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Les dieux voyagent toujours incognito GENCOD : 9782266219150 PASSAGE CHOISI La nuit douce et tiède m'enveloppait. Elle me prenait dans ses bras, me portait. Je sentais mon corps se dissiper en elle. J'avais déjà le sentiment de flotter dans les airs. Encore un pas... Je n'avais pas peur. Du tout. La peur m'était étrangère, et si son nom me venait à l'esprit, c'était juste parce que j'avais craint son apparition au point qu'elle avait hanté mes pensées ces derniers jours. Je ne voulais pas qu'elle surgisse et me retienne, qu'elle gâche tout... Un petit pas... J'avais imaginé entendre la clameur de la ville, et j'étais surpris par le calme. Pas le silence, non, le calme. Tous les sons qui me parvenaient étaient doux, lointains, et ils me berçaient tandis que mes yeux se perdaient dans les lueurs de la nuit. Un pas de plus... J'avançais lentement, très lentement, sur la poutrelle d'acier que cet éclairage si particulier avait transformée en or sombre. Cette nuit, la tour Eiffel et moi ne faisions qu'un. Je marchais sur l'or, en respirant très doucement un air tiède et humide d'une saveur étrange, attirante, enivrante. Sous mes pieds, cent vingt-trois mètres plus bas, Paris, allongée, se donnait à moi. Ses lumières scintillantes étaient autant de clins d'oeil, d'appels. Patiente, se sachant irrésistible, elle attendait que mon sang vienne la féconder. Encore un pas... J'avais mûrement pensé, décidé, et même préparé cet acte. Je l'avais choisi, accepté, intégré. Je m'étais calmement résolu à mettre fin à une vie sans but ni sens. Une vie - et cette conviction s'était progressivement et terriblement gravée en moi - qui ne pouvait plus rien m'apporter qui vaille la peine. Un pas...

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Les dieux voyagent toujours incognitoGENCOD : 9782266219150

PASSAGE CHOISI

La nuit douce et tiède m'enveloppait. Elle me prenait dans ses bras, me portait. Je sentais

mon corps se dissiper en elle. J'avais déjà le sentiment de flotter dans les airs.

Encore un pas...

Je n'avais pas peur. Du tout. La peur m'était étrangère, et si son nom me venait à l'esprit,

c'était juste parce que j'avais craint son apparition au point qu'elle avait hanté mes pensées

ces derniers jours. Je ne voulais pas qu'elle surgisse et me retienne, qu'elle gâche tout...

Un petit pas...

J'avais imaginé entendre la clameur de la ville, et j'étais surpris par le calme. Pas le silence,

non, le calme. Tous les sons qui me parvenaient étaient doux, lointains, et ils me berçaient

tandis que mes yeux se perdaient dans les lueurs de la nuit.

Un pas de plus...

J'avançais lentement, très lentement, sur la poutrelle d'acier que cet éclairage si particulier

avait transformée en or sombre. Cette nuit, la tour Eiffel et moi ne faisions qu'un. Je marchais

sur l'or, en respirant très doucement un air tiède et humide d'une saveur étrange, attirante,

enivrante. Sous mes pieds, cent vingt-trois mètres plus bas, Paris, allongée, se donnait à

moi. Ses lumières scintillantes étaient autant de clins d'oeil, d'appels. Patiente, se sachant

irrésistible, elle attendait que mon sang vienne la féconder. Encore un pas...

J'avais mûrement pensé, décidé, et même préparé cet acte. Je l'avais choisi, accepté,

intégré. Je m'étais calmement résolu à mettre fin à une vie sans but ni sens. Une vie - et cette

conviction s'était progressivement et terriblement gravée en moi - qui ne pouvait plus rien

m'apporter qui vaille la peine.

Un pas...

Mon existence était une succession d'échecs qui avait commencé avant même ma

naissance. Mon père - si l'on peut désigner ainsi le vulgaire géniteur qu'il fut - ne m'avait pas

jugé digne de le connaître : il avait quitté ma mère dès qu'elle lui avait annoncé sa grossesse.

Était-ce avec l'intention de m'éliminer qu'elle était allée noyer son désespoir dans un bar

parisien ? Les nombreux verres qu'elle but avec l'homme d'affaires américain qu'elle y

rencontra ne lui firent pourtant pas perdre sa lucidité. Il avait trente-neuf ans, elle, vingt-six;

elle était angoissée, et la décontraction qu'il arborait la rassurait. Il semblait aisé ; elle,

préoccupée par sa survie. C'est sciemment qu'elle s'offrit à lui cette même nuit, avec calcul

et espoir. Au petit matin, elle se montra tendre et amoureuse, et je ne saurai jamais si c'est

avec sincérité ou simplement par faiblesse qu'il lui répondit que oui, si jamais elle tombait

enceinte, il souhaitait qu'elle garde l'enfant et reste à ses côtés.

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