Les émeute de Constantine 1934

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Les émeute de Constantine 1934

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  • Monsieur Charles-RobertAgeron

    Une meute anti-juive Constantine (aot 1934)In: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, N13-14, 1973. pp. 23-40.

    Citer ce document / Cite this document :

    Ageron Charles-Robert. Une meute anti-juive Constantine (aot 1934). In: Revue de l'Occident musulman et de laMditerrane, N13-14, 1973. pp. 23-40.

    doi : 10.3406/remmm.1973.1189

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1973_num_13_1_1189

  • UNE EMEUTE ANTI- JUIVE A CONSTANTINE

    (aot 1934)

    par Charles-Robert AGERON

    La ville de Constantine connut en aot 1934 ce que certains contemporains ont appel un pogrom, Les massacres de Constantine ; ce que d'autres ont dcrit comme le heurt sanglant mais inopin de deux communauts vivant jusque l en bonne intelligence ; ce que d'autres encore ont expliqu comme tant La sanglante provocation de Constantine. C'est dire que cet pisode tragique de l'histoire de Constantine provoqua sur l'heure un flot de commentaires passionns. Il est donc un peu surprenant que les historiens ne s'y soient pas intresss. Quel que soit le risque prvisible d'tre rcus ou condamn par les parties en prsence, nous voudrions dans les limites d'un bref article procder une analyse critique des faits et des explications proposes par les contemporains (1).

    * * *

    La vieille cit de Constantine tait demeure dans les annes d'aprs la premire guerre mondiale ce qu'elle avait toujours t, une capitale administrative et une place commerciale, essentiellement un march de tissus et un march aux grains. Malgr une forte pousse dmographique Constantine tait passe de 65 000 habitants en 1911 99 600 en 1931- la ville peu modernise, peu industrialise, restait fort traditionaliste. A l'image de la plupart des villes de l'Algrie coloniale, elle demeurait compose de communauts juxtaposes, non

    (1) Quatre publications nous ont paru essentielles, refltant toutefois une partie seulement de l'opinion publique :

    A. Koubi, Les massacres de Constantine, brochure de 80 p. date du 26 aot 1934, (donne le point de vue juif, vu par un auteur socialisant). L'expression de pogrom est notamment employe par Le Populaire de Paris partir de septembre 1 934.

    Le Rapport de la Commission d'enqute administrative (7 octobre 1934) fournit la synthse officielle de nombreux tmoignages oraux et crits.

    Le Parti communiste a publi les rsultats de son enqute sous le titre : La sanglante provocation de Constantine - Rapport de la dlgation ouvrire d'enqute. Lucien Monjauvis, dput de Paris, A. Zimmerman et Me Haje dlgu et avocat du Secours Rouge International Paris, 2 janvier 1935.

    Les vnements de Constantine et le problme indigne algrien de Victor Spielmann permet de retrouver les positions des Musulmans, vues par un ancien communiste, devenu le champion de la cause indigne.

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    mles. Europens, Juifs et Musulmans cohabitaient, mais le plus souvent dans des quartiers distincts. Dans cette ville tage, on pouvait mme distinguer grosso- modo une vritable stratigraphie ethnique ; les Musulmans occupaient le bas de la ville, les Europens la bande centrale, les Juifs la partie haute. Toutefois le vieux quartier juif, cr par Salah Bey la fin du XVIIIe sicle, n'abritait plus l'ensemble de la population juive : d'assez nombreux Juifs vivaient dans les quartiers europens voire musulmans (2), ou s'taient installs dans les nouvelles cits d'habitations bon march construites leur intention.

    Bien que la communaut juive ne formt que 12 13 % de la population (3), c'tait une ide reue dans l'Algrie coloniale que Constantine tait une ville arabo-juive. Par le nombre, les Arabes y avaient la majorit, puisqu'ils composaient un peu plus de la moiti de la population 51 445 sur 99 595 en 1931 ; par la richesse et le commerce les Juifs passaient pour exercer l'influence prpondrante : "ils dcident peu prs de tout" dclaraient les Franco-Europens, alors volontiers "antijuifs", selon l'expression locale. En fait cette impression tait fausse ; le pouvoir et la richesse taient bien plutt du ct des Franais et des Europens, mais cette erreur elle-mme est rvlatrice de la persistance de l'antijudasme Constantine.

    Le dput-maire de la ville, E. Morinaud, ex-radical anti-juif et directeur du journal Le Rpublicain, "quotidien rpublicain autonomiste", tait certes provisoirement rconcili avec les Juifs, qui votaient rgulirement pour lui grce son fidle Narboni (4). Mais la Droite en progrs menait depuis quelques annes une vive campagne antismitique dans laquelle se distinguaient les professeurs Devaud et Claude Martin au nom des Croix de Feu. Constantine disposait mme de deux feuilles essentiellement occupes la propagande anti-juive (5) : L'Eclair de Lautier et l'hebdomadaire Tam-Tam de Laxande.

    (2) On trouvera une bonne carte de l'habitat juif dans l'ouvrage du rabbin Eisenbeth, Les juifs en Afrique du Nord, Alger, 1936. Les Juifs habitaient dans toute la partie de la ville limite par la Qaba, la rue Thiers, la rue Nationale et le boulevard Joly de Brsillon, mais ils taient surtout concentrs dans la partie Nord et Nord-Est.

    (3) Aprs le recensement de 1931, on valuait la population juive du dpartement de Constantine 25 098, celle de l'Algrie 87 136 (citoyens franais). Par un dpouillement mthodique, le rabbin Eisenbeth arrivait des rsultats plus srs : 27 190 pour le dpartement, 110 127 pour l'Algrie. En 1934 les autorits parlaient de 12 000 Isralites Constantine; Eisenbeth donne 13 110 pour 1931.

    (4) En 1936, Morinaud se retrouva antijuif et se rapprochant des Croix de Feu en appela la "prdominance franaise". Le dernier des "mousquetaires gris" de 1898 prit position contre "le Front populaire juif" et aurait cri nouveau : "En bas les Juifs ! ". Dans ses Mmoires, Morinaud a longuement voqu l'antijudasme des annes 1895 1902 Constantine. Il a un mot pour son ami Narboni qui lui avait assur une difficile lection en 1904. "Narboni mourut le 4 aot 1934, crit Morinaud (p. 336), la veille mme du jour o se dclencha l'meute sanglante (. . .). Heureusement Dieu a voulu que ce bon Juif n'ait pas eu sous les yeux un aussi pouvantable spectacle".

    (5) A ct de la propagande antijuive dclare (celle du Dr Molle et du "parti latin" d'Oranie ; celle de Charles Hagel, grand prix littrature de l'Algrie 1931 et auteur d'un livre imprim en 1934 Le Pril Juif), il faut tenir compte surtout de "l'antismitisme sournois des bons rpublicains qui se croient dmocrates et dclarent : "Moi je ne peux pas sentir les Juifs" (E. Kahn La Ligue des Droits de l'Homme).

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    En revanche, Musulmans et Juifs cohabitaient pacifiquement depuis longtemps Constantine et, compte-tenu d'une dgradation des rapports dont nous reparlerons, on ne saurait invoquer paresseusement une tradition historique sculaire pour expliquer les vnements d'aot 1934.

    Les vnements du 3 au 6 aot 1934 (6) C'est le 3 aot 1934, un vendredi, que se produisit l'incident qui devait

    dclencher toute l'affaire. Un matre-tailleur isralite de 46 ans, commissionn dans un rgiment de zouaves, Eliaou Kalifa, rentrait vers 20 h 30 son domicile situ prs de la mosque dite de Sidi Lakhdar. Pris de boisson, il injuria des Musulmans aperus par une fentre en train de procder leurs ablutions et, selon ceux-ci, il aurait urin sur eux et sur la mosque. Entre les Musulmans qui vinrent lapider les fentres de son logement et les locataires juifs des immeubles voisins qui les bombardrent avec des projectiles divers, ce fut bientt la bataille. Avec les premiers coups de feu, l'affaire s'tendit; la police, puis la troupe, intervinrent pour barrer les rues et interdire l'accs une centaine de Musulmans qui voulaient monter dans le quartier juif. Le Dr Bendjelloul, le leader musulman alors le plus populaire, se mit en vedette par ses interventions auprs des policiers ; il frappa aussi un inspecteur de police musulman, ce qui lui valut une inculpation. Lorsque la police et les soldats eurent rtabli l'ordre vers trois heures du matin, on comptait 1 5 blesss dont 3 agents de police : un Musulman, bless au ventre par une balle de revolver, devait dcder un peu plus tard. Six magasins de bijouterie appartenant des commerants isralites avaient t enfoncs, quelques voitures lapides.

    Le lendemain les notables des deux communauts furent convoqus par le secrtaire gnral de la prfecture (7). Ils s'engagrent prcher l'apaisement et Me Sultan fit mme accepter l'ide d'un dfil-promenade bras-dessus, bras dessous (8). La dmonstration ne put d'ailleurs avoir lieu par suite d'une nouvelle convocation des lus (9). Mais 1 9 h, le Dr Bendjelloul et le cheikh Ben Badis confirmrent la Grande Mosque leurs consignes de calme et les engagements qu'ils avaient pris. En change le secrtaire gnral fit relcher 40 manifestants musulmans arrts la veille.

    Cependant, le dimanche 5 aot, des centaines de Musulmans se runissaient 7 heures du matin dans le lieu dit Les Pins sur le plateau de Mansourah (10),

    (6) Sauf prcisions contraires, nous suivons de prfrence le rapport de la commission d'enqute qui parait le plus objectif en dpit de certains silences.

    (7) Le Prfet tait en vacances, de mme que le maire et le premier adjoint ; le commissaire principal, absent les 3 et 4 aot, tait sur place le S.

    (8) Une affiche fut appose le 4 aot par les soins de la L.I.C.A. adresse "Aux camarades musulmans et aux camarades juifs" appelant les uns et les autres au calme : "Cet incident stupide ne doit pas dgnrer en une lutte des races".

    (9) II y eut d'ailleurs malentendu. Le Conseil municipal tout entier se prsenta au secrtaire gnral qui n'avait convoqu que la municipalit.

    (10) Le rapport d'enqute dit que personne ne sait pourquoi Les notables mulsumans parlent de malentendu : ils avaient convoqu la population " 7 heures" (19 h) la mosque.

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    emplacement traditionnel des manifestations, et y attendaient vainement le Dr Bendjelloul, qui assistait alors aux obsques du conseiller municipal isralite Narboni.

    Pendant ce temps, vers 9 h, des querelles clataient au march qui se tenait sur la place des Galettes en quartier juif. Bientt des coups de feu tirs d'un immeuble et de deux groupes de Juifs faisaient plusieurs blesss parmi les marachers arabes. Puis les Juifs attaquaient les boutiques arabes situes dans leur quartier : un cafetier maure, un laitier taient blesss par balle. Il fallut envoyer des renforts pour aider les quelques zouaves et policiers dbords. Ces graves incidents accompagns des cris : "A mort Bendjelloul ! ", mal compris par les Musulmans qui interprtrent que leur leader tait mort, devaient provoquer de sanglantes reprsailles.

    Les manifestants revenus des Pins crurent la ralit de l'assassinat de leur leader et virent leurs premiers blesss qui criaient : "Voil ce que nous ont fait les Juifs ! ". Ceux qui les entouraient disaient : "On nous prche le calme et ils nous tuent ! ". La colre enflamma la foule qui se dchana. Ds lors, ce fut l'assaut contre les magasins et les personnes.

    Ceux qui voulurent monter vers le quartier juif furent chargs 10 h 20 par une compagnie de zouaves, baonnette au canon, mais cette troupe ne fut matresse de la situation que vers midi et "ne russit pas empcher le pillage" selon l'enqute officielle.

    Plus grave fut la situation dans la rue Nationale, l'artre principale de la ville, et les rues adjacentes. Les manifestants des Pins dbordrent vite les soldats dont les cartouchires vides montraient assez qu'ils n'taient pas en tat de faire feu. A 10 h 45, un Musulman fut tu par un coiffeur isralite, le magasin fut pill et l'assaut fut donn aux boutiques juives (11). Jusqu' midi, l'meute fut matresse de la rue ; mme le passage d'une, puis de plusieurs auto-mitrailleuses, n'impressionnait pas les manifestants. Enfin vers midi et quart, le commandement fit charger un bataillon de tirailleurs musulmans qu'il avait hsit employer jusque l. Cette charge dgageait la rue Nationale et faisait fuir les meutiers. La distribution des cartouches faite ostensiblement partir de 14 h et les roulements de tambour des sommations ramenrent alors le calme.

    C'est alors qu'on dcouvrit que, dans les rues adjacentes et en quartier arabe, des Juifs isols avaient t massacrs. Rien que dans un rayon de 30 mtres, 17

    Les gens simples afflurent le lendemain matin ds six heures aux Pins. Les enquteurs communistes accusent "les bourgeois indignes" d'avoir manqu leurs engagements et font tat de la prsence sur les lieux du commissaire central Miquel. Or le conseiller gnral Lellouche dclare qu'il est all lui-mme avertir le commissaire 7 h 30. Quant aux Juifs certains accusrent le Dr Bendjelloul de n'tre pas all aux Pins "pour faire courir le bruit de sa mort". Mais l'accusation est purement gratuite et Bendjelloul, apprenant 9 h le rassemblement des Pins, envoya des missaires ordonner la dispersion.

    (11) Selon le conseiller Lellouche qui croit un complot : "on fait courir le bruit que deux indignes viennent d'tre trangls ... on dcide d'envahir la rue Nationale ... on s'attaque d'abord un salon de coiffure, on s'empare de rasoirs qui serviront sans doute regorgement des Isralites ... Le signal de l'attaque gnrale est donn".

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    isralites avaient t gorgs dans leurs demeures, "en reprsailles des coups de revolver tirs par les Juifs" selon le rapport officiel (12).

    L'aprs-midi ne connut que des incidents mineurs. Le 6 l'aube, une colonne de 600 800 manifestants arrivs par la route de Batna et par le train fut disperse pacifiquement, les militaires montrant leurs armes et leurs munitions. L'arrive 10 h d'importants renforts venus d'Alger rtablit dfinitivement la situation.

    Le bilan de ces meutes tait lourd : plusieurs fois rectifi, le bilan officiel se monte 26 morts : 23 Isralites et 3 Musulmans et 81 blesss (38 isralites, 35 musulmans, 7 militaires et 1 pompier). On recueillit les noms de 1 777 sinistrs.

    Toutefois les notables juifs parlaient des "25 morts juifs" et fournissaient une liste nominative comprenant 24 isralites et un inconnu. Leur bilan tait ainsi prsent : "14 hommes, 6 femmes, 5 enfants dont deux de moins de quatre ans ; parmi les-victimes, quatorze avaient eu le cou sectionn ou tranch, huit taient morts de fracture du crne, un par coup de couteau, deux par balle, dont l'inconnu."

    Aux obsques de victimes isralites, auxquelles le gouverneur gnral Carde pourtant venu en avion Constantine ne parut point, le conseiller gnral Lellouche devait mettre en cause la passivit des forces de l'ordre :"Personne ne peut certifier que pendant les moments les plus graves, on est intervenu pour empcher un assassinat ou arrter un pillard. L'incendie seul a t combattu, peut-tre que son extension aurait pu intresser les lments d'une autre confession". Cette grave accusation pose le problme du comportement des forces de l'ordre.

    Le comportement des forces de l'ordre Sans doute, faut-il tenir compte de la faiblesse des effectifs. On ne disposait,

    semble-t-il, Constantine que de 300 hommes de troupe, Franais d'Algrie et de 700 tirailleurs musulmans. Pourtant le secrtaire gnral de la Prfecture refusa l'offre de rentorts faite par Alger le samedi : la situation lui paraissait rtablie et il attendait 250 zouaves venus en car de Philippeville (175 seulement arrivrent). On ne put donc la fois protger le quartier juif et dgager les places et les rues, car on n'osait pas utiliser les militaires musulmans, dont le fils du gnral Kieffer assurait qu'ils s'apprtaient rejoindre les meu tiers.

    Le dbordement des militaires s'expliquerait aussi par le fait qu'ils n'taient point arms. Le secrtaire gnral se serait entendu dire d'Alger : "surtout pas de cartouches", selon le gnral Kieffer qui prit, dit-il, cela pour un ordre ; mais le secrtaire gnral dclara aux enquteurs qu'on ne lui avait dit que "d'viter le tir, autant que possible".

    (12) Selon la version des enquteurs communistes : "Mlle Halimi, sage-femme vida tout le chargeur de son revolver sur les indignes qui saccageaient le magasin situ en dessous de sa demeure . . . Fatale imprudence qui devait lui coter la vie (. . .). Du pt de maisons de la rue des Zouaves et rue Braud, on devait retirer 13 cadavres dont ceux des familles Halimi et Attali". Les tmoignages des notables isralites ne mentionnent jamais un seul coup de feu.

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    L'impression demeure nanmoins, lire tous les tmoignages, d'une absence totale de raction des troupes l'heure dcisive. On laissa les soldats l'arme au pied pendant le pillage. Ds lors, les meutiers dont certains criaient : "Pas de Juifs ! Vive la France ! " eurent l'impression d'agir avec un demi-consentement. Quelques pisodes confirment ce climat. Des flacons de parfum pills dans les magasins juifs furent offerts la troupe par les meutiers et tous les rapports confirment que les militaires se faisaient publiquement des frictions ; quelques-uns se laissaient dcorer avec des toffes multicolores ; selon les enquteurs communistes "un inspecteur de police, habill en Arabe, donna l'ordre aux gendarmes de ne pas s'occuper des pillards (?) (13). Boulevard Victor Hugo des Europens pillaient, ramassaient des toffes, des souliers et des serviettes (...). Les Europens se montrrent satisfaits de cette tournure [sic] et le manifestrent aux indignes". Le Rapport d'enqute officiel note que lorsqu'un commissaire de police vint dgager une Isralite assige dans sa maison, cette vieille femme embrassa la main de son sauveteur, tandis que des hues s'levaient du ct des Europens pour protester contre cette intervention. Cette scne pnible pourrait presque faire croire ce qu'crivait le journal antismite Tam-Tam le 1 9 aot : "Les Arabes savent que 90 % d'entre nous, tout en regrettant le sang vers, ne le blme pas. Les indignes savent que 50 % d'entre nous est avec eux et que beaucoup d'entre nous ne feront rien pour empcher le retour de ces choses".

    A tout le moins, peut-on retenir le jugement d'un .. Franais musulman Zenati : "L'explosion, normalement amene par deux jours et deux nuits d'vnements inconsidrment entretenus, n'aurait pas dpass le saccage de quelques magasins, si les meutiers avaient trouv une force arme devant eux et si surtout ils ne croyaient pas agir avec le consentement des Franais (14).

    Cependant l'trange comportement des militaires demande tre clairci. Rquisitionnes par le pouvoir civil, les troupes n'en restaient pas moins soumises des rglements formels (15), notamment ceux qui interdisaient alors l'emploi de troupes sans munitions pour le maintien de l'ordre. Si l'on dcida de passer outre, c'est sans doute en vertu de considrants politiques jugs plus importants. De la mme manire, l'impassibilit des troupes ne peut s'expliquer que par des ordres formels. Plusieurs tmoins affirmrent qu' l'appel angoiss des victimes, un lieutenant des zouaves, Battesti, voulut spontanment se porter leur secours. Il en fut retenu par son suprieur qui lui aurait dit : "Que faites vous ? Vous n'avez pas d'ordre pour intervenir.Ne bougez pas ! ".

    Selon le Bulletin de la Fdration des Socits Juives d'Algrie, cette attitude traduirait une sorte de grve de l'Arme protestant contre l'autorit civile parce

    (13) Le Populaire (8 septembre 1934) parle lui aussi d'ordres donns la troupe "Laissez saccager, n'intervenez pas ! ".

    (14) Znati, Le problme algrien vu par un Indigne, 1938, p. 137. (15) L'ordre du jour lanc par le gnral Kieffer le 8 aot ('Tous les militaires ont fait

    leur devoir suivant les meilleures traditions de l'arme franaise avec nergie, calme et humanit . . . ") tend prouver que l'arme ne se sentait pas responsable. Elle avait fait son devoir conformment aux ordres donns par le pouvoir civil (L'Echo d'Alger).

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    que celle-ci paraissait considrer son intervention comme une circonstance aggravante. Cette hypothse parat assez gratuite. En revanche, les propos prts dans ce mme Bulletin au secrtaire gnral de la Prfecture Landel par un mystrieux "tmoin chrtien" (? ) permettent une interprtation plus raisonnable. Selon ce tmoin anonyme, qui pourrait tre Me Sultan ou H. Lellouche (16), le secrtaire gnral aurait dit dans son bureau qu'il fallait avant tout viter de tomber dans une provocation ; il ne fallait pas offrir aux agitateurs le prtexte qu'ils recherchaient : "Ces fanatiques veulent une satisfaction ? Qu'ils saccagent quelques magasins et tout sera dit. Perte matrielle est toujours rparable. En vitant une provocation redoutable, nous pargnerons des vies humaines". En fonction de ces ordres, le gnral Kieffer aurait ds lors donn aux troupes la consigne formelle de ne pas intervenir : "Laissez saccager . . . Surtout n'intervenez pas ! " * Ces propos et ces consignes, que ne reproduit pas le Rapport d'enqute officiel, n'en sont pas moins vraisemblables, et d'autant plus que le rapport met nettement en cause le secrtaire gnral en ne donnant que des raisons accessoires.

    L'attitude du secrtaire gnral craignant de tomber dans le pige d'une provocation tendu par "les agitateurs indignes" est plausible. Les administrateurs vivaient alors dans la crainte d'vnements graves, redoutant un soulvement de la masse indigne et tous les Dlgus financiers franais avaient t unanimes en juin 1934 dcrire l'agitation de la population et faire craindre le pire.

    Emeute spontane ou complot ? Un autre point mrite sans doute d'tre clair : l'meute de Constantine

    doit-elle tre considre comme une brusque manifestation locale ou comme le rsultat d'un complot prmdit ?

    La thse du complot fut immdiatement prsente par les notabilits juives qui ne cessrent de s'en tenir cette version. Pour Me Sultan, cette meute avait t longuement prpare et mthodiquement organise. Il en donnait pour preuve dans son Rapport adress la Ligue des Droits de l'Homme le 1 9 aot, l'existence d'quipes spcialises chez les meutiers ; quatre groupes d'quipes intervinrent successivement selon lui : quipes de forgerons et de chaudronniers charges de dfoncer les rideaux mtalliques et les coffres-forts ; quipes de bouchers prposes au massacre, quipes affectes la recherche et la destruction des livres de commerce et des effets commerciaux, quipes enfin charges de lacrer les toffes.

    D'autres tmoins isralites prcisaient que ces techniciens, probablement venus de l'extrieur, taient habills de blouses bleues et portaient un fez rouge ; ils avaient t guids pour reprer les maisons de commerce et les logements juifs

    (16) Si l'on compare le rcit de ce tmoin au tlgramme adress le 7 aot 1934 par Me Sultan, prsident de la Fdration de Constantine la Ligue des Droits de l'Homme, on pourrait penser qu'il s'agit du mme homme. Toutefois, Me Sultan ne figure pas parmi les six personnes prsentes dans le bureau du secrtaire gnral. Peut-tre fit-il tat du tmoignage de son ami Henri Lellouche qui participa la runion. Deuxime hypothse, il s'agit d'H. Lellouche lui-mme, prsident de la Cultuelle de Constantine et ancien-prsident de la section de la Ligue des Droits de l'Homme de la ville.

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    dans les quartiers mixtes. Pour Andr Kouby toutefois, il n'y avait que trois bandes organises : ceux qui ventraient les boutiques, ceux qui brisaient les devantures coup de pavs et ceux qui pillaient. Plus discret, H. Lellouche parlait seulement d'organisation "mthodique et prmdite", de boutiques juives dsignes par des inscriptions traces la craie et d'un signal d'attaque gnrale. D'autres notables dclaraient avoir trouv suspecte l'absence des domestiques et laitiers arabes le 5 aot.

    La Commission d'enqute devait rejeter ces diverses affirmations. Les inscriptions sur les boutiques juives avaient t faites par le service d'ordre "en vue de leur protection". Les quipes d'meutiers spcialiss n'apparaissaient sur aucune des nombreuses photographies. L'absence du service des laitiers et domestiques musulmans en quartier juif s'expliquait seulement par la peur et trois domestiques arabes seulement avaient prvenu leurs employeurs de leur absence.

    Ces conclusions, bien que formules de manire trs concise, paraissent confirmes par ce que nous pouvons savoir des meutiers. Les tmoignages concordent pour une fois sur le fait qu'il s'agissait de tout jeunes gens, accompagns d'enfants "venus la cure", ce que confirment les photos parues dans la presse (17). Mais il est plus difficile de connatre leur origine. Selon les enquteurs communistes "la foule tait compose de 700 800 indignes, en majorit cireurs". Les enquteurs i de l'Administration parlent "du proltariat d'oisifs qui a fourni les pillards et les meutiers" et notent incidemment parmi ceux-ci la prsence "d'indignes des campagnes venus s'entasser dans les taudis du Remblai ou mme dormant dans la ville la belle toile". Le rapport du commissaire Miquel note que la foule des meutiers tait "rpartie en plusieurs colonnes de 1 50 200 personnes chacune et composes en majorit de jeunes gens de 16 25 ans, auxquels s'taient joints les cireurs et des indignes trangers la ville".

    On ne connat pas malheureusement la proportion de ces campagnards dracins parmi les meutiers, ce qui aurait permis peut-tre de prciser le caractre du mouvement.

    Certes le Prsident de la Chambre de commerce de Constantine, Ferrando, disait : "J'ai l'impression nette que ce sont des masses d'indignes venues de l'extrieur pour profiter du dsarroi du moment qui, arms par des fauteurs de dsordre, ont commis ces atrocits sans nom" (18). Et Zenati devait crire plus tard que "les auteurs des meurtres du 5 aot taient tous ou presque des campagnards". Mais ces tmoignages isols sont trop vagues pour pouvoir tre retenus. Seule la liste nominative des condamnations judiciaires qui frapprent au total 177 meutiers, de trois mois cinq ans de prison, permettra de se prononcer.

    La thse du complot prmdit fut pourtant la plus gnralement retenue par l'opinion juive et par les milieux politiques franais d'Algrie. Elle permettait en

    (17) Selon le Bulletin de la fdration des Socits juives "la plupart des pillards avait moins de vingt ans" et plus loin il est parl des "meutiers presque tous des jeunes gens de 18 30 ans".

    (18) La Dpche algrienne (10 aot 1934).

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    effet de parler de mouvement insurrectionnel et de justifier cette politique de fermet dj demande par les Dlgus financiers et une partie de la presse.

    Ds le 7 aot, Me Sultan tlgraphiait Victor Basch qu'il ne s'agissait pas d'un mouvement exclusivement antismite, mais bien plutt d'un "mouvement insurrectionnel" (19). Elie Gozlan parla son tour "d'meute antifranaise" et affirma que le mot d'ordre en avait t donn par de jeunes meneurs ambitieux qui, pour arriver leurs fins, s'taient servis de ce vieux tremplin qu'est l'antismitisme. Le Dr Bendjelloul tait clairement dsign comme le vritable responsable du massacre. Xe conseiller gnral Henri Lellouche mettait aussi directement en cause les intellectuels indignes qui, dsireux d'obtenir la citoyennet franaise dans le maintien du statut, auraient accrdit dans la masse indigne que les Juifs seuls taient responsables du refus du gouvernement. Il insistait lui aussi sur le caractre anti-franais de ces meutes, mais ajoutait qu' son sens le mouvement tait concert avec les nationalistes arabes du Caire, lesquels visaient une dmonstration politique, non le pillage ou l'assassinat (20). Stphane Aboulker rpandit en France les mmes ides. Aprs avoir signal les agitations de type nationaliste, il concluait que "les massacres de Constantine ont t le rsultat flagrant de campagnes nationalistes musulmanes menes par des gens qui prennent leurs directives en Egypte et au Comit syro-palestinien" (2 1 ).

    Cette thse fut naturellement combattue par la presse musulmane et rfute par les leaders musulmans de Constantine. Dans le journal des Oulmas, La Dfense, Lamine Lamoudi, aprs avoir lanc des appels au calme et dnonc le 1 0 aot 1 934 dans les meutes une "provocation", incrimina plus nettement partir du 24 aot des provocations juives. Le Dr Bendjelloul affirma dans une interview donn au journal La Presse Libre d'Alger que "les vnements que nous venons de vivre sont purement locaux". Les causes qui les ont dtermines sont galement locales : l'insulte faite notre religion, les premiers coups de revolver tirs par la police et la population isralite mirent le feu aux poudres ... Il n'y a pas de dessous politiques" (22). Le cheikh Ben Badis, qui prcha vivement la ncessaire tolrance, se contenta de rpondre la thse du complot que la Presse Libre tait dans le vrai. Or celle-ci avait affirm ds le 9 aot : "II n'y a pas eu de soulvement musulman, mais une meute de Musulmans. La majorit des indignes de Constantine est aussi cure et peut-tre plus svre que les Europens pour les crimes atroces qui ont t commis".

    De fait, les Franco-europens de Constantine ne condamnrent pas absolument ce qui s'tait pass. Certains, au tmoignage de l'envoy spcial de La

    (19) Me Sultan prcisa ses attaques contre l'lite indigne musulmane accuse d'avoir prpar le mouvement dans le Rveil Juif de Tunis et La Lumire (8 septembre 1934). Il fit aussi partie de la dlgation mene par le Docteur Aboulker qui prsenta au ministre de l'Intrieur un rapport et un cahier de revendications.

    (20) Interview de Lellouche par Marcel Bidoux dans Le Populaire du 10 septembre 1934. (21) Article : "Les Musulmans de Constantine" dans la Grande Revue (dcembre 1934). (22) Dans la Voix des Humble s du 15 octobre 1934 l'instituteur Tahrat se dit oblig de

    sortir de sa rserve face aux accusations des Juifs. Pour lui "la responsabilit initiale des meutes incombe entirement aux Isralites". Mais il s'appliqua ensuite i prcher l'oubli pour ramener la paix.

  • 32 Ch.-R. AGERON

    Dpche algrienne (23), accordaient la rvolte une sorte de justification : les Juifs faisaient figure de matres Constantine ; or le pouvoir des Juifs est insupportable aux Musulmans. "Jusqu' plus ample inform, crivait de son ct la Brche de Constantine, je reste convaincu que les vnements tragiques du 5 aot ont t la rsultante de l'antagonisme racial qui dresse les Musulmans contre les Isralites". Et d'expliquer que les heurts avaient t l'tincelle qui a fait sauter le tas de poudre accumul pendant des annes (24). Dans ce climat il n'est pas tonnant qu'aient circul des ptitions rclamant l'abolition du dcret Crmieux et que l'crivain Charles Hagel ait demand l'instauration d'un "antismitisme d'Etat" comportant le numerus clausus, la rvision des fortunes juives et l'exclusion des Juifs des hautes fonctions administratives.

    Pour les enquteurs de l'Administration, le caractre local et spontan de l'meute tait en tout cas nettement tabli et les responsabilits immdiates retombaient sur les Juifs qui avaient tir les premiers coups de feu (25). Ils soulignaient aussi discrtement que l'meute n'avait jamais eu de caractre anti-franais, comme pour reprendre ou justifier la phrase discutable d'un communiqu officiel du gouvernement gnral : "Les troubles ont gard uniquement un caractre anti-juif. On ne peut pas ne pas remarquer enfin que le rapport officiel ne mentionnait nulle responsabilit morale des Elus ou des Oulmas et se plaisait au contraire souligner que "la situation avait t sauve par le 7e rgiment de tirailleurs musulmans".

    Le Bulletin de la Fdration des socits juives dnona "l'oreille trop complaisante" (aux Musulmans) de la Commission d'enqute (26) et son propos

    fut rpercut en France notamment par le journal le Populaire. Les milieux politiques isralites de gauche en tirrent surtout la conclusion que le gouverneur gnral Carde tait le premier responsable et devait tre rappel. Cette position devait bientt tre celle de la plupart des leaders isralites et explique en partie leur ralliement au Front populaire.

    Les causes des meutes Si les meutes de Constantine ne paraissent pas avoir t le fruit d'un

    complot ou le rsultat d'une campagne des nationalistes musulmans, comment peut-on ds lors les expliquer ?

    Peut-tre faut-il examiner d'abord la thse communiste de "la sanglante provocation" : les pouvoirs publics, pour driver la colre de la masse musulmane,

    (23) La Dpche algrienne du 14 septembre 1934. (24) Cit par la Dpche algrienne du 6 septembre 1934. (25) Le Parquet inculpa d'ailleurs dix citoyens franais, tous isralites, pour coups et

    blessures ou provocations. Ds devaient tous tre acquitts le 9 fvrier 1935 par le tribunal correctionnel de Constantine faute de charges suffisantes ou dfaut de preuves.

    (26) Bien que ce rapport n'ait pas t rendu public, ses conclusions filtrrent et les notables juifs protestrent. Elie Gozlan qui avait dj mis en doute l'objectivit d'enquteurs "algriens" pour rclamer l'intervention de hauts fonctionnaires mtropolitains, intervint nouveau. Les reprsentants isralites de la Ligue des Droits de l'Homme obtinrent du Bureau parisien le principe d'une nouvelle enqute confie Guernut. Elle ne devait pas avoir lieu.

  • EMEUTE ANTI-JUIVE. CONSTANTINE 1934 33

    lui auraient volontairement dsign le Juif comme bouc missaire. Cette machination policire laquelle crut aussi la revue parisienne de la L.I.C.A., Le Droit de Vivre, a-t-elle vraiment exist ? Il faudrait admettre avec les communistes qu'Eliaou Kalifa ait t un agent provocateur, au mme titre que la Dpche de Constantine parce qu'elle crivit que celui-ci avait pntr dans la mosque et que le Dr Bendjelloul risquait une peine de prison pour avoir frapp un agent de la sret (27). Seraient encore des provocations, le fait de n'avoir pas dsarm les civils juifs, d'avoir "annonc" (? ) la mort du Dr Bendjelloul et d'avoir fait charger les premiers meutiers musulmans.

    Avouons que pour qui ne professe pas une conception manichiste et policire de l'histoire, toutes ces accusations de "provocations imprialistes" ne rsistent pas l'examen. Nous ne croyons pas plus que "les combats (sic) des 3 et 5 aot soient, comme l'crit Lucien Monjauvis, l'expression d'un mouvement caractre anti-imprialiste, mais dvi par l'imprialisme franais". Et d'autant moins que les mmes communistes accusent aussi le Dr Bendjelloul et "le mouvement national-rformiste de la bourgeoisie indigne" de s'tre, cette occasion "dmasqu(s) dfinitivement comme agent(s) de l'imprialisme" (28).

    En revanche nous admettrons comme base de discussion cette autre explication de l'extrme gauche, que "l'explosion du 5 aot" puisse avoir "comme causes profondes l'exploitation, l'effroyable misre et l'oppression des masses travailleuses arabes" et qu'elle ait t prcde de "manifestations frquentes et violentes".

    Les meutiers, on l'a dit, paraissent avoir t en majeure partie des misreux, de jeunes ruraux dracins et des cireurs, ce qu'un haut fonctionnaire algrien, Octave Depont appelait "la racaille de la ville basse". S'agit-il donc d'une meute de la misre ? Peu de journalistes algriens le pensrent. Pourtant R. Dournon crivait dans la Presse Libre d'Alger : "II y a autre chose que peu d'Europens savent, c'est qu'une misre effroyable rgne dans certains bleds algriens, misre due pour une part la crise mondiale, pour une part l'usure" (29). Dans l'Humanit Andr Ferrt, qui revenait d'un long sjour clandestin en Algrie, n'avait pas hsit ds le 9 aot trancher que "la cause vritable des meutes rsid(ait) dans la misre pouvantable" et il prcisait par cette chose vue : "A Constantine, on voit des centaines d'affams qumander chaque jour aux portes des casernes les fonds des gamelles". Le publiciste isralite Koubi notait lui aussi que la ville regorgeait de gens qui n'avaient ni travail, ni logis, ni pain. De

    (27) Le Dr Bendjelloul fut effectivement condamn, mais un mois de prison avec sursis et 100 F d'amende.

    (28) La conclusion de la brochure La sanglante provocation se devine : "L'imprialisme franais, le gouvernement pr-fasciste Doumergue-Tardieu, dont le ngrier Carde est le digne reprsentant en Algrie, est (sic) l'unique responsable des vnements sanglants du S aot".

    (29) La Presse Libre (15 aot 1934). Ce mme journal avait os dire le 29 dcembre 1932 que "le pays de la faim, c'est notre Afrique du Nord. Sur 6 millions d'indignes, il n'en est pas le tiers qui mangent leur faim et la plus grosse masse de ces hommes connaissent rsigns la bouche close, une existence tellement faite de privations que des chiens n'en voudraient pas".

  • 34 Ch.-R. AGERON

    nombreuses boutiques arabes taient fermes ; d'autres ne contenaient que trois bouts de savon sur quatre planches : "Pas de clients ; c'est l'huissier, la faillite et son cortge de misres". Les petits fellahs qui ne pouvaient plus payer leurs semences, leurs impts, leurs prteurs, avaient parfois t expulss et affluaient la ville. "Or, crivait avec courage Koubi, le prteur, l'huissier, le porteur de contraintes est souvent juif ; l'agent de police aussi. Pour peu que des voix criminelles crient cet ignorant, l'auteur de ta misre c'est le Juif, alors l'agneau devient loup".

    Ces tmoignages peuvent, semble-t-il, tre accepts par tout historien qui connat l'ampleur de la crise conomique de l'Algrie et celle du Constantinois en particulier. Puis-je rappeler les conclusions chiffres auxquelles j'aboutissais dans une tude antrieure (30). Par suite de la diminution du troupeau ovin et surtout de la chute des cours, le capital reprsent par cet levage essentiel s'tait dprci de 26 % entre 1930 et 1934. La baisse des prix des crales et la mvente celle des orges en particulier avaient abouti diminuer d'un tiers, de 1928 1932 inclus, la valeur marchande des rcoltes des fellahs dans le Constantinois. Cependant la masse totale des impositions directes augmentait dans la mme priode de 40 % en cinq ans.

    Les consquences se devinent : marasme des affaires, faillites et chmage dans les villes ; dveloppement de l'usure et multiplication des saisies dans les campagnes. Le nombre des saisies immobilires dans le Constantinois quadrupla de 1929 1933 passant de 126 en 1929 497 en 1932 et 496 en 1933. L'angoisse et la colre des petits fellahs grandissaient l'unisson. Un Comit de dfense des agriculteurs indignes, prsid par Cadi Abdelqader, multipliait depuis 1933 les avertissements aux autorits ; il avait mme lanc en juillet 1934 un tlgramme angoiss au gouvernement : "Fellahs du dpartement de Constantine, dans situation dsastreuse continuent tre expropris par saisies usuriers faute crdits agricoles. Vous supplions entendre notre cri d'alarme" (31).

    Les cranciers isralites furent-ils les profiteurs de cette misre? Du 1er janvier 1929 au 31 aot 1934, on peut dnombrer dans le dpartement de Constantine 1939 saisies, dont 342 la requte d'Isralites soit une proportion de 1 7,6 %,' videmment trs suprieure au pourcentage de la population non- musulmane. Dans l'arrondissement de Constantine sur un total de 325 saisies immobilires, 84 l'avaient t au bnfice de cranciers isralites, soit une proportion de 25,8 %. Pour la ville de Constantine, les statistiques de ventes sur saisies d'immeubles appartenant des Musulmans donnent, selon le rapport Montjauvis : du Ier janvier 1930 au 30 juin 1934 un total de 206 saisies dont 57 la demande de cranciers isralites, soit 25,7 %. Ces forts pourcentages moyens avaient eux-mmes t dpasss en 1933 : par exemple sur 90 saisies faites dans l'arrondissement de Constantine, 26 l'avaient t la requte de cranciers juifs, soit 28,8 %.

    (30) Les Paysans algriens du Constantinois devant la fiscalit franaise et la crise conomique (1920-1935). Politiques coloniales au Maghreb (p. 231-248) P.U.F. 1973.

    (31) La Voix indigne (6 juillet 1934) qui publiait ce tlgramme expliquait que Cadi s'tait vu refuser une demande d'audience au gouvernement gnral : il demandait donc i Paris de pouvoir tre entendu.

  • EMEUTE ANTI-JUIVE. CONSTANTINE 1934 35

    Bien que l'usure n'ait pas t le seul fait des Juifs et que ce mal ait svi de faon endmique dans le pays, il faut bien constater l'anormal pourcentage des prteurs Isralites dans les saisies immobilires. Ainsi s'expliquerait, selon certains tmoins, le geste de quelques meutiers allant lacrer ou brler les livres de comptabilit et les dossiers de crances. A supposer le fait exact, peut-on croire cependant que les auteurs en furent ncessairement des fellahs dpossds ?

    D'abord il est peu vraisemblable que des hommes du bled, "habitus, comme le note trs finement Znati, avoir pour l'Isralite cette espce de considration qu'impose l'homme riche et dont on peut avoir besoin", en soient venus ces excs. De plus tous les tmoignages autoriss montrent bien que les meutiers n'taient pas ces fellahs endetts ou expropris accourus avides de vengeance, qu'ont dpeints quelques antismites (32).

    Ce qui est prouv au contraire c'est que Constantine abritait depuis la crise, depuis 1 932 surtout, une nombreuse population flottante phnomne qu'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des villes algriennes. Plus que de petits propritaires expropris, cette population tait compose de journaliers rduits au chmage par la crise agricole, la concurrence de saisonniers marocains et le dveloppement de la mcanisation dans les grandes exploitations (33). S'y ajoutaient dans le Constantinois des chmeurs revenus de France et des ouvriers licencis du fait de la crise minire (34).

    Sur l'ampleur du chmage indigne, les statistiques de l'poque sont bien impuissantes nous renseigner. Celles fournies par l'inspection du travail ne rendent compte que des entreprises industrielles de plus de 20 ouvriers et celles donnes par les Offices de placement ne concernent que les demandes enregistres ; or les Musulmans sans travail ne savaient que rarement se faire inscrire. Il n'est pas indiffrent cependant de noter que les demandes d'emplois non- satisfaites, Constantine, qui taient de 1882 en 1930 et 2 791 en 1931, atteignaient 7 520 en 1932, 4 401 en 1933 (35).

    Est-il besoin de prciser enfin que les salaires verss aux ouvriers musulmans taient trs infrieurs ceux consentis aux Europens et aux Juifs ? Un journalier

    (32) Un auteur antismite, Claude Martin, rapporte dans son Histoire de l'Algrie franaise (p. 276) que l'explication "la plus plausible" des meutes aurait t donne par Augustin Bernard en ces termes : "Les fellahs avaient contract des dettes envers les usuriers juifs et, les rcoltes ayant t mdiocres, ils avaient fait une expdition dans le mellah afin de faire disparatre certains de leurs cranciers et de terroriser les autres". On jugera de la valeur de cette pseudo-explication au fait que les rcoltes de crales de 1 934 furent, et de beaucoup, les meilleures obtenues dans le Constantinois entre 1917 et 1937.

    (33) On comptait approximativement 170 000 ouvriers agricoles musulmans dans le dpartement en 1930, 175 000 en 1934, dont 45 000 saisonniers. Ceux-ci auraient t les plus touchs.

    (34) On estimait en France que le dpartement de Constantine fournissait 60 % environ de l'migration algrienne. D'Alger on notait que le dpartement de Constantine envoyait, avant la crise, environ 20 000 ouvriers en France.

    (35) Pour 1934 il y aurait eu 6 289 demandes d'emploi et 3 981 offres contre 8 691 demandes en 1932 et 1939 offres. On ne comptait alors Constantine que 2 469 ouvriers d'industrie en 1933 et 2 386 en 1934.

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    terrassier musulman gagnait Constantine de 6 F 8 F pour 10 heures de travail, soit au mieux 1 92 F par mois, alors qu'une jeune vendeuse de magasin isralite dbutait 300 F par mois. Comme il n'tait pas question de faire progresser les salaires par des grves revendicatives en cette priode de sous-emploi, les rancurs durent s'accumuler (36).

    A ces misreux sans travail, fut-il bien ncessaire, comme l'affirme A. Koubi, que "des voix criminelles aient cri que l'auteur de leur misre tait le Juif ? ". Sans doute les Juifs purent-ils fustiger juste raison ces antismites fanatiques qui, tel Lautier, ne dsignaient Constantine que sous le nom de Youpinville et la Cit Makhlouf, sous le nom de cit Halouf (37) ou, tel Charles Hagel,ne parlaient de leurs compatriotes juifs que comme "les pourrisseurs du genre humain" (38). Mais plus qu' ces crits ignobles, coup sr ignors de la masse musulmane, on doit penser la vision que celle-ci pouvait avoir de la communaut isralite de la ville.

    Or les progrs de cette communaut (39), son enrichissement relatif car il subsistait un trs fort pourcentage de pauvres et d'humbles travailleurs (40), son influence grandissante dans l'administration (41) et la vie politique excitaient visiblement la jalousie des Musulmans et des Europens, qui relevaient avec amertume la construction de coquettes cits H.L.M. pratiquement rserves aux Isralites. Le Rveil bnois affirmait sans ambages que la colonie isralite de

    (36) La statistique enregistre 3 grves seulement dans le Constantinois en 1934, 15 en 193S et 103 en 1936. En 1935, les manuvres maons indignes se mirent en grve Constantine.

    (37) Lautier crivait par exemple dans son journal l'Eclair: "J'ai vu le Juif honteux n'osant jamais franchir le seuil de ce quartier. Nous tions chez nous, entre nous ... Je vois aujourd'hui des Juifs dans toutes les rues . . . Aprs la ville, il leur faut les faubourgs ; aprs notre argent il leur faut nos demeures. Il leur faudra bientt nos femmes, nos surs et nos filles avec nous comme larbins. a ne peut plus continuer ! . . . ".

    (38) Charles Hagel, Le Pril Juif. Autres exemples : "Le Juif, ce dominateur d' autrui, cet esclavagiste et ce fabricateur en srie de proltaires dclasss issus du paysannat dpossd . . . qu'il soit un accapareur, un parasite, un voleur" ... etc.

    (39) Derrire Alger (23 550 isralites en 1931) et Oran (20 493) Constantine reprsentait la 3e communaut juive d'Algrie. On comptait 5 213 isralites Constantine en 1881, 7196 en 1901, 9 889 en 1921, 13 110 en 1931. Cette augmentation de 251 %, trs suprieure l'augmentation de la population musulmane et europenne, s'explique par une trs forte natalit. Les familles juives taient gnralement fort nombreuses : 1 438 familles avaient plus de 2 enfants contre 683 qui n'en avaient qu'un ou deux ; 1062 familles comptaient de 4 12 enfants.

    (40) La composition professionnelle de la population active juive de Constantine tablie par le rabbin Eisenbeth rvle toutefois un dcalage considrable par rapport celle de la population musulmane : 6,03 % de professions librales, 8,41 % d'emplois administratifs, services publics et chemins de fer ; 17,44 % d'emplois commerciaux et bancaires ; 52,08 % de mtiers artisanaux ; 14,35 % de manuvres, journaliers, bonnes. Comme on ne possde pas de calculs semblables pour la population franco-europenne, toute comparaison serait hasardeuse, mais on a bien l'impression que le pourcentage de travailleurs manuels tait plus faible dans cette dernire.

    (41) Elle est difficile mesurer mais quelques chiffres semblent le prouver. En 1934, on comptait Constantine 114 agents de police dont 36 juifs (31,5 %),61 agents des P. T. T. dont 37 juifs (Eisenbeth en trouve 91 avec les employes). Parmi les 214 officiers ministriels du dpartement, il y avait 49 juifs soit 22,8 % contre 12,3 % en 1914.

  • EMEUTE ANTI-JUIVE. CONSTANTINE 1934 37

    Constantine florissante et laborieuse tait malheureusement trop fire de sa puissance "elle tranche mme singulirement sur ses coreligionnaires d'Afrique du Nord, gens paisibles et conciliants en gnral" (42). Le Dr Bendjelloul parlant au nom des Musulmans disait que la prosprit rcente des Juifs de Constantine insultait la misre accrue de ses coreligionnaires. Il incriminait aussi "la situation politique trop forte des Juifs de Constantine" (43) et mettait en cause "l'excs d'arrogance de quelques lments isralites et certaines provocations".

    Ces propos, qui provoqurent de l'irritation ou de la colre, furent cependant repris par un avocat jeune-algrien naturalis, Mokhtar Hadj Sad auquel la communaut juive rendit un hommage mrit pour avoir sauv deux familles isralites, en recueillant ces dix-neuf personnes dans sa villa. Cet avocat dclara lui aussi que du fait de l'attitude de certains jeunes juifs, le malaise tait devenu gnral : depuis trois ans, les Musulmans taient l'objet de brimades manant de "voyous" isralites. Il prcisa que le cheikh Ben Badis lui-mme fut agress et qu'il se refusa porter plainte aprs une visite d'excuses du Consistoire.

    Or ces affirmations sont confirmes par la multitude d'incidents ou de "rixes antrieures" (44) o la police eut intervenir. Officiellement, il y avait eu, en 5 ans, cinquante-neuf incidents, sur lesquels une grosse majorit d'agressions perptres par des groupes de jeunes juifs attaquant des notables arabes isols. Le prfet de Constantine avait d demander l'occasion au grand rabbin de bien vouloir calmer ses fidles. La presse rapportait aussi inlassablement le rcit d'altercations mineures entre patrons juifs et ouvriers arabes, entre consommateurs juifs et garons de caf arabes. "L'attitude peu conciliante des isralites" se manifestait par des brocards en arabe, des "bras d'honneur" (geste obscne de l'avant-bras symbolisant le membre viril) l'gard des Musulmans. Les enquteurs communistes relevrent parmi ces agressions, qu'ils appelaient "provocations imprialistes", l'attentat perptr, place de la Brche, contre Me Hadj Driss, avocat d'ouvriers arabes. Le journal La Brche de Constantine, qui faisait tat lui aussi de ces "incidents multiplis depuis plusieurs annes", prsentait les maladresses de Kalifa et les coups de feu tirs par les Juifs comme "la goutte d'eau qui a fait dborder le vase trop plein" (45).

    (42) Cit par La Dpche algrienne du 16 aot 1934. (43) Les Juifs reprsentaient, disait-on, plus du tiers du corps lectoral pour les lections

    lgislatives alors qu'ils ne comptaient que pour 13 % de la population totale. Aux lections de mai 1932, il y avait mme eu 2 201 votants isralites, sur S 606 votants: 39,2%. Or on prtendait que leurs voix taient bloques et ne se portaient que sur des candidats dsigns par le consistoire. Selon Andr Servier dans le Ralliement, le Dr Bendjelloul aurait mme dit : "On nous refuse ce bulletin de vote que met sous nos yeux en nous narguant notre ancien esclave, ce Juif dont vous avez libr le ghetto et qui ne parle mme pas le franais".

    (44) Le communiqu du ministre de l'Intrieur du 7 aot affirmait que "les premiers incidents n'ont pas diffr des rixes antrieures".

    (45) Dans son rapport le conseiller gnral Lellouche affirmait certes que "depuis plusieurs annes aucun incident ne s'est produit entre indignes musulmans et isralites ; mais il notait aussi plus loin : "On ne peut faire clat de rares incidents journaliers que certains grossissent et exploitent".

  • 38 Ch.-R. AGERON

    Peut-tre pourrait-on ajouter que l'attitude agressive des Juifs nous parat s'expliquer surtout par la peur. Les croix gammes faisaient leur apparition en Algrie et au Maroc. En mai 1933, alors que des heurts opposaient Juifs et Arabes Fs, Casablanca et Rabat, le bruit courut que les ouvriers arabes de la fabrique de cigarettes JOB allaient tre remplacs par des Juifs allemands ; aussitt les Algriens musulmans boycottrent tous les produits de cette marque franaise. Ce que voyant, l'entreprise Juan Bastos se mit fabriquer des cahiers de papiers cigarettes spcialement destins aux Musulmans : ils taient dcors de croix gammes ! Pris de peur, les Juifs achetrent des armes et les jeunes se montraient "arrogants". D'aucuns affichaient leurs sentiments pro-sionistes, tandis que les communauts juives faisaient des dons importants pour l'installation de colons sionistes en Palestine. C'tait jouer avec le feu, car, depuis les soulvements de paysans palestiniens contre les colonies sionistes et le Congrs musulman de Jrusalem, fin 1931, le monde arabe avait officiellement dclar la guerre au sionisme. Or la presse nationaliste du Proche-Orient ne faisait nulle distinction entre Juifs et Sionistes. Ds 1930, ceux qui connaissaient bien les sentiments des Musulmans redoutaient que "ce qui se passait en Palestine pt se produire en Algrie" (46).

    De son ct, la communaut musulmane, elle aussi reprise en mains par les Oulmas et les Elus, n'tait plus aussi passive qu'elle avait pu l'tre. Constantine tait devenue en 1934 une capitale politique o les manifestations politiques se multipliaient. De vritables meetings s'taient tenus depuis 1933 aux Pins de Mansourah, d'abord pour protester contre le refus de Chautemps de recevoir la dlgation conduite par le Dr Bendjelloul. Puis, le 12 fvrier 1934, les partis de gauche franais avaient lanc une manifestation de protestation en cho la journe parisienne du 6 fvrier. Les mots d'ordre communistes (moratoires des dettes, crdit agricole pour tous, suppression des saisies et des expropriations) rencontrrent, semble-t-il, un certain cho ; surtout, le 16 mai 1934, une manifestation de masse rassemblait l'appel du cheikh Ben Badis et du Dr Bendjelloul quelque dix mille Musulmans qui entendaient protester contre les projets, prts la commission interministrielle des affaires musulmanes, de fermer les mosques et d'interdire les coles coraniques.

    Cette fivre politique montante, qui allait, aux lections pour les conseils gnraux du 14 octobre 1934, amener la victoire totale des candidats patronns par la Fdration des Elus musulmans, traduisait peut-tre surtout le mcontentement et la dsaffection des Musulmans ; peut-tre aussi leurs aspirations plus ou moins confusment nationalistes.

    Comme dans toutes les priodes de colre, les Juifs taient les premiers viss. Et c'est la raison pour laquelle l'antijudaisme ne cessa de monter de 1 933 mars 1935. Les meutes de Constantine eurent en effet leur retentissement immdiat Am Bei'da (47) et Jemmapes o il y eut des pillages de magasins juifs. A Hamma

    (46) V. Spielmann, Les vnements de Palestine vus par un Nord-africain, Alger, 1930. (47) A Ain Beda (120 km au sud de Constantine, 940 juifs, 1 077 europens et 7 675

    Musulmans en 1931) il y eut deux sries de manifestations les S et 6 aot ; trois juifs furent malmens le S et des coups de feu tirs d'une maison juive. Le lendemain, jour de march, les

  • EMEUTE ANTI-JUIVE. CONSTANTINE 1934 39

    Plaisance, un vieil Isralite fut tu ; Bizot, la seule famille juive fut assige le 5 aot et un de ses membres assassin (48).

    Puis vint un boycott plus ou moins gnral de tous les commerces juifs. A Constantine le boycott du commerce juif des tissus se poursuivait encore avec une rigueur implacable la mi-novembre 1934 et il devait tre tendu d'autres villes d'Algrie, Tlemcen notamment. Enfin de nouveaux et graves incidents clatrent Stif le 1er fvrier 1935 et Oued Znati le 22 fvrier. Par deux fois, l'anti- judasme devenait un prtexte pour attaquer les postes de police et aux cris de "Vive Bendjelloul" se seraient mls les cris de "Vive Hitler ! " (49).

    Les ractions politiques Les milieux politiques d'Algrie n'avaient pas attendu ces prolongements

    pour manifester leurs volonts. Ils virent immdiatement le parti qu'ils pourraient tirer de l'meute de Constantine en rendant les Oulmas et les Elus responsables du massacre (50).

    Le gouverneur gnral Carde n'attendit pas les rsultats de l'enqute administrative pour crire au Ministre de l'Intrieur : "II me parat certain qu'il s'agit d'une explosion de fanatisme provoque par des incidents secondaires, mais qui apporte la preuve d'une prparation morale faite par les Elus et les Oulmas". Cette mise en accusation assez gratuite tait bien d'ordre politique, car le gouverneur demandait ce qu'on ne divulgut pas son jugement "pour ne pas gner, disait-il, le travail d'apaisement poursuivi par les Elus et notables musulmans". Mais son but tait clair ; comme le rpta le prsident du Conseil gnral de Constantine, Deyron, le 24 octobre 1934 : "il n'tait plus possible de tolrer la nfaste propagande des groupements politiques extrmistes ; le gouvernement avait le devoir de briser l'effort de ces agitateurs anti-franais". Tous les conseillers gnraux franais votrent aussi une dclaration rdige par le dlgu de Constantine Vallet, vice-prsident du Conseil Suprieur, exigeant une politique de fermet et l'octroi des pleins pouvoirs au Gouverneur. Ils demandaient aussi

    boutiques juives furent mises sac, deux conseillers municipaux juifs malmens. Selon les enquteurs communistes le signal de pillage aurait t donn par le meurtre d'un enfant arabe tu par l'agent de police Akouka. L'intervention de la Lgion mit fin rapidement l'meute montante.

    (48) Michel Attal rfugi chez un facteur musulman fut assassin alors qu'il essayait de s'enfuir avec son fils. Ce dernier fut sauv par un Musulman qui le cacha dans son burnous. Au procs des assassins les Europens refusrent de tmoigner contre les Arabes.

    (49) Les leaders juifs rendirent hommage aux Musulmans qui n'admettaient pas qu' la moindre affaire "des indignes accourent menaants, dferlent sur de paisibles citoyens et saccagent des magasins. Murs intolrables, dclara Znati ; que "je condamne sans appel" ajoutait Ferhat Abbas.

    (50) Le dput-maire Morinaud l'avoua avec quelque cynisme dans une interview L'Echo d'Alger (8 aot 1934) : "Nous aurions tort de ne pas (en) tirer le profit qui s'impose". Il prconisait diverses mesures en riposte : "II nous faut des garnisons fortes, des policiers solidement organiss et je n'hsite pas le dire, et je l'ai dit au Marchal Ptain, voici six semaines, il nous faut le droit pour le gouvernement gnral de mobiliser les citoyens valides en cas d'meute".

  • 40 Ch.-R. AGERON

    leurs collgues indignes de "combattre la politique anti-franaise qui veut s'infiltrer en Afrique du Nord".

    Bref, l'heure du gendarme tait venue. "La crise d'autorit" tait le vrai responsable (51) Morinaud ne l'avait-il pas dit "six semaines avant les vnements" au marchal Ptain ? Et, aprs enqute, le ministre de l'Intrieur Marcel Rgnier, se dcida y rpondre en faisant repousser par le Snat la proposition de loi Viollette.

    * *

    En 1934, Constantine fut en quelque sorte l'picentre des divers courants d'agitation qui animaient la- communaut musulmane, frappe par la crise conomique, mais aussi saisie par l'espoir d'une Renaissance nationale. Toutefois les meutes antijuives si elles peuvent servir l'historien de rvlateur, trouvent leur explication simple dans le contexte local. Nul complot, nulle organisation clandestine n'apparaissent l'origine de cette meute meurtrire ne de la misre, de l'envie et de la colre du sous-proltariat de la ville ; nulle machination policire non plus ne peut tre retrouve dans l'attitude des autorits qui, par peur des responsabilits ou raisonnement simpliste, laissrent se produire le seul pogrom qui ait souill l'histoire de l'Algrie franaise.

    Charles-Robert AGERON

    Professeur l'Universit Franois Rabelais. Tours.

    (51) L'Agriculteur de Constantine cit pax La Dpche algrienne (16 aot 1934) disait le premier : "A l'origine de l'meute et des forfaits abominables qui ont t commis en plein jour, la face des pouvoirs publics bafous, il faut trouver avant tout la fameuse crise d'autorit".

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