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136 Dalila MORSLY Les écoles arabes-françaises dans l’Algérie colonisée. Une expérience d’enseignement bilingue ? Résumé : La question de l’instruction publique se pose, en Algérie, dès le début de la colonisation. La diversité culturelle et linguistique déjà fortement présente au moment de la conquête va se développer encore avec l’apport de populations nouvelles issues de différentes régions de France ou de pays méditerranéens créant une nouvelle situation de plurilinguisme. Le projet de mise en place d’un système éducatif pour la colonie doit d’abord définir une politique linguistique pour l’école. L’étude qui suit se propose d’examiner et d’analyser un aspect du problème : les fonctions assignées à l’arabe et au français dans le cadre de l’expérience des « écoles arabes-françaises ». Abstract : The issue of public education arose in Algeria at the very beginning of French colonization. Colonial authorities discovered a certain cultural, religious and linguistic heterogeneity which was linked to the cohabitation between Jews and Muslims, between Arabic-speaking people and Berber-speaking people and between Turks and local populations. This cultural and linguistic diversity increased significantly when calls for settlement seduced populations coming from various regions of France and speaking different languages, and other populations coming from Switzerland or from other parts of the Mediterranean region. The following study intends to examine and analyse the functions assigned to Arabic and French within the framework of the experiment of Arabic/French bilingual schools. 1. Introduction Le plurilinguisme, l'éducation plurilingue se portent apparemment bien en tant qu'objet de recherche sociolinguistique, en tant que projet didactique stimulant permettant de penser et, pourquoi pas, de répondre, au plan de l'enseignement et de l'éducation, au défi « que représente la gestion de la pluralité » et du « cosmopolitisme mondial » auxquels les sociétés d'aujourd'hui doivent faire face (Liauzu 1996 : 17). Cette exigence de notre temps est, en fait, comme l'explique Liauzu, une exigence de tous les temps et il peut être à la fois pertinent et instructif de se pencher sur des expériences du passé, de revenir, à propos de l’Algérie, à ce début du XIX e siècle où le pays entre dans le processus de colonisation. Il est remarquable de noter que la question de l’instruction publique, comme on disait alors, se pose dès 1832 1 . Les autorités coloniales françaises découvrent sur le terrain et en particulier à Alger une certaine diversité culturelle, religieuse et linguistique liée à la cohabitation ancienne entre musulmans et juifs, entre arabophones et berbérophones, entre Turcs et populations locales… Le processus colonial va considérablement accroître cette diversité car les appels à colonisation vont séduire des populations venant de France et parlant différentes langues 2 , de Suisse ou d’autres régions du pourtour méditerranéen (Espagnols, Italiens, Maltais etc.). L’intendant civil, Pierre Genty de Bussy (1835 : 478) note : « Alger est une véritable tour de Babel. Il n’est peut-être pas dans le monde de ville où l’on parle plus de langues. Après le turc, l’arabe, et l’hébreu dont les rabbins ne font usage qu’entre eux, celles dont on se sert le plus sont le français, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand et enfin cette langue franque 3 qu’on retrouve partout sur le littoral de l’Afrique, et dont les règles ne sont tracées nulle part ». Dans un tel contexte, plusieurs facteurs jouent un rôle déterminant dans l’élaboration du système scolaire : l’hétérogénéité linguistique, culturelle et religieuse, les rôles et statuts assignés aux différents groupes dans le développement et la construction de la colonisation, les objectifs fixés à l’occupation. Ceci explique que le système scolaire colonial s’installe progressivement, à l’issue d’une série d’expérimentations hésitantes menées dans la dynamique d’une conquête encore incertaine et qui rencontre la résistance de ceux qui deviendront, dans le discours colonial, les « Indigènes ». 1. Rappelons que l’occupation française de l’Algérie commence en 1830. 2. À cette époque, la francisation des Français est loin d’être achevée. 3. Genty de Bussy parle de la lingua franca, sabir utilisé pour la communication commerciale dans les ports de la Méditerranée.

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Dalila MORSLY

Les écoles arabes-françaises dans l’Algérie colonisée. Une expérience d’enseignement bilingue ?

Résumé : La question de l’instruction publique se pose, en Algérie, dès le début de la colonisation. La diversité culturelle et linguistique déjà fortement présente au moment de la conquête va se développer encore avec l’apport de populations nouvelles issues de différentes régions de France ou de pays méditerranéens créant une nouvelle situation de plurilinguisme. Le projet de mise en place d’un système éducatif pour la colonie doit d’abord définir une politique linguistique pour l’école. L’étude qui suit se propose d’examiner et d’analyser un aspect du problème : les fonctions assignées à l’arabe et au français dans le cadre de l’expérience des « écoles arabes-françaises ». Abstract : The issue of public education arose in Algeria at the very beginning of French colonization. Colonial authorities discovered a certain cultural, religious and linguistic heterogeneity which was linked to the cohabitation between Jews and Muslims, between Arabic-speaking people and Berber-speaking people and between Turks and local populations. This cultural and linguistic diversity increased significantly when calls for settlement seduced populations coming from various regions of France and speaking different languages, and other populations coming from Switzerland or from other parts of the Mediterranean region. The following study intends to examine and analyse the functions assigned to Arabic and French within the framework of the experiment of Arabic/French bilingual schools. 1. Introduction

Le plurilinguisme, l'éducation plurilingue se portent apparemment bien en tant qu'objet de recherche sociolinguistique, en tant que projet didactique stimulant permettant de penser et, pourquoi pas, de répondre, au plan de l'enseignement et de l'éducation, au défi « que représente la gestion de la pluralité » et du « cosmopolitisme mondial » auxquels les sociétés d'aujourd'hui doivent faire face (Liauzu 1996 : 17). Cette exigence de notre temps est, en fait, comme l'explique Liauzu, une exigence de tous les temps et il peut être à la fois pertinent et instructif de se pencher sur des expériences du passé, de revenir, à propos de l’Algérie, à ce début du XIXe siècle où le pays entre dans le processus de colonisation.

Il est remarquable de noter que la question de l’instruction publique, comme on disait alors, se pose dès 18321. Les autorités coloniales françaises découvrent sur le terrain et en particulier à Alger une certaine diversité culturelle, religieuse et linguistique liée à la cohabitation ancienne entre musulmans et juifs, entre arabophones et berbérophones, entre Turcs et populations locales… Le processus colonial va considérablement accroître cette diversité car les appels à colonisation vont séduire des populations venant de France et parlant différentes langues2, de Suisse ou d’autres régions du pourtour méditerranéen (Espagnols, Italiens, Maltais etc.). L’intendant civil, Pierre Genty de Bussy (1835 : 478) note :

« Alger est une véritable tour de Babel. Il n’est peut-être pas dans le monde de ville où l’on parle plus de langues. Après le turc, l’arabe, et l’hébreu dont les rabbins ne font usage qu’entre eux, celles dont on se sert le plus sont le français, l’italien, l’espagnol, l’anglais et l’allemand et enfin cette langue franque3 qu’on retrouve partout sur le littoral de l’Afrique, et dont les règles ne sont tracées nulle part ».

Dans un tel contexte, plusieurs facteurs jouent un rôle déterminant dans l’élaboration du système

scolaire : l’hétérogénéité linguistique, culturelle et religieuse, les rôles et statuts assignés aux différents groupes dans le développement et la construction de la colonisation, les objectifs fixés à l’occupation. Ceci explique que le système scolaire colonial s’installe progressivement, à l’issue d’une série d’expérimentations hésitantes menées dans la dynamique d’une conquête encore incertaine et qui rencontre la résistance de ceux qui deviendront, dans le discours colonial, les « Indigènes ».

1. Rappelons que l’occupation française de l’Algérie commence en 1830. 2. À cette époque, la francisation des Français est loin d’être achevée. 3. Genty de Bussy parle de la lingua franca, sabir utilisé pour la communication commerciale dans les ports de la Méditerranée.

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Parmi ces expériences, celle des écoles arabes-françaises4 souvent décrite par les chercheurs spécialistes de l’histoire de l’éducation en Algérie, intéresse particulièrement la problématique de l’éducation plurilingue, dans la mesure où elle montre comment les responsables de l’instruction publique tentent de répondre aux questions que soulèvent l’enseignement apprentissage des langues et la gestion de la communication intra et extra scolaire dans un contexte plurilingue de domination coloniale. La dénomination « écoles arabes-françaises » semble afficher dès l’abord une perspective bilingue, même si le terme « bilingue » lui-même est rarement utilisé pour nommer ou caractériser ces écoles. L’étude présentée ici voudrait, en s’efforçant, dans la mesure du possible, d’éviter les pièges de l’anachronisme théorique et épistémologique c’est-à-dire de regarder cette initiative avec des outils forgés dans les débats sociolinguistiques et didactiques d’aujourd’hui, décrire le fonctionnement de cet enseignement arabe français, rappeler les différentes étapes de son institutionnalisation, en analyser et en situer la nature et la dimension bilingues à partir de l’examen de documents d’archives, de rapports administratifs, d’études historiques ou relevant des sciences de l’éducation. 2. La création des écoles arabes-françaises

C'est le décret du 14 juillet-6 août 1850 qui porte création des écoles arabes-françaises. Le décret stipule que 10 écoles seront ouvertes à Alger, Oran, Mostaganem, Bône, Constantine réparties ainsi : six écoles pour les garçons et quatre pour les filles. Le décret instaure aussi la gratuité de l'enseignement. La mention des villes qui vont prendre en charge ces établissements indique que si la colonisation du pays n'est pas encore complète, elle s’étend, cependant, à d’autres régions et ce, vingt ans après le débarquement de l’armée française à Sidi-Ferruch. Dans les années qui suivent, de nouvelles écoles verront le jour dans plusieurs centres urbains ou en « pays arabe », pour reprendre les termes consacrés à l’époque.

Avant la promulgation de ce décret, entre 1832 et 1850, différents établissements scolaires étaient en fonction. Il s’agit d’écoles et collèges privés ou confessionnels (catholiques, protestants ou juifs5). L’enseignement officiel ou public destiné aux enfants des militaires, des administratifs et des premiers colons est fondé par l'Intendant civil Pierre Genty de Bussy qui contribue à l'ouverture de plusieurs écoles d'enseignement à Alger, Bône et Oran et dans les premiers villages de colonisation de l’Algérois. Sur le plan pédagogique, cet enseignement relève de l’enseignement mutuel. Les écoles accueillent aussi, théoriquement, les colonisés et fonctionnent selon le principe – comme en France ou en Angleterre où la méthode a vu le jour – de l’échange des savoirs : les enfants des colonisateurs et les enfants des colonisés s’enseignent mutuellement leur langue et cette méthode ne peut, aux dires des initiateurs du projet, que contribuer à réduire les préventions, d’ordre religieux en particulier, des uns et des autres. Genty de Bussy (1839 : 217), par exemple, considère « comme un progrès sensible dans l’extinction des haines et des animosités religieuses cette réunion d’élèves français, maures et juifs dans un même local, sous un même maître ». En fait, comme le montre la suite du propos de Genty de Bussy (1839 : 217), c’est surtout des enfants indigènes que l’on attend une perméabilité à l’autre :

« En formant une grande école d’enseignement mutuel à Alger, le gouvernement se proposait avant tout d’arriver à l’instruction des indigènes ; c’était le plus sûr moyen de les conquérir à la cause de la France et à la civilisation. Dans les jeux du jeune âge et les exercices de l’étude avec des Français, les enfants maures auraient perdu cet esprit de fanatisme et de haine, entretenu par l’esprit religieux ».

L’expérience des écoles d’enseignement mutuel, qui – autre élément qui peut expliquer son échec – sont

installées dans des mosquées que les autorités coloniales se sont appropriées, a été de courte durée. Les colonisés n’envoient pas leurs enfants à l’école : « […] les Maures, constate Genty de Bussy (1939 : 204) ont déserté nos bancs ». Les enfants français ne sont pas très nombreux non plus et ils appartiennent, pour l’essentiel, à des familles pauvres. En effet, « Les Européens des classes élevées ne veulent pas entendre parler de ces écoles mélangées où riches et pauvres fréquenteraient les mêmes bancs », écrit l’historienne Turin (1971 : 48) qui note que le système prétendait réunir des groupes traversés à la fois par des résistances d’ordre culturel et religieux et par des résistances d’ordre social : « Les musulmans refusent de se mêler aux chrétiens, les juifs répugnent à fréquenter aussi bien les disciples de Mahomet que ceux du Christ, les riches redoutent les contacts des pauvres » (1971 : 48).

4. Des collèges arabes français sont aussi créés pendant cette période, mais nous nous intéresserons, ici, uniquement, aux écoles primaires. 5. L’Algérie est par ailleurs dotée d’un système d’enseignement traditionnel rattaché aux zaouïas et aux mosquées ; ce dernier se maintiendra tant bien que mal pendant toute la durée de l’occupation coloniale (Morsly 1988).

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Devant cet échec, on procède, en 1836, à un réaménagement du système qui repose sur le principe de la séparation des communautés « indigènes » : deux types d’écoles appelées écoles « juives-françaises » et écoles « maures-françaises » sont ouvertes. L’enseignement est dispensé par deux maîtres : un maître français pour le français, un maître « indigène6 » pour les cours de religion (musulmane ou juive) et les cours d’arabe.

Cette période (1832-1850) d’essais où se côtoient et se succèdent différents programmes de scolarisation est considérée par les historiens de l'école coloniale en Algérie comme une période d'incertitude qui ne voit pas l'émergence d'un véritable système d’enseignement. Le décret de 1850 constitue, par contre, à leurs yeux, la première décision officielle qui montre que le pouvoir français s’engage dans la mise en œuvre d'un projet scolaire susceptible de répondre à cette rencontre inaugurale entre colonisés et colonisateurs. Dans les faits, ce qui est perçu comme une tentative prometteuse d'institutionnalisation de l’appareil scolaire se révèle tout aussi fragile. Le système s'effiloche, s’épuise graduellement jusqu'à la mise en place dans les années 80 d’un nouveau projet éducatif clairement fondé, cette fois, sur la séparation des enseignements : l’enseignement pour les Européens est séparé de l’enseignement pour les indigènes. 3. Les écoles arabes-françaises : les implicites d'une dénomination

Pour expliquer la nature du projet scolaire durant cette période des débuts de la colonisation, nous nous arrêterons sur les termes choisis par les responsables de l’instruction publique pour désigner chacune de ces premières expériences.

Alors que l'appellation « enseignement mutuel » réfère à un courant pédagogique et désigne une méthodologie d'enseignement, les termes « écoles juives-françaises », « écoles maures-françaises », « écoles arabes-françaises » relèvent d’un tout autre niveau que nous nous proposons d’analyser.

Ces désignations renvoient aux populations, aux communautés, aux publics d’apprenants, dirions-nous aujourd'hui, définis non pas en termes de compétences linguistiques ou d’objectifs d’apprentissage mais en termes d'appartenance ethnique ou religieuse. Le paradigme de désignation des colonisés est, dans le discours colonial, très fluctuant et il évolue en fonction du développement de l’occupation. Les termes les plus fréquents, en ce qui concerne les populations musulmanes, sont ceux de « maures », « musulmans », « arabes », « kabyles », « indigènes ». La notion de maure, « curieuse » selon l'anthropologue Pouillon (1993), est mise en relation tantôt avec la Maurétanie Césarienne de l’Afrique romaine, tantôt avec la Mauritanie. Le terme sert aussi à distinguer les populations des villes par opposition à celles des campagnes ou encore les descendants d'Andalous, appelés « Moriscos » en Espagne, qui se sont, précisément, installés dans les villes. Le terme « maure » disparaît, toujours selon Pouillon, quand on a besoin d'élaborer la séparation entre Kabyles et Arabes. C'est la promotion des désignants « arabes » versus « kabyles ». Il faut, sans doute, rattacher à ce glissement l’apparition des « écoles arabes-françaises » et « écoles kabyles-françaises ». Cette confusion, cette instabilité, ce désordre « […] des classifications ethnologiques » (Pouillon, 1993 : 47) qui règnent dans le système de dénomination des populations indigènes peut s’expliquer par le fait que pour les premiers observateurs « la société ne se lit pas comme un livre » (Pouillon, 1993 : 41). Les colonisateurs semblent, en effet, avoir du mal à percevoir et à nommer les composantes de la société complexe qu’ils découvrent, à gérer la pluralité ethnique aussi bien que religieuse et linguistique.

Mais ce qui est en cause, dans le cadre de l’école, c’est moins l’exactitude ou la validité des désignants choisis que le passage de désignants techniques (« écoles mutuelles ») à des désignants ethniques. Ce passage traduit un fonctionnement tragique à l'autre qui va être une des modalités majeures de la relation colonisateurs/colonisés et qui, dans le domaine de l’instruction, en général, va travailler sans cesse les discours des responsables de l’institution scolaire ainsi que les décisions qui seront prises dans le cadre de la mise en place du système scolaire. L'importance de cette dimension apparaît dès les tous débuts de la colonisation. Ainsi, Mirante (1930 : 75), rédacteur d’un rapport publié dans les Cahiers du centenaire de l'Algérie, rappelle que pour les responsables des premières années de l’occupation, les indigènes étaient constitués, dans la plupart des villes, de deux groupes : celui des israélites ou juifs et celui des Maures musulmans. Partant de ce constat, il explique : « Les questions d'enseignement se présentaient pour eux de même manière, on ne pouvait cependant songer à réunir, sous l'autorité d'un même instituteur, les Israélites et les Musulmans, à cause de leur antipathie réciproque ». Cet argument réducteur fondé sur une représentation psychologisante des relations juifs/musulmans serait à l’origine de la création du double système écoles juives-françaises/écoles maures-françaises. Mirante justifie, ainsi, a posteriori, la mise en place d’un système scolaire communautaire.

Cette pratique de la séparation des communautés revient de façon quasi obsessionnelle dans tous les

6. Nous reprenons ici le terme utilisé à l’époque.

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discours sur l'école et constitue un des paramètres à partir duquel se pense la construction du système éducatif. Elle perdure à travers la mise en place de l'école indigène par opposition à l'école française jusqu'au décret du 5 mars 19497 qui promulgue la fusion des enseignements : le même enseignement, l'enseignement français, pour tous les enfants. Donc, l'élaboration de l'institution scolaire en colonie se pense, dans une large mesure, à partir des questions suivantes : faut-il séparer ? Qui peut-on mettre ensemble, dans la même école ? Peut-on enseigner les mêmes langues et les mêmes disciplines à tous les enfants ? Le discours qui proclame « la fusion des races », est, dans les faits, sans cesse contredit par la pratique de la séparation des communautés. Ces dénominations ne sont donc pas in-signifiantes, elles « […] condensent et expriment en même temps des conceptions particulières des autres ainsi nommés, et mal nommés en fait parce qu’ils ne sont jamais identifiés comme des semblables, mais comme les membres interchangeables de la race à laquelle ils sont supposés appartenir » (Le Cour Grandmaison 2005 : 26). On a bien, y compris dans le contexte de l’école, « Un discours colonial en proie à la racisation » (Siblot 1987 : 59). 4. Les écoles arabes-françaises : quel bilinguisme? Les objectifs

La création des écoles arabes-françaises avait pour premier objectif, on l’a vu, de former les enfants dans les deux langues : l’arabe et le français. Cet objectif est présenté dans les textes contemporains de leur installation ainsi que dans les textes ultérieurs, plus historiques, comme une nécessité. Mirante (1930 : 74) exprime un point de vue semblable : « […] nous nous rendîmes compte d’une double nécessité : faire apprendre aux Français, venus en Afrique, la langue des indigènes, faire apprendre aux indigènes la langue française. Et ceci parut tout de suite importer plus que cela ».

La désignation « écoles arabes-françaises » pourrait alors traduire la volonté des autorités coloniales d’instaurer un bilinguisme scolaire. Mais, on le voit, le bilinguisme projeté est plutôt un bilinguisme inégal et transitoire qui doit instaurer, à plus ou moins long terme, la suprématie du français sur l’arabe, et hisser les indigènes vers la civilisation française. Les déclarations de Genty de Bussy que, d’ailleurs, Mirante reprend, vont dans ce sens : « Il est bien plus pressant de mettre les indigènes en possession de notre langue que pour nous d'étudier la leur » (1839 : 205). De même, les responsables du Ministère de la guerre adressent au Président de la République un rapport (1851 : 18) dans lequel on peut lire : « Nous voulons amener les musulmans d’Algérie à une civilisation plus avancée, plus rapprochée de la nôtre, et pour cela, nous avons parfaitement raison de demander aux Français d’apprendre la langue arabe et aux Arabes d’apprendre la langue française ».

Sur le plan pratique, ce bilinguisme de nécessité8 aiderait, d’une part, à « […] produire un groupe d’intermédiaires entre la société dominante et la société dominée » (Colonna 1975 : 11), d’autre part, à combattre et à briser l’influence des zaouïas qui constituent des lieux de résistance importants contre l’extension de la colonisation et contre l’enseignement français (Morsly 1988 :104). Mercier, dans un énorme travail consacré à la question indigène, regrette les hésitations qui ont accompagné la mise en place des écoles arabes-françaises et réaffirme, encore en 1901, que « […] si l’on veut que les écoles arabo-françaises prospèrent on doit y organiser, sur des bases sérieuses l’enseignement de l’arabe. C’est ainsi qu’on fera une concurrence sérieuse à l’école de la zaouïa » (1901 : 199).

La relecture des textes et l’étude des arguments développés montrent bien qu’il n’y a pas, chez les promoteurs de ce projet, une véritable intention de maintenir l’arabe au-delà de ce délai nécessaire au fonctionnement de la colonie naissante. Ceci se vérifie lorsqu’on examine le fonctionnement du dispositif mis en place. L’Organisation des enseignements

Les données concernant l’organisation pédagogique varient d’une source à l’autre. Le nombre d’heures consacrées à la langue française reste incertain : les chiffres avancés donnent tantôt trois heures, tantôt quatre. Un autre exemple concerne la liste des matières enseignées durant la tranche horaire réservée au français : toutes les sources citent la lecture, l’écriture, les éléments de calcul, les poids et mesures mais certaines ajoutent l’histoire, la géographie9, les sciences naturelles. Ce manque de concordance tient, sans doute, au fait que les écoles n’adoptent pas toutes le même fonctionnement. Le système est, en effet, obligé de s’adapter à l’instabilité

7. La colonisation dure à ce moment là depuis plus d’un siècle et l’Algérie est à la veille du déclenchement de la guerre d’indépendance. 8. La formule a été utilisée par de nombreux chercheurs. 9. L’enseignement de la géographie est l’objet de polémiques passionnées.

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de la situation de guerre que le pays continue à vivre ainsi qu’aux contextes géographiques et socioculturels dans lesquels les écoles sont implantées, ce qui, d’ailleurs, se traduit par la promulgation d’arrêtés ad hoc qui réaménagent des dispositions du décret du 14 juillet-6 août 1850. En tenant compte de ces incertitudes, on arrive à reconstituer l’organisation pédagogique suivante :

Tableau 1 Répartition des disciplines selon les langues et les enseignants

Disciplines Langues Enseignants Horaires Lecture Écriture Coran

arabe maître-adjoint musulman

matin : 3 heures

Lecture Écriture Éléments de calcul. Poids et mesures Géographie/histoire

français

directeur ou

maître français

après-midi : 3 ou 4 heures

Le décret de création précise, par ailleurs, que pour les filles, la troisième heure de l’après-midi est

employée à des travaux d'aiguille « appropriés aux moyens musulmans » (Arrêté du 27 juillet I851, art. 4, Constantine). L’école des filles est placée sous l’autorité d’une « directrice française » secondée par une « sous-maîtresse musulmane » qui assure les enseignements d’arabe (Morsly 2010).

Le tableau ci-dessus donne une idée de la répartition des disciplines selon les langues. La lecture, l’écriture et les éléments de la langue font partie des programmes d’arabe et de français. La différence entre les deux temps de la classe apparaît nettement au niveau des disciplines non linguistiques qui sont majoritairement enseignées en français hormis l’apprentissage du Coran qui relève, bien sûr, de la langue arabe. Cette organisation des enseignements repose sur l’idée, régulièrement formulée, que l’arabe n’est pas linguistiquement outillé pour favoriser l’acquisition des savoirs relevant de disciplines scientifiques :

« […] la langue arabe a si peu de mots applicables aux sciences exactes, qu’à moins de procéder comme les israélites indigènes qui arabisent les mots étrangers dont ils ont besoin, il fallait nécessairement enseigner en français ce que l’on ne pouvait apprendre aux élèves avec l’arabe. » (Rapport, 1851 : 21).

La démarche adoptée repose donc sur un bilinguisme complémentaire inégal qui conduit à privilégier la

langue française comme langue d’acquisition de savoirs à la fois linguistiques et non linguistiques aux dépens de l’arabe objet d’un enseignement linguistique uniquement. L’heure consacrée au Coran est réservée, beaucoup de textes le précisent, aux indigènes et orientée vers la consolidation linguistique de l’arabe. Pas d’enseignement religieux en français ce qui signifie pas d’enseignement religieux pour les enfants européens. Le lien entre arabe et religion (musulmane) est renforcé par ce dispositif qui n’apporte sur ce point aucun changement par rapport aux écoles traditionnelles des zaouïas ou des mosquées ce qui vérifie que le système est, en fait, conçu pour contrecarrer et supplanter, à plus ou moins long terme, ces écoles10. La classe

Comme le montre le tableau, la classe est prise en charge par un « maître » ou un(e) « directeur/directrice français(e) » qui assurent les heures de français et un « maître auxiliaire11 musulman/sous-maîtresse musulmane » qui assurent les heures d’arabe. Les désignations sont, ici aussi, significatives ; les catégorisations des enseignants sont opérées à partir :

– de paramètres communautaires : l’appartenance nationale pour les Français, l’appartenance religieuse pour les indigènes ;

– de statuts socio-professionnels hiérarchisés : les maîtres d’arabe qui ne peuvent être qu’auxiliaires ou sous-maîtres sont placés sous l’autorité ou la responsabilité des

10. Colonna (1975 : 11) considère que l’objectif essentiel du décret de 1850 est d’empêcher l’enseignement traditionnel de « nuire à l’occupation ». 11. Jusque vers 1945 les indigènes n’ont pas droit au statut de fonctionnaires à part entière. C’est ce que traduit le mot « auxiliaire ».

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enseignants/directeurs français.

Cette hiérarchisation des rapports entre maîtres conforte les analyses présentées ci-dessus et constitue

une illustration des représentations, valorisantes pour le français, minorisantes pour l’arabe, que les responsables scolaires se font des deux langues enseignées et qu’ils inscrivent, ce faisant, dans l’imaginaire des apprenants. D’autres raisons expliquent ce statut d’auxiliaire ou de sous-maître : les enseignants d’arabe, qui sont souvent des talebs12 recrutés dans les mosquées, peuvent contribuer, selon les autorités coloniales, du fait de leur présence dans l’école française, à émousser, progressivement, l’hostilité des familles à l’égard de l’école des Français ; ils joueraient un rôle d’intermédiaires – les auxiliaires seraient alors des assistants, des collaborateurs – entre les maîtres français et les enfants indigènes mais aussi entre les deux sociétés.

Le problème de la communication en classe, est un autre aspect régulièrement évoqué dans les documents consultés. Mirante (1930 : 39) note, à propos des disciplines non linguistiques enseignées en français : « […] l’enseignement de notre langue allait de pair avec d’autres matières ; il s’avérait malaisé, le maître devant sans cesse recourir à la traduction en arabe ». Cette obligation d’en passer par la traduction implique des compétences en arabe que les maîtres n’ont pas toujours. Dans Le Tableau de la situation des établissements français en Algérie (1840 : 253) les rédacteurs du rapport expliquent, déjà en 1840, l’insuccès des tentatives de scolarisation des enfants indigènes par « […] la difficulté de trouver des Européens possédant la langue arabe » et concluent : « il faut pousser les Français à cette étude par une rémunération séduisante de façon à avoir à notre service une légion d’instituteurs intelligents ». La situation ne semble pas évoluer sur ce point si l’on en juge par le débat qui s’engage, précisément, sur la connaissance que les Européens en général et les enseignants en particulier ont de la langue arabe. Ce débat qui sous-tend, en outre, des enjeux politiques13 oppose militaires et civils ; il fait l’objet d’un rapport adressé au Président de la république (1851). Les civils accusés d’avoir fait peu ou pas d’efforts pour acquérir et s’approprier la langue arabe répliquent en défendant la thèse inverse et en établissant une liste d’enseignants formés à la langue arabe et qui contribuent à la formation de jeunes élèves compétents susceptibles d’assurer la relève. Parmi les noms cités figurent celui du directeur d’une des premières écoles d’Alger, M. Depeille, qui, selon l’auteur du rapport, « ne serait pas comme il l’est, entouré de la considération des indigènes s’il ne connaissait pas leur langue » (1851 : 24) et celui de Mme Luce14 qui « sait assez bien l’arabe pour qu’on puisse la citer » (1851 : 25). Le rédacteur avance, enfin, un autre argument qui est censé constituer une preuve : l’article 5 du décret du 14 juillet 1850 qui porte création des écoles arabes-françaises stipule que « Nul ne pourra être nommé à l’emploi de directeur d’école arabe-française, s’il n’est pourvu d’un certificat d’aptitude délivré par le jury d’examen des interprètes militaires » (Rapport, 1851 : 22).

Pour résoudre ces problèmes de communication dans la classe de français, on s’inspire des techniques de l’enseignement mutuel : « Quelques jeunes Français sont admis pour donner en quelque sorte, le ton et la prononciation de notre langue » (Voisin 1861 : 39) ; on élabore des manuels spécialisés comme celui d’Auguste Cherbonneau (1854)15 conçu spécialement pour faciliter les rapports pédagogiques entre les élèves et les maîtres, et, plus exactement, amener les élèves indigènes à comprendre les consignes du maître. Dans l’« Avertissement » à l’ouvrage, l’auteur présente son manuel :

« Le premier livre à mettre entre les mains des jeunes musulmans qui fréquentent nos écoles, est celui dans lequel se trouvent réunis, d’un côté, la prière et de bons conseils, et de l’autre, les paroles que prononce l’instituteur pendant les divers exercices. Pour qu’un enfant soit docile et travaille avec fruit, il faut qu’il comprenne et qu’il sache parfaitement ce qu’on lui dit ».

L’exemple suivant qui invite les élèves à entrer en classe montre que la démarche adoptée pour la

présentation des consignes se déroule en quatre étapes : sur la première ligne apparaît la consigne que les enfants doivent acquérir dans le français courant de la classe ; la seconde ligne présente le texte de la consigne en arabe dialectal écrit pour les interactions maîtres/élèves – en arabe classique16 pour les versets coraniques – ; la troisième nommée « figuration » donne la transcription phonétique du texte arabe ; la quatrième, enfin,

12. Enseignants dans les écoles coraniques. 13. Rivalité entre les partisans du maintien du statut militaire de la colonie (l’Algérie est placée sous le commandement du Ministère de la guerre) et les partisans, de plus en plus nombreux suite à l’apport nouveau de populations européennes, de l’instauration d’un statut civil. 14. À propos de M. Delpeille et Mme Luce, voir Morsly (2010). 15. Pour une étude plus détaillée de l’ouvrage, voir Morsly (2008). 16. Il faudrait parler plutôt d’arabe coranique mais notre propos ici, ne concerne pas l’examen des variétés d’arabe.

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propose une traduction littérale de l'arabe en français :

Français : En classe !

Figuration : ayya tadkholou li-byt el kraya Traduction littérale : allons ! entrez dans la classe de lecture.

Le procédé retenu pour présenter les consignes que les élèves doivent s’approprier illustre une approche

plurilingue qui joue à la fois sur le bilinguisme arabe/français et sur les variétés d’arabe choisies en fonction de l’objectif didactique : échanges maîtres/élèves ou objet de l’enseignement (la religion) ; mais cette approche est réservée aux tâches qui servent le projet didactique, elle n’est pas constitutive de son objectif.

Pour ce qui est de l’enseignement de la lecture et de l’écriture proprement dit, deux principes différents sont adoptés. Pour le français les supports (manuels, planches etc.) sont les mêmes que ceux utilisés dans les écoles en France ; on peut citer la méthode Peigné, par exemple, qui connaît un grand succès en France et en Algérie. Pour l’arabe on décide de confectionner des manuels adaptés aux réalités locales mais surtout aux objectifs fixés à l’enseignement de l’arabe dans ce contexte c’est-à-dire à la philosophie du projet éducatif colonial. Voisin (1861 : 39) explique que l’élève indigène apprend, certes, le Coran à l’école arabe-française mais qu’on lui enseigne surtout « à lire sa langue dans des livres élémentaires préparés par nous, d’après nos méthodes les plus rationnelles, et non en suivant les routines des maîtres d’école du pays ». Il s’agit d’occuper le champ didactique de l’arabe, d’inventer une didactique de la langue arabe. Il s’agit, en quelque sorte, d’une mainmise sur la langue arabe. 5. Conclusion

L’école arabe-française qui se propose à première vue, de résoudre les problèmes posés par cette situation de communication exolingue où colonisés et colonisateurs n’ont pas de langue première commune apparaît, pour finir, comme une histoire d’enseignement bilingue avorté. Les raisons de cet échec sont liées, on l’a vu, aux différents facteurs sociaux et politiques qui caractérisent le contexte colonial, à l’indécision du projet colonial lui même, mais aussi aux rôles et statuts que l’on fixe, dans cette conjoncture précise, à chacune de ces deux langues. Ceux qui sont chargés de concevoir et de planifier une politique scolaire ne peuvent se dégager, se libérer d’une conception inégalitaire des deux langues. Cette autre citation de Genty de Bussy (1939 : 205) le montre très clairement :

« Il est bien plus pressant dans le but que nous voulons atteindre, de mettre les indigènes en possession de notre langue, que pour nous d’étudier la leur. L’arabe ne nous serait utile que pour nos relations avec les Africains ; le français non seulement commence leurs rapports avec nous, mais il est pour eux la clef avec laquelle ils peuvent pénétrer dans le sanctuaire ; il les met en contact avec nos livres, avec nos professeurs, avec la science même. Au-delà de l’arabe il n’y a rien que la langue ; au-delà du français, il y a tout ce que les connaissances humaines, tout ce que les progrès de l’intelligence ont entassé depuis tant d’années […] ».

Cette conception obstinément hiérarchique de l’arabe et du français peut aussi s’expliquer par d’autres

facteurs qui sont liés au contexte plus large de la France (la Métropole) et de l’Europe. En ce début du XIXe siècle, il ne faut pas l’oublier, la France entre dans un processus d’homogénéisation linguistique qui se traduit par la promotion du français comme langue unique de l’école. Une telle politique éducative ne crée pas des conditions intellectuelles favorables à la pluralité linguistique. La tendance est au monolinguisme en France comme dans d’autres pays européens. Dans un livre récent (2011), Tabouret-Keller se propose d’examiner « la persistance », au XIXe et au xxe siècles, « d’une idée fausse […] : la nocivité du bilinguisme ». La conviction que le bilinguisme nuit au développement mental et intellectuel des enfants est très forte dans les travaux qui s’intéressent à la question. Elle naît de contextes où politiques et planifications linguistiques se construisent autour de la « valorisation inégale » des langues enseignées. Tabouret-Keller constate ainsi, à propos de l’anglais et du gallois au Pays de Galles, que « La valorisation inégale de chacune des langues aboutit dès le XVIIIe siècle à une double trame qui organise les représentations de la situation linguistique : une trame économique et sociale, qui oppose richesse et éducation associées à l’anglais, à pauvreté et ignorance associée au gallois, et une trame religieuse qui oppose l’anglicanisme associé à l’anglais à des groupes variés de dissidences associées au gallois » (2011 : 21). On est bien avec les écoles arabes-françaises dans ce type de configuration : la « valorisation inégale » de l’arabe et du français détermine des représentations qui fabriquent la

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valorisation/domination du français et a contrario la dévalorisation/minorisation de l’arabe. Les écoles arabes-françaises déclenchent un mécanisme qui ira en s’affirmant jusqu’à l’élimination progressive de l’arabe à l’école primaire. Bibliographie 1840, Tableau de la situation des établissements français d’Algérie, Paris, Imprimerie royale. 1852, Tableau de la situation des établissements français d’Algérie, Paris, Imprimerie royale. 1851, Rapport adressé à M. Le Président de la République par le Ministère de la guerre sur le gouvernement et

l’administration des tribus arabes de l’Algérie, Paris, Imprimerie nationale. CHERBONNEAU Auguste, 1854, Manuel des écoles arabes-françaises expliqué dans les deux langues et

accompagné de la figuration du texte, Constantine, Imprimerie et librairie Abadie. COLONNA Fanny, 1975, Instituteurs algériens 1883-1939, Alger, Office des publications universitaires. GENTY DE BUSSY Pierre, 1935, De l'établissement des Français dans la Régence d'Alger et des moyens d'en

assurer la prospérité, Tome I, Paris, Librairie de Firmin Didot Frères. GENTY DE BUSSY Pierre, 1939, De l'établissement des Français dans la Régence d'Alger et des moyens d'en

assurer la prospérité, Tome II, Paris, Librairie de Firmin Didot Frères. LE COUR GRANDMAISON Olivier, 2005, Coloniser - Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Alger, Casbah

Éditions. LIAUZU Claude, 1996, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale, Paris, Ed. Complexe. MERCIER Ernest, 1901, La question indigène en Algérie au commencement du xxe siècle, Paris, A. Callamel,

éditeur. MIRANTE Jean, 1930, « L’œuvre française pour l’enseignement des indigènes en Algérie de 1830 à 1930 »,

Cahiers du centenaire de l’Algérie, livret XI, Alger, Publications du Comité national métropolitain du centenaire de l’Algérie, p.73-94.

MORSLY Dalila, 1988, Le français dans la réalité algérienne, Thèse de doctorat d'Etat, Paris V, Sorbonne. MORSLY Dalila, 2008, « Linguistique et colonialisme, analyses et intuitions à propos des langues en situations

coloniales », in Auguste MOUSSIROU-MOUYAMA (dir.), Les boîtes noires de Louis-Jean Calvet, Paris, Écriture, p. 169-177.

MORSLY Dalila, 2010, « La classe de Madame Allix-Luce. Quand des “jeunes filles musulmanes” apprennent le

français (Alger 1846-1861) », in Dalila MORSLY (dir.), L’enseignement du français en colonies. Expériences inaugurales dans l’enseignement primaire, Paris, L’Harmattan, p. 139-156.

POUILLON François, 1983, « Simplification ethnique en Afrique du Nord : Maures, Arabes, Berbères (XVIIIe - XXe

siècles) », Cahiers d’études africaines, 129, XXIII-1, p. 37-49. SIBLOT Paul, 1987, « Cagayous. Un discours colonial en proie à la racisation », Mots, 15, Paris, Presses de

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Lambert-Lucas. TURIN Yvonne, 1971, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, Paris, François Maspero.

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VOISIN Georges, 1861, L’Algérie pour les Algériens, Paris, Michel Levy Frères, Librairies-éditeurs.

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