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Les discours sur l’esclavaged’Aristote à Césaire
C’EST À CE PRIXQUE V OUS MANGEZ
DU SUCRE…
Présentation, choix des extr aits, notes et dossier parPA TRICE KLEFF,
pr ofesseur de lettres
Cahier photos parPATRICE SOULIER,professeur de lettres
C’EST À CE PRIXQUE VOUS MANGEZ
DU SUCRE…
Dans la collection « Étonnants Classiques »
C'est à ce prix que vous mangez du sucre… (Les discourssur l’esclavage, d’Aristote à Césaire)
De l’éducation (Apprendre et transmettre, de Rabelais à P ennac)Des femmesLa Peine de mort (De Voltaire à Badinter)La télé nous rend fous !
© É ditions Flammarion, 2006.É dition revue, 2015.ISB N : 978-2 -0813-5774-7 ISSN : 1269-8822
■ Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Aux origines de l’esclavage 9
Le servage et la traite des Noirs 12
Révoltes 15
Précurseurs et auteurs de l’abolition 16
L’esclavage, un problème résolu ? 18
■ Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
I. L’ESCLAVAGE EST-ILUNE PRATIQUE CONTRE NATURE?
Aristote, Les Politiques 29
Sénèque, Lettres à Lucilius 36
Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire 41
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social 43
S O M M A I R E
C’est à ce prix que vou smangez du sucre…
II. L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE DES NOIRS
Code noir 47
Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le Calvaire de Canaan 52
Anonyme, De la nécessité d’adopter l’esclavage en France 56
Louis Figuier, Les Races humaines 60
Victor Hugo, Bug-Jargal 61
Théodore Canot, Confessions d’un négrier 65
III. RÉVOLTES D’ESCLAVES
Prosper Mérimée, Tamango 77
Henry David Thoreau, Plaidoyer pour John Brown 84
Victor Hugo, lettres sur la mort de John Brown 87
IV. LA LONGUE MARCHE VERS L’ABOLITION
Montesquieu, De l’esprit des lois 95
Marivaux, L’Île des esclaves 96
Voltaire, Candide 98
Condorcet, Réflexions sur l’esclavage des Nègres 99
Abbé Raynal, Histoire des deux Indes 106
Jacques Brissot, Adresse à l’Assemblée nationale pourl’abolition de la traite des Noirs 110
Robespierre, Discours du 13 mai 1791 à la Constituante 112
Abbé Grégoire, De la traite et de l’esclavage des Noirs 116
Harriet Beecher-Stowe, La Case de l’oncle Tom 118
V. RACONTER L’ESCLAVAGE :UN DEVOIR DE MÉMOIRE
Arthur Koestler, Spartacus 127
Alejo Carpentier, Le Siècle des Lumières 133
Madison Smartt Bell, Le Soulèvement des âmes 135
Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe 141
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal 144
Édouard Glissant, Monsieur Toussaint 147
■ Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .155
Les textes de loi français sur l’esclavage 157
Mémoires de l’esclavage 161
L’ Amérique esclavagiste 166
La lutte contre l’esclavage moderne 171
Bibliographie et filmographie 174
9Présentation
Aux origines de l’esclavage« L’esclavage est l’établissement d’un droit fondé sur la force,
lequel droit rend un homme tellement propre à un autre homme 1,qu’il est le maître absolu de sa vie, de ses biens, et de sa liberté » :ainsi le chevalier de Jaucourt 2 définit-il l’esclavage dans l’articlequ’il écrit pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, auXVIIIe siècle. « Un droit fondé sur la force », c’est-à-dire une autoritémoralement injustifiable, puisqu’elle est contraire à toute justiceet à toute humanité. L’esclavage n’est que le pouvoir du loup surl’agneau, du fort sur le faible : pire qu’une injustice, il représente lanégation du droit naturel 3 de tout être humain à disposer de lui-même. En cela, il est à proprement parler monstrueux, c’est-à-direcontraire à la nature.
Pourtant, le système par lequel un homme s’attribue le droitd’en posséder un autre est peut-être aussi vieux que l’humanité.Les civilisations les plus éloignées dont nous avons connaissance,parmi lesquelles l’Égypte ancienne, le pratiquaient déjà, et il n’est
Présentation
1. Rend un homme tellement propre à un autre homme : fait d’un homme la propriétéexclusive d’un autre.2. Le chevalier de Jaucourt (1704-1779) est l’auteur d’un quart environ (soit plus dequinze mille) des articles de l’Encyclopédie. À ce titre, il a été surnommé l’« esclavede l’Encyclopédie ».3. Droit naturel : droit fondé sur la nature des choses et leur finalité dans la nature,par opposition au droit positif qui découle d’une disposition législative et de lavolonté humaine.
PRÉSENTATION
10
pas interdit de penser que, dès la préhistoire, l’esclavage était enusage. Au XVIIe siècle, l’historien hollandais Grotius 1 le liait à laguerre, affirmant que les prisonniers de guerre, en échange de la viesauve, se mettaient au service des vainqueurs, acquittant ainsi enquelque sorte une dette envers eux. Cette servitude a même étéconsidérée par certains comme un progrès par rapport aux pra-tiques de sacrifice, voire d’anthropophagie, dont pouvaient être vic-times les combattants vaincus aux époques les plus reculées 2.
De fait, les récits historiques et littéraires témoignent abon-damment de ce type d’esclavage, notamment dans la Grèceantique 3. On sait ainsi que Sparte traitait ses esclaves, les ilotes,avec une extrême rigueur. Quant à Athènes, elle divisait la popu-lation en trois catégories, aux droits bien distincts : les citoyens,Athéniens de naissance ; les métèques 4, étrangers domiciliés dansla cité auxquels n’était pas reconnue la qualité de citoyen ; et lesesclaves, privés de tout droit, à commencer par la liberté. Dès cetteépoque, en raison du nombre important d’esclaves en Grèce, phi-losophes et législateurs tentent de définir le statut des esclaves 5
et la place qu’il convient de leur réserver dans la cité.La Rome antique développe considérablement la pratique de
l’esclavage. Sa politique expansionniste, en particulier sous la
1. Hugo De Groot, dit Grotius (1583-1645), est le premier théoricien du droit naturel.2. Voir Condorcet, p. 99. Voir également Robinson Crusoé, de Daniel Defoe (1660-1731) : Vendredi s’offre en esclavage à Robinson qui vient de le sauver des canni-bales, lesquels s’apprêtaient à le tuer.3. Dans l’Iliade, du poète Homère, c’est pour la possession de l’esclave Briséis, unejeune Troyenne enlevée à la suite du saccage de sa ville, qu’Achillle et Agamemnonmettent en péril l’issue de leur guerre contre Troie : le premier refuse de poursuivrele combat contre l’ennemi parce que son chef, Agamemnon, s’est approprié Briséis.4. Métèques : ce terme, rapporté à l’Antiquité grecque, désigne un statut au sein dela cité. De nos jours, le mot, a acquis une connotation proprement raciste et désignedes étrangers d’origine maghrébine résidant en France.5. Voir Aristote, p. 29, qui définit l’esclave comme « instrument » et « propriétévivante » de son maître.
C’ est à ce prix que vous mangez du sucr e…
11Présentation
République 1, nécessite une main-d’œuvre toujours plus impor-tante, que lui fournissent ses nombreuses conquêtes. Cependant,les prisonniers de guerre ne pouvant suffire à la tâche, les Romainsse procurent des esclaves par l’entremise des pirates ciliciens 2 quiapprovisionnent l’immense marché aux esclaves de l’île de Délos,en mer Méditerranée. Parmi cette main-d’œuvre réduite à la servi-tude, il faut aussi prendre en compte les verna, enfants de mèresesclaves et qui, comme tels, naissent eux-mêmes esclaves. Les attri-butions et statuts des esclaves peuvent être très différents : quoi decommun entre l’esclave unique d’un maître – homme à tout faire –et le travailleur des champs – propriété d’un riche patricien possé-dant douze ou quinze mille esclaves ? entre le cuisinier, le précep-teur, le cantonnier 3 et le gladiateur ? entre les esclaves « privés » etceux qui appartiennent à l’État ? Rien dans l’exercice de leurs fonc-tions, mais tout dans l’absence de droits qui régit leur existence. Ilsappartiennent à un maître qui dispose du droit de les châtier à saguise, voire de les tuer 4 ; les esclaves ne peuvent ni quitter l’emploiauquel on les destine, ni se marier, ni assister à l’ensemble des céré-monies religieuses réservées aux citoyens. Leur seule possibilitéd’échapper à leur sort réside dans l’affranchissement 5 que leurmaître peut daigner un jour leur octroyer 6.
Le monde antique intègre l’esclavage comme une donnée éco-nomique, sociale et politique incontournable, au point que nulle
1. Du Ve siècle av. J.-C. au Ier siècle apr. J.-C., le pouvoir de Rome opère la conquête pro-gressive de toute l’Italie, de la Sicile, puis de l’ensemble du bassin méditerranéen.2. La Cilicie était une province d’Asie Mineure correspondant de nos jours au sud-estde l’Anatolie (Turquie).3. Cantonnier : ouvrier en charge de l’entretien des routes.4.À condition, il est vrai, de présenter un motif « valable » à un tribunal, souvent peususceptible de s’intéresser à la question…5. Affranchissement : libération.6. Il existait pourtant une occasion particulière permettant temporairement auxesclaves de goûter à la liberté : les saturnales, jours de fête dédiés à Saturne,qui étaientune sorte de carnaval au cours duquel maîtres et esclaves échangeaient leurs rôles.
12
philosophie ne le remette en question. Tout au plus certains écri-vains, tel le philosophe stoïcien Sénèque 1, conseillent-ils de traiterles esclaves avec douceur et humanité. Mais, pour la plupart descontemporains de Sénèque, l’esclave est un simple facteur de l’éco-nomie agricole, qu’il convient de nourrir avec parcimonie et derevendre quand il devient trop vieux.
La Rome antique amplifie à tel point l’esclavage que, au fil dessiècles, les citoyens libres deviennent moins nombreux que leshommes qu’ils soumettent à la servitude… Il faut attendre leIIe siècle de notre ère pour que le nombre d’esclaves diminue. Maiss’il est en constante régression dans le Bas-Empire romain 2, il nedisparaît pas avec lui…
Le servage et la traite des Noirs
Avant même la naissance de l’Empire musulman au VIIe siècle,des marchands arabes ont entrepris d’acheter des Noirs sur lescôtes orientales de l’Afrique. L’essor du monde arabe (VIIe-VIIIe siècles), qui s’étend de l’ouest de l’Asie à l’Espagne, amplifie lephénomène, avec des besoins de main-d’œuvre croissants dans lesterritoires conquis. L’ Afrique noire apparaît comme un réservoirpropice : les esclaves en provenance d’Afrique subsaharienne sontacheminés en Afrique du Nord, en Espagne, en Sicile… Ainsi la
1. Voir p. 36.2. Bas-Empire romain : période de l’histoire romaine s’étendant de la mort de SévèreAlexandre (235) à la fin de l’empire d’Occident (476), caractérisée par l’éclatementde l’empire entre l’Orient et l’Occident, l’établissement d’un pouvoir impérial absoluet l’essor du christianisme.
C’ est à ce prix que vous mangez du sucr e…
13Présentation
traite des Noirs 1 commence avant même la conquête del’Amérique.
En Europe occidentale, à partir de l’an 1000, une autre forme detravail forcé remplace l’esclavage : le servage. Aux équipes d’es-claves qui travaillaient autrefois sur de grandes exploitations agri-coles se substituent des paysans non libres, répartis sur de petitsdomaines et dont les conditions de vie sont un peu meilleures.Cependant, le statut du serf se caractérise par une absence deliberté ; celui-ci n’a pas le droit de quitter la terre qu’il cultive pourun seigneur, dont il est la propriété. Le maître du domaine peut eneffet le vendre ou le léguer comme il le souhaite, et les enfants duserf lui appartiennent. Au cours du XIe siècle, des hommes d’ascen-dance libre, en quête de protection, s’agrègent au groupe des serfs,se retrouvant dans une relation similaire de dépendance à un sei-gneur. À partir du XIIe siècle, le servage tend à diminuer et à ne plustoucher que les paysans les plus démunis. La Révolution françaisel’abolit en même temps que les privilèges, la nuit du 4 août 1789,cependant il perdure en Europe de l’Est jusqu’au XIXe siècle.
C’est à la fin du XVe siècle, alors que l’esclavage tend à dispa-raître en Europe, qu’il réapparaît sous sa forme la plus inhumainedans les territoires nouvellement découverts par les Européens. Cesont les Espagnols, bientôt suivis des grandes puissances mari-times – le Portugal, la France, la Grande-Bretagne – qui entrepren-nent d’exploiter les richesses de ces terres (sucre, café, chocolat,tabac…). Ils commencent par faire travailler les Indiens qui viventdans les régions conquises, mais cette main-d’œuvre est insuffi-sante et supporte mal les conditions de travail ; en 1530, à la suitedes interventions de Bartolomé de Las Casas 2, moine dominicainespagnol, le roi d’Espagne interdit qu’ils soient réduits en escla-
1. Au sujet des traites arabo-musulmanes, voir également p. 75.2. Bartolomé de Las Casas (1474-1566) est l’auteur d’une Très Brève Relation de ladestruction des Indes. Pour approfondir ses connaissances sur ce défenseur des … / …
14
vage. Où trouver les travailleurs susceptibles de générer le plus deprofit, c’est-à-dire n’exigeant aucun salaire, dédiés corps et âme àla tâche qui leur est assignée et ne coûtant à leur employeur quele strict nécessaire pour assurer le renouvellement de leur forcede travail ? En un mot, où trouver les esclaves qui permettrontd’exploiter les richesses coloniales ? Réduire des chrétiens enesclavage, il ne faut pas y songer. L’Europe est chrétienne etl’Amérique fourmille de missionnaires dont le but est de conver-tir les populations locales à l’Évangile. L’ Asie est géographique-ment peu rentable. Reste donc l’Afrique. Une traite odieuse se meten place, qui sévit durant plus de trois siècles, et dont les enjeuxsont résumés dans la célèbre phrase que Voltaire met dans labouche d’un esclave mutilé rencontré par Candide au Surinam :« C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » Selon leschéma bien connu du commerce triangulaire, les bateauxnégriers 1 quittent l’Europe en emportant armes, vêtements,outils, bijoux de pacotille, etc. Ils se rendent en Afrique où ils tro-quent cette marchandise contre des esclaves (capturés le long descôtes d’Afrique occidentale ou à l’intérieur des terres par des tra-fiquants arabes ou africains), qu’ils emmènent ensuite enAmérique (Antilles, Brésil,Cuba…),dans des conditions inhumaines.Les esclaves sont alors échangés aux planteurs contre des denréescoloniales que les trafiquants rapportent dans les ports européenspour les vendre, moyennant des profits énormes, au terme d’un cir-cuit qui a duré environ dix-huit mois 2. Même si le calcul du nombretotal d’esclaves ainsi déportés est difficile à établir, une fourchettesitue ce nombre entre 15 et 30 millions d’individus pour la durée
… / … Indiens, on lira avec profit La Controverse de Valladolid, de Jean-Claude Carrière(GF-Flammarion, coll. « Étonnants Classiques », 2003). On pourra aussi visionner letéléfilm La Controverse de Valladolid (de Jean-Daniel Verhaeghe, sur un scénario deJean-Claude Carrière, 1992).1. Bateaux négriers : bateaux chargés de transporter des « Nègres », des esclaves.2. Voir aussi p. 63-64.
C’ est à ce prix que vous mangez du sucre…
15Présentation
totale de la traite, soit une moyenne de 50 à 100 000 esclaves paran durant environ trois cents ans, avec pour points culminants lesXVIIe et XVIIIe siècles.
RévoltesL’esclavage est fondé sur une violence faite par le maître sur
celui qu’il asservit. Elle génère en retour une violence de l’esclaveenvers son oppresseur. Violences isolées ou organisées, lesexemples sont fréquents de révoltes sanglantes menées par lesesclaves à l’encontre de leurs maîtres. Rome a connu plusieursgrandes guerres serviles 1 dont l’une, menée par Spartacus, l’amenacée dans son existence même 2. Pour preuve de la crainte queles esclaves inspirent, on peut évoquer les lois romaines, qui pré-voyaient des châtiments d’une grande cruauté pour les esclavescoupables de voies de fait sur leur maître : tuer son maître pouvaitentraîner la crucifixion du meurtrier ainsi que celle de tous lesesclaves de la maison, accusés de n’avoir pas su protéger la victime.
Les esclaves travaillant aux Antilles se sont également révoltésà de nombreuses reprises. Le plus souvent, la révolte se traduit parla fuite, ou marronnage, qui conduit les esclaves à s’échapper desplantations par petits groupes pour se réfugier dans les mon-tagnes où les risques d’être retrouvés sont minimes. Là, ils sur-vivent comme ils peuvent ; et il arrive que les marrons s’organisent,comme ce fut le cas à Saint-Domingue en 1757 : un esclave enfuite, Macandal, regroupe les bandes de marrons pour tenterd’empoisonner les points d’eau de l’île. Capturé l’année suivante,Macandal est mis à mort 3.
1. Voir chronologie p. 22.2. Voir p. 127.3. Voir p. 148.
16
Les révoltes ont parfois lieu à bord des navires négriers eux-mêmes, sous forme de mutineries. Elles sont certes rares, comptetenu de l’étroite surveillance qu’exerce l’équipage, mais elles mar-quent les esprits. Dans une nouvelle intitulée Tamango 1 écrite en1829, Prosper Mérimée relate une insurrection tragique à bordd’un négrier : le dénouement n’est pas sans rappeler le naufragede la Méduse, immortalisé par le célèbre tableau de Géricault 2. Dixans plus tard, en 1839, un négrier espagnol, l’Amistad, connaît unerévolte très proche de celle racontée par Mérimée, mais dont la finest plus heureuse : après avoir tué le capitaine et erré deux moisen mer, les mutins de l’Amistad sont recueillis par un navire amé-ricain. Envoyés aux États-Unis, pays esclavagiste mais ne prati-quant pas la traite, jugés pour mutinerie et assassinat, ils sontfinalement innocentés. Le procès des mutins de l’Amistad, quandil a lieu, vient à point nommé alimenter le débat virulent quioppose alors, en Europe et en Amérique, esclavagistes et aboli-tionnistes 3.
Précurseurs et auteurs de l’abolition
Au regard des siècles durant lesquels l’esclavage a eu cours,l’idée de son abolition est plutôt récente et n’a progressé que timi-dement. Certes, les esclaves révoltés cherchent à s’affranchir eux-
1. Voir p. 77.2. En 1816, un navire français, la Méduse, fait naufrage au large de Madagascar. Despassagers errent plusieurs jours en mer avant d’être sauvés : quinze survivants àpeine pour cent quarante-neuf passagers. Le peintre Théodore Géricault en tira uncélèbre tableau, en 1819, intitulé Le Radeau de la Méduse (musée du Louvre).3. De cet épisode le cinéaste Steven Spielberg a tiré un film, Amistad (1997).
C’ est à ce prix que vous mangez du sucr e…
17Présentation
mêmes du joug que leurs maîtres font peser sur eux, mais l’idéed’abolition a ceci de différent qu’elle émane également d’individuslibres, pour qui l’asservissement d’êtres humains au nom du pro-fit ou du confort d’autres hommes est philosophiquement etmoralement inacceptable. Remis dans son contexte historique,l’abolitionnisme revendique la supériorité du droit naturel sur leslois en vigueur (droit positif) : on ne s’étonnera pas que la premièretentative d’abolition de l’esclavage par un État qui le pratiquait aitété faite dans le cadre de la Révolution française.
En effet, avant le siècle des Lumières, rares sont les voix quis’élèvent, en Europe, pour dénoncer l’esclavagisme pratiqué par laplupart des grandes puissances. Outre Las Casas, déjà cité, on peutmentionner un autre religieux espagnol, Bartolomé de Albornoz,qui, dès 1573, condamne formellement la traite des Noirs. Il fautattendre le milieu du XVIIIe siècle pour que la philosophie euro-péenne prenne en compte les millions d’esclaves déportés, exploi-tés et tués à la tâche depuis plus de deux siècles.
Le mouvement abolitionniste naît d’un constat qui n’a rienperdu de sa force aujourd’hui : une petite partie de l’humanité abâti sa prospérité sur la souffrance du plus grand nombre. Or l’hu-manité est une et indivisible ; tous les hommes ont les mêmesdroits, quelles que soient leur origine, leur couleur et leur religion.L’ironie de Montesquieu 1, les démonstrations rationnelles deRousseau et de Condorcet 2, l’indignation de Thoreau 3, la compas-sion de Victor Hugo 4 ne disent pas autre chose. Priver un hommede sa liberté, c’est insulter l’humanité tout entière. La Déclarationdes droits de l’homme et du citoyen de 1789 porte dès l’article pre-mier une condamnation formelle et définitive de l’esclavage :« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
1. Voir p. 95.2. Voir p. 43 et p. 99.3. Voir p. 84.4. Voir p. 87.
18
droits », relayée par l’article 4 : « La liberté consiste à pouvoir fairetout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturelsde chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autresmembres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » Mais del’affirmation d’un principe à son exécution, le chemin est souventlong et ardu…
L’esclavage,un problème résolu ?
L’exemple de la France suffirait à le montrer : les principes de jus-tice ont souvent du mal à s’affranchir des intérêts économiquesauxquels ils peuvent nuire. Le 4 février 1794, la France abolit l’es-clavage. Elle le rétablit dans toute sa rigueur, Code noir 1 compris,en 1802, par la volonté de Bonaparte, Premier consul. Il fautattendre le 27 avril 1848 pour que Victor Schoelcher 2 fasse signerle décret qui met fin à l’esclavage pratiqué par la France dans sescolonies. Dans les autres pays, la décision n’est pas plus rapide.L’ Angleterre et les États-Unis, au nom des principes de liberté,condamnent la traite des Noirs et se donnent même le droit d’ar-raisonner en mer les navires transportant des esclaves. Ce qui ne lesempêche pas de pratiquer l’esclavage jusqu’à une date assezrécente : 1833 pour l’Angleterre, et 1865 pour les États-Unis ; l’en-jeu était tel dans ce pays qu’il fut le motif principal de la guerrecivile, ou guerre de Sécession 3, entre États abolitionnistes du Nordet États esclavagistes du Sud.
1. Code noir : édit du roi Louis XIV qui réglemente l’esclavage en Amérique.Voir p. 47.2. Voir p. 114.3. Voir p. 123.
C’ est à ce prix que vous mangez du sucr e…
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