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1 COMBET Yoann Licence 3 de Sociologie Année 2012- 2013 Les doubles vies : L'Homme comme définition de l'inconstance. T.E.S réalisé sous la direction de Martine Xiberras

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COMBET Yoann

Licence 3 de Sociologie

Année 2012- 2013

Les doubles vies :

L'Homme comme définition

de l'inconstance.

T.E.S réalisé sous la direction de Martine Xiberras

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Sommaire

– Introduction - p.4

- Chapitre 1 : Jusqu'où la nature nous détermine ? - p.8

1. .Sommes-nous possédés par nos gènes ? - p.8

a) Du besoin au plaisir - p.8

b) Les rouages du cerveau selon Mac Lean - p.9

c) Chimie et sentiments - p.10

d) Possédés par nos gènes ? - Oui et Non - p.12

2. L'éveil à la culture - p.13

a) La théorie - p.13

b) La pratique dans nos cultures occidentales - p.14

– Chapitre 2 : Du côté des sciences humaines - p.17

1. Les chocs de la modernité - p.17

a) De l'écriture comme fondation de la morale - p.17

b) Les conséquences du capitalisme industriel et de l'urbanisation sur la famille - p.18

c) L'évolution du mariage - p.19

d) Une famille bouleversée ? - p.22

2. Les nouveaux couples - p.23

a) L'arrivée au pouvoir d'un nouveau dictateur - p.23

b) L'ère du flou - p.26

3. De l'usure dans le couple et la famille - p.29

a) Les effets pervers de « l'extimité » - p.29

b) La connaissance de l'autre et la construction des habitudes - p.32

c) Conclusions sur l'usure - p.35

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– Chapitre 3 : Du côté de la psychologie (Terrain) - p.40

1. Questionnaire - p.40

2. Entretien - p.42

– Conclusion générale - p.50

– Bibliographie – p.52

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Introduction

« Il faut quitter le calme rassurant des utopies et des prophéties, fussent-elles catastrophiques, pour

descendre dans le mouvement déconcertant mais réel, des relations sociales. » Alain Touraine

Rien de plus dramatique que d'être un adulte ! Cela nous invite dans nos sociétés occidentales à

bien des compromis et bien des sacrifices. Les jeunes retardent toujours plus loin le moment où ils

franchissent ce cap, les voilà adulescent, à essayer de gagner du temps.

Comparons la vie sociale à un grand théâtre. Nous y jouons une représentation quotidienne, acteur et

spectateur à la fois :

Être adulte est tout d'abord un « rôle » taillé sur mesure, orchestré et mis en scène par nos mœurs, nos

valeurs, nos codes culturels. Le public a donc une attente. Il vérifie en bon critique, et souvent d'un œil

sévère, que la pièce se déroule à merveille suivant le bon sens de son temps.

Sur les planches, les projecteurs éclairent les moindres détails. La tension est palpable. Une telle

pression sociale s'exerce sur nos jeunes acteurs qu'ils sont obligés de jouer leur rôle à la perfection.

Alors retentirons les applaudissements, fleuriront les sourires complices et les poignées de main

chaudes synonymes d'acceptation et d'ascension sociale. Mais pour les improvisateurs, les clowns et les

déviants, le public réserve alors les œufs et les tomates pourris. Tout ce qui tâche, pour que ce que l'on

juge peu reluisant le soit encore moins. Être adulte, c'est être sérieux, c'est un grand rôle de

composition dans la plus pure des traditions.

La tradition, un mot qui fait pâlir la modernité et vice versa. Pas étonnant alors que beaucoup

d'individus, perdus entre ces deux directions, préfèrent jouer une partie de leur vie derrière le rideau

plutôt que sur les planches. Derrière le rideau, protégé d'une morale qui ne convient plus à son époque

et que nos valeurs ont rendu inquisitrice.

Derrière le rideau, c'est le tabou, le secret, loin des regard et des projecteurs. « Pour vivre heureux,

vivons cachés. » écrivait Jean Pierre Florian, écrivain français du XVIème siècle.

Une hypothèse qui tend à se vérifier encore à notre époque. C'est dans la recherche de leur propre

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bonheur, fusse-t-il furtif ou sur le long terme, que les adultes expérimentent l'adultère.

Le rapprochement lexical entre adulte et adultère est tentant, le lien semble évident tant la ressemblance

est frappante mais il n'en est rien.

Adultère ne vient pas du mot adulte, il vient du latin Adultarere, qui signifie « aller vers l'autre ». Une

signification paradoxale quand on connaît la connotation individualiste que l'adultère revêt.

D'un autre côté , les racines du mot adulte lui prêtent les sens suivant : « aller vers le développement ».

Voici une définition contemporaine de l'adultère : « acte de rupture de la fidélité conjugale » ou encore

« personne qui rompt volontairement la fidélité dans un couple en ayant des rapports sexuels avec une

autre personne que son conjoint. »

L'adultère est considéré comme un « mal » très répandu chez les adultes notre époque, une maladie

infectieuse qui se transmet de générations en générations depuis des siècles. Les hommes accusent les

femmes d'en être la cellule souche et les femmes prétendent l'inverse et en font une tare typiquement

masculine. Quel dialogue de sourd que cette sempiternelle guerre des sexes où les uns oublient qu'ils

ont besoin des autres pour l'adultère existe.

Le sujet est pourtant rodé, combien de livres, films et émissions télévisuelles traitent de l'adultère !

Quel intérêt alors à ajouter une recherche supplémentaire ?

L'intérêt réside dans le fait qu'il existe une forme d'adultère dont on parle peu : un modèle plus

complexe et insidieux qui nécessite une discrétion totale tant ses répercussions peuvent êtres

importantes et irrémédiables.

Il arrive que l'adultère ailles plus loin qu'une simple interaction ponctuelle avec une maîtresse ou un

amant. Il peut prendre la forme d'une liaison secrète qui implique une vie commune, qui donne

naissance à un enfant et qui aboutit à la création d'un deuxième foyer distinct et caché. On pourrait le

nommer « Adultère 2.0 ».

L'usage du terme résolument post-moderne n'entend pas souligner le caractère nouveau de ce fait

social, car les doubles vies sont répandues depuis des siècles, mais le fait que la trahison implique un

nombre de personne plus important. Une fois découverte, elle n'est plus ressentie essentiellement par le

conjoint initial, mais par l'ensemble du foyer d'origine, ce qui la rend encore plus socialement

inacceptable dans nos sociétés occidentales monogames.

Ce fait social est donc encore vécu à l'ombre du rideau, loin des projecteurs, car il engendre beaucoup

plus de peines, de honte et d'incompréhension chez ceux qui le vivent qu'un adultère ordinaire.

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Loin de juger sa gravité, la présente recherche vise à en établir les causes. Qu'est qui pousse un homme

ou une femme à fonder secrètement un deuxième foyer ? Quels sont les facteurs explicatifs de

l'inconstance des individus dans leurs relations sociales ?

Arriver à repérer le plus de causes et d'explications différentes à ce phénomène va nous amener à

multiplier les points de vue et disciplines. Cette étude sera donc non linéaire, et ce choix est justifié par

l'usage de la méthode complexe du sociologue Edgar Morin, qui considère que c'est au croisement de

l'interdisciplinarité qu'il faut chercher, que c'est au cœur des paradoxes que l'on trouve, non pas la

vérité, mais la réalité.

Afin de dresser une liste potentielle de ces causes, nous suivrons un schéma relativement simple

:

Nous établirons dans une première partie un cadre théorique, un panorama intellectuel des thèses,

recherches, constatations et spéculations sur le sujet à travers l'étude d'ouvrages.

Nous nous intéresserons dans un premier chapitre aux lois qui régissent la nature humaine en ce qui

concerne la reproduction de son espèce et les interactions basiques avec ses semblables. Tout ce qui est

relatif au déterminisme génétique et biologique pour ainsi dire. Quelle est la place de nos instincts dans

nos relations sociales ?

Puis nous aborderons, dans tout ce qui est culturellement construit par l'homme, ce qui peut pousser

l'homme à fonder un nouveau foyer. Nos modèles et valeurs sont en constantes mutations.

Cette seconde partie oppose donc des notions de monogamie, de fidélité, d'amour, de famille, aux

transformations sociétales modernes, à la polygamie, aux passions, au temps, à l'individualisme et à

l'hédonisme.

Le chapitre 3 sera le compte rendu d'un entretien avec une psychologue de la famille et du couple,

interrogée via les présupposés issus de notre cadre théorique à donner son expertise sur le sujet.

En conclusion, nous confronterons notre cadre théorique à l'entretien, afin d'en tirer des récurrences,

des différences et de nouveaux points de vue dans le but de compléter et d'affiner notre analyse du

sujet. Nous ferons également le bilan de ce mémoire.

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Chapitre 1 : Jusqu'où la nature nous détermine ?

Ce chapitre va servir de socle au développement de cette étude, il est nécessaire de comprendre

les bases de l'argumentaire afin d'en appréhender la suite dans les meilleures conditions.

En tant qu'animaux et non individus civilisés, y-a-t-il des lois qui régissent nos comportements sexuels

? Où se situe la mince frontière entre instinct et culture ? De quelle manière s'imbriquent nature et

culture dans la régulation de nos interactions ?

1. Sommes-nous possédés par nos gènes ?

a) Du besoin au plaisir

Le Psychologue américain Abraham Maslow en 1943 établit une pyramide à cinq niveaux où

sont hiérarchisés les besoins de l'homme. À la base de son schéma, soit le socle de la pyramide, on

retrouve les besoins primaires ou physiologiques : manger, boire, dormir, respirer et le besoin de

sexualité (à des fins reproductives ou non).

Notre sexualité de base renvoie à un besoin qui demande à être comblé et aucune règle spécifique ne

détermine son déroulement ni le choix du partenaire.

Ainsi, rien n'oblige un homme à être sexuellement fidèle à un semblable (quel que soit son sexe), la

monogamie n'a donc rien de naturel et Remy de Gourmont dans son ouvrage Physique de l'amour, le

pointait déjà du doigt en 1903 :

« Il n'y a d'animaux monogames que ceux qui ne font l'amour qu'une seule fois dans leur vie (...) Il y a

des monogamies de fait; il n'y en a pas de nécessaires, dès que l'existence de l'animal est assez longue

pour lui permettre de se reproduire plusieurs fois. » p.11

En outre, nous partons ici d'un constat et non d'une spéculation, l'espèce humaine se distingue par ses

caractéristiques morphologiques, à savoir la taille des organes génitaux, des seins et la multiplicité des

zones érogènes. Pour elle, le plaisir continue là où la reproduction s'arrête :

« La sexualité nous procure un sentiment de bien-être que nous sommes naturellement disposés à

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rechercher (...) Au-delà d'une simple logique de procréation, l'évolution de ces caractères est très

certainement à lier aux avantages que la sensation de plaisir sexuel a pu procurer dans le contexte

social qui a présidé l'évolution des hominidés. » p.275 Franck Cezilly Le paradoxe de l'hippocampe

Une brève incursion dans le domaine de l'éthologie, soit la science qui étudie le comportement des

animaux dans leur environnement naturel, nous apprend que le seul comportement sexuel inhibé est

celui de l'inceste (Cette inhibition disparaît d'ailleurs quand les animaux sont enfermés : cage, cirque,

zoo). Ainsi, tous les autres comportements sexuels sont libres de s'exercer librement, sans possession,

honte ni jalousie aucune. C'est ce plaisir, recherché et engendré, qui accompagne et guide l'homme dans

son évolution, faisant de lui une espèce aux caractéristiques prononcées.

Par ailleurs, nous pouvons faire une homologie de l'homme avec le singe bonobo, chez qui le sexe a un

pouvoir relaxant et un rôle d'apaisement social.

Le comportement sexuel naturel de l'homme est donc gouverné par le besoin de se reproduire et la

recherche du plaisir sexuel. Aucune autre règle, à part l'inceste hors captivité, ne vient l'entraver.

b) Les rouages du cerveau selon Paul Donald Mac Lean

Continuons notre tour d'horizon des sciences dures. Nous ne pouvons parler de l'être humain et

de ses conduites basiques sans porter un intérêt particulier à son cerveau.

Paul Donald Mac Lean, médecin et neurobiologiste américain établit en 1963 la théorie du cerveau

triunique, qui remporte l'adhésion de nombreux scientifiques. Aujourd'hui, certains de ses aspects sont

critiqués par la communauté scientifique sans que ses bases soient remises en cause.

Selon Maclean, notre cerveau serait constitué de trois structures internes distinctes, correspondant à

plusieurs phases de notre évolution :

– Le cerveau reptilien (ou primitif): datant de 400 millions d'années. Il assure l'autoconservation, la

satisfaction des besoins primaires cités plus haut et la défense du territoire (agressivité). C'est le

siège des pulsions et des instincts, il privilégie l'odorat aux autres sens. Il fonctionne par habitude,

c'est à dire qu'en réponse à un stimulus extérieur particulier, il donnera toujours le même

comportement stéréotypé.

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– Le cerveau des anciens mammifères (ou système limbique) : datant de 65 millions d'années qui est

le siège des affects, des émotions et de la mémoire. Il catalogue ce qui est gratifiant ou non dans ses

expériences et en tire des certitudes. Il permet donc la croyance, la foi, l'affectivité et le sens de la

famille. Il privilégie l'audition.

– Le néocortex : apparu il y a 3,6 millions d'années suite à la station debout de l'homme. Il permet le

raisonnement logique, l'anticipation et la prise de décision. C'est l'esprit rationnel et calculateur. Il

pourrait être froid et insensible sans les lobes frontaux, partie constituante du néocortex, qui nous

permet de développer l'altruisme, l'empathie et le sentiment de responsabilité. Les lobes frontaux

sont pour beaucoup de scientifiques ce qui nous différencie vraiment des autres animaux. Il

privilégie la vision.

Nous voilà un peu plus éclairé sur le sujet, mais quel est donc le rapport entre l'architecture

fonctionnelle du cerveau et l'adultère ?

Là où cette théorie devient intéressante, c'est que ces trois structures fonctionnent en relative

interdépendance dans le traitement des informations, sans que l'une prenne systématiquement le dessus

sur l'autre. Ainsi, il n'existerait pas de souveraineté du rationnel sur l'affectivité, mais des hiérarchies en

permanentes mutations, où nos instincts les plus bestiaux vont contrôler notre intelligence pour réaliser

ses finalités. Nous pouvons par là même nous persuader, tromper nos sentiments et affections, dévier

du bon sens et de la logique pour répondre à un besoin que nous commande notre cerveau reptilien.

c) Chimie et sentiments

Outre la théorie de Mac Lean, il est également important de s'intéresser aux recherches en

biochimie et bio neurologie : Comment notre cerveau et nos glandes agissent sur notre corps ?

Prenons-les comme des usines à créer des messages. Les messages du cerveau sont des

neurotransmetteurs, soient des molécules produites par des cellules de notre système nerveux, les

neurones. Quant aux glandes, ce sont des organes spécialisés dans la production d'hormone. Ces

hormones évoluent dans le corps via la circulation du sang et la lymphe. Ce sont-elles qui permettent la

communication entre le cerveau et les autres organes.

Ainsi, quelles influences ces informations peuvent-elles avoir sur nos mécanismes relationnels ?

Comment peuvent-elles expliquer le choix du partenaire chez les hommes ? L'attachement qu'ils

peuvent se vouer ? Le plaisir procuré par ces relations ? Et bien sûr, ce qui peut les pousser à multiplier

les partenaires ?

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Dans presque toutes les espèces animales, les individus échangent des phéromones, ou hormones

sexuelles, des substances chimiques, trésor d'informations, qui se détectent grâce à un organe situé sous

la surface intérieure du nez. Elles jouent un rôle déterminant dans l'attraction sexuelle et le choix du

partenaire.

Ainsi, lorsqu'une rencontre se déroule bien, ces signaux peuvent provoquer chez les deux individus la

libération par le cerveau de substances chimiques sources de plaisir qui peuvent mener à leur

accouplement, puis avec le temps créer de l'attachement et des sentiments.

Le désir de l'autre est engendré par la dopamine, qui donne l'envie et galvanise l'énergie. L'intimité et

l'attachement sont construites grâce l'ocithocyne, qui permet la détente et anime notre confiance en le

partenaire. C'est d'ailleurs la même hormone qui est responsable du lien très fort entre la mère et son

nouveau-né.

L'orgasme est lui aussi libérateur de substances : endorphine, sérotonine et anandamine. Un cocktail

apaisant que le cerveau ne cesse de chercher à reproduire. Guère étonnant alors que notre reproduction,

qualifiée de besoin précédemment, soit intiment liée à la reproduction de ce cocktail explosif, véritable

dose de bien-être. Nous revenons toujours au même point, la recherche du plaisir et la perpétuation de

notre espèce.

Toutes ces substances sont souvent comparées à des drogues telles que le cannabis et l'extasy, tant elles

procurent à nos cerveaux des tempêtes sensorielles et orgasmiques.

Il est rare de parler de drogue sans parler d'addiction. Ces hormones peuvent être créatrice d'addiction à

un partenaire, qui entraîne alors passion, attachement et parfois fidélité.

Mais que faire lorsque les doses diminuent ? Lorsque l'ocithocyne commence à faire défaut et que la

relation de couple n'en fournit plus autant qu'avant ? L'individu peut alors chercher chez un autre

partenaire les sensations et le bien être perdu.

Lors d'un adultère, du point de vue des procédés chimiques évoqués, on peut parler d'un manque que le

partenaire trompé ne peut plus combler, d'une addiction au sexe et aux plaisirs des relations.

Un junkie en manque peut être prêt à tout pour avoir sa dose, même à ce qui est moralement

inacceptable.

Rappelons également à titre d'information que les phéromones sont captées et identifiées par un organe

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situé dans le nez, et que le sens privilégié par notre cerveau reptilien est l'odorat.

d) Possédés par nos gènes ? Oui et non.

Besoin, plaisir, instinct, perpétuation de notre espèce...si l'homme n'était que cela, vous ne seriez

pas en train de lire ces lignes. Le problème de l'adultère ne se poserait même pas.

Nous ne pouvons pas nier le pouvoir que nos gènes exercent sur nous, mais pour avoir une vision

globale de la situation, il faut inverser la vapeur : nous exerçons également un pouvoir sur nos gènes,

et ce par le fait même de notre évolution, faîte d'interactions, de langages et d'expériences. Laissons

maintenant nature et culture s'interpénétrer :

« Nous avons bien entendu,, un héritage génétique, mais nous possédons ces gènes qui nous possèdent

(...) Avec le progrès de la biologie, nous sommes même capable de contrôler nos gènes. Finalement,

nous sommes devenus plus puissants que nos gènes. Nous savons que ce sont nos expériences ou nos

cultures qui permettent l'expression de certains gènes ou l'inhibition de certains autres. » p.30 Edgar

Morin Dialogue sur la nature humaine

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2. L'éveil à la culture

a) la théorie

« Je pense à Paul Valéry, qui lui, parlait de 2ème naissance de l'homme, la naissance parolière après –

est rendue possible par la naissance biologique. L'homme naît d'abord, puis il naît à la condition

humaine. » p.23 Boris Cyrulnik

Les jeunes parents attendent toujours avec fébrilité les premiers mots de leurs enfants. Non pas

que les gazouillis des nourrissons soient déplaisants, mais un mot : suite logique et construite de

gazouillis qui fait sens, a une signification et une résonnance profonde pour les géniteurs. « Enfin ! Il

est normal, il parle ! » C'est l'éveil au langage, à la communication, à la transmission par les parents des

valeurs familiales et de tout ce qui constitue la culture de la société où l'enfant va évoluer : ses règles,

ses valeurs, ses mœurs, ses lois, ses représentations, son imaginaire.

Une deuxième naissance comme le disait Paul Valery, l'accès à un monde symbolique qui n'a de sens

que dans l'esprit de ceux qui le peuplent :

« La parole, c'est à la fois merveilleux et terrible (...) En effet, dès l'instant où l'on devient capable

d'habiter le monde virtuel – qu'on invente avec nos récits – on peut très bien se haïr et désirer

logiquement se tuer, pour l'idée que l'on se fait de l'autre et non pour la connaissance que l'on en a. À

cet instant, on échappe aux mécanismes régulateurs de la nature et on devient complétement soumis au

monde que l'on crée (... )le plus moralement et logiquement du monde(...). » P.33-34 Boris Cyrulnik

Nous étions déterminés par la nature, nous voilà à présent normalisés par nos cultures. Par ce qu'il est

bien ou mal de dire, de faire, et plus insidieux : de penser. Ainsi fleurissent nos modes de vivre

ensemble, de s'accoupler, de s'habiller, de s'alimenter.

C'est le prix d'une vie en société, mais il est nécessaire de rappeler qu' «un homme (dont le cerveau est

capable de vivre dans un univers imperçu) qui se trouve privée d'altérité humaine, ne peut développer

ses promesses génétiques. » p.25 Boris Cyrulnik

Nature et culture se retrouvent encore une fois étroitement liées, nous pourrions même parler ici de

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dépendance : Les individus doivent se conformer aux normes sociétales pour assouvir leurs besoins et

envies naturelles et ne pas vivre seul. L'apprentissage des codes sociaux va réguler voir modifier ces

mêmes besoins et envies.

Aucune société ne peut prétendre à la perfection en la matière, mais l'homme en s'adaptant à elle nous

prouve que le déterminisme génétique n'est pas une fatalité :

« Je me range volontiers è l'avis de l'épistémologue autrichien Franck Wuketits, qui refuse

l'assimilation du déterminisme génétique à un fatalisme. Selon lui « La fabrication de notre destin est

effectivement contrainte par notre passé évolutif – mais elle n'est pas complétement déterminée par ce

passé du fait que notre cerveau flexible nous offre la capacité d'apprentissage. ».» p275 Franck Cezilly

Le paradoxe de l'hippocampe

b) La pratique dans nos cultures occidentales

« L'avantage de la néoténie (lenteur extrême de développement) est que l'homme peut biologiquement

continuer à façonner son cerveau, sous l'effet des pressions de l'environnement (...) un petit d'homme

qui arrive au monde ne peut devenir qu'un homme (puisqu'il a un programme génétique d'homme) et

milles hommes différents selon son façonnement affectif, maternel, familial et social. » p.24-25 Boris

Cyrulnik

Nous voilà mille hommes différents selon nos origines géographiques et sociales. Nos coutumes

exaltent, contraignent ou modifient notre nature.

En matière de reproduction et d’organisation sociale, les cultures occidentales prônent la monogamie.

Sa prédominance est récente dans l'histoire de l'humanité, elle est liée à l'institutionnalisation du

mariage, pilier des sociétés où l'économie se base sur la diversification des tâches.

Qui dit monogamie dit fidélité. L'individu qui a acquis ce comportement par l'apprentissage de sa

culture jusqu'à l'assimiler comme un comportement naturel devrait, logiquement, se contenter d'un seul

partenaire.

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Mais la réalité se trouve être bien différente, la fidélité sexuelle est loin d'être absolue. Il faut apprendre

à découpler la monogamie sociale de la monogamie sexuelle. Le succès de la monogamie sociale ne

reflète en rien la fidélité sexuelle.

Il existe ici une lutte sans merci entre culture et nature, auquel s'ajoute un troisième participant non

négligeable : le libre-arbitre.

« Quand bien même son destin biologique serait d'être polygyne, l'espèce humaine peut toujours se

réserver le droit d'en changer(ou pas). » p275

Un libre-arbitre de moins en moins bâillonné par la morale, et qui s'exprime de façon croissante avec le

temps qui passe. Chacun prétend au droit de choisir ce qui lui plaît et de renoncer au désagréable, ce

qui peut poser problème quant au principe de démocratie et de vivre ensemble.

Et pour cause, notre culture dans l'ère post-moderne est soumise à d'intenses mutations : la libération

sexuelle, l'individualisme, l'hédonisme et la pornographie en sont des facteurs puissants.

Le culte du plaisir galvanise une tendance naturelle à la jouissance que l'individualisme tourne en un

droit et devoir personnel. Il suffit de noter l'évolution de l'érotisation et son rôle quasi-permanent dans

nos rapports sociaux : Afin d'illustrer cette érotisation constante, prenons l'exemple de la place qu'elle

tient au cœur même de nos médias. Les produits vantés par les publicités tendent à provoquer un désir

presque charnel, une excitation presque sexuelle chez celui qui va les consommer. Regardez donc une

actrice de publicité se délecter, presque indécemment, d'un simple yaourt allégé, qui lui permettra

d'éviter tout poids superflu et de rendre sa silhouette désirable par le plus grand nombre, afin d'être elle-

même consommée.

« Cette érotisation, fruit de notre évolution biologique, a été très largement modelée par la culture au

point de nous rendre plus ou moins dépendant de la sensation de plaisir procuré par l'activité sexuelle.

Or, comme toute addiction, la dépendance au sexe peut également entraîner une habituation qui

commande d'augmenter la force de la stimulation pour maintenir la sensation de plaisir à un niveau

constant. » p.276

Ce qui peut expliquer que certains se lassent plus ou moins vite d'avoir à partager leur sexualité avec un

seul et même partenaire.

Maintenant que nous avons expliqué les relations qu'entretiennent nature et culture, nous allons nous

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tourner vers les mutations sociétales et les causes multifactorielles qui amènent les individus à avoir

des doubles vies familiales. L'évolution de nos mœurs conjugales est très lente, elle avance masquée,

car à part la recherche du bonheur et du plaisir, plus rien ne les guide :

« Je parlerai plus volontiers d'un fossé qui va en s'élargissant entre les valeurs et les comportements.

Les valeurs ne sont plus des orientations stables pour l'action, mais la marque d'une nostalgie. Les

individus vivent de plus en plus au jour le jour, sans projets à long terme. » p196 Bernadette Bawin-

Legros Le nouvel ordre sentimental

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Chapitre 2 : Du côté des sciences humaines

Notre univers social est façonnable, soumis au changement génération après génération. Nos

institutions traditionnelles n'arrivent pas à suivre le rythme parfois effréné des mutations sociétales

modernes. Si la modernité est synonyme de changement, qu'a-t-elle modifié dans nos conceptions de la

famille, du couple, de la fidélité, de l'amour et de la sexualité ?

Ces bouleversements peuvent-ils être à même d'expliquer le phénomène de double vie que nous

étudions ?

1.Les chocs de la modernité

Ces profonds changements en occident peuvent s'expliquer par de nombreux chocs ou

révolutions, menant à des sociétés modernes, développées et organisées. Parmi les plus importants,

nous pouvons citer le développement de l'écriture, la montée de l'État, l'expansion du capitalisme

industriel, la colonisation et l'urbanisation.

a) De l'écriture comme fondation de la morale

Le développement de l'écriture a permis d'imposer un ensemble de règles tant aux sociétés

européennes qu'aux sociétés colonisées. L'imprimerie a dopé et accéléré ce processus par

l'intermédiaire d'ouvrages religieux, de textes de lois, de manuels scolaires, des journaux. Il s'est initié

alors « une homogénéisation entre cultures, tandis qu'un fossé se creusait, selon les groupes et les

classes sociales, entre norme et pratique et entre les différents degrés d'acceptation de la norme. » Jack

Goody p.8 Histoire de la Famille

La morale ainsi diffusée s'érige tel un modèle triomphant et totalitaire, et fait fi des particularités

propres à chaque culture, dans sa propension inaltérable à avoir raison. Difficile pour beaucoup alors de

vivre sa vie selon ses convictions sans se heurter au mur lisse et propre de la moralité, sur lequel rien

n'a de prise à part le temps qui passe.

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Éric Blondel dans son étude de Par delà le bien et le mal de Nietzsche dira de la morale qu'elle est « un

phénomène social, (...) une induction, une généralisation des mœurs du petit coin de terre dans lequel

nous habitons, des faits sociaux limités. De ce fait, son universalisation est mensongère. (...)On

généralise quelque chose qui est purement des réalités naturelles et sociales, donc particulières. » p.8

L'écriture, plus encore que la tradition orale, a fondé la morale et « Fonder, c'est donner un caractère

absolu. Donc c'est refuser de s'interroger sur la morale comme étant un problème. Elle n'est qu'un

simple travestissement, une expression de la morale dominante. Elle est une façon d'entériner cette

dernière dans le petit monde où l'on habite et où l'on pense. » Eric Blondel, p.8

Selon Nietzsche, la morale est une maladie dont le symptôme est de freiner, de réguler l'expansion de la

vie ; ou encore une volonté de puissance comme principe d'organisation de la vie.

En conséquence, quoi de plus naturel chez l'homme vivant et en bonne santé que de s'en détourner

quand celle-ci cherche à l'aliéner et gommer ses particularités. Avoir une double vie peut être alors

interprété comme une volonté d'échapper à la morale tout en évitant son courroux par le biais du

secret.

b) Les conséquences du capitalisme industriel et de l'urbanisation sur la famille

L'expansion du capitalisme industriel « gonfle les villes et vide les campagnes en faisant du

ménage avant tout une unité de consommation, semble imposer surtout le modèle nucléaire.» p.685

Histoire de la famille

Un modèle nucléaire : un père, une mère, des enfants qui signe l'extinction des grands groupes de

parentés tels la lignée et le clan. Le volume et la taille des ménages s'en trouvent réduits, et le nombre

d'enfants diminue également grâce au déclin de la mortalité infantile et à la contraception.

Nous nous éloignons de plus en plus des campagnes et des grands domaines familiaux. Les grandes

villes deviennent des pôles d'activités et d'échange très intenses, où l'espace doit être organisé et divisé

en parcelle autonome ou interdépendante pour permettre le bon fonctionnement de la cité.

Nos relations sociales et foyers familiaux finissent par adopter ce modèle où l'autonomie est reine. Les

individus deviennent des pièces détachées des capitales, des rouages de machine et n'appartiennent plus

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autant aux grand groupes familiaux, n'y jouent plus les mêmes rôles.

La hausse de la durée de vie a également contraint les états à organiser des modes de prises en charge

des personnes âgées. Avant les membres des familles étaient physiquement proches, par égard pour

l'héritage des anciens et la transmission du capital familial.

Aujourd'hui, les personnes âgées ont tendance à avoir un revenu propre, il y a moins de dépendance

entre les membres des familles.

Nos familles et leurs membres sont donc divisés, ce qui permet à chacun de vivre dans l'indépendance,

et cette indépendance est synonyme de liberté, où l'individualisme peut se développer à souhait :

« Paris semble être la capitale de la solitude, puisque la proportion de solitaires y est d'un ménage sur

deux. » p.645 Histoire de la famille

Les grandes villes françaises sont organisées dans l'ensemble selon le modèle socialiste des

communautés mixtes. Ainsi, le foisonnement et le flux démographique des cités multiplient les

opportunités de rencontres entre individualité tout en redéfinissant les frontières de la famille.

Ces nouvelles manières d'être ensemble sont autant d'éléments facilitateurs à la création de foyers

distincts, à la possibilité de vivre plusieurs vies différentes en une.

c) L'évolution du mariage

Les statistiques nous le prouvent depuis de nombreuses années maintenant, nous assistons à un recul de

l'institution du mariage comme un modèle conjugal stable.

Ce modèle traditionnel d'union est troublé par un grand nombre de facteur : le plus prégnant étant la

facilité des procédures de divorce. L'État s'est approprié le mariage, et se montre plus souple avec lui au

grand dam de l'Église. Il en résulte des relations complexes et contradictoires entre familles et État.

L'État prône le mariage et la famille nucléaire via des aides sociales mais ces institutions sont mises à

mal par les revendications populaires issues de la libération sexuelle et de l'individualisme.

En effet, pour un individu, l'engagement dans la relation conjugale est moindre, sa dissolution facilitée

car l'aide est présente à tous les niveaux ou presque.

20

Sont aujourd'hui reconnus les unions libres, le concubinage, le pacs, les enfants sans mariages.

Ces groupes sont devenus des normes « reconnues et encadrées par la loi et les aides sociales

publiques » . p.651 Histoire de la Famille

Ainsi : « certaines personnes peuvent jouir à la fois des avantages fiscaux des célibataires et divorcés

et des avantages sociaux reconnus aux concubins. (...) ceux qui ne prennent pas de responsabilité

juridique l'un envers l'autre sont eux aussi aidés et souvent moins taxés que ceux qui en prennent.

Toutes ces mesures, inspirées par un juste souci de liberté et de neutralité à l'égard des situations

individuelles ont finalement eu des effets pervers, encourageant la non sanction légale des unions, et

multipliant artificiellement de ce fait la montée des naissances dîtes illégitimes. » p.651

En guise de précision, illégitime signifie ici en dehors du cadre du mariage. Tout ceci illustre à

merveille le dilemme et la complexité des choix de l'État face aux nouvelles formes familiales.

Cette souplesse et cette impunité permet alors aux individus d'expérimenter avec plus de facilité de

nouvelles formes d'union, dont des doubles foyers par exemple. Et le fait de les interdire ou de les

juguler, ne fera que précipiter les individus vers ces nouveaux comportements, comme un adolescent à

qui on interdit de fumer des cigarettes.

Parmi les autres facteurs qui font du mariage un modèle conjugal désormais instable, nous pouvons

citer de la même manière le déclin de la monogamie (ou distribution stricte des tâches).

Les rôles sont aujourd'hui brouillés, les individus sont multitâches et c'est toute l'idéologie d'une

époque qui s'effondre.

Avant : « c'était à l'époux de gagner la vie du ménage tandis que la femme s'occupait d'un intérieur

particulièrement valorisé, de l'éducation d'enfants (...) au travers desquels devaient transiter la

promotion sociale, tout en fournissant un soutien psychologique au mari. » p.652 Histoire de la famille

Être père ou être mère ne revêt plus la même signification au sein de la modernité, surtout depuis

l'entrée des femmes sur le marché du travail. Un foyer peut désormais avoir deux sources de revenu, et

leurs membres fondateurs, à avoir le père et la mère, deux plans de carrière différents :

« Le couple dans lequel les deux membres exercent une activité professionnelle apparaît se redéfinir

de nouvelles aspirations qui mettent structurellement en danger la vie familiale (...) si le couple n'est

plus que l'association de deux individualités qui poursuivent un but et une carrière autonome, voulue

pleinement comme telle, alors il risque d'être confronté à des conflits liés au cursus du travail » p.657

21

Histoire de la famille

Si l'on couple l'individualisme au carriérisme, la volonté de chacun peut être forte au point de déchirer

un foyer. Les difficultés économiques, l'immédiateté de transports et l'explosion des moyens de

communications font que les individus peuvent et souvent doivent être mobiles dans leur travail,

souvent loin de leur foyer. Les parents ne se côtoient plus autant qu'avant ou très peu, ils recherchent

alors du plaisir sur le lieu où ils passent le plus clair de leur temps, à savoir leur lieu de travail.

Là où cette situation peut être source de divorce, elle peut l'être également de double vie car tous les

éléments sont réunis pour la création du secret : éloignement, mobile professionnel, logement de

fonction.

De plus, ce genre de situation enfreint deux règles essentielles d'un foyer pérenne :

– un lieu de vie commun : « Une famille s'inscrit dans un espace, un lieu où se déroule sa vie sociale

et domestique et où prennent place toute une suite de comportements ritualisés, qui dessinent, pour

chaque groupe, sa singularité. » p.667 Histoire de la famille

– Le partage de moments familiaux : un membre exclu ou éloigné de l'unité familiale va également

l'être de ses rites de convivialité et de sociabilité tel le partage d'un repas ou d'une veillée par

exemple. Ce membre distant va alors être confronté à la finalité de ces rituels, car « les pratiquer,

c'est en effet instituer une différence entre ceux qui les connaissent et ceux qui les ignorent. » p.667

Histoire de la famille. L'absence aux réunions de famille est un manquement à la révision des liens

qui unissent les uns aux autres : « On remarque les absents, indice de brouille ou de disparition, à

travers les présents le groupe exprime son unité, par ailleurs, ces cérémonies commémoratives ou

festives visent à instaurer une continuité, une durée. » p.667 Histoire de la famille

L'individu peut alors se sentir différent au sein de sa propre famille, et être amené à chercher le

réconfort dans un nouveau partenaire, pour ensuite créer une autre unité, une autre intimité qu'il

fréquente plus souvent, et qui est plus proche géographiquement.

22

d) Une famille bouleversée ?

En lisant ces dernières lignes, nous pouvons avoir l'impression que la famille ne vaut plus rien,

qu'elle a éclaté sous le poids de la modernité, qu'elle s'est dispersé en une multitude d'individualité.

Cependant, ces tendances ne sont pas si dramatique vis à vis de la famille, car la tradition qui

l'accompagne reste très ancrée dans les mœurs :

« Un modèle familial dominant est la référence solide à tout comportement ; une acceptation des

autres modèles ne fait que refléter la libéralisation des mœurs, mais reste encore minoritaire ; par

ailleurs la continuation d'une très forte identification des femmes à leur rôle de mère quand bien même

elles sont engagées sur le marché du travail : le couple évolue, , le groupe domestique prend diverses

structures, mais l'institution familiale reste la référence dominante, et son poids normatif, au niveau

des images mentales et symboliques, continue d'être toujours aussi fort. » p.666

Un poids normatif qui peut aussi peser sur les individus en situation de double vie : si la famille est

investie d'une grande importance, elles s'ajoutent l'une à l'autre au lieu de s'annuler.

Maintenant que nous avons énumérés les chocs modernes pouvant mener à l'adultère et aux doubles

vies, nous allons aborder nos approches de l'amour, de la fidélité, du secret et des passions sous un

angle psychosociologique.

23

2. Les nouveaux couples

Les couples contemporains sont soumis à deux changements majeurs concernant leur fondation

et leur structure :

a) L'arrivée au pouvoir d'un nouveau dictateur.

Les couples modernes se distinguent par une particularité qui fonde la base même de leur union.

Au cours du XXème siècle, il y a eu une inversion : le fondement du mariage monogame est devenu

l'amour, c'est le sentiment qui pousse au mariage, alors qu'avant c'était la convention qui légitimait

l'union, et celle-ci pouvait aboutir dans certains cas à la naissance d'un amour.

Ce nouvel arrivant chamboule totalement nos manières de concevoir et d'appréhender le couple, il dicte

ses codes et ses conduites, et celui qui ne les respecte pas a de grandes chances de finir seul. On peut

imaginer ce sentiment comme un dictateur, vêtu de l'uniforme de la morale, en train de répandre son

idéologie dans nos livres, nos films, nos publicités, nos partis politiques car « L'amour est une

narration, un discours que nous connaissons avant même de tomber amoureux. » Niklas Lukmann

Il devient la raison d'être ensemble, le lien par excellence de toute reproduction de la vie, un

attachement délicieux qui se mue en nécessité : « Le grand changement, depuis 20 ans, c'est que

l'union conjugale n'est plus le support de l'amour mais au contraire la condition même de la vie

commune. Si l'amour disparaît, le mariage perd son sens, À l'ancienne obligation de se marier pour

avoir une descendance a succédé le devoir impératif de s'aimer. » p81, Bawin-Legros Bernadette, Le

nouvel ordre sentimental.

Ainsi, nous voilà en face d'un despote, dont nous rêvons majoritairement d'être les esclaves. L'amour

est considéré comme le plus puissant des sentiments, et pour cause, quand nous avons l'opportunité de

le vivre, c'est le plus souvent de manière intensive. Il altère et refonde nos individualités.

« On est un(e) autre à chaque fois qu'on aime et c'est l'expérience de la fusion avec l'être aimé pour

former une nouvelle unité qui nous remodèle, nous recrée, et recrée l'univers autour de nous. » p.10

Bawin-Legros Bernadette, Le nouvel ordre sentimental.

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Prêter les traits d'un tyran à ce sentiment inégalable pourrait refroidir les lecteurs qui croient en lui. À

ce titre, rappelons simplement que nous en étudions ici une facette, et non sa globalité. Il est d'ailleurs

important et compréhensible d'y succomber : “On peut bien piétiner l'amour, le maudire, n'empêche

que lui et lui seul nous donne le sentiment de vivre à haute altitude et de condenser en les brefs

instants où il nous enfièvre les étapes les plus précieuses du destin. Un liberté exigeante n'est pas une

liberté qui se préserve mais s'expose à s'en brûler. La passion est peut être voué à l'infortune; c'est une

infortune plus grande que de n'être jamais passionnée.” p 196, Bruckner Pascal, La tentation de

l'innocence.

Cependant, chaque fois que nous regardons un feuilleton à l'eau de rose, lisons un ouvrage teinté de

romantisme ou regardons les couples évoluer autour de nous, nous assistons à une répétition théâtrale

de l'amour en attendant que ce soit à notre tour de le jouer.

Nous prônons une mise en scène, une forme idéale et figée de l'amour : grand et fusionnel, aussi

intense et jouissif qu'un premier amour, malgré le fait qu'il soit voué à l'échec, qui tend vers l'éternel.

Nous l'érigeons en statut à l'épreuve du temps alors que nous ne sommes que des mortels.

C'est notre imaginaire de l'amour qui nous pousse à ne rechercher que le grand, à ne pas accepter qu'il

perde de son intensité et à le voir se transformer avec le temps. Nous le recherchons sans cesse, et de ce

fait, nous le fuyons :

« Depuis les années 1990, la fidélité, c'est le temps qu'on s'aime, et les chiffres des divorces et des

séparations montrent qu'on ne s'aime pas très longtemps. » p74, Bawin-Legros Bernadette, Le nouvel

ordre sentimental.

Les formes de l'amour peuvent être diverses, mais obnubilés par l'imaginaire de sa perfection, nous y

sommes aveugle. Le grand amour, parce qu'il est grand, prend toute la place. Mais ce sentiment coagulé

est contraire au mouvement même de la vie. Un fait que les individus ont du mal à accepter :

« Parce qu'il est très exigeant et ne fonctionne que sur lui-même, l'amour contemporain porte ainsi en

lui les germes de sa propre destruction. » p.82, Bawin-Legros Bernadette, Le nouvel ordre sentimental.

Autour du couple qui tourne en rond comme deux poissons dans un aquarium, s'agite l'océan. Et le

dilemme est grand entre la sécurité de l'aquarium et la richesse de l'océan :

25

« Par définition, le couple fusionnel est insatisfait parce que si le tiers est interdit, il est toujours

présent dans les fantasmes et l'inconscient du couple. » Serge Chaumier

Une tentation inconsciente, parfois un mouvement volontaire qui pousse certains poissons à nager entre

deux eaux, une nageoire dans le bocal et l'autre dans l'océan, ou dans un bocal différent. Il est devenu

pour eux impossible de grandir dans un espace devenu trop petit, car si l'idéal de l'amour se heurte à la

réalité, il se heurte par là même à l'individualisme : « La fusion romantique ne cadre pas avec

l'individualisme contemporain, le désir d'être épanoui dans sa propre identité. » p.196 Bawin-Legros

Bernadette, Le nouvel ordre sentimental.

Mais si une relation amoureuse, fondatrice d'une famille, est devenu trop étroite pour qu'un des deux

partenaire s'y épanouisse, pourquoi cet individu y reste attaché alors qu'il vit avec une nouvelle famille

dans le secret ?

Parce que le poids de la morale reste très fort, et qu'un manquement à la fidélité a plus de conséquences

que l'absence d'amour : « L'amour est le liant du couple et sa première sinon unique raison d'exister,

avant d'être la dernière à subsister. La plupart des individus se mettent d'abord en couple par amour,

ils restent ensuite ensemble par convention, par nécessité, par habitude, mais surtout par obligation

morale vis à vis des enfants et de l'entourage immédiat. » p.10, Bawin-Legros Bernadette, Le nouvel

ordre sentimental.

Il se peut également que le ciment de l'union, au-delà de la morale, découle de l'incapacité de faire

autrement, d'un défaut d'alternative.

26

b) L'ère du flou

Comme nous l'expliquons depuis le début de ce chapitre, la famille et le couple ont subi

d'importantes mutations. Même si leur valeur et leur importance restent inchangées, leur structure et les

rôles des membres qui les composent deviennent pluriels et indécis.

Qu'est-ce qu'une « bonne » famille ? Quelle image doit renvoyer un couple pour être socialement

acceptable ? Quels sont les rôles auxquels nous devons nous rattacher ? Se peut-il que les individus qui

se posent ce genre de question et qui ne trouvent pas leur place dans leur famille, soient tentés dans leur

égarement d'en fonder une autre ? Le font-ils pour se rapprocher de leur conviction, d'une norme, ou

d'un rôle qui leur faisait défaut jusqu'à présent ?

Par exemple, un père qui ne fait plus autorité dans une famille et qui cherche à devenir le patriarche

d'une autre.

Depuis la libération sexuelle, le droit de vote et leur entrée dans le monde du travail, les femmes

cherchent à être l'égale des hommes. Même si cette lutte pour l'égalité est très lente, elle a déjà gagné

de nombreuses batailles. Le visage de nos familles et de nos couples s'en trouve remodelé.

Depuis que les femmes s'affranchissent du patriarcat et deviennent multitâches, beaucoup d' hommes

qui se servent des rôles traditionnels pour s'orienter se trouvent perdu dans une société de plus en plus

complexe.

« Il faut un rééquilibrage des rôles. Le fait qu'il n' y ai plus d'uniformité autour du masculin et du

féminin déstabilise les hommes. » Elizabeth Badinter

Faut-il en déduire qu'actuellement nos rôles sont déséquilibrés ? Ils le sont depuis longtemps. Là où

l'homme domine la femme par la force et la tradition, la femme a un pouvoir indéniable et beaucoup

plus important sur le couple et la famille : elle porte la vie.

Ainsi, autant biologiquement que logiquement :

« Le noyau fixe autour duquel la famille a grandi n'est pas n'est pas la relation entre l'homme et la

femme, mais entre la mère et l'enfant. Tel est le pôle stable dans la fuite des évènements qui marque la

vie conjugale, ou encore la relation partout la même pour l'essentiel, tandis que la relation entre les

27

époux est susceptible de mutations à l'infini. C'est pourquoi, dans de nombreux peuples primitifs, le

rapport du père de famille aux enfants n'est nullement direct et fondé sur la nature comme chez nous.

L'enfant appartient à la mère ; et au père uniquement dans la mesure où la mère lui appartient ; de

même que les fruits de l'arbre appartiennent au propriétaire de l'arbre. »p. 46-47, Simmel Georg,

Philosophie de l'amour.

L'homme est bien petit par rapport à cette légitimité maternelle. Quoi qu'il fasse, il sera toujours

extérieur à cette unité et « La toute-puissance maternelle peut être dangereuse pour les relations entre

le père et ses enfants. » p13, Bawin-Legros Bernadette, Le nouvel ordre sentimental.

L'homme peut alors être amené à fonder un autre foyer s'il n'a pas dans le premier la place qui lui

convient par rapport à sa conjointe ou ses enfants. Il peut également essayer de remplacer la qualité des

liens familiaux par leurs quantités.

Triste condition de l'homme sur ce point ci, qui ne peut devenir parfois que l'ombre de ce qu'il

considère comme le “vrai homme” ! Mais on peut voir cette situation d'un autre angle, car c'est une

guerre sans merci que se livrent les sexes pour le pouvoir au sein du couple et des familles, sur fond

d'amour dans le meilleur des cas :

“ Au grand jeu des passions, les hommes et les femmes s'accusent plus souvent qu'à leur tour de porter

chacun pour son compte tout le fardeau de la tristesse et déclarent l’autre sexe indigne des

attachements qu'on lui voue. Chacun prétend pâtir d'un tourment particulier, se déclare le grand

perdant et en veut à l'autre de ne rien connaître du malheur d'aimer.” p 191, Bruckner Pascal, La

tentation de l'innocence.

Ainsi il n'est pas impossible qu'une femme mécontente du rôle qu'elle tient au sein d'une famille soit

prête à en fonder une autre. Ce qui marche pour l'un marche pour l'autre.

Et c'est d'ailleurs cette égalité troublante qui nous brouille. Nous ne savons plus à quoi nous en tenir ni

quel modèle suivre. C'est ce qui nous pousse à nous réinventer au quotidien, dans l'inexact et la brume,

dans un océan en perpétuel mouvement :

“En désertant, souvent malgré eux les rôles qui leur étaient dévolus mais sans les abandonner tout à

28

fait, hommes et femmes se retrouvent désormais dans une sorte d’incertitude où ils se doivent de

bricoler de nouveaux modèles à partir des anciens. Or ce brouillage inquiète. Il explique la nostalgie

de certaines pour le macho classique qu'elles raillent pourtant alors que les hommes s'étonnent de

côtoyer des compagnes à la fois traditionnelles et affranchies. (Autrui m'affole quand il déborde de son

lieu et n'habite aucun emploi de façon permanente.) C'est le destin de l'émancipation que de faire de

nous des êtres déconcertants, des vagabonds qui flottent entre plusieurs emplois, plusieurs vocations. À

cet égard, chercher des “vrais hommes” et des “vraies femmes”, c'est simplement raconter ses propres

fantasmes, quêter la sécurité d'un archétype, tenter de maîtriser un vertige qui nous submerge (...) Le

féminisme a brouillé notre perception des hommes et des femmes ni si modernes ni si archaïques qu'on

le croit. Ce pour quoi se manifeste de part et d'autres le même désir de clarté : dis-moi qui tu es afin

que je sache qui je suis. Ce que les deux sexes regrettent, ce n'est pas leur relations d'antan, c'est la

simplicité qui présidait autrefois à leurs divisions : ils souhaitent mettre fin au tourment de l'indécision,

assigner l'autre à résidence, le sédentariser dans une définition. Un ordre immémorial a été ébranlé

sans qu'un nouveau apparaisse et nous souffrons d'habiter dans l'ère du flou.” p172-173, Bruckner

Pascal, La tentation de l'innocence.

Et si dans notre exploration de ce flou, la découverte ou la construction d'un autre foyer représentait un

archipel de certitudes, ou bien le mirage de nos fantasmes profonds ? Serions-nous prêt à mener une

double vie pour en jouir ?

Ce flou est peut être considéré comme le prix de notre individualisme et de notre liberté, reine des

incertitudes. Les foyers et familles sont nos moyens de vivre “attachés” sans dériver vers les

possibilités illimités que nous offrent la vie et dont nous pouvons rationnellement avoir peur. S'amarrer

à plusieurs ports, c'est mieux se rassurer.

De plus, si une corde venait à céder, il resterait au moins un abri où se réfugier : « Nous ne savons

renoncer à rien. Nous ne savons qu'échanger une chose contre une autre. » Sigmund Freud

29

3. De l'usure dans le couple

Abordons maintenant un phénomène lié au temps, l'usure des relations de couple. Quels sont les

mécanismes et les interactions qui épuisent le couple et qui peuvent mener les individus vers des

relations extra-conjugales et des doubles vies ?

a) Les effets pervers de « l'extimité »

L'idéal du grand amour est exigeant, il suppose une transparence totale entre les partenaires, et

s'il y a foyer, entre tous les membres de la famille. Il est impératif de « tout se dire », « d'être honnête »

car « le secret d'une relation stable, c'est la communication ! ». Qui n'a pas déjà entendu ces phrases ?

« Nous vivons aujourd'hui dans l'extimité, c'est à dire soumis à l'injonction de nous exprimer. » p10,

Bernadette Bawin-Legros, Le nouvel ordre sentimental.

« L'extimité » est comprise ici comme le contraire de l'intimité. L'intimité permet la confiance et

cimente les familles, mais l'idéal familial via cette transparence, cette « extimité », vise peut être de

trop grandes ambitions pour chaque membre de la famille, qui ne sont, rappelons-le, que des êtres

humains :

« Cette illusion de la transparence renvoie à l'aspiration à une certaine forme de sacré dans l'amour

contemporain, aspiration qui ne peut être démentie par les faits. Nous vivons dans un monde

d'illusions, de tromperies et de mensonges, et tout se passe comme si, dans le repli domestique, il fallait

absolument vivre autrement. La famille est surinvestie et le nouvel ordre des sentiments renvoient à ce

« famille je t'aime trop » qui cependant, est insoutenable à vivre. » p82, Bernadette Bawin-Legros, Le

nouvel ordre sentimental.

La famille et le couple devient le refuge de l'honnêteté face à une société gangrénée par la sournoiserie,

les calculs et les faux-semblants; mais si nos sociétés sont perçues de la sorte ou que cette vision

renvoie à une certaine forme de réalité, souvenons-nous que les individus qui composent cette société

sont les mêmes qui composent nos familles. Qui nous dit alors que ce microcosme d'honnêteté totale

convienne à tout le monde ? Et même si l'honnêteté est une valeur profonde de la famille, « l'extimité »

30

peut sournoisement ronger le jardin secret, la vie et les aspirations intérieures que chacun préserve à un

degré différent. Cette franchise, signe évident de respect en temps normal, peut se transformer en une

insatiable curiosité et une mise à nu perpétuelle.

Que devient le secret ? la part d'intimité propre à chacun ? Doit-on la sacrifier sur l'autel du Dieu

Amour pour un cliché que l'on se fait du bonheur ?

On peut y voir un manquement à la discrétion, que Georg Simmel conçoit comme s'abstenir « de

prendre connaissance de tout ce que l'autre, positivement, ne veut pas révéler. » p.47, La parure et

autres essais.

Simmel considère que chaque être est entouré d'une sphère idéale, et la pénétrer revient à « détruire la

valeur de cet individu en tant que personne. Le rayon de cette sphère nous donne la distance à laquelle

nous devons nous tenir à l'égard des êtres. » p.47, La parure et autres essais.

Mais voilà une situation bien paradoxale ! Dans une relation amoureuse, les partenaires cherchent à se

rapprocher, à se rassurer, à vaincre ensemble le doute qui les assaille afin de nidifier et construire un

cocon sécuritaire. Cependant, cette entreprise empiète fortement sur la sphère idéale dont les individus

ont besoin pour exister en tant que personne.

Pour la majorité d'entre nous, l'amour, encore plus que l'amitié, est la seule relation qui nous permet une

intimité aussi forte : « L'amour présente une structure psychique qui fait qu'il est plus facile de se

confier et de se révéler (...) Pour la plupart des êtres, c'est l'amour sexuel qui ouvre le plus grand les

portes de leur personnalité totale, pour un bon nombre d'entre eux, c'est la seule forme par laquelle se

révèle le moi entier. » p.48, Georg Simmel, La parure et autres essais.

Dans nos relations, nous tendons vers une fusion qui réduit à néant nos personnes sous la forme d'une

entité nouvelle : le couple. Nos répondeurs téléphoniques en sont premiers témoins : « Vous êtes bien

chez Marjorie et Pascal, nous ne sommes pas là pour le moment, veuillez laisser un message. »

Bientôt, un prénom n'ira pas sans l'autre, une présence induira l'autre, on s'étonnera de voir un membre

du couple se balader seul : « Eh bien ! Tu n'es pas avec Marjorie ? » ; le couple renverra l'image d'une

symbiose parfaite. Mais la forme extérieure traduit-elle vraiment la réalité intérieure de chaque

membre ?

31

La connaissance de l'autre n'obéit à aucune règle à part celle de se dévoiler. Cependant : « La forme

moderne du mariage, par principe, n'a pas fixé la limite entre ce qui, d'une personne, peut être

communiqué et ce qui ne peut l'être. » p.49-50, Georg Simmel, La parure et autres essais.

Pour Simmel, dans le mariage vu comme partage de tous les contenus de l'existence, c'est l'antipode de

la discrétion qui est atteint.

Mais on ne peut blâmer qui que ce soit quand on connaît le délice de se livrer entièrement aux êtres

aimés, ainsi que le bonheur d'apprendre à les connaître chaque jour un peu plus pour mieux les

combler. Ce partage rassurant éloigne la solitude, il peut être source de bonheur intense et socle de

familles nombreuses.

Seulement il connait un revers de médaille peu reluisant : « Souvent, c'est l'avenir de la relation qui est

ainsi menacé (...) les êtres qui, quand leur sentiment s'exalte, quand ils se donnent sans restrictions et

dévoilent leur vie psychique, puisent en quelque sorte dans le capital, les êtres à qui fait défaut cette

source régénératrice de l'âme qui n'est pas séparable du moi. Le danger qui menace, c'est qu'un jour

on se trouve l'un en face de l'autre les mains vides, qu'au bonheur dionysiaque de l'offrande succède un

appauvrissement qui, par contrecoup, démente aussi le bonheur et la jouissance à se donner

entièrement. » p.51, Georg Simmel, La parure et autres essais.

Le couple et la famille, sont donc soumis à l'usure, car la forme dans lequel ils s'enferment de leur plein

gré, ne peut cadrer ad vitam aeternam avec l'évolution personnelle de ceux qui le constituent.

Même si la communication entre les membres et le fait qu'ils se connaissent très bien peut permettre la

mise à jour de cette forme et la pérenniser, elle peut également avoir des effets pervers comme nous

l'avons vu plus haut. Le groupe familial ou le couple peut piocher allègrement dans la sphère privée et

individuelle jusqu'à l'appauvrir, l'assécher. Ce qui peut donner dans l'absolu des êtres sans sève qui

n'ont comme seul horizon que de se faire vampirisé par les personnes qu'ils aiment ou ont aimé. À

moins que, pour en revenir avec l'objet d'étude de ce mémoire, ces êtres aillent se ressourcer...ailleurs.

32

b. La construction des habitudes et la connaissance de l'autre

Le sentiment amoureux n'est pas le seul à servir de base solide à un couple, c'est aussi “la

sédimentation d'habitudes communes qui fondent le couple.” p.253, Jean Claude Kaufmann “Les

routines conjugales”.

La construction d'habitudes communes implique la connaissance de l'autre. Prenons l'exemple d'un

couple qui s'est fraîchement rencontré et qui apprend à se connaître. Un membre ne peut pas prétendre

connaître l'autre membre par sa seule observation : “Il ne le découvre en effet que dans l'interaction (...)

Chacun observe les gestes, les expressions, analyse ce que dit l'autre. Ils peuvent ainsi typifier,

déterminer, à quel type de personnage ils ont affaire et adopter une attitude en conséquence. (... )Les

règles de classement se transformant immédiatement en règle de conduite. Ce qui n'a guère de

conséquences pour deux étrangers qui ne se reverront plus. Mais qui en a énormément pour de futurs

conjoints.” p.254, Jean Claude Kaufmann “Les routines conjugales”.

L'édification du couple se fait à deux niveaux : les relations privées créatrices d'habitudes internes au

couple et la formation d'une représentation extérieure du couple, soit l'image qu'ils vont prendre

l'habitude de renvoyer à ceux qu'ils côtoient.

Dans les deux cas, les habitudes et les représentations habituelles, comme leur nom l'indique vont se

répéter au point de devenir des éléments fondateurs du couple. Elles deviennent son identité et

réduisent le champ de possibles dans l'avenir, sa capacité d'évolution vers d'autres comportements et

d'autres représentations. Ce processus peut également s'appliquer à la famille :

« Les relations entre individus (et aussi entre groupes), dans leur développement progressif, tendent

d'emblée à considérer leurs formes extérieures. »; on peut donc observer « comment la forme prise

constitue ensuite un précédent plus ou moins rigide commandant la suite de la relation ; ainsi les

relations sont hors d'état de s'adapter au caractère vibrant et vivant, aux fluctuations plus ou moins

sensibles d'un échange concret. » p.68, Georg Simmel, La parure et autres essais.

“Les tout débuts du couple dessinent les grandes lignes et enferment l'avenir, parfois avec une

promptitude et intangibilité dramatique.” p.254, Jean Claude Kaufmann “Les routines conjugales”.

33

Par exemple, un couple qui a pris l'habitude de voyager ou de faire du sport ensemble dès les débuts de

la relation va intégrer ces activités comme caractéristiques identitaires de son couple. Et pour coller à

cette image, elle sera amenée à reproduire ces activités régulièrement et ainsi empiéter sur les milliards

d'autres choses que le couple aurait pu devenir ou accomplir.

Il existe une croyance selon laquelle les habitudes dans le couple n'interviennent qu'après la période de

passion, avec l'apparition d'une routine, mais elles se forment dès les premières rencontres “avec des

effets structurants puissants.(...) Nous ne nous représentons qu'une part infime des habitudes que nous

construisons.” p.254, Jean Claude Kaufmann “Les routines conjugales”.

Si les habitudes enferment à ce point l'avenir, c'est pour atteindre leurs finalités : soient devenir des

guides pour combattre l'incertitude et faciliter le quotidien.

Dans les épreuves tout comme dans les moments heureux, les évidences et les habitudes s'accumulent

les unes aux autres de manière linéaire. Elles établissent les règles, les conduites et les rôles du vivre

ensemble. La connaissance de l'autre et le temps passé avec lui mettent en place une organisation si

bien ordonné qu'en finalité, le sentiment amoureux n'est même plus requis pour qu'un couple

fonctionne. Il tient par la seule “sédimentation d'habitude”.

Ce confort, où l'évidence écrase tout doute possible, a une contrepartie : “il densifie chaque jour le

domestique et emprisonne les conduites de l'être ensemble.(...)Les règles d'interactions deviennent si

bien huilées qu'il suffit de se laisser porter. Et lorsqu'elles se développent en dissonance avec la

représentation de soi, leur lourdeurs rend tout mouvement plus difficile.” p.257, Jean Claude

Kaufmann “Les routines conjugales”.

Voilà qu'apparaît le malaise de la routine, cette prison dorée à l'abri de l'imprévu qui fait invariablement

croître l'ennui.

De quoi rêvent les prisonniers ? D'évasion bien entendu, de toutes ces choses qui leur manque ou qu'ils

ne peuvent accomplir.

L'évasion implique la sanction, et aucun prisonnier n'aimerai avoir à y faire face tant elle renforce sa

culpabilité aux yeux de tous.

Alors pourquoi ne pas scier les barreaux et profiter de la liberté dans l'ombre ? Pourquoi ne pas creuser

un tunnel sous la maison familiale lorsque tout le monde dort ?

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Dernier cas plutôt intéressant en ce qui nous concerne, avez-vous déjà entendu parler de ces prisonniers

qui craignent de sortir de prison après une longue condamnation ? Ils ont peur de l'extérieur tellement

la prison les a formaté. Leur réinsertion n'est pas leur rêve mais leur pire cauchemar.

Ils sont tellement habitués à vivre dans l'univers carcéral mais pourtant, qui renierait un horizon dégagé

? Peut-être seraient-ils les plus heureux des hommes s'ils pouvaient jouir de leur liberté à mi-temps et

revenir vivre dans les habitudes rassurantes de leur cellule. Peut-être iraient-ils chercher une autre

prison. Une prison différente.

Comparer cette situation aux doubles vies est tentant. Cela peut être dur de quitter une famille dont on

est un pilier : par peur qu'elle s'effondre ; parce qu'elle est constitutive de votre être autant que vous

faîtes partie de son architecture depuis sa fondation; par peur des représailles morales et familiales.

D'un autre côté, il est difficile de rester vissé à son rôle de pilier, empêtré dans la routine. Spectateur

impuissant alors que vos possibilités et vos libertés s'amenuisent d'année en année.

“Car la pire des horreurs est de survivre à deux dans un automatisme tranquille.” p194, Bruckner

Pascal, La tentation de l'innocence.

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c. Conclusions sur l'usure du couple et des familles

Au terme de cette partie, un élément ressort particulièrement dans l'explication de l'usure : c'est

la différence notable et notoire entre intériorité individuelle et formes extérieures des groupes sociaux

étudiés (couple et familles). Simmel l'assimile à un dualisme fondamental dans les relations sociales :

« Étant donné que les formes extérieures, dans la vie individuelle comme dans celle de la société, ne

sont pas mouvantes, à la différence de l'évolution intérieure, mais au contraire reste toujours fixées

pour un certain temps, elles sont nécessairement soit en avance, soit en retard sur cette réalité

intérieure. »

Ce décalage crée l'usure des relations, et si le décalage est trop grand, la fidélité peut être rompue. Car

pour Simmel, la fidélité n'est que le point joignant et réconciliant entre intériorité individuelle

fluctuante et forme extérieure stable. Autrement dit, un individu est fidèle quand il adhère

profondément aux représentations que son couple ou sa famille renvoie à l'extérieur.

L'individu qui entreprend une double vie est donc insatisfait et usé : soit par le rôle qu'on lui attribue et

qui ne colle pas ou plus à sa vie intérieure, soit par le poids des habitudes qui l'empêche d'être autre,

soit parce qu'il connait trop son conjoint ou que ce dernier le connait trop.

Si l'amour est un mystère dont il faut alimenter le flou, nous souffrons de trop connaître l'autre, de le

voir trop clairement. D'un autre côté, le connaître par cœur nous aide à mieux le garder. L'amour est

somme toute un sentiment paradoxal :

“ Il est certes possible de déloger l'autre de sa position d'éminence et à force de vie commune de le

rendre prévisible, aussi familier qu'un meuble ou une plante. Mais c'est là un triste progrès et nous

oscillons dans nos liaisons entre la peur de ne pas comprendre l'autre et le désespoir de trop bien le

connaître. (...) Une fois résolue l'entêtante énigme qu'il représente, autrui se banalise : je l'ai si bien

apprivoisé pour ne plus pâtir de son excessif éloignement que je souffre désormais de son encombrante

proximité.” p194-195, Bruckner Pascal, La tentation de l'innocence.

Une fois que notre conjoint ne nous idéalise plus, nous nous retrouvons nus devant lui, sans rien à

cacher, sans parure pour se protéger. Notre intimité appauvrie, notre capital psychique amoindri par les

années passées à ses côtés n'alimente plus aucune rêverie pour le partenaire. Nous avons trop donné, ou

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il a trop pris. Quelle insupportable position alors de se retrouver au pied du mur alors que notre

conjoint nous croyait aux cimes, et d'être victime de cette même désillusion envers lui.

Cela veut dire que nos parures sont percées à jour, que nous ne pouvons plus rien cacher à l'autre.

Chaque être humain a un désir plus ou moins grand de plaire à son entourage, ce que Simmel appelle la

parure : « il y a dans ce désir une part généreuse, le souhait de procurer de la joie à l'autre ; mais

aussi, accompagnant le premier, le souhait que cette joie, ce « plaisir qu'on procure » nous revienne

sous forme de reconnaissance et de considération et soit mis, en tant que valeur, au crédit de notre

personnalité. (...) On veut précisément se distinguer aux yeux des autres, on veut être l'objet d'une

attention qui n'échoit pas aux autres – et même être envié. Plaire est ici un moyen pour qui veut exercer

son pouvoir; on peut observer à ce propos, dans certaines âmes, cette étonnante contradiction qui fait

qu'elles ont précisément besoin des individus qu'elles dépassent par leur être et par leur action pour

asseoir leur propre assurance sur la conscience que ces individus ont de leur être subordonnées. »

p.60, Georg Simmel, La parure et autres essais.

Quand un individu se retrouve dans l'incapacité de séduire pour exercer son pouvoir, il ne se distingue

en rien des autres membres de la famille et ne peut prétendre à diriger qui que ce soit. Le voilà donc

incapable d'assouvir son désir et encore une fois insatisfait de sa position.

L'individu peut donc, entraîné par une nouvelle passion amoureuse, retrouver la possibilité d'assouvir

son côté séducteur et autoritaire en fondant une famille parallèle. Là où on admirera enfin avec respect

les plumes flamboyantes de sa parure. Tout cela même si des années de vie communes et d'habitudes

avec sa famille initiale ont tissé des liens très solides :

“La sédimentation des habitudes n'est pas plus forte que le sentiment, et il est sans intérêt de comparer

les deux modalités d'intégration conjugale. Elles sont en effet très différentes et se jouent sur deux

scènes séparées. L'une est régulière, l'autre caractérisée par son imprévisibilité, l'une est objectivable

(jusqu'à s'inscrire dans des objets), l'autre totalement subjective et imprévisible. Aussi lourd que soit le

processus d'accumulation, il peut brusquement ne peser plus rien face au sentiment et à sa liberté

déconstructrice et créatrice.” p.257 Jean Claude Kaufmann “Les routines conjugales”.

Encore une fois, se séparer de sa famille initiale est plus compliqué qu'il n'y paraît, même si l'individu

n'y est plus aussi heureux ou s'il n'aime plus son ou sa partenaire :

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« Cette incontestable vérité selon laquelle détruire est plus facile que bâtir, n'est pas toujours

absolument valable quand il s'agit de rapports humains (...) d'innombrables relations persistent et

demeurent inchangées dans leurs structures même lorsqu'a disparu le sentiment ou la motivation

pratique qui les avait produites à l'origine. » p.64, Georg Simmel, La parure et autres essais.

De plus, le poids de la morale et ses conséquences une fois le secret d'une double vie dévoilée reste

considérable :

« La fidélité est peut-être à mettre en relation avec le fait que, davantage que nos autres sentiments, qui

nous tombent dessus comme la pluie et les rayons du soleil sans que notre volonté puisse commander à

leur venue ou à leur départ – la fidélité est accessible à nos résolutions morales, qu'un manquement à

la fidélité est pour nous un reproche plus grave que l'absence d'amour ou de sentiment civique (au-delà

de leur manifestations uniquement commandés par le devoir.) .» p.67, Georg Simmel, La parure et

autres essais.

Ce dont un être a besoin pour une relation durable est un équilibre entre croyance et savoir, une

alchimie si fine que bien des couples la perdent en route, et que certains individus recherchent une

harmonie perdue et à même de combler des besoins pour eux fondamentaux dans une relation extra-

conjugale ou une famille parallèle :

« Nous sommes fait de telle sorte que nous avons besoin, comme base de notre existence, non

seulement d'une certaine proportion de vérité et de mensonge poétique, mais aussi de précision et

d'imprécision dans notre commerce avec les êtres. Un chose dont on voit avec une précision le fond

ultime, fait apparaître la limite du désir et interdit à l'imagination d'élargir cette limite.

Nous ne voulons pas seulement vivre avec l'autre, nous voulons aussi le combler de bien, d'idéalisation

de son propre moi, d'espoirs, de beautés cachées que nous découvrons – Or le lieu où nous mettons è

jour toutes ces richesses, c'est l'horizon indécis de sa personnalité, le royaume intermédiaire où la

croyance remplace le savoir. (...)

Le simple fait de connaître absolument, d'avoir épuisé sur le plan psychologique un être, nous dégrise

de toute ivresse, il fait apparaître la poursuite et le développement vivant des relations comme sans

utilité.(...)

Beaucoup de mariage sont détruits par ce manque de discrétion mutuelle, deviennent banals, comme

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allant de soi, n'ouvrant aucun espace où puisse advenir des surprises psychologiques. Les relations

psychologiques sont fécondes quand se cache, derrière le fond ultime, encore un arrière-fond, quand

quelque chose cache et fait imaginer du nouveau ; la récompense de cette fécondité est que le droit de

savoir et questionner est limité par le droit au secret. » p.51-52, Georg Simmel, La parure et autres

essais.

L'individu se crée son secret, son espace des possibles via un nouveau partenaire, et à long terme, un

nouveau foyer, un cadre où l'évolution est imaginable, où l'énigme n'est pas résolue. Une renaissance,

un second souffle, où il peut plaire, séduire, exercer son pouvoir à nouveau.

Mais le secret a un prix car l'individu instigateur d'une double vie se trouve pris dans un engrenage. Le

renouveau de son être, la contemplation d'un nouvel horizon est menacée par une épée de Damoclès :

l'inquiétude du jour où son manquement à la fidélité conjugale et familiale sera découvert. Une épée

qui lui laissera la cicatrice, visible par beaucoup, mais surtout par lui, de la culpabilité.

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Chapitre 3: Du point de vue de la psychologie

Après les sciences dures et la sociologie, il serait intéressant d'aborder le phénomène étudié du

point de vue de la psychologie. Pour ce faire, nous utiliserons le médium de l'entrevue afin de

confronter nos hypothèses au savoir d'une ou d'un psychologue.

1. Le questionnaire

Le questionnaire a été élaboré de manière à traiter tous les aspects évoqués dans notre cadre théorique.

Il comprend 13 questions, classées selon le sujet qu'elles interrogent. Son administration sera semi-

directive afin de récolter des réponses les plus riches possibles.

a. Le fait social

1) Avez-vous déjà eu affaire dans (votre clientèle – vos patients) à ce type de cas ? Sont-ils répandus ?

2)Touchent-ils plus les hommes ou les femmes ?

3)Y-a-t-il un profil type ? Des récurrences notoires chez ces patients ? Quelles peuvent êtres les raisons

d'un tel comportement ?

b. Le secret

4) Le poids du secret a-t-il une incidence sur l'équilibre physique et mental de ceux qui le portent ?

Quels sont les troubles auxquels ils peuvent être sujets ?

5) À contrario, le secret peut-il être recherché ? Comme un besoin d'intimité par rapport à un conjoint

qui nous connait trop et qui nous emprisonne dans sa relation avec lui.

6)Peut-on parler d'engrenage ? De machine arrière impossible une fois qu'une relation de ce type est

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instaurée ?

c. La nature face à la culture

7) À quel point jugez-vous que nous soyons déterminés par notre nature dans nos interactions sociales?

(programmes génétiques à accomplir, besoins naturels, pulsions et instincts reptiliens, libérations

d'hormones). Cette nature est-elle plus forte que notre morale et notre libre arbitre ?

d. L'amour

8) Pensez-vous que notre représentation de l'amour véhiculé par la télévision, les films et les livres

(grand amour fusionnel où chacun s'abandonne à l'autre, idéal du 1er amour voué à l'échec) amènent les

individus à rechercher des relations intensives sans cesse ? À raviver la flamme avec un individu

quand elle s'éteint avec un autre ?

9) Est- il possible d'aimer deux personnes à la fois ?

10) Ce comportement est-il l'illustration de notre impossibilité à faire des choix ? À un manque de

maturité ?

e. Différents facteurs de doubles vies

11) Vivre ou travailler loin de sa famille est-il selon vous un facteur de doubles vies ?

12) Le contact avec d'autres cultures, polyandre ou polygyne, dont les structures conjugales sont

différentes peut-il être un facteur de doubles vies ?

f. Ouverture

13) Au-delà de la psychologie, de la sociologie, de la biologie, y-a-t-il une autre discipline qui soit à

même d'appréhender le phénomène des doubles vies ?

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2. L'entretien

Cet entretien s'est effectué le jeudi 8 avril 2013 avec Madame Liliane Vaschalde, psychologue

clinicienne spécialisée dans la psychothérapie analytique, la thérapie familiale, la thérapie de couple et

la psycho généalogie. L'entretien, enregistré sur dictaphone, est retranscrit dans ces pages mais remanié

en ce qui concerne la syntaxe et la ponctuation pour une lecture plus agréable.

Le questionnaire a été suivi chronologiquement mais des questions supplémentaires ont été posées en

vue du déroulement de l'entretien. Elles sont également notées dans ces pages.

1) Avez-vous déjà eu affaire dans (votre clientèle – vos patients) à ce type de cas ? Sont-ils

répandus ?

Oui, j'ai déjà eu affaire à ce type de cas, mais je ne peux faire de statistiques qu'à partir de mon

expérience. Les adultères classiques sont très fréquents je trouve, mais le cas dont vous me parlez est

aussi présent.

Je vois arriver des personnes en thérapie de couple, donc la double vie n'est pas forcément la raison de

leur venue au départ. Ça se découvre après. Le couple a un malaise fort, au bord de la séparation. Un

des deux n'en peut plus et ils décident donc ensemble de se donner une nouvelle chance, de faire le

point avec quelqu'un d'extérieur. La découverte de la double vie, par moi j'entends, vient après.

Dans la pratique, il y a une alternance de rendez-vous en couple et de rendez-vous individuels. Il y a

trois cas, soit c'est la personne qui a une double vie qui va à un moment donné me le dire, soit c'est son

conjoint qui a un soupçon.

Cas final, c'est moi qui le comprend en fonction du comportement, de ce qu'ils ne disent pas, des

contradictions, d'actes manqués, par la communication non verbale également, des mimiques et des

détails qui sont parlant quand on est habitués à les entendre.

C'est leurs inconscients qui parlent, ils ne se rendent absolument pas compte qu'ils sont en train de se

dévoiler. Alors, soit j'émet l'hypothèse d'une double vie avec la personne concernée dans un rendez-

vous individuel, soit elle l'admet d'elle-même.

Dans les deux cas que je connais, le conjoint et les enfants légitimes n'ont pas connaissance de la

famille parallèle. Cependant le conjoint parallèle est déjà au courant qu'il existe un foyer légitime.

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Conserver le secret au sein des deux foyers est impossible. D'ailleurs, une des raisons qui peut faire

qu'une double vie s'arrête est la découverte du secret par le foyer d'origine.

2) Touchent-ils plus les hommes ou les femmes ?

On ne peut pas généraliser mais j'ai en tête le cas d'un homme et dans l'autre cas c'est une femme. Il

semblerait tout de même que c'est plus fréquent chez les hommes d'avoir une double vie.

D'un point de vue pratique, l'homme n'a pas à cacher une éventuelle grossesse.

Oui, mais la femme peut être prête à faire passer un enfant qu'elle a conçue avec son partenaire

parallèle pour celui de son mari légitime. C'est tout à fait possible, depuis des siècles des femmes

peuvent faire ça. La femme que je connais par exemple, pourrait tout à fait envisager ça. Ça donne ici

une autre dimension psychologique, ce sont des individus qui n'ont pas de scrupules, qui, malgré tout,

manipulent les sentiments de l'autre. Le tout avec sang-froid, ce n'est pas un problème pour eux. Ils font

croire à chacun des partenaires ce qu'ils veulent entendre pour que cela fonctionne à trois.

3) Y-a-t-il un profil type ? Des récurrences notoires chez ces patients ?

Oui, les raisons qui mènent aux doubles vies sont complexes et complémentaires.

Il y a des raisons qui sont psychologiques déjà, et le profil type que je remarque, c'est qu’homme ou

femme, ce sont des personnes qui ont une capacité évidemment à mentir, à jouer un double rôle et à

s'adapter à des situations différentes très rapidement. C'est à dire des gens qui sont capables en

quelques minutes de passer d'un contexte à un autre et de jouer le rôle qu'il faut. Ils ont cette capacité et

cette aisance. Cette capacité entraîne la condition avant tout de savoir gérer le stress.

Ce sont des personnes, je trouve, qui ont une tolérance à la frustration assez élevée, ils gèrent cette

situation compliquée avec un stress soutenable.

L'autre raison psychologique, c'est que sont des personnes...égoïstes ou autonomes, je ne sais pas. Dans

l'égoïsme, il y a une notion de morale qui ne me plaît pas. En tout cas, des personnes égocentriques,

très autonomes, indépendantes, qui ont du mal à rester dans le schéma classique, traditionnel, du couple

à deux. Dans la norme quoi ! Ils ont beaucoup de mal ! Comme ils sont centrés sur leurs besoins, ils

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sont prêts à dépasser, à détourner les conventions, les règles et les lois pour satisfaire ce dont ils ont

besoin, fondamentalement.

La troisième raison psychologique, chez ces personnages-là, est qu'il y a quand même une

insatisfaction. Ils recherchent quelque chose qu'ils n'ont pas dans leur couple traditionnel, quelque

chose de fondamental qu'ils se donnent les moyens d'aller trouver ailleurs. Avec tous les risques que

cela comporte, toutes les complications, mais ils le font. Ils passent à l'acte. Un choix restreint, toute

leur vie, est pour eux insoutenable.

Il y a un autre motif dans la relation de couple. Là par exemple je pense à cette femme qui a une double

vie. N'empêche que c'est compliqué mais elle y arrive ! Ça fonctionne dans le secret puisque son mari

ne le sait pas du tout. Pour elle, il y a une routine qui s'est installé dans le couple qu'elle ne peut pas

supporter. Elle a besoin de changement, de nouveauté, elle a besoin des premières fois. À partir de là,

elle a un ailleurs.

4) Le poids du secret a-t-il une incidence sur l'équilibre physique et mental de ceux qui le portent

? Quels sont les troubles auxquels ils peuvent être sujets ?

Les troubles peuvent être les suivants. À force de vivre dans ces deux contextes différents, de jouer ces

deux personnages, il peut y avoir une perte de vitalité, de la déprime...ou l'opposé !

C'est à dire des émotions moins bien gérées, soit avec le partenaire légitime, soit avec le partenaire

parallèle, de l'ordre de troubles du comportement, de colère, d'agressivité.

En termes d'actes manqués, cela peut être aussi des conséquences carrément matérielles. Pour moi, un

accident de voiture peut être un acte manqué dans ce contexte-là. Cela peut être même une maladie,

comme l'eczéma par exemple. Une maladie est la somatisation de conflits psychiques.

Personnellement, je crois et j'ose dire maintenant que toutes nos maladies, nos malaises, accidents,

opérations sont des somatisations de conflits.

Il y a des accidents qui arrivent au hasard tout de même ?

Je ne le crois plus, et j'en suis le premier cobaye. Si on prend le temps de s'arrêter, il y a un sens, cela ne

vient pas comme ça au hasard.

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5) À contrario, le secret peut-il être recherché ? Comme un besoin d'intimité par rapport à un

conjoint qui nous connait trop et qui nous emprisonne dans sa relation avec lui.

C'est probable, cela se peut, mais on ne peut pas en faire une généralité. Ce qui est évident est que les

individus se mettant dans cette situation de secret y sont fortement attirés. Ils sont fascinés par ça, vu

les efforts et l'organisation que cela doit demander. C'est très complexe à gérer, pour y arriver, il faut

une motivation très forte, une recherche quasi irrésistible.

6) Peut-on parler d'engrenage ? De machine arrière impossible une fois qu'une relation de ce

type est instauré?

Cela se peut aussi, mais comme je vous l'ai dit, on ne peut pas généraliser. Cela dépend du ressenti de

la personne qui expérimente cette double vie. Tous les cas sont possibles, je prends deux extrêmes : il y

a ceux qui le vivent bien jusqu'à leur mort, sans regrets et sans remords et il y a ceux, dans leur

parcours, ne vont plus pouvoir le supporter et vont faire, justement, un acte manqué. Et le secret va

tomber, la situation va s'arrêter parce qu'ils n'en peuvent plus.

Et puis il y a le cas moyen, où c'est dur à vivre, la personne s'aperçoit que c'est plus dur que prévu mais

elle y reste. Les deux cas que je connais, homme et femme, y sont toujours aujourd'hui.

7) À quel point jugez-vous que nous soyons déterminés par notre nature dans nos interactions

sociales? (programmes génétiques à accomplir, besoins naturels, pulsions et instincts reptiliens,

libérations d'hormones). Cette nature est-elle plus forte que notre morale et notre libre arbitre ?

Si le poids de ce qui est naturel n'était pas gigantesque, il n'y aurait pas de morale !

À mon avis, si la morale a été mise en place depuis la nuit des temps sur l'homme, c'est justement pour

essayer, je dis bien essayer, de contenir et réfréner tout ce que vous appelez nature. Je pense que c'est

une puissance extraordinaire qui nous fait faire par moment, des choses contre la morale et la vie

sociale. Après, heureusement que la morale et l'éducation existent, sinon on serait des êtres sauvages.

On l'est encore malgré la morale. Les religions permettent quelque part de canaliser la force de la

nature.

Mais à trop vouloir assagir et canaliser cette nature, ne crée-t-on pas du refoulement chez les

individus ?

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Le refoulement arrive dès le deuxième jour de la naissance : Le bébé pleure parce qu'il a faim, s'il n'a

pas tout de suite à manger, il est déjà frustré. Et cette frustration fait déjà apparaître la notion de

refoulement chez lui. Il refoule déjà son besoin instinctif de manger tout de suite.

Chacun essaie donc de trouver l'équilibre entre sa nature et la morale.

Ne pensez-vous pas que nous cédons de plus en plus à ces besoins instinctifs ? Qu'il y a un recul

de l'emprise de la morale face à nos plaisirs ?

Oui et non. Oui dans le sens, ou en effet, les religions et l'éducation moraliste sont moins présentes en

général, ce qui donne dans la génération qui est la vôtre beaucoup plus de liberté. Dans ce sens, c'est

gênant. Et dans l'autre sens, j'oserais dire heureusement qu'il y a un peu moins de morale maintenant.

Car au moins, dans certains cas, les couples ne se sentent plus obligés comme dans les générations

précédentes de rester ensemble toute la vie et de vivre un enfer. Ils restaient ensemble pour des raisons

conventionnelles ou religieuses, mais à quel prix de souffrance la plupart du temps ! Je dirais même en

majorité.

Maintenant, les jeunes sont moins tenus par la morale et se sentent plus libre de respecter les besoins

qu'ils ont d'être heureux et d'être mieux.

Mais le fait d'être plus libre, de pouvoir se permettre plus de chose ne nous fait-il pas rentrer

dans une période floue, sans guide, où nos rôles volent en éclat ?

Ce n'est pas que les rôles sont indéfinis, ils évoluent ! C'est une génération de grande transition, mais si

ça va dans ce sens, c'est qu'il y a quelque chose au départ qui nous paraît bon. Après, c'est à nous de le

gérer.

8)Pensez-vous que notre représentation de l'amour véhiculé par la télévision, les films et les livres

(grand amour fusionnel où chacun s'abandonne à l'autre, idéal du 1er amour voué à l'échec)

amènent les individus à rechercher des relations intensives sans cesse ? À raviver la flamme avec

un individu quand elle s'éteint avec un autre ?

Je crois que c'est le rêve, l'illusion de certains de croire que cet amour doit et devrait durer toujours. Ce

n'est pas ça la réalité. Un couple qui dure toute la vie, à condition qu'il soit harmonieux, c'est un couple

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qui a démarré par l'amour passionnel. Au fur et à mesure, cet aspect-là va s'estomper mais les deux vont

rester de bon compagnons de vie. Il restera de la tendresse, de l'estime, de la compréhension, de la

tolérance et c'est pour ça que le couple dure. Ils sont restés bons amis. La passion est passée, la

sexualité souvent aussi.

Cet amour fusionnel est un mythe que nous avons. Le bon côté est que nous avons un objectif dans la

relation. Vouloir rechercher ce début passionné constamment, cela peut être une motivation pour

certains.

Que cette recherche intensive de l'amour entraîne du papillonnage et des adultères, pourquoi pas. Cela a

toujours existé, c'est juste qu'aujourd'hui les gens peuvent plus se le permettre car le carcan de la

morale est moins fort.

Avant, il y avait une telle pression de la morale, que malgré leurs frustrations, les gens restaient

ensemble.

9) Est- il possible d'aimer deux personnes à la fois ?

Ceux qui ont une double vie, c'est ce qu'ils disent. Ils disent tous ça ! Ça pose la question : Qu'est-ce

que ça veut dire aimer ? Et il y a trente-six façons d'aimer, il n'y-a pas une définition de l'amour, tout est

possible. Ça dépend des représentations de l'amour que chacun a, et il y a d'énormes variations.

10)Ce comportement est-il l'illustration de notre impossibilité à faire des choix ? À un manque de

maturité ?

Nous ne faisons pas de choix parce que nous ne supportons pas la frustration, nous voulons tout avoir.

Humainement, nous sommes intolérants envers la frustration, nous voulons profiter des qualités de

chacun. Choisir, c'est renoncer. S'établir en couple avec une personne signifie renoncer à toutes les

autres, à des tas de possibles. Il y a ceux qui arrivent à le gérer en restant en couple et il y a ceux qui

trouvent cela absolument intolérable et ils vont combler cette frustration avec un autre dès qu'ils en ont

l'occasion, sans choisir.

C'est premièrement une question de maturité affective et deuxièmement, une question d'expérience

personnelle par rapport à l'amour et aux relations de couple.

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La maturité affective se construit pendant l'enfance, dans les relations que nous entretenons avec nos

parents et les adultes qui participent à notre éducation. Une enfant traumatisée par l'image du couple

que lui a donné ses parents : par exemple, une mère frustrée et malheureuse avec son mari. Cela va

jouer dans l'avenir sur la façon dont cette enfant va gérer son propre couple. De plus, si dans sa

maturité affective, elle est pleine de désirs, de besoins, bien centrée sur elle-même, qu'elle a du mal à

faire des choix, elle ne voudra surtout pas reproduire le modèle de sa mère. Elle aura un mari certes,

mais aussi un autre homme qui la comblera complétement.

Dans le cas de l'homme en situation de double vie que je connais, son père a quitté la famille, il les a

abandonné pour une autre femme avec laquelle il a eu un enfant. Cet homme, enfant à l'époque, en a

énormément souffert. Maintenant qu'il est adulte, il dit « Je ne ferais pas comme mon père! Je ne

quitterai jamais ma femme et mes enfants pour une autre femme, cela fait trop souffrir les enfants.»

Résultat : Il a une double vie. Il a un lien très fort avec sa famille légitime, il ne peut les quitter à cause

de son passé personnel, il a une autre famille mais il protège par-dessus tout les enfants.

11) Vivre ou travailler loin de sa famille est-il selon vous un facteur de doubles vies ?

Certainement, c'est un élément facilitateur évident mais ce n'est pas un facteur déclencheur si la

personne n'est pas faîtes pour ça. La tentation de le faire est plus importante car le contexte est plus

simple.

12) Le contact avec d'autres cultures, polyandre ou polygyne, dont les structures conjugales sont

différentes peut-il être un facteur de doubles vies ?

Cela peut être un argument prétexte, qui facilite le passage à l'acte mais encore une fois, ce ne sera pas

un élément déclencheur. Le déclenchement est profondément psychologique.

13) Au-delà de la psychologie, de la sociologie, de la biologie, y-a-t-il une autre discipline qui soit à

même d'appréhender le phénomène des doubles vies ?

Oui, on peut se rapprocher de la méthode transgénérationelle. Dans toutes les familles réside une

problématique dominante, elle peut être le couple.

Il y a des personnes qui sont comme téléguidés par des modèles anciens : nous remarquons dans

certains clans et familles la répétition de même scénario de couple, comme une programmation, un

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conditionnement qui perdure génération après génération.

Par exemple, un père a une double vie et son fils en une également. ! On peut observer ces

transmissions de scénarios dans beaucoup de famille, ce sont des faits. (habitus) On constate que cette

transmission se fait de façon ciblée.

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Conclusion générale

Nous voilà arrivé au terme de cette étude. Nous avons emprunté de nombreux chemins qui nous

ont permis d'avoir une compréhension plus large du phénomène de double vie. Au bout de chaque

sentier apparaît des points du vue différents, contradictoires ou paradoxaux.

Ainsi, il apparaît non pas une réponse à notre problématique mais une multitude de réponses possibles

et d'hypothèses à développer. Il manque cependant un élément phare, qui aurait éclairé le sujet mieux

que n'importe qui : les témoignages de personnes vivant ou ayant vécu une double vie.

Les sciences dures nous ont permis d'entrevoir les mécanismes biologiques et chimiques qui nous lient

et délient. Une force de la nature par laquelle nous sommes tous plus ou moins agit, parfois contre nous

même. Drogués par la vie, par le besoin irrépressible de la perpétuer pour en jouir toujours plus.

Mais ce moteur puissant qui perpétue l'espèce humaine ne peut être perçu sans la culture qui le bride ou

qui l'attise. Nous n'avons jamais cessé de nous rêver autre, soit dans un retour à nos racines animales,

soit dans le dépassement de nous-même. Dans nos cultures occidentales, notre bestialité est largement

assimilée à un mauvais comportement. Nous la refoulons et la désirons à la fois.

Nos comportements conjugaux croulent sous le poids de la morale et de la modernité. Trop codifiés

pour certains, trop libres pour d'autres. Éternels insatisfaits, nous voilà en quête des éléments qui nous

manque. En chemin vers notre mort, nous ne savons renoncer à rien. Engranger nous rassure.

L'ennui, le fait d'être réduit à que nous sommes vraiment ou à ce que nous ne sommes pas du tout nous

font horreur.. Nos comportement traduisent alors notre volonté de surpasser notre quotidien monotone,

de briser le miroir social qui nous renvoie notre image ou de se dérober à sa vue.

Tous différents, nous devons pourtant jouer le jeu des similitudes pour échapper à la solitude. Certains

s'y adaptent avec succès alors que doivent multiplier les rôles pour être contenté : « Nous sommes dans

un monde fou, que l'homme est la plupart du temps fou; et je crois que dans une certaine mesure, ce

que nous appelons la moralité n'est qu'une sorte de folie, qui se trouve être une adaptation

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fonctionnelle aux circonstances présentes. ».

Nous avons pu également établir un profil psychologique des individus concernés par notre objet

d'étude : Égocentrique, autonome, capable de s'adapter à plusieurs rôles rapidement, gérant très bien le

stress.

Si nous réfléchissons quelques minutes, il apparaît que ces caractéristiques sont celle du profil idéal

pour survivre à notre époque et gérer l'immense pression que la modernité fait peser sur nous. Allons-

nous devenir des purs produits de notre époque ? Tous à même de mener des doubles vies ?

Notre incursion dans la psychologie répondrait non, car elle nous a appris que rien n'est généralisable,

que tout un chacun est particulier selon sa maturité affective et sa vision du couple.

L'hypothèse psycho-généalogique a elle aussi été soulevée, et pourrait être davantage explorée pour

enrichir notre étude. Sommes-nous contraints par la répétition de scénarios familiaux sur plusieurs

générations ?

En finalité, ne perdons pas de vue que nos oscillons sans cesse, que nous sommes à la fois élan et

attirance. L'Homme pourrait être la meilleure définition de l'inconstance.

Nous avons énuméré des causes, des raisons, des éléments contextuels facilitateurs ou déclencheurs,

des prétextes qui déterminent soit la situation de doubles vie, soit son choix et sa motivation. Mais

n'oublions pas que beaucoup trouvent dans les déterminismes divers le moyen d'échapper à leur libre

arbitre et leur culpabilité.

Nous rêvons de simplicité et de complexité en même temps. Tel est le prix de la modernité, notre

monde est pluriel, il est difficile d'en habiter qu'un seul.

Séduit par la richesse de l'univers, et apeuré par l'avenir et la petitesse d'une terre dont ils croient savoir

l'essentiel : Pourquoi croyez-vous que des chercheurs partent à la recherche d'autres planètes ?

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