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1 Les effets non linéaires de la politique budgétaire : le cas de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine Par Nasser Ary Tanimoune * Jean-Louis Combes * Patrick Plane * Communication aux journées de l’AFSE, Economie du développement et de la transition. Clermont-Ferrand, 19 et 20 mai 2005 * Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI) : UMR CNRS 6587

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Les effets non linéaires de la politique budgétaire : le cas de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine

Par Nasser Ary Tanimoune* Jean-Louis Combes*

Patrick Plane∗

Communication aux journées de l’AFSE,

Economie du développement et de la transition.

Clermont-Ferrand, 19 et 20 mai 2005

∗ Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI) : UMR CNRS 6587

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Résumé. Les pays de l’UEMOA ont adopté, en 1999, un pacte de convergence, de

stabilité, de croissance et de solidarité. Le but premier du pacte est d’imposer des

contraintes aux politiques budgétaires nationales de manière à préserver la crédibilité et

la convertibilité de la monnaie commune. Or, les efforts budgétaires consentis par les états

peuvent être contre-productifs en entraînant l’économie dans une récession par la mise en

jeu des multiplicateurs keynésiens. Cependant, il peut exister des non-linéarités dans la

relation entre la politique budgétaire et l’activité économique. L’’objectif de cette

communication est de tester un modèle dans lequel les effets de la politique budgétaire

sont conditionnels au taux d’endettement public externe. En appliquant la logique de

modélisation des seuils endogènes, initialement développée par Hansen (1996), il apparaît

que jusqu’à un taux d’endettement de 83%, l’Etat exerce une influence de type keynésien

sur l’activité économique et au-delà, non-keynésien voire anti-keynésien.

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I : Introduction

La politique budgétaire permet-elle une régulation efficace de l’activité

économique ? Cette question continue à diviser la profession entre tenants de l’orthodoxie

financière publique et partisans d’un interventionniste raisonné. En Europe, ce débat a été

récemment remis en lumière par les discussions autour de la bonne manière de faire

évoluer la règle du déficit budgétaire dans le cadre du dispositif du Pacte de Convergence

et de Stabilité. Dans un contexte institutionnel comparable d’union monétaire et

d’intégration régionale, la même question se pose en Afrique francophone de l’ouest réunie

dans le sous ensemble zone franc.

Les pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine1

(UEMOA) sont en effet engagés dans une démarche d’harmonisation des politiques

économiques qui prolonge une coopération longtemps limitée à la monnaie et au régime de

change. Les pays constitutifs de cette union monétaire ont en effet une monnaie commune,

le franc CFA, dont la gestion revient à un institut d’émission indépendant ayant la forme

juridique d’établissement public international: la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de

l’Ouest (Guillaumont P et S, 1984, 1988). La monnaie en circulation échappe au pouvoir

discrétionnaire de chaque pays et l’évolution de la masse monétaire s’y trouve régulée en

fonction de l’évolution prévisible du PIB en volume et d’une cible d’inflation voisine de

celle des économies européennes, gage de préservation du rapport de change fixe envers

l’euro. Les politiques budgétaires sont donc le principal instrument d’intervention de l’Etat

dans la vie économique, l’attribut d’une souveraineté dont les gouvernements ont parfois

usé excessivement.

Des dérives budgétaires des années soixante dix et du début des années quatre vingt

ont en effet résulté un endettement extérieur important et des niveaux élevés d’arriérés de

paiement internes. La difficulté de corriger ces déséquilibres macroéconomiques sera l’une

des raisons de la dévaluation de 50% du franc CFA, en janvier 1994. L’ajustement de

parité a permis de renouer avec les équilibres macroéconomiques et de susciter la

confiance nécessaire pour stimuler la reprise économique. L’adoption du nouveau taux de

change a été également l’occasion d’une extension du domaine de la coopération intra-

1 L’UEMOA est composée du Bénin, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Sénégal, Niger, Togo, Mali et Guinée Bissau. Ce dernier pays n’a pas été retenu dans l’analyse à cause de sa récente entrée dans l’Union (1997) et du manque de données.

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communautaire avec le souci politique de mieux coordonner les politiques budgétaires

nationales. En réalité, une pratique au moins indirecte de cette coordination a largement

précédé la dévaluation. Elle a consisté en l’application des programmes

macroéconomiques soutenus par le FMI et la Banque mondiale. En 1994, la création de

l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), puis la mise en œuvre du

Pacte de Convergence de Solidarité et de Croissance en 1999, ont donné à cette

coordination une dimension institutionnelle aboutie.

L’objectif de cette communication est d’évaluer l’impact de la politique budgétaire

sur le rythme d’activité de l’UEMOA. Le raisonnement se situe dans une ligne de réflexion

très actuelle sur le policy mix de l’union monétaire. La littérature souligne en effet à la fois

la difficulté, mais également l’impérieuse nécessité de promouvoir l’efficacité économique

de ces unions dans une bonne combinaison des politiques monétaire et budgétaire

(Devarajan et Walton 1994; Semedo et Villieu 1997). Pour l’UEMOA cette démarche

implique un contrôle vigilant sur les souverainetés budgétaires, c'est-à-dire la prévention

d’externalités négatives de gestions nationales qui pourraient entraîner une perte de

crédibilité dans la parité du franc CFA.

La deuxième section revient sur les caractéristiques économiques et financières de

la zone monétaire, sur ses imperfections institutionnelles initiales qui ont conduit, en 1999,

à l’élaboration d’un Pacte de Convergence dominé par la question du désendettement et du

renforcement des règles budgétaires. La thérapie du Pacte de Convergence fonde en effet la

hausse des produits africains sur le retour structurel à l’équilibre budgétaire de base et sur

la maîtrise de la dette publique sous un seuil de 70% du PIB. La troisième section passe en

revue les arguments théoriques traitant de l’impact potentiel du budget sur l’écart de

produit (output gap) que l’on définit comme la différence relative entre le PIB « effectif »

et le PIB « potentiel ». Cette section porte l’éclairage sur la présence d’effets budgétaires

non linéaires sur lesquels un certain nombre d’auteurs ont mis l’accent pour l’analyse

d’économies européennes.

Dans la quatrième section, on propose un test d’efficacité de la politique budgétaire

en UEMOA sur la période 1986-2002. L’application économétrique s’adosse à la

méthodologie d’Hansen (1996, 1999). Celle-ci permet de mettre en évidence un impact

budgétaire sur l’activité économique, conditionnel au niveau de la dette publique et donc

non linéaire. La cinquième section revient en conclusion sur les principaux résultats de ce

travail et ses implications pour un meilleur fonctionnement du policy mix en zone franc.

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II : Les repères institutionnels et le « policy mix » en UEMOA

La zone franc s’est constituée puis réformée dans les années soixante dix sur l’idée

que le mécanisme du contrôle monétaire suffirait à stimuler le développement dans le

maintien des grands équilibres. Jusqu’au début des années quatre vingt le domaine

budgétaire a fait l’objet de peu de contrôle, sinon à travers la limitation des avances

statutaires de la Banque Centrale aux trésors publics, avances plafonnées à 20% des

recettes budgétaires. L’idée a donc été de couper les autorités nationales de la possibilité de

capter le seigneuriage, ces prélèvements de ressources résultant de la monétisation des

déficits publics. Par ce contrôle, la politique budgétaire ne repose plus que sur la capacité

d’agir sur le taux de pression fiscale, avec une marge d’action limitée à court terme par les

faiblesses de l’administration et l’étroitesse de l’assiette fiscale ou sur la possibilité

d’accéder à un financement extérieur compensatoire des déficits publics.

Avant le déclenchement du premier choc pétrolier en 1973, aucun des pays

membres n’a mobilisé de crédits commerciaux longs auprès du système bancaire

international. L’essentiel des flux de capitaux extérieurs procédait de l’aide publique au

développement (APD) ou des flux d’investissements directs étrangers, les uns et les autres

largement indépendants de la volonté des pouvoirs publics. Dans un contexte d’inflation

mondiale élevée et d’accès plus permissif à l’emprunt extérieur, les institutions de l’Union

Monétaire Ouest Africaine vont rapidement démontrer leur fragilité. Bhatia (1985) a dressé

un état des lieux des dérives budgétaires et déséquilibres macro-économiques. L’auteur

met d’abord en avant l’endettement extérieur mobilisé, soit par l’Etat stricto sensu, soit par

les entreprises publiques avec une garantie d’Etat. En raison de la convertibilité

« illimitée » du franc CFA, garantie par le trésor français, et du prix très favorable des

matières premières exportées, les banques commerciales étrangères ont vu dans ces prêts

une bonne opportunité de recyclage des fonds pétroliers.

Les gouvernements ont donc été en mesure d’élargir leurs ressources financières

par l’endettement et par la parafiscalité imputable aux caisses locales de stabilisation du

prix international des matières premières exportées. De tels phénomènes ont été

abondamment rapportés. Devarajan et de Melo (1987) ont notamment décrit les

implications du boom des recettes d’exportation de café et de cacao pour la Côte d’Ivoire.

Entre 1975 et 1977, ce boom a servi à la promotion d’un programme d’investissements

publics au-delà de la capacité d’absorption du secteur, phénomène prolongé par

l’accumulation de la dette au moment et après que les cours internationaux se soient

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repliés. Un scénario comparable, mais avec des dépenses plus centrées sur la

consommation publique, s’est également produit au Sénégal avec la forte augmentation du

prix du phosphate (1974-1977). Ici encore, le gouvernement a amplifié l’impact immédiat

du boom en mobilisant des concours extérieurs via les banques commerciales étrangères.

De manière générale, les recettes conjoncturelles induites par les chocs de prix ont

entretenu des comportements budgétaires procycliques quand la sagesse aurait commandé

aux Etats de gérer prudemment les « aubaines fiscales » pour éviter les phénomènes

structurels de « dutch disease » et des déficits budgétaires ultérieurement insoutenables

(Collier et Gunning, 1996). Selon Cooper (1991) les gouvernements ont fait l’hypothèse de

chocs positifs permanents et de chocs négatifs temporaires. De ces erreurs résulteront, dès

le milieu des années quatre vingt, une grande méfiance envers l’aptitude de l’Etat à réguler

la conjoncture interne et les instabilités auxquelles sont soumises les économies africaines.

L’initiative du Pacte de Convergence a témoigné de la volonté politique de brider

davantage l’instrument budgétaire. Adopté en décembre 1999, il prévoit que le critère clé

du dispositif, à savoir le solde budgétaire de base que l’on définit comme la différence

entre les recettes hors dons et les dépenses, hors les dépenses d’investissements financées

sur ressources extérieures, revienne à l’équilibre d’ici à la fin 2005. Dans l’intervalle de

cette phase de « convergence », le niveau de la dette publique sera progressivement ramené

à un niveau inférieur à 70% du produit intérieur. Cette politique d’ajustement budgétaire

est donc marquée par le besoin de prévenir les égarements passés. Elle a vocation à

« signaler » un changement de comportement dont l’absence d’effectivité peut donner lieu

à sanctions.

Le Pacte est peu explicite sur les conditions d’application de ces sanctions. On

comprend que le déficit puisse être évalué net des effets exogènes de conjoncture dans la

mesure où ces petites économies exportatrices de matières premières sont vulnérables

notamment aux variations de termes de l’échange. La prise en compte de ces effets est dans

la ligne générale des travaux sur les déficits budgétaires structurels ou sur les mesures

d’impulsion budgétaire développées par le Fonds Monétaire International et l’Organisation

pour la Coopération et le Développement Economique (Blejer et Chu, 1988 ; Heller et alii.,

1986). L’idée sous jacente est que la stratégie budgétaire à moyen terme doit pouvoir

s’apprécier en distinguant ce qui est imputable aux décisions discrétionnaires de ce qui

procède du cycle des affaires, autrement dit des fluctuations auto-correctrices.

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Tableau 1 : Situation macroéconomique des économies de l’UEMOA de 1986 à 2002

Taux de croissance du PIB

Solde primaire de base rapporté au PIB

Dette publique extérieure rapportée au PIB

1986-1993 1993-2000 2000-2002 1986 1993 1999 2002 1986 1993 1999 2002

Bénin 2.0 5.0 5.5 -2.5 2.0 4.2 1.0 66.2 66.4 71.9 48.1

Burkina Faso 2.5 4.2 4.6 0.7 -1.7 0.4 -2.5 31.0 35.8 55.3 45.5

Cote d'Ivoire 0.3 4.6 -0.7 6.5 -2.3 2.9 3.5 82.9 162.9 110.6 75.4

Mali 2.6 5.0 8.7 4.9 2.8 2.3 0.5 96.6 107.5 115.3 74.0

Niger 0.5 3.7 5.0 1.8 -4.2 -3.3 0.1 61.0 65.0 93.6 78.7

Sénégal 1.6 4.8 3.3 2.6 0.9 3.0 2.3 79.5 70.7 82.4 70.3

Togo -1.5 5.9 2.2 9.8 -9.2 0.3 1.9 93.9 94.5 98.7 87.2

UEMOA 0.9 4.6 2.0 3.4 -1.7 1.4 1.0 73.0 86.1 89.7 68.4 Sources : Les calculs ont été effectués à partir des bases de données suivantes : Banque Mondiale, World Development Indicators (PIB), la Commission de l’UEMOA (solde budgétaire) et les NIS/BCEAO (dette publique extérieur) . Pour le taux de croissance, il s’agit du taux annuel moyen de la période. Le solde budgétaire primaire de base = Recettes fiscales (hors dons) – (Dépenses courantes – Intérêts sur la dette) – Investissements réalisés sur ressources internes

Le tableau 1 met en évidence l’évolution des principales variables

macroéconomiques d’intérêt pour cet article. La dévaluation est intervenue en 1994 à un

moment où le déficit budgétaire primaire demeurait important dans une majorité de pays

membres. La dévaluation a eu pour effet mécanique d’alourdir le niveau de la dette

publique extérieure qui s’est ultérieurement contractée entre 1999 et 2002 tout en restant à

un niveau élevé. Par ailleurs, les années d’après dévaluation ont été le plus souvent

caractérisées par des excédents primaires de base, tandis que la croissance du produit

intérieur a retrouvé un niveau satisfaisant. En partant de ce constat, quel a été l’impact des

soldes budgétaires sur le rythme de l’activité de la période étudiée ?

III : La non-linéarité des effets de la politique budgétaire : arguments théoriques

Dans la tradition keynésienne, la régulation de la croissance économique par l’Etat

passe par des actions budgétaires contracycliques. Cette perspective amène les pouvoirs

publics à soutenir l’activité dés lors que la demande des agents est déprimée et à la freiner

lorsque son emballement fait craindre déséquilibres internes et externes. On observera

cependant qu’entre 1973 et 1982, les finances publiques africaines ont été structurellement

déficitaires, en contradiction avec la logique contracyclique d’intervention de l’Etat.

Jusqu’ici, peu d’Etats africains ont d’ailleurs été capables de lisser la dépense en épargnant

dans les moments de boom des matières premières et en désépargnant dans une

conjoncture défavorable. Sur la période d’observation, c’est à dire en aval de 1986, compte

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tenu des déséquilibres de départ et de l’importance de la dette contractée, on peut donc

s’interroger sur la nature de ces effets keynésiens, le doute s’étant d’ailleurs généralement

installé quant à l’efficacité du volontarisme budgétaire.

En partant de l’intuition initiale de Ricardo, Barro (1974) a contribué à réfuter la

thèse de l’efficacité de l’action budgétaire sur les variations conjoncturelles. Par le principe

de l’équivalence ricardienne, le secteur privé intègre dans son calcul économique la

contrainte budgétaire intertemporelle du secteur public. Si les agents s’attendent à

rembourser la dette consécutive aux déficits, l’action de l’Etat n’affecte pas le produit

intérieur. En effet, l’anticipation du remboursement de la dette suscite une diminution de la

dépense privée instantanée et fait du déficit public un simple transfert intertemporel. En

d’autres termes, le revenu net d’impôt du secteur privé s’accroît aujourd’hui pour se

réduire demain. Il en résulte un revenu permanent inchangé. Ainsi, alors que dans la

logique keynésienne, la réduction du déficit budgétaire devrait produire une contraction de

la demande globale et agir négativement sur l’output gap, la nouvelle économie classique

est davantage portée à supposer la neutralité de cette politique. En réduisant aujourd’hui la

dépense publique, l’Etat crée les conditions d’une baisse du taux de prélèvement fiscal

ultérieur qui peut soutenir une demande privée compensatrice.

Le principe de cette équivalence ricardienne repose toutefois sur des hypothèses

restrictives, en particulier pour les pays en développement où les marchés de l’assurance et

du crédit sont imparfaits et les impôts fortement distorsifs. Par ailleurs en Afrique les

contraintes de liquidité limitent la possibilité pour les agents de lisser leur consommation

dans le temps. Celle-ci dépend donc davantage du revenu courant que du revenu

permanent.

Des auteurs ont récemment renouvelé la réflexion en postulant qu’une contraction

budgétaire pouvait même avoir un effet positif sur l’activité économique. Leur hypothèse

procède de l’observation des expériences contractionnistes conduites, dans les années

quatre vingt, par certains pays de l’Europe du Nord. Point commun à ces économies, la

réduction de la dépense publique a été à la fois forte, rapide et durable (au moins trois ans)

et conjuguée a un effet expansif sur l’activité intérieure (e.g. Llau, 1999). Ce phénomène

suggère des non-linéarités synonymes de coexistence de différents régimes budgétaires :

keynésien, non-keynésien et anti-keynésien.

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Plusieurs explications, mutuellement non exclusives, ont été apportées à ce

phénomène. La première que l’on doit aux travaux de Giavazzi et Pagano (1990), mais

également de Blanchard (1990), porte l’éclairage sur l’existence d’un « effet de signal »

autour de la solvabilité retrouvée des finances publiques qui modifierait la formation des

anticipations des agents privés. Une baisse permanente des dépenses publiques annonce

une baisse future des impôts. Elle est donc à l’origine d’un effet de richesse positif. De

manière analogue, un accroissement présent des impôts pourrait être le signe que les agents

supporteront des ajustements budgétaires moins sévères dans le futur. En regard de

l’efficacité, l’action de rééquilibrage budgétaire par la contraction de la dépense serait

préférable dans la mesure où une augmentation des impôts pose un problème de crédibilité

intertemporelle et suscite des effets d’offre non négligeables à travers des prélèvements

fiscaux distorsifs (Giavazzi et alii., 2000).

En zone franc, un autre « effet de signal » a pu jouer, en particulier par la

concomitance de la réduction des déficits budgétaires et de l’engagement des

gouvernements à liquider le problème des arriérés de paiement, c'est-à-dire le non

paiement à l’échéance contractuelle des factures par l’Etat. Dans le passé les arriérés

envers le secteur privé ou parapublic ont constitué un moyen de relâchement instantané de

la contrainte budgétaire publique. Si les arriérés sont ultérieurement apurés, les créanciers

subissent un impôt implicite, un manque à gagner équivalent à celui d’une détention de

titres publics non porteurs d’intérêt. Lorsqu’en revanche les arriérés publics ne sont qu’en

partie liquidés à terme, situation qui fut courante en zone franc, la captation de l’Etat est

plus importante. Elle est aussi plus distorsive envers le système productif car elle implique

une discrimination arbitraire des entreprises et le non-respect de la règle de droit.

Ces stratégies de financement public ont été très perturbatrices pour l’activité. De

Boissieu (1985) en a montré le caractère pernicieux à travers les effets de « report » et

d’ «imitation » qui ont eu de très mauvaises implications pour le système financier local et

la croissance économique, notamment pour les petites et moyennes entreprises du secteur

formel. Le Pacte a donc privilégié la transparence budgétaire, préférant augmenter le taux

de pression fiscale que maintenir la logique subjective et spoliatrice des arriérés publics.

Ce changement de comportement en faveur d’une meilleure gouvernance publique a pu

être une source de stimulation de la croissance du produit intérieur sur fond d’engagement

parallèle à réduire les déficits budgétaire. En d’autres termes, la moindre stimulation

budgétaire de l’activité a pu être compensée par un regain de confiance des agents privés.

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Les effets d’offre auxquels il a été fait référence ci-dessus sont complexes et non

indépendants de la situation budgétaire initiale comme l’ont montré Alesina et Perotti

(1995), puis Alesina et Ardagna (1998). Ils dépendent de la composition de l’ajustement

budgétaire, elle-même fonction de la situation initiale des finances publiques. Ainsi, en

situation budgétaire « critique », le gouvernement privilégie comme instrument

d’ajustement la baisse durable des dépenses publiques, en particulier les salaires, malgré le

coût politique de court terme que revêt cette mesure. Cette baisse peut induire un effet

d’offre positif par l’anticipation d’une diminution ultérieure des impôts. Au contraire, en

situation budgétaire « normale », le gouvernement est porté à privilégier un ajustement

budgétaire politiquement moins coûteux qui repose sur une augmentation des impôts.

Une seconde explication du caractère expansif de la contraction budgétaire est

développée par Bertola et Drazen (1993) et ultérieurement par Sutherland (1997) dans un

modèle à générations imbriquées. Pour ces auteurs, la non-linéarité de la politique

budgétaire peut résulter d’un seuil psychologique d’endettement, d’un niveau de dette

publique rendant l’ajustement budgétaire inévitable. Confrontés à un endettement public

soutenable, les agents supposent que le remboursement de la dette reposera sur les

générations futures. Dans ce cas un déficit a des effets keynésiens. En revanche, en

présence d’une dette jugée non soutenable, les agents s’attendent à supporter eux-mêmes le

poids des remboursements, de sorte que les effets du déficit deviennent non-keynésiens ou

anti-keynésiens. L’importance du seuil de la dette se dessine dans ce courant de littérature,

mais également les hypothèses sur lesquelles les agents fondent la formation de leurs

anticipations, en l’occurrence le caractère non monétisable et non répudiable de la dette.

Ces hypothèses sont sans doute pertinentes pour les pays membres de la zone franc,

encore que des phénomènes de hasard moral puissent être présents par des anticipations de

moratoires ou de remises de dettes extérieures qui modifieraient les comportements privés.

La portée de ces phénomènes est toutefois à relativiser. La plus importante remise de

dettes, l’initiative envers les Pays Pauvres et Très Endettés (PPTE), a été à la fois récente,

exogène et suffisamment générale pour ne pas avoir été liée à des situations financières et

des comportements stratégiques particuliers à l’Union. Les agents privés n’ont donc pas

internalisé le principe de cette initiative pour former leurs anticipations.

Les travaux de Caballero et Pyndick (1996) s’inscrivent également dans la ligne

d’investigation des non-linéarités de la politique budgétaire en relation avec le niveau de la

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dette. Les auteurs suggèrent qu’en situation budgétaire « critique », les agents sont non

keynésiens. L’incertitude macro-économique inhérente à la non-solvabilité des finances

publiques les incite à constituer une épargne de précaution ou à retarder des

investissements générant des coûts irrécupérables en réaction à une nouvelle dégradation

des finances publiques. La stabilité de la valeur nominale du franc CFA et sa convertibilité

facilitent sans doute la détention de cette épargne de précaution en monnaie nationale ou en

devises.

IV : La non-linéarité de la politique budgétaire : tests économétriques

On retient une modélisation en terme d’effet de seuil. On fait donc l’hypothèse que

l’impact de la politique budgétaire est différent selon un niveau d’endettement à

déterminer. Il existe deux catégories de modèles permettant de modéliser un effet de seuil.

Il y a les modèles dont le seuil est fixé de façon exogène (Tsay, 1989) et ceux pour lesquels

le seuil est déterminé de façon endogène (Hansen, 1996).

S’agissant de la spécification avec effet de seuil exogène, l’impact différencié des

politiques budgétaires a été diversement mis en évidence. Alesina et alii. (2002) ont ainsi

évalué l’impact des chocs budgétaires sur l’investissement privé. Ils montrent que la

composition de l’ajustement budgétaire, dépenses versus recettes, est déterminante pour

l’évolution de l’investissement privé, mais l’effet de seuil n’est pas significatif. Giavazzi et

alii. (2000) ont cherché à établir la corrélation entre le solde budgétaire et l’épargne

nationale. Leurs résultats font apparaître des relations non-linéaires généralement

significatives. Ces modèles à effet de seuil exogène ont la souplesse de la modélisation,

mais leurs caractéristiques ad hoc en atténuent la portée analytique.

La méthode d’Hansen

On retient donc la méthodologie d’identification du seuil endogène développée par

Hansen (1999). Il s’agit d’une méthode de balayage suivant laquelle une équation de

référence est estimée pour différentes valeurs de la variable de seuil2. Soit 0S et 1S

respectivement la somme des carrés des écarts dans l’hypothèse 0H de linéarité et 1H de

non linéarité. Dans une première étape, on détermine le niveau de seuil optimal ( γ̂ ), à la

2 L’auteur recommande d’éliminer les valeurs extrêmes du début et de la fin de la série.

12

fois constant dans le temps et identique pour tous les pays, qui correspond à la valeur de γ

qui minimise la somme des carrés des résidus soit :

( )γγγ 1minargˆ S= avec )(ˆ)(ˆ)(1 γεγεγ ′=S (1)

La seconde étape consiste à tester la significativité de ce seuil. Pour ce faire,

Hansen (1999) propose une statistique de Fisher ( 1F ) qui permet de comparer les modèles

avec ou sans rupture3 :

210

1 ˆ))ˆ((

σγSS

F−

= (2)

Avec 2σ̂ la variance estimée des résidus dans le modèle sans rupture. Dans l’hypothèse

nulle, la non identification du seuil interdit le recours aux tests usuels. Pour y remédier,

Hansen (1999) suggère alors d’effectuer un bootstrap classique et de caractère non

paramétrique qui permet de dériver une distribution de la statistique 1F .

Par ailleurs, l’auteur propose de construire un intervalle de confiance du seuil sur la

base du ratio de maximum de vraisemblance calculé pour tout γ :

( ) ( )2

111 ˆ

)ˆ()(σ

γγγ

SSLR

−= (3)

Pour γγ ˆ= , 01 =LR et tend vers une variable aléatoire ξ dont la fonction de

distribution est ( )2

2exp1

−−=≤

xxP ξ . L’inversion de cette distribution permet de

dériver la fonction ( ) ( )αα −−−= 11log2c qui sert à calculer l’intervalle de confiance.

Pour un seuil de risque de %α , ce dernier correspond aux valeurs de γ telles que

( ) ( )αγ cLR ≤1 .

3 Il s’agit d’un test de maximum de vraisemblance.

13

Le modèle estimé

On modélise l’impact de la politique budgétaire, conditionnel au niveau

d’endettement, à partir de la relation entre un solde budgétaire primaire structurel de base

(SBS) et l’output gap (GAP)4 du pays i à l’instant t (équation 4).

itititiit SBSSBSXaGAP επθβ ++++= sup.inf.. (4)

Le vecteur X permet de contrôler pour l’action des autres variables pertinentes. Par ia , on

désigne les effets spécifiques pays tandis que ε est un bruit blanc iid de moyenne nulle et

de variance constante, avec :

>≤

=γγˆ si 0

ˆ si inf

it

it

DPEDPESBS

SBS et

≤>

=γγˆ si 0

ˆ si sup

it

it

DPEDPESBS

SBS

θ et π, sont les effets marginaux qui peuvent être différents suivant le régime de la

politique budgétaire. DPE représente le niveau d’endettement mesuré par le rapport de la

dette extérieure publique et le PIB. On teste l’hypothèse nulle de linéarité ( πθ =:0H )

contre l’hypothèse alternative ( πθ ≠:1H ). On distingue ainsi un régime « normal »,

lorsque le niveau d’endettement est inférieur ou égal au seuil ( )γ̂ , et un régime « critique »

lorsqu’il est supérieur. Le seuil endogène ainsi déterminé n’a pas de dimension normative.

Sa valeur ne préjuge pas d’un niveau de dette optimal ou soutenable dont le calcul

nécessiterait de mettre le solde budgétaire primaire en relation avec la croissance du

produit et le coût réel de la dette.

Pour ce qui concerne le solde budgétaire structurel, variable qui retient plus

particulièrement l’intérêt dans cet article, on s’attend à ce que la relation à l’output gap soit

négative en régime « normal », c'est-à-dire lorsque la dette est inférieure ou égale à un

seuil endogène (effet keynésien, 0<θ ). En régime « critique », c'est-à-dire lorsque

l’endettement est supérieur à ce seuil, les théories prédisent un effet budgétaire nul (effet

non-keynésien, 0=π ) ou même positif (effet anti-keynésien, 0>π ).

4 Adam et Bevan (2005), pour un ensemble de pays en développement, ont analysé la relation directe de non-linéarité entre le déficit budgétaire et la croissance.

14

L’output gap est égal à la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel

rapportée au PIB potentiel. De façon générale le débat reste vif et non encore tranché quant

à la méthode d’estimation du PIB potentiel (e.g. Burnside, 1998 ; Canova, 1998 ; Rand et

Tarp, 2002). Le lissage de Hodrick-Prescott (1980), ci-après noté HP, est cependant

couramment utilisé et en particulier par la Commission Européenne qui le préfère à des

méthodes reposant sur l’estimation d’une fonction de production (Bouthevillain et alii.,

2001)5. Le filtre HP suppose que la série du produit (Y) se décompose en un cycle (C) et

une tendance (T) qui résulte du calcul d’optimisation suivant où λ est un multiplicateur de

Lagrange, représentant le paramètre de lissage :

( ) ( )( )∑=

+ ∆−∆+−N

tttttT

TTTY1

21

2min λ (5)

Autrement dit, on choisit la tendance de manière à minimiser la variance de la série

autour de sa tendance sous une pénalité qui limite les changements dans la variation de la

tendance. Le filtre HP présente deux avantages principaux : la simplicité de mise en œuvre

et la possibilité de l’utiliser sans avoir à prolonger la série initiale. Il faut cependant

reconnaître ses défauts : le calcul de la tendance présente un effet de bord, le cycle peut

être bruité par des phénomènes à haute fréquence et surtout, le choix de λ est entaché d’un

certain arbitraire (Ravn et Uhlig, 2002 ; Araujo et alii., 2004).

Le niveau du paramètre de lissage, qui permet de dériver la tendance d’une série,

est loin de faire l’unanimité chez les auteurs. Hodrick-Prescott recommandent des valeurs

de 1600 pour les données trimestrielles et 100 pour les données annuelles. Certains auteurs

proposent des valeurs plus faibles. Ainsi, Bouthevillain (2002) suggère 30 pour des séries

annuelles tandis que d’autres retiennent des valeurs élevées, c’est le cas de Baxter et King

(1999) qui adoptent des valeurs comprises entre 100 et 400. Tous les travaux auxquels il

vient d’être fait référence se rapportent à des pays industrialisés. La réalité des cycles

économiques est semble-t-il assez différente dans les pays en développement. Comme l’ont

montré Rand et Tarp (2002), la longueur des cycles est ici plus courte et plus volatile à

cause des nombreux chocs d’offre qui s’ajoutent aux instabilités importées de

l’environnement international. Pour donner une certaine robustesse à nos résultats,

5 Dans le cas de l’UEMOA, Diop (2000) a utilisé différentes méthodologies. Il note que la méthode d’évaluation à partir de la fonction de production comporte des insuffisances relatives à la mesure du stock de capital et à la « difficulté à appréhender correctement le fonctionnement du marché du travail de l'UEMOA ».

15

plusieurs valeurs du filtre de lissage de la composante tendancielle ont été retenues. Le PIB

potentiel a été calculé suivant 3 valeurs courantes du filtre HP : 30 (Bouthevillain, 2002),

100 (Backus et Kehoe, 1992) et 400 (Correia et alii. 1992).

Pour ce qui concerne le solde budgétaire de base, comme précisé dans la seconde

section, celui-ci se définit par la différence entre les recettes hors dons et les dépenses

financées hors ressources extérieures. Le solde budgétaire de base est préféré au solde

conventionnel dans la mesure où d’une part il retrace mieux les performances budgétaires

et d’autre part, il est conforme au critère de surveillance multilatérale de l’UEMOA. Etant

donné que les paiements d’intérêts renvoient à une dette constituée dans le passé et ne

constituent pas une variable de décision publique pour le présent, ce solde a par ailleurs été

calculé hors paiements d’intérêts sur la dette publique. On définit ainsi un solde budgétaire

primaire de base. Par un ajustement pour les effets mécaniques induits par les fluctuations

de l’activité économique, le solde budgétaire a été considéré pour sa valeur structurelle que

l’on détermine par la différence entre les soldes effectif et conjoncturel et que l’on assimile

à l’effort budgétaire. A défaut de disposer de budgets publics suffisamment désagrégés

pour le calcul des élasticités des différentes composantes budgétaires (Bouthevillain et alii.

2001), le résidu économétrique du ratio du solde budgétaire sur l’output gap a été utilisé6.

Parmi les variables de contrôle du modèle, on introduit d’abord le ratio de la dette

extérieure rapportée au PIB. Suivant les théories du surendettement, cette variable DPE

influence négativement la variable endogène. En effet, dès l’instant où l’endettement

dépasse les capacités de remboursement, les services de la dette découragent les

investissements, et pénalisent la croissance (Krugman, 1988). Seule la dette extérieure est

considérée ici en raison de la faiblesse de l’endettement interne. Les termes de l’échange

(ITEC), que l’on définit par le rapport des prix d’exportation aux prix d’importation, sont

également introduits. Il s’agit de saisir l’incidence de l’environnement international qui

affecte fortement le prix des produits de base. Les termes de l’échange sont associés à des

effets d’offre et de demande et leur évolution est supposée être dans une relation positive à

l’output gap. Enfin, une variable de rupture (RUPTURE) a été introduite pour saisir les

changements de comportements après la dévaluation de 1994. Le réajustement des prix

relatifs, mais également les réformes institutionnelles concomitantes, ont profondément

6 On se rapportera à l’annexe de cet article pour le mode de calcul.

16

modifié le fonctionnement des économies sous une forme qui laisse présager une

accélération de l’activité économique.

Les résultats

L’équation est estimée sur des données annuelles d’un panel constitué des sept pays

de l’UEMOA sur la période 1986-2002. L’hétérogénéité inobservable par pays est

supposée constante dans le temps, neutralisée par la transformation de l’ensemble des

variables en écart à la moyenne (effets fixes individuels). Les résultats d’estimation de

l’équation 4 sont reportés dans le tableau 2 ci-dessus.

Tableau 2 : Estimation de la relation budgétaire

GAP GAP GAP

Paramètre de lissage λ de HP 30 100 400

Seuil endogène (méthode de Hansen) % 83ˆ =γ 83ˆ =γ 83ˆ =γ

Intervalle de confiance à 5% [67 ; 128] [67 ; 94] [75 ; 94]

ITEC 0.002 0.002 0.002 (5.12)* (5.25)* (4.17)*

DPE -0.080 -0.115 -0.183 (-2.05)** (-2.66)* (-4.17)*

SBSinf -1.514 -1.913 -2.007 (-3.84)* (-4.08)* (-3.76)*

SBSsup 0.258 0.588 0.994 (0.63) (1.35) (2.41)**

Rupture 0.086 0.112 0.158 (5.13)* (6.14)* (8.34)*

R² 33% 39% 49% Les t-Student sont donnés entre parenthèses avec une significativité de : * (99%) et ** (95%).

Wald Test, Hypothèse nulle : θ = π F-statistic 8.92 15.15 21.69 p-value 0.00 0.00 0.00

Test de significativité du seuil endogène F1 = 0 F1 12.91 18.88 22.19 p-value (simulation) 0.14 0.07 0.09

Nombre de simulations 2000 2000 2000

Les estimations ne rejettent pas l’hypothèse d’un seuil d’endettement conditionnant

l’impact différencié de la politique budgétaire. La valeur du seuil endogène suggère que le

changement de régime intervient à un niveau de dette correspondant à 83% du PIB.

L’hypothèse de non-linéarité de la politique budgétaire ne peut être rejetée comme

17

l’indiquent les deux tests de restriction (Wald et F1). Les graphiques 1, 2 et 3 mettent

l’éclairage, par le ratio du maximum de vraisemblance, sur les intervalles de « non-rejet »

de ce seuil et pour les différents niveaux du ratio de la dette.

Ce seuil endogène d’endettement est remarquablement stable, quelle que soit la

valeur du paramètre de lissage adoptée, mais avec une significativité à 90% qui n’est

vérifiée que pour les filtres de 100 et 400. Le signe des variables exogènes reste inchangé

sur les trois équations estimées. Le modèle avec un filtre HP de 400 produit la meilleure

estimation en terme d’explication de la variance. Cette équation est donc considérée pour

les commentaires.

Le modèle estimé vérifie la pertinence d’une rupture sur l’année 1994 qui concentre

d’importants changements économiques et institutionnels comme par exemple la

dévaluation du Franc Cfa, mais également l’approfondissement du cadre d’intégration

régional à travers la signature des accords de l’UEMOA. Les termes de l’échange sont très

significatifs, ce qui confirme l’influence de l’environnement international. Pour ce qui est

du taux d’endettement, le coefficient apparaît avec un signe négatif et significatif. On en

déduit que le niveau moyen de la dette extérieure publique freine l’activité économique de

la zone.

Cette variable d’endettement conditionne également l’influence de la politique

budgétaire sur le cycle économique. Dans leur rapport à l’activité économique, les

coefficients d’impact budgétaire sont en effet statistiquement différents selon que le niveau

d’endettement extérieur est inférieur ou supérieur au seuil de 83% du PIB. Dans le premier

cas, qui traduit un régime « normal » d’endettement, le coefficient est négatif et significatif

à 99%. Il en résulte une situation budgétaire de type keynésien. En régime « critique », la

politique budgétaire révèle une corrélation positive dans l’estimation avec un filtre HP de

400, mais non statistiquement pertinente pour les autres valeurs du paramètre de lissage.

18

N.B. : sur chacun des trois graphiques le trait discontinu indique le seuil de risque de 5%.

19

Le signe positif du coefficient d’impact budgétaire au-delà du taux d’endettement

de 83%, met en évidence un effet anti-keynésien. Ce résultat est conforme à l’observation

d’une certaine reprise de la croissance, à partir de 1994 concomitante au processus

d’assainissement des finances publiques. La dette publique extérieure a en effet augmenté

mécaniquement avec la dévaluation et les nouveaux financements d’ajustement obtenus

des institutions de Bretton-Woods. La situation d’après dévaluation a donc été caractérisée

par l’augmentation de la dette, mais aussi par l’accélération de la croissance du produit

intérieur et l’effort de redressement budgétaire facilité par la dévaluation et la contraction

de la dépense publique (Collange et Plane, 1994).

Un effet de signal a également pu jouer par les dispositions du Pacte. L’engagement

autour de la réduction et la non reconstitution des arriérés de paiement témoigne de la

volonté politique des gouvernements de promouvoir une amélioration de la gouvernance

publique. L’Etat entend ainsi s’acquitter des dettes des administrations dans des délais

compatibles avec le crédit fournisseur normal. Les gouvernements rétablissent ainsi une

certaine confiance dans leurs rapports financiers au secteur privé. Et cette politique, à

laquelle le contrôle par les pairs donne une certaine crédibilité d’application, est en soi une

source de stimulation de l’activité. L’effet de signal pourrait donc avoir moins fonctionné

par les promesses d’une baisse d’impôt, car le Pacte recommande une hausse du taux de

pression fiscale pour la plupart des Etats, que par l’engagement à promouvoir la

transparence et le respect des procédures de paiement en renonçant aux accumulations

arbitraires et distorsives d’arriérés.

20

V : Conclusion

La politique budgétaire en zone franc a été imparfaitement contrôlée et finalement

source d’endettement et de graves déséquilibres macroéconomiques dans les années

soixante dix. L’UEMOA a depuis posé des garde-fous sans pour autant s’interroger sur

l’efficacité de la politique budgétaire. Sur la période 1986-2002, cet article a constitué une

première tentative de réponse. Le principal résultat auquel on est parvenu est l’existence

d’un impact non-linéaire de l’effort budgétaire sur l’output gap, impact conditionnel au

taux d’endettement public.

La méthode de détermination des seuils endogènes de Hansen révèle qu’en

présence d’un taux d’endettement inférieur à 83% du PIB, la relation entre l’effort

budgétaire et la conjoncture est de nature keynésienne. Pour un endettement supérieur, la

relation, plus incertaine, semble de nature anti-keynésienne ou non-keynésienne.

Autrement dit, une contraction budgétaire est favorable ou neutre sur l’écart de produit. Ce

résultat s’est avéré robuste aux différentes décompositions « cycle-tendance » obtenues par

le filtre de Hodrick-Prescott.

Un tel travail se prête assurément à des améliorations méthodologiques en relation

notamment avec la question de l’endogénéité du solde budgétaire à la conjoncture

économique. Celle-ci peut procéder de l’existence des stabilisateurs automatiques ou de la

présence d’une fonction de réaction de la politique budgétaire à l’activité. Si la première

source de biais a été résolue par le calcul de l’effort budgétaire par le résidu, la seconde

demeure susceptible d’influence pour l’analyse de la politique économique sans pour

autant remettre en cause l’existence d’une non-linéarité. Par ailleurs, dans la mesure où les

critères de convergence portent à la fois sur un seuil minimum de pression fiscale et un

seuil maximum de dépenses salariales, il serait intéressant d’approfondir l’analyse en

mettant en évidence des effets différenciés de l’ajustement budgétaire selon l’instrument

privilégié. On pourrait ainsi tester directement les effets de composition : hausse des

impôts versus baisse des dépenses publiques.

21

Annexe : Calcul de l’effort budgétaire

L’effort budgétaire ( SBS ˆ ) utilisé se réfère au solde budgétaire ( SB ) corrigé des

fluctuations conjoncturelles. Il est déterminé à partir du résidu de l’estimation, contrôlée

par les effets fixes individuels, du ratio de solde budgétaire sur l’output gap. Le calcul de

l’output gap a été effectué à l’aide d’un filtre de Hodrick-Prescott pour des valeurs de

lissage de 30, 100 et 400 (respectivement GAP30, GAP100 et GAP 400). Autrement dit,

on procède à la décomposition économétrique du solde budgétaire en deux éléments : la

partie induite par la conjoncture et l’effort budgétaire, par hypothèse exogène à la

conjoncture, que l’on assimile aux résidus de l’estimation (Guillaumont et Guillaumont,

1988).

%40²

ˆ30)00.4(

15.0

=

+=

R

itSBSitGAPitSB

%41²

ˆ100)14.4(

13.0

=

+=

R

itSBS

itGAP

itSB

%40²

ˆ400)89.3(

10.0

=

+=

R

itSBSitGAPitSB

(les t-de Student sont entre parenthèses)

22

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