, au génitif ou à l’accusatif singuliers, avec αι- au temps fort du deuxième pied,

    apparaît encore en M 342, Λ 464 et Θ 224.

    Ajax, le Locrien, est dit, en fin de vers, :

    Β 527, Ν 66, 701, Ξ 442, Ρ 256, Ψ 473, 488 (=754) … Ὀιλῆος ταχὺς Αἴας,

    ou en fin de Ξ 520… Αἴας εἷλεν Ὀιλῆος ταχὺς υἱός.

    De plus, le patronyme Ὀιλιάδης apparaît le plus souvent, au nominatif, au datif et à

    l’accusatif, devant la césure penthémimère, mais les contextes diffèrent : Ν 203, Ξ 446, Ψ 759 ; Ν

    712 ; Μ 365.

    Le nom d’Oïleus est attesté, la plupart du temps au génitif, pour désigner Ajax ou son

    frère Médon. Il est néanmoins qualifié de πτολίπορθος en

    B 728 τόν ῥ’ ἔτεκε Ῥήνη ὐπ’ Ὀιλῆι πτολιπόρθῳ

    Le πτ- initial de πτολιπόρθῳ est indispensable à la scansion pour allonger le -ι final de Ὀιλῆι, alors

    que le πτ- pour π- est un trait propre à l’achéen et à l’éolien occidental39.

    De cet ensemble, vaste, mais assez disparate, on retiendra spécialement, pour le fils de

    Télamon, les expressions formulaires Αἴας Τελαμώνιος ou Τελαμωνιάδαο, πελώριος ἕρκος Ἀχαιῶν,

    36 Le ι de σάκε-ι doit être scandé long, ce qui serait anormal, sauf si le ι recouvre un plus ancien -ει, ainsi qu’il apparaît en mycénien (P. WATHELET, Mycénien et grec d’Homère 1. Le datif en -i, dans AC, 31(1962), p. 5-14). 37 L’adjectif est appliqué à divers personnages, dont des Troyens : Anchise (E 468, Υ 208), Enée (Y 175, 263, 293, 323), Priam (Z 283, Ω 117, 145), etc. 38 … φαιδίμος Ἕκτωρ termine Δ 505 (= Π 588, Ρ 316), Ζ 466, 472, 494, Η 1, 90, Θ 489, Μ 290, 462, Ν 823, Ξ 388, 390, 402, Ο 65, 2 7, 483, 754, Σ 175, Υ 364, Φ 5, Χ 274. 31, Π 57 649, 727, 760, 858, Ρ39 P. WATHELET, Les traits éoliens…, p. 92-95.

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    σάκος ἑπταβόειον, σάκος ἠύτε πύργον, et, en ce qui concerne le fils d’Oïlée, l’épithète de

    πτολίπορθος appliquée à ce dernier.

    B 2 L’étymologie du nom et son origine La question de ce qu’a pu représenter le nom d’Ajax dans la tradition pré-homérique

    relève évidemment du domaine de l’hypothèse. On peut néanmoins s’y engager à condition de

    garder à l’esprit qu’on n’est pas en présence de certitudes, mais d’explications qui semblent

    plausibles.

    Une opinion, vraisemblable, a été défendue depuis longtemps40 : à l’origine les deux Ajax

    n’étaient qu’un seul et même personnage. Leur dédoublement provient d’une mauvaise

    interprétation du duel Αἴαντε, qui, au départ, désignait Ajax et son compagnon, sans doute

    Teukros. L’usage du duel a fait croire à l’existence de deux Ajax. Plus tard dans la tradition, à un

    moment où le duel tendait à disparaître, Αἴαντες au datif est devenu Αἰάντεσσι, avec un datif

    analogique en -εσσι, qui constitue un éolisme41.

    Le dédoublement d’Ajax a conduit à attribuer à chacun un père qui aurait pu être un

    personnage prestigieux : si Ajax était fils d’Oïlée, l’autre Ajax devait se voir attribuer une

    généalogie. Il était remarquable par son bouclier-tour, arme largement archaïque à l’époque même

    de la guerre de Troie et qui appartient au début de l’époque mycénienne, ainsi que le montrent

    des peintures de vases42. Ce bouclier, fait de sept peaux de bœufs recouvertes d’une plaque de

    métal, bouclier qui recouvre l’homme entier, était très lourd ; il devait être soutenu par un

    baudrier, en grec τελάμων. Ainsi Ajax a pu être appelé τελαμώνιος Αἴας, Ajax au baudrier. L’expression a été interprétée comme Ajax, fils de Télamon, l’adjectif d’appartenance a été pris pour un patronyme en -ιος, ainsi que la langue épique en atteste quelques-uns43. C’est ainsi qu’est né le personnage de Télamon, dont Homère ne nous dit pratiquement rien, si ce n’est qu’il est le

    père d’Ajax et de Teukros. Il n’est mis en scène qu’une seule fois au chant VIII de l’Iliade (Θ 283-285) : Ajax dit à Teukros que, malgré sa bâtardise, Télamon l’a nourri enfant et l’a choyé, situation

    parallèle à celle de Pélée et d’Achille. Comme il fallait s’y attendre, la tradition postérieure à

    Homère multipliera les précisions sur la famille et la vie de Télamon, on y reviendra plus loin.

    Oïlée, quant à lui, n’est pas souvent mentionné comme tel dans les poèmes homériques, mais

    40 J. WACKERNAGEL, Zum homerischen Dual, dans KZ, 23 (1877), p. 302-310 (= Kl. Schriften, Göttingen, Vandenhoeck & u h 2 ir. ) - P. WATHELET, Dict. des Troyens, n°18 Ἀκάμας II, p. 247-249. R prec t, e t , 1969, p. 538-54641 THELET, L s traits e , P. WA e éoli ns… p. 252-265. 42 H. BORCHHARDT, Frühe griechische Schildformen, dans Archaeologia Homerica, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht , 1977, E 1, p. 4-5 et 25-27. 43 P. WATHELET, Les traits éoliens… , p. 350.

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    nous possédons quelques indications : nous connaissons le nom de sa concubine, Rhènè, et celui

    de sa femme, Eriopis (N 694-697).

    L’étymologie du nom d’Ajax pose des problèmes. H. Mühlestein44 avait noté, sur une

    tablette mycénienne de Cnosse (KN C 973), la présence de noms de bœufs ai-wo-ro et ai-wa, il en avait conclu que ai-wo-ro devait être lu αἴFολος, αἴολος bigarré, tacheté. Ai-wa Αἴας serait une abréviation hypocoristique de αἴολος. On aurait ainsi une étymologie pour le nom d’Ajax45.

    Michel Lejeune46 avait repris le problème et, tout en considérant l’opinion de Hugo Mühlestein

    sur le mycénien Ai-wa comme admissible, il écrit 47: Mais on se gardera de conclure avec Mühlestein, qu’on tient désormais, avec certitude,

    l’étymologie d’Ajax. - Rien ne prouve qu’entre l’abréviation familière a3wa de a3woro (dont nous ignorons si c’est un thème en -α- ou un thème en -αντ-) et Αἴας, nom de héros, de thème ΑἰFαντ-, il y ait plus qu’une ressemblance fortuite. - L’étymologie de Αἴας demeure obscure. L’hypothèse la plus généralement reçue rattache ce nom à αἶα en supposant que αἶα est un plus ancien *ἀF-yᾰ.Pour la forme, les radicaux de αἰ(F)-ών et (désormais) de αἰ(F)-όλος seraient également, invocables. Et il reste la possibilité qu’on ait affaire à un nom préhellénique (cf. γίγ-αντ-ες, Ἄβαντ-ες, etc.).

    L’explication qui voit dans l’hypocoristique ai-wa une attestation du nom d’Ajax se heurte en outre à l’objection que les hypocoristiques en -ας ont une génitif en -αο, et non en -αντος,

    comme Αἴας, Αἴαντος48. En somme le rapprochement avec αἶα49, la terre, conviendrait bien pour expliquer le nom d’Ajax, d’autant plus que C. J. Ruijgh50 avait récemment suggéré pour αἶα une origine préhellénique, avec peut-être un sens originel de « bande côtière », ce qui s’appliquerait

    bien à Ajax, « rempart des Achéens ». Ajax porterait donc un nom préhellénique51, ce qui

    le mettrait dans la même situation qu’Ulysse, Atrée, Tydée, etc. De fait, dans l’épopée, les deux

    44 H. MÜHLESTEIN, Le nom des deux Ajax, dans SMEA, 2 (1967), p. 41-52. 45 H. Mühlestein fait des rapprochements entre le sens de rapide, bariolé et des qualités attribuées aux Ajax, n tao mment la rapidité du fils d’Oïlée. 46 Noms propres de bœufs à Cnossos, dans REG, 76 (1963), p. 1-9 (= Mémoires de Philologie mycénienne, II, p. 379-386). 47 Ibidem, p. 7 ( = p. 385). 48 Jadis, C. J. Ruijgh, (Etudes sur la grammaire et le vocabulaire du grec mycénien, Amsterdam, Hakkert, 1967, p. 223, § 191, n. 65) avait supposé que les Ioniens, qui n’avaient pas conservé le α long ancien, avaient fait passer Αἴας à la flexion en -αντ-. L’explication ne peut être retenue puisque des formes comme le duel Αἴαντε ou le datif pluriel éolien Α nt c em t eu p ase ioni dἴαντεσσι so ertain en antéri res à la h enne e la composition épique. 49 Cf. H. FRISK, Griechisches etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Winter, 1960, I, p. 30, s.v. Αἴας, et P. C D v.

    lHANTRAINE, ict. étym., p. 29, s. Αἴας.

    50 s des n u es s 4 A propo o velles tab ettes de Thèb , I, dan Mnemosyne, ser. IV, 57 (2004), p. 1-4 , sp. p.12. 51 H. von KAMPTZ, Homerische Personennamen. Sprachwissenschaftliche und historische Klassifikation, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, [1958] 1982, § 84, p. 367-369, cf. aussi § 63 b 2, c, d, p.168-170 - On laissera de côté l’opinion antique qui rattachait le nom d’Ajax à αἰετός l’aigle (Corpus hésiodique, fr. 250, R. MERKELBACH - M. L. WEST, fr. ind. donné par Schol. Pind. Isthm., VI, 53). Sur l’étymologie de αἰετός, cf. P. CHANTRAINE, Dict. étym., p. 32, s.v . αἰετός.

  • 13

    Ajax semblent liés à la terre52. Par son armement, Ajax, fils de Télamon, apparaît donc comme un

    guerrier archaïque et les deux Ajax ignorent l’usage du cheval, peut-être le personnage originel

    est-il antérieur à l’introduction du cheval en Grèce.

    Oïlée, père d’Ajax, pose lui aussi de multiples questions. Οἰλεύς est un anthroponyme en

    -ευς comme on en connaît beaucoup, plusieurs étant des noms d’origine préhellénique. Le

    problème se complique dans la mesure où, à côté d’Οἰλεύς, la tradition hésiodique (fr. 235, 1, R.

    MERKELBACH - M. L. WEST)53 atteste la forme Ἰλεύς, qu’il est tentant de rapprocher de Ἶλος,

    nom du héros éponyme fondateur d’Ilion et ancêtre de Priam. Peut-être y a t-il eu, à date

    ancienne, un lien entre Ajax et la Troade.

    On peut aller plus loin : le compagnon d’Ajax et son frère bâtard est Teukros. Ce dernier

    semble être le héros éponyme des Teukroi, peuple qui n’est pas mentionné dans l’épopée

    homérique, mais qui est attesté très rapidement après, puisqu’il apparaît chez Kallinos d’Ephèse54

    (milieu du VIIe s. av. J.-C.). Selon Kallinos, les Teukroi seraient venus de Crète pour s’installer en

    Troade, à proximité du temple d’Apollon Smintheus, son témoignage est confirmé par celui de

    Lycophron55, suivi par Strabon ; en langage clair, Strabon ajoute qu’un oracle leur avait prescrit de

    se fixer en un endroit où ils seraient attaqués par des êtres nés de la terre, or les Teukroi y avaient

    été assaillis par des souris, ce qui avait justifié leur installation56. Hérodote (V, 13, 122 ; VII, 20,

    43, 75) précise que les Gergithes, installés en Troade, sont des descendants des Teukroi ; certains

    d’entre eux avaient passé le Bosphore et s’étaient installés en Péonie. Hérodote raconte la

    conquête de leur territoire par les Perses. Comme peuple indépendant, les Teukroi ne sont plus

    mentionnés après le Ve S. av. J.-C57. L’origine crétoise des Teukroi pourrait éventuellement

    refléter le souvenir de l’installation de colons crétois en Troade, comme le mythe de Bellérophon

    évoque l’arrivée de gens originaires de Grèce implantés en Lycie. Dans son Enéide (III, 118-188), Virgile montre Enée qui veut d’abord se fixer en Crète, parce qu’il croit retrouver le pays de ses

    52 Il leur arrive d’être protégés par Poséidon, à l’origine le maître de la terre, et, comme on l’a vu, en un passage, le d i veut les exhorteieu, qu r au combat, les remplit de force et celle-ci monte du sol dans leurs membres. 53 M. HOFINGER, Lexicon Hesiodeum, cum indice inverso, Leyde, Brill, 1978, p. 305, s.v. Ἰλεύς, sur le témoignage des scholies. 54 Fr Strab , , p . 7, M. L. WEST, cité par on XIII, 1, 48 . 604 C. 55 Alexandra, 1302, voir G. LAMBIN, L’Alexandra de Lycophron. Etude et traduction de G.L., Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 187. 56 Le mythe de la fondation en un endroit marqué par des animaux est un thème mythique commun, c’est, entre autres, le cas pour Thèbes de Béotie. 57 Strabon (XIII, 1, 48, C 604) signale que beaucoup d’auteurs ont suivi l’opinion de Kallinos, mais que d’autres rejettent l’origine crétoise des Teukroi, suggérant que Teukros était venu d’un dème attique. Il est difficile de juger de l’exactitude de ces traditions : l’origine attique pourrait être expliquée par la politique expansionniste d’Athènes au Ve s., avec un jeu de mots sur des ressemblances plus ou moins grandes entre des noms propres.

  • 14

    pères, avant d’apprendre que, suivant les décrets du Destin, il doit aller vers l’Italie. Ajax se trouve

    à plusieurs reprises à côté d’Idoménée, le chef des Crétois58.

    Dès l’époque d’Eschyle, les Teukroi ont été confondus avec les Troyens, dans la mesure

    où le poète assimile la Teucride à la Troade (Ag., 112 ). Il convient d’être très prudent dans ce domaine : toute une série de peuples ont été assimilés aux Troyens, mais cette assimilation date

    d’époques diverses. Le premier cas est celui des Dardaniens, mentionnés par Homère, qui donne

    Dardanos, leur héros éponyme, comme l’ancêtre lointain de Priam (Y 215-238). Outre les

    Teukroi qui viennent d’être cités, on a confondu les Troyens avec les Phrygiens, dont le passage

    en Asie Mineure doit être postérieur à la guerre de Troie59.

    Il est donc possible qu’Ajax, héros très archaïque, ait eu à date ancienne un lien avec la

    Crète ou avec la Troade ou à tout le moins avec une région d’Asie Mineure proche de la Troade.

    Une dernière remarque concerne Ajax, en l’occurrence le fils de Télamon, et Hector. Bien

    que troyen, ce dernier porte un nom assurément grec, bien attesté depuis les tablettes

    mycéniennes. Ἕκτωρ est le dérivé en -τωρ bâti sur la racine *segh- avoir, tenir, vaincre. Hector est simplement le vainqueur60. Il n’est pas du tout assuré qu’Hector ait été à l’origine un Troyen, car, hormis dans l’Iliade, sa présence n’est pas indispensable à la geste troyenne. Il a pu y être introduit au côté des Troyens à un moment où Pâris avait tellement perdu de son lustre qu’on a

    éprouvé le besoin d’avoir parmi les Troyens un héros valeureux digne d’être combattu. Comme

    on l’a rappelé, Ajax et Hector s’opposent à plusieurs reprises dans l’Iliade sans qu’aucun des deux n’arrive à l’emporter sur l’autre61. Tout se passe comme s’il s’agissait d’un thème ancien62. Dans

    un passage (au chant VI, Ζ 117-118), Hector porte aussi un armement archaïque à l’époque de la

    guerre de Troie, un bouclier-tour ou en forme de huit et une lance longue de onze coudées. Ajax,

    héros préhellénique et essentiellement défenseur, s’oppose à Hector, héros doté d’un nom indo-

    européen et qui conduit l’offensive63.

    C. Les Ajax dans la tradition post-homérique

    58 Ajax, fils de Télamon, ou les deux Ajax se trouvent mentionnés à plusieurs reprises dans l’Iliade à proximité d’Idoménée, chef des Crétois devant Troie et lui aussi héros très ancien. C’est le cas en B 405-406, Γ 229-231, Δ 257-291, Ζ 436, Η 164-165 (= Θ 262-263), Θ 78-79, Κ 53, 112, Ν 311-314, Ο 301, Ρ 256-258, Ψ 474-493. Dans le d passage, il y ntre Ajax, fils d’Oïlée, et Idoménée. ernier a une discussion aiguë e59 P. WATHELET, Dict. des Troyens, p. 58. 60 Ce pourrait même être à l’origine une épiclèse d’Arès, mais ceci est un autre problème. Cf. P. WATHELET, Dict. des Troyens, n° 106 Ἕκτωρ, p. 501-502. 61 Le combat d’Ajax, fils de Télamon, et d’Hector est très largement représenté dans l’iconographie. P. WATHELET,

    des Troy n ω , pDict. ens, ° 106 Ἕκτ ρ . 482-485. 62 , p P. WATHELET, Dict. des Troyens, n° 106 Ἕκτωρ . 497-498. 63 Les cadeaux qu’ils échangent au chant VII de l’Iliade sont révélateurs à ce sujet : Hector donne une épée, arme d’attaque, et Ajax une ceinture, élément qui protège et retient le vêtement.

  • 15

    Comme les auteurs postérieurs à Homère ont parfois pu s’inspirer de traditions

    antérieures à l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée et que, de ces traditions, nous n’avons plus aucun témoin direct, le témoignage de ces auteurs postérieurs peut être d’autant plus utile. Il ne faut

    toutefois pas tomber dans l’excès inverse. Les auteurs postérieurs à Homère ont manifestement

    développé des traits anciens et en ont ajoutés de nouveaux.

    Des épopées qui forment le Cycle troyen, on ne possède que des résumés et des fragments directs et indirects. Les résumés ont été composés de telle sorte que des œuvres

    d’époques et d’auteurs différents constituent une suite cohérente64. Les épopées post-homériques

    donnent des détails sur les deux Ajax. La Prise d’Ilion 65 racontait que, lors de la chute de Troie, Cassandre, la fille de Priam, s’était réfugiée auprès de la statue d’Athéna, dans le temple de la

    déesse66. Pour lui faire violence, le fils d’Oïlée l’avait arrachée à la statue. D’après la Prise d’IlionAjax avait fait tomber la statue d’Athéna. D’autres sources prétendent que, devant l’horreur d’un

    tel acte, la statue avait fermé les yeux. Non seulement la scène était évoquée dans les sources

    littéraires, mais elle a été largement représentée dans l’iconographie, sur des vases peints

    d’époques diverses

    ,

    67. Vivement irrités par son acte, les Grecs voulaient lapider Ajax, mais ce

    dernier s’était réfugié près de l’autel d’Athéna et il a pu ainsi échapper à la menace qui planait sur

    lui68. Les Retours racontaient la mort d’Ajax, fils d’Oïlée, tué par une tempête69. En ce qui concerne le fils de Télamon, l’Ethiopide narrait la mort d’Achille, abattu par

    une flèche de Pâris, aidé d’Apollon. Un combat s’engageait autour du corps du Péléide et, au

    cours de la mêlée, Ajax tuait Glaukos70, second de Sarpédon, puis il arrivait à porter le corps

    d’Achille et à le ramener au camp de Achéens, malgré une pluie de projectiles lancés par les

    64 On en a la confirmation dans la description que PAUSANIAS ( X, 25,1-27,4) donne de la peinture qui représentait la prise d’Ilion, peinture qu’avait faite Polygnote de Thasos sur le mur de la leschè des Cnidiens à Delphes. Selon Pausanias, Polygnote a suivi La Petite Iliade attribuée à Leschès de Mytilène, alors qu’il peint la prise de Troie, qui, d’après les Prise d n attribuée à A ctirésumés, était narrée dans la ’Ilio r nos de Milet. 65 PROCLOS, Rés., 261-265 (A. SEVERYNS). CALLIMAQUE, Les Origines, fr. 35, R. PFEIFFER, cité par Schol. AD à Homère, Il., XIII, 66. Ps.-APOLLODORE , Epit. V, 22 . PAUSANIAS, I, 15, 2 ; V, 19, 5 ; X, 26, 3 ; 31, 2. Ulysse a exhorté les Grecs à lapider Ajax après l’attentat contre Cassandre. QUINTUS de Smyrne, Posth., XIII, 420-429. TRYPHIODORE, Excidium Ilii, 647-650. VIRG., En., II, 403-406, qui cite Cassandre, sans mentionner Ajax. DICTYS de Crète, Bellum Trojanum, V, 12, qui rapporte que le fils d’Oïlée enlève Cassandre du temple de Minerve, comme captive. Script. Rerum mythicarum Latini, I, 181, p. 55 (G.H. BODE), qui parlent du viol de Cassandre par Ajax. 66 , Dic T 7 Κα P. WATHELET t. des royens, n° 18 σσάνδρη, p. 659-668. 67 d. TOUT s II, dans O ECHEFEU, art. Aia LIMC, I, p. 339-349, n. 16-108. 68 PROCLOS, Rés., 263-265 (A. SEVERYNS). On n’abordera pas ici la question des esclaves locriennes d’Athéna Ilias, que, selon la tradition, en expiation de l’attentat d’Ajax, les Locriens devaient envoyer pendant mille ans. P. W , n° 187ATHELET, Dict. des Troyens… Κασσάνδρη, p. 675. 69 Sur les Roches Caphérides (PROCLOS, Rés., 294-295, A. SEVERYNS). La mort d’Ajax le Locrien est évoquée par plusieurs auteurs, la tendance est d’attribuer la mort d’Ajax à Athéna et non plus à Poséidon, comme dans l’Odyssée : EURIPIDE, Troyennes, 65-94 ; VIRG., En., I, 40-45 ; SENEQUE, Agamemnon, 532-556 ; QUINTUS de Smyrne, XIV, 4 Fab., 116.88-610 ; HYGIN, 70 Fr. 3 (Ind.), A. BERNABE, d’après le Ps.-APOLLODORE, Epit., 5, 4.

  • 16

    Troyens, tandis qu’Ulysse couvrait sa retraite71. Le résumé de l’Ethiopide se termine sur le conflit qui éclate entre Ajax et Ulysse pour la possession des armes d’Achille72. La Petite Iliade narrait le jugement pour l’octroi de ces armes. Athéna les avait fait donner à Ulysse. Ajax en perdait la

    raison, ravageait le butin des Achéens et il finissait par se suicider73. Agamemnon avait interdit

    d’incinérer son corps, comme cela avait été l’usage pour les autres héros achéens morts à Troie, et

    Ajax avait été enterré dans un cercueil74. Ce qui est donné comme une « punition » pourrait

    éventuellement être un indice d’ancienneté : à l’époque mycénienne, on pratiquait l’inhumation et

    non la crémation.

    A l’origine Ajax était un héros très ancien, doté d’un armement archaïque. Dans l’épopée

    homérique, les deux Ajax, plusieurs fois cités ensemble, ont peu d’attaches familiales. La tradition

    postérieure s’est largement chargée de donner une famille à chacun des deux héros ou à leurs

    pères respectifs. Il est bien entendu impossible de dater l’apparition d’une nouvelle information et

    de tenter de déterminer quel écrivain en est l’auteur. On se bornera à noter quelques

    développements75.

    Dès le Corpus hésiodique76, Ajax, fils de Télamon, s’est retrouvé dans la liste des prétendants d’Hélène avec les cadeaux qu’il offrait, de même que tous les chefs de contingents

    achéens dans l’expédition troyenne. Le fils d’Oïlée devait figurer dans la liste, mais cette partie du

    poème est perdue. Toutefois il est mentionné dans des sources plus tardives77.

    On a suggéré plus haut une origine pour le personnage de Télamon78. La tradition post-

    homérique a ajouté des précisions à son histoire. Eaque, fils de Zeus, régnait à Egine. Comme il

    était seul sur son île, il demanda à Zeus de transformer des fourmis (μύρμηκας) en hommes, les

    71 ERYNS). PROCLOS, Rés., 191-195 (A. SEV72 On peut penser, avec Odette TOUCHEFEU (art. Aias I, dans LIMC, I, p 313), que le poème évoquait l’octroi des armes à Ulysse, la folie d’Ajax et son suicide. Le jugement était apparemment dû à des captifs troyens. La tradition post-homérique va multiplier les précisions sur ce jugement porté par des Troyens, des ennemis étant le mieux à même de juger de la valeur d’un combattant. Tantôt il s’agit de prisonniers, ou de prisonnières, ou de conversations e e des Tr un Achéen. ntr oyens entendues par73 RYN PROCLOS, Rés.., 208-210 (A. SEVE S ). 74 Sa tombe se trouvait à Rhoiteion (Petite Iliade, fr. 3 [ind.], A. BERNABE, qui cite notamment le Ps.-APOLLODORE,

    , V, 7).Epit. 75 PINDARE (frg. Incerti. loci, 174, C. M. BOWRA ) souligne son courage exceptionnel, il est infatigable au combat ἀ αμκ αντόχαρμαν. 76 04, 44-51 -M. . Fgt , 2 (R. MERKELBACH L WEST). 77 Ps.-APOLL., Bibl., III, 10, 8. HYGIN, Fab., 81. Comme les prétendants d’Hélène étaient très nombreux et de redoutables héros, Tyndare, père de l’héroïne, a réussi à éviter qu’après le choix d’Hélène les candidats évincés ne puissent tous se liguer contre lui. Sur le conseil d’Ulysse, il leur avait fait prêter à tous un serment par lequel il s’engageaient à venir à l’aide de l’élu, si Hélène lui était enlevée. Ainsi s’expliquerait l’ampleur de la coalition achéenne. Le récit semble bien avoir été inventé alors qu’on ne comprenait plus les raisons qui obligeaient les chefs achéens à suivre le roi de Mycènes. Sans doute l’obligation était-elle due à des usages proches des liens féodaux de

    otre Moyen Âge. n 78 Après la guerre de Troie, Teukros s’installera à Chypre, où sa descendance régnera (PAUSANIAS, II, 29, 4).

  • 17

    Myrmidons79. Eaque épousa Endeis, fille de Sciron, et il eut d’elle deux fils, Pélée et Télamon80.

    Ensuite, Eaque a vécu avec Psamathè, fille de Nérée, et, de lui, elle eut un fils Phokos81. Ce

    dernier excellait dans la pratique des sports et il suscita la jalousie de ses demi-frères, qui le

    tuèrent82. C’est ainsi que Télamon et Pélée furent forcés de s’exiler. Pélée alla en Thessalie et

    Télamon se rendit à Salamine, à la cour d’un fils de Poséidon, Kychreus. Comme il n’avait pas

    d’enfant, il laissa son royaume à Télamon. Ce dernier épousa Eriboia83 ou Périboia84, fille

    d’Alkathos, lui-même fils de Pélops85. Il a appelé son fils Ajax (Αἴας), car Héraklès avait prié Zeus

    pour qu’il ait un garçon et un aigle (αἰετός) était apparu, envoyé par le Kronide. Héraklès avait

    alors annoncé à Télamon que ce fils serait un héros extraordinaire. Il avait ajouté qu’il souhaitait

    que son corps soit invulnérable, comme la peau du lion de Némée dont lui-même était revêtu86.

    Télamon avait accompagné Héraklès au premier siège de Troie87 et il s’y était illustré, recevant,

    pour prix de sa vaillance, Hésionè, fille de Laomédon. Il l’a rendue mère de Teukros88.

    On passera ici sur la participation de Télamon89 à la chasse au sanglier de Calydon90 et à

    l’expédition des Argonautes, sa présence dans les deux récits s’explique par le fait que les deux

    79 popula Faut-il souligner qu’il s’agit d’une étymologie ire ? 80 Toutefois, Phérécyde d’Athènes (3 F 60, F. JACOBY, cité par le Ps.-APOLLODORE, Bibl., III, 12, 6) fait de Télamon un ami et non un frère de Pélée. Etant donné l’époque de Phérécyde, on aurait là un indice du resserrement ultérieur e ogressif de li nt pr s e s entre les personnages. 81 HESIODE, Théog., 1003-1005. PINDARE, Ném., V, 12 (21). Schol. (MNOA et A) à EURIPIDE, Andromaque, 687. P S., II, 29,2 30,4. AU ; X, 1,1; 82 HYGIN, Fab. 14, 8. LACTANCE PLACIDUS, sur STACE, Théb., II, 113 ; VII, 344 ; XI, 281. DIOD. de Sicile, IV, 72, 6 (Pélée a tué Phokos d’un coup de disque involontaire). Pour la plupart des auteurs en revanche, le meurtre était voulu : OVIDE, Métam., XI, 266-270 ; PAUS., II, 29, 9-10 ; Schol. PIND., Nem. V, 14 (25) ; Schol. à EURIPIDE, Andromaque, 687 ; Schol. A à Hom., Il., XVI, 14 ; ANTONINUS LIBERALIS, Métam., 38 - PLUTARQUE, Collection d’Histoires parallèles, 25, qui s’inspire du premier livre de DOROTHEOS, Script. Rer. Alex., 156, 4 (éd. MÜLLER), rapporte que c’est Télamon qui, profitant d’une chasse au sanglier, a abattu Phokos (cf. J. BOULOGNE, PLUTARQUE, Œuvres morales, Paris, Les Belles Lettres, 2002, t. IV, p. 262 et p.438 [Collection des Universités de France]). Pour J. TZETZES, Schol. à Lycophron, 175, Pélée frappe Phokos d’un disque et Télamon l’achève de son épée. Tous ces te s de ét lsxtes comportent des variante d ai . 83 C’est la forme donnée par PIND., Isthm., VI, 45 (65). SOPHOCLE, Ajax, 569 ; DIOD. de Sicile, IV, 72, 7 ; TZETZES, A Lycophr. 53, 452. 84 US I 2 PA ., , 4 ,4, qui souligne qu’il s’agit de son sentiment personnel (cf. plus loin n. 126). 85 XEN., Cynégétique, I, 9 (qui ajoute qu’Héraklès donna à Télamon Hésione, fille de Laomédon) ; PAUSANIAS, I, 42, 4 ; Ps.-APOLL., Bibl., III, 12,7. On trouve également le nom de Méliboia (ISTROS, 334 F 10, F. JACOBY, cité par PLUT.,Vie de Thésée 29, mais voir ATHENEE, XIII, 557 a. et le commentaire de F. JACOBY, III b Supplement, I, p. 622) et aussi le nom d’Hésione (DARES de Phrygie, 19). Dans ce dernier cas, il s’agit apparemment d’une confusion avec la mère de Teukros. 86 PIND., Isthm., VI, 35-54 (51-80). Le récit figurait sans doute déjà au moins en partie dans le Corpus hésiodique, fr. 250, R. MERKELBACH - M. L. WEST, d’après les Schol. PIND., Isthm., VI, 53. 87 Le siège de Troie que l’Iliade attribue à Héraklès constitue très vraisemblablement un développement inventé pour éviter que, par le phénomène de la concentration épique, Héraklès n’ait été amené à participer à l’expédition d’Agamemnon, dans laquelle il aurait été encombrant vis-à-vis d’autres héros grecs, comme Achille, d’où sa transposition à la génération précédente. Le premier siège de Troie est déjà mentionné dans l’Iliade (E 638-642 ; Ξ 244-261 ; Ψ 144-148, cf. P. WATHELET, Héraklès, le monstre de Poséidon et les chevaux de Troie, dans Kernos, Suppl. 7, Liège, CIERGA, p. 61-74, sp. 71-72). Toutefois, ceci n’implique aucunement qu’il n’y ait pas eu des contacts p moins guerri rs r roade. lus ou e ent e les Grecs ou leurs prédécesseurs et les habitants de la T88 Ps.-APOLLODORE, Bibl., III, 12, 7, avec, ici aussi, des variantes selon les sources. 89 Comme Pélée et Ménoïtios l’avaient fait pour leurs fils respectifs, selon l’Iliade (Λ 783-789) ; chez SOPHOCLE (Ajax, 762-769), Télamon faisait des recommandations à ses deux fils au moment où ils partaient vers Troie et Ajax y

  • 18

    événements ont été placés une génération avant la guerre de Troie, les pères des combattants de

    la guerre de Troie y ont été régulièrement associés.

    Les Ajax avaient chacun fourni des sujets de tragédies, pour la plupart complètement

    perdues. Eschyle avait produit un Aias Lokrios et, sur le fils de Télamon, une trilogie91 dont les pièces étaient Hoplon Krisis92, Thressai93 et Salaminiai94. On n’en a plus que des fragments. Tout essai de reconstitution de ces trois œuvres se heurte à de grandes difficultés. D’autres tragédies portaient sur Ajax, Astydamas le jeune avait été l’auteur d’un Aias Mainoménos95, Karkinos avait produit un Aias96, ainsi que Théodektès97. Ajax était le sujet d’un drame satyrique chez Polémaios d’Ephèse98, mais on n’en a plus que les titres ou des fragments en nombre trop réduit

    pour pouvoir rien en conclure.

    En revanche, si on a perdu l’Αἴας Λοκρός de Sophocle, on possède heureusement de lui

    Ajax, tragédie complète représentée sans doute après 438, mais rien n’est certain à cet égard99. La tragédie raconte le suicide du fils de Télamon, le chœur étant formé de guerriers salaminiens.

    Chez Homère, le héros n’avait lui-même ni compagne, ni descendance ; la lacune est comblée par

    Sophocle, qui n’est probablement pas le premier à l’avoir fait100. La première scène montre Ajax

    pris d’une crise de folie : il a fait un grand massacre du bétail pris par les Achéens et il croit avoir

    ainsi tué les principaux chefs achéens. Devant le pitoyable spectacle, Athéna et Ulysse, présents,

    ont des réactions opposées : Athéna triomphe, sans exprimer aucune pitié, tandis qu’Ulysse, plus

    humain, est ému à la vue de la déchéance de son compagnon101. Les crises de folie d’Ajax sont

    intermittentes et il garde des moments de lucidité, qui, circonstance aggravante, lui permettent de

    mesurer sa déchéance. Ajax a une compagne, Tekmessa, fille du roi phrygien Téleutas, dont Ajax

    répondait avec arrogance. D’après PAUSANIAS (I, 35, 3), on montrait à Salamine la pierre sur laquelle s’était assis Télamon pour regard r s l par p u . e se fi s tir o r Aulis90 J.-M. RENAUD, Le mythe de Méléagre. Essais d’interprétation, Chez l’auteur, 37 Rue Naimette, B 4000 Liège, 1993, p. 63-67. 91 Sur le problème, on verra l’analyse approfondie de H. DESCHAMPS, L’Eschyle perdu : Edition, Traduction et Commentaire des Fragments d’Eschyle. La trilogie sur Ajax : le Jugement des Armes, Les Femmes de Thrace, Les

    05-2006. Salaminiennes, Université de Paris IV - Sorbonne, U. F. R. de grec, 2092 résentait ses arguments. Apparemment, chacun des concurrents y p93 Un messager y racontait le suicide d’Ajax. 94 Il semble que la tragédie racontait le retour de Teukros, accompagné d’Eurysakès, après la chute de Troie, sa dispute avec son père Télamon, qui lui reprochait la mort d’Ajax, et son départ pour Chypre, où il allait s’établir définitivement. 95 B . N Tr G. F. , p. 200. 60 F 1a, r S ELL, 96 ,

    . 70 F 1a Ibid., p. 211.

    97 72 F 1, Ibid., p. 230. 98 (1 .[? 15 , 2 Ibid er S. av. J.-C ]) 5 , ., p. 309. 99 Sophocle. Tome II, Ajax - Œdipe Roi - Electre, Texte établi par A. DAIN et traduit par P. MAZON, Paris, Les Belles Lettres, 1958, p. 6 (Collection des Universités de France). D’autres philologues la mettent entre 450 et 440 (cf. J. C. KAMERBEEK, The Plays of Sophocles. Commentaries. I. Ajax, Leyde, Brill, 1953, p. 15-16 et p. 213, au vers 11 re , St tt a n

    e02 - P. KROH, Lexikon der antiken Auto n u g rt, A. Krö er, 1972).

    100 o i sur Ajax …, p. 51 et 71.

    Voir notamment H. DESCHAMPS, L’Eschyle perdu … La tril g101 Ceci fait écho à l’attitude d’Ulysse dans l’Odyssée (λ 553-562).

  • 19

    avait attaqué et pillé la cité102. De Tekmessa103, il avait eu un fils, Eurysakès, dont le nom, Au-Large-Bouclier, est manifestement inspiré par le fameux bouclier de son père104. Alors qu’Ajax, désespéré, souhaite mourir, Tekmessa tente de l’en dissuader en employant des arguments

    inspirés par des propos d’Andromaque dans la célèbre scène des adieux d’Hector et

    d’Andromaque du sixième chant de l’Iliade. Sophocle laisse entendre qu’Ajax a fait de Tekmessa plus qu’une captive, ce qu’elle était effectivement quand Ajax l’a prise, alors qu’Andromaque était

    la femme légitime d’Hector. Ajax reste insensible à ses prières et, à son fils, il fait des adieux

    déchirants. Il lui souhaite d’être plus heureux que son père, comme Hector l’avait fait pour

    Astyanax (Z 476-481). Ensuite, trompant la vigilance des siens, qui tentent de lui éviter de

    commettre un geste fatal, il se jette sur l’épée qu’Hector lui avait donnée. Teukros n’arrive que

    pour découvrir le corps de son frère, sur lequel il fait une longue déploration. A ce moment

    intervient Ménélas, présenté comme hostile. L’Atride est odieux, il considère Ajax comme un

    ennemi, parce qu’il a comploté la mort des chefs grecs, et il veut empêcher Teukros de célébrer

    des funérailles pour Ajax, qui resterait sans sépulture105. Teukros lui répond sur le même ton,

    puis, comme Ménélas s’est retiré, il recommande à Tekmessa et au fils du héros de se tenir près

    du corps, tandis qu’il va trouver Agamemnon, lequel se présente et se montre aussi odieux que

    son frère. Il reproche à Teukros d’être fils d’une captive et par conséquent un esclave, qui ne peut

    prendre d’initiative. Sans douceur, Teukros lui rappelle les services rendus par Ajax qui seul a

    tenu tête aux Troyens. Ulysse arrive alors. Non sans peine, il apaise le conflit et obtient

    d’Agamemnon qu’il laisse Teukros agir, au grand soulagement de celui-ci, qui le remercie

    vivement. On commence alors les funérailles du héros.

    Dans l’épopée homérique, Ajax n’a guère de subtilité, il apparaît plus comme un guerrier

    que comme un homme doté de réflexion. Dans sa tragédie et selon son usage, Sophocle a doté le

    héros d’une personnalité et aussi d’une certaine humanité, qui le rendent plus proche et plus

    émouvant106. De même, les personnalités de Teukros, de Tekmessa et aussi d’Ulysse sont

    développées, tandis que les deux Atrides atteignent le sommet de l’odieux.

    102 de celui d’Achille avec Briséis. Les cas est parallèle 103 Vers 331, 784, 895. 104 D’une manière analogue, Télémaque, Qui-combat-au-loin, porte un nom grec inspiré par la vie de son père (H. von KAMPTZ, Homerische Personennamen, § 66, p. 222-223. A cause du terme ἀγχέμαχος qui combat de près, on a parfois interprété Τηλέμαχος comme Celui qui combat de loin, ce qui ferait de lui un archer. Même si on accepte cette explication, elle pourrait éventuellement se justifier par le fait qu’à date ancienne Ulysse, comme Héraklès, était fameux par son arc, ainsi qu’il apparaît dans l’épreuve du tir à l’arc dans l’Odyssée. Ibid., § 10e 1, p. 31-32, et § 22a 2, p. 72) et Astyanax a été ainsi nommé par les Troyens en raison du rôle de son père (P. WATHELET, Dict. des Troyens…, n° 63 Ἀστυάναξ - Σκαμάνδριος, p. 345-353). 105 On sait l’importance que donnaient les Grecs à la célébration des funérailles, comme il est notamment montré dans l’Antigone du même Sophocle. 106 Pour une belle analyse de la tragédie de Sophocle, cf. Fr. JOUAN, Ajax, d’Homère à Sophocle, dans L’Information Littéraire, 39 (1987), p. 67-73.

  • 20

    Euripide souligne la proximité des deux Ajax dans l’Iphigénie à Aulis107. Dans Hélène, il met en scène Teukros, chassé par son père Télamon à cause de la mort de son frère Ajax (92-

    104), mort qui, plus loin, est évoquée par Ménélas (848). Dans le prologue des Troyennes, Athéna dit à Poséidon sa colère contre les Achéens, depuis qu’Ajax, le Locrien, a commis dans son

    temple l’attentat contre Cassandre (70) ; plus loin dans la pièce, Andromaque y fait allusion

    (618)108. La tragédie Rhèsos souligne trois fois la valeur d’Ajax de Salamine, comparé à Achille (463, 497, 601).

    Les trois grands tragiques attiques ont souligné le lien qui unit le grand Ajax à Salamine

    (cf. Eschyle, Perses, 307, 368, 596 ; dans l’Ajax de Sophocle, le chœur est composé de Salaminiens ; Euripide, Iphigénie à Aulis, 192, 288, Hélène, 92-104).

    Outre Eurysakès, Hérodote109 donne un autre fils à Ajax, un certain Philaios, qui,

    Salaminien, aurait été le premier à devenir athénien. L’information se trouve également chez

    Phérécyde110, Hellanikos111 et Plutarque112, mais Pausanias113 fait de Philaios un fils d’Eurysakès et

    un petit-fils d’Ajax114. Les discussions politiques attachées à la situation d’Ajax et de sa

    descendance pourraient, en partie, expliquer ces hésitations.

    La mère de Ajax, le Locrien, est appelée Eriopis, chez Homère, ce qui est confirmé par

    Hellanikos de Lesbos115, mais Phérécyde116 d’Athènes et Mnaséas117 la nomment Alkimachè ;

    l’auteur des Naupaktika118 tente de justifier les deux appellations : Eriopis aurait été appelée Alkimakè dans sa jeunesse.

    La tradition postérieure à l’époque classique accentuera encore l’un ou l’autre trait du

    caractère d’Ajax. Le héros d’Homère est, on l’a vu, peu bavard. Dion Chrysostome119, qui

    recherche le paradoxe, en fait le modèle du sage. Philostrate de Lemnos, l’aîné, souligne le côté

    107 Vers 192-194, dans une partie lyrique. Dans la même pièce, il mentionne Ajax, fils d’Oïlée, comme chef des Lo 6criens (2 3) à Aulis et Ajax, fils de Télamon, comme chef de Salamine (288). 108 Dans l’Oreste, un Phrygien rapporte qu’Oreste a voulu tuer Hélène, aidé de Pylade, qui s’est présenté comme Hector ou le grand Ajax (1480). 109 VI, 35. 110 COBY. 3 F 2, F. JA111 ACOBY. 4 F 22, F. J112 0. Solon, 1113 I, 35, 2. 114 Beaucoup plus tardivement enfin et sans craindre de bousculer la tradition, Dictys de Crète (V, 16) fait d’Ajax le père d’Aiantidès, qu’il aurait eu de Glaukè. Αἰαντίς était, dès l’époque de Clisthène, le nom d’une tribu athénienne (H , V, 66 - Cf. Od. TOUCHEFEU, art. Aias I, dans LIMC, I , p. 313). ERODOTE115 . 4 F 121116 3 F 24. 117 F.H. 9. Ces informations sont données par Schol. T à Hom. Il., O 336. G., III, 453, f. 1118 . 198, fr.1. E.G.F., p119 11, 152.

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    effrayant du fils de Télamon et la rapidité du fils d’Oïlée120, Ajax, le Locrien, dont il décrit la

    mort, frappé par Poséidon121. Quintus de Smyrne122 montrait Ajax, fils de Télamon, combattant

    les Amazones aux côtés d’Achille.

    Les auteurs latins ont relativement peu parlé des Ajax, Virgile ne les cite pas dans

    l’Enéide. Ovide, toutefois, a longuement développé le conflit entre Ulysse et le fils de Télamon pour la possession des armes d’Achille : il imagine que, devant les Achéens rassemblés, chacun

    présente un plaidoyer. Beaucoup plus bavard que chez Homère, Ajax énumère longuement toutes

    ses actions d’éclat, tandis qu’Ulysse, en vrai sophiste123, montre que son action et surtout ses

    discours ont toujours eu une action décisive. Le jury attribue les armes d’Achille à Ulysse et Ajax,

    pris de folie, décide de se tuer en se jetant sur l’épée qui lui avait été donnée par Hector. Il se

    frappe au seul endroit du corps que n’avait pas couvert la peau du lion de Némée et où, par

    conséquent, il n’était pas invulnérable. Le sang du héros se répand sur la terre qui produit la

    même fleur que celle qui était née du sang de Hyacinthe. Avec un peu de bonne volonté,

    l’apparition de cette fleur justifie la présence du récit dans les Métamorphoses124. D’après Dictys de Crète125, lors de la prise de Troie, Ajax, fils de Télamon, avait demandé la mort d’Hélène,

    tandis qu’Ulysse avait pris sa défense et l’avait sauvée.

    Le culte d’Ajax est attesté à Salamine126, à Mégare127 et à Byzance (colonie de Mégare). On

    ne s’attardera pas aux problèmes posés par ce culte, qui s’inscrit dans la problématique des

    nombreux cultes de héros. En général, de tels cultes sont attestés assez tard, ce qui ne veut pas

    dire qu’ils soient récents, étant donné le caractère souvent conservateur des manifestations

    religieuses dans la Grèce antique. Ou bien ces cultes ont été introduits par suite de l’influence des

    récits épiques, spécialement des poèmes homériques, ou bien on est en présence de cultes très

    anciens de personnages qui ont été des divinités ou des génies honorés localement et qui ont été

    introduits comme héros dans l’épopée, laquelle a ensuite influencé leur culte et l’image qu’on a pu

    120 Imagines, II, 7. 121 , 13. Imagines, II122 I, 494-572. 123 Dans l’Odyssée, Ulysse est montré comme un modèle, mais, très tôt, dès le Cycle épique, il est présenté d’une manière défavorable ; on l’oppose à un autre personnage habile, Palamède, absent de l’épopée homérique, dont Ulysse cause la mort à la suite de ses machinations. Les auteurs latins n’ont guère d’estime pour Ulysse et il ne sera réhabilité que beaucoup plus tard, dans le théâtre classique espagnol. Toutefois, dès l’Antiquité, des philosophes ont du héros une vue beaucoup plus favorable. Cf. W. B. STANFORD, The Ulysses Theme. A Study in the Adaptability of a Traditional Hero 63. , 2d ed., The University of Michigan Press, 19124 Mét., XIII, 394 - 399. Cf. aussi PAUSANIAS, I, 35,4. OVIDE, 125 , 14-15. V126 AUSANIAS P , I, 35, 3. 127 PAUSANIAS, I, 42, 4, rapporte qu’il existe à Mégare une statue d’Athéna Αἰαντίς. Le Périégète ajoute que les guides locaux ne lui ont rien dit de ce sanctuaire, lui-même suppose que Télamon avait épousé la fille d’Alkathoos, Périboia, et qu’Ajax, qui avait reçu la succession d’Alkathoos, avait fait construire la statue.

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    se faire d’eux. Hélène était certainement à l’origine une déesse, devenue ensuite l’héroïne que l’on

    sait128. On se souvient de la Palinodie de Stésichore129. Le cas d’Ajax est encore compliqué par la rivalité entre Athènes et Mégare.

    Ajax n’a pas disparu avec l’Antiquité, il apparaît dans des œuvres médiévales et modernes.

    Signalons simplement que le Dictionnaire universel de Maurice Lachâtre (1856) cite une expression populaire dans laquelle Ajax désigne le chef : on dit l’Ajax d’un parti, pour le chef de ce parti. Ajax survit encore aujourd’hui dans le nom d’un club de football hollandais, l’Ajax d’Amsterdam, et dans l’appellation d’un produit de nettoyage. En ce qui concerne le club de

    football, il s’agit bien de notre héros : l’Ajax d’Amsterdam a été créé en 1900 et, dans les années vingt, le maillot des joueurs portait l’image d’un soldat grec antique.

    D. Conclusion

    En conclusion, les deux Ajax n’étaient sans doute à l’origine qu’un seul et même

    personnage, un héros préhellénique de grande taille et doté d’un bouclier énorme et archaïque à

    l’époque de la guerre de Troie. Ajax ignorait l’usage du cheval. Ce héros était accompagné d’un

    demi-frère, petit et agile, qui combattait avec des armes de jet et qui, en cas de danger, se réfugiait

    sous le bouclier-tour d’Ajax. Ajax était avant tout un défenseur, un rempart pour les siens, dont il

    défendait les frontières ; très tôt il a pu être opposé à un autre héros archaïque, doté d’un nom

    indo-européen, Hector, héros agressif et qui n’avait probablement à l’origine aucun lien avec

    Troie. Dédoublé par suite d’une mauvaise compréhension du duel qui désignait Ajax et son

    compagnon, Ajax est devenu les « deux Ajax », qu’Homère ou déjà ses prédécesseurs se sont

    amusés à différencier : l’un est grand et l’autre petit. Le grand Ajax était dépourvu de père, ce qui

    ne convenait pas parmi les aristocrates de l’épopée. A partir d’une épithète en -ιος interprétée

    comme un patronyme, on a conclu que le grand Ajax était fils de Télamon. La littérature post-

    homérique va reprendre et développer les données de l’Iliade et de l’Odyssée. Télamon obtient une généalogie et une personnalité, il est rapproché d’Héraklès et il participera donc au premier

    siège de Troie. Comme Achille, mais grâce à Héraklès, Ajax devient invulnérable, sauf bien

    entendu en un point, sinon il serait immortel. De l’union avec une compagne, prise lors d’une

    razzia dans la région troyenne, tel Achille avec Briséis, Ajax a un fils, qui porte un nom inspiré

    d’une caractéristique de son père, Eurysakès, comme c’est le cas de Télémaque pour Ulysse. 128 Art. Voir notamment H. von GEISAU, Helene, dans Der Kleine Pauly, 2, c. 989-991. 129 STESICHORE, fr. 15 (Denys L. PAGE, Poetae Melici Graeci), cité d’après PLATON, Phèdre, 243 A.

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    Sophocle fera d’Ajax un père attentif, qui adresse à son fils des paroles qu’Hector a adressées à

    Astyanax. L’autre Ajax représente le côté négatif de son homonyme130 : sans respect aucun, lors

    de la prise de Troie, il viole Cassandre dans le temple même d’Athéna et, non content d’avoir

    échappé à la punition de ce premier crime, il va jusqu’à provoquer Poséidon, qui se venge en le

    noyant.

    L’exposé qui précède comporte plusieurs hypothèses qui ne peuvent être démontrées,

    mais il permet de pressentir comment s’est peu à peu développée la mythologie grecque, en

    multipliant souvent les liens de famille.

    Paul WATHELET Université de Liège

    130 On pourrait faire le rapprochement entre les deux Ajax et les deux Diomède, le fils de Tydée et le Thrace, roi des Bistones, qui nourrissait des cavales anthropophages (cf. P. WATHELET, Dict. des Troyens…, n° 2 Ἄβας , p. 142 -143).

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    Ajax, de Salamine, menait douze vaisseaux.