75
Les diagnostics participatifs en milieu rural L'exemple du projet Shepacc aux Philippines développement rural Janvier 2002 COLLECTION

Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Les diagnostics participatifsen milieu ruralL'exemple du projet Shepaccaux Philippines

développement rural

Janvier 2002

COLLECTION

Page 2: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies
Page 3: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Directeur de la publication : Pascal Dreyer

Directeur de collection : Vianney Briand

Auteurs : Sophie Monnet / Mélanie Langlois

Mise en page : Catherine Verplaetse

Correctrice : Élodie Chanrion

Suivi de fabrication : Xavier Parisse

Impression :

ISBN : 2-909064-61-1

Dépôt légal :

Page 4: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies
Page 5: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Un retour critique bienvenu sur l’usage des outils de diagnostic participatifs

Le grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies et des pratiques sociales permettant un «diagnostic participatif « dans un contexte inconnu ou peu connu.Dans la conception admise, la mise en place des projets de développement intégrés et durables s’appuie fortement sur l’implication effective des populations concernées, tout au long du processus de développement. La participation à l’évaluation diagnostique, à l’analyse du contexte, à la définition des problèmes à résoudre est donc requise particulièrement au moment de l’initiation des projets.La plupart des acteurs du développement, particulièrement les ONG promeuvent et recherchent des méthodologies et des approches adéquates à cette visée pour des raisons éthiques / politiques mais aussi d’efficacité. Ils disposent pour cela d’un ensemble de réflexions et de connaissances praxéologiques ici, sur l’utilisation de diagnostics participatifs en milieu rural.L’étude de cas, rapportée et analysée par Mélanie LANGLOIS, ingénieur en agriculture et directrice du programme SHEPACC (Self Help Education Program Appropriate for Cultural Communities) pour Handicap International, décrit le projet concernant les populations Manobos aux Philippines. Elle met en évidence les biais et insuffisances que peut comporter l’utilisation d’outils de type PRA ( participatory rural appraisal) permet de les réinterroger épistémologiquement et de les «recomplexifier».C’est dire que ce retour «réflexif» et critique est bienvenu. Il témoigne de la volonté de l’association d’assurer une relecture exigeante de son travail de terrain, et de contribuer à la construction des connaissances praxéologiques validées pouvant être mises à la disposition d’autres acteurs et débattues. Ce document a d’ailleurs été présenté et discuté lors d’un atelier de travail, réunissant quelques acteurs du développement, en janvier 2001.Ce retour critique montre que si l’on veut assurer un diagnostic plus fin et plus endogène avec les populations concernées, on ne peut faire l’économie du temps. La rapidité préconisée par certaines méthodes (méthode accélérée de recherche participative) n’est pas gage de qualité. Il faut installer la relation, la confiance, créer fonctionnellement et culturellement les conditions de la communication. Or, fondamentalement, les approches PRA s’inscrivent dans une logique rationnelle d’économie occidentale, un paradigme qui n’est pas forcément aussi universel qu’il en a l’air, et mériterait d’être réexaminé dans ses présupposés: le rapport au temps et ses conséquences, dans la rencontre de l’autre et son originalité.La dérive de ces approches et leur réduction à des outils prêts à l’emploi, peut produire chez les «évaluateurs-bénéficiaires-acteurs» concernés, des attitudes de conformation et d’accord formel avec les attentes ou analyses supposées du développeur, expert ou bailleur de fonds, et met ce dernier dans une posture naïve manipulatoire et manipulée : on est tout prêt du malentendu ou de mécanismes pervers.L’analyse de Mélanie LANGLOIS alerte donc de manière exemplaire, sur la nécessité d’approfondir ces problématiques.

Pour le CEPEC InternationalJean-Claude PARISOT

DR. Institut universitaire d’études du développement

Page 6: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

7

Introduction .............................................................................................................................................................. page 7

• CAHIER 1

OUTILS DE DIAGNOSTIC PARTICIPATIF RURARAL

La méthode accélérée de recherche participative .................................................page 15

Cadre du document ..................................................................................................................page 16

1. La démarche participative : un principe de développement,une pratique au quotidien.............................................................................................page 17

2. Quelques outils de diagnostic participatif ...............................................................page 22

Conclusion ....................................................................................................................................page 36

Bibliographie ...............................................................................................................................page 37

AnnexesAnnexe 1 - Les différents types de PRA ................................................................................................page 40Annexe 2 - Survol de quelques concepts-clés ......................................................................................page 41Annexe 3 - Petits rappels entre amis ....................................................................................................page 42Annexe 4 - Éléments de réflexion sur les qualités de l'équipe d'animation............................................page 45

• CAHIER 2

DOCUMENT DE RÉFLEXION SUR L'USAGE DES OUTILS

DE DIAGNOSTIC PARTICIPATIF

Introduction .............................................................................................................................................................. page 51

Qu'est-ce que le projet Shepacc ?..............................................................................page 53

1. Les techniques de diagnostic participatif sont-elles la panacéequ'on nous présente ?....................................................................................................page 56

2. Comment contribuer à la promotion du processus d'émancipation ? ..................page 62

En guise de conclusion ...........................................................................................................page 67

Bibliographie ...............................................................................................................................page 68

AnnexesAnnexe 1 - Cadre logique du projet Shepacc ......................................................................................page 72Annexe 2 - Organigramme de Shepacc...............................................................................................page 73Annexe 3 - Exemple d'indicateurs de suivi qualitatif .............................................................................page 74

sommaire sommaire

Page 7: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

7

Introduction*

Les Manobos, une identité culturelle en sursisLe projet Shepacc (Self Help Education Program Appropriate for Cultural Communities) est mis en œuvre dans la municipalité de San Fernando sur l’île de Mindanao, située au sud des Philippines.

Il s’adresse plus particulièrement aux populations manobos qui constituent le groupe tribal le plus important à Mindanao, estimé à 300 000 personnes environ. À San Fernando, il pourrait s’agir de 8 000 à 10 000 personnes.

Selon des critères linguistiques, les Manobos sont considérés comme l’ethnie la plus ancienne de l’île de Mindanao. Au cours des siècles, ils ont su résister à la fois à l’influence de l’islam et à la christianisation apportés par les Espagnols au XVIe siècle. Ils vivent en petits groupes, familles étendues dont l’habitat est régi par la règle de l’uxorilocalité.

Traditionnellement, les Manobos animistes et semi-nomades vivaient de chasse et de cueillette dans les forêts tropicales couvrant le centre de Mindanao. À partir des années cinquante, un nombre croissant d’agriculteurs christianisés venus du Nord s’empare des terres, les défriche pour les rendre cultivables, et contribue ainsi au déboisement quasi achevé de la zone, avec les ravages environnementaux que l’on constate aujourd’hui, qui est principalement le fait de grandes compagnies forestières. La destruction de l’écosystème de la zone d’habitation des Manobos pose un véritable problème de survie de ces populations, d’autant que la pression démographique est forte et que les problèmes de malnutrition, parfois de dénutrition, sont aigus.

Du fait de l’absence d’une réforme agraire effective, les Manobos, non sans combats, sont donc constamment repoussés par ces immigrants, qui bénéficient notamment de la politique de transfert de populations impulsée par l’État. Les Manobos survivent sur des lopins en pente difficiles à cultiver, érodés et souvent éloignés des lieux d’habitation de plusieurs heures de marche. Certains, de plus en plus nombreux, constituent une main-d'œuvre pour l’agriculture et même pour leurs activités traditionnelles, collecte du rotin ou du chanvre. Les Manobos, illettrés, sont souvent exploités. Le risque est grand d’assister à une augmentation de l’exode vers la ville ; processus qui verrait à terme la disparition de l’identité manobo.

Leur enclavement et leur dispersion, outre l’absence, jusqu’en 1994, de politique de développement à leur endroit, expliquent qu’ils n’aient jamais eu accès au système d’éducation classique, ni aux services de santé. À noter que la récente dévolution de la santé au gouvernement local, qui a d’autres priorités, n’a pas encore permis d’assurer aux Manobos un minimum de soins suffisants. Enfin, l’orientation vers une industrialisation accélérée semble faire l’impasse sur la production alimentaire : celle-ci est laissée à l’initiative individuelle, tributaire des intrants importés, et les paysans sont pris dans le cycle sans fin de l’usure, de l’endettement et finalement de la perte de leurs terres ancestrales.

Si les chefs conservent une certaine autorité au sein du groupe, les valeurs sociales traditionnelles se dégradent et les repères sociaux disparaissent. Le jeu et l’alcoolisme font des ravages. Fait inquiétant, le recrutement de fillettes pour travailler dans des villes éloignées devient une pratique courante.

D’une problématique de santé vers l’élaboration d’un projet pluridisciplinaireauprès des populations manobosL’émancipation des populations manobos est la raison d’être de ce projet de développement intégré, dont le point d’entrée est l’éducation communautaire.

En effet, le projet Shepacc repose depuis son démarrage, en 1990, sur la mise en place de centres d’éducation non formelle communautaires, animés par de jeunes manobos formés de manière appropriée. Il constitue une des initiatives ayant contribué à la mise en application des préceptes de la Décade de l’éducation pour tous aux Philippines. Initié par le docteur Michèle Lafay, engagée de 1983 à 1995, grâce au financement des Œuvres hospitalières de l’Ordre de Malte, dans des actions de soutien aux populations manobos de la région, le projet a été agréé par le ministère philippin de l’Éducation et soutenu par l’Unicef de 1992 à 1994, ainsi que par Enfants et Développement en 1996.

Introduction

1 Cette introduction reprend de nombreux éléments présentés dans le document de projet déposé en 1997 auprès de l’Union européenne.

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 8: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

8 9

L’objectif général consiste à satisfaire aux besoins élémentaires des communautés manobos dans les domaines de l’éducation de base, de la santé, du développement économique et culturel, afin de contenir le processus de paupérisation, provoqué notamment par l’expul-sion progressive des Manobos hors de leurs terres ancestrales ainsi que par le déficit de services et d’aides au développement.

D’une problématique de santé à une réponse éducative

• De 1983 à 1995, les Œuvres hospitalières françaises de l’Ordre de Malte conduisent, aux Philippines, une action dont l’objectif est d’aider les Manobos à améliorer eux-mêmes leur situation de vie très précaire. Si l’objectif reste constant au cours de cette période, les moyens mis en œuvre, eux, évoluent en raison d’une prise de conscience progressive, par les initiateurs du projet, des problèmes et de l’évolution rapide de la situation locale.

• En 1983, les Manobos n’ont pratiquement pas accès à la médecine moderne. Une enquête de mortalité des enfants est menée auprès de 381 femmes manobos ayant totalisé 1 788 grossesses, et de 58 femmes d’autres ethnies ayant totalisé 304 grossesses et vivant dans 16 villages de la municipalité de San Fernando.

Le sujet de cette enquête, faite sur un mode simple semi-directif, vise à déterminer les facteurs de mortalité des enfants en privilégiant le comportement parental.

Cette étude, menée par le docteur Lafay dans le but d’une action de santé mieux adaptée, fait l’objet en 1984 d’un mémoire pour le diplôme en ethno-médecine de l’école des Hautes Études en sciences sociales, à Paris.

Parmi tous les facteurs étudiés pouvant influer sur la mortalité (âge de la mère, ordre dans la fratrie, etc.), la scolarisation de la mère se révèle de loin le plus important :« Une scolarisation, fut-elle de quelques années seulement, s’accompagne d’une diminution statistique de moitié de la mortalité des enfants. »

• De 1984 à 1986, un programme de santé de base, avec des agents de santé formés sur place et une « clinique » de planches de six lits, est mis en œuvre. Des tournées dans les villages sont organisées, en particulier pour vacciner contre la rougeole, grande tueuse d’enfants.

S’y adjoint une toute première expérience à finalité économique grâce à la location de quatre buffles, rachetés par les bénéficiaires avec paiement possible à la récolte (la carabank), et à un embryon de coopérative de santé, par une collecte mensuelle auprès de chaque famille pour payer les médicaments de base, en vue d’une autonomisation future.

Mais le centre d’action est situé dans une plaine fertile convoitée. En raison de la vénalité de certains chefs, qui vendent les terres, les Manobos en sont expulsés et se dispersent dans les collines avoisinantes.

• De 1987 à 1989, tout en continuant un programme de santé mobile, un programme de scolarisation formelle des enfants du village de Kisayab (400 habitants environ) est mis en œuvre, par la mise à disposition de deux instituteurs qualifiés non manobos.

C’est la première tentative de scolarisation d’enfants manobos qui tente de rompre avec les phénomènes d’exclusion dont ils sont victimes : exclusion géographique, car repoussés de plus en plus loin des centres où existe une école « pour les paysans sans terre », et exclusion économique, car les parents survivent avec peine et n’ont aucun surplus permettant la scolarisation de leurs enfants qui constituent, au contraire, une main-d'œuvre nécessaire à la survie de la famille.

Cette expérience montre que l’enseignement dispensé est efficace - les enfants sont motivés et apprennent vite, mais elle démontre cependant des limites liées aux différences culturelles : assez rapidement, les enseignants entrent en conflit avec les chefs de village et ne peuvent supporter l’isolement. Aucun ne reste plus de deux ans. Ces contraintes, ainsi que leur salaire relativement élevé, empêchent la poursuite d’un tel programme.

• Des organisations initient alors en 1990, à l’occasion de la Décade de l’éducation pour tous, l’expérimentation d’un concept

Introduction

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 9: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

8 9

éducatif non formel, acceptable par les Manobos car culturellement approprié, peu coûteux, et donc pouvant être reproduit dans les autres communautés. Ces projets sont placés sous la supervision et avec l’appui du DECS (Department of Culture and Sports). Les enseignants de base (appelés en anglais « parateachers ») sont identifiés parmi les quelques membres les plus instruits (niveau secondaire) de la communauté manobo et bénéficient d’une formation spécifique. C’est le Specific Education Programme Appropriate for Cultural Communities, Sepacc, que l’Unicef accepte de financer pour deux ans.La même année est créée l’association Friends of the Lumads (Les amis des tribus), formée d’un petit groupe d’universitaires de l’université Xavier, à Cagayan de Oro. Elle a pour but de soutenir la cause des minorités ethniques de Mindanao par tous les moyens possibles, et surtout en étant leur porte-parole auprès des autorités compétentes, car les problèmes des minorités sont alors très largement ignorés.

Le Sepacc débute d’emblée dans sept villages, avec huit enseignants (dont trois jeunes femmes). Comme il n’y a eu jusqu’alors aucune scolarisation, le projet intègre tous les enfants de 8 à 16 ans environ (les Manobos ne connaissent pas leur date de naissance). L’Unicef prend en charge tous les frais éducatifs, y compris une formation de cinq mois des parateachers au Notre-Dame Institute de Cotabato City, une autre ville de Mindanao, spécialisée dans l’éducation pour les minorités ethniques. En fait, cet institut conduit, depuis plusieurs années, un programme qui vise à former de façon accélérée (vingt-six mois au lieu de quatre ans) des enseignants pour les groupes tribaux. Le projet obtient par ailleurs que la formation continue des enseignants soit assurée par un formateur du département de l’Éducation non formelle du ministère de l’Éducation.

La construction des bâtiments, qui comporte toujours l’école et le logement de l’enseignant y attenant, l’adduction d’eau potable, souvent aussi une aire de séchage et une petite coopérative, si l’on prévoit des récoltes, est financée dans cinq villages par l’ambassade d’Allemagne et dans deux autres par les Ohfom.

• En 1992, un nouveau programme agronomique est mené, en collaboration avec une organisation non gouvernementale (ONG) locale et avec l’aide de l’Union européenne, dans le village de Kisayab, dont les étudiants les plus âgés semblent pouvoir constituer des leaders potentiels. La disparition accidentelle du responsable de l’ONG locale en question et sans doute la conception trop ambitieuse du projet ont empêché le plein développement de ce dernier, qui continue cependant sous l’égide du Department of Environment and Natural Resources (DENR). Cette expérience a montré par ailleurs que l’appropriation d’un tel projet par les bénéficiaires est cruciale pour en garantir le succès.

S’inspirant du projet Sepacc, d’autres expériences, qui utilisent des parateachers appartenant à l’ethnie concernée, sont également mises en œuvre chez les Mangyans de Mindoro et chez les Aetas déplacés du fait de l’éruption du volcan Pinatubo.

Ce rapide survol chronologique montre comment une problématique de santé a tout naturellement conduit le projet à focaliser son action pivot sur l’éducation, tout en étudiant les formes que pourraient prendre des microprojets destinés à améliorer les conditions de vie économique des Manobos et en poursuivant ses efforts de sensibilisation en matière de prévention.

Le projet est fondé sur le principe selon lequel le processus de conscientisation et d’éducation dans lequel une communauté s’engage pour ses enfants et pour elle-même est un processus de mobilisation individuelle et collective irréversible, préalable à toute dynamique de développement participatif durable.

Vers une extension et une diversification du projet

Fort de ses acquis, tant sur le plan des succès scolaires des enfants concernés et de la mobilisation communautaire qu’il a engendrée, que sur celui de sa reconnaissance formelle par les institutions (le ministère de l’Éducation notamment), le projet a abordé en 1996 :

- une phase d’extension de son objet éducatif, en s’étendant à l’alphabétisation fonctionnelle des adultes ainsi qu'à d'autres initiati-ves participant d’une démarche d’éducation communautaire intégrée, et d’expansion géographique, en passant de 11 à la totalité des 20 communautés qui constituent la municipalité de San Fernando ;- une phase de diversification des domaines d’action pour répondre aux besoins dans les domaines de la santé, du développement économique, de la protection des ressources naturelles, de la restructuration sociale et citoyenne des Manobos et de la revitali-sation de leur culture, afin d’initier un processus de développement global et durable, conduit et maîtrisé par les communautés manobos elles-mêmes.Un tel projet constituait une traduction opérationnelle du Social Reform Agenda du président Ramos qui, par le Memorandum

Introduction

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 10: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

10 11

Order 213 du 17 juin 1994, ambitionnait de donner accès aux secteurs les plus défavorisés de la population aux Minimum Basic Needs for an improved quality of life, dans un partenariat renforcé avec les ONG. Par ailleurs, les organismes internationaux tels le PNUD privilégiaient la province de Bukidnon pour la mise en œuvre de son Poverty Alleviation Programme.

Pour mener à bien cette nouvelle phase de développement du programme, rebaptisé « Shepacc », le docteur Michèle Lafay a sollicité Handicap International* comme partenaire opérationnel, en raison des compétences pluridisciplinaires dont l'association s’est dotée, de son expérience en développement rural durable et de sa capacité opérationnelle.

Un des objectifs de ce partenariat, à terme, était pour l'association de préparer Friends of the Lumads à la prise en charge progressive de l’ensemble des opérations.

La décision de Handicap International de soutenir le projet

Plusieurs éléments, objectifs et subjectifs, ont conduit Handicap International à accepter cette proposition.• Les objectifs généraux du projet étaient conformes à la mission et à la politique de l’association.• La pré-identification d’un partenaire local à même de reprendre, après la phase d’extension du projet, la maîtrise d’œuvre :

- était un élément de pérennité important ;- participait d’une démarche de partenariat particulièrement intéressante ;- permettait d’envisager, dans un second temps, un repositionnement moins opérationnel de l’association sur la défense des droits des minorités aux Philippines.

• Handicap International disposait en interne des compétences techniques nécessaires pour assurer la diversification du projet, par l’identification de compétences techniques locales que le projet pourrait être amené à solliciter ou, à défaut, par un appui technique direct.• Ce projet donnait l’opportunité à l'association de réaliser un projet véritablement interdisciplinaire, conformément à son mandat, et non uniquement multidisciplinaire comme l’était la plupart des autres projets mis en œuvre par ailleurs.• L’existence d’une volonté manifeste du gouvernement de s’intéresser aux populations indigènes s’est traduite par la promulgation du Social Reform Agenda, complété en décembre 1997 par l’Indigeneous People Rights Act, qui donne davantage de droits et de moyens aux peuples autochtones.• La coordinatrice technique Éducation, future responsable du programme Philippines, avait déjà été confrontée à la problématique des minorités ethniques lors d’une expérience professionnelle précédente, et avait pour elle un intérêt marqué.• La proposition de soutenir le projet a été faite à Handicap International directement par le docteur Lafay à Aline Robert, qu'elle avait eu l’occasion de rencontrer aux Philippines à l’époque où cette dernière travaillait pour l’association sur l’île de Mindanao. Devenue depuis codirectrice des programmes au siège, Aline Robert a pu témoigner de la pertinence et de l’intérêt du projet Shepacc au vu du contexte local.

Sur la base de ces arguments, l’association a donc accepté de soutenir le projet par un appui a priori transitoire (trois ou quatre ans) devant permettre son extension et le transfert de sa maîtrise d’œuvre à Friends of the Lumads.

D’un diagnostic participatif à l’élaboration d’un projet d’appuià l’émancipation des populations manobosUne première mission de quelques semaines a été réalisée par Frédéric Vacheron en 1996, pour valider la présentation du projet faite par le docteur Lafay, en apprécier l’état d’avancement et rencontrer les partenaires locaux. Cette mission a permis de vérifier la pertinence du projet, de la décision stratégique de diversifier les activités mises en œuvre et d’une extension géographique. En revanche, tout en reconnaissant l’engagement de Friends of the Lumads dans la défense des droits des populations autochtones et leurs compétences en la matière, certains doutes, vérifiés par la suite, ont été émis quant à leur capacité opérationnelle, du fait de leur profil essentiellement universitaire.

Une deuxième mission, réalisée par Thierry Gontier, parti comme directeur de programme, a permis d’installer la base administra-tive nécessaire à l’intervention de Handicap International.Rapidement, il a été rejoint, pour quatre mois, par Sophie Monnet, chargée de la réalisation d’un diagnostic participatif. Cette phase marquait un changement méthodologique devant permettre d’être plus près des besoins des populations locales et de définir avec elles des modes d’action. Le diagnostic a été réalisé selon une démarche participative du type Méthode accélérée de recherche participative. Elle a fait l’objet d’un document méthodologique rédigé par Sophie Monnet à son retour de mission. Les objectifs fixés par la coordination technique Développement rural étaient de :

* Handicap International est présente aux Philippines depuis 1988 et enregistrée auprès de la Security Exchange Commission depuis 1994.

Introduction

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 11: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

10 11

Introduction

1. lister et analyser les principaux outils d’animation et de diagnostic participatif adapté au monde rural ;2. présenter les grandes étapes d’une animation rurale ;3. proposer des éléments de formation des animateurs communautaires.

Le rapport réalisé sur cette base est présenté dans le premier cahier.

Le diagnostic participatif a permis d’affiner notre connaissance de la culture manobo et d’identifier, avec les populations, d’autres secteurs possibles d’intervention que la santé et l’éducation - en l’occurrence l’artisanat, l’agronomie, la nutrition. Un plan d’extension géographique du projet a également été établi (quatre villages puis huit, puis douze…). Par ailleurs, au cours et après ce diagnostic fondé sur une participation active des populations locales, une dynamique communautaire a semblé se développer spontanément dans certains villages. Ces dynamiques ont été interprétées comme une volonté communautaire de mettre en œuvre collectivement des projets de développement et comme traduisant un intérêt fort pour la démarche participative initiée lors de la phase de diagnostic.

C’est sur cette base qu’un projet a été élaboré, puis mis en œuvre à partir de 1997. Mélanie Langlois, ingénieur agronome, a alors remplacé Thierry Gontier sur la fonction de directrice de programme. Elle a été rejointe par la suite par Ivan Chaintreuil, qui a pris en charge pour quelques mois le volet Développement agricole. Une équipe locale a été constituée. Elle a intégré le personnel travaillant déjà sur le projet, et s’est adjointe de nouvelles compétences identifiées notamment pendant la phase de diagnostic. Ainsi, Dominador Gomez, anthropologue de formation, a pris en charge le volet, qui deviendra central par la suite, de l’animation.

Rapidement, les dynamiques communautaires qui s’étaient développées à l’issue du diagnostic se sont essoufflées. De même, les populations locales ne semblaient plus prêtes à s’investir dans les microprojets identifiés pourtant selon une démarche se voulant participative.

Ce désintérêt des populations a amené l’équipe sur le terrain à reconsidérer les conclusions de la démarche participative mise en œuvre préalablement. Au-delà des conclusions opérationnelles, l’équipe a analysé les limites et les biais des diagnostics participatifs, pour construire, selon un processus de type recherche-action, une démarche alternative plus proche des attentes des populations manobos.

Après une mission de deux ans, Mélanie Langlois a synthétisé ce travail dans un document de réflexion sur les limites des diagnostics participatifs, et sur la démarche alternative de promotion de l’émancipation des populations manobos élaborée dans le cadre du projet Shepacc.

Ces réflexions sont présentées dans le second cahier de ce document.Elles sont sous-tendues par une dialectique qui met en balance savoir-faire professionnel et « savoir être », et qui interfère avec une autre dialectique qui voit, elle, se confronter logique de projet et logique de processus.

En effet, les ONG de développement visent aujourd’hui fondamentalement au renforcement ou à l’émergence de processus de déve-loppement, qui se réalisent à moyen et long termes, dont seules les populations ont la maîtrise dans le respect des cadres légaux, et sans qu’il soit donc possible d’en définir a priori les objectifs généraux et les résultats. Or, leur outil privilégié d’intervention demeure le projet qui, lui, a une durée relativement courte, dont les moyens humains et matériels sont définis préalablement, ainsi que les objectifs et résultats attendus. Processus et projet diffèrent donc par leur nature et les modalités de leur mise en œuvre. L’une des dérives fréquemment observées consiste à considérer un projet non comme un moyen, mais comme un objectif en soi, et à rechercher, dans ce cadre, des solutions techniques toutes faites pour répondre à des problèmes identifiés par des experts. A contrario, considérer la pérennité d’un processus de développement comme étant l’objectif de tout projet de développement suppose, outre le fait de disposer de compétences techniques, d’être particulièrement vigilant quant à la posture à adopter. Dans cette optique, le projet consiste en effet à appuyer des individus et/ou des groupes dans la définition et la mise en œuvre d’un processus de développement dont ils doivent être les initiateurs et les porteurs, en évitant donc toute approche directive, mais en ne s’interdisant pas pour autant de promouvoir des innovations sociales et économiques. Pour ce faire, Mélanie Langlois identifie, entre autres, la nécessité de prendre son temps pour établir une relation de confiance avec la population locale, de faire preuve d’humilité, d’accepter de perdre la maîtrise du projet ou encore de ne pas attendre de solutions miracle.

Au-delà de ces attitudes individuelles qu’il faut savoir adopter sur le terrain, cette posture interroge également certaines pratiques des ONG.Ainsi, l’établissement d’une relation de confiance avec une population locale suppose une certaine proximité avec l’équipe sur

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 12: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

12

le terrain. Cela semble difficilement compatible avec l’extension des projets sur une grande échelle, que recherchent pourtant souvent les opérateurs de développement, et complexifie la question de leur reproduction. Il n’est en effet plus possible des définir de modes d’emploi, des guidelines, qui sont pourtant si souvent demandés par des équipes sur le terrain, des partenaires ou encore des bailleurs de fonds.Par ailleurs, la posture proposée fixe un objectif général de formation à tout projet de développement, les activités mises en œuvre devenant des supports de formation. Dans cette perspective, l’éducation et la formation devraient donc être une préoccupation centrale dans le domaine du développement. Or, force est de constater que cette dimension n’est pas toujours prise en compte dans l’élaboration et la réalisation de projets.Une troisième implication consiste à repositionner les opérateurs sur des fonctions d’appui au maître d’ouvrage ou au maître d’œuvre, leur faisant ainsi perdre la maîtrise des projets. Ce positionnement est de plus en plus adopté, notamment dans le cadre de projets d’appui au développement local, mais reste difficilement compatible avec les contraintes des opérateurs, qui doivent en particulier rendre des comptes à leurs bailleurs de fonds. Ces derniers, en effet, apprécient souvent les projets à l’aune de leurs réalisations concrètes ainsi que du respect de leur cadre logique et de leur plan d’action.

La réflexion de Mélanie Langlois amène donc à un double questionnement. Le premier porte sur les attitudes individuelles des personnes sur le terrain. Le second concerne les pratiques des ONG et, s’il est partagé par la majorité de leurs membres, sa déclinaison opérationnelle reste plus délicate à envisager dans la mesure où il vise des institutions qui, par nature, ont une forte inertie.Comme elle l’indique par ailleurs, le projet Shepacc a connu des périodes successives qui illustrent presque chacune des phases de l’histoire du développement (modernisation/développement communautaire, empowerment). À ce titre, c’est certainement un support intéressant pour apprécier et questionner l’évolution de nos pratiques ainsi que les méthodes dites « participatives », tout en gardant à l’esprit qu’il a été élaboré sur la base d’une expérience spécifique et qu’il ne s’agit surtout pas d’un modèle à répliquer tel quel.

Philippe Villeval,chargé du suivi des capitalisations en développement rural.

Introduction

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 13: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

12

Outilsde diagnostic

participatif rural

Ca

hi

er

1

Page 14: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

con

ten

u d

u

ca

hi

er

1

1.1. Justification de l'emploi d'une démarche participative .......... page 11

1.2. Fondement de la Participatory Rural Appraisal (PRA) ............ page 11

1.3. Qu'est-ce qu'un diagnostic participatif ? ............................................ page 11

1.4. Principales difficultés dans sa mise en oeuvre ............................. page 11

Page 15: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

La Méthode accéléréede recherche participative(MARP)

« La MARP est un processus intensif, itératif et rapide d’apprentissage orienté vers la connaissance des situations

rurales. Elle s’appuie essentiellement sur de petites équipes pluridisciplinaires qui utilisent une variété de métho-

des, outils et techniques spécialement choisis pour permettre une meilleure connaissance d’une situation. Un

accent particulier est mis sur la valorisation des compétences et savoirs des populations locales et leur combinaison

avec d’autres plus scientifiques. Beaucoup de techniques liées à la MARP ont été utilisées pour obtenir des résultats

fiables à moindre coût aussi bien en terme de temps que d’argent. Mais la MARP est essentiellement un processus

accéléré d’apprentissage par le biais de différentes interactions qui permettent de réunir une information riche et

fiable.- »

Proceedings of the 1985 International Conference on Rapid Rural Appraisal (Khon Kaen, Thaïlande : Khon Kaen University, 1987) 5-6 in Introduction à la MARP, B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

15

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 16: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

16

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Cadre du document

Ce document, destiné aux acteurs de terrain, est une capitali-sation basée sur des expériences variées d’approche participative, tant en matière de lieu que de temps (Sénégal : approche PRA - Participatory Rural Appraisal - thématique et planification effectuée sur environ six mois ; Cambodge : approche PRA d’évaluation sur un mois ; Philippines : approche PRA explo-ratoire sur trois mois). Bien sûr, ce travail est aussi axé sur une petite recherche bibliographique, dont vous trouverez les prin-cipaux titres à la fin du premier cahier.

Il existe plusieurs types de PRA. Les éléments développés dans ce document sont plus axés sur une PRA de type exploratoire1, c’est-à-dire correspondant à une phase d’identification et d’écri-ture de projet (lire annexe I). Mais, lors de la mise en œuvre du projet, d’autres types de PRA peuvent être utilisés, comme des PRA thématiques, d’évaluation, de planification et réajustement d’action. Dans notre cas, on estime qu’il y a eu une demande d’intervention formalisée de la part des pouvoirs publics, de par-tenaires potentiels, d’organisations… La présélection des villages a déjà été effectuée.

Cet ouvrage aborde la démarche participative en milieu rural, même si certains éléments, sous réserve de quelques modifications, sont applicables plus largement. Il n’est pas vraiment novateur dans son contenu et s’inspire largement de toute la littérature issue de la PRA élaborée dans les années soixante-dix par G. Conway et R. Chambers. Généralement, les termes de MARP (Méthode accélérée de recherche participative), RRA (Rapid Rural Appraisal), Reflect et beaucoup d’autres recouvrent une approche similaire.

Ce document est adapté pour une approche auprès de communautés villageoises. On appelle communauté villa-geoise « un groupe d’individus ayant des intérêts communs, qui interagit avec d’autres de manière régulière et/ou une unité géographique, sociale et administrative »2. On notera que l’approche de structures déjà organisées, telles que les coopératives, les GIE (Groupements d’intérêt économique) de producteurs ou les associations, dépasse la réflexion en matière de résolution de problèmes au sein d’une commu-nauté villageoise. La gestion d’intérêts communs y est plus évidente.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

1 Il ne s'agit pas d'une phase exploratoire telle qu'on l'entend traditionnelemnt à Handicap International. L'étape décrite ici se situe entre la phase préliminaire, où une demande d'intervention a été exprimée par une entité locale (administrations, associations, villageois...), et la phase de programmation, qui en découle directement.2 In Comprendre la réadaptation à base communautaire, Commission économique et sociale pour l'Asie et le Pacifique, UNDP, New York, 1997.

Page 17: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

16

Les diagnostics participatifs en milieu rural

1. La démarche participative :un principe de développement, une pratique au quotidien

1.1. Justification de l’emploi d’une démarche participative« Participation is a process through which stakeholders influence and share control over development initiatives and the decisions and resources which affect them. » (World Bank participation sourcebook)

Les communautés villageoises dans lesquelles nous interve-nons, vivant souvent dans des conditions difficiles, ont une image négative d’elles-mêmes et de leur savoir. Elles se consi-dèrent comme « inférieures » et ignorantes. Dans la réalité, elles connaissent souvent très bien leur terroir, son fonctionnement et ses problèmes. Il s’agit pour nous de « faire surgir » ce savoir. La clarification du rôle de chacune des parties est importante. Il est nécessaire d’énoncer clairement aux villageois : « C’est vous qui savez, nous sommes là pour vous écouter, vous questionner », c’est-à-dire positionner les villageois comme les principaux acteurs. Les termes de « facilitateur » ou « catalyseur » pour l’équipe projet paraissent sûrement quelque peu miè-vres. Néanmoins, ils reflètent assez justement la philosophie de la démarche. En matière de communication, on fixera pour l’équipe projet le rôle de récepteur (elle doit donc rester neutre) et celui, fondamental, d’émetteur pour les villageois.

La mise en place d’une telle démarche paraît évidente. On entend souvent : « Le développement ne peut être conçu au sommet et réalisé à la base. » Et pourtant, dans la réalité, l’étude de faisabilité d’un projet se fait par des équipes projet qui omettent trop souvent l’échange avec les populations, alors qu'elles sont les premières bénéficiaires de l’action. Dans toutes ses interventions, Action Nord Sud met l’accent sur l’approche participative.

La reconnaissance de l’aptitude à prendre des initiatives en matière de développement, des savoirs et savoir-faire des com-munautés villageoises, leur responsabilisation3 constituent un postulat de départ pour la mise en œuvre d’une telle démar-che. Basée sur les aspirations villageoises, elle doit valoriser et développer les compétences et potentialités locales.

Le caractère fondamental de cette démarche est sa pluridisci-plinarité. Ce qui ne veut pas dire une juxtaposition de secteurs d’activité, mais une nouvelle façon d’envisager les relations et les articulations entre disciplines différentes. On parle

aujourd’hui d’approche transversale du développement. On

notera donc l’intérêt d’une équipe pluridisciplinaire mixte permettant d’investir différents domaines. La complémentarité de l’ensemble des membres de l’équipe ainsi qu’une bonne ambiance sont primordiales pour mener à bien l’ensemble du processus.

La mise en œuvre de cette démarche doit créer un espace de concertation où chacun puisse avoir l’opportunité de s’expri-mer, discuter, commenter et critiquer, en un mot de participer.

1.2. Fondement de la Participatory Rural Appraisal (PRA)L’approche aujourd’hui utilisée dans la mise en place de projets de développement est orientée vers une démarche participa-tive. C’est avec la participation des communautés avec lesquelles on envisage de travailler que l’on identifie les besoins, priorise, planifie et met en œuvre des actions que l’on évalue. Dans ce cadre, la PRA offre une approche créative qui nous informe sur les perceptions qu’ont les villageois de leurs réalité, envi-ronnement ou problèmes et sur les perspectives en matière de développement.

La PRA bouscule les anciens préceptes sur les connaissances des communautés et leur degré d’engagement possible depuis l’identification d’un projet jusqu’à sa mise en œuvre. Les straté-gies développées aujourd’hui vont dans le sens non seulement d’une reconnaissance des savoirs paysans, mais aussi de leur valorisation, en servant de point de départ à la rédaction de projets de développement.

Basée sur le visuel, la méthode PRA promeut l’échange formel et informel d’informations, leur analyse aidant à la formulation d’interventions adaptées aux réalités du terrain. Ces méthodes ont prouvé les capacités des villageois à comprendre le fonc-tionnement de leur environnement et à en faire partager leur analyse. La compréhension de la situation des communautés par l’équipe projet doit être améliorée au cours du projet, grâce à des systèmes de suivi-évaluation rigoureux, pouvant eux aussi entrer dans le cadre d’une démarche participative.Complémentaire d’autres méthodes de « recherche-action » (lire annexe 2), la PRA offre une approche transversale du développement où travaillent ensemble différentes disciplines. La mobilisation des acteurs, dès l’élaboration du projet, permet d’optimiser les chances de réussite lors de sa mise en place. Elle autorise une appropriation totale, donc un désengagement progressif réel des organisations de solidarité internationale

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

17

Les diagnostics participatifs en milieu rural

3 Par exemple, la date d'une réunion villageoise est définie par les villageois eux-mêmes, et non par le projet. Dans ce cas, si personne ne participe,ce sont les responsables qui sont en cause.

Page 18: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Les diagnostics participatifs en milieu rural

19

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

18

externes. Ce document n’est pas un catalogue de recettes à appliquer sans réfléchir. Il sert de base de réflexion à la mise en place d’outils spécifiques et adaptés à l’identification d’un projet.

1.3. Qu’est-ce qu’un diagnostic parti-cipatif ?« Le diagnostic appliqué au milieu rural est l’opération qui vise à analyser et juger des modes d’utilisation de l’espace rural, à un moment et à une échelle donnés, en fonction d’objectifs de connaissance et de valorisation de cet espace. » (Jouve et Clouet)

Le diagnostic ne peut constituer une fin en soi, il doit s’inté-grer dans une perspective plus générale de cycle de projet de développement. Il constitue donc une étape préalable à toute action de développement. Il doit conduire à proposer des axes de développement et d’intervention c’est-à-dire à la formulation d’actions précises à entreprendre et des modalités de leur mise en œuvre. Le diagnostic participatif permet d’obtenir par les villa-geois eux-mêmes l’ensemble de ces informations.

Ne pas oublier que les villageois sont acteurs et initiateurs, et non instruments de recherche.

De la finalité et des objectifs d’utilisation du diagnostic va dépendre le type de diagnostic à entreprendre. Avant de com-mencer la collecte de données et la définition des différents outils utilisés, il est nécessaire de définir clairement les objectifs du travail mené et les informations que l’on souhaite recueillir. L’objectif est de repérer les phénomènes et problèmes généraux, des grandes tendances. C’est pourquoi il peut être utile d’entre-prendre l’analyse par étapes successives, en commençant par des niveaux de perception vastes4 (échelle du pays ou de la région) pour terminer par des niveaux plus petits (sous-région, village, parcelle…). Ce « prédiagnostic » de la situation peut examiner les grandes caractéristiques du milieu : climatologie, pédologie, agronomie, démographie, économie, contextes poli-tique, social et religieux.

Trop souvent, on « s’emballe » pour recueillir un maximum d’informations, on veut tout étudier, faire un diagnostic complet, alors que la finalité est la définition des grandes orientations pour l’écriture d’un projet. Il sera encore temps d’affi-ner nos connaissances lors de sa mise en œuvre.

L’approche participative doit être dynamique et systémique. L’analyse de la situation d’une communauté doit être perçue

dans sa globalité, sa complexité et son évolution. Globalité ne veut pas dire totalité ; le diagnostic ne peut être totalement exhaustif. Mais il doit tenir compte de l’interdépendance de ses composantes, des conséquences prévisibles et de l'incidence des changements envisagés. On s’arrête trop souvent à une image figée d’un instant T, sans comprendre les éléments ayant favorisé les transformations. On identifie et priorise des actions de projets communautaires, sans forcément tenir compte des potentiels existants ou réfléchir aux conséquences et/ou à l’évolution probable de facteurs limitants (disponibilité de la force de travail, réserve foncière, fertilité, ressources fourragè-res…).

Les conséquences de nos actions sont parfois sous-évaluées : la mise en place d’un barrage, par la création d’un plan d’eau stagnante, peut favo-riser en région d’endémie le développement de maladies telles que le paludisme, la bilharziose… On a peut-être réglé un problème d’eau, mais on a créé un problème supplémentaire en matière de santé publique.

L’un des principes fondamentaux est celui de la triangulation ; triangulation des sources d’information comme de l’information elle-même : au niveau de différents groupes sociaux (femmes, hommes/jeunes, vieux, notables ou non, groupes ethniques, natifs ou immigrants…) et au niveau des différentes techniques permettant de vérifier et/ou compléter certaines informations. « Plus les angles sous lesquels on aborde un problème sont diversifiés, plus complètes et fiables seront les informations collectées. » 5

Un diagnostic, même participatif, doit optimiser les informations existantes. La rencontre des personnes clés ayant déjà travaillé sur la zone ou des services techniques et administratifs, la recherche bibliographique sont loin d’être à négliger. Ces démarches doivent être effec-tuées dans l’esprit « d’utiliser les informations recueillies » et d’améliorer notre compréhension du système global.

L’idéal serait un diagnostic mené par une petite équipe : un expatrié et deux ou trois animateurs locaux.

Les diagnostics participatifs en milieu rural

4 L’analyse des chiffres moyens pour une zone considérée ne doit pas masquer l’analyse des différences.5 In Introduction à la MARP - Quelques notes pour appuyer une formation pratique, B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 19: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Les diagnostics participatifs en milieu rural

19

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Souvent, des difficultés apparaissent aux équipes de terrain, d’une part pour trouver un juste équilibre entre la somme de connaissances qu’il faut acquérir pour bien comprendre le milieu, et, d’autre part, pour utiliser ce savoir dans l’application d’un projet de développement communautaire. Trop souvent, l’accumulation des connaissances devient une fin en soi et prend des allures de thèses très scolaires, au détriment de leur utilisation. Il faut accepter le sentiment de ne pas avoir toutes les connaissances ainsi qu’un certain degré d’imprécision. Il est important de savoir faire l’impasse sur des questions qui sont intéressantes en tant que telles mais marginales pour le projet.

Le diagnostic participatif dépasse une simple collecte d’infor-mations socioéconomiques. L’objectif de ces rencontres6 avec les communautés villageoises est aussi de :• soutenir l’émergence d'une dynamique liée à une demande d’intervention et être attentif aux multiples sens que recouvre cette demande (capacité de décodage des comportements) ;• transformer les revendications en propositions (sortir des doléances, des solutions a priori ou des réponses stéréotypées), en recherchant les fondements des problèmes exprimés ou des attitudes villageoises ;• passer des demandes individuelles à l’expression collective des besoins, et/ou offrir un soutien collectif aux demandes individuelles ;• trouver un compromis entre les demandes contradictoires et parvenir à des consensus ;

Techniciens, administrations,autres organisations…

Personnes ressources Communautévillageoise

Backgrounds différents…

ÉQUIPE PROJET

Collecteurs d’information

Locaux et expatriés Mixte et pluridisciplinaire

Diagrammes

OUTILS ET TECHNIQUES

Recueils d’information

Réunions Observations, enquêtes…

UNITÉS D’OBSERVATION

Sources d’information

Éviter l’impression d’opérations « commando » débarquant dans un village, armada de chercheurs hautement diplômés, sans qu’il y ait forcément échange ou retour d’informations auprès des popu-lations ciblées.

Exemples d'éléments à identifier

Compréhension globale de la zone

Analyse spatiale, historique, culturelle et socioéconomique

Identification des communautés

Localisation, démographie, historique d’implantation,

organisation politique, sociale et culturelle, interrelations

Environnement géographique

de ces communautés

Enclavement, délimitation du terroir, potentialités,

mode de gestion du terroir

Environnement économique

Transports, marchés, coûts de production et fluctuation,

échanges, relations commerciales

Emprise des communautés

sur leur environnement (terroir)

Comportements et actions entreprises, priorités d’axe de

développement, analyse des modes de résolution

des problèmes

Environnement politique et administratif

- EXEMPLE D’ÉLÉMENTS INTÉRESSANTS À IDENTIFIER -

6 Voir document : « Application du PRA et de la MARP en milieu urbain -Programme d’Appui aux Initiatives de Quartier ; RAZAFINDRAKOTOHASINA S. et RASOLOFONJATOVO J. »

Page 20: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

20

Les diagnostics participatifs en milieu rural

21

• développer la communication de façon générale, et les capa-cités d’expression des personnes les plus vulnérables (femmes, jeunes) en particulier .

Transformer les demandes d’assistance en projet de développement.

1.4. Principales difficultésdans sa mise en œuvreLa phase de diagnostic est complexe si l’on souhaite aborder de façon transversale une communauté et son évolution. Cette phase précède la mise en place d’un programme d’activités. Elle doit donc être souvent menée rapidement. Rapidement ne veut pas dire superficiellement. Elle ne doit pas conduire à des interprétations erronées de la réalité (les erreurs seraient lourdes de conséquences pour la mise en œuvre du projet et surtout pour les populations). Attention à ne pas confondre l’in-térêt de rapidité dans la phase d’identification et la nécessité de prendre son temps, c’est-à-dire d'avancer « pas à pas », pour la mise en œuvre du projet en lui-même.

Il faut savoir perdre du temps pour aller plus vite. Gagner la confiance des villageois, respec-ter leurs us et coutumes. On veut parfois brûler les étapes, notamment protocolaires. Les saluta-tions sont une étape capitale.

On privilégiera le qualitatif au quantitatif. À cet effet, l’accent doit être mis sur la prise de notes et les réunions de synthèse, à la fin de chaque rencontre, où l’on résume ce que l’on a appris, confirme ses connaissances, dégage les points obscurs à creu-ser (et par quel biais on pourrait les aborder), où l’on évoque nos impressions. Ces temps de discussion doivent permettre d’affiner le planning des journées suivantes, de croiser les infor-mations collectées. Ces synthèses peuvent servir de base aux restitutions auprès des villageois. La restitution est nécessaire pour faire valider les résultats par les communautés et leur prouver que l’on a bien compris le message. Elle peut servir de base à de nouveaux débats et approfondissements d’idées.

La restitution est une étape souvent négligée. Elle est pourtant primordiale. Elle doit être con-duite d'une façon la plus dynamique possible.

La méthodologie repose sur la confrontation des points de vue de différents acteurs. Il est donc indispensable, pour sa mise en place, de créer une atmosphère interactive et non intimidante, permettant à chacun de s’exprimer. La réflexion commune sur les solutions n’est pas toujours facile, car elle nécessite une

estime réciproque de l’ensemble des acteurs. Cela passe par un discours franc et transparent de la part de l’équipe du projet7. La présentation de l’équipe de facilitateurs (avec introduction possible par le chef de village) et des villageois présents (la rédaction de la liste des présents permet de valoriser les villa-geois et d’établir un suivi des réunions) sont aussi nécessaires.

Bien entendu, l’équipe du projet aura pris soin, dès son arri-vée dans la communauté, de se présenter aux chefs de village (traditionnel, politique, religieux…) et d’expliquer les objectifs, méthodes et stratégie de travail. De l’engagement personnel de l’équipe du projet, de son immersion dans le milieu8 et de son « savoir être », dépend en grande partie la réussite d’une approche participative.

La traduction suivie d’une prise de notes doit être discrète afin de ne pas perturber le dérou-lement des échanges. Parfois, l’expatrié pourra se sentir « en marge » car il ne comprendra pas tout. Néanmoins, il veillera à obtenir (pen-dant ou après) la « substantifique moelle » des débats.

On doit veiller à limiter les problèmes « classiques » de commu-nication, la déperdition de sens lors des traductions, les diffi-cultés des codes de langage (importance de la communication non verbale) et des modes de représentation différents pour les populations rurales. Nos interlocuteurs sont parfois très habiles à nous dire ce que nous attendons qu’ils nous disent, par gentillesse (biais de politesse) et/ou comme un placement à moyen terme (les risques de réponses sur mesure sont grands selon ce que les villageois perçoivent de nous). De plus, il exis-te un système de censure et d’autocensure, voire d’interdit, de la part de la population vis-à-vis d’étrangers possédant un « sta-tut » différent (encore plus s’il s’agit d’expatriés). Ainsi, parfois, ils n’expriment pas jusqu’au bout leurs propres convictions.

Éviter le discours paternaliste (« Il faut faire ceci, vous devez faire comme cela »), négatif ou hâtif (« Vos pratiques sont néfastes »). Pire, le discours décalé (manque d’humour…). Ne pas hésiter à raconter des anecdotes ou histoires locales, à utiliser des comparaisons parlantes (le ciseau en équilibre sur un fil pour le partage des apports entre villageois et projet).

Il faut veiller à éviter les biais, c’est-à-dire l’influence de cer-tains facteurs, comme le biais spatial (la difficulté d’accès à un site peut nous amener à négliger sa visite) ou celui lié au

7 Il ne s’agit pas de faire croire aux villageois que l’ensemble des besoins exprimés lors de la PRA sera suivi d’actions immédiates, mais d’expliquer clairementoù en est l’équipe dans le processus d’ouverture de programme.8 Passer la nuit dans le village et pouvoir observer les villageois dans leur vie quotidienne en font partie.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Page 21: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

20

Les diagnostics participatifs en milieu rural

21

statut (ne rencontrer que les personnes influentes d’un village). Il est indispensable de prendre régulièrement du recul dans l’analyse et de se poser ces questions, sous peine d’arriver en fin de processus et de n’avoir « qu’une ligne » dans nos observations. Cela rejoint le principe de triangulation évoqué précédemment.

Lors de débats animés, on a naturellement tendance à se contenter d’écouter ceux qui s’ex-priment, sans trop susciter la parole des autres. On s’apercevra parfois que, bien que s’exprimant rarement en public, les femmes ont souvent un rôle moteur dans les dynamiques de développe-ment communautaire.

Cette approche par l’intermédiaire d’outils et d’échanges avec les villageois ne doit pas empêcher l’équipe de facilitateurs de mettre en éveil tous ses sens et d’observer (style des maisons, inte-ractions lors des réunions, activités des villageois…). La collecte d’informations par le biais de l’informel9 est toujours très enri-chissante. Le non-planifié est parfois plus fécond que le planifié. Les discussions dans les champs ou sur les chemins d’accès au village permettent de laisser les villageois s’exprimer librement sur leur situation et leurs préoccupations prioritaires. Le temps passé dans le village doit être entièrement axé sur l’observation et l’échange avec les habitants.

La variété des PRA, le choix des thèmes à aborder (gestion des ressources naturelles, problématique de l'élevage…), le site du projet et l’équipe engendrent des différences. Néanmoins, un minimum de cinq jours de travail sur le terrain paraît néces-saire. L’idéal serait une dizaine de jours par communauté pour une PRA basique10. Bien évidemment, elle peut durer beaucoup plus longtemps. Une bonne préparation demande au minimum une semaine, entre les temps de collecte du matériel, le briefing de l’équipe, des données déjà existantes, et surtout la définition des objectifs du travail ainsi que les informations nécessaires pour atteindre ces objectifs, sans oublier une bonne logistique. L’hébergement dans le village paraît souhaitable (source de renseignements obtenus dans l’informel), en veillant à ne pas devenir une charge pour les villageois qui vous hébergent.

Ne pas négliger le facteur humain et tout l’aspect social du diagnostic. Des impressions peuvent être aussi de bons indicateurs, même si elles paraissent moins « objectives ».

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

9 Le rôle de l’homologue local devient encore plus important.10 La PRA est souvent menée conjointement sur trois ou quatre communautés, de préférence géographiquement proches. Cela permet des comparaisons pertinenteset une émulation lors de la mise en œuvre du projet.

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Page 22: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

22

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

23

2. Quelques outilsde diagnostic participatif

On rappellera ici qu’il ne s’agit pas de fournir une liste exhaus-tive d’outils utilisables en matière de diagnostic participatif 11, mais plutôt d’en appréhender quelques-uns issus de l’approche classique PRA et déjà utilisés lors d’expériences au Sénégal, au Cambodge et aux Philippines. Ils devront dans tous les cas être adaptés aux objectifs spécifiques du travail et aux réalités du terrain.

2.1. Descriptif des fiches-outilsSept outils ruraux de diagnostic participatif sont ici présentés sous forme de fiches, avec des exemples concrets :

- la carte de terroir ; - l’entretien semi-structuré ; - le transect ; - les calendriers ;- l’enquête familiale ;- le diagramme de Venn ;- le workshop (atelier de travail).

Afin de faciliter leur lecture, la structuration des fiches-outils est constante :

Définition de l’outil Objectifs Quand le mettre en œuvre ? Avec qui ? Comment ? (déroulement) Recommandations

2.2. Au sujet de leur réalisation et utilisationDes supports visuels compréhensibles par tous

Le choix des outils décrits dans ce document est basé sur l’adéquation entre un travail auprès de communautés rurales souvent illettrées et une compréhension de la gestion des terroirs. Les outils les plus adéquats en matière de développement rural sont ceux qui font appel à l’analyse de terroir, avec pour objec-tif la compréhension de son fonctionnement. On comprendra aisément qu’ils sont axés sur une approche visuelle. La majorité

d’entre eux fait appel à des supports dessinés, avec utilisation de tableaux de feuilles, de photos, d’images (symboles choisis par les villageois eux-mêmes).

Ne pas perdre de vue que les outils n’existent que pour servir de support aux débats et au dialogue.

Pour les documents dessinés, le support idéal est la feuille de plastique transparente. Les marqueurs de couleur utilisés peuvent être effaçables à l’alcool à 90°. Ainsi les réajustements seront plus aisés, tout comme la superposition de différents élé-ments par l’empilement successif des feuilles transparentes. Par exemple, pour l’élaboration de la carte de terroir, les éléments de structuration foncière pourront être superposés avec ceux de la production végétale. Le réseau hydrographique et routier pourrait être représenté sur une feuille à part.

Ce sont les villageois qui dessinent et prennent les crayons. En début d’animation, ils sont sou-vent quelque peu timides. Aussi, ne pas hésiter à les inciter, les stimuler…

Ces supports finalisés12 doivent rester dans le village, dans un lieu accessible à tous, car ils :• assurent à tous une visibilité des situations exposées, des problèmes soulevés, des propositions d’action ;• témoignent des efforts engagés tout en permettant de poursui-vre un travail en profondeur ;• permettent d’obtenir une gratification des villageois ;• entretiennent la dynamique et la mobilisation de la commu-nauté ;• peuvent servir de supports écrits pour des séances d’alpha-bétisation13.

S’il s’agit d’un matériel qui doit être utilisé par la suite lors d’animations sur le site ou à l’extérieur, on travaillera au maxi-mum avec un « artiste local », personne maîtrisant parfaitement la culture, les us et coutumes. Il connaîtra mieux les signes et symboles que les villageois peuvent comprendre (on veillera à respecter ce qui ne peut être dessiné, la tradition veut par-fois que l’on ne représente pas certaines parties du corps ou la mort). Il choisira au plus juste les couleurs et les images. L'emploi d’objets usuels et de matériaux locaux est aussi un élément déterminant de compréhension. Pour une carte de terroir, l’utilisation de grains de riz, de feuilles, de sable… est

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

11 Ces outils peuvent être réutilisés et complétés lors de la mise en œuvre du projet.12 Pour qu’ils puissent résister au temps, on pourra les plastifier, les poser sur un support cartonné.13 De plus en plus de programmes de développement rural intègrent des composantes « alphabétisation ».

Page 23: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

22

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

23

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

facilement compréhensible par les villageois.

Un choix des sites judicieux et varié

Parfois, certains outils se réalisent sur le terrain (cas du tran-sect), c’est-à-dire dans les champs, les forêts et les environs… Ils peuvent aussi se faire dans les maisons des villageois (cas des enquêtes familiales) ou encore dans des lieux publics et collectifs extérieurs ou intérieurs (cas du diagramme de Venn, des workshops, des calendriers). Il est indispensable de deman-der aux villageois de choisir eux-mêmes le site. En effet, de nom-breux paramètres dans la compréhension sociale et culturelle (politique ou autre) nous échappent souvent. L’école est très fréquemment choisie, mais ce n’est pas forcément le meilleur lieu. Des personnes n’ayant jamais été scolarisées peuvent être intimidées, problème du statut de l’enseignant. Un tel choix peut limiter le nombre de participants. Ne pas oublier que de nombreuses informations sont recueillies de manière infor-melle. Donc, quel que soit le lieu où l’on se trouve, il faut avoir une feuille de papier à portée de main.

Le lieu de réunion doit être choisi par les vil-lageois. En Afrique de l’Ouest ce pourra être l’arbre à palabres, au Cambodge la pagode, aux Philippines le Sitio Hall (endroit ouvert avec une toiture et quelques bancs, souvent central dans le village)…

La préférence dans le temps

Plus on veut limiter le temps d’une PRA, plus on peut utiliser les enquêtes familiales comme clé d’entrée avec des questions beaucoup plus ouvertes (tout en restant fidèle au temps, et ne pas vouloir être totalement exhaustif). La restitution des enquêtes (par exemple, des éléments de typologie des exploitations) peut servir de base de débat pour l’identification et la priorisation d’actions de développement.

Les temps de préparation de l’ensemble de la PRA au sein de la communauté, tout comme celui précédant les réunions, doivent être calculés lar-gement.

TEMPS

Cartede terroir

Entretiensemi-structuré

Diagrammede Venn

Workshop

Transect Calendriers

Les outils dans le déroulementde la PRAEnquêtes familiales

Source : Institute of Rural Reconstruction, 1997.

Page 24: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

24

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

25

L’implication des structures locales

La collaboration avec les structures locales (services techni-ques, administrations, autres opérateurs de développement) doit être privilégiée. Parmi les difficultés rencontrées, on s’in-surge souvent contre une mauvaise contribution des autorités locales, voire même un blocage (gênant la participation des villageois). Seules des discussions préliminaires au travail mené avec les communautés villageoises, pour informer et obtenir l’accord (voire le soutien) des autorités locales, peuvent éviter ce type de litiges. La clarification du rôle de chacun est indispensable.

L’importance des restitutions

Les restitutions constituent un moyen d’informer, de recueillir les critiques, d’apporter des corrections avant la rédaction du document de projet. Elles permettent la validation du travail afin d’acquérir l’adhésion du plus grand nombre. C’est une nouvelle occasion d’associer les villageois au processus d’éla-boration du projet.

Quand les outils utilisés pour le diagnostic participatif sont dessinés, cela facilite d’autant plus cette étape. Néanmoins, même lorsqu’il s’agit d’enquêtes familiales ou d’entretiens semi-directifs, une restitution est nécessaire.

Quelques recommandationsen matière d’animation14

Le support, la feuille de plastique, pourra être disposé à même le sol. Accroché au mur, l’orientation des villageois peut être plus difficile (dans le cas de la réalisation d’une carte, par exemple, où la feuille représente le village). De plus, les villageois se sentent souvent plus à l’aise si la feuille se trouve « parmi eux ». Comme ce sont eux qui dessinent, ils peuvent marcher dessus si besoin est. Ne pas hésiter à les mettre le plus à l’aise possible.

La durée moyenne d’un atelier est d’une demi-journée (comp-ter une attention soutenue d’un groupe ou d’individus de trois heures au maximum). Lors des transects ou visites de terrain, les temps peuvent être rallongés. Pour la carte de terroir, la première demi-journée est nécessaire à sa réalisation, une seconde aux débats autour des problèmes émergeant et des solutions envisagées. Dans tous les cas, veiller à synthétiser au jour le jour les informations recueillies.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

14 Lire Analyse et propositions ; volet Animation du programme d’hydraulique villageoise, Monnet S., Proeug K. et Vannak M., Handicap International.15 Lire aussi Annexe 4.

Quelques rappels généraux

Certains éléments paraissent plus qu’évidents, et pour-tant il convient de rappeler ici qu’ils sont le fait d’obser-vations réelles effectuées sur le terrain. Ils constituent la base des techniques d’animation15.Avant la réunion, il est primordial de :• battre le rappel dès son arrivée afin de prévenir du début imminent de la réunion (préciser que la réunion ne durera pas longtemps et demander la participation active de tous) ;• trouver des supports suffisamment proches des villa-geois afin d’y accrocher tout document dont vous auriez besoin (disposition de la « salle ») ;• relire le plan de la discussion du jour (et les objectifs) afin de cibler les débats et de penser à suivre la démarche élaborée.Pendant la réunion, l’animateur doit veiller à :• remercier le chef de village, les présents, pour avoir permis la tenue de la réunion ;• introduire les objectifs de la réunion et les positionner dans la démarche générale ;• s’adapter à son public, l’animateur est là pour faire émerger les connaissances des populations ;• adopter un ton assez fort (éviter l’installation de la réunion près d’une source de pollution sonore, axe routier, école…) et assez lent ;• utiliser un langage clair, direct, franc et simple, compré-hensible par tous (utilisation du vocabulaire local com-mun), tout en étant le plus précis possible (l’information technique doit être simplifiée et/ou la terminologie expliquée clairement aux villageois) ;• favoriser l’expression du plus grand nombre en s’adres-sant personnellement aux villageois ;• prendre le temps d’écouter l’ensemble des réponses après avoir posé une question ;• éviter les répétitions et digressions qui n’ajoutent rien et rallongent inutilement la durée d'une réunion, qui ne doit pas excéder trois heures ;• faire preuve d’humour le plus souvent possible (sur-tout pour faire face à des éléments perturbateurs !).En fin de réunion, l’animateur est alors en mesure de :• conclure de façon forte et remercier les personnes d’être venues malgré leurs occupations ;• préciser qu’il est important d’informer les absents sur ce qui a été dit et leur demander d’être présents la fois suivante.

Page 25: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

24

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

25

2.3. Les sept fiches-outils

Définition de l’outilLa carte est une visualisation du terroir par les villageois. Elle constitue l’une des bases de la PRA. Par le biais de dessins, de cartons ou d’images symbolisant les composantes du village, ses problèmes, les attentes et besoins des villageois peuvent émerger. On parle de terroir plus que de village, car la carte peut dépasser les limites stricto sensu du village. Par exemple, les femmes vont chercher du bois dans une forêt qui se trouve sur le territoire voisin. L’information peut être capitale si l’on travaille sur l’impact de l’homme sur son milieu, et ne pas apparaître sur une carte strictement limitée aux contours villageois.

Objectifs• Connaître le terroir d’une manière globale (situation géogra-phique, économique et sociale) ainsi que les éléments du paysage marquant les villageois.• Caractériser les différents types de terrain et/ou d’occupation du sol d’après la perception des villageois (constructions, loca-lisation des différentes cultures et ressources naturelles…).• Identifier la structuration de l’espace et les interrelations.• Préciser l’accès ou le contrôle16 de certaines ressources comme l’eau, le bois ou la possession de terres.• Établir et prioriser des actions pouvant être mises en œuvre : comment, avec qui, où et quand les réaliser.

Quand le mettre en œuvre ?En début de PRA, la carte villageoise est bien adaptée car elle permet d’établir un contact entre l’équipe et les villageois, qui se sentent en confiance car « ce sont eux qui font ».

Avec qui ?La carte de terroir se construit avec l’ensemble des villageois, divisé en deux ou trois groupes selon l’importance du village. Préférer des groupes mixtes. Néanmoins, si vous voyez qu’un groupe inhibe un autre, faites des regroupements distinctifs par sexe, âge, appartenance ethnique… L’idéal est de n’avoir, dans chaque groupe, pas plus d’une quinzaine de personnes17, toutes tendances représentées.

Comment ? (déroulement)• Première étape : lister les éléments à représenterLaisser les villageois lister ce qu’ils souhaitent représenter18

sur la carte ainsi que leur symbolisation (utilisation de feutres

de couleur, mais aussi de matériaux locaux, sable, cailloux, feuilles, racines. Selon les thèmes abordés, proposer des cartes différentes que l’on superposera par la suite (exige un support transparent).

• Deuxième étape : positionner les éléments de la carteLes premiers éléments vont servir de points de repère. Ils structureront et serviront de base au reste de la carte. Il est donc nécessaire de passer suffisamment de temps pour les localiser le plus précisément possible, et surtout de faire en sorte que les gens arrivent à s’orienter dans l’espace par rapport au plan et à visualiser l’orientation de leur terroir sur la carte. Il est important de susciter des réactions de la part des villageois présents pour parvenir, dans la mesure du possible, à un consensus sur le placement des différents éléments.

Il est nécessaire de hiérarchiser leur importance et leur état par des couleurs (ou objets) différentes (asphalte, piste en latérite, chemin en bon ou mauvais état…). Les limites communales peuvent être aussi des éléments importants (point de bornage, arbre de limites de village ou tout autre signe distinctif qui les matérialisent).

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

CARTE DE TERROIR

16 On notera la possibilité de repérer les règles collectives de gestion de l’espace.17 Les personnes doivent pouvoir s’installer autour d’une grande feuille : 1,7 mètres par 1,3 mètres.18 Après, l’équipe peut toujours poser des questions sur d’autres éléments non représentés.19 On peut aussi rentrer plus finement dans les détails et placer chacune des habitations. C'est souvent un travail fastidieux qui n’apporte pas forcément d’éléments intéressants.

Quelques idées d'éléments à inclure

Soleils levant et couchant pour les points cardinauxCette étape peut prendre vingt minutes, mais elle doit être la plus consensuelle possible.De sa bonne compréhension dépend l’ensemble de la validité de la carte.Axes rectilignesRoute, piste, rivière, barrage, canal, fil électrique, pont, puits, limites de quartier…Ce sont des éléments de base découpant l’espace, servant de « trame ».Bâtiments importants19

Pagode, infirmerie, marché, bureau du chef de village, école, marché, remorque-taxi, magasin (réparateur moto, radio, semences.Éléments « naturels » (de la nature)Mare, plantation, élevage, lacs, montagne, forêt, rizière, champs...

Page 26: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

26

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

27

Vérifier l’intérêt de placer symboliquement quel-ques maisons isolées, des zones informelles de rencontre ou d’échanges économiques...

Puis positionner les ressources naturelles afin de dégager les unités paysagères : plaine, bas-fonds (zone inondable, rizière), forêt, zone périphérique aux habitations avec maraîchage ou culture de case. Mais également les points d’eau (mares, forages, puits, en différenciant l'eau potable ou non potable), les points de bétail et zones de pâturage, lieux où les animaux s’abreuvent... Donner la possibilité de différencier grandes parcelles, parcelles louées et meilleures terres (potentialité).

À la fin de cette étape, l’ensemble des éléments doit être posi-tionné et validé par le plus grand nombre de villageois. Cette carte légendée doit être alors recopiée très fidèlement par l’ani-mateur, pour servir de base à la discussion de l’étape suivante. On peut s’aider pour cela d’un système de damier, c’est-à-dire avoir comme une toile d’araignée que l’on positionne sur la carte pour repérer chaque élément avec lettres et chiffres.

• Troisième étape20 : faire émerger les problèmes et les solutionsLa présentation de la carte par un membre de la collectivité locale (ou par l’animateur) sert de base au débat pour l’optimisation de la gestion des ressources économiques et écologiques. On doit parvenir à élaborer des stratégies de développement pour le village. On peut aussi déterminer des zones de conflits (ou potentiellement de conflits) entre les différents acteurs de la zone, envisager des résolutions permettant de les éviter, définir et prioriser les besoins réels en réponse aux problèmes évoqués ainsi que les activités à mettre en place pour y parvenir.

Chaque proposition doit être débattue et soumise à l’approba-tion d’un maximum de personnes. Les solutions proposées peuvent être matérialisées directement sur la carte (réutilisa-tion de symboles de couleur).

Recommandations• Ce type de cartographie peut naturellement être très complet, analyse plus poussée du foncier (tel un plan cadastral) ou au profit de telle ou telle problématique, hygiène et santé familiale, évolution historique du terroir, ressources naturelles, accès aux services…• Penser à orienter la carte par rapport au soleil (axe nord/sud), ne pas trop se focaliser sur l’échelle et « l’approximation » de celle-ci.• Favoriser la convivialité des échanges durant l’élaboration de la carte (trouver un consensus en croisant les réponses) et éviter d’exacerber des points de litiges comme les limites d’un village ou d’une parcelle…• Distinguer l’expression d’un problème et de solutions sou-

vent confondues en une seule problématique.• Éviter les « trous d’information » en n’hésitant pas à poser des questions.• Clarifier le rôle de chacun, surtout en ce qui concerne le rôle du chef de village qui peut monopoliser la parole, empêchant l’expression du plus grand nombre.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

20Lors de la deuxième demi-journée.

Page 27: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

26

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

27

In « The reflect mother manual »

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Source : D. Archer et S. Cottingham, 1996.

Page 28: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

28

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

29

ENQUÊTES FAMILIALES

Définition de l’outilRecueil d’informations permettant de comprendre les prati-ques sociales, économiques et techniques mises en œuvre pour la gestion du milieu.

Objectifs• Obtenir des informations fiables (confrontation des réponses avec les éléments recueillis par ailleurs) et utiles sur la situation de la communauté, par le biais d’entretiens individuels.• Analyser le fonctionnement d’une exploitation et les blocages à son développement. On pourrait donc aborder : la structure familiale, la problématique liée à l’exploitation (foncier, produc-tions animale et végétale, équipement), l’économie familiale (recettes/dépenses) et des questions plus globales comme la viabilité des exploitations, les problèmes du village ou de la famille.

Quand le mettre en œuvre ?Il est nécessaire de démarrer au plus vite les enquêtes. Elles sont souvent le point de départ de nombreux questionnements à approfondir lors des ateliers de travail ou d’autres rencontres. Elles peuvent se dérouler tout le long du séjour de l’équipe du projet dans le village.

Avec qui ?L’enquête est réalisée auprès de l’un des membres dirigeants d’une famille (homme ou femme). L’idéal est de ne choisir que quelques familles représentatives des différentes classes économiques (et sociales) de la communauté, c’est-à-dire les plus riches, les plus pauvres et les familles intermédiaires. La difficulté du choix de l’échantillonnage peut être évitée en demandant aux leaders du village de le choisir.

Une enquête systématique auprès de chacune des familles paraît lourde à gérer (même si elles sont un petit nombre, une vingtaine) et pas for-cément intéressante pour dégager des grandes tendances.

Comment ? (déroulement)Pour l’élaboration du questionnaire, quelques axes peuvent servir de base à la réflexion, comme :• le type et la disponibilité des moyens de production (et leur évolution), les conditions de leur mobilisation, leurs modes d’acquisition… Par exemple pour la terre (surface disponible, cultivable…), la force de travail (main-d’œuvre familiale, ouvriers agricoles…), les moyens techniques (outils, cheptel…), le capital (sources de revenus, activités secondaires…) ;• les caractéristiques prédominantes des productions (atten-tion aux unités de mesure), les systèmes de culture (espèces, successions culturales, calendrier cultural, itinéraire technique,

pointe de travail…), la production animale (espèces, mode de conduite, fonction des animaux…) ;• la destination des productions :- autoconsommation, lieu de stockage, mode de conservation,

transformation ;- équilibre/excédent/déficit par rapport aux besoins alimen-

taires ;- commercialisation (localisation des marchés, prix, période

de vente) ;- échange et modalité d’échange.

Le questionnaire doit commencer par des questions simples qui ne déroutent pas la per-sonne interrogée. Les questions qui abordent l’économie familiale ou le foncier, par exemple, nécessitent l’installation préalable d’un climat de confiance préalable.

Pendant le déroulement de l’enquête, il est important d’expli-quer brièvement au villageois enquêté la raison de son choix et les attentes de l’équipe (objectifs de l’enquête, la contextua-liser dans l’ensemble de l’approche et du travail avec les villageois). Lui dire clairement que les informations recueillies sont internes à l’équipe du projet et restent confidentielles. Parfois, on observe des blocages (vis-à-vis de la divulgation de l’information aux services des impôts) concernant le bétail ou le foncier.

Recommandations• Il est primordial de procéder à une phase de test ou, au minimum, de réajuster les questions après les premiers entretiens (formulation et/ou traduction des questions).• Le choix au hasard des familles enquêtées (par exemple une habitation sur quatre) paraît peu adapté. En effet, le petit échantillonnage risque de nous faire passer à côté de toute une tranche de population. Le même travers peut parfois se retrouver si l’on demande aux leaders villageois de choisir les familles à interroger. C’est un dépouillement journalier qui nous permettra d’éviter ce piège et de réajuster notre champ d’enquêtés.• Il est préférable de prendre un rendez-vous avec les villageois enquêtés et d’utiliser les temps libres du ménage. Aussi, ces enquêtes seront souvent effectuées le soir, après le retour des champs.• L’idéal serait de compléter cette enquête par une visite de terrain avec chacun des villageois interrogés, afin d’affiner le sujet par rapport à son exploitation.• Le dépouillement et l'exploitation des données se font au fur et à mesure. Il est en effet plus facile de se pencher sur un sujet dont on vient de recueillir des données, que d’attendre quelques jours. De plus, cela permet de se faire une première idée sur l’organisation et le fonctionnement du milieu, et d’énoncer des premières hypothèses.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Page 29: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

28

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

29

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

ENTRETIEN SEMI-STRUCTURÉ

Définition de l’outilManière de questionner en mettant à l’écart les questions stan-dard fermées et orientées, tout en construisant des questions au fur et à mesure.

Objectifs• Obtenir des informations spécifiques à un domaine par-ticulier (histoire du village, foncier) tout en restant dans « l’informel », c’est-à-dire que le carnet de prise de notes doit être le plus discret possible. Il est possible, lorsque l’entretien porte sur une question particulièrement sensible, de ne prendre aucune note (à chacun d’apprécier).• Répondre aux quelques questions clés : « Qui, quoi, pourquoi, quand, où, comment ? » Attention, cet entretien ne doit pas avoir pour seul but la justification de l’état actuel, mais la formulation d’hypothèses sur le devenir éventuel. Il doit mettre en évidence les successions logiques d’événements, et donc les relations de causalité dans les transformations.

Quand le mettre en œuvre ?À n’importe quel moment durant la PRA, et en une ou plusieurs fois, lorsque la personne ressource est libre. La possibilité de sectionner en plusieurs petits entretiens ne doit être utilisée que dans le cas où la personne est riche d’informations et qu’il y a une réelle utilité dans la collecte de celles-ci.

Avec qui ?S’effectue auprès de personnes clés qui sont désignées comme telles par les autres membres de la communauté. Il existe une alternative d’entretiens en petits groupes de trois ou quatre personnes.

Comment ? (déroulement)• Répertorier, avant l’entretien, des axes essentiels sur lesquels il portera.Par exemple :- thème historique : comment la communauté a-t-elle pris pos-session de l’espace (date d’installation, origine des premières arrivées, principaux événements, principaux changements avec causes et conséquences) ;- thème foncier : règles de tenure foncière, modalités d’accès aux terres, nouveaux arrivants, qui détient le pouvoir d’attribu-tion de la terre, les lois existantes…• Présenter de façon claire la thématique que l’on souhaite aborder, et commencer par des questions générales qui vont mettre à l’aise l’interlocuteur.

Recommandations• Penser à circonscrire l’entretien dans le temps, afin d’éviter de lasser la personne. On a trop souvent tendance à en vouloir plus, la réponse à une question en amenant une autre.

• L’utilisation de cet outil nécessite d’être attentif et de réfléchir vite afin de rebondir sur ce qui vient d’être dit.

Exemples d'erreursdans le questionnement

Questions fermées(qui induisent une réponse par oui ou par non)« Est-ce bien le chef de village qui prend les décisions concernant les attributions de terres ? »Q : « Qui prend les décisions concernant l’attribution des terres ? »Questions orientées (qui préjugent une réponse)« Voulez-vous utiliser un séchoir solaire pour éloigner les rats de votre récolte ? »Q : « Quels problèmes rencontrez-vous dans le séchage de vos récoltes ? »Questions implicites« Qu’est-ce que vous avez mangé à midi, du riz ou du maïs ? »Il se peut que la personne n’ait rien mangé, ou autre chose.Questions vagues« Est-ce que vous allez loin pour puiser de l’eau ? »En temps, en kilomètres ?

Page 30: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

30

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

DIAGRAMME DE VENN

Définition de l’outilDessin formé de cercles imbriqués les uns dans les autres. Les cercles représentent l’ensemble des acteurs, personnes, groupes de personnes, administrations ou autres organismes ayant des interactions sur le village. Plus l’intersection entre les cercles est importante, plus les interactions sont fortes.

Objectifs• Identifier les différents centres de décision, niveaux organi-sationnels et relationnels : entre le village et l’extérieur (approche systémique) ; à l’échelle villageoise (avec identification des différents groupes sociaux, groupements, comités et des rapports de force, des systèmes d’entraide existants).• Avoir des éclairages sur la complexité et le type de liens, les influences et le pouvoir de chacun des acteurs (égalité ou inégalité d’accès aux moyens de production).• Répertorier les personnes ressources (leaders, chefs…) et les incontournables.• Aboutir à un modèle de représentation de la communauté et de son environnement.

Quand le mettre en œuvre ?Lorsque l’on a bien avancé dans le diagnostic et que l’on arrive à une phase d’identification d’actions à mettre en œuvre. Il peut amorcer la réflexion sur le type de partenariat vis-à-vis des pouvoirs publics ou d’autres acteurs de développement de la zone, pour la mise en place d’activités.

Avec qui ?Il doit être mené avec un grand nombre de villageois. Attention, la complexité des schémas pourra paraître difficile à cerner pour certains.

Comment ? (déroulement)On commence par tracer un large cercle qui représente le village. Puis d’autres cercles à l’intérieur de celui-ci, qui repré-sentent des organisations internes (groupement de femmes, coopératives…). Les organisations extérieures ayant un impact sur le village sont désignées par des cercles qui prennent leur origine à l’extérieur et recoupent le premier.

RecommandationsCet outil est souvent complexe à mettre en œuvre, mais l'intérêt est suscité au cours de l’exercice, en matière de compréhension humaine et sociale de la situation. De plus, il permet d’aborder la gestion de conflits (règles d’arbitrage et modes de résolution). Encore plus ici que dans tout autre outil, il ne faut pas confondre modèle de représentation et réalité du système beaucoup plus complexe.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Source : B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 31: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

30

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

TRANSECT

Définition de l’outilCheminement pédestre autorisant une analyse paysagère de terroir tout en portant une attention particulière à ses discon-tinuités (limites de culture, zone à structure foncière identi-que…). Les informations obtenues dépendent des capacités des observateurs et des questions qu’ils posent aux villageois qui les accompagnent.

Objectifs• Approfondir l’étude des ressources et mieux visualiser leur distribution spatiale.• Associer le type d’occupation du sol à d’autres éléments (altitude, drainage, présence de bétail, d’eau ou d’habitations, faune et flore associées…).• Visualiser l’organisation du village par rapport à la gestion de son espace.• Produire un profil paysager stylisé représentant l’aire parcou-rue et complétant, par une coupe horizontale, la carte de terroir.

Quand le mettre en œuvre ?Après avoir réalisé la carte de terroir, la visite du terrain peut alterner avec les moments passés à enquêter dans le village.

Avec qui ?Se faire accompagner de quelques villageois ayant des compé-tences reconnues dans les domaines voulant être abordés par l’équipe. Par exemple, l’utilisation des ressources forestières, différenciation et potentialités des différents types de sol, connaissance de la faune et de la flore…

Comment ? (déroulement)• Choisir une direction qui permette de couvrir l’essentiel des variations de l’écosystème et la parcourir jusqu’à la limite du village. Privilégier la « ligne droite », sauf si l’objectif est un tour de terroir.• Au fur et à mesure du cheminement, le travail consistera en un va-et-vient entre les observations et les questions.• Noter le nom des animaux, plantes ou autres et leur traduc-tion (langues locale et nationale). En effet, l’approximation des noms peut parfois conduire à des erreurs de compréhension.• Exemples de critères observables :- sol (pente, état de surface, type) ;- végétation (nom des principaux arbres et arbustes, densité, degré de recouvrement au sol, association d’espèces animales et végétales) ;- utilisation du milieu par l’homme (parcours, jachère, cultu-res).• Effectuer régulièrement des arrêts, lors de changements dans la structuration du paysage, lorsque l’on croise un par-ticularisme (homme/animal en train de travailler le sol, arbre brûlé…). Prendre les photos correspondantes pour avoir en

souvenir les « typologies associées », mais aussi pour travailler avec les villageois.

Recommandations• Ne pas vouloir arriver très vite aux limites du terroir en le considérant comme le but final du transect. L'intérêt est de mettre en éveil tous ses sens afin de récolter un maximum d’informations.• Essayer de « garder l’échelle » (kilomètres ou estimation des pas, nombre d’heures…) lors de la réalisation du dessin.• La prise de notes est difficile. Or cette visite de terrain est souvent très riche d’enseignements, tels que l’évolution de ces zones et les contraintes existantes pouvant bloquer un aménagement (d’ordre interne ou externe au village).• « L’analyse du paysage fournit des informations à des niveaux de précision différents selon la localisation des objets par rapport à l’observateur. Si l’objet est loin, on ne pourra pas le caractériser avec beaucoup de finesse mais on saura d’autant mieux le replacer dans son cadre » (J.-P. Deffontaines)

31

Page 32: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

32

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

33

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Source : B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 33: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

32

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

33

ATELIER DE TRAVAIL

Définition de l’outilDiscussion thématique de groupe sensiblement identique à une animation villageoise classique. Il est possible d’aborder différentes problématiques : l'environnement si l’optimisation de la gestion des ressources naturelles fait partie des orienta-tions définies pour le futur, ou le déroulement possible d’une activité future ayant été planifiée (montage d’une coopérative, la gestion d’ouvrages hydrauliques…).

Objectifs• Favoriser l’expression des problèmes et de leurs résolutions pouvant surgir lors de la mise en œuvre du projet (réflexion autour des partenariats à rechercher).• Cerner les connaissances des villageois et mettre en évidence les obstacles potentiels aux actions de développement pouvant émerger dans le futur.• Analyser la perception de la communauté villageoise à propos de la mise en œuvre d’une activité de développement, depuis son identification jusqu’à sa réalisation.

Quand le mettre en œuvre ?La base des débats est élaborée à partir des résultats obtenus lors de la mise en œuvre des autres outils de diagnostic participatif. Il doit être planifié en fin de diagnostic.

Avec qui ?Possibilité d’inviter l’ensemble de la communauté ou de travailler par groupes d’intérêt.

Comment ? (déroulement)Aucun déroulement ne s’impose puisqu’il s’agit de susciter des questionnements (et réponses) de la part des villageois. Pour faciliter cela, il est possible d’introduire les débats par des saynètes jouées par des professionnels, l’équipe d’animation et même des villageois. Les scénarii de théâtre peuvent porter sur des thèmes très différents comme l’environnement, la mise en place d’une coopérative, etc. Il est possible d’utiliser des images, des jeux de rôle, des films…

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Exemple d'utilisation du théâtre au Sénégal pour la réflexion autour de la gestion d'ouvrages hydrauliques

Une série de sources potentielles de blocages a été synthétisée par l’équipe du projet :- les problèmes d’ouverture et de fermeture des barrages (le bassin versant faisant quelques centaines d’hectares, le niveau de l’eau dans les villages les plus en amont était très différent de celui des villages proches du barrage) ;

- les problèmes de garde des batardeaux (le bois est une ressource précieuse dans la zone sahélienne ; avant le remplissage du barrage et une pression d'eau suffisante, les planches de bois pouvaient être volées ; de même, en fin de saison des pluies, les batardeaux devaient être tenus dans un endroit sûr) ;

- les problèmes de récupération des terres anciennement salées rendues productives par la réhabilitation des ouvrages ;

- les changements imposés par la remise en eau de la zone bouleversaient les habitudes des éleveurs, puisqu’il n’y avait plus de culture et qu’ils utilisaient la zone pour leur bétail.

L’équipe-projet a rendu visite à une troupe de théâtre basée dans un village voisin. La trame des scénarii a été discutée. Les services techniques et administratifs locaux ont été conviés à la représentation. Les saynètes abordaient les quatre problématiques décrites ci-dessus dans le cadre d’une situation de la vie courante, et s’arrêtaient au problème.

Les membres des comités de gestion villageois, hommes et femmes élus des villages du bassin versant, ont tout de suite réagi aux scènes qui se déroulaient devant eux. Le recul engendré par le fait qu’ils étaient observateurs, et non acteurs, leur a permis d’identifier plus facilement les solutions possibles. Ce travail a abouti à la rédaction d’un règlement intérieur valable pour l’ensemble de la gestion du bassin versant, signé par les différentes autorités et posant le rôle de chacun des acteurs de la zone (villageois, comité de gestion intervillageois, services techniques, administrations).

Exemples d'utilisationd'un atelier de travail

Environnement aux Philippines

L’équipe du projet, lors du transect, avait recueilli des échantillons de végétaux arborés et arbustifs. La présenta-tion de ceux-ci à la communauté a permis de cerner la richesse des connaissances botaniques des villageois (seule une trentaine d’échantillons avait été ramassée et plus d’une centaine a été nommée), mais surtout de les associer avec des utilisations (médecine, construction, fruitier…) et des schémas faune/flore/sol. Les possibilités de reboisement souhaitées dans le futur programme ont pu être discutées, sur le plan des essences à choisir en fonction de leur intérêt mais aussi des problèmes engendrés entre le moment de plantation et la récolte. Des réflexions autour d’activités génératrices de revenus à plus court terme et intéressantes pour la préservation de l’environnement ont alors pu être envisagées.

Page 34: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

34

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

35

CALENDRIERS

Définition de l’outilHistogramme (pas forcément chiffré) et schéma qui montrent, mois par mois, l’évolution de l’intensité de certaines activités ou éléments. Toute chose ayant une dimension temporelle peut être représentée : tâches quotidiennes, type de cultures, prix de certaines productions sur le marché, mouvements migratoires, précipitations, utilisation de l’eau, revenus familiaux, fourrage pour le bétail, demande en main-d’œuvre, maladies…

Objectifs• Comprendre les changements qui s’opèrent au cours d’une année sur les conditions de vie de la communauté.• Analyser les facteurs d'influence permettant d’optimiser les activités planifiées pour le nouveau projet.

Quand le mettre en œuvre ?À n’importe quel moment du diagnostic.

Avec qui ?En petit groupe, car le travail nécessite une forte participation par un croisement des informations.

Comment ? (déroulement)On commence par un histogramme du mois où le calendrier est le plus chargé. Penser à laisser de l’espace au-dessus, car il peut arriver en cours de discussion que l’on trouve un mois encore plus chargé. Les histogrammes des trois mois suivants les plus chargés sont tracés relativement au premier. Puis on démarre l’autre bout de la chaîne avec les mois les moins chargés. Il faut s’attendre à réajuster le calendrier au fur et à mesure que l’on avance.

Recommandations• Selon les centres d’intérêt, la combinaison de plusieurs thèmes est possible. Un calendrier des pluies peut associer climat, période de sécheresse et d’inondation… Un calendrier d’activités peut rapprocher les cycles des productions locales majeures et les prix du marché. Si l’on fait un parallèle avec le calendrier des pluies, on peut proposer, pour des cultures de cycle court, un décalage de mise en culture (bien entendu, il est simpliste de conclure une telle affirmation sans tenir compte d’autres facteurs pouvant influencer, comme les ravageurs, les périodes traditionnellement consacrées aux fêtes…).• Utiliser une échelle de temps compréhensible par vos interlocuteurs. Dans certains pays, au Cambodge par exemple, les unités de temps ne sont pas de trente jours mais fixées par les lunes.• Compléter les informations dessinées par des notes sur des renseignements importants tels que les lieux de marché, les temps d’accès… Importance du croisement des sources d’information.

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Source : D. Archer et S. Cottingham, 1996.

Page 35: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

34

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

35

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Source : B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 36: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

36

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

37

Les outils du diagnostic participatif nous permettent d’iden-tifier les grandes orientations d’un programme de développe-ment et de rédiger, à partir des volontés de la communauté, un projet cohérent. En fin de diagnostic et dans la rédaction du projet, l’équipe du projet doit valoriser l’ensemble du travail effectué avec les communautés.

La participation de celles-ci à la formulation de leur propre projet de développement favorise le lancement d’une dynami-que. Mais ce diagnostic doit être rapidement suivi d’actions qui prolongeront cette dynamique, sous peine de décourager des populations parfois très sollicitées et ne bénéficiant pas forcément des fruits de leur travail.

L’engagement de plus en plus important des communautés, depuis l’écriture du programme jusqu’à sa réalisation, participe à leur responsabilisation et augmente leur capacité à devenir acteurs. Leur autonomisation en est ainsi facilitée.

La démarche participative, postulat de départ pour initier des projets de développement globaux, est un principe à appliquer au quotidien et dans toutes les étapes d’un projet. Ce ne sont pas les outils décrits dans ce document qui vont permettre à l’équipe du projet d’avoir une démarche participative, mais l’état d’esprit dans lequel elle intervient.

Cela dit, quand le financeur n’a pas de règle précise et semble accepter tout type de dépenses, vous pourrez lui présenter votre budget en coûts complets et réalistes. Cela facilitera grandement le suivi des financements en cours de projet et la remise des rapports financiers.

Conclusion

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Page 37: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

36

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

37

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

***Introduction à la méthode accélérée de recherche participative (MARP)Quelques notes pour appuyer une formation pratique ;B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger2e édition ; 1991

***Appui pédagogique à l’analyse du milieu ruraldans une perspective de développement J. Bonnemaire et P. JouveCirad coll. « Documents systèmes agraires » n° 8

***The Reflect Mother Manual A New Approach to Adult LiteracyD. Archer et S. CottinghamActionaid ; mars 1996

**Le voisin sait bien des choses :communication et participation en milieu ruralM. SauquetAteliers du développement ; éd. Syros Alternatives ; 1990

**Application du PRA et de la MARP en milieu urbainRazafindrakotohasina S. et Rasolofonjatovo J.Programme d’appui aux initiatives de quartier ; février, 1996

**Développement rural et méthodes participativesen AfriqueA.-M. Hochet et N. Aliba Coll. L'Harmattan ; « Alternatives rurales » ;1995

Participatory Rural Appraisal (PRA)Training Workshop - Field ReportSocial Research Institute, Chiang Mai University,50 200 ThailandUNDP Highland People’s Programme- Report n° 1 ; 1995

Appui aux acteurs locaux de développementGroupe Initiatives

Document de projet Anatihazo;Programme d’appui aux initiatives de quartier Union chrétienne féminine de Madagascar Action Nord Sud ; 1997

Communicating DevelopmentInternational Institute of Rural Reconstruction Philippines ; 1987 ; p. 1-20

Les projets de développement agricoleManuel d’expertiseCTA Karthala ; Dufumier ; 1996 ; p. 53-59

Analyse et propositions ; volet Animation du programme d’hy-draulique villageoise (Battambang, Cambodge).S. Monnet, K. Proeug et M. Vannak ; Action Nord Sud ; 1997

Bibliographie

Les ouvrages de référence sont précédés de deux ou trois astérisques, selon leur intérêt.

Page 38: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies
Page 39: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Annexes

Ca

hi

er

1

Page 40: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

40

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

41

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Annexe 1Les différents typesde PRA

Exploratoire

Thématique

Évaluation

Planification

participative

Collecte d’une information sur un problème général ; accent mis sur les problèmes prioritaires

Approfondir la connaissance sur un thème spécifique identifié généralement à partir d’une MARP exploratoire

Évaluer les résultats d’un programmeou d'une action

Implication des populations dans la planification ou le réajustement des actions qui les concernent

Formulation d’hypothèses préliminaires pouvant guider des recherches ultérieures

Formulation d’hypothèses spécifiques avec peut-être des recommandations pour une action à mettre en œuvre

Révision des hypothèses de base ; éventuellement, réajustement du programme

Un programme ou un plan identifiés et mis en place par les populations elles-mêmes

Étude de l’agrosystème d’une zone donnée ; identification de besoins prioritaires pour une communauté donnée

Étude des problèmes de santé, étude de la connaissance locale sur l’agroforesterie

Évaluation d’une technologie introduite dans une zone ; évaluation d’une action de reboisement

Action participée pour élaborer un plan de gestion des ressources locales

Types de PRA Objectifs Résultats Exemples

Source : B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 41: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

40

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

41

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Annexe 2Survol de quelquesconcepts clés

Processus d’apprentissageLa MARP n’est pas un processus mécanique de collecte de l’information dont l’analyse ne commence qu’après le travail de terrain. Au contraire, cette information est analysée au fur et à mesure de manière à renforcer la compréhension, par les membres de l’équipe de recherche, du phénomène à étudier.

Savoir traditionnelLe chercheur ne se fie pas exclusivement à son interprétation personnelle des phénomènes à étudier. Il doit constamment tenir compte du savoir accumulé par la communauté dans laquelle se réalise l’étude.

Processus itératifLe processus de la MARP encourage le chercheur à revoir son approche et ses hypothèses au fur et à mesure qu’il acquiert une meilleure connaissance des phénomènes étudiés. Ceci est l’une des raisons qui expliquent pourquoi l’utilisation de questionnaires standardisés n’est pas encouragée.

FlexibilitéTout en étant tenue d’avoir une vision claire du type d’infor-mation qu’elle désire obtenir, l’équipe de recherche doit être flexible dans son approche et être préparée à s’adapter à toute nouvelle situation sur le terrain.

InnovationLes outils déjà disponibles peuvent suffire pour obtenir l’information recherchée. Mais on doit garder à l’esprit que, si la situation l’exige, la possibilité de développer de nouveaux outils plus adaptés doit être envisagée par l’équipe. Les techniques et outils utilisés dans la MARP évoluent.

InteractionLa MARP met beaucoup l’accent sur l’importance de l’inter- action entre chercheurs d’une part, et entre chercheurs et population locale d’autre part. Ce processus interactif est source d’enrichissement en ce qu’il permet un échange dynamique d’expériences et de points de vue.

ParticipationAutant que possible, la MARP encourage le chercheur à ne pas considérer les personnes enquêtées comme acteurs dans le processus de la recherche. En effet, les populations doivent être associées le plus possible non seulement au processus de collecte de l’information, mais également à l’analyse. Par ailleurs, tout doit être fait pour stimuler un feed-back. Conduire une MARP, en effet, c’est faire la recherche avec les populations, et non sur les populations.

Le collecteur de l’information en est l’utilisateurUne bonne MARP est celle dont les informations générées sont traitées, analysées et utilisées par ceux qui les ont collectées. En effet, l’analyse d’une information de seconde main ne peut intégrer correctement toute la richesse des interactions vécues par le chercheur tout le long du processus de génération de l’information.

La multidisciplinaritéLa MARP s’appuie sur une approche multidisciplinaire des problèmes. Cette option se justifie par le fait que la complexité des problèmes de développement dépasse les limites d’une seule discipline.

La rapidité dans la génération des résultatsLa MARP permet d’obtenir des informations et de les analyser dans des limites de temps assez courtes. En effet, très peu d’organisations ont le luxe d’attendre des années les résultats d’une étude pour agir. Très souvent, d’ailleurs, des organisa-tions se trouvent obligées de prendre des décisions avant d’obtenir les résultats d’une étude qui tardent à sortir.

L’explorationLes meilleurs résultats d’une recherche sont souvent ceux aux-quels on s’attendait le moins. En conséquence, les chercheurs doivent être préparés à trouver sur le terrain de nouveaux centres d’intérêt qui peuvent changer fondamentalement le cours de l’étude. La curiosité est en effet une vertu dans la MARP.

Source : B. Gueye et K. Schoonmaker-Freudenberger, 1991.

Page 42: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

42

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

43

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Annexe 3Petits rappels entre amis

Les bénéficiaires sont :

Ceux qui peuvent réaliser quelque chose dans leur intérêt, avec l’aide reçue.

Ceux qui peuvent réaliser ou accepter l’aide,négocier un contrat.

Ceux qui gèrent leur exploitation et leur terroir.

Ceux qui ont la parole pour l’élaboration du projet,qui participent aux actions de développement(qui ne les « vise pas » comme on tire sur une cible,sans se soucier de l’endommager…)

Ceux qui connaissent le prix des facteurs de productionqu’on leur prête ou donne.

Ceux qui gardent le pouvoir de décision quant à leurs options culturales.

Ceux qui, grâce au projet, ont davantage de revenusà consacrer au « mieux-être ».

Ceux qui pourront se passer de l’aide.

Les bénéficiaires ne sont pas :

Les personnes ou collectivités pour lesquelles le projet a été conçu de l’extérieur et d’en haut.

Le groupe cible.

Ceux qui, grâce au projet, perdent la responsabilitéde leur exploitation agricole et de leur terroir villageois,mais ont à payer, seuls, les erreurs d’un projet mal conçu.

Ceux qui n’ont pas la parole, ceux que l’on met en demeure d’accepter un contrat à l’élaboration duquel ils n’ont pas participé.

Ceux qui ne connaissent pas les coûts de productionde ce qu’on leur fait produire selon des techniques imposées.

Ceux qui obéissent à des consignes de production.

Ceux qui, grâce à l’intervention extérieure, se retrouvent avec des charges trop lourdes et ont dû changer de mode de travail ou même de vie, sans en avoir les moyens.

Ceux qui dépendent tellement de l’aide qu’on ne peut mettre fin au projet.

Les tableaux suivants pourraient être intégrés dans un module de réflexion autour du rôle de l'animateur communautaire.

Le village est :

Un ensemble social structuré, ou déstructuré partiellement, toujours en évolution selon le jeu de forces qui le composent.

Un ensemble de familles ayant des relations entre elles.

Une communauté à connaître et respecter.

Un milieu humain qui a ses règles de vie sociale.

Une communauté de familles attachées à leur terroir,et qui gèrent ce terroir.

Un ensemble de familles vivant une situation économique commune même si des différences de niveau de vie existent.

La raison d’être du projet.

Une communauté gérée par des adultes.

Une communauté pourvue d’un savoir-vivreet d’un savoir-faire.

Le village n'est pas :

Un effectif de population, ou un nombre d’actifs avec ses sex-ratios, simplement un ensemble de données démographiques.

Une addition de foyers.

La cible d’un projet.

Un milieu à organiser, selon un schéma étranger,par le biais d’un encadrement.

Des gens qui vivent « comme des bêtes », selon l’expression d’un cadre administratif, et qu’on peut déplacer…

Un ensemble de familles vivant dans un contexte économique ne dépend que d’elles ou du projet.

Une entité sociale à laquelle on ne s’adresseque lorsqu’on a échoué.

Un groupe d’ « enfants » qu’il faut éduquer.

Un groupe-récepteur en apprentissage.

Page 43: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

42

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

43

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

Une communauté rurale qui se défend contre un projetqu’on lui impose.

Une communauté rurale qui réalise son projet.

Une communauté rurale qui a ses conflits internes.

Une communauté qui connaît son environnementet en tire parti.

Une communauté en relations bonnes ou mauvaisesavec les communautés villageoises voisines.

Un ensemble de menteurs et de tricheurs contre lesquelsil faut se prémunir.

Une communauté rurale qui exécute des ordreset doit s’en tenir là.

Un milieu passif et soumis à son chef sans luttes d’influence.

Un groupe de familles qu’on peut déplacer sans leur porter préjudice.

Un groupe de familles vivant repliées sur elles-mêmeset coupées du monde extérieur.

Sensibiliser, c'est :

Constater en réunion de villages les dégâts de la déforestation, par exemple.

Montrer qu’il est possible de prévenir une catastrophe.

Aider, en réunion de villages, à prendre conscienced’un dysfonctionnement dans l’utilisation de l’aide.

Démontrer, faire constater.

Faire, avec un village, l’analyse économique qui éclairerasa décision.

Rédiger avec le village un contrat d’aide sain.

Montrer qu’on ne peut planter une haie viveau début des pluies.

Apprendre à tailler correctement les arbres.

Sensibiliser, ce n'est pas :

Convaincre par la contrainte.

Imposer une solution technique.

Faire la morale après avoir accusé l’un ou l’autre responsable.

Chercher à convaincre par un discours ennuyeux.

Affirmer la rentabilité d’une opération sans la démontrer.

Courir après les remboursements en menaçant.

Mettre une amende pour une clôture en branches d’épineux.

Mettre des amendes pour les arbres massacrés par les coupes abusives.

Il y a stratégie participative :

Les techniciens, soutenus par les bailleurs de fonds,participent aux actions villageoises de développement.

L’innovation est sollicitée par les paysans qui peuventet veulent l’expérimenter.

Les populations cherchent et sollicitent des informations.

Les populations tentent d’intéresser les intervenantsà leurs urgences : « Aidez-nous car nous voulons faire un puits, nous sommes sans eau. »

Les paysans, en situation d’autodéveloppement, précisentà l’équipe de projet ce qu’ils veulent faire, jusqu’où valeur force ; et les deux parties négocient un contrat d’aide.

Le document de projet est rédigé avec les paysans, à partir des priorités qu’ils ont exprimées, et en respectant l’ordre chronologique de réalisation sur lequel il y a eu consensus.

Des conseillers techniques sont mis à la dispositiondes populations.

Les populations font le point sur les résultatsqu’elles ont obtenus.

« Venez voir notre digue. »

Il n'y a pas stratégie participative :

Les populations rurales sont fortement invitées à travailler selon le projet conçu par les cadres.

Les populations sont contraintes d’accepter l’innovation imposée.

Les cadres distribuent des directives mais pas de l’information.

« Ils ne comprennent pas, nous ne pouvons aller plus vite, nous sommes en phase de sensibilisation »,répond l’encadrement (réponse entendue).

Lors de l’édification du projet, la participation paysanne a été établie sans consultation des paysans. Les cadres remplissent des termes de référence inconnus des populations.

Cinq ou six experts, après un temps d’étude limité, rédigent en bureau, à huis clos, le document de projet qui suivrala filière classique, sans même que les populationsconcernées en aient eu connaissance.

Les agents techniques sont des « boy-coton » nouvelle formule, accablés de directives.

L’évaluation externe, seule, est habilitée à dire si l’aide a été utilisée et si elle peut ou doit encore être fournie.

« Réparez votre digue, nettoyez votre canal, ou on vous retire vos parcelles. »

Page 44: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

44

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

45

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

La communauté de base, c'est :

Une communauté villageoise, un groupe familial de pêcheurs, un groupe traditionnel d’artisans, etc.

Une cellule sociale existant bien avant toute interventiond'agents de développement professionnels.

Une communauté dont les liens sont divers : famille,compétences, hiérarchie traditionnelle, relations d’autoritéou d’entraide, liens religieux ou politiques, etc.

La communauté de base, ce n'est pas :

Un groupement coopératif de conception étrangère.

Un groupement créé d’autorité par les cadres d’un projetpour en faciliter la réalisation, conformément au programme.

Une liste de noms fournis à un « animateur » de passage.

Une initiative de base, c'est :

Une initiative prise par une communauté de baseconformément à sa propre décision.

Une initiative qui peut s’inspirer de connaissancestraditionnelles ou nouvelles et qui a le même groupepour décideur et acteur.

Une initiative qui peut être prise par plusieurs villagesou groupes ensemble.

Une initiative de base, ce n'est pas :

Une initiative prise par des cadres cherchant à entraînerdes paysans, ou la pseudo-initiative d’un groupe crééde toutes pièces sous l’influence d’un agent extérieur.

Un petit créneau de choix laissé aux paysans à l’intérieurd’un programme établi d’avance, en dehors d’eux.

L’initiative de cadres subalternes par rapport aux consignesde cadres supérieurs.

L'appui à l'initiative de base, c'est :

Un appui demandé par la communauté de basepour l’une de ces entreprises.

Un appui dont les modalités sont mises au pointpar le demandeur.

Un appui qui n’écrase pas de dettes la communauté aidée.

Un appui assimilable par la communauté concernée.

Un appui qui permet à la communauté aidée de progresser à son rythme.

Un appui complémentaire de l’effort fourni par le demandeur.

L'appui à l'initiative de base, ce n'est pas :

Un appui dont l’utilité aurait été fortement suggéréeaux « bénéficiaires ».

Un appui dont les modalités sont fixées d’en hautselon une conception rigide du projet d’aide.

Un appui qui endette beaucoup, et à long terme.

Un appui au-dessus des capacités d’approbationde cette communauté.

L’exécution d’un calendrier lui-même déterminépar le calendrier du bailleur de fonds.

Un appui correspondant à une décision uniquepour tous les villageois de l’aire de compétence du projet.

Aider et informer, c'est :

Répondre à une demande de manière préciseet selon un accord entre les deux partenaires.

Tenir le milieu-acteur au courant des possibilitésqui s’offrent à lui.

Laisser le milieu s’organiser lui-même pour utiliser l’aide,après qu’il ait identifié les compétences.

Reconsidérer le vocabulaire est nécessaire mais pas suffisant. C’est surtout le complexe de supériorité qu’il faut combattre en se mettant à l’école du milieu rural de la communautéde base concernée21.

Aider et informer, ce n'est pas :

Encadrer le milieu rural.

Implanter un encadrement pratiquant la rétention d’information et prenant les responsabilités à la place des acteurs.

Exproprier le milieu rural de ses chances de prendre en charge sa propre organisation en voulant l’organiser de l’extérieur.

Prétendre animer, c’est croire que la communauté ruraleconcernée n’a ni vie ni essors propres.Prétendre organiser le milieu, c’est vouloir substituersa propre compétence au pouvoir d’organisation internedu milieu concerné.

21Cf. la dernière circulaire reçue si vous êtes agent de développement dans un village, et votre document de projet si vous êtes cadre de l'équipe de direction d'un projet.

Source : A.-M. Hochet et N. Aliba, 1995.

Page 45: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

44

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

45

c a h i e r 1 • Outils de diagnostic participatif rural

• Savoir se mettre en retrait et valoriser l’autre

• Être facilitateur (ni chercheur, ni professeur)

• Posséder des capacités d’écoute, « faire accoucher les villageois »sans être naïf ni manquer de discernement

• Faire preuve de pragmatisme, de flexibilité et d’adaptabilité face à la diversité des situationset des contextes

• Rester patient et respecter les rythmes, les règles sociales, la culture

• Devoir de curiosité, d’ouverture d’esprit (découvrir une rationalité différente) et d’humour

• Respecter la logique de groupe et trouver un consensus (place d’un cadre de concertation)

• Réelle motivation et engagement

• Connaissance du milieu rural (et du pays) et capacité d’intégration

• Aptitude en matière de communication (esprit créatif), d’analyse et de capacité rédactionnelle

• Généraliste avec une spécialisation dans le domaine du développement rural

• Expérience professionnelle (et expérience en MARP)

Annexe 4Éléments de réflexionsur les qualités de l'équipe d'animation

Page 46: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies
Page 47: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Document de réflexion sur l'usage des outils

de diagnostic participatif

Ca

hi

er

2

Mélanie Langlois, octobre 2000

L’évolution du projet Shepacc

aux Philippines

Page 48: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

con

ten

u d

u

ca

hi

er

2

Qu'est-ce que le produit Shepacc ? .................................................................... page

1. Les techniques de diagnostic participatif sont-ellesla panacée qu'on nous présente ? ...................................................................... page

2. Comment contribuer à la promotiondu processus d'émancipation ? .............................................................................. page

Bibliographie ....................................................................................................................... page

Annexes ................................................................................................................................. page

Page 49: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Un retour critique bienvenu sur l’usage des outils de diagnostic participatifsLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies et des pratiques sociales permettant un «diagnostic participatif « dans un contexte inconnu ou peu connu.Dans la conception admise, la mise en place des projets de développement intégrés et durables s’appuie fortement sur l’implication effective des populations concernées, tout au long du processus de développement. La participation à l’évaluation diagnostique, à l’analyse du contexte, à la définition des problèmes à résoudre est donc requise particulièrement au moment de l’initiation des projets.La plupart des acteurs du développement, particulièrement les ONG promeuvent et recherchent des méthodologies et des approches adéquates à cette visée pour des raisons éthiques / politiques mais aussi d’efficacité. Ils disposent pour cela d’un ensemble de réflexions et de connaissances praxéologiques ici, sur l’utilisation de diagnostics participatifs en milieu rural.L’étude de cas, rapportée et analysée par Mélanie LANGLOIS, ingénieur en agriculture et directrice du programme SHEPACC (Self Help Education Program Appropriate for Cultural Communities) pour Handicap International, décrit le projet concernant les populations Manobos aux Philippines. Elle met en évidence les biais et insuffisances que peut comporter l’utilisation d’outils de type PRA ( participatory rural appraisal) permet de les réinterroger épistémologiquement et de les «recomplexifier».C’est dire que ce retour «réflexif» et critique est bienvenu. Il témoigne de la volonté de l’association d’assurer une relecture exigeante de son travail de terrain, et de contribuer à la construction des connaissances praxéologiques validées pouvant être mises à la disposition d’autres acteurs et débattues. Ce document a d’ailleurs été présenté et discuté lors d’un atelier de travail, réunissant quelques acteurs du développement, en janvier 2001.Ce retour critique montre que si l’on veut assurer un diagnostic plus fin et plus endogène avec les populations concernées, on ne peut faire l’économie du temps. La rapidité préconisée par certaines méthodes (méthode accélérée de recherche participative) n’est pas gage de qualité. Il faut installer la relation, la confiance, créer fonctionnellement et culturellement les conditions de la communication. Or, fondamentalement, les approches PRA s’inscrivent dans une logique rationnelle d’économie occidentale, un paradigme qui n’est pas forcément aussi universel qu’il en a l’air, et mériterait d’être réexaminé dans ses présupposés: le rapport au temps et ses conséquences, dans la rencontre de l’autre et son originalité.La dérive de ces approches et leur réduction à des outils prêts à l’emploi, peut produire chez les «évaluateurs-bénéficiaires-acteurs» concernés, des attitudes de conformation et d’accord formel avec les attentes ou analyses supposées du développeur, expert ou bailleur de fonds, et met ce dernier dans une posture naïve manipulatoire et manipulée : on est tout prêt du malentendu ou de mécanismes pervers.L’analyse de Mélanie LANGLOIS alerte donc de manière exemplaire, sur la nécessité d’approfondir ces problématiques.

Pour le CEPEC InternationalJean-Claude PARISOT

DR. Institut universitaire d’études du développement

Page 50: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Les diagnostics participatifs en milieu rural

51

Préparé par Mélanie LANGLOISIngénieur en agriculture, ayant collaboré à divers projets de développement rural pour diverses ONG dont Action Nord Sud, le département pluri-disciplinaire de Handicap International, en Afrique de l’Ouest et de l’Est, et plus récemment comme chef du projet Shepacc aux Philippines, projet qui sert de base de réflexion à ce document.

Supervisé par Philippe VILLEVAL Agro-économiste (Istom), chargé du suivi des capitalisations en développement rural à Action Nord Sud, département pluridisciplinaire de Handicap International.

Page 51: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Les diagnostics participatifs en milieu rural

51

Ce document fait suite à un travail de près de trois ans sur le projet Shepacc (Self Help Education Program Appropriate for Cultural Communities).Shepacc est un projet qui s’adresse au groupe autochtone manobo, au sud des Philippines. Au fil des années, ce projet a vu ses objectifs, ses activités, sa façon de faire ses équipes évoluer de façon importante. Démarré en 1991 avec des activités d’éducation non formelle pour les jeunes enfants, dans une démarche caritative et avec une mise en œuvre autoritariste, ce projet a aujourd’hui pour objectif l’émancipation des populations manobos à travers un processus de développement humain favorisant l’amélioration de leurs conditions de vie et l’exercice de leurs droits. Le projet intervient de façon plus ou moins directe dans plusieurs domaines d’activité, variables selon les plans de développement que les différents villages, petits groupes ou individus ont établis. Entre ces deux périodes, le projet a connu une phase intermédiaire où une étude basée sur les techniques PRA (Participatory Rural Appraisal) a été entreprise, suivie de la mise en œuvre des activités ainsi identifiées et conduites à l’aide de différents outils communément appelés « participatifs ». Cette période a en fait été de courte durée, car, rapidement, la plupart des activités mises en œuvre se sont révélées inappropriées parce que les diagnostics établis comportaient des biais et des lacunes.

Cette expérience nous a amenés à réfléchir sur deux points principaux afin de mener le projet à bien. Ce fut tout d’abord une longue réflexion sur l’utilisation des outils de diagnostic participatif, que nous pensions être des éléments garants de succès et permettant aux populations de prendre en main leur développement. Nous avons finalement remis en cause ces outils-panacée et les avons un peu mis de côté, les jugeant pervers. Suite à cela, il nous a alors fallu repenser à une autre manière de faire.

Ce sont ici les fruits de ces deux réflexions, menées par l’équipe Shepacc et les personnes du siège de Action Nord Sud qui se sont intéressées au projet, qui sont présentés.

Ce document emprunte parfois un style volontairement polémique. Il s’agit là de favoriser la discussion et le débat, et il ne veut en rien imposer des idées se réclamant de la vérité absolue. Il est fort probable que certains lecteurs impliqués dans des projets de développement mènent ou ont mené ces projets de façon radicalement différente à ce qui va être présenté dans les pages suivantes, avec d’excellents résultats. L’expérience Shepacc n’est en rien LA méthode ou LA solution qui permet de mener à bien un projet de développement. Elle nous a juste permis de mettre en avant et en lumière certains éléments qui peuvent se révéler intéressants, voire utiles, à prendre en considération sur d’autres projets

Note préliminaire :certains exemples tirés du projet Shepacc sont présentés en encadré. Ils sont un témoignage venant en illustration de l’idée ou de l'argument précédemment exposés.

Introduction

Introduction

Page 52: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

52

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

53

1 Unrisd : United Nations Research Institute for Social Development

Avant d’aller plus loin, je voudrais apporter quelques précisions sur la manière dont certains termes et concepts sont entendus dans ce document. De nombreuses formules, dans le monde du développement, sont tellement utilisées qu’elles sont aujourd’hui galvaudées, et les mots derrière lesquels se trouvent des idées majeures, parfois innovantes et créatrices, n’évoquent plus que des notions molles et vagues.

La notion de participation est aujourd’hui incontournable dans la rhétorique du développement. Ainsi que le dit Williams, c’est « un mot chaleureusement persuasif qui semble n’être jamais utilisé négativement ». Effectivement, mais cette notion, dans les faits, prend des visages très différents.

Pour Robert Chambers (1995), l’un des pères de la PRA, «participation est employé dans trois cas de figure :- comme un label cosmétique pour faire apparaître ce qui est proposé comme bon ;- comme pratique de cooptation, pour mobiliser la main d’œuvre locale et réduire les coûts. Les communautés contribuent leur temps et leurs efforts dans des projets d’auto assistance avec une aide extérieure. Souvent, cela veut dire que les gens participent à notre projet ;- pour décrire un processus d’émancipation qui permet aux gens de faire leur propre analyse, de prendre les commandes, de prendre confiance en eux et de prendre leurs propres décisions. En théorie, cela veut dire que nous participons à leur projet. »

Cette définition fait apparaître les principales utilisations qui sont faites de la « participation ». Tout d’abord, la participation peut être un moyen servant à mettre en œuvre un projet de façon voulue plus efficace et plus durable. Ensuite, la participation peut être une fin en soi et, dans ce cas, le groupe et les personnes concernés mettent en place un processus plus ou moins complet, pour contrôler certains ou tous les stades de leur propre développement.

Quoi qu’il en soit, comme le remarque à juste titre Dharam Ghai, directeur de l’Unrisd1 (1988) : « Les leaders des initiatives de base à travers le monde travaillent avec de nombreuses différentes approches et méthodes pour promouvoir la participation. Il n’existe pas de schéma unique. En fait, une telle idée est même contradictoire avec l’esprit même de ce qu’est le développement participatif dont le but est de réveiller les énergies dormantes des gens et de débrider leurs pouvoirs créatifs. »

De ce type de participation - destiné à stimuler les acteurs du développement à prendre la responsabilité effective dans la défini-tion et la réalisation de leur projet de société - découle la notion d’émancipation ou d’ « empowerment ».La définition de « l’émancipation » donnée par le dictionnaire Larousse est la suivante : « Il s’agit de l’action permettant de rendre libre, d’affranchir d’une domination, d’un état de dépendance. »

Pour l’ONG anglaise Oxfam, qui travaille beaucoup sur cette question, « le processus d’ "empowerment" correspond au gain de force, de confiance et de vision qui permet de travailler, individuellement ou ensemble avec les autres, à un changement positif. Les femmes et les hommes s’émancipent par leurs propres efforts, non parce que d’autres font pour eux. Lorsque les programmes de développement ne sont pas solidement basés sur l’effort des personnes à travailler à leur changement, leur impact peut être l’opposé ».Ce processus d’émancipation repose avant tout sur les individus ou groupes auxquels il s’adresse. Cela nous amène à évoquer la notion de communauté, qui est elle aussi souvent mise à mal par une utilisation quasi systématique.Une communauté, ou un village, n’est pas une population homogène, organisée par une vision partagée du monde, unifiée par la tradition et la culture ou vivant dans le consensus. Comme le qualifie J.-P. Olivier-de-Sardan : « Un village est une arène, traversée de conflits où se confrontent divers groupes stratégiques. »C’est en fait un concept utilisé par l’État ou d’autres organisations davantage que par les gens eux-mêmes. Cette notion de communauté véhicule des connotations de consensus mou et de besoins déterminés par des paramètres définis par des personnes extérieures qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité.Il est très important de demeurer vigilant quant à cette notion, sous risque de généraliser et ainsi de passer à côté des spécificités qui font la richesse et la complexité de tout groupe. En voulant globaliser, on neutralise, on appauvrit.

Enfin, la dernière notion centrale en développement qui prête parfois à confusion est celle du besoin, s’opposant parfois à celle de l’intérêt. Dans le jargon du développement, on parle généralement des « besoins » des populations. Le besoin est, d’après le dictionnaire Le Robert, « une exigence née de la nature ou de la vie sociale ». L’ « intérêt » correspond, quant à lui, à « ce qui importe, ce qui est avantageux et utile ». Il existe donc des cas de figure où la satisfaction de ce qui est ressenti comme un besoin va à l’encontre de l’intérêt de la personne impliquée. Il est donc important, en développement, lorsqu’un besoin a été identifié, de s’assurer que la satisfaction de ce besoin va dans le sens des intérêts généraux de la personne ou du groupe concernés. Dans ce document, nous aurons donc davantage recours à la notion d’ « intérêt » plutôt qu’à celle de « besoin ». Cette différentiation ici abordée entre le besoin et l’intérêt pose de nombreuses questions que nous ne développerons pas ici mais qui sont importantes et mériteraient débat, telles que la position à adopter lorsque le besoin ne rencontre pas l’intérêt, ou encore toute la subjectivité qui entoure ces notions.

Introduction

Page 53: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

52

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

53

Qu'est-ce que le projetSHEPACC2 ?

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

En raison de la forte pression démographique dans les îles centrales des Philippines (Visayas), l’île de Mindanao a connu à partir des années soixante-dix une très forte émigration. Les tribus autochtones - dont la tribu manobo - ont alors été peu à peu chasséesde leurs terres ancestrales, bien souvent violemment, par ces migrants techniquement plus avancés. Aujourd’hui, les Manobos sont contraints de vivre sur le flanc des montagnes, ayant abandonné les plaines fertiles aux Visayas. Leurs conditions de vie sont devenues très précaires : la malnutrition est endémique, les taux de mortalité infantile et des mères très élevés, la production agricole très basse en raison de la mauvaise qualité des sols et du manque de moyens de production, l’environnement est sans cesse menacé et déjà gravement détérioré, l’accès aux services de santé ou d’éduca-tion est quasi nul… Le corollaire de ces conditions difficiles est la déstructuration sociale du groupe, et l’identité de la tribu manobo est elle-même menacée. Le pouvoir traditionnel, autre-fois tout-puissant, est aujourd’hui en complète déshérence et il n’y a plus de leader fort ou charismatique pour guider la tribu et faire valoir ses droits, allègrement bafoués en dépit des lois chargées de les protéger (notamment le « Indigenous People Rights Act » approuvé en décembre 1997).

Comme nous allons le voir, le projet Shepacc a connu trois périodes successives qui illustrent presque chacune des trois phases (ou théories) de l’histoire du développement.• Tout d’abord, une première période où le développement

passe par un transfert de technologie et une amélioration des connaissances. C’est toute l’époque où l'on pense que le développement est lié à la modernisation.

• Ensuite, une deuxième période pendant laquelle on cherche à répondre aux besoins de base des communautés, en les fai-sant participer afin d’améliorer ce transfert de connaissance et de technologie et également d’incorporer et améliorer les connaissances et techniques locales. C’est la période dite « du développement communautaire ».

• Enfin, une troisième période, celle de l’empowerment ou de l’émancipation. Le développement est alors considéré comme un processus qui doit venir de l’intérieur. Les bénéficiaires doivent être les instigateurs et les agents des décisions qui affectent le cadre de leurs vies.

Shepacc a vu le jour en 1991 grâce à l’initiative du Docteur Michèle Lafay et grâce au soutien financier de l’Ordre de Malte et de l’Unicef. Jusqu’en 1991, le docteur Lafay s’est consacrée à des actions dans le domaine de la santé et s’est rapidement aperçue que rien ne pouvait être entrepris de façon durable tant que les Manobos n’auraient pas accès à l’éduca-tion. C’est ainsi que le concept Shepacc a vu le jour. De jeunes

Manobos de niveau secondaire ont été formés pour devenir enseignants dans leur propre village. Des centres de formation communautaires ont été ouverts, accueillant les enfants de 7 à 14 ans. Ces enfants reçoivent un enseignement équivalent aux trois premières années de classe primaire et passent ensuite le test d’aptitude national afin d’intégrer l’école for-melle. Plus âgés, les enfants sont alors en mesure de se rendre à l’école publique, généralement distante de quelques kilomètres. L’ensemble de ce projet d’éducation non formelle a été, dès le début, suivi par le DECS (Department of Education, Culture and Sports) qui participe à la formation des enseignants et assure un suivi technique trimestriel.Parallèlement à cette action dans le domaine de l’éducation non formelle, des microprojets ont été initiés afin d’améliorer les conditions de vie des communautés - tels que la protection de sources pour un approvisionnement du village en eau potable ou l'appui à l’élevage et au jardinage. L’ensemble des actions entreprises dans ce domaine s’est fait sous forme de distributions, avec une préparation et une concertation succinctes avec les personnes, groupes ou villages concernés.Durant ces dernières années, le projet a fonctionné avec des fonds limités. L’équipe ne disposait pas suffisamment de personnel compétent.Si les résultats ont été bons en éducation, les autres initiatives ont été moins heureuses (disparition des animaux distribués, poursuite limitée des activités agricoles démarrées, pas d’en-tretien des infrastructures construites, relations difficiles avec l’administration et les autorités locales).Réalisant les limites du projet (contraintes financières, problème de personnel et manque d’appui technique), le docteur Lafay a demandé l’aide d'Action Nord Sud (ANS), le département pluri-disciplinaire de Handicap International, pour la mise en œuvre de Shepacc, en partenariat avec l’ONG philippine Friends of the Lumads, partenariat devenu effectif à la mi-1997.

Au départ, les objectifs d’ANS pour Shepacc étaient, outre une extension géographique du projet, une extension des activités d’éducation, mais surtout une recomposition des activités de développement rural et de santé, tout en prenant en compte à tous les niveaux du projet les particularités culturelles du groupe manobo.Durant le dernier trimestre 1997, un diagnostic participatif, sur le modèle de la PRA, a été mené afin de donner les grandes orientations du projet de développement rural.Cette PRA a été menée sur une durée d’environ deux mois pour la partie de collecte de données, pour un ensemble de neuf villages.

2 Il est donné en annexe diverses informations sur le projet Shepacc (fiche-résumé, cadre logique, organigramme). Pour avoir de plus amples renseignements,consulter les rapports d’activité ou la vidéo présentant le projet.

Page 54: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

54

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

55

L’équipe d’enquête était constituée d’une expatriée agronome expérimentée dans ce type d’étude, de deux Philippins (un vétérinaire et un socio-anthropologue), ainsi que des assistants manobos. Un premier travail de diagnostic participatif a été réalisé dans l’ensemble des neuf villages. Suite à cela, quatre villages ont été retenus, car le groupe semblait plus motivée et/ou avait identifié des activités à mettre en œuvre qui sem-blaient appropriées et réalistes à l’équipe du projet. L’accent a donc été mis sur ces quatre villages et le travail s’est poursuivi à l’aide des techniques participatives. Ensuite, les activités ainsi identifiées ont été mises en œuvre. Elles étaient des plus clas-siques : constitution d’associations villageoises pour la mise en place d’activités collectives telles que la culture de maïs grain, l'élevage de porc, l'utilisation en commun de buffles, la mise en place d’un système d’approvisionnement en eau potable, avec le plus souvent l’octroi de microcrédits à ladite organisation pour l’activité retenue.

Quelques mois plus tard, force était de constater qu’il y avait un écart conséquent entre les résultats du diagnostic participatif et la mise en œuvre : entre autres, les gens n’étaient pas motivés et étaient dans une position attentiste, les activités n’étaient pas appropriées à la situation, les groupes impliqués dans les activités n’étaient ni soudés ni homogènes. Bref, les activités ont été interrompues dans trois des quatre villages, et complètement revues dans le quatrième.

Ce ne sont pas la qualité et le sérieux avec lequel le travail de PRA a été fait qui ont été remis en cause, mais la méthode, et surtout son utilisation. Ce diagnostic a été mené par des personnes maîtrisant très bien l’utilisation de l’outil, mais cela ne s’est pas révélé suffisant, car il ne s’agit pas seulement d’un outil.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

L’exemple de Talupakan

Ce village est composé en majorité de familles manobos, pour la plupart très pauvres. Suite aux différents travaux de diagnostic participatif conduits fin 1997, il a été retenu parmi les quatre villages pilotes. À cette époque, Talupakan était considéré par l’équipe comme le village le plus « avan-cé » et où il serait probablement le plus facile de démarrer des activités. En effet, les Manobos s’étaient constitués en association (une petite vingtaine de personnes, soit à peu près un représentant par foyer) et avaient en projet de travailler un champ de trois hectares en commun. L’unique point de blocage identifié par les gens (et par l’équipe) était l’accès à la terre, comme partout, toutes les terres étant gagées. Le projet a donc accepté, après examen, de fournir le crédit nécessaire pour lever l’hypothèque, l’association remboursant après chaque récolte. Pour le reste (appro-visionnement en semences et en intrants, organisation du travail, buffle), tout était a priori au point. Finalement, abso-

lument rien ne s’est passé comme prévu. Assez rapidement, l’association nous a demandé de l'aider en fournissant de la nourriture pour le jour où les Manobos travaillaient dans le champ de l’association, car tous dépendaient du travail à la tâche pour les Visayas, unique source de revenu afin de se procurer de la nourriture au jour le jour. Ensuite, il leur fallait un crédit pour se procurer les semences ; le proprié-taire du buffle ne voulait plus le mettre à la disposition de l’association car il n’était pas dédommagé, et ainsi de suite. D’un commun accord, nous avons donc mis le projet en suspens (signalons qu’après plus de deux ans, il n’a jamais été repris).Que s’est-il passé ? En fait, le travail de diagnostic qui avait été effectué n’a pas permis de mettre en évidence tous ces points de blocage qui rendaient le projet impossible à mettre en œuvre compte tenu de la situation. L’évaluation a été faite trop rapidement (non pas volontairement, mais pour les raisons habituelles : limite de budget, dates butoirs à respecter, mauvaise gestion du temps disponible…), par une équipe qui méconnaissait la zone et le contexte (puisqu’elle venait d’arriver), dans une communauté divisée et très hétérogène qui n’avait jamais fait l’exercice d’analyser sur le mode proposé, ensemble et en profondeur, sa situation et les causes de cette situation. L’état d’extrême pauvreté dans lequel se trouvaient ces personnes a été très sous-estimé. À cause d’ une saine dignité, ces gens ont dissimulé au mieux, à ces personnes inconnues qu’était l’équipe, leur terrible situation de précarité qui rendait ce projet économiquement trop ambitieux et trop demandeur en temps. L’hétérogénéité du groupe et les conflits larvés s’y développant régulièrement n’ont pas été exposés : tous les membres de l’association sont effectivement manobos mais de sous-groupes différents avec parfois des nuances très subtiles et des rancœurs quasi ancestrales. Dans ces conditions, toute tentative d’organisation du travail et des activités par l’un des membres (quel qu’il soit) était tuée dans l’œuf.Mais alors, pourquoi les gens ont-ils proposé et voulu ce projet, car ce sont bien eux qui en ont été les instigateurs ? Au bout d’une année, lorsqu’il y a eu une réelle relation de confiance entre l’équipe du projet et les gens du village se sentant concernés, il a été possible d’en discuter pour mieux comprendre cet échec. Les villageois pensaient que nous ne supporterions que des projets collectifs portés par un groupe organisé, car tous les projets (notamment ceux du gouvernement) dont ils avaient jusqu’alors entendu par-ler ne soutenaient que des associations ou des coopératives. Ils n’ont donc pas voulu laisser passer leur chance et se sont regroupés, copiant un système qui avait fait ses preuves. Par ailleurs, il y a quelques années, lorsqu’ils possédaient les terres, avant que les Visayas les en spolient, ils vivaient bien. Donc, en toute logique, pour retrouver leur ancienne situation, il leur fallait retrouver des terres, d’où la nature de la demande ; toutefois, sans réaliser que, le temps passant,

Page 55: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

54

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

55

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

d’autres limites se sont ajoutées, telles que l’absence de trésorerie et de capital (pour se procurer les intrants), la dépendance quasi totale du travail journalier pour survivre rendant impossible un travail qui ne sera rémunéré que dans quelques mois. Enfin, en ce qui concerne l’hétérogénéité du groupe et ses conflits de pouvoir, ce sujet hautement sensi-ble a, bien entendu, été complètement passé sous silence par l’ensemble de la communauté, de peur d’aggraver et faire naître de nouvelles tensions. Ils se sont donc retran-chés dans l’exposé de généralités qui a satisfait une équipe ignorante des mécanismes régissant le groupe manobo. Ils ont donné à entendre - avec succès - des solutions à même de satisfaire un projet tel que se présentait Shepacc à cette époque, qui ne se cachait pas de vouloir soutenir des activi-tés de développement rural et si possible communautaires.

Le projet a alors connu une période de doute, et nous nous sommes beaucoup interrogés sur notre capacité à utiliser toutes ces techniques de diagnostic participatif (en dépit des nombreuses formations reçues) mais également, et pourquoi pas, sur leurs limites.

Page 56: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

56

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

57

1. Les techniques de diagnostic participatif sont-elles la panacée qu'on nous présente ?

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Nous ne reviendrons pas sur tous les aspects intéressants, et aujourd’hui indéniables, de ces techniques abondamment décrits dans la littérature. L’utilisation de ces techniques a permis une meilleure prise en compte des intérêts des gens pour lesquels les projets existent, et a évité nombre de choses superflues. Leur intérêt est absolument irréfutable, mais elles ne sont pas la solution miracle que certains présentent parfois. Il semble inutile d’en refaire l’apologie, mais au contraire utile d’en montrer les dangers et les limites, car ils existent. Nous y avons été confrontés et sommes tombés dans plusieurs de ces pièges. Le projet Shepacc s’est par moments fourvoyé, en raison de certains écueils que nous n’avons pas su éviter et que nous allons maintenant détailler.

Tout d’abord, rappelons que ces techniques de diagnostic participatif ont fait leur apparition dans les années soixante-dix en réaction au modèle occidental, c’est-à-dire à la « méthode de modernisation ». L’objectif de ces outils était double :• avoir des informations de qualité, mais plus rapidement que

par les procédés d’enquête traditionnelle ;• donner la parole aux intéressés et non plus décider de tout

à leur place, reconnaissant ainsi l’existence et la validité de leurs connaissances.

Aujourd’hui, il existe plusieurs dizaines de ces méthodes. Elles diffèrent assez peu les unes des autres, que ce soit sur le fond ou sur la forme. La plus connue d’entre elles est probablement la PRA (Participatory Rural Appraisal), découlant de la RRA (Rapid Rural Appraisal). En France, on a plus souvent recours à la MARP (Méthode accélérée de recherche participative). Toutes s’appuient sur de petites équipes pluridisciplinaires qui utilisent une variété d’outils et de techniques (principalement des procédés de visualisation) spécialement choisis pour permettre une meilleure connaissance d’une situation. La singularité de ces méthodes est l’accent mis sur la valorisation des compétences et savoirs des populations locales. Ces techniques sont utilisées pour des évaluations de besoins, des études de faisabilité, pour l’identification des priorités, pour la mise en œuvre d’activités, pour le suivi et l’évaluation de ces activités.

Bien qu’utilisées depuis de nombreuses années et considérées par beaucoup comme incontournables, il n’a pas été fait à ce jour de véritable évaluation de ces méthodes - ce qu’on ne peut que regretter. Autrefois présentées comme une solution quasi miraculeuse, on peut constater depuis quelques années que les avis divergent de plus en plus sur les intérêts et avantages de cette approche. De plus en plus de chercheurs et profession-nels du développement sont sceptiques quant à ces méthodo-logies - qualifiées par l’anthropologue J.-P. Olivier- de-Sardan de

« méthodologies hybrides d’enquêtes socio-anthropologiques » - et pointent les limites et risques de leur emploi excessif et intempestif.

Ces diagnostics sont réalisés trop rapidement, voire dans la précipitationAu départ, ces outils de diagnostic participatif ont été notam-ment conçus pour avoir rapidement des informations de qualité. D’ailleurs, l’une des premières méthodes apparues a été la RRA (Rapid Rural Appraisal) et, en France, on parle toujours de la MARP (A pour Accélérée). Certes, de plus en plus, on laisse de côté l’aspect « rapide » de la méthode, car trop souvent on a confondu vitesse et précipitation - après à peine deux journées passées dans un village, les équipes avaient la quasi prétention d’en savoir tout. Même si cela s’améliore au fil du temps et des expériences, ces outils sont encore utilisés bien souvent sur un temps très court. Or les situations étudiées sont extrêmement complexes, et d’autant plus difficiles à comprendre et interpré-ter qu’elles nous sont complètement étrangères et sortent du cadre des références qui nous sont habituelles ou connues. Pour comprendre les mécanismes et les enjeux dans un village ou un groupe, de nombreuses visites sont nécessaires et il faut donc du temps. On ne peut pas prétendre appréhender en quel-ques jours la complexité d’un village ou d’un groupe, quelle qu’en soit la taille. Pour certains types de projets, une étude succincte et superficielle peut suffire, mais ce doit être dans ce cas un choix délibéré, réfléchi et assumé.

Ces diagnostics envisagent la communauté

comme un tout homogèneTous les membres d’une communauté ne sont pas accessibles pareillement. La participation des différents segments du groupe est forcément inégale. En fait, l’évaluation ne se fait qu’à partir d’interactions avec un nombre limité d’individus qui servent de médiateurs entre le groupe et les gens extérieurs au groupe. Une présentation sélective des opinions est faite, le plus souvent de façon exagérée, et les opinions minoritaires et déviantes ne sont pas mentionnées - surtout en public. Donc ce sont les perspectives peu polémiques des

L’exemple du village de Talupakan précédemment présenté illustre bien ce problème du temps nécessaire pour com-prendre certaines situations. Il nous a fallu plus d'une année pour réaliser et comprendre les subtilités qui régissaient les relations entre les différents sous-groupes et sous-sous-grou-pes qui mettaient en échec toute tentative de consultation collective ou d’initiative communautaire.

Page 57: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

56

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

57

personnes dominantes du groupe qui sont exposées et quiprévalent. Un diagnostic ainsi conçu comme un événement public et collectif va donner de l’emphase au général au détriment du particulier ; ne sera présenté que ce qui engage peu alors que c’est le spécifique qui est essentiel pour identifier les questions de différences et comprendre les enjeux au sein du groupe concerné.Généralement, les projets se lancent de façon quasi aveugle dans des démarches participatives. Or ce type d’approche peut se révéler inapproprié en l’état pour certains groupes de personnes, notamment des groupes de femmes ou les groupes les plus vulnérables. Si l’idée de rendre ces personnes capables de déterminer les choix pour leur vie est difficilement réfutable d’un point de vue philosophique, déterminer la manière d’y parvenir est plus compliqué et nécessite un minimum de recherche et d’observation de type sociologique ou ethnogra-phique. Ainsi que le fait remarquer Moser dès 1989, il est important de vérifier comment le discours et les procédures de participation fonctionnent effectivement dans la pratique et jusqu’à quel point ils sont adaptés à la situation, notamment pour les femmes et les groupes marginalisés.

Ces diagnostics rendent difficile l’établissement d’une indispensable relation de confianceentre l’équipe du projet et les membresde la communautéL’un des intérêts majeurs présumés des outils de diagnostic participatif est qu’ils donnent la parole à l’ensemble des membres de la communauté concernée, et surtout aux groupes qui ne s’expriment pas généralement (les femmes, les plus pauvres, les jeunes) - même si nous venons de voir les difficultés pour y parvenir (difficultés qui s’atténuent lorsqu’on prend le soin d’organiser des sous-groupes plus homogènes et dans des conditions qui leur sont plus appropriées). C’est un exercice hautement difficile que nous leur demandons. Non seulement les communautés n’ont pas l’habitude de s’exprimer et d’articuler leur pensée sur de tels sujets, mais en plus on attend d’elles qu’elles le fassent publiquement et en face de personnes étrangères. Il faut être réaliste quant à la qualité des informations ainsi obtenues. La plupart des communautés à travers le monde ne font pas démonstration à des étrangers de leur pauvreté, de leurs conflits internes ou de quelqu’autre problème dont on n’est pas trop fier. Ces questions ne vont être abordées qu’avec le temps, au fur et à mesure que la connaissance de et avec le groupe et ses individus s’améliore. L’un des aspects très fréquemment négligés est l’indispensable relation de confiance qu’il a fallu développer avec les gens avant d’être en mesure d’obtenir une vraie information de qualité. Et pour cela, il faut du temps, qui généralement fait défaut, comme nous l’avons déjà évoqué.

Ces diagnostics requièrent des animateursexperts en communicationNous venons de voir qu’une grande partie des personnes qui vont être amenées à parler de leur situation ne sont pas habituées à cet exercice et vont donc éprouver des difficultés, en plus de leurs craintes, à formuler problèmes, besoins, intérêts… La personne va alors avoir besoin d’une personne relais pour l’aider à exprimer (oralement, voire visuellement) tout ce qu’elle a en elle et qu’elle n’a probablement jamais décrit autrement que sous la forme de frustrations ou, plus rarement, d’analyses. L’animateur de la session va donc jouer un rôle majeur pour permettre et faciliter l’expression de ce que les gens ont en eux.Comme toutes les méthodes et outils, l’efficacité du diagnostic participatif va énormément dépendre du niveau de compé-tence avec lequel il est utilisé. L’une des clés de réussite est la capacité à communiquer des animateurs, point qui n’est pas suf-fisamment mentionné dans les manuels. Généralement, on met l’accent sur comment utiliser tel outil pour étudier le temps et l’espace, par exemple, mais très peu d’attention est donnée à la façon d'organiser et faciliter une réunion, qui fait pourtant partie intégrante de l’outil. L’équipe doit véritablement faire preuve de talents dans ce domaine. Or, le plus souvent, on pri-vilégie des personnes ayant des compétences et des connais-sances académiques : un agronome, une infirmière, un forestier, alors que la priorité devrait être mise sur la capacité à animer un groupe, à avoir suffisamment de sensibilité pour équilibrer et orienter les discussions, de finesse pour entendre et inter-préter les non-dits. Il y a là un juste milieu à trouver, entre les compétences en animation et les compétences techniques des équipes chargées du diagnostic, qui est parfois difficile à attein-dre. Il est clair que l’équipe devra être dotée, en plus de fortes compétences en communication et animation, d’un minimum de connaissances dans les domaines techniques qui seront évo-qués lors du diagnostic.

Ces diagnostics requièrent une équipeayant une bonne connaissance de la situationet de la zone du groupe concernéSi la qualité de la relation de confiance, que l’équipe a dû construire au fil du temps avec la communauté, et ses quali-tés de communication en sont deux éléments clés, il en est

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Sur le projet Shepacc, il était frappant de constater qu’un sujet tel que l’abandon de certaines pratiques traditionnelles, devenues un vrai poids pour la communauté manobo, était

plus volontiers discuté avec des membres de l’équipe non manobos. Le risque de choquer l’un de ses pairs en contes-tant l’intérêt de telle coutume était ainsi écarté. À l’opposé, les demandes de crédit étaient plus facilement faites aux membres manobos de l’équipe ; la face n’était pas perdue devant un étranger au groupe, vis-à-vis duquel il convient de faire bonne figure. Tout cela relève de cette notion de confiance et d’aisance dans la relation que les membres de la communauté ont avec les animateurs du projet.

Page 58: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

58

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

59

un autre qui fait également défaut dans les équipes chargées d’un diagnostic participatif et qui compromet les résultats de l’enquête : le niveau de connaissance que l’équipe doit avoir de la zone et de la situation concernées. Cela peut paraître con-tradictoire, mais comment faciliter et guider les gens dans cet exercice d’expression et d’analyse si les facilitateurs ignorent tout du milieu dans lequel ils évoluent ? Comment orienter effi-cacement l’exercice pour obtenir une information fiable et de qualité quand soi-même on ignore tout du contexte ?

Ces diagnostics génèrent des informationsdifficiles à analyser et interpréterAvec les outils de diagnostic participatif, on récolte rapi-dement une grande masse d’informations pour la plupart qualitatives, données beaucoup plus difficiles à traiter que les informations quantitatives obtenues par des enquêtes classi-ques ou recensements. De plus, on a systématiquement recours aux représentations graphiques (cartes, diagrammes, dessins). Or toute représentation est sujette à une interprétation qui sera propre à chacun - prenons un exemple célèbre : le dessin du Petit Prince représentant un éléphant ayant avalé un boa, que tout le monde, à son plus grand agacement, interprète comme un chapeau mou. On utilise tout un tas de représentations conventionnelles (des flèches, bulles, traits…) qui ne veulent rien dire pour ceux qui n’en ont pas l’apprentissage et qui ne possèdent pas ces codes. Selon que la représentation sera plus ou moins bien pensée ou travaillée, ou que le « dessinateur » et le « lecteur » ont des codes culturels de représentation communs ou non, l’interprétation des uns et des autres sera plus ou moins semblable. Mais quoi qu’il en soit, il y aura des différences, et donc des distorsions entre ce que la personne a voulu représenter et ce que le lecteur interprétera.

On se trouve ainsi confronté au gros problème de l’analyse et de l’interprétation de ces données et informations. Pour que l’équipe chargée du diagnostic puisse faire un travail d’analyse de qualité avec ce type d’informations, il faut déjà avoir, en plus d’un minimum de compétences techniques appropriées (selon les cas en agriculture, santé…), une bonne connaissance du contexte sociopolitique de la zone ou du groupe concerné si l'on ne veut pas courir le risque de faire des contre-sens (Pottier, 1991) ; ce qui est un peu contradictoire avec de nombreux cas de figure où ces outils de diagnostic participatif sont justement utilisés pour avoir rapidement une meilleure connaissance du milieu.Cet aspect est pourtant fondamental, car l’animateur a pour tâche de guider et faciliter des analyses aux répercussions fortes et parfois vitales pour le groupe et les individus concernés. Il doit donc être en mesure d’aider les gens dans cet exercice et attirer leur attention, généralement par le biais du questionnement, quand leur analyse est complètement fausse et qu’ils font fausse route. Les agents de développement ont à ce niveau une lourde responsabilité, et on voit trop souvent des gens incompétents qui laissent les communautés, sur la base d’analyses hâtives, incomplètes ou erronées, mettre en œuvre des activités dont l’échec prévisible peut être lourd de conséquences (conflits, crédits impossibles à rembourser, découragement, perte de confiance en soi, discrédit jeté sur le groupe concerné…).

Enfin, sur cette question de l’analyse des informations obte-nues, il faut être vigilant à bien discerner ce qui est du domaine des conséquences et ce qui est du domaine des causes. Il est extrêmement fréquent de voir des conséquences interprétées comme des causes. Si l’équipe qui facilite l’exercice n’a pas la compétence ou une connaissance de la situation suffisante pour faire la différence ou pour inciter le groupe à aller jusqu’au bout de l’analyse, la réussite des activités qui seront alors mises en œuvre pourra en pâtir lourdement, car les outils qui sont généralement déployés par ces méthodes de diagnostic participatif ne sont pas toujours assez puissants pour extraire de la communauté les informations nécessaires et pour pousser le groupe à faire ce type d’analyse.

Il nous a par exemple fallu de nombreux mois avant de com-prendre ce qui correspondait le mieux comme schéma lors de l’octroi d’un crédit pour des animaux. Systématiquement, les animaux disparaissaient, en quelque sorte kidnappés en remboursement de crédits plus ou moins lointains et directs. Ce problème empêchait de nombreux Manobos de faire un peu d’élevage, car dès que l’animal arrivait, il était pris par quelqu’un d’autre en remboursement, et Shepacc ne voyait jamais son crédit remboursé. La solution nous est apparue une fois que nous avons compris ce système compliqué de dettes et remboursements propres aux Manobos que je ne vais pas détailler. Il suffisait de laisser Shepacc propriétaire de l’animal aussi longtemps que nécessaire, le bénéficiaire n’ayant que la jouissance de l’animal et pouvant ainsi rem-bourser petit à petit ses crédits, au fur et à mesure des mises bas, sans voir son capital disparaître. Cette solution a donné satisfaction à tout le monde et a permis de démarrer de nombreux élevages, mais elle n’a pu être envisagée qu’une fois qu’on a compris et connu la situation.

Au cours du projet Shepacc, nous avons été maintes fois confrontés à ce problème. Il était difficile d’amener les gens à remonter jusqu’à la source (donc à la cause) d’un problème ou d’une situation. Pour poursuivre sur l’exemple d’élevage donné précédemment, les demandes de crédit faites pour l’achat d’un porc procédaient de ce phénomène. Effectivement, les Manobos n’ont que rarement des porcs et cela contribue à leur problème de faible revenu. De façon quasi systématique lors des diagnostics participatifs réalisés, l’absence d’élevage de porcs était identifiée comme une raison à leur pauvreté. Cela n’est pas faux, car ils ont la maîtrise technique de cet élevage tout à fait rentable, mais

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 59: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

58

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

59

Ces diagnostics utilisent des outils lourdset pouvant être « retors »Les méthodes de diagnostic participatif utilisent une véritable batterie d’outils, constitués de cartes, tableaux, diagrammes, auxquels on rajoute, pour les plus imaginatifs, des cailloux, des plumes ou des brindilles. Très basé sur la reproduction visuelle, on suppose que les gens vont comprendre ces visualisations en deux dimensions alors qu’ils n’en ont pas l’habitude.Selon le docteur David Mosse (1993), l’une des raisons pour lesquelles l’ensemble de cet attirail est devenu si populaire est qu’il pallie les difficultés de communication liées aux différences de langage, et les gens des projets facilitent ainsi pour eux même la communication. Mais qu’en est-il pour les gens des villages ou groupes concernés ? Il va jusqu’à qualifier cet attirail de « retors » et, toujours selon lui, « il mystifie parfois davantage qu’il ne favorise la participation ». Autant que possible, il est préférable d’utiliser des méthodes qui permettent un dialogue avec les communautés envisagées à long terme. Un projet ne va pas durer seulement quelques mois, mais s’inscrit dans le long terme. Les méthodes de diagnostic et d’évaluation doivent donc en tenir compte et doivent elles aussi s’inscrire dans la durée. Il convient alors d’utiliser des outils qui vont permettre le dialogue et les échan-ges de façon naturelle et durable, sans s’encombrer de tout un jargon ou d’instruments artificiels dont la compréhension et ensuite l’interprétation peuvent prêter à confusion.

Ces méthodes de diagnostic sont devenuesdes outils et des instruments alors que ce sont,à l’origine, des processusIl y a eu une grande modification, au cours du temps, sur les enjeux et les fins de l’utilisation de ces approches. Probablement car beaucoup ont cru que de l’utilisation de l’attirail découlerait des résultats induits tels qu’ils étaient envisagés, mais en oubliant que ces résultats ne sont pas obtenus grâce aux outils mais grâce au processus, et encore plus à l’état d’esprit dans lequel ils sont utilisés et à la complète appropriation de cet état d’esprit et de la finalité de l’exercice. Les promoteurs de ces techniques en sont pour partie responsables. Par exemple, les manuels présentant ces méthodes consacrent 80 % aux outils et, dans le meilleur des cas, 20 % à l’objectif du processus.

Les outils de diagnostic participatif tels qu’ils sont maintenant le plus souvent appliqués sont principalement orientés vers la technique du diagnostic elle-même plus que sur son objet final. Il y a une tendance à aller dans le village avec un ensemble d’instruments et d’outils à déployer et à utiliser, ce qui devient le cadre de l’activité. Il est vrai que cette instrumentalisation a un côté très rassurant pour les équipes. Elles ont la fausse impression que toutes les informations utiles à la programma-tion sortent sous la forme d’un ensemble complet, prêt à utili-ser. Elles auront tendance alors à négliger, entre autres, la partie d'analyse de ces informations.

À force de vulgariser ces techniques, elles sont devenues des techniques prêtes à l’emploi. On en a perdu de vue l’objet final de ce qui ne reste qu’un instrument. Les moyens prennent le pas sur la fin.Dans certains cas extrêmes, mais malheureusement assez fréquents, l’utilisation de ces outils participatifs a créé des effets pervers. Un processus participatif se veut d’émanciper les gens auxquels il s’adresse ; un tel processus est donc par essence imprévisible. Il faut alors être souple, créatif, inventif. L’utilisation de ces techniques à la lettre et dans les règles de l’art conduit invariablement à l’opposé de ce qui est recherché. « Le meilleur manuel de diagnostic participatif a une phrase en première page : "Utilisez votre meilleur jugement personnel à tout moment" et toutes les autres pages sont vierges. » (KGVK, cité par R. Chambers)On retrouve ici un élément qui a été évoqué plus haut : l’importance de la qualité des équipes mettant en œuvre ce type de diagnostic. Si elles ne sont pas suffisamment ouvertes, sensibles, si elles ne connaissent pas suffisamment la zone où elles travaillent, les équipes vont avoir tendance à se réfugier derrière l’instrumentation et vont perdre de vue l’objet de leur travail.

Ces méthodes de diagnostic donnentl’illusion du participatifCes méthodes de diagnostic participatif masquent, plus ou moins habilement, des projets présentés comme issus de la base mais qui ne sont finalement que des projets venant du haut. Je vais illustrer ce biais par un extrait de « Participatory Rural Appraisal Training Workshop, Cha Ung Village : Pilot Project and Recommendations for Participatory Development » (octobre 1995 - UNDP/Social Research Institute - Thaïlande) :« Le processus du développement participatif consiste en sept phases, dont :• l’étude de la communauté et la préparation de la communauté ;• clarification des objectifs du projet auprès des villageois ;• identification et analyse des problèmes à l’aide de la PRA.À ce niveau, les villageois sont supposés prendre une part active dans l’identification de leurs problèmes. »Cet extrait est très représentatif de l’un des aspects pervers de ces méthodes. Dans ce cas, comme dans la majorité des cas, le projet est déjà bien circonscrit avant la phase de diagnostic

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

ce n’est en fait qu’une conséquence d’un problème plus profond qui est, sans rentrer dans les détails, la pratique de certaines traditions qui rendent difficile le maintien d’un tel élevage. Si on démarre un projet sur la base de la première partie du diagnostic, on court à l’échec. Mais si l’animateur en charge du diagnostic connaît suffisamment la situation, il stimulera le groupe à poursuivre son analyse, à remonter jusqu’à la source du problème et donc à prendre les mesures nécessaires et suffisantes pour offrir davantage de garanties de succès.

Page 60: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

60

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

61

participatif, et l’équipe chargée de ce diagnostic arrive avec un a priori quant au projet. La population concernée va elle aussi de son côté avoir un a priori, puisque le projet est déjà large-ment défini. Dans une situation où il y a ainsi suspicion à l'égard des motivations des visiteurs, le style d’interaction participative va être de peu de valeur. Finalement, l’information générée est influencée par la relation perçue entre les « informants » et l’équipe du projet, qui est elle-même ancrée dans les attentes de ce dernier cap. Un projet de reboisement reconverti en projet de vaccination suite à un travail de diagnostic participatif relève du domaine de l’exceptionnel dans les faits. Mais peut-être que cela n’est pas si exceptionnel dans les besoins et les intérêts des gens, s’ils avaient pu être réellement consultés et si le projet était suffisamment ouvert pour entendre une telle demande.Par ailleurs, les outils de diagnostic participatif sont générale-ment utilisés dans des communautés sélectionnées au préala-ble. Il y a, de ce point de vue, également une sorte de préméditation qui, sans être forcément gênante, existe et il faut donc rester lucide lorsqu’on parle de « participation ». Comment ce groupe a-t-il été sélectionné pour ce travail de diagnostic ?

Dans le cas de figure où le projet n’est pas encore défini et attend justement ce diagnostic participatif pour être élaboré, ce sont les différentes expériences de la communauté avec des gens extérieurs au groupe qui vont interférer. L’évaluation ne peut pas se faire dans un vide historique, politique, culturel, institutionnel… Tous ces facteurs vont déterminer le résultat. Les gens vont tenir compte, dans leurs réponses, des motivations présumées des intervenants, sur la base de leurs expériences antérieures.

Ces méthodes de diagnostic sont avant tout

mal utiliséesEnfin, le plus gros reproche qu’on peut en fait adresser aujourd’hui aux méthodes de diagnostic participatif est la manière dont elles sont utilisées, plus que l’idée de départ qui

entoure ces techniques. Il y a eu une dérive énorme entre la philosophie de cette démarche (telle qu’elle a pu être concep-tualisée par ses fondateurs) et sa mise en application effective par de nombreuses équipes de projets. Elles sont finalement utilisées maintenant de telle façon qu’elles sont devenues « extractives », au même titre que les méthodes de recherche par enquête, comme les enquêtes d’anthropologue. Les facilita-teurs utilisent les informations données par les villageois pour leur propre planification et pour élaborer des projets qui seront dits « participatifs » afin d'attirer plus aisément des fonds ou d'entrer dans le cadre du mandat de l’organisation concernée. Il y a donc souvent un grand écart entre ce que les communautés ont voulu exprimer et le programme final conçu par l’agence, qui va fatalement répondre à ses propres priorités.

Pour revenir au projet Shepacc, nous avons traversé une période de sérieuse remise en question, suite aux difficultés successives rencontrées dans les activités entreprises sur la base de l’étude PRA. Nous avons essayé d’identifier là où nous avions fait fausse route et pourquoi. Nous avons ainsi identifié les différentes limites que nous venons de voir et mis en avant trois raisons principales à ces erreurs de diagnostic.

1- La parole était donnée à des gens qui devaient s’expri-mer, pour la première fois, sur des sujets auxquels ils n’avaient probablement jamais réfléchi de la manière qui était proposée (pour des raisons avant tout culturelles et traditionnelles3). Les communautés concernées par le projet éprouvaient de grosses difficultés à appréhender et à analyser leur situation, à identifier des actions à mettre en œuvre qui permettraient à la fois de répondre à des besoins prioritaires, à leur intérêt, et qui se trouveraient à la mesure de leurs ressources. Leur analyse se limitait à l’identification de ce qui était davantage des conséquences que des causes de leurs problèmes. Les solutions proposées n’étaient donc pas pertinentes ou, en tout cas, prématurées. Pressés de donner une réponse pour faire bonne figure, bien souvent les analyses présentées et les solutions proposées correspondaient en fait à d’autres situations qui ont été transposées, par les Manobos, au contexte manobo, en partant du principe que ce qui semblait bon pour d’autres groupes plus prospères devrait logiquement être bon pour eux.

2- En raison de sa connaissance insuffisante de la zone et du contexte, l’équipe du projet n’a pas été capable d’aider à faire une analyse en profondeur, juste et pertinente de la situation, ni de guider les gens dans cet exercice. Elle n’a pas été en mesure d’interpréter les non-dits et de relever les incohérences dans le diagnostic réalisé par les villageois, donc de faciliter et aider les gens dans leurs analyses.

3- La situation socioculturelle était très complexe (mais tou-tes les situations ne le sont-elles pas ?), et le temps nécessaire

Nous avons eu ce cas de figure aux Philippines. Les gens ont manifesté leur désir fort de se constituer en associations ou coopératives, car, bien qu’ils n’en aient jamais bénéficié, c’est ce que le gouvernement a développé par le passé dans d’autres villages. Ils ont donc pensé que ce type de propo-sition attirerait l’attention et intéresserait tout autre projet, bien qu’eux-mêmes voyaient d’autres besoins et d’autres intérêts plus prioritaires et mieux adaptés à leur situation. Il est vrai qu’au début, l’équipe Shepacc envisageait effecti-vement de privilégier des microprojets communautaires ou collectifs, et non pas des projets individuels – ce qui s’est d’ailleurs révélé être une erreur et le projet a, au bout de quelques mois, changé de cap.

3 Culturellement, seul le Datu (le chef traditionnel) décide de tout, pour tous les membres du groupe dont il a la charge : mariages, attribution des terres,règlement des conflits, répartition des ressources…

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 61: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

60

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

61

pour comprendre un peu l’organisation et le fonctionnement de cette société dépassait de loin celui consacré à la phase préliminaire de la PRA.

Pour pallier cette situation, nous avons alors ralenti consi-dérablement la mise en œuvre d’activités et concentré nos efforts sur la connaissance de la zone, l’identification des différents groupes composant la société et leurs caractéristiques culturelles et socioéconomiques, les interrelations entre ces différents groupes, l’organisation des différents villages… pour essayer de faire une analyse plus fine de la situation et réorienter le projet, si jugé nécessaire après cette analyse.

Au départ, le projet était orienté « action ». L’objectif affiché était l’amélioration des conditions de vie des populations manobos. La « participation » était alors au service de la mise en œuvre des « actions ». Elle devait assurer une meilleure responsabilisation des groupes et des personnes et une meilleure appropriation des actions, garantissant ainsi la pérennisation du projet. Mais suite à l’analyse réalisée après plusieurs mois d’observation et d’étude, il nous est apparu qu’il serait probablement vain de travailler ainsi, car les causes principales des problèmes de ce groupe n’avaient rien de matériel. Les principaux freins au développement des Manobos, avant même leurs problèmes matériels qui ne sont en fait qu’une des conséquences d’un problème qui prend ses racines plus loin, sont leurs difficultés à s’émanciper et à s’affranchir du poids social et culturel de leur environnement ; c’est également leur difficulté actuelle à concevoir leur situation dans un contexte évolutif et à prendre conscience des moyens à leur disposition pour faire face à leur situation et à son évolution. Dans ces circonstances, il nous est apparu que la meilleure solution pour aider ces gens était non pas de proposer des microprojets un peu tout faits auxquels ils participeraient, ce qui ne ferait que renforcer une malsaine relation docteur/patient et ne contribuerait aucunement à leur redonner confiance en eux ou à redynamiser leur capacité d’analyse et leur esprit créatif, mais de proposer en quelque sorte l’inverse. Cela veut dire que le microprojet (ou l’action) vient comme support au long processus de développement dans lequel le projet va les accompagner, et comme un exercice concret pour l’apprentissage de l’émancipation. Il nous a semblé que l’objet « participatif » du projet devait en être la finalité, avec comme résultat concomitant escompté, un développement humain global progressif des personnes et des groupes concernés. En plus de cette émancipation croissante au fur et à mesure du déroulement du projet, nous espérions que les différentes activités mises en œuvre seraient cette fois un peu plus pérennes que par le passé, puisque les personnes concernées en avaient la responsabilité du début à la fin, c’est-à-dire de l’analyse de la situation à l’évaluation, en passant également par un engagement financier. Si le concept est assez simple, sa mise en œuvre est loin de l’être.

Au final, certes le projet est à première vue resté identique : des dizaines de microprojets sont soutenues dans les domaines de l’élevage, l’agriculture, l’hygiène ou l’environnement, une quinzaine d’écoles communautaires fonctionnent, mais en fait tout a changé. Il n’y a pas un microprojet qui se ressemble, il n’y a pas les mêmes activités développées dans deux villages, les coûts du projet ne sont quasiment que des frais de fonctionnement, on est incapable de dire ce qui va se passer même à court terme. Bref, le projet a, par certains aspects, échappé à notre contrôle. Il appartient aux Manobos et nous sommes à leur service pour les activités que nous sommes amenés à appuyer. Le projet est par conséquent devenu une sorte de pelote de laine. Si l'on essaie d’extraire une activité pour l’expliquer ou l’analyser, c’est l’ensemble du projet qui rapidement se trouve sur la table. Toutes les activités développées n’ont de sens que les unes par rapport aux autres, car elles reflètent la réalité que vivent les différents groupes ou individus avec lesquels le projet collabore. Cette réalité n’est forcément pas monothématique ou la juxtaposition de faits ou d’activités sagement cloisonnées pour faciliter la lecture d’un projet et l’écriture de rapports avec des parties clairement identifiables. Au contraire, il s’agit d’un entrelacement de faits, d’actions, de situations, n’ayant de sens que les uns par rapport aux autres.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Très concrètement, cette réorientation stratégique du projet a conduit à des modifications en profondeur, notamment la réorganisation de l’équipe et donc de l’organigramme (cf. annexe). L’équipe « animation » est devenue le moteur du projet et on s’est vue jouer dorénavant le rôle de coordon-nateur du projet. Cette équipe réalise tout un travail de fond de préparation avec les individus ou groupes intéressés de la communauté, puis passe le relais pour la mise en œuvre et le suivi des activités aux différentes équipes techniques concernées et compétentes. Cette prise de relais se fait de façon progressive et s’intensifie au fur et à mesure que les questions techniques pèsent de plus en plus lourd dans la mise en œuvre de l’activité. Avec cette nouvelle organisation, le clivage et l’étanchéité qui existaient entre les différents volets du projet se sont rapidement estompés. L’équipe du projet est ainsi devenue un tout, et non pas une juxtaposi-tion de petites équipes techniques. Cela a également facilité et amélioré nos relations avec les bénéficiaires et les parte-naires du projet.

Page 62: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

62

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

63

4.1. Comportement

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

2. Comment contribuerà la promotion du processus d'émancipation ?

« L’adoption d’innovations ne peut prendre place à moins que la capacité des receveurs à recevoir soit correctement dévelop-pée. » (Cromwell et Wiggins - 1993)

Ce type de projet ou de démarche, de par son esprit et sa nature, devrait rendre impossible toute modélisation. Il ne peut y avoir un « mode d’emploi » utilisable dans tous les cas de figure. Si la schématisation n’est pas possible, il y a toutefois quelques éléments clés et principes de base qui me semblent incontournables suite à l’expérience en cours de Shepacc, aussi au vu de l’expérience de divers projets plus avancés de même nature.

De plus en plus de projets de développement, notamment les projets mis en œuvre par des organisations anglo-saxonnes, s’orientent vers ces questions de promotion de l’émancipation des communautés. Et une littérature de plus en plus abondante détaille diverses expériences, approches et démarches pour y parvenir. Les auteurs sont dithyrambiques. Généralement, ce type de projet est présenté avec un enthousiasme peut-être excessif. « L’excès en tout est un défaut. » À vouloir être trop puristes dans la mise en œuvre de tels projets et à trop vouloir coller avec la théorie intellectuelle, on court le risque d’être en décalage avec la réalité. Certes, la philosophie de ces projets est difficilement contestable et, à mon sens, tous les efforts doivent être faits pour s’en rapprocher au plus près dans les faits et dans le quotidien, mais il faut être réaliste et lucide. C’est pourquoi, dans la présentation ci-dessous, certains points peuvent sembler contredire l’idée même du projet (paragraphes de texte étroitisés). Le but est simplement de garder un juste milieu pour un meilleur résultat et de ne pas tomber dans un extrême potentiellement pernicieux.

Le point de départ n'est pas les « choses »mais les « gens »Il est indispensable d’appréhender les choses du point de vue des intéressés. Si cela va quasiment de soi en le disant, la mise en pratique se révèle plus difficile que ce qu’on pourrait penser.Tout d’abord, il faut accepter que dans une certaine mesure le projet échappe à notre contrôle, les gens n’étant plus de simples bénéficiaires mais le moteur du projet. Il ne s’agit plus de penser ou de faire pour eux, mais il faut apprendre à leur faire confiance pour cela. Le rôle du projet va être essentiellement de les encourager dans ce sens et de leur donner confiance qu’ils peuvent le faire.Il faut avoir foi en les gens pour lesquels on travaille. Il faut croire et avoir confiance dans leurs savoirs et leurs savoir-faire. Cela signifie également que - en théorie - rien ne devrait être

imposé et que l’équipe ne devrait avoir aucun a priori sur quoi que ce soit. Dans les faits, cela doit rester un fil conducteur, mais cela ne peut pas se vérifier à 100 % car il y a toujours de l’a priori, et dans tout projet, il y a toujours une part d’imposé, au minimum les « règles du jeu ». Il faut avant tout se mettre dans la tête qu’un tel projet a principalement pour rôle d’apprendre aux gens, de les rendre capables de.

Comme il a été dit précédemment dans ce document, les gens ne sont généralement pas habitués à de tels exercices. Il faut donc, certes, les encourager, mais cela ne va pas forcément suffire. Il va falloir également les guider dans certaines démarches intellectuelles et il faut être lucide quant à notre rôle dans cette tâche. Le ou les facilitateurs (ou animateurs) d’accompagner ce processus vont orienter les choses lorsqu’ils opèrent ce guidage. Il serait naïf de croire qu’ils sont complètement neutres. Il faut alors être très vigilant dans les rapports avec certaines personnes faciles à convaincre.Par ailleurs, on ne peut pas demander aux gens de décider de tout. Pour certaines choses, ils ne possèdent pas les connais-sances ou compétences nécessaires afin de prendre la bonne décision. Il s’agit, la plupart du temps, de questions techniques ou alors d'une décision qu’ils ne peuvent pas prendre car ils n’ont pas à leur disposition les éléments ou les informations nécessaires. Dans nos pays, par exemple, peu de personnes attendent d’être consultées par le service technique de l’adduction d’eau de la municipalité sur le choix des matériaux nécessaires. Ou encore, rares sont ceux qui voudraient être sollicités par les services hospitaliers pour les plans de campagne de vaccination. Au-delà d’un certain niveau de professionnalisme, nous nous en remettons aux personnes compétentes, nous leur faisons confiance. Il en va de même dans un projet. Lorsqu’on estime que le niveau de compétence des personnes concernées est dépassé, il faut savoir reprendre la main et leur venir en aide, avec bien sûr discernement et souplesse. Il ne s’agit pas évidemment de reprendre les rênes de façon autoritaire dès que l’occasion se présente.

Au départ du projet Shepacc, nous nous sommes évertués à essayer d’introduire des pratiques agricoles plus appro-priées compte tenu des moyens disponibles, du niveau de compétence des agriculteurs et du type de terres cultivées, notamment les techniques dites « SALT (Sloping Agricultural Land Technology) ». Ces pratiques ont fait maintes fois la preuve de leur intérêt dans des conditions similaires, mais, malgré toutes nos explications, personne ne semblait inté-ressé. Tous voulaient faire du maïs avec des engrais, type de culture effectivement très rentable mais pour des groupes

Page 63: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

62

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

63

4.1. Comportement

L’utilisation de « villageois pilotes » est une pratique bien con-nue des projets de développement, notamment agricoles. Dans un tel projet, cet outil est très porteur pour la vulgarisation de techniques ou d’activités, mais également, et je dirais surtout, pour le processus lui-même et pour faire avancer des problèmes de fond. L’impact est très positif pour les deux parties concer-nées : l’un retire une grande fierté et gagne en confiance de voir son initiative ou son idée reconnues et dupliquées par d’autres, et celui qui reçoit cette information l'obtient d’un égal et non pas de quelqu’un du projet perçu comme un supérieur. Les discussions et les échanges se faisant sur un pied d’égalité sont d’une grande richesse.

Les « activités » mises en œuvre ne sont pasun « but » mais un « moyen »S’il est vrai que ce type de projet privilégie une « idée » plus qu’une « action », qu’il vise davantage un développement « intellectuel » qu’un développement « matériel », il ne faut pas perdre de vue que l’un ne peut se faire sans l’autre. Si un développement matériel durable ne peut se faire sans être accompagné d’un certain développement intellectuel, de la même manière, le développement intellectuel ne peut pas se faire dans le vide. Il a besoin d’une base concrète pour prendre son essor.

L’activité doit alors être considérée comme une opportunité d’apprentissage expérimental pour l’individu ou le groupe concernés. L’activité n’est pas une fin en soi mais un moyen. L’objectif n’est plus l’activité mais le processus d’initiation qui accompagne tous les stades de sa mise en œuvre – de l’identification à l’évaluation finale (lire en annexe le cadre logique du projet Shepacc).À partir de ce moment, tout type d’activité est donc possible si cette action fait suite à une décision rationnelle des personnes intéressées (individus, groupe villageois, village dans son ensemble) et qu’elle est techniquement appropriée, socialement et culturellement acceptable, économiquement viable et respectueuse de l’environnement (dans son sens large).Généralement, les premières activités identifiées répondent à des besoins et intérêts immédiats, et correspondent à des problèmes qui sont davantage du domaine de la conséquence que de la cause. Elles peuvent donc se révéler des « emplâtres sur une jambe de bois » si des actions en profondeur ne sont pas entreprises dans le même temps. Il est important d’amener les gens à le réaliser et à agir en conséquence. Il faut trouver un juste milieu entre des activités qui vont avoir un résultat concret rapide (donc encourageant pour les personnes concernées) et des activités de plus longue haleine mais qui vont toucher au fond du problème.Dans le cadre de Shepacc, nous avons organisé plusieurs

rencontres entre certains villages, à divers stades du proces-sus d’émancipation. Les thèmes retenus pour ces échanges portaient soit sur le processus en cours au sein de chaque village ou chaque groupe, soit sur des débats concernant les pratiques traditionnelles. La stimulation et l’émulation qui en a découlé ont été remarquables. Ainsi, certains groupes qui étaient en quelque sorte bloqués dans leur développement ont trouvé auprès de leurs pairs des solutions. Les voir pra-tiquées et expliquées par des personnes semblables et dans une situation analogue à la leur a eu un impact totalement différent de ce que l’équipe du projet pouvait s’évertuer à faire passer comme message ou activité à développer. Cela a permis également d’avancer sur la difficile question de l’évolution de certaines pratiques traditionnelles, sujet devenu quasiment tabou avec le temps. De découvrir que tout le monde partageait le même point de vue a permis aux leaders de prendre des décisions attendues par tous depuis longtemps.

Pour illustrer mon propos, je vais donner l’exemple d’un village où intervient Shepacc. Les gens avaient identifié comme problème la difficulté dans laquelle ils se trouvaient pour élever des porcs. Ces difficultés étaient d’ordres mul-tiples : tout d’abord, l’absence de trésorerie les empêchant d’acheter les porcs à élever, le manque de compétences techniques, mais aussi et surtout les traditions qui faisaient que très rapidement les porcs disparaissaient au profit d’autres ou pour le paiement de divers tributs, qui avaient pris au fil du temps des proportions sans commune mesure avec la tradition originelle. Les problèmes de trésorerie et techniques pouvaient être rapidement solutionnés : octroi de crédit (l’activité étant prouvée rentable) et formation adéquate. Répondre à ces problèmes aurait été vain si, dans le même temps, rien n’était fait pour contrer le troisième problème, qui est en fait l’une des causes principales de tous les malheurs qui accablent la communauté manobo dans son

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

de population ayant des bonnes terres et n’ayant pas recours systématiquement au crédit sur culture à des taux d’usure, comme c’est le cas pour les Manobos. Après nous être achar-nés en vain, nous nous sommes mis à réfléchir (comme bien souvent dans pareille situation, il aurait probablement été plus judicieux de commencer par ça !). Nous avons réalisé que nous demandions aux gens de prendre une option sans avoir les éléments nécessaires pour prendre cette décision. Un tel changement constituait une prise de risque énorme à leur niveau, et leur réticence était en fait bien compréhensi-ble. Nous devions au préalable leur faire la preuve :

1- que le système de culture appliqué par les migrants, à savoir le maïs grain intensif, n’était pas le plus favorable compte tenu de leur situation ;

2- que le modèle que nous proposions était adapté et intéressant pour eux.Effectivement, une fois ces deux étapes franchies, des dizaines d’agriculteurs nous ont demandé de l’aide pour mettre en œuvre chez eux ces techniques. Ils avaient cette fois les éléments nécessaires pour prendre la décision.

Page 64: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

64

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

65

4.1. Comportement

Ensuite, petit à petit, on peut élargir le champ d’intervention de ces activités pour toucher des niveaux plus larges de la vie des gens, puis de la communauté proche et ainsi de suite par con-tamination de cercles de plus en plus larges. Il peut d’ailleurs y avoir concomitance, et ces différents types d’activités ne sont pas nécessairement successifs. Il peut y avoir des activités s’adressant à un individu et, dans le même temps, des activités s’adressant à un cercle plus large du groupe. Il faut toutefois demeurer vigilant, car beaucoup auraient tendance à vouloir entreprendre beaucoup de choses à la fois. Il faut savoir aider les gens à prendre la mesure de ce qu’ils souhaitent entrepren-dre et à identifier les limites (que ce soit des limites financières, de temps ou de compétences). À vouloir trop entreprendre, ils risquent de tout rater, ce qui serait décourageant pour tous, d’autant plus que généralement ces phénomènes sont notables principalement en début de projet.

Il faut être capable d’apporter une réponseà toute sollicitation validéeLes gens auxquels s’adresse le projet étant le moteur, et le projet intervenant sans a priori sur le type de microprojets ou d’actions à mettre en œuvre, ces derniers vont être fatalement de natures très diverses.

Il faut donc que le projet se donne les moyens de répondre à l’ensemble des demandes exprimées (bien évidemment après validation du groupe, du projet et des autres partenaires éven-tuellement impliqués). Cela veut dire que l’équipe du projet doit être pluridisciplinaire et capable de se tourner vers l’exté-rieur pour trouver les compétences qui pourraient manquer à

l’équipe, en privilégiant des partenariats avec l’administration locale, d’autres associations, des universités…

Cette approche pluridisciplinaire permet de mieux coller aux réalités locales auxquelles le projet est confronté. Un village, un groupe ou même un individu vivent dans un milieu complexe où tout est imbriqué. Le rôle du projet va être, comme nous l’avons vu, d’aider les gens à prendre conscience des interrelations qui existent entre les différents compartiments de leur existence, et aussi de les aider concrètement dans la mise en œuvre d’activités de différentes natures mais qui se répondent les unes aux autres.

On ne peut pas se permettre, dans un projet de ce type, de bloquer les gens pour des questions techniques. S'ils ont fait toute la démarche intellectuelle d’analyse de la situation et décident d’une action appropriée mais nécessitant la collaboration du projet, il serait pour eux extrêmement frustrant et décourageant, et même préjudiciable pour leur avenir, de ne pas pouvoir y donner suite pour la raison que ce n’est pas dans le mandat ou le budget du projet ou parce que la compétence manque. Être bloqué pour de telles raisons est totalement contraire avec l’idée même de l’appui au processus d’émancipation et avec la philosophie d’un tel projet.

On comprend aisément qu’avec une telle approche, la coordi-nation entre les différents membres de l’équipe doit être optimale et que personne ne peut se permettre de rester cloisonné dans son petit secteur sans que cela porte préjudice à l’ensemble du projet, car, comme il a déjà été dit, il ne se conçoit que dans son ensemble.

L’équipe comme clé de voutePeut-être de façon qui peut paraître contradictoire, la mise en œuvre réussie d’un projet visant à la promotion de l’émancipation des gens dépend en grande partie de la qualité de l’équipe qui va être chargée du projet. Cela est vrai pour tout projet mais encore plus dans ce cas. Il est tout d’abord primordial que, à tous les niveaux, l’équipe et les personnes la composant comprennent les principes du processus. Dharam Ghai, qui a étudié et examiné de près plusieurs projets de ce type, fait à ce propos le commentaire suivant : « Une caractéristique clé dans de tels programmes est le rôle joué par les agents de développement - indifféremment appelés activistes sociaux, agents de changement, facilitateurs,

Dans le cas de Shepacc, nous avions des demandes qui allaient de l’information sur le planning familial, à l’appui au démarrage d’élevage de porcs ou encore à l’aide pour l’obtention du titre de reconnaissance des terres comme domaine ancestral.

Par exemple, si les gens veulent travailler à leurs problèmes de nutrition, des séances d’information ne suffiront pas si les différents aliments nécessaires à une bonne alimentation ne sont pas présents. Il faudra donc également envisager une partie de vulgarisation agricole, peut-être d’expérimentation, ou - pourquoi pas - la mise en place de microcrédits pour démarrer des activités d’élevage qui permettront de pallier, à terme, les éventuelles carences en protéines.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

ensemble. Les deux premiers problèmes sont en fait davan-tage des conséquences du retard qu’a occasionné la dérive de certaines de leurs pratiques traditionnelles. Nous avons donc travaillé sur ce sujet avec la communauté, qui a finale-ment, petit à petit, corrigé les excès identifiés. Cela demande forcément un long temps et il aurait été très décourageant pour le village en question d’attendre ces transformations en profondeur pour faire de l’élevage de porcs. Mais il était éga-lement très important qu’ils œuvrent à cet aspect, ce qu’ils ont fait puisqu’ils ont contacté le conseil de la tribu et les villages avoisinants pour leur faire savoir certaines modifica-tions, au niveau de ce village, à propos de certaines pratiques jugées excessives. Un an plus tard, le résultat est tout à fait concluant et encourageant. Pour preuve, trois autres villages ont entrepris les mêmes démarches.

Page 65: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

64

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

65

4.1. Comportementorganiseurs de groupe, catalyseurs et animateurs. Le succès de ces initiatives est en grande mesure due à l’approche et au style de travail adopté par ces gens. Ils ne possèdent aucune com-pétence technique spéciale mais leurs qualités humaines sont vitales pour le succès de leur mission. Cela inclut une profonde compréhension de l’économie et de la société des groupes appau-vris, compassion et sympathie avec l’état critique dans lequel ils se trouvent, capacité à inspirer confiance, et les motiver et les guider, pas d’une façon paternaliste et autoritaire mais de façon à mettre en valeur et améliorer leur confiance et leur auto-dépen-dance. Ces initiatives sont souvent de petite taille et leur succès dépend du leadership d’une personne exceptionnelle et d’une petite bande d’activistes dédiés. »L’importance de la qualité de l’équipe et de son dévouement rend difficile l’extension de tels projets sur de grandes échelles. Pour que la coordination entre les différents membres de l’équipe soit facile et véritablement effective, le projet doit être de taille circonscrite, car au-delà d’une certaine taille, la coordination devient très difficile et de nombreux problèmes peuvent ainsi apparaître. Cette taille de projet et d’équipe limitée est aussi indispensable pour créer et maintenir une relation de confiance avec les villageois et les différents partenaires du projet, élément également primordial pour la réussite du projet. Il est important que les gens auxquels s’adresse le projet voient toujours plus ou moins les mêmes personnes. Si les intervenants changent régulièrement ou s’ils sont trop nombreux, les échanges vont être de pauvre qualité, le dialogue et la confiance auront du mal à s’instaurer.Si le projet vient à s’étendre et qu’un nouveau groupe de villages est concerné, il sera plus efficace de recréer une équipe avec une structure identique plutôt que d’élargir l’équipe initiale. Il y a un surcoût, mais il se justifie par la qualité et l’efficacité du travail réalisé par une équipe regroupée et compacte.

Il faut savoir faire preuve de souplessedans l’approche utiliséeLe meilleur outil à la disposition des personnes travaillant pour un tel projet sera leur bon sens, c’est-à-dire leur capacité à s’adapter, à faire preuve d’esprit critique et d’imagination, d’ouverture et d’analyse. S’il ne peut y avoir utilisation mécani-que de tel ou tel outil, il est important de bien connaître les différents outils développés par les méthodes participatives comme la PRA, afin de les utiliser à bon escient et quand la situation s’y prête. Mais là aussi, ce sera au bon sens de la personne chargée de déterminer, en fonction du contexte, de déterminer quel outil sera le plus approprié et le plus pertinent à la situation donnée. Il va donc être important que l’équipe connaisse bien le milieu où elle évolue et les différentes personnalités composant la communauté.Il est également très important de privilégier les rencontres et les échanges informels. Le dialogue (entre les gens de la même communauté, avec le projet, avec les autres intervenants au niveau de la communauté) est une des clés de la réussite

de ce processus, et rien ne vaut les échanges informels pour créer ce dialogue. Trop souvent, la part belle est donnée aux rencontres formelles, aux réunions en tous genres, qui sont for-cément des lieux d’échange incontournables mais insuffisants car rigides et trop généralisants ; et, comme il a été développé précédemment, le spécifique et la particularité sont également des éléments indispensables et enrichissants. Ce n’est pas non plus la meilleure façon de créer une relation de confiance entre les gens et le projet.

L’émancipation étant un processus,il faut avoir le temps devant soiLes projets qui visent l’accession à l’émancipation ayant comme principal souci le développement des capacités intel-lectuelles, ils doivent être absolument conçus comme un processus global, à envisager à long terme.Le projet va devoir suivre le rythme imprimé par les popula-tions. Il faut savoir laisser le temps nécessaire aux personnes intéressées pour s’approprier les différentes étapes du pro-cessus intellectuel. C’est un cheminement qui demande un temps plus ou moins long selon la personne. Ce temps d’appropriation est vrai, bien sûr, pour les gens auxquels s’adresse le projet, mais aussi le plus souvent pour tout ou partie de l’équipe du projet.De temps en temps, il est malgré tout nécessaire que l’équipe du projet donne un coup d’accélérateur, car assez souvent le projet aurait tendance à s’endormir. S’il est absolument certain que toute précipitation dans un tel projet est rédhibitoire, un enlisement serait tout autant préjudiciable. C’est à l’équipe du projet d’y veiller et, de temps en temps, elle doit aiguillonner et pousser les gens à se réunir, à passer à l’action ou quoi que ce soit d’autre identifié comme pertinent. Il faut savoir parfois intervenir de façon assez autoritaire pour relancer le processus quand celui-ci semble bloqué. Parfois, les gens vont avoir peur de passer certains caps sensibles tels que, par exemple, la confrontation avec les autorités locales ou toute autre décision qui affecterait certaines sphères de pouvoir.

Le processus étant très lent, cela peut être rapidement découra-geant pour les équipes. Il y a un risque de les voir s’endormir si le rythme n’est pas assez soutenu ; mais si la pression est trop forte et le temps d’appropriation insuffisant pour les gens, ils vont être perdus ou alors trop sollicités et donc lassés de ce tourbillon permanent qui leur complique la vie et leur prend du temps.

Il ne faut pas vouloir faire des prévisions et des plans pour le futur puisque tout va dépendre des personnes avec lesquelles le projet collabore. Ce sont elles qui vont imprimer le rythme du projet et des activités mises en œuvre. Dans ces conditions, seules les grandes lignes vont pouvoir être tracées.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 66: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

66

Les diagnostics participatifs en milieu rural

67

Ce type de projet s’inscrivant dans le long terme et ayant des objectifs principalement qualitatifs, il va être important d’élaborer des critères de suivi qui permettront de mesurer les avancées sur tous ces aspects difficilement palpables du projet, mais qui en font l’intérêt. Ces critères auront par la force des choses une part de subjectivité, mais ils permettront de suivre l’impact des initiatives entreprises4, notamment pour l’équipe qui pourra ainsi mesurer les résultats de ce travail de longue haleine et ainsi éviter le découragement.

Cette question de la durée ne va pas sans poser de problèmes lors de la recherche, auprès de partenaires financiers, des moyens matériels nécessaires à la mise en œuvre d’un tel processus. À cette question du long terme se rajoutent les difficultés de suivi et d’évaluation d’un tel projet, du manque de visibilité, et parfois la difficile compréhension de projets complexes, autant d’éléments qui rendent peu attractifs ces projets pour un bailleur de fonds et même pour les partenaires institutionnels dans certains pays.

La transparence à tous les niveaux doit êtreune préoccupation permanenteIl est vrai que ce type de projet est intellectuellement très atti-rant et philosophiquement satisfaisant : les pauvres ont le droit à la parole, et tout est mis en œuvre pour qu’ils se prennent en charge par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Les équipes chargées d’un tel projet doivent rester vigilantes car le risque de tomber dans l’endoctrinement est en fait assez proche, mais il serait très préjudiciable aux groupes concernés. Un tel pro-cessus d’émancipation se fait fatalement au détriment d’autres personnes ou d’autres groupes. On entre là dans toutes les questions de renversement ou de modification des champs de pouvoirs, et cela ne se fait pas toujours sans heurts et sans dom-

mages (plus ou moins temporaires). C’est là une question très vaste et je ne me lancerai pas dans son analyse, mais les équi-pes doivent garder cette notion à l’esprit en permanence car une intervention de ce genre est tout sauf neutre. Les équipes doivent donc savoir rester à leur place et ne pas outrepasser leur rôle. Travailler dans la plus grande transparence auprès de tous les partenaires (proches ou lointains) de la communauté concernée et expliquer les enjeux de ces changements permet de prévenir les risques. Mais il est encore plus important de là aussi se garder de tout excès, même si l’idée défendue est intellectuellement quasi inattaquable.

Dans le cas de Shepacc, certaines activités ont vu le jour au bout de quelques mois dans les villages les plus moteurs ou avec des individus particulièrement demandeurs. Mais dans certains autres villages, au bout de deux ans, rien n’a été entrepris et la phase d’analyse de la situation réalisée par les gens intéressés n’a toujours pas été achevée. Il serait vain de vouloir forcer ces villages, il faut leur laisser le temps soit de voir les résultats obtenus dans d’autres groupes soit de davantage observer et analyser pour identifier les ouvertures possibles.

4Des exemples sont donnés en annexes.

Shepacc n’a pas eu à pâtir de difficultés de cet ordre car il existe aux Philippines de nombreuses expériences et pro-jets de ce type qui, dans leur grande majorité, obtiennent des résultats très satisfaisants. Les partenaires aussi bien institu-tionnels que financiers portent donc toute leur attention sur de telles propositions et suivent avec intérêt leur évolution.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Dans le cadre de Shepacc, nous avons été maintes fois con-frontés à ce problème. Nous travaillons avec les populations manobos, qui sont de façon objective totalement démunies et qui ont été longuement abusées et le sont encore. Les Manobos cohabitent avec les Visayas, qui détiennent les pouvoirs économiques et politiques dans la région. Notre intervention auprès des Manobos interfère avec les Visayas et, dans une certaine mesure, à leurs dépens : par exemple, les Manobos éduqués vont être moins faciles à duper - ayant davantage confiance en eux, ils négocieront plus âprement les conditions de crédits auxquels ils peuvent avoir accès auprès des Visayas pour leurs intrants agricoles ; connaissant leurs droits, ils vont pouvoir essayer de récupérer leurs terres ancestrales dont les Visayas se sont accaparés de façon plus ou moins légale… Nous avons donc été à plusieurs reprises la cible des Visayas ou de certains responsables politiques qui sentaient leur pouvoir s’éroder. Les Manobos pouvaient donc représenter un nouveau risque qui pouvait remettre en cause certains de leurs acquis ou certains de leurs inté-rêts (plus ou moins avoués). Il y avait alors un risque de voir un conflit éclater, de façon plus ou moins aiguë, mais le risque était réel. Grâce au jeu de la transparence totale et en expliquant les enjeux du projet, les conflits se sont estom-pés. Par la force des choses, ils reviendront et ce problème ne peut qu’être récurrent ; c’est pourquoi il faut rester très attentif et être prêt à désamorcer les malentendus afin que le processus enclenché se déroule de la façon la plus har-monieuse possible et qu’au final tout le monde y trouve son compte. En l’occurrence, les Visayas sont ravis de constater que les Manobos œuvrent pour faire évoluer leurs traditions, qui sont pour les Visayas eux-mêmes un réel poids.

Page 67: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

66

Les diagnostics participatifs en milieu rural

67

Les diagnostics participatifs en milieu rural

En guise de conclusion…

Le projet Shepacc nous a permis d’étudier une certaine appro-che, correspondant à notre vision du développement. Il semble-rait que ce choix soit pour le moment payant dans le contexte manobo, mais qu’en sera-t-il à long terme ?Ce qui a marché pour Shepacc ne sera pas nécessairement adapté à une autre situation. C’est à chaque équipe de projet de s’adapter en fonction des conditions et de son savoir-faire,

mais aussi en tirant parti d’autres expériences, telles que celle de Shepacc.Ce document n’est qu’une toute petite contribution au long feuilleton de l’histoire du développement et n’a d’autre pré-tention que de susciter la réflexion et les discussions au sein des équipes.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 68: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

68

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

69

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

L’utilisation de diagnostics participatifs en milieu rural

Action Nord Sud, département pluridisciplinaire de Handicap International, 2000, Qu’est-ce que le développement local ?, groupe ressource Développement local.

Agence de coopération culturelle et technique, école internationale de Bordeaux, 1978, Développement rural intégré – Conclusions du séminaire organisé à Bamako.

Archer D. et Cottingham S., 1995, Manuel de conception de Reflect – Alphabétisation freirienne régénérée à travers les techniques de renforcement des capacités et pouvoirs communautaires, Londres, Actionaid.

Ashby J.-A. 1992, Identifying Beneficiaries and Participants in Client - Driven on – Farm Research, prepared for the 12th Annual Farming System Symposium, Association for Farming Systems research/extension – 13th-18th September, Michigan State University, Etats-Unis.

Asian Development Bank, 1998, « Special Issue on Participatory Development », ADB Review, vol. 30, n°2.

Ayassou U.-K., Conde J. et Paraiso M.-J., 1978, Approche intégrée au développement rural, à la santé et à la population, centre de développement de l’OCDE.

Banque mondiale, 1994-2009, The World Bank and Participation, The World Bank Operation Policy Department.

Biggs S.-D., 1989, « Resource-poor Farmer Participation in Research : a Synthesis of Experiences from Nine Agricultural Research Systems », OFCOR Comparative Study Paper n° 3, Isnar.

Bunch R., 1992, Two Ears of Corn: a Guide to People Centred Agricultural Improvement, World Neighbors, Oklahoma.

Carroll T., 1992, Intermediate NGOs : Characteristics of Strong Performers, Kumarian Press, West Hartford.

Centre international pour le développement social et la santé communautaire de Bordeaux, 1987, Document pédagogique à l’intention des planificateurs et administrateurs des projets de développement sur les schémas théoriques et les expériences pratiques de développement endogène, Paris, Unesco.

Chambers R., 1992, Methods for Analysis by Farmers: the Professional Challenge, paper for the 12th Annual Farming System Symposium, Association for Farming Systems research/extension – 13th-18th September, Michigan State University, États-Unis, p. 420-434,

Chambers R., 1995, « Paradigm Shifts and the Practice of Participatory Research and Development », p. 30-42, Power and Participatory Development – Theory and Practice, Londres, Intermediate Technology Publications.

Chauveau J.-P. et Lavigne-Delville P., Communiquer dans l’affronte-ment – La participation cachée dans les projets participatifs ciblés sur les groupes ruraux défavorisés.

Colin R. et Parodi E., 1995, Former à la gestion participative et démocratique du développement – Manuel à l’usage des formateurs, Paris, Irfed.

Cromwell E. et Wiggins S., avec Wentzel S., 1993, Sowing Beyond the State: NGOs and Seed Supply in Developing Countries, Londres, ODI.

Davis T. et Jatula W., 1997, « Complete Participation – Microprojects Cycles for Sustainable Development », LEISA newsletter, avril 1997, vol. 13, n°1.

Eade D., 1997, Capacity Building – An Approach to People-Centred Development, Londres, Oxfam Grande-Bretagne.

Freire P., 1972, Pedagogy of the Oppressed, Penguin, Harmondsworth.

Ghai D., 1988-2006, Participatory Development: Some Perspectives from Grass-roots Experiences, Unrisd, n° 5.

Gueye B. et Schoonmaker-Freudenberger K., 1991, Introduction à la Méthode accélérée de recherche participative – quelques notes pour appuyer une formation pratique.

Guijt I., 1991, Perspectives on Participation: Views from Africa, London, International Institute for Environment and Development.

Irfed, 1995, La participation populaire – Stratégies de responsabilité pour un développement durable, bibliographie, Paris, Ritimo production.

Kleitz G., mars 1995, Les méthodes de suivi et de gestion des procédures dans l’intervention pour le développement ; quelques éléments pour une méthodologie, GRET.

Lane J., 1995, « Non-governmentalOrganizations and Participatory Development: the Concept in Theory Versus the Concept in Practice », p. 181-200, Power and Participatory Development – Theory and Practice, Londres, Intermediate Technology Publications.

Bibliographie

Page 69: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

68

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

69 69

Langlois M., 1999 et 2000, Rapport d’activités Shepacc années 1998 et 1999, Action Nord Sud.

Lavigne-Delville Ph., 1995, Participation, négociation et champ du développement : quelques réflexions, document interne au groupe de réflexion APAD.

Lefevre P. et Kolsteren P., 1994, « Le développement comme arène : implications pour l’évaluation des projets », Bulletin de l’APAD 8, Marseille, p. 19-30.

Libercier M.H. et Schneidr H., 1995, Mettre en œuvre le développe-ment participatif, Paris, OCDE Development Center.

Monnet S., 1998, Outils de diagnostic participatif rural, Action Nord Sud.

Mosse D., 1993, « Authority, Gender and Knowledge: Theoritical Reflections on the Practice of PRA », Network paper 44, ODI Agricultural Administration (Research and Extension) Network.

Nelson N. et Wright S., 1995, Power and Participatory Development – Theory and Practice, Londres, Intermediate Technology Publications.

Okali C., Sumberg J. et Farrington J., 1994, Farmer Participatory Research – Rhetoric and Reality, Londres, Intermediate Technology Publications, on behalf of the Overseas Development Institute.

Olivier-de-Sardan J.-P., 1998, Anthropologie et développement – Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, APAD Karthala.

Paul S., 1986, Community Participation in Development Projects – The World Bank Experience, paper presented at the Economic Development Institute Workshop on Community Participation, Washington DC.

Pesche D., 1995, « Pour la construction d’un champ du développe-ment rural », Bulletin de l’APAD 9, Marseille, p. 41-45.

Pretty J. et Scoones I., 1994, « Institutionalizing Adaptive Planning and Local-level Concerns: Looking to the Future », p. 157-169, Power and Participatory Development – Theory and Practice, Londres, Intermediate Technology Publications.

Pretty J.-N. et Chambers R., 1992, Turning the New Leaf : New Professionalism, Institutions and Policies for Agriculture, over-view paper prepared for IIEDS/IDS, Beyond Farmer First: Rural People’s Knowledge Agricultural Research and Extension Practice

Workshop, Institute of Development Studies, University of Sussex, 27th-29th October.

Schneider H., 1944, Promoting Participatory Development: from Advocacy to Action (Preliminary Draft Overview), février 1994.

Scoones I. et Thompson J., 1992, Beyond Farmer First: Rural People’s Knowledge, Agricultural Research and Extension Practice: Towards a Theoritical Framework, overview paper prepared for IIEDS/IDS, Beyond Farmer First: Rural People’s Knowledge Agricul-tural Research and Extension Practice Workshop, Institute of Development Studies, University of Sussex, 27th-29th October.

Social Research Institute, 1995, Participatory Rural Appraisal Training Workshop, Field Report - Chang Ung Village: Pilot Project and Recommendations for Participatory Development, Social Research Institute, Chiang Mai University, Thaïlande.

Stassart P., 1992, The View of Field Workers: 7 Experiences of African Agricultural Programmes Supported by Coopibo, Coopibo, Belgique.

Strachan P. et Peters C., 1997, Empowering Communities – A Casebook from West Sudan, Londres, Oxfam Grande- Bretagne.

Sylva E., 1994, « Leurres et lueurs de la participation populaire », Ecodecision, n° 13, p. 84–87, 1994-2007.

Theis J. et Grady H., 1991, Participatory Rural Appraisal for Community Development – A Training Manual Based on Experiences in the Middle East and North Africa, Londres, International Institute for Environment and Development, Save the Children.

Uphoff N., 1992, Learning from Gal Oya: Possibilities for Participatory Development and Post-newtonian Social Science, Ithaca, Cornell University Press.

Van der Bliek J. et van Veldhuizen L., 1993, Developing Tools Together: Report of a Study on the Role of Participation in the Development of Tools, Equipment and Techniques in Appropriate Technology Programmes, GATE/ETC, Eschborn/Leusden.

c a h i e r II • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 70: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies
Page 71: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

Annexes

Ca

hi

er

2

Page 72: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

72

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

73

Annexe 1Cadre logiquedu projet Shepacc

PROMOUVOIR L’ÉMANCIPATION DES POPULATIONS MANOBOS À TRAVERS

UN PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT HUMAIN AFIN DE FAVORISER L’AMÉLIORATION

DE LEURS CONDITIONS DE VIE ET L’EXERCICE DE LEURS DROITS

Créer les conditionspour l'amélioration durable

du niveau de viedes Manobos

Développer et améliorer

les techniques pour une production

agricole durable,

respectant l’environnement.

Promouvoir la diversification

des productions et les sources

de revenu

Améliorer l’environnement

de la production (au sens large)

Proposer une éducation de base

adaptée aux enfants,

jeunes et adultes.

• Proposer une éducation de base

aux enfants

• Proposer des séances

d’alphabétisation fonctionnelle

aux jeunes et aux adultes

• Faciliter la formation

professionnelle des jeunes

non scolarisés

Proposer des activités

communautaires visant à renforcer

la cohésion du groupe,

sa confiance en soi

et son identité culturelle

Accompagner l'intégrationà travers le renforcementdes organisations locales

et la valorisationde la culture manobo

Améliorer l'accèsaux services de base

Améliorer les conditions sanitaires

de la communauté et faciliter

l’accès aux services de santé

Supporter et renforcer

les organisations villageoises

et traditionnelles, et Matrifa

(association locale). Identifier

et renforcer les potentiels leaders

capables de faciliter

une dynamique de développement

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 73: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

72

Les diagnostics participatifs en milieu rural Les diagnostics participatifs en milieu rural

73

Annexe 2Organigrammede Shepacc

- ÉQUIPES TERRAIN ET DE MISE EN OEUVRE -

Éducation Développement rural Santé

Superviseur Éducation

Coordonnateurnord

Coordonnateursud

Technicien agricole Infirmière

15 parateachers/facilitateurs

- ÉQUIPE DE COORDINATION ET D'ANIMATION -

Superviseur éducation

Assistant zone nord Assistant zone sud

Directeurde projet

Institututions,servicestechniquesONGFriendsof the LumadsAction Nord SudUniversitésConsultants...

- GROUPE STRATÉGIQUE ET D'ORIENTATION -

Développement rural Éducation Socio-anthropologie

Lien hiérarchique

Lien fonctionnel

Référence technique

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

Page 74: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

74

Les diagnostics participatifs en milieu rural

Annexe 3Exemple d'indicateursde suivi qualitatif

Exemple d’indicateurs de suivi mis en place pour mesurer certains résultats d’ordre qualitatif et subjectif du projet Shepacc.

Villages

Nabangkal 97 98 99

Malungon 98 99

Malinao 97 98 99

Linabasan 97 98 99

Talupakan1 97 98 99

Balakayo K. 97 98 99

Capacité à analyserune situation

-- - + ++ potentiel • • • +

• • -- • • • ++

• • • +

• • • +

••• -

Capacité à trouverdes situations

-- - + ++ potentiel

• • • ++

• • - • • • ++

• • • -

• • • -

••• -

Individus ayantces capacités

-- - + ++ potentiel

• • • ++

• • - • • • ++

• • • -

• • • -

••• -

Ce travail d’évaluation se fait annuellement en réunion d’équipe. Pour le moment, les villages n’étaient pas directement impli-qués dans cet exercice. À terme, cela pourra et devra être envisagé sous une forme retravaillée, mais dans ce même esprit.

c a h i e r 2 • L'usage des outils de diagnostic participatif

1 Pour certains villages, il semble à la lecture de ce tableau que le niveau ait régressé. Cela n’est pas le cas. Les évaluations ont été faites en temps réel. Les villages affectés sont principalement ceux ayant été évalués suite à la PRA, et certains semblaient à cette époque très prometteurs. Malheureusement, force a été de constater que les résultats obtenus lors de la PRA comportaient des biais et, suite à un travail plus en profondeur, il est apparu que le niveau n’était pas celui initialement évalué.

Page 75: Les diagnostics participatifs en milieu ruralLe grand intérêt de ce document réalisé par Handicap International, est de réinterroger avec lucidité la question des méthodologies

74

Les diagnostics participatifs en milieu rural

14 avenue Berthelot

69361 Lyon cedex 07 FRANCE

Tél. : (33) 04 78 69 79 79

Fax : (33) 04 78 69 79 94

e-mail : [email protected]

LYONSiège : 14, avenue Berthelot,

69361 Lyon Cedex 07Tél. : (33) (0)4 78 69 79 79 - Fax : (33)

(0)4 78 69 79 94E-mail : [email protected]

www.handicap-international.org

PARISBureau : 104-106, rue Oberkampf,

75011 ParisTél. : 33 (0)1 43 14 87 00 - Fax : 33 (0)1 43 14 87 07

E-mail : [email protected]

COPENHAGUEBureau : Suntevedsgade 2,

DK - 1751 Copenhaguen VTél. : (45 33) 24 88 00 - Fax : (45 33) 24 88 69

GENÈVESection : 11, avenue Joli-Mont

CH - 1209 GenèveTél. : (41 22) 788 70 33 - Fax : (41 22) 788 70 35

E-mail : [email protected]

MUNICHSection : Ganghofer Str.19

D - 80339 MünchenTél. : (49 89) 54 76 060 - Fax : (49 89) 54 76 06 20

E-mail : [email protected]

LUXEMBOURGSection : 140, rue Adolphe-Fischer

L -1521 LuxembourgGrand Duché de Luxembourg

Tél. : 352 42 80 60 - Fax : 352 26 43 10 60E-mail : [email protected]

BOSTONBureau: BP 815 Fryeburg

USA - Maine 04037Tél./Fax : (1 207) 935 2633

Portable (Suisse) : (4179) 470 1931E-mail : [email protected]

LONDRESSection : 5 Station Hill - Farnham

UK - Surrey GU9 8 AATél. : 00 44 (0) 1252 821 429 Fax : 00 44 (0) 1252 821 428

E-mail : [email protected]

Sections et bureaux de représentationde Handicap International

COLLECTION

conçue et éditée parHandicap international