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ENQUÊTE À QUOI BON DES POÈTES EN FRANCE ? LE MAGAZINE LITTÉRAIRE - N° 516 - FÉVRIER 2012 - 6 € DOSSIER : LES ÉCRIVAINS ET L’OCCUPATION www.magazine-litteraire.com - Février 2012 DOM 6,50 € - BEL 6,50 € - CH 12,00 FS - CAN 8,30 $ CAN - ALL 6,90 € - ITL 6,60 € - ESP 6,60 € - GB 5 £ - AUT 6.70 € - GR 6,60 € - PORT CONT 6,60 € - MAR 60 DH - LUX 6,60 € - TUN 7,3 TND - TOM /S 850 CFP - TOM/A 1350 CFP - MAY 6,50 € L’OCCUPATION ET LES ÉCRIVAINS EntrEtiEn avEc michaEl cunningham « Je ne parviendrai pas à écrire le grand livre dont je rêve » INÉDIT THOMAS MANN SON PAMPHLET CONTRE LE NAZISME 3:HIKMKE=^U[UU\:?k@f@b@q@a; M 02049 - 516 - F: 6,00 E Brasillach Drieu la rochelle céline, cocteau Sartre, ar agon malraux, colette lévi-Strauss…

Les écrivains et l'occupation

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L’Occupation est un moment charnière pour l’histoire de France en général, mais aussi pour l’histoire littéraire en particulier.

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3 Éditorial

Février 2012 | 516 | Le Magazine Littéraire

Édité par Sophia Publications74, avenue du Maine, 75014 Paris.Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94Courriel : [email protected] : www.magazine-litteraire.com

Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 17 route des boulangers 78926 Yvelines cedex 9Tél. - France : 01 55 56 71 25Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25Courriel : [email protected] France 2011 : 1 an, 12 numéros, 62,50 €.Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter.

Rédaction

Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.

Directeur de la rédactionJoseph Macé-Scaron (13 85)[email protected]édacteur en chef Laurent Nunez (10 70) [email protected]édacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) [email protected] de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93)Conception couverture A noirConception maquette Blandine PerroisDirectrice artistique Blandine Perrois (13 89) [email protected] photo Michel Bénichou (13 90) [email protected]/éditrice web Enrica Sartori (13 95) [email protected] Valérie Cabridens (13 88)[email protected] Christophe Perrusson (13 78)Directrice administrative et financièreDounia Ammor (13 73)Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49)

Marketing directGestion : Isabelle Parez (13 60) [email protected] : Anne Alloueteau (54 50)

Vente et promotionDirectrice : Évelyne Miont (13 80) [email protected] messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74)Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31

PublicitéDirectrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96)Publicité littéraire Marie Amiel - directrice de clientèle (12 11) [email protected]é culturelle Françoise Hullot - directrice de clientèle (secteur culturel) (12 13) [email protected] communication Elodie Dantard (54 55)

Service comptabilité Sylvie Poirier (12 89) [email protected]

Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie.

Commission paritairen° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.Copyright © Magazine LittéraireLe Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros.

Président-directeur général et directeur de la publicationPhilippe ClergetDépôt légal : à parution

Par Joseph Macé-Scaron

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O n est toujours seul face au Seul. Les voix du Seigneur sont impénétrables à notre entendement et les voies d’accès qui mènent à Lui sont innom-brables. Le prophète Élie qui chercha

Dieu dans le tonnerre, la foudre, les volcans, finit par le trouver dans le silence qui succède à la tempête. Autant de chrétiens, autant de christianismes. Celui de Franz-Olivier Giesbert se ceint de la ceinture d’Iris puisque l’auteur a su faire son miel de toutes ses rencontres. Il est franciscain, mystique, panthéiste, oriental, ésotérique… « Je choisis tout ! », proclame-t-il à la fin de son livre, Dieu, ma mère et moi (1).Voilà bien un drôle d’animal qui se moque des ricanements de ceux que Bernanos appelait les « petits mufles réalistes ». C’est parce qu’il prend des risques que Giesbert a compris, avant les autres, qu’un être n’est singulier que lorsqu’il est pluriel. L’Innommé est réfractaire à notre souci de ranger, de classifier, d’étiqueter.

S ’agit-il ici d’une confession ? Non. De La Souille au Huitième Prophète en passant par Sieur Dieu ou Le Vieil Homme et la mort,

Giesbert traque les étoiles qui peuplent notre nuit. Dans une époque pourtant riche en génuflexions, il n’est pas très bien vu de se recueillir devant un autel. Imagine-t-on, au passage, aujourd’hui, un Maurice Clavel confier les « progrès » dans son entreprise de conversion d’un Michel Foucault ? Impossible. Tout cela nous semble si loin… Et ne parlons pas de la disputatio ! L’erreur est de considérer, aujourd’hui, que notre monde est malade d’un trop-plein de reli-gion alors qu’il s’est mis en danger pour avoir aban-donné le champ religieux aux vaticinations des pré-dicateurs et des bateleurs de foire. La religion est une chose trop sérieuse pour être confiée aux théo-logiens. Et c’est là le principal charme de ce livre qui est, d’abord, le portrait d’une femme – la mère de l’auteur –, professeur, catholique, qui avait le goût de l’engagement et des controverses intellectuelles.

Elle lui a légué cette apti-tude à s’enflammer comme de l’étoupe au contact d’une étincelle divine.Dans ce récit qui évite les écueils de la profession de foi, le lecteur est invité à se frotter à saint François d’As-sise, à la philosophe Simone Weil, sans oublier Julien Green, saint Anselme, Mani, Empédocle, Derrida, Scho-penhauer, Giordano Bruno, Plutarque ou Norman Mailer, mais également Plo-tin, si lointain et si proche à la fois, et sainte Thérèse de Lisieux (« Ton amour est mon seul martyre/ Plus je le

sens brûler en moi/ Et plus mon âme te désire »)… Quelle sainte famille ! On comprend les frémisse-ments de la mère de l’auteur qui vouait un culte à Descartes. Pour chacun, Giesbert trouve une for-mule juste qui marque une véritable familiarité avec ces grandes figures et nous donne l’irrésistible envie de nous replonger dans les Textes.

L es lieux sont aussi propices à cette quête d’un Dieu qui ne s’est pas enfui mais que nous ne voyons plus : la Provence, l’Algérie,

Edfou sur la rive gauche du Nil, un temple de Pagan en Birmanie… Les lieux et les êtres : car l’écrivain parle aussi bien à ses contemporains qu’aux dispa-rus, il s’entretient avec les animaux, les pierres, les

meubles. Il nous livre ainsi non pas un traité du gai savoir mais de la foi joyeuse. Gies-bert, fol en Dieu.

[email protected]

(1) Dieu, ma mère et moi, Franz-Olivier Giesbert, éd. Gallimard, 188 p., 16,90 €.

Le goût de Dieu

Giesbert trouve une formule juste qui nous donne l’irrésistible envie de nous replonger dans les Textes.

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Février 2012 | 516 | Le Magazine Littéraire

Le cercle critiqueChaque mois, des critiques inédites exclusivement accessibles en ligne.

Cinq figures russesÀ l’occasion de l’Année « France-Russie 2012 », l’universitaire Nicolas Six dresse le portrait de cinq personnages tutélaires de la littérature russe : Raskolnikov (Dostoïevski), Levine (Tolstoï), Griniov (Pouchkine), Akaki (Gogol) et Van Veen (Nabokov).

En complément du dossierComment, sous l’Occupation, Jacques Schiffrin, l’inventeur de la Bibliothèque de La Pléiade, fut abandonné à son sort de réprouvé.Su

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n° 516 Février 2012Sommaire

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Critique :� Genette par Compagnon Dossier :� Les écrivains et l’Occupation Grand entretien :� Michael Cunningham

En couverture : Robert Brasillach durant son procès en 1945. © TAL/RUE DES ARCHIVES. © ADAGP-Paris 2012 pour les œuvres de ses membres reproduites à l'intérieur de ce numéro.

Abonnez-vous page 97

Ce numéro comporte 4 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart abonnement Quo Vadis, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique et 1 encart Le Monde diplomatique sur une sélection d’abonnés.

Enquête La poésie, une passion française.

L’actualité 3 L’éditorial de Joseph Macé-Scaron 6 Contributeurs 8 Enquête La poésie, une passion française 14 La vie des lettres Édition, festivals,

spectacles… Les rendez-vous du mois 24 Le feuilleton de Charles Dantzig

Le cahier critiqueFiction 26 Dominique Fernandez, Maylis de Kerangal,

Danièle Sallenave, variations transsibériennes 28 Lutz Bassmann, Danse avec Nathan Golshem 29 Alain Defossé, On ne tue pas les gens 29 Jean-Yves Cendrey, Mélancolie vandale 30 Bernard du Boucheron, Mauvais signe 31 Chloé Delaume,

Une femme avec personne dedans 31 Anne Wiazemsky, Une année studieuse 32 Carl de Souza, En chute libre 33 Alain Julien Rudefoucauld,

Le Dernier Contingent 34 J.-P. Enthoven, L’Hypothèse des sentiments 36 Antonio Muñoz Molina,

Dans la grande nuit des temps, 37 Patrik Ourednik, Classé sans suite 38 Thomas McGuane, Sur les jantes 39 Raúl Ruiz, L’Esprit de l’escalier 40 A. S. Byatt, Le Livre des enfantsPoésie 42 Philippe Delaveau, Ce que disent les ventsNon-fiction 44 Gérard Genette, Apostille 45 Luc Boltanski, Énigmes et complots 46 J. M. Coetzee, De la lecture à l’écriture 47 Jean-François Louette, Chiens de plume 48 Hartmut Rosa, Aliénation et accélération 50 Oliver Sacks, L’Œil de l’esprit 52 Marie Gil, Roland Barthes. Au lieu de la vie

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Prochainnuméroenventele29févrierDossier : Le Japon, invité du Salon du livre

Le dossier 54 Les écrivains et l’Occupation

dossier coordonné par Maxime Rovere 54 Entretien avec Claire Paulhan 56 Paris à la veille de la guerre, par A. Betz 58 Offices de la haine et maquis de la pensée,

par Gisèle Sapiro 59 Lourmarin, loin de Weimar, par C. Paulhan 61 Exilés en Amérique, par Laurent Jeanpierre 62 Lévi-Strauss, par Emmanuelle Loyer 64 Drieu la Rochelle, par Hélène Baty-Delalande 66 Joutes par chevaliers interposés entre

Aragon et Drieu, par Olivier Barbarant 68 Parcours : Giono, Guitry, Colette, Mauriac,

Péret, Jouhandeau, Cocteau, Joë Bousquet, Céline, Bernanos, Sartre

74 La Nouvelle Revue rancie, par O. Cariguel 76 Ramon Fernandez, par Dominique Fernandez 78 Robert Brasillach, par David Alliot 79 Raymond Aron, par Iain Stewart 80 Les Éditions de Minuit, par Anne Simonin 80 Jean Guéhenno, par Jean-Kely Paulhan 82 Les imprimeries clandestines, par J.-Y. Mollier 83 Bibliographie, par O. Cariguel 84 Les prix littéraires, par Gisèle Sapiro 85 Maurice Blanchot, par Jérémie Majorel 86 L’épuration, par Gisèle Sapiro 88 Roger Nimier, par Marc Dambre 88 Antoine Blondin, par Alain Cresciucci 90 André Malraux, par Pierre Assouline

Le magazine des écrivains 92 Grand entretien avec Michael Cunningham 98 Visite privée « Exhibitions, l’invention

du sauvage », par Carole Martinez100 Inédit Cette guerre, de Thomas Mann104 Le premier mot Et Proust se leva,

par Laurent Nunez106 Le dernier mot, par Alain Rey

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8 Enquête

poètes peuvent aller à la rencontre du public… Parmi les éditeurs les plus renommés, bien peu développent un fonds dévolu au genre. à côté de Gallimard et de sa célèbre collection, dirigée par André Velter, qui poursuit, par ailleurs, une politique d’édition de poésie contemporaine, ils se comptent sur les doigts de la main : Actes Sud, Flammarion, Le Mercure de France, Le Seuil. Viennent ensuite une dizaine de mai-sons d’édition ayant une production de plus de dix recueils par an. Ce sont Arfuyen, Bruno Doucey, Cheyne, José Corti, La Différence, Le Nouvel Athanor, P.O.L, Le Temps des cerises, Verdier et Le Castor astral – qui vient de voir sa constance récompensée par

A border l’univers de la poésie en France, c’est entrer dans un monde de para-doxes. Qu’on en juge : plus de 100 000 personnes s’adonnent à l’écri-ture de la poésie, mais le tirage moyen

des recueils édités est de moins de 300 exemplaires. Sauf exception, les « grands » éditeurs ont abandonné le domaine de la poésie, mais environ 530 structures éditoriales existent, sans compter les structures d’autoédition. La poésie est quasi absente des grands médias, mais des événements poétiques fleurissent en France, et pas seulement au printemps, parmi les-quels certains réunissent des dizaines de milliers de personnes. Elle a une image parfois passéiste et éli-tiste, mais une certaine jeunesse s’en empare et pra-tique le slam. Alors que, par le passé, elle a souvent été dominée par certains courants, elle n’a jamais été aussi diverse et plurielle qu’aujourd’hui. Donc, si la poésie est en crise, vive la crise ! Si la poésie est morte, vive la poésie !

La poésie est bien vivanteAux dires des éditeurs, la poésie se vend peu. C’est une donnée qui se vérifie si l’on en juge par le tirage moyen d’un recueil de poésie. Mais en était-il autre-ment quand Rimbaud édita à l’Alliance typographique à Bruxelles, en 1873, le recueil Une saison en enfer ?

Il est également vrai que, sur les 1 200 librairies en France, rares sont celles qui proposent un rayon de poésie contempo-raine présentant un éven-

tail de la production. Ils sont environ 130 libraires, tant en province qu’à Paris, des passionnés forcément, des militants même, à dédier des mètres de linéaire à la production poétique contemporaine. Ce sont les mêmes qui organisent des lectures-dédicaces où les

La poésie, une passion françaiseSi sa diffusion en librairie demeure restreinte, elle peut toujours compter sur de nombreux amateurs, dont l’ardeur est relayée par des festivals florissants et des sites web très actifs.Par Alain-Jacques Lacot, illustrations Cécile Gambini

Le Magazine Littéraire | 516 | Février 2012

Le temps n’est pas venu où l’homme ne se posera plus de questions sur le sens de sa présence, ici et maintenant.

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Cahiers bleus –, ces structures cooptent par affinité les auteurs. Car l’édition poétique est vivante et bien vivante, même si elle n’est guère visible et se diffuse pour ainsi dire par capillarité. Le vrai problème de l’édition poétique est, en effet, celui de sa diffusion en librairie. L’économie fragile de ces structures édi-toriales les empêche d’accéder aux services des sociétés de diffusion importantes, ce qui les condamne le plus souvent à l’autodiffusion et res-treint leur visibilité en librairie.Jean-Michel Place, lui-même éditeur, l’un des acteurs engagés depuis plus de trente ans dans la promotion de la poésie, publiait en 1984 sa deuxième enquête

l’attribution à Tomas Tranströmer du prix Nobel de littérature et à Jean-Claude Pirotte du prix Apolli-naire. Ceux-là font vraiment le métier d’éditeur de poésie, remplissant leur rôle de découvreurs de talents qu’ils accompagnent et encouragent. En dehors de ces éditeurs qui ont une activité écono-mique significative, environ 500 structures, souvent associatives, dispersées sur l’ensemble du territoire, publient de la poésie. Généralement animées par des éditeurs eux-mêmes poètes – parmi lesquels Alain Breton à la Librairie-galerie Racine, Jacques Brémond, Cécile Ordatchenko et les éditions des Vanneaux, Mérédith Le Dez et MLD, Dominique Daguet et les

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La vie des lettres 14

placardé en grand format lors du centenaire de la célèbre marque de pneumatiques.À l’image de ce dessin humoristique, ces pièces particulières posent bien des difficultés d’appré-hension. Faut-il y voir les produits de passe-temps, ou des œuvres à part entière ? Comment interpré-ter cette composition automatique de Tzara juxtaposant portraits, animaux fantastiques, corps

hybrides ? Le dadaïste a bien l’air de l’avoir créé comme il créait ses poèmes.Les dessins réalisés par Alfred de Musset relèvent d’un art complé-mentaire, même si celui-ci approfondit davantage notre connaissance de l’homme que

de son œuvre. Ses talents avaient d’ailleurs été reconnus par Delacroix, comme le rappelle George Sand, qui nota dans son journal intime que le pein-tre lui avait confié « vouloir copier les petits cro-quis de l’album d’Alfred ». Lesquels se révèlent savoureux puisque, comme l’explique l’expert de la vente, Alain Nicolas, auteur du catalogue aux notices très fouillées, l’amant de George Sand ne se représentait qu’à travers des autoportraits-

Q ue va faire le poète chez le peintre ? Se rafraîchir les idées ! », expliquait Geor-ges Perros dans Papiers collés II. Apol-linaire, Cocteau, Char, Hugo, Musset, Rimbaud, Verlaine, ainsi que Proust,

Saint-Exupéry, Henry Miller, et même Paul Morand ont pratiqué ces escapades vivifiantes dans les arts graphiques, faisant le bonheur de certains collec-tionneurs. Tels Pierre et Franca Belfond, dont la collection sera dispersée le 14 février par la mai-son d’enchères Artcurial.Cette collection avait été inau-gurée en 1971 par l’achat de deux dessins de Proust adressés à Reynaldo Hahn. Pastichant le style du caricaturiste Caran d’Ache, Proust dessina au trait deux personnes en voiture – qui rappel-lent d’ailleurs fort une célèbre photo montrant l’auteur en automobile. S’y ajoute une malicieuse légende manuscrite : « Avec les pneus Michelin l’intrépide sportman et sa frêle épouse peuvent faire du 50 à l’heure en gardant la position éten-due, telle qu’on la pratique aujourd’hui dans les sanatoriums. » Elle valut au dessin de se retrouver

Paris (8e) Du 11 au 14 février

venteD’un crayon l’autreLe 14 février, les dessins d’écrivains de la collection Belfond seront proposés aux enchères : 135 œuvres signées Apollinaire, Rimbaud, Cocteau, Baudelaire ou Musset, qui seront exposées deux jours avant la vente.

Faut-il voir dans ces pièces particulières des produits de passe-temps ou bien des œuvres à part entière ?

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Sentiment religieux, collage de Jacques Prévert, 1973.

Dessin avec légende de Proust, adressé à Reynaldo Hahn.

(En haut) La Vierge au g. c. (grand cœur), Cocteau, album de 21 dessins, 1931.

«À voir

Dessins d’écrivains. Collection Pierre et Franca Belfond :� vente chez Artcurial, le 14 février à 14 h 30, à l’hôtel Marcel-Dassault, 7, rond-point des Champs-Élysées, Paris 8e. Exposition publique des dessins du 11 au 13 février.

À lireCollection Pierre et Franca

Belfond, 14 février, catalogue de vente établie par Alain Nicolas, Artcurial, disponible en ligne.

Dessins d’écrivains, préface de Pierre Belfond, éd. du Chêne, 174 p., 20 €.

L’un pour l’autre. Les écrivains dessinent, catalogue d’exposition, éd. Buchet-Chastel/Imec, « Les Cahiers dessinés », 176 p., 39,50 €.

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charges irrévérencieux pour ses sentiments. Autre pièce de la collection Belfond, le portrait de Jeanne Duval par son amant Baudelaire trahit, par ses traits réalistes et fantasmatiques, la dualité divine et bestiale diagnostiquée par Banville chez cette « reine pleine d’une grâce farouche ».Enfin, parmi les œuvres proposées à la vente, quatre dessins en couleurs exceptionnels d’Apollinaire réalisés vers 1916 témoignent de l’in-fluence de l’avant-garde russe ou du cubisme. Son

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Autoportrait en cavalier masqué décapité, Apollinaire, 1916.

événements

Autoportrait en cavalier masqué décapité semble une transposition graphique de son arrière-pays mental. Des spécialistes ont relevé des correspon-dances entre ce dessin et deux poèmes de Calli-grammes. Notamment le « Chant de l’horizon en Champagne » : « Les masques n’ont pas tressailli/Mais quel fou rire sous le masque ». Parangon de bipolarité artistique, Henri Michaux n’assurait-il pas que, par le dessin, « on retrouve le monde par une autre fenêtre » ? Olivier Cariguel

InternatIonal � Toute l’année

Dickens, Twist againLa pérennité d’un écrivain se mesure aussi aux célébrations qu’il suscite : pour célébrer les 200 ans de charles dickens, le 7 février, la grande-Bretagne prépare une foule de manifestations. expositions (sur dickens et le surnaturel, à la British Library de Londres ; sur les artistes qu’il a inspirés, à la national Portrait gallery…), émissions de radio et de télévision, lectures, pièces de théâtre… Les festivités, dont l’épicentre se situera dans la maison natale de dickens, à Portsmouth, déborderont les frontières britanniques. ainsi, entre autres, le musée strauhof de Zurich s’intéressera aux mystères biographiques du romancier anglais.

www.dickens2012.org/

ParIs �(8e) � Du 27 janvier au 11 mars

Aux couleurs de Tagorecoïncidence : quelques jours avant la vente de la collection Belfond, le Petit Palais exposera, sous l’intitulé « La dernière moisson », 85 des peintures que l’indien rabindranath Tagore réalisa vers la fin de sa vie. des œuvres qui rejoignent – par leur luminosité et leur stylisation – la prose et la poésie du prix nobel 1913.

www.petitpalais.paris.fr/fr/expositions/rabindranath-tagore-1861-1941/

ParIs �(1er) � Du 21 février au 11 juin

Confluences avec DebussyLes inclinations du compositeur claude debussy pour les avant-gardes picturales et poétiques de son temps feront l’objet d’une exposition au musée de l’Orangerie. aux côtés des œuvres de degas, camille claudel ou gauguin, on trouvera des lettres manuscrites et des éditions originales de gide, Louÿs, valéry…

www.musee-orangerie.fr/

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26Critique |Fiction

Le Magazine Littéraire | 516 | Février 2012

Sibir, Danièle Sallenave, éd. Gallimard, 320 p., 19,25 €.

Transsibérien, Dominique Fernandez, éd. Grasset, 304 p., 21,50 €.

Tangente vers l’est, Maylis de Kerangal, éd. Verticales, 128 p., 11,50 €.

L e Transsibérien n’est pas un train, c’est une voie ferrée ; la plus longue du monde, qui relie Moscou à Vladi­vostok sur 9 288 kilomètres de plaines, de forêts, de fleuves, jusqu’aux confins de l’Europe ; elle traverse sept fuseaux horaires, 990 gares, avec un arrêt dans

neuf villes. Son premier rail fut posé en 1891 par le tsarévitch Nicolas (futur Nicolas II) suivant la volonté d’Alexandre III d’augmenter l’in­fluence politique, militaire et commerciale de la Russie sur la Chine et de développer l’économie de la Sibérie. Chantier gigantesque, à la démesure de l’ambition, ligne bientôt mythique que les fantasmes redessinent, invoquant les déplacements d’avant les rails de Dostoïe­vski, Tolstoï ou Tchekhov, épousant plus tard les vraies vies des Guinz­bourg, Grossman, Soljenitsyne. Les enfants du pays, ceux d’ailleurs aussi, géants français en tête : pensons à l’Alexandre Dumas du Maître d’armes (1840) ou au Jules Verne de Michel Strogoff (1876). Non que leurs œuvres évoquent le Transsibérien lui­même (sa construction ne s’acheva qu’en 1916), mais les décors étaient là, déjà, steppe et taïga, goût de l’ailleurs, aventure, la machine à fiction pré­cédant la vapeur. Si Dumas et Verne viennent à la mémoire au pre­mier tour de roue, c’est dans le train « Blaise Cendrars » que quatorze de nos auteurs montèrent en 2010 (ainsi baptisé en référence à un vers du poète où apparaît le mot « Transsibérien »), dans le « Train des écrivains français ». Fanfare et drapeaux, en route vers l’est.Organisée dans le cadre de l’année d’échanges France­Russie, l’odys­sée dura trois semaines. Trois semaines pendant lesquelles les auteurs, invités par Culturesfrance (depuis remplacé par l’Institut français) et le gouvernement russe, ont enchaîné, en plus d’une semaine dans le train, conférences de presse et tables rondes, visites

touristiques et rencontres officielles – le tout rallongeant donc le périple de deux semaines, au service de la promotion de notre lit­térature. Il est permis de parler de voyage organisé, de s’interroger sur la forme, d’admettre les artifices ; surtout quand on sait que, quelques mois plus tard, chacun ou presque était gentiment poussé à rendre sa copie. L’œuvre contre le circuit tous frais payés, diront les médisants, pendant que les autres se réjouiront plus simplement de lire des livres, de commande certes, mais surtout de bons livres, étant entendu que les écrivains conviés à vivre l’expérience ne comptaient pas parmi nos plus médiocres représentants : citons, entre autres, Jean échenoz, Patrick Deville, Guy Goffette, Sylvie Ger­main, Mathias énard, Olivier Rolin. Ces trois derniers ont publié leurs moutures l’an dernier (respectivement Le Monde sans vous chez Albin Michel, L’Alcool et la Nostalgie chez Inculte et Bric et broc chez Verdier) ; place aux suivants, trois encore, comme si les camarades devaient rester groupés. La nouvelle salve fait se croiser les regards de Danièle Sallenave, de Dominique Fernandez (tous deux membres de l’Académie française) et de Maylis de Kerangal. Deux récits de voyage d’un côté, un court roman de l’autre ; la Rus­sie comme thème, le train comme motif traversant.La ressemblance entre le Sibir de Sallenave et le Transsibérien de Fernandez n’est pas un hasard : plus que des collègues de Coupole, ils sont amis de longue date. Ils ont vécu l’aventure ensemble, en semble ils publient ; un journal, recueil d’impressions au quoti­dien, chacun le sien. Des propositions qui pourraient se chevaucher, elles se complètent plutôt. Dans les deux cas, il s’agit de raconter le monde post­soviétique au fil des paysages qui se succèdent, migra­tion conduisant les intellectuels à refaire l’histoire en se remémorant leur vécu (Danièle Sallenave en était à son cinquième séjour en Rus­sie) et leurs lectures. Car, ici et là, il est d’abord question d’un retour sur soi, d’un souvenir ranimé, d’une pensée qui cherche à compren­dre l’aujourd’hui par l’hier. La dictature stalinienne, le communisme, maintenant la mondialisation, les affiches publicitaires, les jeux vidéo. Ce n’est pas qu’on regrette l’âme russe – du reste qu’est­ce que c’est ? –, on se contente de noter, pour plus tard, comme si l’on pro­jetait d’écrire quelque chose de plus achevé : « […] il faut engranger,

Le Transsibérien, trois voix possibles

Par Thomas Stélandre

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Février 2012 | 516 | Le Magazine Littéraire

Le Transsibérien, trois voix possiblesengranger, même si tu ne comprends pas », affirme la romancière et essayiste. De même on photographie, autre tentative de mettre tout cela (rues, monuments, visages) dans une forme, un instantané. Sibir compte ainsi quelques clichés d’une Danièle Sallenave un peu tou-riste, touchants, inoffensifs, la voilà dans le train en autoportrait, plus loin au pied de l’énorme tête de Lénine à Oulan-Oude. Transsibérien rassemble aussi des images, mais d’une autre ampleur, celles du pho-tographe Ferrante Ferranti, qui fut durant quinze ans le compagnon de Fernandez.Liés par l’écriture, Danièle Sallenave et Domi-nique Fernandez le sont aussi maritalement depuis leur union dans la steppe bouriate. « C’était un jeu, indique l’écrivain, mais en même temps la reproduction, très exacte et très sérieuse, d’une cérémonie de mariage. » On imagine la scène qui, à la lecture compa-rée des ouvrages, leur ressemble assez : tan-dis que Danièle s’applique à jouer un jeu qui induit promiscuité avec le groupe et rigidité du programme, on sent Dominique souvent mal à l’aise avec le principe du « Train des écrivains », où il faut accepter de dormir dans un hôtel « vétuste », manger « gras » et, sur-tout, suivre un guide. Hors les rails, il nous emmène à l’« École de musique spéciale de Novossibirsk », réputée dans le monde entier, puis au siège de l’orchestre sympho-nique de la ville, le troisième de Russie.Si les deux académiciens ont effectué le trajet de bout en bout, ce n’est pas le cas de tous les écrivains invités. Certains descendirent en chemin, d’autres prirent l’expédition en cours de route. Ainsi de May-lis de Kerangal, qui a voyagé de Novossibirsk à Vladivostok, comme Sylvie Germain – qui disait aussi « je » dans Le Monde sans vous, récit où le deuil de sa mère, morte peu avant son départ du quai, venait se mêler à l’expérience de la Sibérie. Maylis de Kerangal, elle, s’ex-prime en fictions, à la troisième personne ; elle a opté pour le roman.

Peut-être, après Naissance d’un pont (éd. Verticales), pouvions-nous l’attendre aux origines du Transsibérien, quand, à la fin du xixe siècle, des centaines d’hommes bravèrent froid et maladie pour construire ce chemin de fer. Pourtant non, pas d’aventure collective dans Tan-gente vers l’est, mais la petite histoire d’une rencontre entre deux personnages, deux solitudes, dans notre train. Aliocha est russe, il a 20 ans, il part faire son service militaire ; Hélène en a quinze de plus,

française, elle quitte un homme et la Sibérie. Le premier veut fuir l’armée, la seconde va l’y aider. C’est un face-à-face fugitif, urgent, qui explore les possibilités narratives de la machine en mouvement, depuis les étroites couchettes de la troisième classe jusqu’aux compartiments spacieux. La romancière brosse cadres et portraits par saccades, tout se modèle dans l’esprit. Bel incipit : « Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d’une cen-taine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux, le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, futes camouflages et slips kangourous, la chaînette religieuse qui joue sur le poitrail, des gars en guise de parois dans les sas et les couloirs, des gars assis, debout, allongés sur les couchettes. »Cette troisième classe, l’envers du décor, est mentionnée dans Sibir et Transsibérien.

Dominique Fernandez résume : « Atmosphère, odeur, brutalité d’un wagon à bestiaux. » Engager la conversation avec ces gens n’était pas envisageable, « faute d’une langue commune », alors les Français rejoignaient vite la première classe. On suppose le texte de Maylis de Kerangal motivé par la frustration, honte légère. Il s’achève par la description d’une photographie sur laquelle, étrange décèlement, Aliocha et Hélène se ressemblent, « ont les mêmes visages ». Abolir les frontières, c’était un des enjeux.

De gauche à droite : Dominique Fernandez et Danièle Sallenave, puis Maylis de Kerangal à bord du Transsibérien (dernière photo : passagers jouant aux cartes dans l’un des wagons).

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Il faut sauver tout ça. » Ça, quoi ? La Russie ? Mais c’est quoi, la Russie ? Je ne suis même pas sûre, à ce moment-là de mon voyage, je l’ai dit, de pouvoir répondre à la question : la Russie fait-elle partie de l’Europe ? Si oui, jusqu’où ? L’Oural ? Au-delà ? Je ne crois pas à la Russie éternelle, encore moins à la sainte Russie, et pas bien davantage à l’âme russe. Mais l’évidence est là, dans les rues, sur les visages, c’est comme un appel auquel il n’est pas question de se soustraire.

Sibir, Danièle Sallenave

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Dossier 54

Le Magazine Littéraire | 516 | Février 2012

Dossier

Que devient la littérature lorsqu’elle se trouve placée dans une situation extrême ? Tandis que le monde affronte l’une des grandes crises économiques de son histoire, il semble indispensable de poser la question. En France, l’Occupation est sans conteste la pé-riode qui offre le meilleur terrain d’étude et de méditation. Comment les écrivains ont-ils réagi ? Claire Paulhan a accepté de réfléchir avec nous et de nous guider parmi les ar-chives, où se reflète la complexité des op-tions. La petite-fille de Jean Paulhan, à son tour éditrice, co-commissaire, avec Olivier Corpet et Robert O. Paxton, de l’exposition « Archives de la vie littéraire sous l’Occupa-tion », présentée successivement à la New York Library et à l’hôtel de ville de Paris en 2011, a ainsi apporté son expérience et ses lumières pour éclairer l’une des périodes les plus contrastées de l’histoire littéraire.

L’Occupation est un moment charnière pour l’histoire de France en général, mais aussi pour l’histoire littéraire en particulier. Quel rôle les écrivains ont-ils joué pendant ces cinq années ?

Claire Paulhan. Bien qu’occulté par les stratégies des hommes politiques et des militaires, leur rôle se révèle décisif pendant l’Occupa-tion : car il s’est aussi agi d’une guerre in-

tellectuelle, d’un affrontement des cultures, dont les écrivains, les poètes et les philo-sophes, les journalistes, les imprimeurs, les directeurs de revue et les éditeurs furent les premiers relais et les témoins engagés. Ce dont témoignent leurs articles et livres impri-més, mais aussi la grande masse de leurs archives inédites.Les autorités d’occupation voulaient tout maîtriser, y compris la littérature et la poésie. Se disant férus de culture française, Otto Abetz, ambassadeur de l’Allemagne, Karl

Q Epting, directeur de l’Institut allemand, et Gerhard Heller, de la Propaganda Abteilung, comptaient s’approprier La NRF,� qui leur semblait être le pivot du laboratoire intellec-tuel français et parisien : imprimée par Gaston Gallimard à plus de 11 000 exem-plaires, la revue dirigée par Jean Paulhan avait certes une grande audience et encore plus d’influence. Les nazis placèrent à sa tête un écrivain favorable à leur idéologie national-socialiste, Pierre Drieu la Rochelle, et c’est ainsi que cette revue, dont Gallimard dut céder la direction pour pouvoir mainte-nir sa maison d’édition en activité, devint l’un des vecteurs de la collaboration intellec-tuelle française.Qu’ils aient été collaborateurs, attentistes, résistants de la première ou de la dernière heure, en exil ou dans la clandestinité, dépor-tés ou prisonniers, qu’ils aient décidé de ne pas publier, comme Jean Guéhenno, ou au contraire de publier à visage découvert ou sous pseudonyme, les intellectuels français se sont servis de la première de leurs armes : les mots. « Ces voix qui montent du désastre » (Aragon) sont devenues poèmes, tracts, lettres, articles, revues, brochures, romans, essais, et même des maisons d’édition, comme les éditions de Minuit.Comment s’est traduite la volonté nazie de mainmise sur les esprits français, planifiée bien longtemps avant l’invasion de la France ?Dès juin 1940, l’occupant met en place à Paris une Propaganda Staffel, bientôt supplantée par une Propaganda Abteilung qui, dépen-dant directement du ministre de la Propa-gande nazie Joseph Goebbels, exerce d’em-blée un contrôle très contraignant sur toutes les activités des métiers du livre français, représentés par René Philippon, président du Syndicat des éditeurs. Cet appareil de contrainte est complété par l’Institut alle-mand, rattaché à l’ambassade du Reich à Paris, et par l’Amt Schrifttum de l’Office Rosenberg, qui a pour vocation la « déconta-mination de la littérature ». Une première

« Ces voix qui montent du désastre »

Les écrivains et l’OccupationDossier coordonné par Maxime Rovere, avec Claire Paulhan

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Dossier Dossier 55

Février 2012 | 516 | Le Magazine Littéraire

« Ces voix qui montent du désastre »

Les écrivains et l’OccupationPierre Drieu la Rochelle

corrigeant les épreuves de La NRF, en 1942.