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Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (Stéphane Clerget). © 2012 Société française de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S53-S58 cahiers nutrition de et de diététique Société Française de Nutrition Septembre 2012 Volume 47 Hors série 1 Cah. Nutr.Diét, 2012, 47, S1-S58 70306 – ISSN 0007 – 9960 Céréales, petit déjeuner et santé Stéphane Clerget Médecin Pédopsychiatre, Praticien Hospitalier, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, 78, avenue des Champs Elysées, 75008 Paris, France Résumé Le petit déjeuner a un impact positif chez l’enfant sur les performances cognitives de la journée. Il est l’occasion d’interactions intrafamiliales majeures. Celles-ci, dans leurs spéciÀcités propres au matin, participent sans doute au développement de l’enfant sur les plans éducatifs (essor de l’autonomie, apprentissages sociaux) et sur le plan psycho- affectif : support d’identiÀcation, amélioration de l’estime de soi, équilibre émotionnel, lutte contre le stress d’anticipation. Sont cités les facteurs qui expliquent l’irrégularité des prises de petit déjeuner et des conduites à tenir sont proposées. © 2012 Société française de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Breakfast has a positive impact on children daily cognitive performances. It is the opportunity of major intra-family interactions. Regarding their own characteristics related to morning, these performances probably participate in the development of child from an educational point of view (autonomy development, social learnings) and from a psycho-affective point of view : identiÀcation support, self-esteem improvement, emotional balance, stress reduction. Factors explaining breakfast irregularity are quoted and conducts to be adopted are proposed. © 2012 Société française de nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. KEYWORDS Breakfast; Autonomy; Emotion; Self-esteem; Stress MOTS CLÉS Petit déjeuner ; Autonomie ; Émotion ; Estime de soi ; Stress Les enjeux relationnels du petit déjeuner : cadrage psychologique Relational and psychological issues around breakfast: psychological framing

Les enjeux relationnels du petit déjeuner: cadrage psychologique

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Correspondance.Adresse e-mail : [email protected] (Stéphane Clerget).

© 2012 Société française de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Cahiers de nutrition et diététique (2012) 47, S53-S58

cahiersnutritionde

et de

diététique

Société Française de Nutrition

Septembre 2012Volume 47Hors série 1

Cah. Nutr.Diét, 2012, 47, S1-S58

7030

6 – I

SSN

0007

– 99

60

Céréales, petit déjeuner et santé

Indexés dans, indexed in Chemical Abstract, EMbase (Excerpta medica), Pascal (INIST/CNRS) et Scopus®

Disponible en ligne sur www.em-consulte.com

Stéphane Clerget

Médecin Pédopsychiatre, Praticien Hospitalier, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, 78, avenue des Champs Elysées, 75008 Paris, France

RésuméLe petit déjeuner a un impact positif chez l’enfant sur les performances cognitives de la journée. Il est l’occasion d’interactions intrafamiliales majeures. Celles-ci, dans leurs spéci cités propres au matin, participent sans doute au développement de l’enfant sur les plans éducatifs (essor de l’autonomie, apprentissages sociaux) et sur le plan psycho-affectif : support d’identi cation, amélioration de l’estime de soi, équilibre émotionnel, lutte contre le stress d’anticipation. Sont cités les facteurs qui expliquent l’irrégularité des prises de petit déjeuner et des conduites à tenir sont proposées.© 2012 Société française de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SummaryBreakfast has a positive impact on children daily cognitive performances. It is the opportunity of major intra-family interactions. Regarding their own characteristics related to morning, these performances probably participate in the development of child from an educational point of view (autonomy development, social learnings) and from a psycho-affective point of view : identi cation support, self-esteem improvement, emotional balance, stress reduction. Factors explaining breakfast irregularity are quoted and conducts to be adopted are proposed.© 2012 Société française de nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

KEYWORDSBreakfast; Autonomy; Emotion; Self- esteem; Stress

MOTS CLÉSPetit déjeuner ; Autonomie ; Émotion ; Estime de soi ; Stress

Les enjeux relationnels du petit déjeuner : cadrage psychologique

Relational and psychological issues around breakfast: psychological framing

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Introduction

L’impact du petit déjeuner sur un plan psychoaffectif et édu-catif a été peu étudié en psychiatrie infanto-juvénile, tandis que l’ont été davantage ses apports sur le plan cognitif [1- 3]. Ainsi, les enfants et les adolescents qui ne prennent pas de petit déjeuner ont de moins bonnes performances scolaires que ceux qui en consomment. Leur niveau de concentration s’avère moins élevé sur la matinée, ainsi que la résolution de problèmes ou encore la coordination œil- mains. Or, comme chaque repas, la prise du petit déjeuner est l’occasion d’interactions intrafamiliales majeures. Celles- ci, dans leurs spéci cités propres au matin, participent au développement de l’enfant sur les plans psycho- affectifs et éducatifs. Ce qui d’ailleurs nourrit les performances cognitives tant ces diffé-rents domaines de développement sont intriqués. L’apport éducatif se retrouve notamment dans le champ de l’autono-mie et des apprentissages sociaux. L’apport psycho-affectif se retrouve dans le champ de l’estime de soi et de la sérénité. Ces apports cognitifs, éducatifs et psycho- affectifs justi ent que l’on étudie les facteurs qui sous- tendent l’absence de prise ou les prises trop irrégulières du petit déjeuner chez les enfants et adolescents a n de les réduire.

Intérêts éducatifs

Comme d’autres temps familiaux partagés, le petit déjeuner est un temps de socialisation et d’apprentissage des règles. Mais il est aussi plus spéci quement un temps d’échanges et de développement de l’autonomie.

Essor de l’autonomie

Le petit déjeuner est sans doute le repas qui laisse le plus d’espace au développement de l’autonomie de l’enfant, en raison de son caractère habituellement moins réglementé. En ce domaine, les attentes parentales doivent évoluer en fonction de l’âge de l’enfant et, là comme ailleurs, il n’est pas opportun de brûler les étapes. Le petit déjeuner est un temps d’apprentissage de l’autonomie pour l’enfant et notamment de l’autonomie alimentaire. Les aliments qui y sont proposés sont habituellement appréciés par les enfants dont les phobies ou les réticences alimentaires se portent plus volontiers sur les viandes, les légumes ou les plats préparés qui sont absents des petits déjeuners occidentaux. C’est probablement le repas préféré des jeunes enfants pour ce qui est de son contenu. Les adultes référents sont aussi plus souples sur la tenue à table que lors du déjeuner ou du dîner. C’est par ailleurs un repas où la spéci cité des choix alimentaires de chacun est mieux tolérée. Par rapport au plat commun des autres repas (même si de nos jours ce schéma classique devient moins fréquent), le petit déjeuner se caractérise par une prise alimentaire propre à chaque membre de la famille. L’installation des membres de la famille est aussi plus variable autour du petit déjeuner. Chacun mange à son heure, à son rythme et il est rare que toute la maisonnée soit autour de la table en même temps.Pour toutes ces raisons, le petit déjeuner est rarement con ictuel comme peuvent l’être d’autres repas, en dehors bien sûr des situations où des enfants n’ont pas d’appétit

le matin. Et même dans ces cas, on assiste de la part des parents à une plus grande tolérance que lorsque l’enfant ne veut pas manger aux autres repas. Quand il y a des con its le matin et ils ne se sont pas rares, cela porte en général sur les autres séquences que le petit déjeuner proprement dit (habillage, temps dans la salle de bain, affaires à préparer, usage de la télévision). Cette moindre fréquence de con its à table favorise les échanges plus informels, les con dences et la transmission plus paisible de consignes éducatives.

Autonomie encadrée

Cette plus grande tolérance sur la tenue lors du petit déjeuner et les modalités de prises alimentaires le matin accordées aux enfants favorise les prises d’autonomie. C’est aussi le repas qui est le plus facile à préparer pour un enfant qui peut aussi se servir aisément lui- même. L’autonomie alimentaire doit cependant rester encadrée a n de ne pas nuire au bon développement de l’enfant. Ainsi, le choix alimentaire de l’enfant se fera parmi des propositions faites par les parents afin qu’elles soient acceptables notamment sur le plan nutritionnel. Les parents proposent avant que les enfants ne disposent. C’est donc au sein de choix limités et équilibrés que l’enfant exercera sa liberté et développera son autonomie. On évitera aussi de laisser l’enfant manger devant un écran de télévision ou de jeu vidéo a n de rendre possible les échanges, favoriser l’éveil, et de lui permettre de prendre conscience de ce qu’il mange et des différents ressentis alimentaires. Ces ressentis (goûts, consistances, odeurs, sensation de satiété, etc.) sont en effet parasités par les émois suscités par les représentations audiovisuelles. L’autonomisation chez le jeune enfant, que ce soit à l’occasion du petit déjeuner comme en tout domaine, s’acquiert progressivement grâce à un encadrement bienveillant et émancipateur. Attention aux autonomisations trop précoces qui pourraient s’apparenter à de la négligence. L’adolescent, en revanche, aura plus de liberté de choix, ce qui n’interdit pas des recommandations parentales et, en cas d’absence des parents, une présence symbolique (le parent a préparé le petit déjeuner ou a laissé un mot sur la table par exemple) qui est recommandée.Les capacités d’autonomie cognitive, motrice, affective, langagière et sociale de l’enfant se développent à mesure de sa croissance. Elles prennent appui sur la programmation génétique de chacun et sur les transferts de savoir de la part de l’entourage. L’autonomie alimentaire est la première autonomie que l’enfant développe. C’est avec elle que débute l’acquisition de l’autonomie globale. Elle commence dans l’utérus, avec l’acquisition du ré exe de déglutition par le fœtus entre la 12e et 14e semaine. Ce n’est qu’à l’adolescence qu’une véritable autonomie devient possible.

Étapes de l’autonomie alimentaire

Voici un résumé des grandes étapes de l’autonomie alimen-taire de l’enfant :• de 0 à 6 mois environ : l’alimentation est purement lactée.

Une diversi cation alimentaire trop précoce pourrait être liée à l’apparition d’allergies alimentaires ou d’obésité infantile précoce ;

• autour de 6 mois (cet âge est encore variable selon les auteurs) : la diversi cation alimentaire débute ;

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• 8 mois : c’est, sur le plan affectif, la période à laquelle se manifeste l’« angoisse de l’étranger » : pendant une période transitoire, l’enfant accepte mal d’être nourri par d’autres que ses référents parentaux ;

• 15 à 36 mois : c’est la période du non. L’enfant s’oppose indifféremment pour s’af rmer et notamment aux propo-sitions alimentaires. Cette opposition est compensée par une forte curiosité alimentaire ;

• 3 ans : l’autonomie motrice lui permet de commencer à manger seul en usant de couverts. Peuvent débuter des néophobies alimentaires dont l’impact est compensé par un fort potentiel d’imitation à l’entourage et en particulier aux enfants du même âge (imitation transversale) ;

• 4 ans : le comportement alimentaire est in uencé par les remaniements affectifs œdipiens : identi cation, opposition, séduction, con its de loyauté, par rapport aux parents ;

• 7 ans : l’âge de raison. Il existe une autonomie motrice complète pour se servir et préparer son petit déjeuner, mais la présence parentale [4] est nécessaire sur le plan affectif. Il devient capable d’évaluer ses besoins et de prendre ce qu’il peut consommer. Il devient apte à res-pecter les consignes de prises alimentaires en terme de qualité nutritionnelle (maturité morale) ;

• 7- 11 ans : la période de latence est une période de stabilisation sur le plan affectif. L’enfant renforce son autonomie et l’intégration des règles. Ses goûts et ses rythmes alimentaires varient peu ;

• 12- 15 ans : c’est l’âge des ruptures, des remises en question des règles et des nouvelles découvertes comme des nouvelles potentialités. On retrouve des moments de régressions alimentaires et, comme dans la petite enfance, des périodes d’opposition, ainsi que l’in uence des facteurs affectifs dans le rapport aux aliments (phobies alimentaires, névroses alimentaires, troubles du compor-tement alimentaire).

Au développement de l’autonomie s’ajoute à l’occasion du petit déjeuner le développement de divers apprentissages sociaux et notamment du partage.

Apprentissage et partage

L’expérience du repas est aussi un haut lieu de transmission de normes, de valeurs, de pratiques sociales [5]. L’in uence des parents est fondamentale, tant la charge affective et éducative liée au repas est présente. Le choix des aliments, l’organisation et l’heure du repas, la répartition de tâches entre les différents membres de la famille, tout cela participe à l’élaboration de l’identité alimentaire mais aussi sociale de l’enfant. Le petit déjeuner est un temps de partage et d’apprentissage. Prenant appui sur le partage des aliments de la table, on partage en famille des gestes, des paroles, des émotions, de l’amour, autant de facteurs indispensables au bon équilibre psycho-affectif de chacun et de l’enfant en particulier. Autour du petit déjeuner se structurent les partages du temps de ce début de matinée et des espaces de la maison en différentes séquences : temps de repas et de ses préparatifs, temps de toilette, d’habillage ou d’arrangements des affaires. Ces temps de partage et ce partage du temps comme des espaces sont un temps d’apprentissage. Le partage implique en effet le respect de la part de l’autre et suppose donc l’apprentissage

d’un savoir- vivre en groupe, et ce, à l’occasion justement de chacun de ces points spéci ques partagés. C’est aussi l’occa-sion de l’apprentissage des fonctions intrafamiliales, préludes à l’apprentissage des fonctions sociales. En effet, le partage c’est la distribution et en particulier, comme au théâtre, celle des rôles qui se joueront dans les différentes « pièces » de la maison. À chacun sa mission, dé nie selon son âge, sa place dans la famille et ses compétences, que l’on doive s’occuper de soi ou bien du collectif. Qu’il faille réveiller son ls (ou son papa), faire son lit, mettre la table, ranger ses affaires, préparer son bol ou celui du petit frère, se laver seul, aider son plus jeune à s’habiller, les responsabilités de chacun sont à dé nir au sein de chaque foyer et sont bien sûr évolutives. Elles sont des rails qui permettent, après le long tunnel de la nuit, la mise en train des futurs rôles sociaux de la journée et du train- train quotidien ; des rails qui favorisent la cohabitation matinale et la bonne circulation de chacun dans l’espace ou le temps et en n des rails qui assurent, ou du moins favorisent, un départ du domicile à la bonne heure.Aux apports éducatifs se combinent des apports psycho- affectifs.

Intérêts psycho- affectifs

Le matin n’est pas sans contrainte. Il y a un petit lot d’obli-gations auxquelles s’ajoute l’appréhension de ce qui nous attend dans la journée. Le petit déjeuner est perçu comme le moment de plaisir partagé et de ressourcement. D’ailleurs, quand on se rappelle ses matins d’antan, c’est souvent le petit déjeuner avec l’odeur de pain grillé, le croquant de céréales ou la chaleur du lait qu’on évoque.

Support d’identi cation

Plus l’enfant est jeune, plus les échanges autour de l’ali-mentation sont enrichissants pour lui. Il absorbe tout autant que la nourriture les messages et les émotions véhiculés par l’adulte référent. Ainsi s’entrelacent dès sa naissance, dans un pas de deux humanisant, ses besoins alimentaires et ses désirs nés de la relation interhumaine. La fonction alimen-taire participe de la médiation avec le parent nourrissant chez le nouveau- né et se poursuit quand il est plus grand avec le parent qui accompagne l’enfant dans son repas. Chez le nouveau- né, autour de l’alimentation vont s’élaborer des processus d’identi cation. L’incorporation alimentaire est le support concret de l’incorporation psychique qu’est l’identi cation. Nourri par sa mère, le bébé assimile en même temps que le lait absorbé ce qu’il capte des aspects, des paroles et des sentiments de sa mère, et il devient partiellement ce qu’elle lui paraît être. Car le bébé se sent uni à ce qu’il absorbe, il fait corps avec ce qu’il ingère. Absorber un objet concret (aliment) ou abstrait (les paroles d’une mère) équivaut à être transitoirement cet objet. C’est ce que l’on nomme les processus d’identi cation primaire. En s’identi ant à sa mère et à ce qu’elle lui transmet, le bébé débute l’élaboration de sa personnalité et commence à percevoir son identité. Il se voit en sa mère et prend modèle sur cette image, il s’identi e à sa propre image. C’est ce que J. Lacan nomme le stade du miroir. Pour le nouveau- né, « je » est un autre auquel il s’identi e et lors de l’allaitement,

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le lait sert de support concret à cette identi cation. Chez l’enfant plus âgé, les mécanismes d’identi cation se pour-suivent notamment autour des échanges informels ou plus réglementés comme ceux du petit déjeuner.

Équilibre émotionnel et estime de soi

Les meilleures performances scolaires observées quand l’enfant prend son petit déjeuner sont probablement la conséquence d’un meilleur équilibre glycémique [6]. On peut également émettre l’hypothèse que des facteurs émotionnels interviennent. Les liens entre performances cognitives et équilibre émotionnel comme la qualité des interactions intrafamiliales sont démontrés [7- 9]. En sachant également que l’équilibre nutritionnel favorise l’équilibre émotionnel.Le petit déjeuner peut être un tremplin pour le bien- être émotionnel de la journée chez l’enfant quand il est pris en famille. Il contrebalance un dîner pris en l’absence d’un ou des parents qui rentrent tard ou un déjeuner pris à la cantine. Les repas sont les principaux temps d’échanges informels entre un enfant et ses parents. Le petit déjeuner offre la possibilité pour l’enfant d’échanger avec son parent à propos des ressentis de la nuit et notamment sur des rêves ou des cauchemars éventuels. La présence possible du père est un des avantages du petit déjeuner. En effet, il n’est pas rare que les pères, pour des raisons professionnelles, rentrent trop tard pour dîner avec leur enfant d’autant plus que celui- ci, en raison de son jeune âge, se couche parfois avant que son père ne soit à la maison. C’est parfois le seul repas possible avec ce parent en semaine. C’est alors un temps fondamental d’échange et un temps d’identi cation quotidien qui a un impact positif sur la construction psycho-affective de l’enfant, lle ou garçon. Les enfants qui ne déjeunent pas le matin ont un temps réduit entre le réveil et le départ à l’école. Or, ce temps rend possible une remise en route progressive du corps, des différents sens (gustatif, olfactif…) et de l’esprit de veille avant la reprise des cours. Il autorise, après l’échappée onirique nocturne, un réveil harmonieux des fonctions sociales. Il permet aussi d’anticiper dans un cadre sécurisé sur le plan affectif la journée qui s’annonce et ses éventuels sujets de préoccupations. C’est pourquoi ce temps partagé ne devra pas être étouffé par la présence d’éléments extérieurs tel qu’un écran de télévision ou de jeu vidéo. Dans la dynamique de cette journée, le petit déjeuner en famille fait of ce pour l’enfant, comme pour l’adolescent, de port d’attache psycho-affectif sur lequel prendront appui, chaque fois renouvelées et renforcées, son estime de soi et sa con ance en l’autre. Car l’estime de soi de l’enfant dépend des échanges valorisants et des expériences communes partagés avec des parents bienveillants [10]. C’est l’occasion d’envoyer à ses enfants des messages nourris de pensée positive [11]. Au petit déjeuner, on déballe à nouveau le cadeau de la vie et, pour paraphraser Marc Aurèle, on se rappelle combien le privilège de vivre est précieux, de respirer, de manger, de pouvoir être heureux.

La prise régulière en commun du petit déjeuner apparaît comme un facteur favorisant pour le développement de l’estime de soi, l’équilibre émotionnel, la quiétude et les compétences sociales.

Lutte contre le stress

Le petit déjeuner peut être par ailleurs un des facteurs de lutte contre le stress d’anticipation, cette forme d’anxiété caractéristique du matin qui est la crainte d’un mauvais déroulement des diverses étapes de la journée et son reten-tissement sur l’individu à distance, donc des évènements stressants proprement dit. Plus spéci que, l’anxiété de performance est relative à des épreuves attendues (devoirs sur table, entretien professionnel, examens, évaluations diverses). La prise alimentaire favorise l’apaisement (c’est d’ailleurs un des facteurs de prise de poids comme réaction à des états de stress chronique [12]). Le stress du début de journée se réduit aussi grâce à la présence de personnes ressources que sont les membres de l’entourage (parents) qui vont se montrer apaisantes, aider à trouver du réconfort et des solutions aux problèmes du quotidien. Par ailleurs, les habitudes du matin, le mini- cérémonial du petit déjeuner, dé nissent un rituel qui a en tant que tel une fonction d’apaisement. En n, la possibilité de libération émotionnelle au cours de ces échanges est aussi un moyen d’éliminer des sources de stress. Cette possibilité expressive réduit l’impact potentiellement délétère des angoisses nocturnes sur l’équilibre psycho- affectif et cognitif de la journée.En n, un petit déjeuner équilibré et pris en famille est un facteur de lutte contre le surpoids [13]. Pas seulement pour des raisons diététiques (consommation hors repas en milieu de matinée) et métaboliques, mais aussi sans doute parce que la sécurité affective qu’il prodigue limite les prises alimentaires liées aux facteurs de stress.

Discussion

Compte tenu de l’apport éducatif et psycho- affectif du petit déjeuner, il importe de s’interroger sur les facteurs environnementaux ou plus individuels qui limitent la prise du petit déjeuner.Pour que l’enfant puisse béné cier des apports éducatifs, cognitifs et affectifs du petit déjeuner encore faut- il qu’il déjeune. Or, 13 % des enfants et 41 % des adolescents ne petit- déjeunent pas tous les matins [14].Les repas sont les étapes qui rythment chaque journée et le petit déjeuner est le point de départ d’un ensemble de fonctions métaboliques qui font partie intégrante du réveil de l’organisme. On sait les impacts délétères d’une absence de prise ou d’une prise trop irrégulière du petit déjeuner sur le maintien d’une alimentation équilibrée, son rôle dans un éventuel surpoids mais aussi ses conséquences négatives sur les performances cognitives du matin [15].Les raisons invoquées pour justi er cette absence de prise de petit déjeuner peuvent être le manque de temps ou l’absence d’appétit le matin. Le manque de temps est à la fois la cause et la conséquence puisque le fait de ne pas prendre de petit déjeuner invite à réduire ce temps matinal et cette réduction favorise des couchers plus tardifs qui eux- mêmes favorisent un mauvais réveil et donc limite l’envie de petit déjeuner.Il est possible d’y répondre par une nouvelle organisation qui privilégiera en particulier les temps de préparation des affaires et du petit déjeuner ainsi que la toilette, la veille. Il y a parfois, chez certains individus, des explications

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physiologiques qui interviennent sur la régulation de l’ap-pétit le matin (ex : dîner régulièrement copieux et tardif, alimentation nocturne de l’adolescent). Quoi qu’il en soit, nombreuses sont les causes éducatives. Il y a des familles où les enfants ne sont pas assez sollicités ou accompagnés dans ce temps important de la journée.Le manque d’appétit est parfois une question d’identi cation : l’enfant imite son parent qui ne déjeune pas par habitude, parce qu’il fait un régime déséquilibré ou bien parce qu’il prend son petit déjeuner hors de chez lui avec ses collègues. Chez l’adolescent, l’habituel coucher tardif le rend encore ensommeillé le matin avec l’appétit encore assoupi.Chez les plus grands, le fait de fumer au lever n’aide pas à ouvrir l’appétit. Il y a aussi chez l’adolescent des sources d’explications psycho- affectives. En effet, le petit déjeuner marque le début de la journée, mais aussi la n de la nuit. La nuit, on rêve et devient un autre qui peut être idéalisé. En rompant le jeûne, on rompt le charme et l’on redevient soi- même. Certains le refusent. Escamoter le petit déjeuner peut s’interpréter comme une façon non consciente de refuser l’éveil et de maintenir son métabolisme nocturne et peut- être de maintenir partiellement cet état cotonneux de repli pseudo onirique caractéristique des ados mal réveillés qui les met à l’abri de la réalité quotidienne vécue comme trop brutale ou intrusive. Ce refus de la n du cycle des 24 h peut être la pointe émergée d’une anxiété plus globale face à la n des cycles de la vie. Chez l’adolescent et parfois chez certains enfants, cela peut aussi traduire un comportement d’opposi-tion vis- à- vis des parents, surtout si ces derniers investissent particulièrement les repas de famille en général (mère au foyer) et le petit déjeuner en particulier (seul temps de repas des jours ouvrables où le père est présent). Dans ces cas- là, l’enfant préfère emporter son petit déjeuner qu’il consom-mera parfois sur le chemin de l’école plutôt que de le prendre « en famille ». En n l’installation d’une perte d’appétit le matin au petit déjeuner quand elle survient secondairement à des années de prise régulière doit faire éliminer un trouble thymique, en particulier quand elle est associée à des troubles du sommeil (dif culté d’endormissement, réveils nocturnes, réveils précoces voire hypersomnie). On éliminera aussi des causes médicales (infections, crise d’acétone, insuf sance hypophysaire, maladies digestives, etc.)Bien sûr, en cas d’arrêt de prise du petit déjeuner associé à une restriction alimentaire lors des autres repas de la journée, la question d’un régime mal à propos ou, plus grave, d’une anorexie mentale devra se poser sans tarder. Les troubles anxieux, dépressifs ou du comportement alimentaire ainsi que les causes médicales devront bien sûr béné cier d’une prise en charge spécialisée.

Conclusion

Le petit déjeuner constitue un moment privilégié qui donne toute son expression à la journée qui commence. La prise quo-tidienne du petit déjeuner et l’attention régulière accordée aux enfants à cette occasion vont contribuer à leur apporter une meilleure performance cognitive, une saine autonomie, une con ance ravivée en soi et en leurs parents, une estime de soi renforcée, une plus grande sérénité, un apprentissage des pratiques sociales et un meilleur sens de l’autre.

Déclaration d’intérêts

L’auteur a reçu des émoluments de consultance sur la psychologie infantile de la part de Kellogg’s. L’auteur a été normalement rémunéré pour la rédaction de cet article.

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Proposition de conduites à tenir

Dans les autres situations, les aménagements et les conduites à tenir suivants peuvent être appliquées :

Le dîner ne doit pas être trop abondant, ni trop tardif.

Inviter l’enfant à la préparation du petit déjeu-ner, la veille notamment (mise de la table, choix des « menus »).

Veiller à ce que l’enfant n’ait pas de carence de sommeil et se couche suf samment tôt.

Veiller à la qualité de son sommeil (cauchemars, réveils nocturnes, apnées, ron ements).

Prévenir les alimentations nocturnes. Assurer une bonne luminosité le matin pour favo-riser une bonne reprise du rythme physiologique diurne.

Assurer une atmosphère dépourvue de trop de stress.

Accorder un temps suf sant entre le réveil et le départ en classe.

Ne pas le laisser perdre du temps devant un écran.

Terminer les séquences du matin par le petit déjeuner après un temps d’éveil consacré aux obligations (toilettes, rangements).

Favoriser les prises en commun du petit déjeuner ou, à défaut, tester le petit déjeuner au lit. Faire du petit déjeuner un moment de partage et d’échanges familial (participation du père).

Solliciter l’enfant pour qu’il goûte un peu de divers aliments, selon l’adage que l’appétit vient en mangeant, sans le forcer pour autant.

S’assurer d’une diversité suf sante. Prendre conscience des mécanismes d’imitation inhibiteurs pour mieux les lever (ex. le puiné qui imite son grand frère).

Ne pas favoriser la prise de collation en milieu de matinée.

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[4] CREDOC. CCAF 2010. 23 % des enfants ne prennent pas leur petit- déjeuner chaque jour avec un proche. Résultats non publiés

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