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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations. Ligue des Familles (Belgique), The Population Research Institute Vaestoliitto (Fin- lande), UNAF, Union Nationale des Associations Familiales (France), The Family & Child Care Center (Grèce), C.O.F.A.C.E., Confédération des Organisations Familiales de la Communauté Européenne (Belgique) USAGES SOCIAUX DU TEMPS ET MIGRATIONS “LES FAMILLES A LA CROISEE DE L’ESPACE ET DU TEMPS” ACTES DE LA CONFÉRENCE EUROPÉENNE, COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN, BRUXELLES, 12 - 13 JANVIER 2004. Avril 2004 Rapport final du projet européen “Migration et temps : perspectives de développement durable dans le domaine familial”, COFACE — DG Emploi et Affaires sociales de la Commission Européenne / Programme VP/2002/011, Ligne budgétaire B3-4102 : Actions d’analyses et de Recherches sur la situation sociale, la démographie et la famille, J.O. C112 du 9 mai 2002. - 1 -

Les familles à la croisée de l'espace et du temps

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Ligue des Familles (Belgique),The Population Research Institute – Vaestoliitto (Fin-lande),UNAF, Union Nationale des Associations Familiales(France), The Family & Child Care Center (Grèce),C.O.F.A.C.E., Confédération des OrganisationsFamiliales de la Communauté Européenne (Belgique)

USAGES SOCIAUX DU TEMPS ET MIGRATIONS

—“LES FAMILLES A LA CROISEE DE L’ESPACE ET DU TEMPS”

—ACTES DE LA CONFÉRENCE EUROPÉENNE,

COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN, BRUXELLES, 12 - 13 JANVIER 2004.

Avril 2004Rapport final du projet européen “Migration et temps : perspectives dedéveloppement durable dans le domaine familial”, COFACE — DG Emploiet Affaires sociales de la Commission Européenne / ProgrammeVP/2002/011, Ligne budgétaire B3-4102 : Actions d’analyses et deRecherches sur la situation sociale, la démographie et la famille, J.O. C112du 9 mai 2002.

- 1 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

SOMMAIRE

AUTEURS (page 4)

CONTRIBUTIONS (page 5)

PRÉSENTATION GÉNÉRALE (page 7)

PRÉAMBULES (page 8)

Pr. 1 (page 8)

Pr. 2 (page 10)

Pr. 3 (page 13)

Pr. 4 (page 16)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Synthèse — Préconisations (page 19)

PREMIÈRE PARTIE : Usages des temps

Présentation (page 41)

Chap. 1 : Temps, rythme, milieu (page 44)

Chap. 2 : Critique de l’approche usuelle par les statistiques (page 52)

Chap. 3 : Comment se construit une statistique européenne ? (page 64)

Chap. 4 : Conciliation des temps : éclairer les compétences invisibles à

l’œuvre dans la sphère domestique (page 79)

Chap. 5 : Les arrangement entre les sexes au sein des populations

migrantes (page 85)

DEUXIEME PARTIE : Le temps des sans papiers

Chap. 6 : L’usage des temps et la question des délais (page 89)

Chap. 7 : Le temps des sans papiers (page 94)

Chap. 8 : Le projet des migrants — Une affaire de temps (page 101)

Chap. 9 : Prestations familiales et regroupement familial — L’accès aux

droits sociaux des familles étrangères contrarié par les politiques

migratoires (page 113)

- 2 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

TROISIEME PARTIE : Migrations et temps

Présentation (page 135)

Belgique

Chap. 10 : Un projet d’enquête sur le temps des migrants (page 141)

Finlande

Chap. 11 : Une politique d’intégration plus active pour un pays

d’immigration de fraîche date (page 172)

Chap. 12 : L’utilisation du temps par les migrants - Activités et services

proposés (page 176)

Chap. 13 : The Use of Time - Services and Activities for Unemployed Im-

migrants in Finland (page 183)

France

Chap. 14 : Situation de l’immigration et débats méthodologiques

(page 202)

Grèce

Chap. 15 : Développement durable : les migrants à la croisée de

l’espace et du temps (page 228)

CLÔTURES

Cl. 1 (page 266)

Cl. 2 (page 269)

- 3 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

AUTEURS

ALIPRANTI Laura Centre National de Recherches Sociales, EKKE [email protected]

BRIESCH Roger Comité Economique et Social Européen, Belgique http…esc.eu.int

BRUN François Centre d’études de l’emploi, France [email protected]

CHOQUET Luc-Henry Union Nationale des Associations Familiales, France [email protected]

CROFF Brigitte Brigitte Croff Conseil & Associés, France [email protected]

DIEU Anne-Marie Ligue des familles, Belgique [email protected]

DUCLOS Laurent Commissariat général du Plan, France [email protected]

FOTAKIS Constantinos DG Emploi et Affaires sociales, Union européenne, Belgique http://europa.eu.int/comm/employment_social

GAUDIER Lydie Ligue des familles, Belgique [email protected]

HERMANGE Marie-Thérèse Parlement Européen http://webperso.easynet.fr/mhermange/F-site.htm

LAY William COFACE, Belgique http…coface-eu.org

LASSON Steen Mogens COFACE, Belgique http…coface-eu.org

MATH Antoine Institut de Recherches Economiques et Sociales, France [email protected]

MIKKONEN Anna The Population Research Institute –The Family Federation of Finland,Väestöliitto, Finlande [email protected]

NIVIÈRE Delphine ENS Cachan - EHESS, France [email protected]

PAPADIMITRIOU Vivie, The Family & Child Care Center,Grèce [email protected]

REA Andrea Université libre de Bruxelles, Belgique [email protected]

SIGMUND Anne-Marie Groupe III, Comité Economique et Social Européen, Belgique http//…esc.eu.int

SÖDERLING Ismo The Population Research Institute –The Family Federation of Finland,Väestöliitto, Finlande [email protected]

TAYLOR Graham DG Emploi et Affaires sociales, Union européenne, Belgique http://europa.eu.int/comm/employment_social

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CONTRIBUTIONS

Parlement, Union européenne, Bruxelles

Marie-Thérèse HERMANGE

- Préambule 1

Comité Economique et Social Européen, Bruxelles

Roger BRIESCH, Président

- Préambule 2

Anne-Marie SIGMUND, Présidente du Groupe III

- Clôture 1

Commission Européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Direction de la

protection sociale et de l’intégration sociale, Bureau des analyses

démographiques et sociales, Bruxelles

Constantinos FOTAKIS

- Préambule 3

Graham TAYLOR

- Clôture 2

COFACE, Bruxelles

Steen Mogens LASSON

- Préambule 4

Belgique

Anne-Marie DIEU (Ligue des familles, Bruxelles)

- Troisième partie, Présentation

Lydie GAUDIER (Ligue des Familles, Bruxelles)

- Troisième partie, Présentation

- Troisième partie, Belgique, Chap. 10

Andrea REA (Université libre de Bruxelles, ULB)

- Deuxième partie, chap. 7

Finlande

Ismo SÖDERLING (The Population Research Institute –The Family Federa-

tion of Finland, Väestöliitto, Helsinki)

- Troisième partie, Finlande, Chap. 11

Anna MIKKONEN (The Population Research Institute –The Family Federa-

tion of Finland, Väestöliitto, Helsinki)

- Troisième partie, Finlande, Chap. 12

- Troisième partie, Finlande, Chap. 3

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

France

François BRUN (Centre d’études de l’emploi, Noisy-le-grand)

- Deuxième partie, chap. 2

Luc-Henry CHOQUET (UNAF, Paris)

- Introduction générale : Synthèse — Préconisations

- Première partie, Présentation

- Deuxième partie, chap. 6

- Troisième partie, France, Chap. 14

Brigitte CROFF (Brigitte Croff Conseil & Associés, Ivry/Seine)

- Première partie, chap. 4

Laurent DUCLOS (Commissariat général du Plan, Paris)

- Première partie, chap. 1

- Première partie, chap. 2

Delphine NIVIÈRE (ENS Cachan, EHESS, Paris)

- Première partie, chap. 3

Antoine MATH (IRES, Noisy-le-grand)

- Deuxième, chap. 9

Grèce

Laura ALIPRANTI (Centre National de Recherches Sociales, EKKE)

- Première partie, chap. 5

Vivie PAPADIMITRIOU (The Family & Child Care Center,Athènes)

- Troisième partie, Grèce, chap. 15

- 6 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Cet ouvrage rassemble des contributions issues de quatre mouvements

familiaux d’importance nationale, la Ligue des Familles (Belgique), The

Population Research Institute - Vaestoliitto (Finlande), l’Union Nationale

des Associations Familiales (France), The Family & Child Care Center

(Grèce).

La mission avait pour objectifs le développement d’indicateurs et de

méthodologies d'analyse de la situation sociale en Europe, dans les

domaines de l’usage des temps et des migrations, en mettant l’accent sur

deux points :

- La collecte et la prise en considération d’informations plus qualitatives

liées à la prise en compte de la dimension familiale, de la vision subjective

des individus, de leur qualité de vie ;

- Le souci d’expérimentation de nouvelles pratiques démocratiques basées

sur la participation.

Une tendance a guidé ce projet européen coordonné par la C.O.F.A.C.E.

dans la perspective de la méthode ouverte de coordination (MOC) : c’est

le rôle constant des indicateurs, des méthodologies d'analyse, des

chiffres, des données statistiques et des comparaisons internationales,

dans les controverses et les débats en matière de politique européenne.

La constitution progressive d’un espace-temps européen accentue la “mise

en équivalence” des personnes et incite à l’unification des systèmes de

collecte permettant aux acteurs des politiques de réaliser les

dénombrements utiles au cadrage des actions. Partant, les actions

européennes ne peuvent que sortir renforcées de l’installation de

références acceptées uniformément et qui se substituent aux entrées

nationales.

En réalité, cette mission intitulée dans un premier temps “Migration et

Temps : Perspectives de Développement durable dans le domaine

familial”, avait pour objectifs d’aboutir à un certain nombre de

préconisations utiles à rendre effectives et concrètes les actions

d’analyses et les recherches sur la situation sociale, la démographie et la

famille en s’éloignant des généralisations trop sommaires qui réduisent les

possibilités de qualifier les situations.

Au cours du déroulement des travaux, plusieurs réunions et séminaires

ont rassemblé les membres des associations engagés dans l’opération et,

fréquemment, des experts appelés sur tel ou tel aspect de la question.

Les principaux résultats de la mission ont été présentés à l’occasion d’une

conférence européenne, les 12 et 13 janvier 2004 à Bruxelles, dans le

cadre du Comité Economique et Social Européen, dont sont tirées les

contributions du présent ouvrage, à la seule exception de la Finlande pour

qui a été rajouté aux transcriptions en langue française des deux

conférences le texte rédigé en anglais d’une contribution à la mission.

- 7 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Préambule 11

MARIE-THÉRÈSE HERMANGE

Je tiens à vous rendre hommage pour votre action, imaginative, concrète,

de proximité, afin de rendre plus humaine la problématique des

migrations à travers la nécessaire prise en compte de ses dimensions

familiale et humaine.

Il semble que cette réflexion est essentielle surtout dans le contexte

actuel où le phénomène des migrations s'est imposé avec force dans

l'agenda politique des Etats membres de l'Union européenne. Au cours des

dernières années, plusieurs actes ont été proposés ou adoptés afin de

mettre en place une politique commune en matière de migration et de

droit d’asile, respectueuse du droit à la vie de famille, tel que défini par

l'art. 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Parlement européen a donné récemment son feu vert à deux nouvelles

initiatives visant à muscler la coopération entre la Commission

européenne et les Etats membres en matière d'immigration. La première

est une proposition de règlement portant création d'un réseau pour les

officiers de liaison "immigration" détachés par les Etats membres dans des

pays tiers. La seconde est un plan d'action destiné à améliorer les

statistiques au niveau européen.

La Commission européenne s'attelle également à la mise en place d'un

Observatoire des migrations chargé de fournir à l'Union des informations

de meilleure qualité sur les tendances et les politiques migratoires.

Cette démarche importante s'inscrit dans la perspective de la méthode

ouverte de coordination qui, sans générer d'activité législative, a pour

objectif d'optimiser l'usage des données nationales existantes en matière

des migrations au niveau européen.

Votre engagement dans le projet européen est essentiel puisqu'il met tout

particulièrement l'accent sur la collecte et la prise en considération

d'informations plus qualitatives liées à la prise en compte de la dimension

1 [Note de la rédaction : Madame Marie-Thérèse Hermange, députée au Parlementeuropéen, qui était en déplacement à Strasbourg dans le cadre de son activitéparlementaire, avait tenu à adresser un message aux participants de la Conférenceeuropéenne des 12 et 13 janvier 2004, relative au projet européen "Migration etTemps: perspectives de développement durable dans le domaine familial", dont leprésent rapport constitue les actes.]

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

familiale, de la vision subjective des individus ainsi que de leur qualité de

vie.

Cet aspect semble primordial car il semble que le phénomène de

migrations n'est pas perçu dans sa globalité.

En effet, les organes compétents se focalisent presque exclusivement sur

une seule des deux faces de la médaille, celles des politiques ou celles des

mécanismes de contrôle. Or, de cette façon, on dissimule la "dimension

quotidienne" des personnes migrants , certes moins visible, mais plus

importante au plan de l'impact social, culturel et économique.

Votre projet démontre la nécessité d'opérer un important changement

dans la manière de penser la problématique des migrations qu'on a

tendance à considérer aujourd'hui trop souvent parmi les "urgences"

auxquelles on ne répond que par des interventions d'ordre public. En

réalité, derrière les considérations d'ordre purement technique dans le

domaine des migrations il nous faut faire une large place à la dimension

humaine, synonyme d'avenir et d'espoir.

- 9 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Préambule 2

ROGER BRIESCH

C’est un grand plaisir d’ouvrir en compagnie du Président de la COFACE

les actes de la conférence qui a eu lieu en janvier au sein du Comité

Économique et Social Européen.

Nos responsabilités communes mais diverses, tendues vers un même

objectif, sont de contribuer à construire une société plus juste, plus

humaine, plus fraternelle. Nous sommes appelés avec encore plus de

détermination à être par notre réalisation des créateurs d’espoirs.

Cette maison est la vôtre à un double titre : D’une part, parce que vos

organisations sont d'une manière ou d'une autre représentées au sein du

Comité, d’autre part, parce que le comité en tant que lieu institutionnel de

représentations et de débats des organisations de la société civile, a

vocation à accueillir faciliter et enrichir ce type d’événement.

“Les familles à la croisée de l’espace et du temps”, le thème du rapport et

de la conférence est à la fois orignal et légitimement ambitieux. Il est

certainement de ceux, au combien nécessaire, dans la période actuelle,

qui sont de nature à donner une âme à l’Europe.

Cette initiative au nom du Comité Économique et Social Européen m’offre

aussi l’opportunité de mesurer le chemin parcouru ensemble avec vos

organisations ainsi qu’avec la COFACE.

Certes, on peut le déplorer la dimension familiale est insuffisamment

affirmée dans le traité européen.

Néanmoins, elle a toujours tenu une grande place dans les travaux

consultatifs du Comité Économique et Social Européen.

Nombreux sont les avis du Comité Économique et Social Européen

concernant directement la famille, ou intégrant la dimension familiale.

Que ce soit en liaison avec le monde du travail ou, plus généralement, sur

des questions de société.

- 10 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

A partir des thèmes aussi variés et fondamentaux que les congés

parentaux, les familles monoparentales, la conciliation de la vie

professionnelle et familiale, la lutte contre l’exclusion sociale et la

pauvreté ou encore le logement, le Comité Économique et Social c’est

toujours fortement exprimé en faveur de la préservation de la solidarité

familiale.

Ses différentes prises de positions méritent d’autant plus d’être

soulignées, qu’elle résulte d’une coopération et d’une application efficace

de vos représentants, et surtout qu’elle est portée par une Institution, le

Comité Économique et Social, qui est un organe de synthèse, permettant

la confrontation de points de vue différents, voire nettement divergents et

d’aboutir à l’adoption de compromis dynamiques.

Allons plus loin : l’équilibre entre travail et vie familiale est difficile à

préserver. A cet égard, de nouvelles formes de travail flexible sont à

double tranchant : elles peuvent s’adapter aux besoins familiaux, mais

elles peuvent aussi être source de stress et d’intensification du travail, au

détriment du temps et de la qualité du temps passé en famille. Ce défi

risque de devenir plus grand encore dans le cadre de l’élargissement.

Dans les nouveaux pays, l’adhésion, la semaine de travail dure en

moyenne 44,4 heures, alors qu’elle est en moyenne de 38,2 heures dans

les pays de l’actuel Union Européenne. Il y a là un défi important, des

horaires de travail plus chargés ne doivent plus jouer au détriment de la

vie familiale.

Le Comité Économique et Social a soutenu la directive sur le temps de

travail, et proposait de développer des formules négociées, d’adaptation

du temps de travail, tenant compte du contexte du secteur et de la nature

des emplois. Car la flexibilité doit, là aussi, préserver deux ambitions :

assurer une meilleure productivité, tout en intégrant la dimension

familiale.

Concernant les familles migrantes autre thème important de votre

conférence, le Comité c’est également exprimé avec force et vigueur. Le

temps consacré à la famille par les travailleurs migrants des pays tiers, en

effet, ne peut se faire et se développer que si un droit au regroupement

familial est affirmé dès le départ.

C’est pourquoi le Comité Économique et Social Européen a défendu avec

des organisations comme les vôtres, la nécessité de réforme législative et

d’une législation européenne d’harmonisation. Le Comité Économique et

- 11 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Social Européen c’est exprimé en faveur du regroupement familial pour les

résidants des pays tiers, tant parce qu’il le considère comme un des droits

fondamentaux des personnes immigrés et réfugiés, qu’en raison de son

importance dans le processus d’intégration.

La proposition de directive de la commission de 1999 sur le regroupement

familial avait apporté une première réponse. Elle définissait un cadre

juridique commun pour les conditions d’entrées et de séjours des

ressortissants des pays tiers, et garantissait de façon claire et uniforme le

droit au regroupement familial. Malheureusement, cette proposition

soutenue par le Comité Économique et Social, a été fortement modifiée,

limitée dans sa portée par le Conseil. Sur ce problème, comme sur

d’autres, ils nous faut poursuivre notre action et nos interventions pour

être compris, entendu.

Qu’ils s’agissent de citoyens des Etats membres ou de ressortissants des

pays tiers, votre discussion d’aujourd’hui, apportera sûrement une valeur

ajoutée au débat européen. Consacrer du temps au temps et affirmer les

droits fondamentaux de la vie familiale, y compris dans le contexte des

migrations, sont des thèmes essentiels pour le développement durable

d’une société mobile, multiculturelle, équilibrée.

Ma conclusion sera donc simple : sur ces sujets essentiels comme sur

d’autres, la coopération entre nous est naturelle et fructueuse.

Elle l’est pour le Comité, parce que vous nous sensibilisez davantage et en

détail à une dimension essentielle de la société européenne.

Elle l’est également pour vos organisations, car le Comité vous offre une

enceinte unique de synthèse qui vous permet de présenter, de discuter et

de diffuser vos analyses et vos propositions dans l’intérêt commun.

Au nom du Comité Économique et Social et en mon nom propre, je vous

souhaite donc, non seulement la bienvenue chez nous, mais le plus grand

succès au résultat de ces travaux.

- 12 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Préambule 3

CONSTANTIN FOTAKIS

Monsieur le Président du CES, Monsieur le Président de la COFACE,

Chers représentants des Etats membres, j’aimerais remercier les

organisateurs de l’occasion qu’ils me donnent aujourd’hui, de

partager avec vous mon expérience et suis également heureux de

prendre connaissance de ce qui a été élaboré sur ces sujets très

importants qui touchent à l'inclusion sociale des familles migrantes.

J’aimerai ici, mettre l’accent sur les intérêts spécifiques sur lesquels

nous nous concentrons. La Commission Européenne considère la

famille comme une pierre angulaire de la société actuelle, dans nos

pays, même si elle ne dispose pas d'une compétence légale spécifique

pour développer des politiques dans le domaine de la famille. Ainsi, la

famille et les questions familiales sont, aux yeux de la Commission,

intrinsèquement liées aux politiques sociales européennes telles que

la Stratégie Européenne pour l'Emploi ou la Stratégie Européenne

d'Inclusion Sociale.

C’est la raison pour laquelle d'année en année la Commission accorde

une place grandissante à la dimension familiale dans la définition de

ses orientations politiques. Si je peux me permettre de résumer la

question familiale, nos sociétés d’aujourd’hui se trouvent face à un

paradoxe : d’un côté, nos sociétés mettent de plus en plus l’accent

sur l’importance de la famille mais, en même temps, nous sommes

les témoins d’une réelle transformation de ce concept de la famille et

cette transformation conduit à ce que la famille n’est peut-être plus

capable d’apporter tout ce qu’elle apportait auparavant à ses

membres. Nous faisons face également à un vieillissement certain de

la population européenne et ceci représente un réel fardeau pour les

familles, parce que ce sont les familles qui, en tout premier lieu,

prennent soin des personnes âgées. Les familles ne se concentrent

pas uniquement sur leurs enfants mais s’occupent également de leurs

parents, des personnes âgées.

Pendant ces 50 dernières années, l’accent a été mis sur la

participation des femmes à la vie sociale et à la vie économique de

nos pays. Le rôle des femmes a donc été profondément modifié et

nous devons faire face à ce nouveau défi. Un défi qui s’adresse à la

- 13 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

fois à la population féminine mais également à nous tous, puisque le

rôle des femmes qui change au sein de la société a également un

impact direct sur le rôle qu’elles jouent au sein de leur famille. Les

hommes sont en conséquence également concernés.

Nous faisons face également à un autre phénomène : de plus en plus

de jeunes, aujourd’hui, en Europe, demeurent chez leurs parents, au

foyer familial qu’ils quittent de plus en plus tard. En Italie par

exemple, 50% des jeunes hommes et des jeunes femmes de plus de

30 ans vivent encore avec leurs parents, ce qui veut dire que le

soutien parental financier entre autres est encore lourd pour ces

familles et ceci a des conséquences directes sur l’emploi des parents.

Le fait que ces jeunes restent chez leurs parents, bien entendu, leur

évite d’être exclus de la société. Mais ce n’est pas sans conséquences

sur le marché de l’emploi. Nous pensons, en ce sens, qu’il serait utile

de conduire davantage de recherches sur la famille et sur ces jeunes

qui demeurent de plus en plus longtemps chez leurs parents et sur les

conséquences qu’il faut tirer de cette tendance de société.

Nous faisons face ainsi à un nouveau type de famille. Nous avons un

âge moyen du premier mariage qui ne cesse d’augmenter, nous

avons également un taux de divorce qui ne cesse d’augmenter

surtout au sein des pays très développés. Nous devons également

constater un nombre croissant d’enfants nés hors mariages, de

nouvelles formes de familles, des familles monoparentales, des

familles hors mariage, des familles recomposées, à l’instar des pays

scandinaves où plus de 45% des enfants sont nés hors mariage.

De nouveaux types de familles émergent au sein des 15, mais aussi

de nouveaux types de familles migrantes, sur lesquelles nous devons

également nous pencher puisqu’elles vivent en Europe. Ces familles

ont des cultures différentes, des habitudes différentes, des us et

coutumes différents.

Etant donné le vieillissement de la population européenne, nous

pensons qu’il nous faut davantage nous pencher sur ces questions de

la migration. Ce n’est pas uniquement davantage de main d’œuvre

pour les 15 ; c’est aussi une question liée au vieillissement de la

population. En période de croissance économique par exemple, on se

rend compte que les pays qui ne disposent pas de ressources

humaines suffisantes perdent un réel potentiel de croissance. Lorsque

la croissance est là, il faut en profiter au maximum, parce qu’elle

- 14 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

n’est pas éternelle, et qu’on risque toujours de faire face à une

récession.

C’est la raison pour laquelle je pense que l’étude qui est présentée est

très intéressante parce qu’elle explore un domaine particulièrement

utile, un domaine qui nous permettra à l’avenir de mieux sculpter et

de mieux modeler notre politique de migrations au niveau

communautaire.

A l'issu du sommet de Thessalonique, en Grèce, qui s’est concentré

sur ces questions, le Conseil Européen a invité la Commission à

présenter un rapport annuel sur l'immigration et l'intégration en

Europe. Ce rapport sera publié en Juin 2004 et nous serions très

heureux que les résultats de cette action contribuent à enrichir les

travaux qui y sont présentés.

- 15 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Préambule 4

STEEN MOGENS LASSON

Tout d’abord, une brève présentation de la Confédération des

Organisations Familiales de la Communauté Européenne (COFACE1).

En tant que porte-parole des organismes de famille auprès de l’Union

Européenne, la COFACE tâche de favoriser la dimension de la famille dans

les politiques de la Communauté. Constituée en 1958 en Comité d'Action

Européenne au sein de l'Union Internationale des Organismes Familiaux

(UIOF), la COFACE a acquis progressivement son autonomie. En 1979, elle

a pris le statut d'une association internationale sans but lucratif, sous le

nom de la Confédération des Organisations Familiales de la Communauté

Européenne et à présent, de l'Union Européenne. C’est une organisation

qui rassemble des organisations familiales nationales à caractère général

ou organisées autour d'un intérêt familial spécifique. Elle compte à ce jour

70 organisations réparties dans 14 Etats membres de l'Union européenne.

Elle représente ainsi plusieurs millions de parents et d'enfants.

De nombreuses décisions prises au niveau européen touchent directement

les familles et les enfants. C'est le cas dans le domaine économique et

social et aussi dans beaucoup d'autres domaines importants tels que la vie

des familles, la consommation et l'environnement, l'éducation, le

handicap, le logement, la santé et le développement rural. La liste n'est

pas exhaustive.

L'incidence des politiques européennes sur les familles et les enfants est

telle que l'élaboration progressive d'une politique familiale et de l'enfance

européenne s'impose. Cette politique peut se définir comme étant la

dimension familiale et de l'enfance à donner aux politiques économique,

sociale et culturelle développées au niveau européen.

Pour promouvoir une telle politique, la COFACE agit dans trois directions

complémentaires : elle est, comme porte-parole des organisations

familiales, l'interlocuteur des instances européennes dans tous les secteurs

où les droits et les intérêts des familles et des enfants sont impliqués ; elle

informe les organisations nationales des développements de l'Union

européenne et encourage une prise de conscience européenne ; elle

organise des échanges d'idées et d'expériences et une entraide entre les

organisations familiales des divers pays. L'action de la COFACE a contribué

au développement de la politique européenne dans des secteurs comme la

défense des intérêts des consommateurs, la protection sociale, la lutte

contre l'exclusion sociale et la discrimination, les programmes d'aide aux

1 [Note de la rédaction : http://…: www.coface-eu.org]

- 16 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

personnes handicapées, de promotion de la santé et de l'éducation. Ainsi,

la politique familiale et de l'enfance prend progressivement place dans le

champ d'action européen. La COFACE entend poursuivre son travail dans ce

sens. En outre, elle élargit son action aux pays qui envisagent de rejoindre

l'Union Européenne. Des contacts sont entretenus avec les pays d'Europe

centrale et orientale qui s'associent à l'UE. Les statuts de la COFACE

encouragent ces développements. La COFACE entend intensifier sa

collaboration avec les institutions européennes et leur demande de prévoir

un fondement juridique incontestable de la politique familiale et de

l'enfance européenne dans le Traité de l'Union ; d'être consultée dans tous

les secteurs où la dimension familiale et de l'enfance des politiques

européennes est impliquée; d'organiser chaque année une réunion du

Conseil des ministres ayant la politique familiale et de l'enfance dans leurs

attributions.

Cette mission n'est certainement pas la première que la COFACE a menée

sur les questions de la migration et les questions des usages du temps,

mais c'est la première fois que les deux thèmes sont articulés ensemble. Ce

qui constitue une expérience très originale et stimulante pour une

organisation de familles. La préoccupation n'a jamais été absente de nos

esprits et dans les années 80, la COFACE avait déjà installé un groupe de

travail sur les familles migrantes et réalisé une étude extrêmement

importante, qui a été fortement appréciée par la Commission Européenne.

Nous avons examiné l'exécution de la directive 1977 concernant la

scolarisation des enfants migrants en mettant l’accent sur les aspects

positifs mais, également, sur les imperfections de la mise en application de

la directive par les Etats membres. Plusieurs, en effet, éprouvaient

quelques difficultés, notamment avec la diffusion simultanée de la langue

du pays d'accueil et de la langue d'origine. Bien que cette directive ne

concerne que les ressortissants des Etats membres, elle avait une portée

évidente en direction des migrants de pays tiers.

Dans les années 90, nous avons continué à étudier les problèmes liés aux

dimensions familiales des migrations et avons fait bon accueil à l'idée d'une

directive européenne concernant le regroupement familial. Nous avons

organisé une conférence en 1995 sur cette question et avons discuté ses

conclusions à notre Conseil d’administration, insistant sur le besoin des

migrants de vivre en famille. Nous sommes également devenus membre

de la coordination européenne pour le droit des étrangers de vivre en

famille (www.coordeurop.org). Ainsi les thèmes de la conférence et du

rapport ne sont pas inconnus à la COFACE.

Pour ce qui concerne les usages du temps, les organismes européens qui

représentent les familles soulignent fréquemment l'importance de cette

question. De plus, la COFACE met l’accent pour définir les besoins de toutes

- 17 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les familles sur trois aspects : les familles ont besoin de ressources

financières, de services et de temps. Ces trois aspects permet de

synthétiser la politique de la famille et chacun des trois éléments a reçu un

traitement spécifique au niveau de l’Union : l'aspect temporel a donné lieu

entre autres à une directive européenne concernant le congé parental en

1996.

La COFACE avait incité dés 1983 à l'adoption d'une telle directive mais son

ébauche a été bloquée pendant plus de dix années par un Etat membre et

seulement adoptée en 1996 grâce à un changement de gouvernement et à

l'exécution du Traité de Maastricht qui prévoyait la négociation collective

entre les partenaires sociaux au niveau de l’Union.

Bien que la directive ne soit pas parfaite en raison de son manque de

disposition en matière d’aide financière accordée aux parents prenant le

congé en vue d’accompagner leurs enfants, c'est une étape très importante

pour les familles européennes en termes de traduction de l’idée selon

laquelle l’Union prend réellement des mesures en faveur de ses citoyens. Le

rôle de la COFACE a d’ailleurs été décisif dans l’adoption de cette directive.

En somme, les migrations et les usages sociaux du temps ne sont pas des

sujets inédits pour nous quoique demeure, dans ces deux domaines,

beaucoup à faire au niveau de l’Union.

Nous pouvons découvrir de nouvelles perspectives en étudiant le rapport

entre les deux axes, au niveau de l’Union comme au niveau national. D’où

l’intérêt particulier de cette mission engagée dans le cadre d’une

convention avec la Commission Européenne.

Nous espérons que les lecteurs apprécieront.

- 18 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

INTRODUCTION GÉNÉRALE : SYNTHÈSE — PRÉCONISATIONS

Luc-Henry CHOQUET

1 — Introduction

Cette rencontre d’équipes provenant de quatre pays a été organisée

conventionnellement par la COFACE et la DG Emploi et Affaires sociales de

la Commission, dans le cadre d’un programme d’actions, d’analyses et de

recherches sur la situation sociale, la démographie et la famille.

L’objet était d’indiquer des pistes en matière de méthodologies d'analyse

et de développement d’indicateurs concernant la situation sociale en

Europe dans deux domaines, les usages sociaux des temps et les

migrations, en mettant tout particulièrement l’accent sur trois points :

- une meilleure prise en compte de la dimension familiale,

- une meilleure prise en compte de la vision subjective des individus, de

leur qualité de vie,

- un souci d’expérimentation de nouvelles pratiques démocratiques basées

sur la participation.

Le travail en commun était conduit, en vue de la tenue d’une conférence

européenne et de la réalisation d’un rapport sur ces deux thèmes en

mettant l’accent sur ces points. L’objectif était donc de nature

méthodologique renvoyant à des questionnements multiples sur les

approches, les catégories , les variables, à partir des contextes nationaux

des quatre pays européens (Belgique, Finlande, France, Grèce) et, en

conséquence, à travers les avancées législatives récentes et les

controverses politiques et scientifiques sur les deux thèmes.

Néanmoins, l’objectif ne pouvait pas être atteint sans une interrogation

des pratiques d’observation et de recueils statistiques et qualitatifs en

matière d’immigration et d’usages sociaux des temps. En effet, notre

objet ne pouvait être cantonné à un état des lieux détaillant la nature des

recueils en la matière.

Partant, nous avons tenu à souligner les avantages à tirer de la prise en

compte de facteurs précédemment ignorés ou laissés dans une sorte

d’invisibilité, dans les trois dimensions qui fondaient la pertinence du

projet : la dimension familiale, la vision subjective des individus, la

facilitation de leur participation.

De plus, cette analyse a pu avantageusement prendre en considération la

diversité des expériences nationales concernant les thèmes choisis et

- 19 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

utiliser l’effet propre à la dimension comparative quand elle combine

heureusement le dépaysement et le rapprochement. Néanmoins, il y avait

là plusieurs difficultés dont il faut prendre, d’emblée, la mesure.

2 — Les difficultés du projet

2.1 — Les difficultés de l’approche comparative.

2.1.1 - Les institutions européennes ont installé les comparaisons

internationales comme un point de passage obligé de la recherche dans

les domaines économique et social. Mais plusieurs exemples ont rendu

perceptible la difficulté de ces comparaisons. Parmi eux, on peut citer le

rapport de 1999 intitulé Au-delà de l’emploi, qui explorait en détail ces

questions1.

Lorsqu’on se place, en effet, au niveau requis par l’analyse des situations

concrètes, par les catégories d’analyses, des problématiques qui

paraissaient à première vue semblables, voisines ou, au moins,

comparables, se révèlent fréquemment disparates. On illustrera ce point

d’un seul exemple, en considérant les situations nationales sur le plan de

l’immigration qui sont très différentes.

Evolution 19702000 et 199019952000

Immigrés 1970-2000Evolution

1990199520002

Stock Proportion Stock Proportion Proportion Proportion

2000 1970 1970-2000 1995-2000/1990-1995

En millier % En millier % % Millier/millier = %

Belgique 879 8.58 680 7.04 22 65/85 = 0.76

Finlande 134 2.59 32 0.70 271 21/43 = 0.49

France 6277 10.60 5210 10.26 3 194/361= 0.54

Grèce 534 5.04 90 1.02 394 173/265 = 0.65

Un. Eur. 25673 7.02 14232 4.18 68 2959/5234 = 0.57

Source : O.N.U. et Eurostat

La Finlande est un pays d’immigration peu nombreuse, récente et

composée de personnes d’origine finlandaise, justement, ayant émigré

précédemment dans les Etats de l’ancienne Union soviétique. En Grèce,

pays fortement attracteur, la perspective à un peu plus de dix ans est de

25 % de la population résidente issue de l’immigration en majeure partie

d’origine albanaise. Très différemment, la France et la Belgique sont

1 Supiot (A.), Au delà de l'emploi : transformation du travail et devenir du droit du travailen Europe, Flammarion, 1999.2 Quotient entre le nombre d’immigrés entre 1995 et 2000 et le nombre d’immigrésentre 1990 et 1995

- 20 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

traditionnellement des pays d’immigration où la présence d’une population

immigrée demeure assez stable, de l’ordre de 7,5 % de la population

totale pour la France.

Face à cette variété, il faut se garder d’adopter des attitudes extrêmes :

- la première serait de s’en tenir aux écarts et de s’interdire les

rapprochements utiles pour penser dans l’espace communautaire ces deux

questions de l’usage des temps et des migrations ;

- la seconde serait à l’opposé de ne pas prendre en considération ces

disparités et de proposer des réflexions méthodologiques qui nivelleraient

ou gommeraient totalement les situations nationales.

Notre projet, en ce sens, entendait se situer à l’opposé d’un Procuste, ce

célèbre brigand de la mythologie, qui arrêtait les voyageurs et les

attachait, les grands sur un petit lit et les petits, sur un grand lit, coupant

ensuite les membres qui dépassaient et étirant ceux qui étaient trop

courts.

En réalité, des problématiques ont pu être dans les quatre Etats membres

saisies de façon transversale et elles ont été classées à partir d’axes sur

lesquels nous reviendrons.

2.1.2 – Ces différences ont pu peser dans le déroulement du travail dans

la mesure où la convergence entre les termes ne correspondait pas

toujours à une identité des procédures et dans la mesure où la substance

en était différente.

Le rapprochement entre les différents pays permettait de cerner, de façon

comparative, les divers concepts utilisés pour établir les enquêtes et les

données statistiques relatives à la population étrangère ou plus

généralement aux populations issues de l'immigration.

Pour cerner le ou les concepts les plus utilisés pour identifier ces

populations, notons que les quatre pays retiennent le critère de

"nationalité" pour définir leur concept de "population étrangère". Mais on

ne peut parler d'harmonisation entre eux car le concept est variable et

peu adapté pour décrire la réalité actuelle et l'écart entre le nombre de

personnes de nationalité étrangère et celui des personnes issues plus ou

moins directement de l'immigration s'agrandit.

La dénomination "population étrangère" est utilisée par les quatre mais

trois seulement utilisent la dénomination "population née à l'étranger". Le

critère permettant d'identifier cette population est le "pays de naissance"

et la Grèce ne dispose pas de tabulations concernant la population

ventilée selon le pays de naissance.

Mais les personnes, nées à l'étranger de parents qui sont nationaux et nés

dans le pays, sont comprises et les personnes, de nationalité étrangère

des seconde et troisième générations qui sont nées dans le pays, sont

exclues.

La France affine le concept en définissant le concept de population

immigrée par la combinaison des critères de "nationalité", de "lieu de

- 21 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

naissance", qui conduise à appeler “immigrés” les personnes nées à

l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité étrangère et

résidant en France depuis un an au moins, en bref, les “résidents nés

étrangers à l'étranger”. En France, est immigrée une personne née hors

de France, qui a une nationalité étrangère ou est devenue française. Le

tableau suivant résume la situation de l'usage dans les pays :

* : dénomination utilisée

— : non utilisée

Source : Eurostat

Le rapport intermédiaire avait déjà rendu compte du débat récurrent en

France sur l’usage de catégories "ethniques", dans la statistique publique,

débat qui mêle des aspects politiques, idéologiques et scientifiques et qui

rebondit de deux façons :

- avec l’introduction de réflexions sur la pertinence de l’auto-

déclaration des personnes ;

- avec l’interrogation sur la pertinence, en matière d'intégration, du critère

juridique de la nationalité par rapport à l'histoire des flux migratoires qui

réclamerait d'appliquer des modèles statistiques d’âge d’entrée, de date

d’entrée (cohortes) et de durée de séjour.

2.1.3 - Une autre difficulté de l’approche comparative a résulté du fait que

le groupe des pays représentés ne comprenait que quatre des Etats

membres de l’Union et que l’exemple anglo-saxon n’était pas représenté.

Le groupe, de façon délibérée, n’a pas tenté de prendre en compte la

situation des pays non représentés en son sein, car il n’était pas possible

dans les délais impartis de l’envisager sérieusement et de façon

suffisamment systématique et détaillée. Cela explique que la conférence

et le rapport sont exclusivement composés des analyses et des

informations communiquées par les membres des quatre groupes sur

chacune des situations nationales. Le vœu des membres demeurant que

- 22 -

Terme B Fin F G

“population étrangère” * * * *

“population née à

l'étranger”

* * * —

“immigré ” — * * —

“2d et 3ème génération” — — * —

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les orientations proposées par le rapport permettent, simplement mais

nettement, d’ouvrir un débat sur l’enrichissement des approches dans les

domaines des temps et des migrations, à travers une prise en compte

plus intensive et plus compréhensive, autrement dit, à l’instar de ce que

proposait Max Weber, en se penchant sur l'appréciation subjective que les

acteurs sociaux se font de la réalité et au sens qu’ils donnent à leur

action.

2.2 — Difficultés, enfin, liées à l’ampleur des thèmes. Les aspects de la

réalité sociale sur lesquels nous avons engagé la réflexion expriment un

état de la société, dans ses dimensions sociologique, économique,

juridique, politique et culturelle. Partant, il n’était pas possible de réfléchir

à des préconisations orientées à partir des objectifs indiqués, dont la

dimension familiale ou subjective, sans les rapporter à l’évolution des

pratiques, en matière législative et sans prendre en considération les

débats et les controverses récentes. D’où la nécessité d’un partage des

connaissances qui a conduit au rapport intermédiaire qui précisait ces

questions. Mais, pour être fructueux, ce partage devait se préserver d’une

trop forte réduction, autrement dit, d’un écrêtage des disparités entre les

situations nationales ou, a contrario, d’une hypertrophie des différences,

bref, du risque de l’abstraction ou de la prolifération des phénomènes

étudiés.

3 — L’impératif de méthode

Face à ces difficultés, nous ne pouvions qu’être amenés à adopter une

certaine prudence, dans les orientations de notre travail et dans la

formulation de ses résultats. Nous ne pouvions apporter des réponses très

amples aux problèmes soulevés. Le mieux auquel nous sommes parvenus

pour inciter à la prise en considération d’informations plus qualitatives

liées à la prise en compte de la dimension familiale, à la vision subjective

des individus de leur qualité de vie, au souci d’expérimenter de nouvelles

pratiques basées sur la participation, a consisté à tenter de croiser, autant

que faire se pouvait, nos sources nationales, à les soumettre à la

discussion et à la critique.

Cet impératif de méthode a guidé l’organisation de nos travaux. Ceux-ci

ont principalement consisté à partir des comparaisons et des

confrontations en une réflexion de nature prospective conduite parmi

notre groupe qui a sollicité, tout au long de la mission, les avis d’un large

éventail d’experts extérieurs représentatifs des institutions de la

recherche, de la statistique et des affaires sociales des quatre partenaires.

Cette approche family and subjective friendly, des deux questions de

l’usage des temps et des migrations a bénéficié de l’effort du groupe de

replacer dans leur contexte ces questions. Le relevé des points de vue

- 23 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

sociaux, institutionnels et culturels permettant de poser des liens entre les

représentations de ces questions et les propositions affichées.

Toutefois, nous avons peiné à trouver, malgré cet effort de replacement

dans leur contexte, une présentation des résultats où l’éventail des

différences pouvait apparaître d’une façon maîtrisée. Il faut y voir l’effet

du décalage entre le temps nécessaire à une telle investigation et le délai

relativement court qui nous était imparti.

Néanmoins, les résultats doivent, à coup sûr, leurs intérêts au caractère

collectif des réflexions du groupe qu’ils traduisent. Nourris des échanges

réalisés et confrontés à la pluralité des expertises qui ont accompagné le

déroulement des réunions, ils ont permis de formuler les considérations et

les recommandations qui ont été d’ores et déjà présentées de façon plus

ou moins diffuses et foisonnantes dans les contributions belge, finlandaise,

française et grecque.

On peut souligner d’ores et déjà quelques mérites comme celui de

commencer à rassembler des éléments de comparaison de la question des

migrations, des analyses comparatives ponctuelles, des éléments

d’enquêtes fragmentaires de ces systèmes, d'offrir en quelques points

soumis à la discussion une esquisse d’examen du temps des migrants,

notamment des personnes non régularisées dites “sans papiers”, que les

évolutions des techniques d’enquête n’ont pas rendu moins opaque, afin

d'appuyer certaines des orientations proposées sur son observation.

Dans un premier temps, à l’issue de réunions du groupe de pilotage et

d’un séminaire européen, un rapport intermédiaire a été produit auprès de

la Commission dont chacune des contributions présentait l’architecture

suivante :

1 ère partie : Usage des temps a- Les problématiques récentes et leur actualisation législativeb- Les débats scientifiques et statistiquesc- L’analyse de la manière dont la question du temps est instruite dans lesappareils statistiques nationaux et les manques dans les croisementsstatistiques actuels concernant les usages des temps dans la famille

2 ème partie : Migrations a- la législation en matière de nationalitéb- les principaux débats politiques, idéologiques et scientifiquesc- les distinctions immigrés, étrangers, réfugiés, demandeurs d’asile,…d- les manques dans les croisements statistiques entre les variablesrelatives aux étrangers, immigrés,…, et les variables relatives à la famille

La deuxième phase a abouti à la Conférence européenne, au Comité

économique et social européen, à Bruxelles, les 12 - 13 Janvier 2004,

dont le présent rapport présente les actes complétés de quelques

contributions rédigées par des experts absent lors de la conférence.

En réalité, il est frappant que les membres du groupe et les experts se

soient attachés à des évaluations méthodologiques des enquêtes budget-

- 24 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

temps et des approches statistiques de la question migratoire pour

proposer des inflexions qui situent clairement leur contribution au débat

sur les approches statistiques européennes de ces questions.

Ces choix procédaient de la conviction que notre époque tend à mettre au

premier plan la question du partage des temps sociaux entre homme et

femme et, ce faisant, la question de l’égalité, qui a vocation plus loin à

prendre en considération la question des droits et de la qualité de vie des

migrants.

Ces choix appelaient la formulation de recommandations d’un point de vue

épistémologique. Nous voudrions nous arrêter à quelques unes de ces

suggestions en traitant successivement des enquêtes temps et des

approches statistiques du temps des migrants. Le lecteur y trouvera des

renvois aux chapitres suivants.

4 — L’approche des temps sociaux

4.1 – L’approche des temps sociaux est une question d’actualité que le

groupe au cours de l’ensemble de la mission a souhaité, en vue de

souligner la dimension familiale et subjective des individus, envisager

dans son inflexion en termes d’arrangement entre hommes et femmes.

Le constat de base est que les transformations actuelles des formes de vie

introduisent fréquemment des nouveaux partages qui peuvent

s’additionner aux facteurs de discrimination qui trouvaient leur origine

dans les modes de vie traditionnels dont l'organisation du travail et, en

réalité, les réelles évolutions juridiques et le mainstream laissent

échapper malgré cela des facteurs réels de discrimination nés de la

division sexuelle du travail et de la répartition des tâches domestiques

auxquelles contribuent les disparités salariales et la plus grande flexi-

bilisation des horaires...

L’angle d’attaque de l’approche des temps sociaux a longtemps considéré

la “déstructuration” de la vie familiale par les conditions de travail avant

d’examiner la contrainte issue de la vie privée elle-même.

Aujourd’hui, on commence à observer d'un pays à l'autre les différences

attachées aux caractéristiques des situations de travail, de statuts

d'emploi ou aux décalages d'une catégorie à l'autre et aux contraintes

issues de la vie privée. L’analyse des contextes économiques, sociaux,

institutionnels et culturels permet de faire le lien entre les conceptions, les

enjeux des politiques du temps et les préférences affichées.

Par exemple, dès lors que les femmes sont nombreuses sur le marché du

travail, à plein temps dans le cas de la Finlande ou de la France, elles ont

de plus en plus de difficultés à assumer à la fois le travail et les tâches

domestiques et éducatives. Ce qui soulève le problème du partage des

rôles entre les hommes et les femmes et conduit à la mise en cause des

arrangements entre les sexes qui s’étaient construits jusqu’à la période

- 25 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

précédente et pose nettement la question de la conciliation entre vie

professionnelle, vie personnelle et vie familiale.

On voit noté que « finalement, là ou l’Europe a eu un rôle vraiment

moteur, c’est en matière d’égalité de traitement entre femmes et

hommes, le modèle des pays du Sud étant contraint de s’aligner sur celui

des pays du Nord1». Les experts retiennent essentiellement le signifiant

(“l’égalité”), renvoient aux directives2 qui en réalisent la promotion pour

en faire plus ou moins la paraphrase, confortant une sorte « de vision,

faite norme, de la “bonne” politique économique3”.

Mais, ce faisant, le levier dans l’évolution des arrangements entre les

sexes que peut constituer la possibilité qu’ont les hommes et les femmes

de réaliser un équilibre entre leur carrière professionnelle et leur vie

familiale demeure peu relevé. La conciliation entre vie professionnelle, vie

familiale et vie personnelle n’est alors pas tant conçue dans son impact

sur la qualité de vie des familles que confinée à son rôle de contributeur à

l’œuvre d’ensemble des stratégies visant à relever les taux d’emploi4. En

réalité, les conditions de partage des tâches entre hommes et femmes

sont médiocres et personne n’en doute. Mais quels éléments apporter au

dossier et comment le montrer ? (Cf. infra Première partie).

4.2 – Des données provenant d’enquêtes nationales sur l'utilisation du

temps ont conduit à des estimations (un échantillon représentatif

d'individus a répondu à des questions relatives à leur propre personne et

au ménage et rempli un agenda de leurs activités au cours d'un jour de

semaine et d'un jour de week-end, répartis sur l'ensemble de l'année ; les

activités ont été codées). Des tableaux de base indiquant le temps moyen

journalier et le taux de participation pour différentes activités ont été

établis et mis à disposition sous une forme publiée par Eurostat5

Le premier objectif d’Eurostat, dés le début des années 1990, a été de

disposer des outils statistiques nécessaires à fournir des données

1 Cf. Chassard (Y.), "Un modèle social européen par défaut", in Dehove (M.), Lenouvel état de l'Europe, La découverte, Paris, 2004 (à paraître).2 Cf. Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise enœuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce quiconcerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et lesconditions de travail [Journal officiel L 39 du 14.02.1976], modifiée par la Directive2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 [Journalofficiel L269 du 5.10.2002].3 Cf . Lordon (F.), « La métamorphose de la politique économique », La Lettre de laRégulation, n°18, Septembre 1996.4 Cf. Rapport de la commission au conseil, au parlement européen, au comitééconomique et social européen et au comité des Régions - Rapport sur l’égalitéentre les femmes et les hommes, 2004. http://europa.eu.int/comm/employment_social/equ_opp/index_fr.htm5 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), “Comment les femmes et les hommes utilisent leurtemps”, Eurostat-Statistiques en bref, décembre 2003 ; Time use at differentstages of life - Results from 13 European countries, Eurostat, July 2003.

- 26 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

comparables, utiles à l’élaboration et à la formulation de la politique

sociale communautaire. Partant, l’effort a porté sur la production et

l’intégration de données issues des sources nationales pour produire des

indicateurs spécifiques pour les besoins communautaires : l’intégration

statistique passant par l’harmonisation et la coordination des procédures.

Concrètement, comme Delphine Nivière l’illustre en s’intéressant au projet

européen de statistiques sur les revenus et les conditions de vie

(European Statistics on Income and Living Conditions – EU-SILC), la

construction d’une nouvelle opération statistique européenne voit les

représentants nationaux assister aux réunions du groupe de travail

européen et représenter les indicateurs statistiques, le délégué national

faisant l’aller-retour entre son institut national et Eurostat, transportant

de l’un à l’autre les variables-cible européennes et les variables

nationales, la base de données nationales se trouvant traduite et

transférée jusqu’au tableau final des indicateurs1.

Parfois, la conception de la version européenne de la nomenclature utile à

coder les activités demeure marquée par des représentations particulières

et comme telle teintée d’arbitraire. Mais la force de telle nomenclature

réside sans doute, écrit Annick Kieffer, « dans [leur] usage dans des

études quantitatives, permettant d’établir des comparaisons directes de

mesures (par exemple de l’évolution des inégalités sociales d’éducation)

dans le temps et entre les pays », ajoutant que la position de fait

relativiste des nomenclatures pragmatiques, comme la PCS française2,

freine leur utilisation dans les travaux qui mobilisent des données issues

d’un grand nombre de pays : « [les nomenclatures pragmatiques] sont

vouées à un destin national. »3

Par exemple, pour aboutir à une liste d’indicateurs fondés sur des

variables déjà produites par les États membres en matière de

nomenclatures nationales d’emploi et de profession4, l’universitaire P. Elias

(Warwick) qui avait participé à la conception de la nouvelle nomenclature

britannique a été chargé par Eurostat de la conception de la version

1 cf. infra, Première partie, Chap. 3 dont on pourra trouver une version pluscomplète dans Nivière (D.), Chiffres européens en construction - La naissance destatistiques européennes sur les revenus et les conditions de vie, Ecole NormaleSupérieure et Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, octobre 2003. Pourune approche plus détaillée des statistiques européennes sur les revenus et lesconditions de vie, European Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC), 2 La nomenclature française des catégories socio-professionnelles peut être dite“pragmatique” dans la mesure où elle fournit davantage une topographie socialequ’une échelle hiérarchisée, dans la mesure où ses libellés renvoient aux mots enusage dans la profession, combinant les dénominations issues des descriptions desagents eux-mêmes, des dispositions légales relevant du droit ou des conventionscollectives.3 Cf. Kieffer (A.), « Catégorisation statistique et harmonisation européenne :l’exemple des catégories socioprofessionnelles », Correspondances, n° 64-65,janvier-avril 2001. 4 Cf. unstats.un.org/unsd/statcom/doc99/11-f.pdf et /doc00/2000-14f.pdf

- 27 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

européenne de la nomenclature des professions (CITP88.Com) qui, ce

faisant, demeure marquée par la représentation hiérarchisée de la société,

d’origine britannique.

Que la nomenclature soit arbitraire par l’origine institutionnelle ou le

pragmatisme de sa confection, la nécessité demeure de récupérer les

formes juridiques, institutionnelles et sociales qui donnent sens aux

termes communs et permettent d’interpréter les divergences

terminologiques et, ce faisant, les variations.

4.3 – Les travaux de 2002 et 2003 d’Eurostat publiés dans Statistiques en

bref donnent à propos des manières des femmes et des hommes d'utiliser

leur temps, des résultats pour 10 puis 13 pays européens1. Cette

comparaison européenne est ainsi une comparaison de résultats issus

d’enquêtes nationales, et non pas le retraitement d’une base de données

agrégées, dont les champs et les procédures d’enquête sont encore

suffisamment différents pour qu’on les tienne pour des limites au

commentaire des tableaux comparatifs. De plus, le niveau de résolution

des comparaisons dépend de la construction de la nomenclature,

autrement dit d’une partition en types d’activité. Celle-ci peut témoigner

de cette similitude de mode de vie et rend possible le rapprochement des

durées moyennes consacrées à chaque type d’activité consommatrices de

temps journalier, mais sa pertinence sociologique et pratique se pose

lorsque l’indicateur mentionné du « pourcentage journalier de personnes

ayant pratiqué l’activité considérée » se révèle variable, voire mince.

Dans ce cas là, la relative absence de problématisation des résultats à

l’entrée, au-delà du mot d’ordre certes utiles de l’égalité2, se double d’un

fort préjugé de continuité et de comparabilité qui rapprochent des

situations sans doute dissemblables.

« Choisir de rechercher l’homogénéité formelle des codes, écrivait Pierre

Bourdieu et Alain Darbel, [c’est] courir le danger, inhérent à toute

comparaison d’indices abstraits et faussement interchangeables, de

comparer des faits formellement comparables mais réellement

incomparables et, inversement, d’omettre des faits formellement

incomparables mais réellement comparables »3.

Toutefois, il y a une justification à cette sorte de coup de force qui serait

une orientation « action » de la comparaison qui, comme nous l’a signalé

un expert français, peut trouver son sens dans la distinction entre enquête

1 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), op. cit.2 « La répartition du travail rémunéré et du travail domestique selon le sexe diffèreconsidérablement ; Les différences dans l'utilisation du temps par les femmes etles hommes sont plus importantes au sein des ménages avec enfants » Cf. Aliaga(C.), Winqvist (K.), op. cit.3 Cf. Bourdieu (P.), Darbel (A.), L’amour de l’art, Les éditions de minuit, collection« le sens commun », Paris, 1966.

- 28 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

statistique « d’interpellation » et enquête « d’interprétation des

données »1.

Mais l’articulation entre les deux approches, qui tente de répondre aux

limites des enquêtes statistiques, n’est pas toujours satisfaisante. En

vérité, la reconstitution des éléments de contexte indispensables à

l’interprétation des « données » prélevées sur les unités statistiques

interrogées est reportée très en aval et est rarement réalisée.

L’explication des similitudes et des différences observées, faute de

disposer des informations permettant d’en reconstituer les cohérences, ne

permet pas d’assurer la consolidation de l’ensemble et il demeure, en

conséquence difficile « d’interpréter les données» des enquêtes

« d’interpellation » (cf. infra première partie, Chap. 1 et 2).

4.4 – Dans un autre exemple de statistique européenne, les ambitions des

collections et de l'étalonnage, à partir de l’utilisation sélective du taux

d’emploi plutôt que de celui du chômage dans la stratégie européenne

pour l’emploi (SEE), culminent souvent finalement dans une méthode de

score qui voit les pays classés par ordre le long d'une batterie

d'indicateurs : « Comme il est impossible de sérieusement rapporter les

1 Cf. Gomel (B.), Défense et illustration d'une approche de l'évaluation, Documentdu Centre ‘Etudes de l’Emploi, 03/01, janvier 2003, disponible sur http…cee-recherche.fr/fr/fiches_chercheurs/texte_pdf/gomel/BGsemeval03.pdf.

- 29 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

écarts de score à des pratiques précises à imiter - et comme le Centre ne

dispose d'aucun pouvoir, ni de l'information nécessaire pour orienter les

choix, le soin de découvrir les règles aptes à améliorer les politiques, au

regard de leurs performances, est laissé aux Etats membres. La porte est

ouverte à une dégénérescence instrumentale de la méthode1» La

démonstration de Robert Salais vaut mutatis mutandis, dans l’exemple qui

nous intéresse : Loin de conduire à mieux concevoir jusqu’à quel point et

pourquoi les hommes et les femmes ne se retrouvent pas dans des rôles

plus symétriques, en famille et sur les lieux de travail (comme pourrait le

laisser supposer le rapprochement des temps), la statistique reste plus

orientée, mainstream oblige, vers son aspect formel (d’égalité hommes-

femmes) et incite à se consacrer à un alignement des traductions

temporelles de l’activité quotidienne. S’est trouve retardé, ce faisant, son

apport au questionnement des dimensions familiales et de qualité de vie

des individus à travers la question de la conciliation entre vie

professionnelle, vie familiale et vie personnelle et celle des arrangements

entre les sexes2.

4.5 – « En Europe, observe Eurostat, les femmes et les hommes ont des

manières similaires d’utiliser leur temps, mais il existe également un

certain nombre de différences marquantes entre les pays examinés.»3 Si

cela peut signifier que les différences à l’intérieur de chacun des pays

entre les hommes et les femmes sont faibles par rapport aux différences

globales entre les pays, alors, c’est effectivement important en terme

d’action européenne et peut conduire à préconiser que les politiques de

promotion de l’égalité entre les genres soient menées sur une base

européenne et pas nationale, et vice-versa. Mais cette orientation vers

l’action justifierait en outre de mettre l’accent sur des caractéristiques

explicatives des différences observées dont la prise en compte permettrait

en outre de mieux contrôler les effets des différences de champ des

enquêtes nationales et de structure des populations.

4.6 – Pour détailler un peu ce point, on peut suggérer comme nous

l’indique Laurent Duclos4 de procéder à un rapprochement entre le savoir

“extensif” de la statistique des arrangements types auxquels parviennent

les familles (durées, etc.) et une connaissance “intensive” (densité,

intensité, etc.) utiles à décrire finement les circonstances de la vie

familiale et le partage “en acte” au sein de celle-ci. Il pourrait être, en

conséquence, recommandé de porter une attention particulière à toute

1 Cf. Salais (R.), « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au tauxd’emploi dans la Stratégie européenne pour l’emploi », in Bénédicte Zimmermann(s. dir.), Action publique et sciences sociales, Paris, ed. de la Maison des Sciencesde l’Homme, à paraître 2004.2 Ce retard pourrait être résorbé dans l’avenir. Cf. infra la conclusion de ceparagraphe.3 Cf. Aliaga (C.), Winqvist (K.), op. cit. 4 Cf. infra, Première partie, Chap. 1 et 2.

- 30 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

investigation permettant de repérer les relations entre les choix, parfois

implicites que les familles font, les principes de justice qui sanctionnent

l'équilibre obtenu et les ressources disparates que les familles mobilisent

pour concilier leurs différentes obligations1.

L’objectif principal devrait être justement d’éclairer l’étude des

comportements familiaux des hommes et des femmes et d’approcher la

question du partage par les contextes, les activités professionnelles, les

trajectoires personnelles familiales, professionnelles et résidentielles,

notamment en matière d’offre de service. Les choix éducatifs, par

exemple, ne sont pas minimes.

4.7 – En effet, on sait que l’activité domestique ou le “care” sont

traditionnellement et habituellement réservés aux femmes mais que des

agencements institutionnels peuvent permettre d’aider à une répartition

de la charge de conciliation en sortant, comme le souligne Laurent Duclos

et Brigitte Croff2 la question du couple lui-même ou de la famille pour

permettre aux femmes de réduire leur engagement dans la sphère

domestique, réduire les gains de spécialisation et créé l’opportunité d’une

répartition plus égalitaire des tâches. Les régularités observées sur le

“marché du travail” et dans la sphère domestique sont alors typiquement

le produit de la rencontre entre les protagonistes dont, bien entendu, les

entreprises et les organismes de protection sociale.

Il apparaît utile, en ce sens, qu’on envisage d’examiner les

comportements des employeurs et des entreprises en matière de

conciliation, en dépassant les seuls mentions des tableaux chronométrés

et des catalogues des droits nationaux pour approfondir, concrètement, la

logique des dispositifs et des arrangements dans les relations de travail.3

4.8 – Au domicile, ce sont des habiletés qui s’exercent, des rythmes dans

les tâches, des aptitudes à occuper le milieu (la cuisine) et les auteurs

soulignent que la question de l’égalité homme/femme ressortit

fréquemment moins à un “meilleur” partage des temps qu’à celle de

l’habilitation à devenir compétent et à accomplir certaines tâches ouvrant

la possibilité de s’établir dans le milieu et de développer le savoir-faire ad

hoc. Mais ces activités ménagères sont encore très peu visibles et

faiblement objectivées, voire réputées ne nécessiter aucune espèce de

compétence particulière. Parallèlement, la question de l’habilitation pose

directement la question de la délégation à autrui, qui conjoint ou

1 Une réflexion a été documentée sur ces questions par un groupe de travail duCommissariat Général du Plan (France) concernant "Conciliation entre vieprofessionnelle, vie familiale et vie personnelle". Elle est disponible sur http…vitamin.gouv.fr, codes : conciliation, CVPF, conciliation vie professionnelle - viefamiliale. 2 Cf. infra, Première partie, Chap. 4.3 Deux études ont été lancées concernant "Conciliation entre vie professionnelle,vie familiale et vie personnelle" perçue à partir de l’entreprise, par l’INED (France)et le Commissariat Général du Plan (voir note précédente).

- 31 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

intervenant extérieur, se pose à la femme en priorité1. L’ensemble des

mesures prises dans les pays européens à des degrés divers, concernant

les politiques familiales et de l’emploi visant à réduire les inégalités entre

les hommes et les femmes face à la vie professionnelle, même si elles

sont indispensables, ne suffiront pas, si elles ne sont pas accompagnées

par l’élaboration d’un savoir utile à asseoir, symétriquement mais

différemment, le renoncement des hommes aux outrances du partage et

celui des femmes à l’exclusivité de la place, et, deuxièmement, si ces

mesures ne sont pas accompagnées de la construction d’une offre de

services qui n’aille pas dans le sens d’un renforcement des inégalités :

entre hommes et femmes, entre femmes qualifiées et femmes non

qualifiées, entre femmes de nationalité française et femmes immigrées2.

4.9 – Le débat au sein des sciences humaines et sociales souligne

fréquemment « la nécessité d'accommodements entre formes instituées,

statistique et sociologie. »3 Il y a, d’une part, l’idée selon laquelle la

sociologie ne peut se passer de la méthode statistique pour appréhender

les faits sociaux de façon objective, qu’il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une

seule liaison pratique que d’un lien théorique illustré notamment par les

règles de méthode énoncées par Durkheim. Symétriquement, on voit

soulignée l’idée selon laquelle la raison statistique ne peut se passer de

sociologie pour appréhender les faits sociaux en vue du codage. Qu’il ne

s’agit d’ailleurs pas tant d’une question de principe que d’un rôle pratique

qui se trouve illustré justement dans l’exemple de la confection des

nomenclatures et de la réalisation des enquêtes européennes4. On saisit le

bénéfice à attendre d’un renforcement des aspects sociologiques de toutes

1 Cf. infra, Première partie, Chap. 4.2 Parallèlement, une orientation trop exclusivement appuyée sur l’individualisationdes financements au nom du libre choix des familles de choisir l’offre la mieuxadaptée à leur situation particulière s’accompagne d’un manque de socialisation deces activités et, en conséquence, de leur enfermement dans la sphère privée, cequi est une cause réelle de leur non développement. Brigitte Croff appelle à unecontrepartie en termes de régulation. Cf. infra, Première partie, Chap. 4.3 Cf. Héran (F.), « L’assise statistique de la sociologie », Economie et Statistique,n°168, Juillet-Août 1984, pp. 23 sq. La question a été et continue d’être débattueen France. Dés 1982, la Société française de sociologie et l'INSEE ont organisé unejournée d'études sur le thème «Statistiques et sociologie» dont une synthèse des37 communications a été présentée dans de Singly (F.), « Les bons usages de lastatistique dans la recherche sociologique », Economie et Statistique, n°168,Juillet-Août 1984, pp. 13 sq. Elles illustraient la nécessité et la complémentaritédes approches des faits sociaux quantitatives et fondées sur les entretiens, lesrécits de vie, l'observation directe. Elles soulignaient les prudences que les usagesdes méthodes respectives requièrent. Voir aussi dans le même numéro : Héran(F.), op. cit. Plus généralement, la référence en langue française sur la questionest : Desrosières (A.), La politique des grands nombres - Histoire de la raisonstatistique, Paris, La Découverte, 2nd éd. 2000 ; voir aussi la note critique qui lui aété consacrée par Nicolas Dodier: « Les sciences sociales face à la raisonstatistique », Annales HSS, mars- avril 1996, n°2, pp. 409-428.

- 32 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les phases du travail statistique de définition, d’abstraction et de sélection

aux moments d’élaboration de la problématique, de conception de

l'enquête, du questionnaire de recueil des enquêtes nationales, de

traitement des rapprochements, de production rédigée des résultats, la

visée étant de limiter les effets inhérents au primat du travail technique

de production. En résumé, l’approche qui vise à examiner l’usage des

temps sociaux à travers la couche profonde des arrangements entre les

sexes est celle qui plonge au plus profond de leurs spécificités

institutionnelles et pratiques dans le cadre des ménages, des entreprises

et du marché du travail plutôt que l’approche qui considère “en surplomb”

ces arrangements en les nivelant pour construire un score à valeur

générale recouvrant les différentes réalisations nationales au dépens de ce

qui leur est particulier. Partant, la production statistique européenne dans

ce domaine pourrait bénéficier d’inflexions de méthode utiles à faire

ressortir la prise en considération d’informations en ce sens utiles à

traduire une prise en compte renouvelée de la dimension familiale, de la

vision subjective des individus et de leur qualité de vie.

L’ensemble des travaux du groupe, des séminaires et des consultations

d’experts a conduit aux préconisations rassemblées page suivante.

4 Pour plus de détails sur ce qui est présenté succinctement dans ce paragraphe, àpartir de l’exemple des nomenclatures socio-professionnelles, on pourra sereporter à : Kieffer (A.), « Catégorisation statistique et harmonisationeuropéenne : l’exemple des catégories socioprofessionnelles », n° 64-65, janvier-avril 2001 ; Salais (R.), « La politique des indicateurs. Du taux de chômage au tauxd’emploi dans la Stratégie européenne pour l’emploi », in Bénédicte Zimmermann(s. dir.), Action publique et sciences sociales, Paris, ed. de la Maison des Sciencesde l’Homme, à paraître 2004. Pour une approche des statistiques européennes surles revenus et les conditions de vie, European Statistics on Income and LivingConditions (EU-SILC), on pourra se reporter à Nivière (D.), Chiffres européens enconstruction - La naissance de statistiques européennes sur les revenus et lesconditions de vie, Ecole Normale Supérieure et Ecole des Hautes Etudes enSciences Sociales, octobre 2003.

- 33 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

PRÉCONISATIONS

A - un effort devrait porter sur des études européennes sur le partagedes temps qui permettent d’approcher l'activité concrète de conciliationentre vie familiale, vie professionnelle et vie personnelle au sein desfamilles ;

B - mais l’intérêt porté à la conciliation entre vie familiale et vieprofessionnelle ne pourra atteindre cet objectif sans examiner lescomportements des employeurs et des entreprises dans ce domaine ;

C – avant de procéder aux rapprochements des enquêtes nationales,poser de manière plus approfondie les visées et les problématiques desrassemblements ;

D – un effort d’ouverture à des considérations sociologiques dans lesdispositif d’aller-retour entre les niveaux nationaux et européenspermettrait de prendre en compte les spécificités nationales :institutionnelles (politiques sociales, offres de services) et pratiques(dans le cadre des entreprises et du marché du travail) ;

E – l’exploitation des bases de données dans la production pourraitbénéficier de l’utilisation de niveaux plus fins que celui des mesuresagrégées de moyennes pour illustrer les situations qui ont cours dansles familles en Europe.

REMARQUES ADDITIONNELLES

Arrivé à ce stade, il convient de bien noter qu’Eurostat a d’ores et déjà

prévu dans la suite de ses travaux un certain nombre de réalisations qui

convergent de manière sensible avec les préconisations issues de cette

mission :

- Une publication plus détaillée concernant les façons dont les femmes et

les hommes utilisent leur temps (Pocket book) sera réalisée en 2004. Une

équipe d’experts devrait réfléchir et examiner les méthodes d’analyse et

de présentation des données concernant les usages des temps, utile à

développer la connaissance dans ce domaine, et rendre un rapport final en

2004.

- Le règlement n° 29/2004 de la commission du 8 janvier 2004 a porté

adoption des éléments du module ad hoc relatif à la conciliation de la vie

- 34 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

professionnelle et de la vie familiale, au sein du programme de modules

de l'enquête par sondage sur les forces de travail, couvrant les années

2004 à 20061.

- La garde d'enfants fait l’objet d’investigations dans l'enquête SILC(Statistics on income and living conditions) précitée.

1 Le lien entre les objectifs de la politique européenne en matière d'égalité

hommes-femmes, les préoccupations en matière d’emploi est rappelé à cetteoccasion : « Les objectifs de la politique européenne en matière d'égalité hommes-femmes au regard de l'emploi figurant dans les lignes directrices pour l'emploi2003, adoptées par le Conseil le 22 juillet 2003, avec la ligne directrice spécifiqueportant sur l'égalité entre les femmes et les hommes, nécessitent la définition d'unensemble de données exhaustives et comparables dans le domaine de laconciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale. » J.O. de l’U.E., du 9janvier 2004, L5/57.

- 35 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

5 — L’approche des migrations

Le croisement des question du temps et des migrations est longuement

présentée (cf. infra : deuxième et troisième partie).

5.1 – Le point de départ est celui du rapprochement entre les pays quant

aux enjeux liés à l’immigration. Qu’on pense au vieillissement des

populations actuellement actives et aux pénuries de main d’oeuvre qui

sont d’ores et déjà prévues dans certains domaines du marché du travail.

Assurer la composition et l’élasticité du marché du travail demeure des

raisons durables de l’appel à l’immigration.

Toutefois, cet appel ne se traduit pas, loin de là, dans des modalités

d’insertion aisées : Un taux de chômage supérieur ; la part des migrants

qui travaillent sur des contrats temporaires est de 1,5 à 5 fois plus

importante que la part des salariés qui travaillent sous ce type de

contrat ; les modalités d’accueil, de regroupement familial, manifestent

encore nombre de différences des approches très nationales de

l'immigration. Certes, depuis le traité d'Amsterdam, de nombreux textes

ont été adoptés qui rapprochent les politiques nationales. Mais, comme

l’indique nombre d’experts, « l'Union européenne peine encore à penser

collectivement la place de l'immigration dans son développement et à

développer une conception communautaire de l'accueil et de l'intégration,

au-delà des enjeux directement liés aux marchés du travail. »(IRES)

Parallèlement, la discrimination, le racisme et la xénophobie sont depuis

longtemps étroitement liés avec le débat sur l'immigration des non-

communautaires en Europe, mais la question ne paraît pas être parvenue

à un niveau de réflexivité tel, selon une perspective sociologique, qu’on

parvienne peut-être à expliquer comment il se fait que, dans une Europe

de plus en plus démocratique et ouverte à la diversité, il y ait encore des

formes aussi diffuses d'intolérance et de discrimination vis-à-vis des

immigrés, des minorités ethniques et culturelles.

Sur le plan des travaux européens, il conviendrait que soient davantage

pris en compte une distinction sensible entre la question des origines et

celle de “l’ethnicisation”. Il est possible d’objectiver l’origine nationale et

géographique dans des recherches quantitatives, les trajectoires

migratoires, les parcours de vie des personnes qui ont connu la migration.

Par contre, “l’ethnicisation” fondée par le regard n’a pas de fondement

objectif. C’est le fait d’être perçu et considéré comme “tel” ou “tel” qui est

important et non le fait d’être de telle ou telle origine géographique. Il est

alors nécessaire dans ce cas d’envisager qu’on utilise à grande échelle des

approches qualitatives (sociologie, ethnologie), pour approfondir cette

question.

Peut-on progresser sur ces points ? Que cette question ait dû attendre une

période récente pour recevoir un début de réponse institutionnelle est un

indice de son caractère problématique dans la culture politique et conduit

- 36 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

à recommander qu’on prolonge les efforts institutionnels d’égalisation

formelle tout en tenant compte des situations particulières.

Dans la troisième partie du rapport, le rapport finlandais souligne l’intérêt

de mettre en œuvre des mesures diversifiées en matière d’intégration des

personnes migrantes c’est-à-dire des mesures mixtes et des mesures

destinées spécifiquement aux femmes ou aux hommes. Le rapport grec

met lui l’accent sur la nécessité de mettre en place des “services de

consultation sociale” composés d’assistants sociaux et de psychologues

qui pourraient aider les migrants à trouver des solutions à leurs difficultés

personnelles et familiales.

5.2 – Sur le plan statistique, aujourd’hui, en France, à partir des variables

qui sont quasiment dans toutes les grandes enquêtes et le recensement,

de nombreux éléments sont présents pour traiter les questions

d’immigrations et celles concernant les familles.

Toutefois, on note fréquemment la présence de tables croisées mais pas

celles qui conduiraient à croiser les variables “famille” avec tout ce qui est

lié à l’emploi, secteurs d’activités, catégories socioprofessionnelles, etc. Il

n’y a pas aujourd’hui d’exploitation systématique avec des croisements

comprenant les variables : étrangers, immigrés, et dimension familiale.

Par exemple, les publications de l’enquête emploi mentionnent les

étrangers ou immigrés avec en sortie uniquement un taux de chômage

par secteur d’activité, mais rien par rapport à la famille, et a contrario

partant de la famille, on observe des sorties en matière d’emploi mais peu

ou aucun croisement avec les variables étranger, immigré.

L’appareil statistique belge en matière de migrations est relativement

pauvre et les données sont dispersées. Si des chiffres ont pu être collectés

de sources diverses sur les migrations de travail, les demandeurs d'asile,

les étudiants étrangers, aucun chiffre n’a pu être trouvé sur les migrations

annuelles par la biais du regroupement familial. Au niveau de l’Institut

National de Statistiques (INS), les croisements des données

démographiques se font par rapport à une seule variable, le plus souvent

le genre ou l’âge. Il y a donc peu de données construites en fonction du

pays d’origine des migrants. Les statistiques socio-économiques, en

particulier, ne font pas la distinction entre les ressortissants nationaux et

étrangers : emploi et chômage, revenus et rémunérations, patrimoine et

équipement des ménages, consommation de biens et services,

enseignement – culture – formation, emplois du temps et loisirs ;

comportements de santé et prévention, mobilité,…

A l’opposé, la Finlande dispose de statistiques très fiables et élaborées sur

les étrangers et les migrations. Par exemple, le rapport annuel publié par

“ Statistic Finland ” et intitulé “ Les étrangers et la migration

internationale ” présente les principales données démographiques et

statistiques concernant l’emploi. Par ailleurs, “ Statistic Finland ” publie

- 37 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

également chaque année des statistiques concernant les nationalités, les

pays d’origine et les langues d’origine des personnes vivant sur le

territoire. Il existe également des chiffres sur les mariages entre étrangers

et Finlandais.

Nous constatons donc au niveau des quatre pays étudiés certains

manques importants au niveau des appareils nationaux concernant les

données relatives aux croisement famille et migrations et, d’autre part,

une disparité importante au niveau des données recueillies qui fait

obstacle aux comparaisons internationales entre les différents Etats

membres.

5.3 – Par ailleurs, aucun des pays étudiés ne dispose de données

élaborées concernant l’importance et la nature du phénomène des

mineurs isolés (parcours migratoire, âge, conditions socio-économiques

de ces mineurs), ni sur l’immigration clandestine. La conséquence du

manque ou de l’absence de données est une sous-évaluation de ces

problématiques sur le plan politique et une difficulté très grande à adopter

des mesures relatives à des groupes de population qui n’existent pas dans

les chiffres.

Pourtant, cette question des mineurs isolés est aujourd’hui une question

cruciale parmi celles relevant de la protection de l’enfance et, partant, de

la politique familiale des Etats.

Sur la population entrant sur le territoire et faisant une demande d’asile,

une partie est déboutée et devient clandestine. Ce problème n’est pas

seulement lié aux individus, un par un, mais aussi à leur famille. Ce

faisant, l’impact de la décision touche plusieurs personnes. Il n’existe pas

aujourd’hui de données ou trop peu pour permettre d’objectiver les

situations qui paraissent recouvrir des parcours familiaux, éventuellement

des familles à un seul parent. Il n’existe que de rares études issues de

témoignages provenant d’associations (par exemple : l’Ordre de Malte)

ou, encore, de travailleurs sociaux, qui tendent à indiquer cette

dimension familiale. En réalité, il n’y a pas pour ces personnes de

catégories administratives et, partant, pas de structures dédiées aux

déboutés, pas de données et peu de recherches, une difficulté à construire

une doctrine en matière de prise en charge et de protection sociale.

L’absence de chiffrage ne facilitant pas sa mise sur agenda.

5.4 – Un autre aspect, par contre, a bénéficié d’une évolution récente

positive : après être demeurée longtemps absente, dans les recherches

sur les migrations, la vie des femmes fait l’objet d’investigations qui

permettent une meilleure connaissance de la place des femmes dans les

migrations, dans les évolutions des sociétés d’origine et d’immigration.

Ainsi, commence-t-on à prendre en considération les conditions de vie des

migrantes dans les débats sur la discrimination, sur la gestion du

- 38 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

chômage et à étudier les activités des femmes en dehors du foyer familial.

Comme le souligne une démographe française, des analyses des rapports

sociaux de sexe ou des rapports homme-femme dans les diverses sphères

de la vie devraient permettre d’illustrer que ces rapports ne sont pas

immuables mais au contraire dynamiques et que, dans la migration, de

nouveaux espaces de négociation se créent au sein des couples et des

familles. Il est souhaitable d’explorer les variations des situations des

femmes en fonction du milieu social d’origine, du niveau de scolarisation,

de la génération : les transformations du statut de la femme qui s’opèrent

dans la migration peuvent aller dans le sens d’une amélioration ou d’une

dégradation. Des analyses françaises ont révélé que certains groupes de

femmes étaient plus souvent victimes de violences que l’ensemble des

femmes vivant en France : propos sexistes ou racistes, atteintes

sexuelles, discrimination dans la vie professionnelle, harcèlement

psychologique, violences sexuelles ou physiques dans le couple.

Parallèlement, il faut reconnaître l’intérêt de l’analyse biographique et de

l’analyse “multi-niveau” pour approcher les interférences de la migration

avec les autres événements de la vie personnelle et familiale. Il s’agit

d’enquêtes qui aboutissent à des fichiers de données individuelles où est

enregistré le déroulement des vies d’un individu : familiale,

professionnelle, résidentielle et où est analysé statistiquement le jeu des

simultanéités et des successions qui lient ces calendriers, en les reliant

aux calendriers vécus par les proches de la personne interrogée ainsi qu’à

une série d’informations contextuelles sur l’environnement des

trajectoires, territoriales, juridiques, sociales, institutionnelles. Plusieurs

enquêtes se sont engagées sur cette voie dans divers pays (France,

Pologne, Italie, Roumanie).

L’ensemble des travaux du groupe, des séminaires et des consultations

d’experts a conduit aux préconisations rassemblées page suivante.

- 39 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

PRÉCONISATIONS

I - Concernant les enquêtes:

A - pour approcher le partage des temps et les arrangements entrehommes et femmes au sein des familles dont un des membres est issude l’immigration, avec des effectifs suffisants, pourrait être testée lapossibilité de raccordements d’enquêtes nationales ;

B – le rôle et l’impact des délais et des comportements des instancesadministratives sur l’accès au droit et particulièrement sur l’accès auxbénéfices des politiques familiales pourraient être examinés et fairel’objet de comparaisons européennes ;

C – l’impact du regroupement familial sur la qualité de vie des migrantset les conséquences des freins qui lui sont apportés pourraient êtreexaminés ;

D – un effort de comparaisons des formes d’ouverture versus desdiscriminations des différents pays européens vis-à-vis des migrantsdont ils constituent le pays d’accueil, pourrait être utilement mené àpartir de comparaisons sociologiques chiffrées sur le maintien ou larecrudescence des écarts et des inégalités et leurs traductions au coursdu cycle de vie, au niveau des apprentissages précoces, scolaires, dumarché du travail, des revenus ;

E – des études européennes pourraient être menées utilement sur lesquestions des mineurs isolés, des déboutés.

II - Concernant les services :

F – un inventaire et une comparaison européenne des bonnes pratiquesen matière de services de facilitation au sens matériel et psychologique,auprès des populations issues de l’immigration et de leurs famillespourraient être menées utilement1 ;

G – un inventaire et une comparaison européenne des bonnes pratiquesen matière d’attribution aux immigrants de rôles économiques, civiqueset sociaux et de pouvoirs de décisions.

1 Il s’agit, notamment, de l’organisation et de la pérennisation financière de

dispositifs aux horaires adaptées, proches, comprenant des agents susceptibles de

conseiller et de mettre en relation avec les services administratifs ad hoc et

destinés à la formulation et au suivi de plans d’intégrations non réduits à des

questions d’emploi mais, plus généralement, concernant les solutions aux

difficultés personnelles et familiales, et le soutien à l’intégration en prenant en

considération la langue (maternelle) et les coutumes propres.

- 40 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

PREMIÈRE PARTIE : LES USAGES DES TEMPS

PRÉSENTATION

LUC-HENRY CHOQUET

Pour introduire cette première partie, nous voudrions seulement souligner

un point général : Avant le XXe siècle, les relations étaient très

dissymétriques, qui considéraient les femmes et les enfants comme

inférieurs aux hommes et, fréquemment, les étrangers aux nationaux.

Après sont intervenues de grandes transformations dans les relations

entre les hommes et les femmes, dans la façon de considérer les

migrations ; la subordination ou l’exclusion, les inégalités entre hommes

et femmes, ne sont plus autant admises comme relevant de la nature des

choses ; ce que progressivement des limites introduites dans le droit,

notamment européen, ont confirmé1. Mais ces limites imposées à la

propension au pouvoir des hommes vis-à-vis des femmes ou vis-à-vis des

migrants exigent une vigilance que peuvent servir utilement des savoirs

appropriés. Des savoirs qui concernent les formes de vie et tout

particulièrement dans la dimension familiale.

Pour incarner l’idée du “vivre ensemble”, on tend maintenant à

approfondir l’approche des temps, du partage des temps entre hommes et

femmes, et notamment en considérant l’accueil des enfants ou le soutien

à apporter aux parents âgés2 ; on tend aussi à prendre en considération le

migrant avec ses impasses, en tant que “sujet” et en tant que “sujet de

droit”, en tant qu’il travaille mais aussi à travers son projet familial ou

encore parce qu’il est un enfant, voire même dans certain cas un mineur

isolé.

Dans certaines situations, les conditions ou la qualité de la vie familiale

des personnes est réellement loin de nos attentes. Mais comment le

montrer ? C’est justement l’objet des chapitres de cette première partie

que de nous inviter à partir d’approches spécifiques à une connaissance

renouvelée de ces questions pour leur donner une assise utile à

l’élaboration des politique sociales soucieuses de la dimension familiale et

du point de vue des individus. Comme on l’a vu précédemment, une des

deux tâches fixées consistait à examiner des perspectives

méthodologiques actuelles dans le domaine de l’usage des temps et, à

partir de là, à formuler des recommandations concernant des indicateurs

1 Cf. Choquet (L.), Zucker (E .), Reconsidérer la famille, Gallimard, 2002.2 Cf. Choquet (L.), Croff, (B.), «Comment vivre ensemble », in Iacub (M.),Maniglier (P.), Familles en scènes, Autrement, 2003

- 41 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

utiles à mettre l’accent sur la dimension qualitative de la vie familiale et

d’une façon proche de la vision subjective des individus.

Au cours des deux premiers chapitres, Laurent Duclos illustre de façon

contrastée, à partir d’une approche sociologique et juridique, l’idée selon

laquelle les statistiques des “emplois du temps”, maintenant d’usage

fréquent, restitue pourtant mal les contours institutionnels et les

différences d’intensités des temps. Partant, il invite ainsi à développer un

souci de catégorisation qui réinstallerait au cœur des analyses les

différences que la statistique européenne estompe jusqu’à tendre à les

faire disparaître aussi bien du côté des populations et des individus que du

côté des institutions (il fait dans ce dernier cas appel à la notion de

réflexivité institutionnelle tirée de l’œuvre d’Erving Goffmann1).

Delphine Nivière revient sur les problèmes posés par la construction

d’objet en statistique qui parvienne à prendre en compte les

ressemblances et les différences à partir d’investigations communes à

l’ensemble des pays de l’Union européenne. La diversité des contextes, en

Europe, implique d’inévitables conflits dans la façon de concevoir et de

mesurer des objets qui paraissent simples à première vue. A la diversité

des systèmes sociaux, s’ajoute la variété des organisations et des

méthodes des systèmes statistiques nationaux. C’est en suivant la

construction d’opérations statistiques européennes, la naissance

d’instruments, et en s’efforçant de mettre à jour la diversité des points de

vue sur ces objets et la complexité du processus de construction des

chiffres que l’auteur parvient à faire surgir les points de tension.

Puis, Brigitte Croff, à partir d’une approche de micro-économie du travail,

prend en considération dans le détail les activités dans la sphère

domestique qui comptent pour beaucoup dans l’approche de la conciliation

entre vie professionnelle, vie personnelle et vie familiale et, ce faisant,

dans les usages sociaux des temps. Sa contribution illustre à quel point , il

est souhaitable de sortir des approches seulement focalisées sur l’emploi.

Pour parvenir à envisager des politiques des temps aptes à transformer

les modalités de partage entre les sexes, il faut rajouter aux

considérations sur l’emploi une approche des freins qui s’exercent contre

la délégation des tâches. C’est à partir de là que peuvent s’éclairer les

partages des temps et les arrangements entre les sexes comme entre

bénévoles et professionnel(e)s dont les migrant(e)s fréquemment

employé(e)s dans les services aux particuliers.

Enfin, Laura Alipranti rend compte des études qui traitent des rôles des

sexes dans les familles qui migrent ou qui rentrent au pays d'origine. Elle

met l’accent sur les aspects stéréotypés des méthodes qui confinent les

1 Cf. Goffman (E.), L'Arrangement des sexes, La Dispute, 2002

- 42 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

rôles dans la société à ceux qui sont exercés dans la société occidentale

contemporaine, européenne ou américaine en s’éloignant, en

conséquence, des rôles relatifs à la société agricole dont les migrants sont

pourtant fréquemment issus. Elle conclut son chapitre en soulignant que

la plupart des études dans le domaine tendent à confirmer le diagnostic

négatif selon lequel les rôles sexuels et les divergences tendent à se

conserver intacts, l’émigration renforçant même parfois les inégalités

existantes. Toutefois, a contrario, l’éducation et l’origine urbaine

constituent des facteurs propices à l’adaptation au pays d’accueil.

- 43 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 1 - LA STATISTIQUE DES EMPLOIS DU TEMPS ET LA QUESTION DU RYTHME1

LAURENT DUCLOS

L’insaisissable substance du temps ne nous porte-t-elle pas à l’égarement

métaphysique ? Ne sommes-nous pas tentés, comme disait Wittgenstein,

de chercher à toute force une substance derrière le substantif (2), quand il

s’agit de considérer une pure instance de forme et son intérêt pour

l’action ? La perception du temps comme dépense somptueuse, chez

Théophraste, fut ainsi transformée par Benjamin Franklin en un adage

devenu célèbre : “time is money”. L’utilitarisme puritain a prêté une

nouvelle valeur objective au temps. Avec l’invention de la ponctualité et

de l’horloge, admirablement décrite par l’historien Jacques Le Goff, le

temps a désormais pour chacun la forme de “l’heure égale”, il a acquis le

caractère de l’argent comme équivalent général. Les besoins de l’industrie

et l’inscription du temps dans le droit ont puissamment accentué le

caractère performatif de la morale puritaine. Dans la théorie économique

standard, temps et argent se substituent alors, à “bon droit”, l’un à l’autre

le long de courbes dites d’indifférence. La statistique “temporelle” d’Etat

n’a fait, depuis, qu’enregistrer les progrès de cette instrumentalisation du

temps, dont la portée sociologique fut soulignée par Norbert Elias.

Il convient de marquer une première différence entre ce “temps abstrait”

et la figure immanente d’un temps déterminé, jadis, par le sens même de

certains actes de la vie sociale. Les usages industriels du temps (Taylor)

renverseront, en effet, un lien de causalité traditionnel entre le temps et

l’œuvre. Dans cette transformation, le temps finit par prévaloir sur la

tâche (I).

Le temps des horloges s’imposant, la statistique s’est employée à

transcoder le travail subordonné, et bientôt d’autres activités, en

équivalent-temps. L’objectivation des emplois du temps a ainsi donné des

arguments aux “forces de progrès” soucieuses de déplacer les “barrières”

du temps. Elle a permis de nourrir autant de projets de libération : du

salarié, de la femme... Cette mobilisation de la statistique met

couramment en jeu des raisonnements en termes de “vases

communicants”. Mais la porosité des “temps sociaux” ne rend-elle pas

fragiles les certitudes issues de cette lecture statistique ? (II).

La statistique “temporelle” pouvait donner une idée juste des efforts de

“synchronisation” propres aux sociétés disciplinaires. Or il n’est pas

1 Cette contribution a fait l’objet d’une parution dans la revue Projet. Cf. Duclos(L.), « La statistique des emplois du temps et la question du rythme », Projet, n°273, mars 2003, pp.73-81.2 Cf . Ludwig Wittgenstein, Le cahier bleu et le cahier brun, Gallimard, 1988, p.51.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

certain que l’impératif contemporain de concordance des temps suffise à

garantir une réappropriation, individuelle et collective, du temps. La

statistique ne nous apprend rien, en effet, sur les “apprentissages

rythmiques” qui nous aident à composer, en permanence, avec le cadrage

envahissant des moments de l’existence par un “temps abstrait”,

homogène et successif. Il nous faut alors éclairer le régime des habitudes

par lequel chacun traduit en intensité des durées mesurées par la

statistique (III).

Du chronomètre à l’agenda

Les formes primitives d’automatisation de la production ont certainement

constitué un support favorable au contrôle de l’activité de travail par le

temps, et à l’émergence d’une statistique temporelle opérationnelle.

Soucieux de combiner les efforts séparés des ouvriers, et de répondre,

dans le même temps, à l’extension des marchés, l’entrepreneur ne

pouvait plus se contenter d’être un distributeur de tâches. Pour réaliser

des économies de temps, il lui fallait synchroniser davantage le travail aux

flux de matières et d'argent, et revenir sur l’autonomie conférée à

l’ouvrier, qui pouvait produire à (sa) façon. L’invention de la fabrique

répond alors à la visée d’une meilleure organisation de la division du

travail. “Le secret du succès de la fabrique, la raison de son adoption,

c'est qu'elle enlevait aux ouvriers et transférait aux capitalistes le contrôle

du processus de production. Discipline et surveillance pouvaient réduire

les coûts en l'absence d'une technologie supérieure” (1). Or cette

contrainte par corps et la prolétarisation qui l’accompagne vont menacer

directement la fiction juridique libérale d’une contractualisation de la

relation de travail. Ainsi, un mobile décisif, en général oublié, des

premières lois sur la durée de la “ journée du travail ” sera de crédibiliser

ce support contractuel : il s’agit pour l’essentiel de rendre compatible le

lien de subordination avec la préservation de la dignité du travailleur.

L’entrepreneur devient un fabricant. La “boîte à outils” que Taylor mettra

à sa disposition, à l’orée du vingtième siècle, lui permettra l’étalonnage en

temps de tâches décomposées en gestes élémentaires et prêtes à

l’enchaînement, car réduites à des quantités. La mise en forme du facteur

travail par son équivalent-temps (2) permet désormais de faire prévaloir le

temps de la mesure sur le rythme né dans l’intimité de la tâche, lequel

reste pourtant nécessaire à son accomplissement.

Le temps devient abstrait en ce qu’il renvoie simplement à un calcul, à

une organisation arithmétique autonome : sa valeur cesse d’être freinée

1 Cf. Stephen Marglin, “Origines et fonctions de la parcellisation des tâches” inAndré Gorz, éd., Critique de la division du travail, Seuil, 1974, p.63.2 Cf. Laurent Thévenot, “Les investissements de forme”, Conventions économiques,Cee-Puf, 1985, pp.21-71.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

par un contexte, de dépendre de configurations symboliques qui n’ont pas

le caractère du nombre mais celui de la tradition ou de la religion. Cette

autonomisation permet d’insérer toutes sortes d’événements dans une

même trame, un même “cours du temps”. Elle ménage la possibilité de

synchroniser à distance les agencements productifs et de gouverner ainsi,

depuis l’extérieur, le mouvement des sociétés industrielles, au contraire

du “ temps dérivé ”, subordonné au mouvement, à l’exercice d’une

habileté régulière ou séculière, dans les sociétés plus anciennes. On est

passé d’un “temps déterminé” à un “temps déterminant”, plus

disciplinaire, susceptible spécialement de “nombrer” l’activité de travail.

Ainsi que l’exprimait Norbert Elias, si le concept de temps “existait en

allemand sous une forme verbale, du genre zeiten (“temporer”) sur le

modèle de l’anglais timing, on n’aurait pas de peine à comprendre que le

geste de “consulter sa montre” a pour but de mettre en correspondance

(de “synchroniser”) des positions au sein de deux ou plusieurs séquences

d’événements. Le caractère instrumental du temps (ou de l’action de

“temporer”) s’imposerait alors avec évidence” (1).

Un clivage s’est ainsi formé historiquement entre le temps de travail, celui

de la fabrique, et les autres temps. Car le temps ne figure plus

simplement un outil dans la panoplie de l’industriel, il devient, en retour,

un levier pour l’émancipation des travailleurs. Non plus simplement un

instrument de rationalisation, utile à l’organisation de la division du

travail, mais un moyen, dans l’ordre juridique, de borner l’emprise

patronale sur la vie du salarié. Tant pour discipliner les comptabilités

privées que pour maintenir les pratiques de subordination dans l’ordre

public, le droit participe alors activement à la séparation entre sphère

domestique et sphère productive (2). Assimilée par le droit,

l’instrumentalisation du temps finit par excéder la simple organisation de

l’atelier. La référence au temps abstrait détermine notamment les

caractéristiques formelles de l’emploi et sa gestion. Cette détermination

permet que les formes modernes de division et de mobilisation du travail

s’affranchissent, quant à elles, d’une référence directe au modèle

taylorien. Ainsi, l’explosion de l’horaire collectif contribue à une dissipation

des frontières de l’entreprise. Le temps abstrait sert davantage une

“accélération maîtrisée” des flux, nécessaire à l’établissement d’un rapport

profitable entre production et consommation de masse.

L’inscription du temps dans les normes d’emploi permet toujours de

gouverner le travail, mais “d’un peu plus loin” pourrait-on dire.

L’assujettissement à un temps opératoire, hétéronome, le cède alors à

une répartition en apparence plus autonome des épisodes qui

représentent désormais la division du travail dans l’agenda personnel du

salarié. Cette évolution, de la cadence à la séquence, ne consacre-t-elle

1 CF. Norbert Elias, Du temps, Fayard, 1984, p. 54.2 Cf. Max Weber, Economie et société, Plon, 1971.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

pas le retour de la “tâche” à l’avant-plan ? Non, si l’on considère les

dispositifs de l’agenda, de l’organisation par projets ou de la direction par

objectifs, et avec eux la question nouvelle du délai.

Le codage statistique des temps

Depuis 1983, la norme de durée hebdomadaire de travail, “l’horaire

affiché” par l’entreprise, était restée exceptionnellement stable à 39

heures (1). Cette stabilité, sur une période aussi longue, aurait dû alerter

les observateurs sur la valeur conférée aujourd’hui à la durée du travail

dans l’établissement du rapport salarial et sur la capacité de la norme

temporelle à circonscrire, à elle seule, la subordination. La légalisation par

la loi dite Aubry II de la catégorie “cadre” sonnait comme un aveu.

L’entreprise Thomson (Thales Detexis), ne fut-elle pas accusée de travail

dissimulé, pour avoir été incapable de présenter à l’inspection les

décomptes horaires de ses cadres, et avoir cherché à assimiler, dans

l’accord sur les 35 heures, un nombre invraisemblable de salariés à des

“cadres dirigeants” ? L’application des lois de réduction du temps de

travail s’est accompagnée d’une prolifération des “temps gris” qui ne

traduisait pas simplement une mauvaise volonté des entreprises mais une

difficulté réelle à qualifier en temps les formes nouvelles d’engagement de

la main-d’œuvre. L’établissement par la statistique d’un lien entre “temps

effectif de travail” et normes affichées de durée collective s’avère plus

problématique. Le fait que la courbe statistique de la durée collective du

travail ait fléchi, à l’issue du processus Aubry, témoigne tout autant d’un

déplacement du rapport de forces, reportant sur le salarié tout ou partie

de la charge du risque d’emploi (coût, durée), que d’un succès imputable

au législateur et limité au strict registre temporel. “RTT contre flexibilité” :

c’est faire du temps une simple monnaie d’échange (contre de la

rémunération : heures supplémentaires, compte épargne-temps, ou de la

qualification : co-investissement formation, etc.).

L’idée devrait s’imposer aujourd’hui qu’une statistique nouvelle portant

sur la répartition des risques entre le Capital et le Travail vienne

remplacer celle du temps de travail qui exprimait naguère la

subordination. On oublie souvent, en effet, que la statistique n’est pas une

réalité intrinsèque à ce qu’elle exprime. Elle peut très bien ne plus

enregistrer que le déclin de grandes régularités, sans pouvoir qualifier ce

qui s’invente sous nos yeux. A cet égard, la promesse d’émancipation que

portaient les politiques du temps de travail est ambiguë. Nos bracelet-

montres comme parfois nos agendas témoignent à leur façon de ce que le

temps finit lui aussi par prévaloir, hors la sphère du travail subordonné

stricto sensu, sur les différents actes de la vie sociale, jusqu’à peser

parfois sur l’acquisition d’une compétence à les accomplir.

1 Cf. L’enquête trimestrielle relative à “l’Activité et aux Conditions d’Emploi de laMain-d’œuvre” (ACEMO) du ministère du Travail.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La statistique Insee des emplois du temps égalise un ensemble disparate

de pratiques, transcodées en équivalent-temps. Elle se soucie peu de

savoir si l’individu emploie un temps dont il dispose librement ou s’il est

lui-même employé et son temps mis à la disposition d’autrui. De ce fait, le

caractère contraignant d’un temps sur un autre doit être reconstitué a

posteriori, qu’il s’agisse des temps annexés au temps de travail

(transport), interstitiels (pause), des “temps gris” (astreinte) ou des

temps domestiques. La statistique temporelle néglige, surtout, la façon

dont le libre usage des “temps non subordonnés” peut imiter l’usage

prescrit du temps de travail, dans une conception purement utilitariste des

temps privés. Le fait que les individus soient commis à développer des

capacités d’investissement ou d’épargne de leur temps réputé libre ne

constitue-t-il pas l’un des traits déterminants de notre modernité ? “ Dans

les sociétés industrialisées, s’il ne veut pas s’exposer à des préjudices

continuels, l’individu doit apprendre à se considérer lui-même comme

centre décisionnel, un bureau d’organisation de sa propre existence, de

ses propres capacités, orientations, relations amoureuses, etc. Dans la

mesure où il faut construire soi-même son existence, la ‘société’ doit être

gérée individuellement comme une ‘variable’ ” (1). Chacun est appelé, dans

le meilleur des cas, à synchroniser, pour la valoriser, son expérience

propre avec un flot d’obligations sociales exprimées en temps. Or la mise

en évidence d’une capacité inégale à réaliser des choix d’investissement

inter-temporels pourrait révéler, par exemple, le caractère très sélectif de

l’injonction nouvelle à “ se former tout au long de la vie ”. Elle souligne en

particulier le risque de sanctions auquel les femmes, spécialement,

s’exposent lorsqu’elles font le “choix” du temps partiel, au regard des

garanties collectives attachées à l’emploi de “plein droit”.

L’agenda, comme instrument de dissipation des frontières du travail et du

hors travail, pour le cadre ou le couple de cadres urbains bi-actifs,

constitue certainement un vecteur de colonisation de la vie privée par un

“temps abstrait déterminant”. Ce “temps nombrant”, typique des procédés

d’intensification du travail, peut parfaitement devenir, à l’occasion, un

facteur d’intensification du loisir (2). Mais il se peut que le temps vacant de

l’employé ou de l’ouvrier ne bénéficie pas de l’horizon de planification que

permet de dégager l’agenda du cadre, dont les 35 heures sont

majoritairement converties en un forfait de jours libérés. Le temps de

l’employé ne peut plus s’épargner qu’à travers la consommation de biens

(la machine à laver, le plat préparé…). Autrement, il redevient

pratiquement horaire et ne peut faire l’objet que d’une dépense qualifiée

de passive par le statisticien face au poste de télévision. Cet employé

moyen ne figure-t-il pas, en synchronie, l’ancêtre de nos deux “cadres

1 Cf. Ulrich Beck, La société du risque, Aubier, 2001, p.291.2 Cf. Alain Degenne, Marie-Odile Lebeaux, Catherine Marry, 2002, “Les usages dutemps : cumuls d’activité et rythmes de vie”, Economie et Statistique, n°352-353,pp.81-99.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

autonomes”, précurseurs qui, comme il le disent eux-mêmes, se mettent

à “tout gérer” ?

Un peu honteuse d’avoir à avouer que la progression globale du temps

libre est due pour l’essentiel à l’accroissement du nombre de chômeurs, la

statistique temporelle révèle des usages du temps qui n’en sont pas

véritablement (1). Lorsqu’on n’est pas “ pris par le temps ”, il se peut que

l’on soit tout bonnement lâché, et comme exclu, par lui. Un spécialiste de

l’insertion, rêvant à haute voix, nous dévoilait naguère qu’il pensait “pour

les jeunes qui ont du mal à se réveiller le matin, constituer sur leur zone

une entreprise virtuelle, avec une activité elle aussi “un peu virtuelle”

mais qui ferait rentrer les jeunes dans un moule, leur ferait prendre de

bonnes habitudes, qui sont celles du monde du travail, et qui les

socialiserait un peu (sic)”.

La question du rythme

La statistique des emplois du temps subit un reproche désormais

classique : elle ne mesurerait pas l’effet du contexte sur le temps vécu;

indifférente au caractère “intensif” de certaines séquences de temps, elle

ferait l’impasse sur le caractère subjectif du temps pour chacun. En vérité,

cette critique déborde celle de la “statistique temporelle”, elle s’adresse

au procédé statistique lui-même, en tant précisément qu’il efface

l’intensité au profit du nombre. A l’inverse, restituer l’effet d’un contexte

ou d’une culture sur le vécu ou sur les représentations du temps, à travers

une individualisation suggérée par la méthode ethnographique, c’est

souvent prendre le risque de la banalisation. Il nous faudrait plutôt

éclairer comment se crée une différence d’intensité.

L’examen des savoir-faire ouvriers, un classique de la sociologie du

travail, devrait nous aider à mieux spécifier le régime sous lequel nous

contractons des habitudes de travail et de vie. En dépit d’une prévalence

du temps sur la tâche, nous savons qu’un “savoir y faire” se logeait dans

les plis qui se prennent à la longue. A force de répétition, une habileté se

crée, une faculté à contracter le temps, à lui donner un contenu, une

intensité en rapport avec le milieu considéré. L’aptitude à habiter un

milieu se signalera, par exemple, par une vitesse d’exécution des tâches

finalement conforme aux attentes de la division du travail, y compris dans

l’espace domestique. A cet égard, l’égalité homme/femme ressortit moins

à une “meilleure répartition” des temps qu’à une habilitation à accomplir

certaines tâches (la lessive pour les hommes ou la soudure pour les

femmes), ouvrant la possibilité de “faire son trou” dans un milieu, un peu

comme on fait carrière, condition sine qua non pour développer un savoir-

faire (les soins à l’enfant sur la table à langer versus la direction d’un

1 Cf. Muriel Letrait,“L’utilisation par les chômeurs du temps libéré par l’absenced’emploi”, Economie et Statistique, op. cit.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

groupe ouvrier dans l’atelier). De nombreux actes de la vie sociale, et

notre compétence à les accomplir, portent ainsi la marque de l’habitude.

Pour chacun, “l’habitude est la fondation du temps (…), la synthèse

originaire du temps, qui constitue la vie du présent qui passe” 1. Ainsi, les

habitudes que nous contractons par un rapprochement répété entre des

éléments disparates empruntés aux milieux que nous traversons servent

de cadre à nos actes, à nos existences. Le temps de l’habitude n’est donc

pas, comme le “temps abstrait”, homogène et successif. L’habitude est

liée à l’invention d’un rythme reproductible; elle se prend en épousant une

forme qui s’offre à sa propre reconnaissance. Même subordonnée à une

mesure, comme en musique, l’idée de rythme renvoie à un mouvement

qu’on ne perçoit dans sa totalité qu’à l’exécution, laquelle précisément

crée, par contraction du temps, une différence d’intensité. La restitution

d’un rythme ressortit donc au développement d’une “technique du corps”,

au sens de Mauss. Ainsi, si l’habitude est notre synthèse du temps, elle

est essentiellement un attribut du corps et non pas simplement le foyer

d’une appréhension subjective du temps de la mesure…

La magie des catégories nous apprend, par exemple, que pour l’enquête

“Emploi du temps” de l’Insee, un resto entre amis est du “temps

physiologique”, n’appartenant pas au registre de la sociabilité, ou que le

bricolage ou le jardinage sont affectés au “travail domestique” plutôt

qu’au temps libre… 139 types d’occupations se trouvent ainsi regroupés,

dans une nomenclature en 43 catégories d’activités, elles-mêmes objets

de quatre regroupements temporels (temps physiologique, professionnel,

domestique, libre). On pourra toujours concéder que ces regroupements

conventionnels prêtent à discussion, l’essentiel n’est pas là. On peut se

demander, en effet, si le choix de la variable temps comme “terme

transitif”, support aux calculs servant à modéliser son allocation, peut

supporter aujourd’hui toute la charge de sens qu’on lui attribue. Oui, si

nos projets d’épargne et d’investissement se conforment au précepte

puritain, de sorte que “le temps soit de l’argent”. Mais, à rechercher dans

les supermarchés des plats qui nous épargnent le temps de leur

préparation, ne perdons-nous pas une compétence, individuelle et

collective, à faire la cuisine mais aussi à en goûter ensemble les produits ?

On devine, à travers ce trait de civilisation, comment le temps libéré nous

plonge tendanciellement dans un temps linéaire “prêt à consommer” dont

l’usage interdit finalement l’appropriation. Lorsque nous disons être pris

par le temps, c’est souvent le signe que nous peinons à combiner les

usages du “temps abstrait” avec le développement d’habitudes

“positives”, à trouver notre rythme. N’est-il pas vain de demander à la

statistique temporelle, comme le font parfois les thuriféraires d’une

1 Cf. Gilles Deleuze, Différence et répétition, Puf, 1968, pp. 108-109.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

“réarticulation des temps sociaux”, les clés de cette réappropriation

individuelle et collective du temps ?

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Raphaël Carette ©

PHOTOGRAPHE MEMBRE DU COLLECTIF BLOWUP

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 2 - STATISTIQUE DES EMPLOIS DU TEMPS ET VIE QUOTIDIENNE

LAURENT DUCLOS

En juin 2003, Eurostat a mis en ligne un numéro de “Statistiques en bref”

sur les emplois du temps comparés des femmes et des hommes en

Europe 1. Des chiffres sans surprise sur la division

sexuelle du travail domestique : les femmes réservent

au moins une heure de plus que les hommes à ces

travaux dans la plupart des pays d’Europe. En

moyenne, cette fois, on calcule qu’elles consacrent

3 h 55 aux tâches ménagères et familiales contre

2 h 19 pour les hommes. La distance moyenne à cette

moyenne peut elle-même être mesurée par une

formule d’écart-type. On manifeste alors que la

dispersion autour de ladite moyenne est de près de 30

minutes pour les femmes dans les dix pays considérés

; elle n’est que de 10 minutes pour les hommes 2. Cette inégale dispersion

n’est pas mentionnée dans le “leaflet” publié par Eurostat où seuls sont

pointés des écarts absolus. Ces écarts permettent, en effet, de manifester

que le sexe des individus reste le principal élément de différenciation des

emplois du temps. Au vu de la présence confirmée des femmes sur le

marché du travail, conjointement, de l’évolution des modèles familiaux,

comme du mouvement général en Europe d’individualisation des rapports

sociaux, ce résultat statistique légitime, à bien des égards, la soumission

des politiques visant les divers aspects de la vie quotidienne

(travail/famille) à un nouveau principe d’égalité. Ces politiques suffiront-

elles à “redresser” lesdits emplois du temps, à amener les hommes à

assumer davantage de responsabilités dans la sphère domestique, à

soutenir les femmes dans la poursuite des projets de carrière qu’elles

forment ? En l’état, rien n’est moins sûr.

On examinera tout particulièrement la ligne 5, intitulée Household work

and family care, d’un tableau portant sur les usages des temps.3

1 http://europa.eu.int/comm/Eurostat/Public/datashop/printcatalogue/FR?catalogue=Eurostat&collection=02-Statistics%20in%20Focus&product=KS-NK-03-012-__-N-FR2 Entre hommes et femmes, nous avons donc une augmentation de la variation(écart type/moyenne) de 50%.3 tiré de Aliaga (C.), Winqvist (K.), 2003, “Comment les femmes et les hommes utilisentleur temps”, Eurostat-Statistiques en bref, décembre.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Après avoir rappelé rapidement en quoi l’exigence de “conciliation entre

vie familiale et vie professionnelle” —depuis son incorporation à la Charte

des droits fondamentaux de l'Union 1, a fortiori depuis son entrée dans les

lignes des Plans Nationaux pour l’Emploi— avait notamment scellé les

noces de la politique et de la statistique temporelle [I], nous proposerons

une interprétation de cette dispersion dans les emplois du temps [II].

Nous tenterons alors d’identifier ce qui “résiste” aux échanges de rôle et à

la redistribution des temps suggérés par le commentaire accompagnant

ordinairement cette statistique temporelle et de comprendre, notamment,

pourquoi les hommes n’ont pas franchi dans le champ parental et dans la

sphère domestique un pas qui soit toujours à la mesure du chemin

parcouru par les femmes dans le monde du travail salarié [III].

Statistique temporelle et formalisation de l’objectif politique

La statistique temporelle, l’uniformité même de ses résultats, attestent

souvent du caractère têtu de ce que le sociologue appelle le “fait normal”,

de la persistance en l’occurrence, et dans les faits, du modèle de

complémentarité inégalitaire entre les sexes. Or ce modèle est, comme on

le sait, soupçonné d’engendrer des sujétions incompatibles avec les

critères sociaux de citoyenneté énoncés aujourd’hui au plan européen et

dont découle notamment l’adoption par la Commission d’un principe

général de “mainstreaming” 2.

En vertu de ce principe, les Etats membres étaient invités à offrir aux

hommes et aux femmes des conditions égales d’accès au marché du

travail ou encore de soutien à la conciliation entre vie professionnelle et

vie familiale ; ils étaient corrélativement appelés à abandonner toute

référence sexuée dans la définition et la mise en œuvre des politiques de

la vie quotidienne, qu’elles concernent le champ de l’emploi ou celui de la

famille 3.

1 Sommet informel des Quinze le 14 octobre 2000 à Biarritz et proclamationofficielle au sommet de Nice. Citons, pour mémoire, l’article 33 de la Charte. Cedernier dispose que “1. La protection de la famille est assurée sur le plan juridique,économique et social. 2. Afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionelle,toute personne a le droit d'être protégée contre tout licenciement pour un motif liéà la maternité, ainsi que le droit à un congé de maternité payé et à un congéparental à la suite de la naissance ou de l'adoption d'un enfant”.2 Principe visant à annuler l’impact différentiel des politiques des Etats membresde l’Union sur les femmes et les hommes.3 Selon ces dispositions, le droit français a d’ailleurs peu à peu consacré l’abandondes références à la division traditionnelle des rôles dans le ménage et à uneterminologie sexuée : ainsi de la formulation du droit au congé parentald’éducation, au titre de l’art. L. 122-28-1 du Code du travail, en tant que droit non

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le but de ces politiques de conciliation pourrait être énoncé comme suit :

il s’agit que les “temps sociaux” aient le moins possible le caractère de

“temps contraints” mais deviennent idéalement, tant en ce qui concerne

la sphère domestique que la sphère productive, et pour chacun, des

“temps choisis”. La statistique temporelle pourrait parfaitement

enregistrer les progrès réalisés en ces domaines. En tant qu’instrument de

“prise de conscience” ne peut-elle plus directement les provoquer,

encourager au déplacement de la barrière temporelle et renverser, de ce

fait, celle du sexe ? C’est manifestement le vœu que formulent les

partisans d’une réarticulation globale des temps sociaux. La question de la

conciliation vie familiale / vie professionnelle a ainsi consacré les noces de

la statistique temporelle avec la politique. Les “temporalistes”, naguère

hérauts de la réduction du temps de travail, en France, portent volontiers

leurs efforts aujourd’hui sur le “temps des villes”; ils préconisent ainsi

l'établissement de “bureaux des temps” et le développement de toute une

ingénierie dédiée à l’articulation des temps, à base d’analyses

“chronotopiques” réputés produire notamment une connaissance

panoptique des rythmes urbains…

Les projets de libération par le temps alimentent, à l’occasion, le

sentiment qu’on pourrait établir, à l’échelle de la société, des “vases

communiquants” entre les différents “temps sociaux”. Et c’est vrai que

l’objectivation des emplois du temps a rendu sensible le résistible

avènement de la “société des loisirs” ou la persistance “regrettable” du

modèle de complémentarité inégalitaire entre les sexes. On ne se plaindra

pas qu’il y ait, dans ces constats, matière à alimenter la réflexion et,

parfois, le combat politique. Plus d’une fois, d’ailleurs, les “forces de

progrès” ont cherché à instrumenter le droit pour déplacer les barrières

du temps. Chacun se souvient que l’édiction de normes visant directement

la durée du travail avait ainsi permis de fixer des bornes à la

subordination et d’œuvrer à l’émancipation des travailleurs.

transférable, c’est-à-dire non basé sur le renoncement de la mère à l’exercercomme c’était le cas dans la loi du 12 juillet 1977 ; ou des droits à congé pourenfant malade et autre droit de présence parentale. Le droit consacre, par ailleurs,la reconnaissance d’un droit égal à une vie familiale, c’est-à-dire qu’il abandonnetoute identification de la femme et de la famille. Notons qu’il peut s’agir, en fait,d’une extension de certaines règles protectrices à l’homme. Le dangerévidemment, c’est qu’un droit de cette nature, dépouillé de la référence sexuée, aunom d’un seul principe “d’égalité formelle”, aboutisse, dans les faits, à nier la viefamiliale des deux sexes… On ne peut pas, en la matière, ne pas penser au cas del’interdiction de faire travailler les femmes la nuit (et aux suites de l’arrêt Stoeckeldu 25 juillet 1991) : le rappel au principe d’égalité formelle entre hommes etfemmes, qui ouvrait un droit à faire travailler les femmes la nuit, pour la France,aurait pu ou dû être davantage assorti d’un rappel simultané à un autre principegénéral protecteur indiquant que pour chacun la nuit, pouvait être faite pourdormir, même quand on est un homme !

- 55 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Mais c’est bien parce que la variable temps était une variable importante

dans les agencements productifs et pour l’organisation du travail (depuis

l’atelier taylorisé jusqu’aux caractéristiques formelles de l’emploi

aujourd’hui) qu’on pouvait borner l’emprise patronale sur la vie du salarié

en jouant directement sur cette variable. On tournait alors un dispositif

d’assujettissement pour en faire un instrument de libération. Or il n’est

pas sûr que toutes les activités sociales nouent avec le “temps des

horloges”, un temps homogène et successif, qu’il soit compté en heures

ou en jours, les même rapports étroits. L’effet du procédé statistique en

général, et de la statistique temporelle en particulier, peut donner

pourtant cette illusion : cette statistique permet, en effet, de coder en

équivalent-temps un ensemble d’activités et de moments disparates dont

elle annule, par définition, les qualités propres au seul profit de la durée

et donc du nombre. Et il est vrai que rapportés au “temps de l’horloge”,

les actes de la vie sociale prennent une valeur égale. Ce transcodage

statistique est certainement utile à simuler la façon dont se répartissent

les temps. De là à en inférer que les individus disposent réellement d’un

“budget temps” qu’ils peuvent “dépenser” et allouer, par jeu de

préférences et selon une logique de “vases communiquants”, à telle ou

telle activité, il y a un pas… que certains n’hésitent pas à franchir. A

contrario, on peut se demander si la variable temps, choisie comme terme

transitif, peut supporter toute la charge de sens qu’on lui attribue à

l’occasion…

Charge de conciliation et agencement institutionnel

Un récent colloque organisé, en France, par la DREES (Ministère des

Affaires sociales, du travail et de la solidarité) sur le “modèle nordique”

et, notamment, la comparaison France-Suède, dont les actes ont été

publiés par la Revue française des affaires sociales, a offert l’occasion de

commenter, pour l’interpréter, la dispersion que nous évoquions au début

s’agissant des temps que les femmes consacrent, en Europe, aux tâches

ménagères et familiales : on sait que l’activité domestique, a fortiori la

question du “travail centré sur autrui”, le “care”, est habituellement une

affaire de femmes ; c’est alors un agencement institutionnel donné qui

permet d’expliquer cette dispersion. Soit, cet agencement permet, dans

sa globalité, de répartir la charge de conciliation, en sortant notamment la

question de la conciliation des contours de la famille, auquel cas il permet

aux femmes de réduire leur engagement dans la sphère domestique, soit

il ne le permet pas. Lorsque cet agencement permet de répartir la charge

de la conciliation, on peut penser qu’il limite, en retour, les gains de

spécialisation entre hommes et femmes et créé, de ce fait, un “cadre

- 56 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

favorable” à l’émergence d’une répartition plus égalitaire des tâches. Tel

n’est pas toujours le cas 1.

L’agencement institutionnel en question pourrait correspondre, peu ou

prou, à l’idée qu’on se fait ordinairement des grands “modèles nationaux”

et de leur déclinaison dans tel ou tel champ (marché du travail, protection

sociale, etc.). Dans la littérature comparative, les données qui permettent

d’exprimer ces “modèles” et leur part variable empruntent généralement

à deux sources : la source statistique, qui permet à la fois d’objectiver des

comportements typiques dans la population et de rendre, sur des

variables choisies, le pays comparable ; l’inventaire des droits 2.

En réalité, l’agencement institutionnel, tel que nous le concevons diffère

un peu. Il n’est pas réductible, en particulier, au détail des droits sociaux.

Si le droit aménage, en effet, des possibilités de choix et d’action pour les

uns, s’il pose une limite à l’action des autres, s’il permet d’offrir à tous le

bénéfice des effets qui se produisent en lui, on peut penser qu’il ne

comprend bien souvent que des dispositions “passives”, y compris lorsque

ces dernières sont dites “incitatives” 3. Marie-Thérèse Letablier affirme

ainsi qu’en dépit de la générosité des règles relatives à sa durée et au

revenu de remplacement ou de l’abandon de la référence sexuée dans le

droit, en 2000, “un peu moins de 14% des pères avaient pris un congé ou

une partie du congé en Suède contre seulement 4,1% en Finlande et

5,5% au Danemark. La durée du congé pris par les pères est bien

1 Les ressources que les femmes apportent au ménage et le “pouvoir denégociation” qu’elles y gagnent ne sur-déterminent en rien la répartition destâches et la nature du compromis noué dans l’espace domestique.2 Ces derniers sont réputés donner, même si elle apparaît figée, une image, ducompromis social propre à chaque pays. Le reste tient fréquemment aucommentaire dans lequel les données historiques et le répertoire des acteursvoisinent avec l’évocation de quelques fondateurs dont l’œuvre et le nom, luimême, peut finir par connoter le “modèle” (Beveridge, Bismark, Alva et GunnarMyrdal, Laroque, etc.). 3 Un droit “évasif” peut, en outre, parfaitement servir de support à des stratégies“d’évasion”, ainsi des 35 heures en France. Les entreprises ne désirant pas remplirles conditions de l’échange “Réduction du Temps de Travail contre emploi”, quiconstituait le premier mobile de la loi dite Aubry I du 13 juin 1998, ont souventchoisi d’anticiper la norme légale à 35 heures, posée ultérieurement par la loi diteAubry II du 19 janvier 2000, sans recourir à l’aide incitative. Ces accords Aubry Isans aide incitative concernaient plutôt de grandes entreprises ; ils avaient conduità des baisses limitées du temps de travail (- 6,4 %, soit 2 h 30 de RTT contre 10%pour le bénéfice des aides), principalement par requalification de pauses, sortiesdu temps de travail effectif, et imputation de la RTT sur des congés s’ajoutantd’ores et déjà aux congés légaux. On ne sera pas étonné de noter que, dans cesentreprises, près d’un salarié sur deux considérait, en 2001, que la RTT – moitiémoindre en moyenne de ce qu’elle était ailleurs – n’avait occasionné aucunchangement dans sa vie quotidienne. Les exemples ne manquent pas sur lesdifférentes scènes de la “conciliation”, ainsi du congé parental dans quelques paysnordiques.

- 57 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

inférieure à celle du congé pris par les mères : en 1999, les pères

(auraient) pris en moyenne 2,2 semaines, c’est-à-dire un peu moins de

4% par rapport à leur droit, alors que les mères (auraient) pris en

moyenne 44,8 semaines (congé de maternité inclus)” (Letablier : 2003 ;

p.498).

On doit considérer, enfin, que la plupart des droits concernés s’énoncent

sous la forme de “droit à…” : c’est la façon dont s’énoncent ordinairement

les droits économiques et sociaux. Or on sait qu’un “droit à…” n’a d’autre

portée juridique que les dispositions de droit positif qui les prolongent

dans le détail des conditions et des exceptions, et ce afin d’en assurer la

réalisation. C’est le tissu des institutions qui assure alors la mobilisation

du droit, le plus souvent dans un “mutuel arrêt de forces et de pouvoirs

concurrents” (les institutions de Sécurité sociale peuvent se porter

garantes de l’usage et de la mobilisation de certains droits sociaux contre

les pratiques développées par les employeurs en matière, par exemple,

d’accès aux droits à congé) 1.

Quand on évoque l’agencement institutionnel qui serait à la base de

chaque modèle national, on pense alors clairement à cet équilibre de

pouvoirs entre institutions concurrentes (institutions publiques, locales ou

nationales, organismes privés producteurs de services aux personnes,

entreprises, etc.). Au contraire d’une tendance dans la littérature

comparative à identifier l’institutionnel à quelques grandes “régularités

anomynes”, nous pensons qu’il convient plutôt de décrire finement le

programme et l’action d’institutions dotées de structures d’organisation

identifiables, pour comprendre les effets qui se produisent à leurs

frontières, dans le “milieu social” où le pouvoir propre à chacune se fait

sentir. C’est, en effet, dans l’entrelacs des prescriptions directes ou

indirectes propres à chaque institution —lesquelles viennent en

contrepoint du besoin sectoriel auquel l’institution considérée répond

— que naissent les régularités que s’efforcent d’objectiver nos grands

appareils statistiques. Les régularités observées sur le “marché du travail”

sont typiquement le produit d’une telle rencontre entre le comportement

des entreprises, des organismes de protection sociale, au sens large du

terme incluant le service public de l’emploi, des ménages, etc.

Or, il se joue dans cette rencontre entre des institutions qui peuvent

parfaitement s’ignorer les unes les autres des effets de “réverbération” ou

de “réflexivité institutionnelle” dont le sociologue Erwin Goffman avait pu

montrer qu’ils sont au cœur même des grandes régularités observées par

le statisticien, et pour ce qui nous concerne ici, au fondement de la

division sexuelle du travail et du maintien, parfois, d’une complémentarité

inégalitaire entre les sexes. La logique de genre qui marque, en France,

1 La capacité du droit à obliger peut dépendre encore de la source qui lui donnecorps et le véhicule effectivement, ainsi des Caisses d’allocations familiales enFrance pour tout ce qui concerne les aides à la garde d’enfant.

- 58 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les formes particulières d’emploi, spécialement l’emploi à temps partiel tel

qu’il est exploité par les entreprises, s’incorpore ainsi progressivement,

par réverbération ou effet miroir, aux morales domestiques. Dans les

enquêtes statistiques, c’est la volonté exprimée par les salariés à temps

partiel enquêtés de vouloir ou non travailler sur une durée plus longue qui

permet ainsi d’établir la séparation entre “temps partiel choisi” et “temps

partiel contraint”. Or, plus l’inscription dans l’emploi à temps partiel est

ancienne plus ce dernier est dit “choisi” par la personne. On peut

facilement s’assurer que les principes de la vie domestique s’ajustent à

cette situation de fait comme à cette rationalisation a posteriori.

La méconnaissance des effets produits par ce tissu institutionnel peut

parfaitement amener les “politiques temporelles”, sectorielles par

définition, à reconduire voire à renforcer les effets négatifs de cette

“réverbération institutionnelle”. Ne sachant comment les contrecarrer, il

arrive alors qu’on impute aux mentalités —qu’il faudrait changer

évidemment— le produit d’un agencement institutionnel sur lequel on a

d’autant moins prise qu’on a guère su le caractériser…

Les partage des tâches : une logique d’habilitation conditionnant les

délégations au conjoint comme au tiers

Le codage des moments de l’existence en équivalent-temps peut être utile

à produire des effets de connaissance, à marquer des régularités d’usage

et de comportement qu’il peut “conjoindre” avec les caractères socio-

démographiques des populations étudiées… On a vu qu’il ne fournissait ni

de bons repères à l’action publique, ni, en soi, les clés d’une meilleure

répartition des tâches entre hommes et femmes. D’ailleurs, ni le temps

libéré pour les hommes, ni le pouvoir que les femmes gagnent

théoriquement dans les négociations du fait de leur participation au

marché du travail et de leur contribution aux revenus du ménage, ne

suffisent à rendre sensible, dans l’enregistrement statistique, une

répartition plus égalitaire des tâches, ainsi d’ailleurs qu’en témoignent les

résultats de l’enquête “mode de vie” diligentée par le ministère français

du travail à l’occasion du processus de réduction du temps de travail.

Il faut alors se rendre à l’évidence. Ainsi qu’on l’a déjà suggéré, le temps

n’est pas précisément un caractère intrinsèque aux activités que la

statistique temporelle met toutes sur un même plan. D’ailleurs, le seul

exemple historique d’assujettissement complet des tâches à un temps

opératoire déterminant leurs modalités d’accomplissement reste, à notre

connaissance, le taylorisme.

- 59 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Or même si nous devons composer, en permanence, avec le cadrage

envahissant des moments de l’existence par le temps abstrait des

horloges, le temps que nous consacrons à diverses activités restent le

produit du sens que nous leur donnons et de l’habileté que nous mettons

à les accomplir. Davantage que la durée absolue qu’on est susceptible de

lui consacrer, c’est le rythme qui naît dans l’intimité d’une tâche qui sera

nécessaire à son accomplissement. La capacité à acquérir un rythme, la

possibilité de trouver son rythme — qui témoignent du savoir-faire

accumulé dans l’effectuation d’une tâche — ressortissent donc au

développement d’une technique et à l’incorporation progressive d’une

compétence. Autrement dit, il ne faut pas simplement du temps pour faire

une chose, il faut également en développer l’habitude. L’habitude est, en

quelque sorte, notre synthèse du temps. Or l’apprentissage rythmique de

l’habitude a un coût.

Une habileté se crée à force de répétition. Elle se présente alors comme

une faculté à contracter le temps, à lui donner un contenu, une intensité.

Même subordonnée à une mesure, comme en musique, l’idée de rythme

renvoie ainsi à un mouvement qu’on ne perçoit dans sa totalité qu’à

l’exécution, laquelle précisément crée, par contraction du temps, une

différence d’intensité. L’aptitude à habiter un milieu (le bureau, la cuisine)

se signalera, par exemple, par une vitesse d’exécution des tâches

finalement conforme aux attentes de la division du travail, y compris dans

l’espace domestique. A cet égard, l’égalité homme/femme ressortit moins,

dans l’absolu, à une “meilleure répartition” des temps qu’à une

habilitation à devenir compétent, à accomplir certaines tâches (la lessive

pour les hommes ou la soudure pour les femmes), ouvrant la possibilité

de “faire son trou” dans un milieu, un peu comme on fait carrière,

condition sine qua non pour développer un savoir-faire (les soins à

- 60 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

l’enfant sur la table à langer versus la direction d’un groupe ouvrier dans

l’atelier).

Plus les compétences de base des uns et des autres seront réputées

faibles, plus la négociation globale, préalable à l’exécution d’une tâche,

portera sur l’habilitation à donner au détenteur de ces “compétences”

pour les développer et les actualiser. S’il en était autrement, il faudrait en

conclure que les activités ménagères ou les soins à l’enfant ne nécessitent

aucune espèce de compétence particulière. Il est piquant que les

“féministes temporalistes”, qui parient volontiers sur l’allongement du

temps de présence de l’homme ou du père dans la sphère domestique

pour que s’opère un meilleur partage des activités domestiques et

parentales, tombent, à l’occasion, sur ce paradoxe. Cette remarque est

moins anodine qu’il n’y paraît. La question de l’habilitation pose

directement la question de la délégation à autrui. Or, dans tous les cas,

qu’il s’agisse de déléguer au conjoint ou à un intervenant extérieur, c’est

souvent à la femme qu’elle se posera en priorité. On peut noter que

l’hypothèse de “réflexivité institutionnelle” qui était la nôtre au

paragraphe précédent —comme explication “extérieure” à la persistance

du modèle de complémentarité inégalitaire entre les sexes— interdit bien

souvent que la question de la délégation vienne à se poser. Dans ce cas

de figure, la “logique d’habilitation” qui constitue, pour le coup, une

explication “intérieure” à la persistance du même modèle interdira, à son

tour, qu’elle se pose au sein du couple et pour le couple.

REPÈRES

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- 63 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 3 - COMMENT SE CONSTRUIT UNE STATISTIQUE EUROPÉENNE ?

DELPHINE NIVIÈRE

La construction de statistiques sociales communes à l’ensemble des pays

de l’Union européenne est confrontée à de réelles difficultés. La diversité

des systèmes de protection sociale, des systèmes éducatifs et des

systèmes fiscaux, en Europe, implique d’inévitables conflits dans la façon

de concevoir et de mesurer des objets tels que la pauvreté, les revenus,

les conditions de vie… A la diversité des systèmes sociaux, s’ajoute la

variété des organisations et des méthodes des systèmes statistiques

nationaux. Tous les pays ne mesurent pas les revenus en utilisant les

même méthodes statistiques : les uns, en particulier les pays nordiques,

ont développé une banque d’informations issues des registres

administratifs. Les autres, c’est le cas par exemple de la France, de

l’Espagne ou de l’Italie, utilisent prioritairement les données d’enquêtes

par questionnaire auprès des ménages.

En s’intéressant au projet européen de statistiques sur les revenus et les

conditions de vie (European Statistics on Income and Living Conditions –

EU-SILC1), ce chapitre a pour objet d’illustrer la construction d’une

nouvelle opération statistique européenne. Le projet EU-SILC a donné lieu

à une première collecte de données dans certains pays européens en

2003, une collecte complète dans l’ensemble des pays de l’Union

Européenne doit être finalisée en 2005. Suivre la naissance d’un tel

instrument, c’est essayer de mettre à jour les discussions et la diversité

des points de vue sur un objet statistique qui constitue encore un enjeu,

avant que la « boîte noire » ne se referme et que les points de tension ne

disparaissent. Le projet qui est au centre de notre examen est bien

représentatif de la gageure que constitue la construction d’une statistique

sociale européenne : les mesures des revenus et des conditions de vie

sont façonnées par les systèmes sociaux et par les sources statistiques. De

plus, le projet EU-SILC est la première opération dans le domaine des

statistiques sociales à faire l’objet d’un règlement européen. Ce cadre

législatif oblige tous les pays membres de l’Union Européenne à prendre

part à l’opération, selon des modalités fixées par la loi.

La demande politique initiale

Pourquoi une enquête sur les revenus et les conditions de vie au niveau

européen ? En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne a estimé

« inacceptable que, dans l'Union, tant de personnes vivent en dessous du

1 Cette opération statistique sera dénommée par la suite : EU-SILC.

- 64 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

seuil de pauvreté et soient touchées par l'exclusion sociale »1. Le

développement, encore embryonnaire, du volet social de la construction

européenne, la multiplication des déclarations politiques pour lutter contre

l’exclusion sociale ont un impact sur le développement des statistiques

communautaire. Pour évaluer les progrès des programmes de lutte contre

l’exclusion sociale et l’effet des fonds européens accordés, les institutions

européennes ont besoin d’indicateurs statistiques permettant de mesurer

les évolutions dans le temps et d’évaluer les écarts entre les pays.

Au sommet de Nice, en décembre 2000, cette position a été approfondie

et le Conseil européen a invité tous les pays membres à « définir des

indicateurs et des modalités de suivi permettant d’apprécier les progrès

accomplis »2 dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Des

indicateurs qui doivent permettre de suivre les effets des politiques

nationales de lutte contre l’exclusion sociale sont définis.

Un premier jeu de vingt-sept indicateurs, appelés indicateurs structurels, a

été établi par la Commission européenne. Quatre d’entre eux concernent

les revenus : ratio des quintiles, taux de pauvreté avant et après

transferts sociaux, persistance de la pauvreté3. Les mesures de ces

indicateurs doivent être fournies tous les ans par Eurostat à la DG Emploi

pour la rédaction du rapport annuel de synthèse destiné au sommet

européen de printemps.

Entre le sommet de Lisbonne, mars 2000, et le sommet de Laeken en

décembre 2001, dix-huit indicateurs communs ont été définis par un

groupe de travail du Conseil, le sous-groupe indicateurs du Comité de la

protection sociale composé notamment des représentants des ministères

des affaires sociales4. Ces indicateurs, appelés indicateurs de Laeken,

abordent les domaines de la cohésion sociale et de l’emploi et sont

partagés en dix indicateurs primaires, jugés essentiels, et huit indicateurs

secondaires. Parmi les indicateurs primaires, le calcul de quatre

indicateurs va utiliser les données de revenus fournies par l’enquête EU-

SILC : le taux de bas revenus après transfert avec un seuil de bas revenu

1 « Conclusions de la présidence », Conseil Européen de Lisbonne, 23 et 24 mars2000, point 23. 2 « Conclusions de la présidence », Conseil Européen de Nice, 7, 8 et 9 décembre2000, point 20.3 Personnes vivant dans un ménage dont le revenu total était inférieur à 60% durevenu médian à l’année N et durant deux années au moins au cours des années N-1, N-2 et N-3. 4 Caillot (L.), Lelievre (M.), Petour (P.), « Les indicateurs de suivi et d’évaluation duPlan National d’Action contre la pauvreté et l’exclusion sociale », Dossiers solidaritéet santé, n° 2, avril-juin 2002, pp. 33-52 ; Elbaum (M.), « Les enjeux de laconstruction européenne pour les statistiques sociales », Intervention à la tableronde du CNIS, 24 avril 2003, et également Rapport sur les indicateurs dans ledomaine de la pauvreté et de l’exclusion, Comité de la protection sociale, octobre2001.

- 65 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

fixé à 60% du revenu médian (cela correspond à ce qui est appelé

communément « le taux de pauvreté »), ratio des quintiles de revenu, la

persistance de bas revenus, intensité de la pauvreté à 60%1. Parmi les

indicateurs secondaires, d’autres indicateurs comme, notamment, la

dispersion de part et d’autre du seuil de bas revenu, taux de bas revenu

avant transferts, coefficient de Gini pour les revenus, vont utiliser les

données de l’opération EU-SILC.

La DG Emploi a ainsi besoin des données de l’enquête EU-SILC pour

réaliser les rapports sur l’exclusion sociale en Europe qu’elle publie chaque

année, avant le sommet du Conseil Européen de mars. Quand des objectifs

sociaux sont fixés par les Conseils européens ou par le Conseil et le

Parlement, la DG Emploi doit fournir des études qui permettent de suivre

les convergences nationales vers ces objectifs. Pour cela, elle se tourne

vers Eurostat qui est officiellement chargé de « rendre les statistiques

communautaires accessibles (…) en vue de la formulation, de la mise en

œuvre, du suivi et de l’évaluation des politiques communautaires »2.

Les employés d’Eurostat doivent fournir à la DG Emploi des données qui

permettent de suivre les politiques sociales européennes : des indicateurs

statistiques. Le terme « indicateurs sociaux » renvoie à un certain usage

des statistiques pour faire voir la société sous l’angle du progrès social et

de l’application de politiques. Ainsi, dans un rapport sur les indicateurs

sociaux commandé par la présidence belge du Conseil de l’Union

Européenne en 2001, les indicateurs sociaux sont définis comme « an

important tool for evaluating a country’s level of social development and

for assessing the impact of a policy »3. Plus loin, les auteurs précisent

l’objectif politique des indicateurs : « potentially, they have great value in

pointing to significant social problems ». Les indicateurs utilisés et

commandés par la DG Emploi constituent ainsi une certaine « mise en

forme » ou « mise en scène » des statistiques sociales dans des

« dispositifs spécifiques orientés vers le compte-rendu, la comparaison et

l’évaluation des états de la société »4.

La DG Emploi est financeur de l’opération EU-SILC. A ce titre, elle a droit

de regard sur le contenu de l’opération. Un représentant de la DG Emploi

est présent lors des réunions du groupe de travail organisées à Eurostat et

1 Différence entre la médiane des revenus des personnes en dessous du seuil depauvreté et le niveau du seuil de pauvreté avec un seuil de pauvreté fixé à 60% dela médiane des revenus. 2 « Décision de la Commission du 12 avril 1997 concernant le rôle d’Eurostat enmatière de lproduction de statistiques communautaires » (97/281/CE), article 4« Tâches d’Eurostat ».3 Atkinson (T.), Cantillon (B.), Marlier (E.) et Nolan (B.), Social Indicators, The EUand Social Inclusion, 2002, Oxford Press University.4 Perret (B.), Indicateurs sociaux, Etats des lieux et perspectives, 2002, Les Papiersdu CERC, n° 2002 01, Conseil de l’Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale.

- 66 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

consacrées au projet. Il siège aux côtés des employés d’Eurostat, à la

même table que la présidente de la réunion. Cette place est significative

de l’importance des représentants de la DG Emploi pour les personnes

d’Eurostat : ils sont installés en quelque sorte à une position d’égalité et

non à l’arrière des représentants des pays, comme le sont les experts et

les observateurs extérieurs au groupe de travail. Plusieurs termes

reviennent dans les propos des personnes d’Eurostat qui s’occupent du

projet pour qualifier l’importance de la DG Emploi : c’est « le client

principal », « c’est eux qui sponsorisent », « c’est eux qui payent le

projet », « la DG Emploi finance et veut les résultats tout de suite ».

Le travail à Eurostat

S’intéresser au « moment » Eurostat dans le processus de construction

d’une statistique européenne, c’est s’intéresser à ce qui se passe entre le

moment où la Commission européenne décide qu’elle a besoin de données

chiffrées pour étudier, par exemple la lutte contre la pauvreté et

l’exclusion sociale en Europe, et le moment où les instituts nationaux de

statistique vont mettre en œuvre une enquête coordonnée par Eurostat.

Comment se construit un projet statistique à l’échelle européenne ?

Comment s’harmonisent les pratiques et les systèmes institutionnels des

différents pays membres ? Quel est l’objet produit à Eurostat ?

La tâche des employés d’Eurostat est de fabriquer du compromis ou

encore d’arriver à faire fonctionner ensemble des systèmes sociaux et

statistiques différents. Tout l’enjeu de leur travail est de parvenir à mettre

en harmonie les exigences politiques de la DG Emploi qui veut des chiffres

pour orienter sa politique sociale, les possibilités pratiques de collecte de

ces données dans tous les Etats membres, dans leur diversité, et les

exigences techniques des employés des instituts nationaux de statistique.

Celui qui travaille pour Eurostat doit tenir compte, en même temps, des

différents aspects de la statistique : science du bien mesurer, travail de

collection des informations, outil de décision pour le politique. Dans les

instituts nationaux de statistique, la division du travail permet de

circonscrire chacun dans un seul des enjeux. Eurostat est dans une

position originale de négociateur qui joue l’intermédiaire entre la DG

Emploi et les instituts nationaux. Ses employés doivent trouver des

réponses aux sollicitations politiques en demandant aux instituts de

statistiques de leur fournir des données et en faisant en sorte que ces

données, une fois assemblées au niveau de l’Union Européenne, aient un

sens et une valeur statistique. Les personnes qui travaillent à Eurostat

peuvent ainsi percevoir toute la tension interne aux statistiques, entre

l’usage politique et les exigences théoriques et pragmatiques des

statisticiens.

- 67 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le langage propre d’Eurostat est un langage statistique fondé sur « une

base scientifique », mais les personnes d’Eurostat doivent être capables

d’entendre les arguments et volontés strictement politiques. Pour montrer

les difficultés des exigences politiques, seul le langage statistique a une

valeur dans la bouche des employés d’Eurostat qui ne contrôlent pas les

objectifs politiques.

« La DG Emploi, c’est eux qui payent le projet. Et c’est vrai que nous

devons faire attention à ce que dit la DG Emploi. Si tu n’es pas d’accord, il

faut trouver… Par exemple, imaginons que la DG Emploi va proposer des

choses pour lesquelles nous pensons que la taille de l’échantillon n’est pas

suffisante ou que ce sont des questions très intimes qui peuvent mettre en

péril l’enquête. Il faut leur expliquer ce qui ne va pas. Nous essayons de

trouver une base scientifique pour leur expliquer. Sinon nous faisons une

étude avec le ECHP pour démontrer que ça ne marche pas. Qu’ils veulent

faire une chose et que… » 1

Du point de vue de la base de données et du travail statistique, Eurostat

est chargé d’opérer la transformation entre, d’une part, les indicateurs

statistiques définis par les instances européennes (Conseil, Parlement ou

Conseil Européen) et, d’autre part, les variables cibles : à partir des

indicateurs demandés, il doit déterminer des variables à mesurer et, à

partir des variables collectées, il doit s’assurer de la production de ces

indicateurs. Ainsi, pour établir les taux de pauvreté nationaux, Eurostat

collecte les revenus disponibles puis transforme les observations

rassemblées dans la base de données en un seul chiffre par pays, construit

comme la part d’individus ayant un revenu inférieur à 60% du revenu

médian national. Toutefois, les informations à collecter pour établir un

indicateur ne sont pas toujours évidentes : comment mesurer, par

exemple, la participation sociale ou le confort d’un logement ?

Pour réaliser au mieux cette opération de traduction entre indicateurs et

variables cibles, les employés d’Eurostat doivent essayer de bien

comprendre les demandes politiques, faire un « ajustement » :

« On a beaucoup de réunions, de négociations. Une fois par semaine, je

suis à Bruxelles [emplacement des bureaux de la DG Emploi et du Conseil]

ou à Strasbourg [localisation du Parlement européen] parce qu’il faut

qu’on rencontre les gens, les décideurs politiques pour qu’on s’ajuste sur

les demandes. »2

1 entretien 2 entretien

- 68 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

« Des fois, je vais voir à la DG Emploi. Je demande ce qui est important,

des détails sur ce qu’ils veulent. Mais les réponses que j’obtiens ne sont

pas toujours très claires. »3

On voit là la position équivoque d’Eurostat dans sa fonction de traduction

en statistiques des objectifs politiques de la DG Emploi. Cette traduction

est plus qu’une simple transposition : ce qui est au départ un objectif

politique comme « améliorer la cohésion sociale » ou permettre à au

moins « 33% des enfants de moins de 3 ans » d’avoir accès à des

« structures d’accueil » est transformé et même recréé du fait de son

passage de la DG Emploi à Eurostat. Les employés d’Eurostat font bien

plus que donner à mesurer aux instituts nationaux de statistique ce que

veut la DG Emploi : ils disent dans le langage des statisticiens ce que la

DG Emploi veut et réinventent ainsi les exigences politiques dans le

langage statistique. La cohérence propre à la statistique et non plus la

seule cohérence de la DG Emploi les guide dans cette nouvelle

formulation. Le fait de chercher à mesurer ces indicateurs pose des

questions au statisticien. Pour M. S., ces questions qui peuvent, en effet,

sembler absconses au premier abord, ne sont pas traduisibles pour les

responsables politiques. Le choix se fait, finalement, entre statisticiens,

sur des critères de qualité de mesure :

« – Quelle est la partie de taxes qu’on prend en compte ? Celle de l’année

d’enquête ou celle de l’année de référence du revenu ? Ça dépend [de] ce

qu’on veut mesurer. Quand tu dis le revenu disponible, ça veut dire quoi ?

Ça veut dire le revenu disponible à une année N, ça veut dire le revenu

disponible d’une année N même si la personne ne l’a pas, théoriquement

disponible ? C’est complètement différent.2

– Là vous faites comment pour trancher ?

– Là on a regardé les différentes façons de mesurer et les avantages et les

inconvénients, qu’est-ce que ça permettait de mieux mesurer : la

disponibilité réelle ou la disponibilité plutôt par rapport au niveau de

revenu distribué.

– Mais vous en discutez avec les politiques, non ? Parce que c’est un peu

un choix politique, quand même, non ?

– C’est un choix politique, mais, euh… non… Tu ne vas pas remonter là-

haut parce que là tu vas commencer à dire des trucs… : “on veut le revenu

3 notes dans le journal de terrain.2 L’interlocuteur hésite en fait entre deux façons différentes de prendre en compteles impôts sur le revenu dans l’enquête, une année donnée. Dans un premier cas,on peut prendre en compte les impôts calculés sur les revenus de l’annéeprécédente mais payés durant l’année de l’enquête. Dans un deuxième cas, on peutprendre en compte les impôts calculés d’après les revenus de l’année de l’enquêtemais payés l’année suivante.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

disponible, ça veut dire quoi ? Ben, l’argent qu’ils ont, mais l’argent qu’ils

ont...” Non, tu t’arrêtes là… »1

Pour chaque projet statistique européen est mis en place un groupe de

travail rassemblant les représentants des instituts statistiques nationaux.

Les réunions du groupe de travail sont l’occasion pour les employés

d’Eurostat de se confronter à un autre type d’acteurs participant à la

naissance de l’enquête européenne : les instituts nationaux de statistique.

Eurostat ne collecte par lui-même aucune donnée aussi la traduction des

demandes politiques d’indicateurs en variables cibles ne permet pas de

répondre directement à la demande de la DG Emploi. Eurostat doit mettre

à contribution les statisticiens des instituts nationaux qui font le travail de

collecte des données et fournissent les bases de données à Eurostat.

« Il y a une pression politique qui est très forte et qu’on doit répercuter.

C’est source d’incompréhension de la part des pays. Nous, on est pris

entre deux, pris entre la DG Emploi et les INS [Instituts Nationaux de

Statistique]. Nous, on doit faire le lien entre les deux et ce n’est pas

évident. »2

Les relations entre les personnes d’Eurostat et les représentants des pays-

membres sont souvent décrites par les employés d’Eurostat sur le mode

d’un retour au « terrain » et aux contraintes concrètes de la collecte. Par

exemple, M. S. décrit les échanges successifs entre la DG Emploi, Eurostat

et les représentants des instituts nationaux comme un passage de

« l’idéal » au « possible » :

« En fait, quand tu construis un truc, chacun à son niveau cherche la

perfection. Les politiques voudraient l’indicateur idéal, qu’on puisse le

collecter ou pas. Ensuite, nous, on leur dit “attendez, vous êtes bien

gentils mais ça ne va pas”. Donc nous, déjà, on trouve des variables

idéales. Ensuite, les pays nous disent “vous êtes bien gentils mais moi,

chez moi, je ne peux pas le faire”. »3

Les représentants des pays jouent ainsi un rôle de « force de rappel »

dans la construction de l’opération statistique. Leurs réactions ont une

importance fondamentale pour le projet puisque si un représentant des

pays dit « je ne peux pas faire », Eurostat n’a pas les moyens de collecter

les données autrement. Les employés d’Eurostat doivent donc s’adapter

aux commentaires des représentants des pays :

1 entretien2 entretien3 entretien

- 70 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

« Tu as des contraintes entre le conceptuel où tu fais des scénarios en

montrant les avantages et puis après c’est technique : si tu ne peux pas

prendre les données, tu ne peux pas. Il n’y pas le choix. »1

Les membres d’Eurostat ont bien conscience que pour les instituts

nationaux de statistique participer à une opération européenne représente

un investissement important en temps, en moyens humains et financiers.

Or, les instituts les plus importants ont déjà depuis longtemps un système

d’informations statistiques dans le domaine social qui fonctionne bien.

Imposer une enquête européenne implique que les instituts nationaux

développent de nouvelles opérations, de nouvelles méthodes sans que cela

représente un avantage quelconque puisque l’information que le pays juge

importante est souvent disponible d’une autre façon. D’où, un soupçon

récurrent de « mauvaise foi » ou de mauvaise volonté des instituts

nationaux.

De plus, une fois les données envoyées à Eurostat par les instituts

nationaux de statistique, la Commission européenne publie des rapports

de synthèse sur la situation sociale des pays membres de l’Union

Européenne. Dans ces rapports, figure une succession de tableaux

permettant de comparer les performances respectives des pays dans le

domaine social. Cela introduit un classement implicite entre les pays

membres. Une enquête telle que EU-SILC en construisant une base de

données sur les thèmes des revenus des ménages et de leurs conditions

de vie pour tous les pays de l’Union Européenne peut ainsi avoir des

conséquences importantes en terme d’image. Par exemple, la part de la

population vivant dans des logements trop humides ou la part de

personnes ne pouvant pas aller voir un médecin faute d’argent au

Royaume-Uni, en France et en Grèce vont pouvoir être publiées dans les

même tableaux. Toutefois, des arguments statistiques peuvent aussi être

mobilisés pour s’exprimer sur des questions de pertes de prestige :

« Parfois, l’harmonisation ça fait peur parce que ça veut dire qu’on est plus

comparé. Si on est comparable, on va être forcément comparé. Certains

pays n’aiment pas trop ça, surtout les grands pays. Si jamais ils perdent

une place, c’est un peu une perte de prestige, ça compte aussi ça. C’est

aussi des idées qui paraissent un peu superflues mais… C’est toujours du

non-dit ça, jamais personne ne te dira… Mais tu t’aperçois que quand tu

calcules un taux de pauvreté et qu’un pays perd une place dans son

classement, je peux te dire qu’il fait du remue-ménage, tes données tu les

vérifies dix fois. Il ne va jamais te dire que c’est à cause de ça, mais il va

te dire “Vous êtes sûr ? Vous avez bien calculé ?…” »2

1 entretien2 entretien

- 71 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Ainsi, l’investissement imposé par l’enquête aux pays et la visée

comparative des données de l’enquête EU-SILC constituent la toile de fond

des relations entre Eurostat et les délégués nationaux. Il y a toujours un

« non-dit » suspicieux qui va être en fait comblé par des raisonnements

statistiques. Les délégués nationaux peuvent annoncer « mon institut ne

sait pas ou ne peut pas techniquement collecter ou calculer ce que

demande Eurostat » au lieu de dire qu’ils « ne veulent pas faire ça ».

Après s’être rendu à Luxembourg pour participer au groupe de travail et

élaborer la structure du projet EU-SILC, le délégué national retourne dans

son institut national de statistique pour préparer la mise en œuvre du

projet : le tirage de l’échantillon, le recueil des données, la programmation

des modèles d’imputations… Tout reste à faire. A la fin du « moment »

Eurostat, le projet statistique européen n’est qu’une coquille solide mais

vide.

Le travail dans un institut national de statistique

Le travail des membres d’Eurostat et les réunions du groupe de travail à

Eurostat permettent d’établir des accords sur les variables cibles que

l’opération EU-SILC devra mesurer. Une fois ce cadre établi, la production

des données reste à la charge des instituts nationaux de statistique.

Contrairement au Panel Communautaire des Ménages, pour l’opération

EU-SILC, Eurostat ne propose pas de questionnaire déjà établi. Le

règlement qui a été établi pour l’opération EU-SILC mentionne uniquement

des variables cibles. Les instituts nationaux de statistique doivent

obligatoirement fournir des données pour ces variables en utilisant les

modalités de réponse précisées dans le règlement. Les instituts nationaux

de statistique doivent ainsi se baser sur les variables cibles exigées par

Eurostat pour constituer des questions si ces variables doivent être

collectées dans une enquête par questionnaire ou pour repérer les

catégories administratives correspondantes, si les données sont recueillies

dans des registres administratifs. Etablir des données pour une opération

statistique européenne nécessite donc de traduire les variables cibles en

questions ou en catégories nationales pour rendre possible la collecte de

l’information à l’échelle nationale.

Parvenir à collecter les données qui correspondent aux variables cibles

exigées par Eurostat demande aux responsables des enquêtes nationales

de transposer ces variables dans un contexte national. A partir des

définitions des variables cibles, le travail des statisticiens nationaux est de

produire un questionnement qui convienne aux caractéristiques culturelles,

sociales ou fiscales du pays. De plus, pour la partie du questionnaire qui

- 72 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

fait l’objet d’une enquête par questionnaire1, les variables cibles doivent

être « mises en scène » pour adapter le questionnement à une relation

d’enquête entre deux personnes. Il faut que l’enquêté accepte de répondre

et comprenne de quoi on lui parle.

Certaines variables cibles ne peuvent pas être complétées, directement,

sous leur forme générale. Un statisticien français prend l’exemple des frais

du logement : il est peut-être plus simple de demander séparément le

montant du loyer, des factures d’électricité, des factures d’eau, plutôt que

de demander aux enquêtés de faire eux-même la somme de leurs frais.

L’auteur du questionnaire définit ainsi lui-même ce qu’il faut entendre par

frais de logement, laissant de côté certaines dépenses atypiques comme

les frais de jardinage qu’un enquêté pourrait être tenté d’inclure. Il faut

bien noter que cette définition est seulement sous-entendue par l’intitulé

de la variable cible. Le questionnement détaillé est propre au

questionnaire français et n’est pas exigé par le règlement européen. Rien

n’assure que tous les pays européens vont construire de la même façon

cette variable. Il s’agit là d’un mode de définition national.

La variable cible correspondant au « mode d’occupation du logement »

demande de comparer les loyers à un prix du marché, pour distinguer les

logements dont les loyers sont inférieurs au prix du marché des autres

locations. Reste, bien sûr, à définir ce qu’est le prix du marché locatif. Les

auteurs des questionnaires nationaux doivent essayer de construire cette

variable pour lui donner sens dans le contexte national. En France, les

responsables de l’opération ont fait le choix de définir les logements aux

loyers inférieurs au prix du marché, en considérant que cela correspondait

principalement aux logements HLM, aux logements dont les loyers sont

déterminés d’après la loi de 1948 et, enfin, aux logements dont le bail est

très ancien. Le questionnaire essaie de distinguer ces types de

logements : une question porte sur la date de signature du dernier bail,

une question porte sur les logements HLM et une autre sur les logements

dont les loyers sont déterminés d’après la loi de 1948. C’est là un choix

national :

« Tu fais une liste, qui n'est d’ailleurs pas forcément une liste exhaustive.

On pourrait trouver plein d’autres cas où il y a ça. »2

Il est clair que la construction de la variable nationale repose sur une

certaine analyse du marché locatif en France, considérant par exemple que

1 C’est le cas de l’ensemble du questionnaire pour les pays qui recourent auxenquêtes pour collecter toutes les variables cibles. Les pays qui utilisent lesregistres administratifs pour recueillir les informations sur les revenus doiventégalement faire une enquête par questionnaire pour les variables qui concernent lesconditions de vie. 2 entretien.

- 73 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

le concept de prix du marché n’a pas forcément beaucoup de sens. Il est

clair également que cette définition est uniquement adaptée au contexte

national : il n’est pas envisageable de poser une question sur les loyers

déterminés par la loi de 1948 en Allemagne ou en Grande-Bretagne. En

Grande-Bretagne, cette notion doit être définie autrement. En effet, le

parc locatif est peu important et n’est pratiquement constitué que de

logements sociaux. Comment sera déterminé le prix du marché dans ce

cas ? Les questionnements utilisés sont ainsi assez spécifiques à la

situation nationale. Ils tentent d’appréhender du mieux possible la

complexité des situations concrètes en établissant des grandes catégories

qui peuvent correspondre aux concepts définis au niveau européen.

Le travail de construction d’un questionnaire national à partir des variables

cibles est ainsi une tâche de particularisation : il faut spécifier, préciser,

« contextualiser » les grandes variables européennes pour gagner en

précision et en signification. Mais jusqu’à quel niveau de particularité doit

aller le questionnaire ? La construction du questionnaire constitue l’étape

intermédiaire entre les exigences générales de l’Europe et l’infini

complexité des situations concrètes à laquelle les enquêteurs sont

confrontés « sur le terrain ». Le concepteur du questionnaire est, une fois

encore, dans une situation d’intermédiaire et dans une position

intermédiaire. Auteur d’un questionnement que vont mettre en œuvre les

enquêteurs et producteur de données pour l’office européen, le statisticien

au sein de l’institut national doit déterminer le degré de détail qu’il va

introduire dans son questionnaire. Les variables cibles demandées par

Eurostat ne prennent pas en compte les spécificités nationales et peuvent

être trop simplistes et, au contraire, les enquêteurs sont confrontés à la

multiplicité des cas possibles. L’auteur du questionnaire doit ainsi trouver

ou, plutôt, choisir une position d’équilibre entre ces deux exigences.

Mathieu exprime très clairement la difficulté de ce choix :

« Les enquêteurs, ils deviennent paradoxaux. D’un côté, ils vont te dire

que les enquêtes de l’INSEE, en général, deviennent de plus en plus

longues, de plus en plus complexes, de plus en plus compliquées etc.

Donc, tu dis OK. Mais, à partir du moment où tu construis un

questionnaire, il faut avoir conscience que c’est forcément une

simplification. Ça, je crois que c’est clair. Pour qui fait un peu de théorie ou

de modélisation, le modèle, c’est toujours une approximation du réel. (…)

En même temps, dès qu’on commence à faire dans la simplicité, on a des

enquêteurs qui, assez paradoxalement, viennent nous dire “Ah, mais moi,

je connais le cas qui, moi, je connais le cas qui…” Oui, moi aussi, j’en

connais plein des cas qui ne rentrent pas dans la case. Mais, le problème,

c’est que, soit on fait le choix de faire quelque chose qui vient border 80

ou 90% de la population et puis, les 10% qui coincent, on essaie de les

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

rentrer, d’une manière ou d’une autre, par une approximation ; soit,

effectivement, on cherche à faire de la monographie statistique, auquel

cas, ça donnerait des questionnaires qui seraient encore plus monstrueux.

J’ai eu droit à des enquêteurs qui m’ont dit “oui, sur les emprunts pour la

maison, vous comprenez, il y a des montages financiers très complexes

avec des taux différenciés… » J’ai dit “oui, OK, c’est clair, vous avez raison,

bien sûr que vous avez raison”. Mais en même temps, il faut être

cohérent. Je crois qu’il y a un arbitrage à faire entre, d’un côté, le côté

taillage à la serpe qui n’est pas la meilleure solution et, d’un autre côté,

une extrême précision qui, de toutes façons, à mon avis, ne donnera pas

forcément des résultats meilleurs… (…) Je pense que c’est compliqué pour

eux [les enquêteurs] mais, en même temps, pour nous aussi, c’est

compliqué. C’est à dire qu’à un moment donné, il faut être capable de dire

“Non, là, on va trop loin.” ou, au contraire, “là, on ne va pas assez

loin.”. »1

L’étape de la collecte

Chaque pays-membre de l'Union Européenne est chargé de produire ses

données nationales pour l'enquête EU-SILC. En France, les données seront

établies à partir des réponses à une enquête par questionnaire auprès d'un

échantillon de ménages. La passation des questionnaires est alors un

moment crucial dans le processus de production des statistiques

européennes. Observer cette étape, c'est assister à la fois à un

aboutissement et à une naissance : d'une part, l'aboutissement d'un

travail de construction d'un questionnaire et, d'autre part, la naissance

d'une observation statistique qui va trouver place dans une base de

données.

La passation du questionnaire résulte de tout un travail de construction.

Une partie de ce travail a été effectuée au niveau européen : lors des

réunions des représentants des pays-membres qui travaillent sur le projet,

les employés d'Eurostat et les statisticiens des différents pays ont cherché

à donner forme au projet. Il en a résulté un choix d'éléments à introduire

dans le questionnement. Par exemple, après plusieurs réunions, les

membres du groupe de travail européen ont pris la décision d'exclure du

questionnement les éléments qui peuvent se rapporter à la sociabilité ou

aux loisirs. Une autre part de ce travail d'élaboration d'un questionnaire

est prise en charge par les concepteurs de l'enquête française. Par

exemple, ceux-ci ont travaillé sur la formulation des questions en français,

ont réfléchi à la mise en ordre des questions dans le questionnaire, ont

spécifié les filtres du questionnaire dans le logiciel qui sert à l'enquêteur

pour la passation de l'enquête. Le concepteur a ainsi essayé d'imaginer les

1 entretien.

- 75 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

différentes situations qui peuvent être rencontrées dans le monde social.

Le moment de passation est ainsi la visée de tout ce travail. La question

"est-ce qu'un enquêté va pouvoir ou savoir répondre ?" est récurrente et

fait l'objet de débats internes à l’institut.

La réponse fournie par un enquêté à une question du questionnaire posée

par un enquêteur n’est pas telle quelle une observation statistique : elle

est unique et prend tout son sens uniquement dans un contexte précis

d’interaction entre deux personnes. Toutefois, la codification qu’impose le

questionnaire rend possible une généralisation des données collectées sur

le terrain. La mise en catégories de cas infiniment divers constitue un

travail de représentation de la vie de l’enquêté. Ce travail de

représentation permet « d’obtenir plus de lisibilité, de compatibilité,

d’universalité, de superposition, de texte, de calcul »1.

Le moment de la passation du questionnaire est ainsi une étape de

transformation indispensable pour donner naissance à la base de données.

Il correspond au moment où on pose un filtre sur la complexité des

situations pour essayer de les voir toujours sous le même angle,

indépendamment de la manière de dire des enquêtés, reflet de leur

situation sociale, de leur trajectoire. « La traduction statistique opère

toujours par réduction, c’est-à-dire sacrifice de quelque chose, mais pour

gagner autre chose d’un autre ordre. Sacrifice en vue d’un gain supposé et

d’un usage ultérieur »2.

Pour l’enquêteur, cette position d’intermédiaire entre la logique du

concepteur d’enquête statistique et la situation concrète des enquêtés a un

impact lors de la passation du questionnaire. Les concepteurs et en amont

les membres des groupes de travail internationaux ont imaginé des

situations types et des catégories de réponses ; les enquêtés répondent

avec leurs propres catégories de pensée ; c’est à l’enquêteur de faire

correspondre ces deux façons de dire le monde.

En fait, l’enquêteur doit satisfaire deux exigences contraires : d’une part,

comme le remarque Florence Weber, son rôle est de « rendre ses

enquêtés interchangeables, de les transformer, de personnes singulières,

prises dans des nœuds de relations dont elles sont le produit, en individus

anonymes »3 et d’autre part, il est personnellement investi dans une

relation interindividuelle, présent en face de l’enquêté et dans son domicile

privé.

1 Latour (B.), « Le “pédofil” de Boa Vista – montage photo-philosophique », in Laclef de Berlin et autres leçons d’un amateur de sciences, La Découverte, Paris,1993, pp. 171-225. 2 Desrosieres (A.), « A quoi sert une enquête : biais, sens et traduction », Genèses,n°29, décembre 1997, pp. 120-122.3 Weber (F.), « Relation anonyme, formulaire d’enquête », Genèses, n° 29,décembre 1997, pp.118-120.

- 76 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le jeu difficile de l’enquêteur est de faire coexister dans la rencontre avec

les enquêtés l’investissement personnel dans la relation à l’autre et la

standardisation statistique. Ce jeu se fait au cours de la passation du

questionnaire à travers l’utilisation de différents registres de paroles :

lecture de la question, traductions des questions, traduction des réponses,

apartés, commentaires…

Conclusion

Au terme de ce parcours, nous avons visité certains moments du

processus de construction d’un chiffre européen : détermination de

variables-cible, négociations dans un groupe de travail, construction d’un

questionnaire, mise en place d’un modèle d’imputation, passation de

l’enquête auprès des ménages. Chacune de ces étapes fait intervenir des

acteurs différents et opère une traduction : la variable-cible traduit

l’indicateur politique, le questionnaire traduit la variable-cible, la parole de

l’enquêteur traduit le questionnaire, l’écriture de l’enquêteur sur

l’ordinateur traduit la parole de l’enquêté, l’imputation traduit le

questionnaire complété en variable-cible, le calcul de moyennes, de

quantiles ou de fréquences transforme les variables-cible en indicateurs…

Dans cette chaîne de traduction, chaque maillon et chaque acteur de ce

maillon sont dans une position intermédiaire et d’intermédiaire, conciliant

les exigences dans une opération de transformation de l’objet statistique.

L’employé d’Eurostat combine les demandes politiques et la rigueur

statistique, le concepteur du questionnaire national arbitre entre la

généralité des variables-cible européennes et la diversité des situations

concrètes de son pays, l’enquêteur fait correspondre les réponses de

l’enquêté, variées et diverses, aux cas prédéfinis, le statisticien muni de

son modèle s’efforce de composer avec les réponses, entrées ligne à ligne,

pour établir les colonnes demandées par le règlement. A chaque étape, le

statisticien fait un travail de généralisation ou, au contraire, de

particularisation. Chaque fois, on retrouve la même tension : jusqu’où

aller, dans le singulier ou dans le général, pour ne pas trop perdre, en

information, en sens, en précision, en respect ?

Une fois la chaîne parcourue, le chiffre européen qui en ressort offre un

certain regard sur la société européenne, né de la succession de ces

étapes. Au terme de la construction du projet EU-SILC, il est fort probable

que le principal chiffre qui sera produit sera un taux de pauvreté. Cette

façon de mesurer le phénomène de la pauvreté a, en effet, focalisé les

attentes des politiques, les efforts des statisticiens, les difficultés des

enquêteurs. Le règlement-cadre du projet EU-SILC définit les pauvres et

les exclus comme un groupe social, mais la principale mesure du

phénomène de pauvreté offerte par l’opération porte toute entière la

- 77 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

marque d’un travail statistique. Les décideurs européens ne se sont pas

engagés dans une définition politique de la pauvreté, de l’exclusion. Les

personnes exclues ou pauvres ne peuvent être identifiées explicitement.

On laisse à la chaîne statistique le soin de faire correspondre des individus

à un concept.

En effet, dans l’enquête, les pauvres ne sont jamais définis en tant que

personnes ayant des caractéristiques les faisant appartenir à un groupe

social ayant une consistance ou un pouvoir. Ce n’est qu’au terme du travail

statistique qu’un individu peut être affecté à la catégorie statistique de la

pauvreté. Le taux de pauvreté détermine la pauvreté comme le groupe

d’individus ayant un revenu inférieur à 60% du revenu médian national.

L’enquêteur ne peut pas affecter de lui-même un enquêté à cette

catégorie. Il est nécessaire de détenir l’ensemble de la colonne des

revenus, puis de déterminer le montant des 60% du revenu médian, avant

de pouvoir dire si un individu est pauvre. Au travers de la mesure du taux

de pauvreté, du fait de la conception relative de la pauvreté, le groupe des

pauvres naît de l’opération statistique. La chaîne des traductions donne

ainsi naissance à une façon de catégoriser la société.

- 78 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 4 - CONCILIATION DES TEMPS : ÉCLAIRER LES COMPÉTENCES

INVISIBLES À L’ŒUVRE DANS LA SPHÈRE DOMESTIQUE

BRIGITTE CROFF

Introduction

Les nouveaux modes de vie dans tous les pays européens impliquent la

création de nouveaux services pour les familles, notamment à cause de

l’entrée massive des femmes dans le monde du travail, du vieillissement

de la population, et d’horaires de travail qui ne correspondent plus ni aux

heures d’ouverture des structures d’accueil pour enfants, adolescents,

personnes âgées, ni à celles des services publics.

En France ces activités ont trouvé une extension fin des années 1980 dans

une logique de lutte contre le chômage et de blanchiment du travail au

noir, le public ciblé pour occuper ces fonctions étant d’abord des

chômeuses longue durée et les bénéficiaires du RMI, principalement

issues de populations immigrées en ce qui concerne les grandes zones

urbaines.

Plusieurs appellations sont couramment employées concernant ces

activités, emplois familiaux, services aux personnes, ou encore services

de proximité : appellations qui sont souvent employées sans distinction,

alors que dans la réalité elles ont une portée différente au regard de la

prospective et de l’implication des pouvoirs publics dans leur structuration

aussi bien en ce qui concerne leur professionnalisation, que la mise en

place de politiques familiales et de politiques de l’emploi qui n’aillent pas

à l’encontre de l’égalité professionnelle hommes/femmes et d’un partage

des tâches plus équitable dans la sphère privée.

- Le terme emplois familiaux renvoit à un enfermement dans la sphère

privée et à une représentation de ces emplois dans une relation duale

entre une employée (plutôt qu’un employé) et une famille, sur le mode de

la domesticité ou d’une certaine forme de paternalisme.

- Le terme “services aux personnes” introduit la notion de services donc

une dimension économique et un rattachement de ces activités au

secteur tertiaire des services. Sous-jacent à cela : la notion de “nouveau

gisement d’emplois” et l’émergence d’une première sortie de ces activités

de l’aide sociale ou de l’économie informelle.

- Le terme services de proximité, dont la définition retenue par la

commission européenne est très intéressante puisqu’elle élargit le champ

et ne cantonne pas ce secteur uniquement sur les activités de la vie

quotidienne, elle inclut les métiers de l’environnement, les transports, le

tourisme et les loisirs. Cette approche proposée dans une optique de

- 79 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

développement local a le mérite d’amener tous les acteurs à sortir du

cloisonnement : comment à partir des ressources de chaque territoire, de

sa population, de son patrimoine, des entreprises qui y sont implantées

va-t-on améliorer la qualité de vie pour tous les citoyens en mettant en

place de nouveaux services qui soient capables d’articuler des logiques

contradictoires et d’être à la hauteur d’un nouveau modèle de société.

La problématique

S’il est pertinent de parler de ces services dans le cadre de cette

communication c’est justement parce qu’ils s’adressent aux familles et

qu’ils sont un des principaux vecteurs de gestion du temps pour celles-ci,

et que suivant la façon dont ils seront conçus dans l’avenir ils auront des

conséquences totalement différentes au regard de l’emploi, au regard de

l’égalité professionnelle hommes/femmes. Confinés sous l’appellation

emplois familiaux il y a de fortes chances qu’ils viennent renforcer les

inégalités, voire même pour certains pays de participer à une régression

par un retour insidieux des femmes les moins qualifiées, à la maison.

Notre longue expérience en matière d’organisation de services montre

qu’une des questions cruciale sera d’être capables d’externaliser des

activités alors qu’elles continueront de s’effectuer au sein même de

l’espace privé et d’être assimilées, confondues avec les activités

quotidiennes effectuées par tout un chacun dans la sphère privée.

Qu’est-ce qui va se modifier dans les échanges familiaux par la mise en

place d’une prestation professionnelle, qui ne soit pas un substitut

familial ?

Pénétrer dans cet espace vient forcément modifier les pratiques des

familles, ainsi vont se télescoper :

- Des façons de faire familiales transmises de génération en génération à

travers des rôles bien identifiés selon qu’on est un homme ou une femme

et à des degrés différents selon son histoire et sa culture, avec des savoir-

faire professionnels qui peuvent remettre en question ces pratiques si tant

est qu’elles soient rendues visibles et formalisées.

- Un espace de travail et un espace privé/intime : ce discernement rend

possible une approche ergonomique ainsi qu’une mesure du temps imparti

pour faire telle ou telle tâche.

L’insatisfaction de l’offre existante comme principal frein à la délégation

L’étude que nous avons faite sur la conciliation vie professionnelle, vie

familiale et vie personnelle a porté sur toutes les générations, nous ne

nous en sommes pas tenus uniquement aux couples bi-actifs ayant des

enfants en bas âge à charge.

- 80 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Nous sommes également allés explorer la façon dont les familles

monoparentales et les familles recomposées s’organisent, ainsi que la

façon dont les jeunes retraités s’en sortent lorsqu’il faut à la fois s’occuper

des parents âgés, et des enfants qui sont adultes mais encore à la

maison, et parfois aussi les petits enfants.

C’est moins l’articulation vie familale et vie professionnelle que nous

sommes allés regarder, que la façon dont les choses s’organisent à

l’intérieur de la famille, et à quelles conditions les familles et d’abord les

femmes sont prêtes à déléguer des tâches qui de manière générale leur

sont imparties : les tâches ménagères ainsi que les soins aux enfants et

aux ascendants.

Plusieurs constats sortent de cette étude :

- Solvabiliser la demande n’a pas fait émerger ce fameux gisement

d’emplois dont tous les experts européens en matière d’emplois parlent

depuis la fin des années 1990. Ni le chèque emploi service ou le titre

emploi service n’ont suffit pour faire bouger les mentalités et les

représentations sur ces activités. Au contraire, le chèque utilisé

maintenant par 1 700 000 familles, en France, a participé largement à

laisser ces activités au rang de tâches serviles (le sale boulot, les petits

boulots) puisque les familles « livrées à elles-mêmes » ne délèguent que

ce qu’elles n’aiment pas faire, ou que ce qu’elles sont contraintes de

déléguer par obligation et non par choix. Le législateur en se préoccupant

uniquement de blanchir le travail au noir tout en ajoutant à ces mesures

un système de déduction fiscale pensait que cette solvabilité allait

entraîner la mise en place d’une offre de qualité : cela n’a pas eu lieu

parce que ce qui déclenche la délégation de ces tâches relève d’un

processus beaucoup plus complexe que l’unique financement de la

demande.

- L’offre payante existante est si peu attractive et si peu satisfaisante

pour les utilisateurs que beaucoup de familles préfèrent se débrouiller

seules plutôt que d’avoir à pâtir de services insatisfaisants qui peuvent

parfois compliquer, plutôt que faciliter leurs problèmes d’organisation.

Ainsi on est obligé de constater que c’est bien uniquement quand elles

sont totalement contraintes de le faire, que les familles font appel à

quelqu’un d’extérieur.

Les services existants pêchent par le fait qu’au nom du respect des

familles, dela liberté individuelle et de la non ingérence dans la sphère

privée ; ceux-ci sont restés dans des pratiques de placement où le

personnel de contact va réaliser les tâches sans avoir aucune autre

consigne de travail que l’adresse du client, et les horaires de

l’intervention.

- 81 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le donneur d’ordre étant la famille : il se trouve que celle-ci demande de

faire les choses de la façon dont elle est habituée à les faire et que

souvent la commande reste floue : selon l’autoritarisme des familles de

telles pratiques seront préjudiciables soit à la famille, soit à l’employé.

Les services autant que les pouvoirs publics sont également encore dans

le leurre que la clef de la professionnalisation se trouve uniquement dans

la formation du personnel de contact, et l’on voit depuis quelques années

se développer un nombre d’actions de formation aux emplois familiaux

relativement conséquent et qui portent en elles plusieurs risques :

- que les salariés cherchent du travail par eux-mêmes et d’autant plus

que les services actuels sont incapables de leur fournir suffisamment

d’heures de travail ;

- qu’à ne pas se socialiser ces activités ne puissent parvenir à s’extraire

d’une dimension plus ou moins affective et restent à l’état de sous-

emplois, donc n’atteignent jamais la dimension économique qu’on avait

souhaité.

Rendre l’offre efficace par la mise à visibilité de ces tâches, par une

analyse fine du travail et la définition de missions qui ne viennent pas

enfreindre à la vie privée des familles

Qu’est-ce qui doit rester dans la sphère privée et accompli par les

familles, qu’est-ce qui doit être professionnel et donc réalisé avec le

professionnalisme que requiert toute activité de service. Cela passe par

plusieurs étapes indispensables :

A - Le diagnostic et l’analyse de la demande.

B - La traduction de cette demande en mission de travail qui soit

compatible avec la problématique de chaque famille, qu’est-ce qui va être

redéployé autrement à l’intérieur de la famille par l’arrivée d’une

personne à domicile. Parler en termes de mission, d’objectifs, de projets

de vie et non uniquement en nombre d’heures quand on ne sait pas

mettre du contenu dans les heures.

C - La construction d’emplois du temps cohérents pour les personnes

amenées à réaliser ces tâches et par conséquent la capacité pour les

services de communiquer sur leur offre afin d’avoir suffisamment d’heures

de travail à proposer à leurs salariés. On peut déplorer que jusqu’à

maintenant les statistiques confirment la précarité de ces emplois : une

moyenne de 12 heures de travail hebdomadaire par salariée. C’est un des

premiers secteurs pourvoyeurs de travailleurs pauvres avec la grande

distribution et le nettoyage industriel.

D - Apprendre à recruter en sachant mettre à visibilité toutes ces

compétences invisibles et faciliter ainsi la polyvalence des salariés. Nous

devons agir sur le déficit de compétences en ingénierie devant lequel

nous sommes placés, déficit qui est le véritable frein à toute avancée.

C’est en transformant les pratiques de travail au domicile que les

- 82 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

pratiques de gestion du temps de travail dans l’ensemble des autres

professions bougeront aussi, puisqu’on aura créé des professions et des

professionnels qui permettent aux familles de discerner ce qu’ils

délégueront ou pas, et comment ils négocieront en fonction de leur

organisation privée des horaires de travail réellement individualisés.

E - Modifier les programmes et les contenus des formations et

transmettre les apprentissages avec des méthodes pédagogiques

adaptées.

Conclusion

Les enjeux du partage des tâches entre hommes et femmes, et de la non

création d’un secteur d’emplois réservé aux femmes immigrées et à la

fabrication d’une nouvelle servilité résident dans la façon dont on sera

capable de rendre visible cette sphère privée, de qualifier ce travail

autrement que par la prescription d’un nombre d’heures, et s’il faut parler

de temps, d’organiser un temps de travail satisfaisant et un contenu de

travail valorisant pour les personnes qui sur le marché du travail vont

réaliser ces activités.

L’ensemble des mesures prises dans les pays européens à des degrés

divers, concernant les politiques familiales et de l’emploi visant à réduire

les inégalités entre les hommes et les femmes face à la vie

professionnelle, ne suffiront pas même si elles sont indispensables, si

elles ne sont pas accompagnées en même temps par la construction d’une

offre de services qui n’aille pas dans le sens d’un renforcement des

inégalités : entre hommes et femmes, entre femmes qualifiées et femmes

non qualifiées, entre femmes de nationalité française et femmes

immigrées.

La question qui est posée là et qui porte en elle un enjeu de

connaissances fait l’objet du développement suivant.

L’orientation actuelle de tous les pays européens d’individualiser les

financements au nom du libre choix des familles de choisir l’offre la mieux

adaptée à leur situation particulière participe à la non socialisation de ces

activités et par conséquent à leur enfermement dans la sphère privée, ce

qui est une cause très forte de leur non développement. Pour ce qui est

de la France on peut s’étonner que l’offre existante soit si peu efficace

alors que jusqu’à présent elle était très largement subventionnée par des

fonds publics. La revendication actuelle de la branche professionnelle du

maintien du monopole des conventionnements au secteur de l’économie

sociale, au nom de la garantie d’une meilleure professionnalisation, ne

tient pas face aux résultats obtenus et aux déficits des services.

Il nous semble que l’individualisation des financements est un principe qui

ne doit pas être remis en cause si en contre-partie on sait mettre en place

- 83 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les régulations qui iront dans le sens de plus d’égalité et de partage des

tâches.

- 84 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 5 - LES ARRANGEMENTS ENTRE LES SEXES

AU SEIN DES POPULATIONS MIGRANTES

LAURA ALIPRANTI

Des études récentes montrent que la dimension familiale constitue une

composante importante dans le cadre du processus migratoire. Les

besoins de la famille incitent les femmes à participer au marché de

travail. Leur activité professionnelle est, d’ailleurs, importante pour la

subsistance de tous les membres de la famille et leur adaptation au

nouvel environnement (Tastsoglou, Maratou-Alipranti, 2003).

Les incidences de la situation migratoire sur les familles ont une portée

tant sur les relations conjugales et intergénérationnelles que sur les

formes de vie quotidienne (Pfleger et al., 2003).

Une approche globale concernant la migration doit, en conséquence,

inclure en plus des modes de vie des migrants dans leur environnement

d’accueil les dimensions relatives aux relations entre les deux sexes et

celles au sein du groupe familial.

Toutefois, le thème de la répartition des rôles sexuels au cours de la

migration a été très peu étudié. Les approches relatives au séjour dans le

pays d'accueil s'intéressent presque exclusivement à la femme. La lecture

de ces études montre que le phénomène de changement des rôles des

deux sexes dans la famille qui migre est relié presque exclusivement à

deux caractéristiques : la place de la femme sur le marché du travail et sa

démarche d'adaptation au nouvel environnement social.

En ce qui concerne la première des deux caractéristiques, les études

reliant le changement des rôles des deux sexes à la place de la femme sur

le marché du travail sont, pour la plupart d'entre elles, des études

sociologiques relevant du paradigme féministe.

Dans le cadre de cette problématique, on a tout d’abord estimé que

l'occupation professionnelle de la femme est un moyen de « libération

sociale », du fait que la femme immigrée, par le biais du travail dans le

pays d'accueil, acquiert une indépendance financière et un pouvoir dans la

prise de décision (Espin, 1982, 1987) : elle s’insère activement dans la

démarche de production, bénéficie de ressources, cesse d'être isolée

socialement (Buckland, 1970). La migration a pour conséquence auprès

des femmes de les faire, en quelque sorte, transiter depuis la famille

- 85 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

patriarcale opprimante vers une société moderne libérale.

Le fait de caractériser la migration comme une démarche d’émancipation

des femmes est fondé sur une position féministe selon laquelle

l’indépendance obtenue par la femme du fait de son autonomie financière

mais déjà par le biais du travail, la met en opposition avec son rôle

traditionnel dans la famille, avec pour résultat un “affrontement –rupture”

avec les modèles traditionnels à l’œuvre au cour de sa propre socialisation

(Hondagneu- Sotelo, 1992).

L’analyse des données empiriques a néanmoins montré que l'émancipation

de la femme immigrée est limitée : son rôle sur le marché du travail est

celui de fournir une main-d'oeuvre bon marché ; elle continue à subir une

double discrimination en tant que femme et en tant qu'émigrée. Elles

présentent en ce sens un triple désavantage : elles sont étrangères ; elles

s’occupent des emplois secondaires et “inférieurs” ; elles sont

dépendantes et/ou inférieures vis-à-vis des hommes migrants.

L’ensemble aboutit à des difficultés parfois accrues : l'expérience des

femmes comme ouvrières, d'après Pessar (1985), remet en question leur

rôle dans la famille en tant qu'épouse et en tant que mère. Leur

oppression en tant qu’immigrée ou étrangère, comme elle est souvent

qualifiée en Europe, semble renforcer les deux autres modes d'oppression

qui ont trait à la classe sociale et au sexe (Defiggou, M., et Koufakou , K.,

(1993).

A l’instar des précédentes, les études qui relient la construction et la

répartition des rôles des deux sexes à la démarche d’adaptation

psychologique des émigré(e)s, donne des résultats contradictoires en ce

qui concerne l'orientation des rôles des deux sexes dans la famille. Selon

un premier groupe d'études, la fréquentation du pays d'accueil conduit à

l'adoption de comportements correspondants avec l'idéologie dominante

et les pratiques existantes dans le pays d'accueil (Sakka, 2003).

Pourtant, plusieurs études ont montré différemment une relative

amélioration de la place des femmes migrantes dans la sphère publique et

privée. Elles ont pour commencer plus d’opportunités de mouvement dans

l’espace urbain, par rapport à leur situation antérieure rapportée à leur

pays d'origine.

Enfin, a contrario, une autre équipe a montré que les immigré(e)s

conservent leur mode de vie traditionnel et les valeurs selon lesquels ils

se sont socialisés, bien que les conditions socioculturelles entre les pays

d'accueil et d'origine soient très différentes. Cette persistance couvre une

large gamme d’activités familiales comme, par exemple, le contrôle du

- 86 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

comportement des enfants et particulièrement de celui des filles ou,

encore, la distribution de responsabilités dans la vie domestique.

La limite de ces études pourtant riches en contenus est qu’elles tendent à

considérer alternativement la répartition des rôles dans la famille qui a

vécu l'expérience de la migration comme la seule conséquence du travail

des femmes ou de la tendance à se conformer à la société dominante.

Plus particulièrement, les études sociologiques qui insistent sur l'influence

du travail salarié de la migrante, ignorent l'environnement culturel, social

et familial dans lequel se « réalise » son rôle. Dans ce cadre, on entend

dans le terme de « changement », l'indépendance financière obtenue par

la femme à travers son travail et sa participation à la prise de décisions

familiales.

D'autre part, les études socio-psychologiques qui s’attachent au rapport

entre l'adaptation et la construction des rôles des deux sexes, sous-

entendent que la construction des rôles est due à une imitation passive ou

à la tendance de l’immigré à s'adapter aux pratiques en vigueur et à

l'idéologie du pays d'accueil.

Dans les deux cas, en définitive, le terme de «changement » des rôles des

deux sexes correspond à l'adoption de modes de comportement modernes

supposés prégnants dans le pays d’accueil et contradictoires à ce qui a

lieu dans le pays d'origine.

Dans les études qui traitent des rôles des sexes dans les familles qui

migrent ou qui rentrent au pays d'origine, un regard porté sur les

méthodes montre que les groupes de migrants sont comparés à travers

des filtres stéréotypés qui stylisent les rôles dans la société occidentale

contemporaine, européenne ou américaine, et s’éloignent fortement de

ceux relatifs à la société agricole dont ils sont pourtant fréquemment issus

et, le terme de “changement” renvoie, dans ces limites, à une forme

d’assimilation à un “modèle fabriqué” (Pfleger et al., 2003).

En conclusion, femmes et hommes ne gagnent pas seulement ou pas

toujours mais perdent aussi au processus d’émigration. Il semble que les

rôles sexuels et les divergences se conservent intactes, l’émigration

renforce même parfois des inégalités existantes. Ceci étant, des études

ont bien illustré le fait selon lequel les migrantes les mieux éduquées, qui

travaillent et qui sont issues d’un milieu urbain, sont les mieux préparées

pour profiter des opportunités et pour s’adapter au pays d’accueil (Sakka,

2003).

- 87 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Références

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nual Conference. Australia.

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Athens: General Secretariat of Greeks abroad. Volume A, (229-264).

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- SCANZONI, J. (1975). SEX ROLES, LIFE STYLES, AND CHILDBEARING. NEW YORK: THE FREE PRESS.

- 88 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

DEUXIEME PARTIE - LE TEMPS DES SANS PAPIERS

CHAP. 6 - REMARQUES SUR L’USAGE DES TEMPS ET LA QUESTION DES DÉLAIS

LUC-HENRY CHOQUET

A partir des réflexions des chapitres précédents et des échanges entre les

membres de l’équipe, ce chapitre présente maintenant quelques

remarques situées dans la perspective d’un croisement des deux thèmes,

temps et migrations, et dans une perspective préalable aux deux parties

suivantes consacrées à la question des migrations.

1.— Ce qui est difficilement saisi dans les mesures du temps, c’est la

mesure du rythme. L’idée sous-jacente est celle selon laquelle s’approprier

le temps, c’est-à-dire améliorer la qualité de sa propre vie, va consister

grosso modo à trouver son rythme. On peut “trouver le temps” à partir de

ressources qui sont dans la situation, dans l’environnement urbain,

juridique, etc., ou réussir à développer en la matière une certaine forme

d’autonomie. A contrario, on demeure dans l’hétéronomie.

2.— On a commencé par mesurer le temps de travail à des fins

productives puis cette mesure est devenue progressivement un instrument

du côté de la puissance publique pour limiter l’exercice de la

subordination. La statistique n’est pas intrinsèque à ce qu’elle mesure :

statistiquement, le temps de travail est une mesure de subordination

pesée à partir du temps de travail. Partant, politiquement, se développe

l’idée selon laquelle réduire le temps de travail revient, ipso facto, à

réduire la subordination.

3.— Force est de constater un changement substantiel lorsque cette

variable (temps, durée, etc.) n’est plus manipulée par celui qui

subordonnait et qu’elle n’est même plus pour lui un opérateur utile à

diriger le travail. Laurent Duclos notait (voir infra) que la norme de durée

du travail affichée et mesurée par les enquêtes de la statistique nationale

est restée stable en France pendant à peu près 15 ans (~39 h) et il invitait

à tirer la conclusion logique qu’elle n’a sans doute pas été en définitive

l’objet d’une bataille, qu’il n’y avait plus le même enjeu, autrement dit,

que les rapports entre les acteurs de la production et du débat social,

entrepreneurs, travailleurs, représentants s’étaient déplacés ailleurs. Cela

signifie, parallèlement, que la mesure du temps de travail, les durées

conventionnelles, ce qu’on appelle les durées effectives qui ne sont

- 89 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

d’ailleurs pas nécessairement les durées effectives au sens commun, ne

mesurent plus nécessairement la subordination : l’image de la

subordination n’est plus celle de l’industrie manufacturière des années 60.

4.— Cela signifie encore que la question de la subordination va devoir être

approchée, mesurée, autrement. Si, par exemple, on suit l’hypothèse

selon laquelle “la qualité de vie” s’améliore à mesure que les gens gagnent

du temps libre, on est porté à mesurer “le temps libre”, sinon il faut bien

procéder autrement.

5.— Ces remarques nous conduisent déjà à souligner qu’on ne mesure pas

bien la subordination avec le temps de travail, dans la mesure même où

cette subordination va se loger dans le temps inter système, tel le temps

de transport qui devient aujourd’hui un temps “quasiment subordonné”,

surtout au moment même où la mobilité des travailleurs s’accroît, mais

aussi avec la façon dont le temps déterminé a envahi la sphère du loisir,

avec la façon dont des formes de commandement ont envahi la sphère

temporelle1.

6.— Ces remarques peuvent être utiles pour peu qu’on s’attache à montrer

qu’il y a un temps qui va s’imposer aux travailleurs étrangers qui est un

temps qui leur est imposé pas seulement par la firme mais par

l’administration et que, plutôt que les durées perçues de tel ou tel

événement qui sont des dimensions qu’on mesure dans les enquêtes

emplois du temps, l’important pour eux, dans leurs “histoires de vie”, dans

leurs existences, peut se nicher dans d’autres séquences et notamment

dans les séquences à travers lesquels ils vont être en rapport avec les

administrations publiques. Parce que ce sont ces administrations qui vont,

justement, fixer un horizon temporel : pour une durée du séjour tel qu’il

est autorisé, une possibilité de travailler à durée déterminée, etc. Il y a la

durée déterminée du permis de travailler, il y a la question de l’attente et

du délai avec la remise des titres de séjour. C’est une expérience du

temps qui est tout à fait singulière.

7.— Partant, la question de la famille qui est au cœur de notre

préoccupation se pose, par exemple, à travers la question du

1 Selon le pays, le temps libre est compris entre 4,5 et plus de 6 heures, enmoyenne sur tous les jours de l'année. Il englobe le temps de loisir (sports, passe-temps, repos et loisirs non spécifiés), le temps de socialisation (activités àcaractère participatif, vie sociale, divertissement et culture) ainsi que le tempsdédié à la télévision/vidéo et aux autres médias. Tant pour les femmes que pourles hommes, regarder la télévision constitue une part importante du temps libre,environ 40 % dans la plupart des pays. La Hongrie dépasse le seuil de 50 %,tandis que la Norvège et la Suède se situent en dessous de 40 %. Cf. Statistiquesen bref, thème 3 – 12/2003, Eurostat, p.3.

- 90 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

“ressourcement”, de ce qui existe en espace et en temps qui puisse aider

chacun à retrouver un rythme propre. Dans son cours de l’année 1976 au

Collège de France, Roland Barthes présentait pour illustrer cette question

du sujet et de son rythme propre la notion d’idiorythmie, à partir du grec

idios (propre, particulier) et rhutmos (rythme). Il fournissait un exemple

anecdotique qui, bien qu’à première vue éloigné de nos préoccupations,

est expressif en reliant rythme et pouvoir : « De ma fenêtre (1er décembre

1976), je vois une mère tenant son gosse par la main et poussant la

poussette vide devant elle. Elle allait imperturbablement à son pas, le

gosse était tiré, cahoté, contraint à courir tout le temps, comme un animal

ou une victime sadienne qu'on fouette. Elle va à son rythme, sans savoir

que le rythme du gosse est autre. Et pourtant, c'est sa mère! Le pouvoir -

la subtilité du pouvoir - passe par la dysrythmie, l'hétérorythmie. »1

8.— L’immigré subit à la fois, le temps tel qu’imposé par l’employeur et

cette cadence qui est imposé par l’administration. Autrement dit, pour

qualifier “un style de vie”, il conviendrait certes d’observer des durées

d’activités qui ont peut-être encore un sens pour les nationaux mais aussi

des délais, des séquences de temps administrés, qui vont concerner ces

populations migrantes. Pour donner un exemple de seuil de durée pour

qualifier un style de vie, considérons les nationaux qui sont réputés

conjoints quand ils sont avec une autre personne et/ou habitent avec elle.

Cette même qualité est reconnue aux immigrés, mais à condition d’être

marié et au bout de 2 ans. Les situations qu’ils vivent ne sont-elles pas

des situations qui peine à être qualifiées de façon la plus ordinaire qui

soit ? Autant, dans les enquêtes budget temps, la question de la durée

absolue d’activité est approchée en rangeant les choses par classe

d’activité pour les nationaux, autant il semble nécessaire de travailler la

question du délai et du temps administré pour les populations étrangères

et immigrées.

9.— Les psychologues temporalistes américains2 soulignent que la

préoccupation première des gens n’est pas celle de l’allocation de son

temps ou de ses moments pour faire telle ou telle chose, ni sur la

séquence, ni sur la fréquence, mais qu’elle est celle de la durée perçue des

choses réalisées, tout le reste étant à peu près incorporé. Il semble qu’on

ne puisse pas raisonner de façon analogue pour des populations

immigrées puisque, pour le coup, il y a ces cliquets administratifs qui

interdisent d’incorporer tous ces éléments. On ne peut pas allouer son

temps comme on veut ; on ne peut pas choisir tous les moments ; on ne

1 Cf. Roland Barthes, Comment vivre ensemble, Cours et séminaires au Collège deFrance (1976-1977), Seuil, 2002.2 Sur ces problématiques, on peut se reporter en langue française à une lettre deliaison “Temporalistes”, fondée en 1984 à l'initiative d'un groupe de chercheursattachés à l'étude du temps en sciences humaines, qui est disponible à l’adressesuivante : http…sociologics.org/temp-oralistes/home/index.html.

- 91 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

peut pas organiser soi-même les séquences ni les fréquences, parce

qu’elles sont imposées pour une part par des conditions de vie qui sont

quand même assez particulières. Cela est notamment observable dans les

sociétés de nettoyages industriels où les problèmes de temps sont

inséparablement des problèmes de statuts et, mêmes lorsque ce sont des

problèmes de temps, ils ne se posent pas tout à fait de la même façon1.

10.— Ceci pose la question des moyens dont on dispose pour mesurer des

conditions de vie qui sont faites à ces populations et qui sont quand

même, et on le sait sensiblement, différentes des conditions de vie des

nationaux. Il n’est pas sûr qu’il suffise de désagréger des enquêtes emploi

du temps, en distribuant immigrés et non-immigrés, pour constater que le

partage quand l’homme immigré travaille, est beaucoup plus inégalitaire

que dans le cadre des nationaux, et illustrer un trait culturel. Ce qui n’est

peut-être même pas faux. Néanmoins, cela indique-t’il réellement quelque

chose de pertinent sur les problèmes de qualité de vie ?

11.— Plus largement, n’y a-t-il pas à interroger une stratégie plus ou

moins explicite des Etats développés à maintenir les populations

immigrées largement hors des flux temporels normaux et institutionnalisés

du travail, pour préférer les maintenir dans une trame temporelle

administrée qui s’adresse à leur personne directement, avec des

conséquences pour le travailleur. Pourrait-on croiser les différences

nationales sur les discours sur l’intégration avec des données sur les

périodes nécessaires à l’obtention les titres de séjour, de nationalité ou

même les convocations ? Ce sont des partitions du temps (quasiment au

sens musical plutôt qu’ensembliste), partition du travail et partition

administrative, qui sont extrêmement importantes. Une illustration très

parlante, même si c’est difficile d’en faire une catégorie statistique, a été

donnée lors d’un séminaire de la mission avec « le fait qu’on peut passer

son temps à échapper à la police. » Ce sont des temps sociaux, des temps

marginaux, qui n’ont pas droit de cité… Le risque est, on le voit, de tomber

sur des catégories de temps inqualifiables qui sont pourtant l’ordinaire de

ces populations, comme le temps qui peut être capté par les institutions.

1 Angeloff (T.) : « Employées de maison, aides à domicile : un secteur paradoxal. »in Florence Weber et al. Charges de famille. Dépendance et parenté dans la Francecontemporaine. Paris : La Découverte, 2003. Coll. Enquêtes de terrain. ; Le tempspartiel : un marché de dupes ? Préf. de Margaret Maruani. Paris : Syros, 2000, 226p. ; Conditions d’emploi, salaires et horaires des emplois à temps partiel court. Lecas des employés de maison et des agents d’entretien dans les secteurs public,privé et associatif, Rapport pour le Service des Droits des Femmes du Ministère del’Emploi et de la Solidarité, juin 1999, 136 p.

- 92 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

12.— Un regard un peu aiguisé porté sur les situations administratives voit

varier “la charge de travail” des organisations et des personnes et dans la

confection de leur dossier. Un responsable de la recherche d’une Caisse de

Sécurité sociale (Pierre Strobel, Caisse nationale d’allocations familiales,

CNAF, Paris) proposait en 1998, lors d’un séminaire de la Caisse nationale

d’allocations familiales consacré au service public, l’idée d’une

redistribution de la charge de travail au guichet des prestations familiales

entre la caisse et ses allocataires, suggérant une ré-affectation des gains

de productivité en vue de transférer pour partie à l’organisation la charge

de travail de l’allocataire1.

13.— Ces brèves remarques débouchent sur l’idée de structurer

l’observation des activités qui sont imposées aux migrants du fait de leur

situation d’immigré ou de leur statut d’étranger et en quoi ces activités les

freinent ou leur interdisent de trouver un rythme qui leur soit propre et qui

se traduise par une réelle insertion/intégration.

14.— Ces brèves remarques débouchent aussi, ce faisant, sur le caractère

crucial des mesures de regroupements familiaux qui permettent d’avoir au

moins à disposition une sphère à partir de laquelle les personnes

immigrées peuvent se redéployer et fabriquer un temps, un rythme de vie,

qui leur appartienne véritablement à partir de l’intimité : une organisation,

en conséquence, qui gagne en autonomie, en idiorythmie.

1 Cité dans Laurent Duclos, “ La conciliation entre vie professionnelle, vie familialeet vie personnelle ”, in Les arrangements quotidiens dans la ville, CGP-DélégationInterministérielle à la Ville, Actes de la journée d’études du 27 juin 2002, quisoulignait que cela supposerait, évidemment, de « déterminer ce qui figure dans la“zone grise” entre l’organisation et l’usager ».

- 93 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 7 - LE TEMPS DES SANS PAPIERS

ANDREA REA

Le terme « temps » des sans papiers est à utiliser dans un double sens,

d’une part, celui de “l’époque des sans papiers”, et d’autre part, celui de la

dimension du temps vécu pour les individus qui sont sans papiers.

Dans le cadre de ce chapitre, je ne pourrai pas démontrer l’ensemble des

points que j’évoquerai. Néanmoins, ceux-ci ont pu faire l’objet de débats.

Je voudrais aborder trois aspects. Le premier concerne l’évolution des

politiques d’immigration de l’Union européenne et de ses Etats membres.

Le deuxième est relatif au temps des marchés économiques et de certains

marchés du travail, en particulier. Le troisième s’attache spécifiquement à

la question du temps vécu par les individus sans papiers.

Cette troisième partie se fonde sur les résultats d’une enquête sous forme

d’entretiens menée auprès de cent trente sans papiers en Flandre, à

Bruxelles et en Wallonie et qui sont repris dans un ouvrage intitulé

« Histoires sans papiers ». Je vais synthétiser ici certains aspects figurant

dans ce livre1.

Cependant, pour commencer, je voudrais expliquer les changements

profonds qui se sont produits dans les politiques d’immigration des pays

européens dans le cadre de la construction de l’Europe et l’influence de

ces évolutions sur la manière de penser la question de l’immigration et de

considérer les migrants. En particulier, est apparue et s’est développée la

catégorie des sans papiers (ou des « undocumented », en anglais) qui

rassemble les individus résidant de manière illégale sur le territoire d’un

Etat membre auxquels il faut ajouter les personnes qui y séjournent de

manière légale dans le cadre d’une procédure d’asile mais dont l’insécurité

juridique quant à l’issue de cette procédure se prolonge pendant une

durée telle qu’ils en deviennent incapables de se projeter dans l’avenir et

s’installent dans une situation de vie précaire et instable.

Durant les années soixante, les principaux pays européens importateurs

de main d’œuvre étrangère, c’est-à-dire essentiellement l’Europe

continentale et en particulier la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la

1 Adam Ilke, Ben Mohammed Nadia, Kagne Bonaventure, Martiniello Marco, ReaAndrea, Histoires Sans-Papiers, Bruxelles, Editions Vista, 2002.

- 94 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Belgique, partageaient fondamentalement un modèle d’immigration dite

ordonnée. Il existait un pays de départ de la main d’œuvre et un pays

d’arrivée et, entre ces deux pays, étaient signées des conventions

bilatérales établissant les droits des individus et ce, compris, par exemple,

le droit au regroupement familial. C’était le cas, en particulier, des

conventions signées avec la Belgique pour laquelle la politique familiale

constituait une justification à l’importation de main d’œuvre. Les pays

d’origine exerçaient également, de cette manière, un certain contrôle sur

les droits de leurs ressortissants. Dans la logique de l’époque, les

immigrés étaient, en quelque sorte, intégrés mais infériorisés et venaient

gonfler la masse des classes ouvrières nationales. Ils n’avaient peut-être

pas exactement le même statut social que les ouvriers nationaux du fait

de pratiques racistes y compris au sein des organisations syndicales, mais

néanmoins, ils y étaient intégrés.

A l’heure actuelle, malgré le discours sur l’immigration zéro dont la

fonction symbolique a néanmoins été fondamentale, l’immigration n’a

jamais cessé sur le terrain. Les données relatives à l’OCDE montrent

notamment qu’au cours des dix dernières années, 3 millions de personnes

ont été régularisées dans les quinze Etats membres de l’Union

européenne. Il s’ensuit que les procédures de régularisation représentent

aujourd'hui une des modalités d’immigration qui n’est ni pensée ni

négociée de manière collective a priori. La sélection individuelle dans le

pays d’arrivée amène certains à être retenus et donc reconnus et les

autres à être relégués dans un statut de marginalité et donc d’infra-droits.

L’immigration actuelle se poursuit mais n’est plus gérée bi-latéralement

au niveau des gouvernements des Etats concernés, d’autant que les

personnes sont originaires de lieux très différents.

Parallèlement, se développe un discours sécuritaire dans lequel la

question de l’immigration est continuellement associée à la criminalité et à

l’intégrisme musulman, auquel vient s’ajouter une confusion importante

entre trafic des êtres humains et immigration qui subsiste dans les textes

européens notamment, et qui ne facilite pas la compréhension des

phénomènes migratoires. Le migrant est systématiquement stigmatisé et

qualifié de délinquant, c’est-à-dire celui qui jouit trop par rapport à sa

contribution à la société et constitue, donc, une menace.

L’hypothèse, que nous retenons et que nous nous attachons à démontrer,

est qu’aujourd’hui l’immigration illégale représente la forme même de

l’immigration vers les pays de l’Union européenne par le biais de ce que

nous appelons “la politique de la tolérance” comprise dans le double sens

du verbe “tolérer”, à savoir accepter même quand c’est interdit.

L’interdiction fait, et c’est cela l’essentiel du dispositif, que les individus

migrants sont toujours soumis au risque d’expulsion et sont de ce fait

- 95 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

maintenus dans une condition d’insécurité de séjour constante. Dans ce

contexte, une contradiction apparaît au niveau des Etats entre la position

relativement conservatrice selon laquelle ils disent ne pas avoir besoin des

immigrés et la situation réelle qui est qu’ils expulsent bien moins

d’immigrés illégaux que ce qu’ils pourraient prétendre en vertu du

discours d’invasion qui est tenu. Cette situation amène à se poser la

question du pourquoi ?, et permet d’aborder le deuxième point qui

concerne le temps des marchés du travail.

En effet, il apparaît que la forme actuelle de l’immigration revêt une utilité

pour certains segments du marché du travail. Je renvoie d’ailleurs, sur ce

sujet, au chapitre de François Brun (Cf. infra) sur l’utilisation de la main

d’œuvre immigrée. Le temps des marchés du travail dont il est question

est celui du travail flexible, c’est-à-dire de la dépossession du temps du

travailleur ou de la définition du temps uniquement par l’employeur. Le

marché du travail fonctionne ainsi selon un mode instantané en fonction

des besoins immédiats de main d’œuvre. A ce niveau, une évolution

importante apparaît également par rapport à la situation qui a prévalu

dans les années soixante et jusqu’à la moitié des années soixante-dix. Les

migrants se retrouvent de moins en moins dans les secteurs industriels ou

la demande de main d’œuvre est en régression généralisée mais dans les

segments combinant à la fois une grande flexibilité du travail et une

intensité de main d’œuvre élevée. Il faut des personnes pour répondre à

une demande de travail immédiate qu’il n’est pas possible de mobiliser

par le biais de procédures administratives, trop lourdes. Une autre

caractéristique des segments du marché du travail employant des

immigrés est la faiblesse de la rémunération et les mauvaises conditions

de travail. Les exemples suivants sont tirés d’études réalisées notamment

par le GERME (Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations

et l’Exclusion – Université Libre de Bruxelles)1.

Il est bien connu à Bruxelles, et de nombreux étrangers qui ne sont pas

immigrés comme les fonctionnaires des institutions européennes en

bénéficient, que le secteur de la construction emploie un nombre

important de travailleurs au noir. Il est, par ailleurs, de notoriété publique

également, qu’il s’agit d’un segment alimenté fortement par l’immigration

clandestine polonaise, notamment en ce qui concerne les travaux pour des

particuliers. Selon les statistiques officielles, il y aurait environ 3000

polonais qui, résideraient à Bruxelles. Or, en étudiant les statistiques de

manière plus approfondie et sur la base d’enquêtes qualitatives menées

notamment dans le cadre d’une thèse de doctorat en cours sous ma

direction, ce chiffre monte entre 25.000 et 30.000 Polonais vivant à

Bruxelles dans des contextes très différents puisque certains y sont

installés tandis que d’autres sont dans une logique pendulaire. Ils

1 Cf. http://… www.ulb.ac.be/socio/germe.

- 96 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

viennent trois mois en Belgique, retournent en Pologne, reviennent,

repartent en Allemagne, etc. Le secteur de la rénovation et de la

réhabilitation urbaine à Bruxelles fonctionne en partie grâce à la présence

de ces clandestins polonais qui travaillent en général pour un salaire de 8

Euros de l’heure, durant six jours par semaine et dix heures par jour. Le

paradoxe est que, pour attirer des personnes à hauts revenus, l’Etat

accorde des aides publiques à des propriétaires dont une partie est

recyclée pour payer des travailleurs en situation illégale. Le problème

n’est bien sûr pas de sanctionner les Polonais qui acceptent ces emplois

mais d’analyser la structure d’appel de ce type de main d’œuvre.

Le phénomène vaut la peine puisque même les télévisions étrangères

viennent le filmer. Pour ceux qui connaissent Bruxelles, se trouve non loin

du centre un canal industriel qui traverse la ville et à coté duquel se situe

un lieu nommé le Petit Château et qui est, en réalité, un centre ouvert

accueillant des demandeurs d’asile en cours de procédure.

Depuis maintenant trois ans, chaque matin, toute personne longeant le

Petit Château aura l’occasion de voir entre 200 à 250 personnes,

généralement des hommes, qui stationnent devant le bâtiment et qui sont

des candidats à l’emploi non déclaré notamment dans le secteur de la

construction. Ce sont en général des demandeurs d’asile déboutés qui se

retrouvent à cet endroit sachant que quelqu’un viendra les y chercher

avec une petite camionnette. Lors de l’enquête, il avait été demandé à la

police et aux fonctionnaires de l’inspection du travail pourquoi ils

n’intervenaient pas. Leur réponse a été bien sûr de dire que ce ne sont

pas les clandestins qui doivent être poursuivis mais ceux qui les

emploient. Néanmoins, il est frappant de constater, indépendamment de

la question de la procédure choisie par les autorités, qu’il existe une

visibilité certaine et donc a fortiori une tolérance à l’égard de ce type de

travail. Il existe, par ailleurs, des formes de hiérarchisation dans le travail

clandestin. Les Nigérians demandent 4 Euros de l’heure, alors que les

ressortissants des ex-pays de l’Est demandent en général entre 8 et 9

Euros.

Un autre secteur traditionnel pour le travail au noir, bien que plus

développé dans d’autres pays que la Belgique est celui de l’agriculture et

de l’horticulture. En ce qui concerne l’horticulture, le modèle californien

qui consiste à veiller à ce qu’il y ait toujours suffisamment de main

d’œuvre semble se généraliser à l’ensemble de l’Union européenne. Pour y

parvenir, la technique consiste à avoir toujours une marge de sécurité

avec des travailleurs en situation de clandestinité. D’autres spécialistes

peuvent en parler plus longuement. En Belgique, surtout en Flandre pour

les récoltes de fruits et légumes, des personnes en situation illégale sont

embauchées de cette manière.

- 97 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Troisième exemple plus urbain et également très connus, c’est celui des

hôtels et des restaurants. Il suffit de se rendre à Bruxelles dans un

restaurant et d’aller voir qui est dans la salle et qui est à l’arrière pour

comprendre la situation des individus et pour constater l’ethnicisation

dans la division du travail.

La domesticité est un segment également investi par les Polonais. La

division sexuée du travail est très forte puisqu’elle est essentiellement

l’affaire des femmes alors que les hommes travaillent dans la

construction. Elles vendent leurs place à d’autres congénères créant une

forme de circulation entre la Belgique et la Pologne.

Enfin, les transports internationaux sont un autre secteur très développé

en Belgique surtout dans la province du Limbourg. Un débat a d’ailleurs eu

lieu dans ce cadre à l’occasion de l’affaire Willy Betz, sur le fait qu’il est

possible de rencontrer une situation où l’on trouve en présence – c’était

l’exemple repris dans les documents parlementaires – un camion français

transportant un fret italien dans une remorque immatriculée en Espagne,

conduit par un chauffeur Bulgare en possession de documents rédigés en

alphabet cyrillique. Quand le conducteur de ce camion est contrôlé,

quelque part sur la côte française, il est quasi impossible de savoir qui il

est, d’où il vient et s’il se trouve ou pas en situation régulière. Ce cas de

figure atteste d’une tendance claire à la propagation de formes de

contrats de travail tout à fait illégaux. La fraude sociale qui en résulte est

aujourd’hui relativement répandue.

Pour terminer ce chapitre, j’aborderai la question des sans papiers dans

le contexte qui est le leur, qui les amènent à reprendre pour leur compte

le mot d’ordre des punks des années soixante-dix « No future », dans la

mesure où ils se trouvent dans l’incapacité de pouvoir se projeter dans le

temps. Leur priorité est avant tout de se débrouiller pour être encore là

demain avec des risques plus ou moins grands d’expulsion selon leur pays

d’origine, ainsi que le montrent les entretiens qualitatifs. Les sans papiers

ressortissants d’un pays européen extra–communautaire, et en

particulier, de l’un des dix Etats qui vont entrer dans l’Union européenne

sont davantage tolérés. Par contre, les personnes originaires d’Afrique

sont parmi les premières visées par les expulsions, ainsi qu’une partie des

Latino-américains. Les questions récurrentes qu’ils se posent est :

« serons-nous là demain ? Est-ce qu’il est possible de nous investir dans

ce pays ? ». En effet, l’espoir des migrants actuels n’est plus le mythe du

retour, celui des immigrés des années soixante, mais au contraire le

mythe de l’installation. Ils veulent avant tout rester ici et obtenir des

documents officiels.

- 98 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

A ce niveau, une série de stratégies sont développées dans le quotidien

qui tournent autour de la manipulation de l’identité et qui s’apparentent,

en réalité, à des stratégies de survie comme, par exemple, acheter des

médicaments avec la carte de sécurité sociale d’une autre personne pour

bénéficier du remboursement par l’assurance soins de santé. Les sans

papiers dépensent aussi une énergie considérable pour éviter les contrôles

de police. Ils évitent les espaces publics, comme les galeries marchandes.

Ils essaient de rester dans l’invisibilité, ce qui les amène à rester confinés

le plus souvent dans des espaces relativement clos.

Dans ces circonstances, comme le chapitre de François Brun (Cf. infra) le

met en évidence également, les rapports sociaux de solidarité se

transforment en des formes de connivences ethniques où les personnes ne

connaissent plus que leurs semblables. Il arrive fréquemment que des

personnes vivant en Belgique depuis dix ans ne disposent que d’un réseau

social extrêmement restreint qu’ils sont en mesure de mobiliser et ne

connaissent pas de Belges. Cette situation accroît encore la précarité et

l’insécurité du séjour, par rapport à l’Etat de droit, dans la mesure où

l’absence de papiers s’apparente à une non-existence de la personne.

Par comparaison avec les clandestins des années soixante-dix, l’évolution

fondamentale, en tous cas dans des pays comme la France, la Belgique et

l’Allemagne, est que les immigrés tendent aujourd’hui à être à la marge

de l’Etat social. Ils ne bénéficient plus des acquis qui étaient ceux du

salariat, et en particulier, de l’un de ses éléments les plus important qui

est la sécurité sociale. Or, qu’est-ce que la sécurité sociale, si ce n’est un

salaire différé dans le temps ?1

La question du temps ressurgit donc. Les personnes migrantes sont ici

encore dépossédées de la capacité à investir dans la durée en raison de

leur non participation au salariat et donc au bénéfice du système de

sécurité sociale. Leur statut les limite en définitive à une gestion du temps

présent avec pour projet essentiel, mais paradoxal par rapport aux

immigrés des générations antérieures, non pas de retourner au pays mais

1 [Note de la rédaction : La description de la sécurité sociale comme l’applicationd’un “salaire différé” fait l’objet de discussion. Dans le système français en tout casoù les cotisations prélevées sur le travail et par l’impôt financent, à un momentdonné, les besoins. Partant, instantanéité oblige, il pourrait s’agir davantage d’untransfert, inter-générationnel par exemple en matière de retraite ou, pour lechômage, entre ceux qui sont “dans l’emploi” et ceux qui sont “hors emploi”, plutôtqu’inter-temporel et différé sur le modèle de l’assurance. Sur ces problématiques,voir Friot (B.), « La famille entre salaire et pauvreté », in Les implicites de lapolitique familiale, approches historiques, juridiques et politiques, sous la dir. de M.Chauvière, M. Sassier, B. Bouquet et alii, Paris, Dunod, 2000, p. 19-37 ; Friot (B.)Puissances du salariat : emploi et protection sociale à la française, Paris, LaDispute éditeurs, 1998 ; Barbier (J-C), Théret (B.), Le nouveau système françaisde protection sociale, Repères n°382, 2004]

- 99 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

de pouvoir rester. Cette constatation ressort de manière flagrante des

entretiens. Au mythe du retour, se substitue le désir de rester mais en

obtenant des documents officiels et donc le droit de circuler librement au

même titre que les ressortissants de l’Union européenne. La question des

documents pose un problème de droit civil au sens où elle restreint le

droit, non pas à migrer, mais à voyager et à se déplacer, et une fois

encore, limite de ce fait la capacité des demandeurs d’asile et des illégaux

à se projeter dans le temps.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 8 - LE PROJET DES MIGRANTS, UNE AFFAIRE DE TEMPS

FRANÇOIS BRUN

Emigrer : quitter sa terre.

Immigrer : faire le choix d’un autre pays, y débarquer.

S’installer : découvrir un autre environnement, des règles différentes.

S’implanter : inscrire ses projets dans la durée.

Reconstruire : une famille, une activité, une vie nouvelle…

Autant de moments, autant d’étapes, autant de chapitres dans l’aventure

menée à bien de la migration, de l’arrachement au réenracinement, du

déchirement au retissage de liens. Au-delà de la multiplicité et de la

diversité des itinéraires personnels , des rythmes et des cadences, le

temps du migrant a ceci d’immuable : daté d’un renoncement et d’un

abandon, il est tout en tension vers un avenir meilleur ; son

aboutissement optimal est la ré-appropriation de l’ailleurs.

Le temps des vivants est toujours semé d’embûches ; s’il est linéaire, sa

ligne est brisée. Mais celui des migrants a plus spécialement le sens que

lui confère le projet impérieux qui le sous-tend : la rupture qui en

marque l’origine est aiguillon. Le cap est mis. Les traquenards devront

être déjoués, les orages affrontés, les obstacles à tout prix surmontés. Et

le retour est souvent interdit, impossible ou tabou.

Le temps des migrants a donc sa propre déclinaison au regard de celui de

la « commune humanité ». Nous allons tenter d’en donner quelque idée.

La construction endogène du temps : les âges de la vie

Le temps de comprendre

Le départ d’un lieu est départ dans le temps. Loin de chez soi, les repères

anciens disparaissent ou tout au moins s’estompent. D’emblée, les

contraintes sont rudes, mais le jeu est ouvert. Et en même temps il faut

tout redécouvrir. Quelques soient le moyen et les conditions d’entrée

dans un autre pays, le degré de préparation, les soutiens disponibles

(familiaux, amicaux, communautaires…), le voyage est pour une part

initiatique, les premiers temps de la migration sont ceux de

l’apprentissage. Dans le meilleur des cas, la maîtrise de la langue du

pays « d’accueil », ( si « accueil » il y a), n’est pas pour autant celle de

ses codes, qui peuvent rester longtemps indéchiffrables.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Il faut d’abord se faire accepter, quasi nécessairement au terme d’un

cheminement difficile, fréquemment douloureux. Et pour cela, il faut

comprendre.

Cela veut d’abord dire prendre conscience de sa propre image : en

premier lieu de l’image que l’on a avant même d’être avoir été vu,

ensuite de celle qui colle à la peau quand un tri spontané tend à retenir

tout ce qui conforte les stéréotypes, au détriment de ce qui les infirme.

Mais symétriquement, il faut, pour le migrant aussi, rectifier, affiner,

voire se départir de sa représentation pré-établie du monde vers lequel

le porte et auquel le confronte bientôt son aventure. Nul ne peut

échapper à cette tautologie : chacun est l’Autre pour l’autre, l’Autre dans

sa surmontable étrangeté. Reste à la surmonter. Un processus laborieux

se met en route, il se passe des choses, mais… un geste, un regard, un

son, une méprise, et ce peut être la panne ou l’accident.

Peu à peu pourtant, l’immigré découvre en fait ce qu’on attend de lui, il

apprend les règles auxquelles il doit se conformer pour faire admettre sa

présence, la rendre non seulement tolérable, mais naturelle, en tout cas

non problématique.

Entendons-nous : il n’y a rien là à quoi échappent, dans leur généralité,

les relations humaines. Tout être, même né dans la maison d’en face,

n’en est pas moins singulier ; il est l’Autre et son altérité résiste. Le

connaître (voire le comprendre), et se faire connaître (voire se faire

comprendre) sont des choses qui s’apprennent. L’enfant, l’adolescent,

ont avec le migrant, cette expérience commune. Le chemin est balisé.

Mais les risques de la conduite ne sont pas les mêmes pour tous : la

route des immigrés est plus étroite, plus sinueuse et montueuse, le

précipice n’est jamais loin et il n’y a pas toujours de barrière de sécurité ;

parfois ce n’est plus guère qu’une piste. Bref, on y avance moins vite.

La chute, l’échec, c’est le retour, contraint, « aidé » ou résigné. L’étape

victorieuse, c’est le passage de l’aventure, temps de précarité, au projet,

temps de l’établissement.

Le temps de faire

Le touriste, le visiteur cherche à comprendre (au mieux) pour connaître,

si superficielle que soit cette connaissance : « vous connaissez le

Maroc ? Non, mais je connais la Tunisie ! ».

L’immigré n’a pas la « connaissance » pour premier souci. Il veut

comprendre pour survivre, tenir, trouver sa place, « faire son trou ».

- 102 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

L’immigration, quelque argutie qu’on puisse développer à cet égard, est

toujours immigration de travail ou tend par nécessité à le devenir, en ce

simple sens qu’on émigre pour vivre ailleurs et qu’« il faut travailler pour

vivre ». Les raisons d’émigrer peuvent être mêlées, mais l’immigration,

elle, ne s’accommode pas de l’inactivité.

Avoir trouvé ses repères, ajusté ses représentations, pris la mesure de la

place qui lui est plus ou moins implicitement assignée permet à l’immigré

de construire un projet. Il sait désormais que son passé, professionnel ou

autre, est, au regard du monde qui l’entoure, pour une large part aboli,

puisqu’il n’a pu l’emporter à la semelle de ses souliers. Concrètement,

cela veut dire que ses acquis et ses compétences sont rarement reconnus

ou tout au moins appréciés à leur juste valeur, encore moins

monnayables à leur juste prix. Mais il sait aussi qu’il lui incombe de

justifier sa présence. Il a quelque idée de la demande à son égard d’une

société qui entend bien l’utiliser à meilleur compte et sans lui faire de

cadeau. Il ne peut donc que se plier à cette demande, et s’efforce

seulement de négocier au mieux, à chaque étape de son parcours, les

conditions de cet échange d’une place contre un service.

On peut relever la similitude de cette phase du processus d’insertion des

immigrés avec l’étape de l’entrée dans la vie active des jeunes

générations. Comme l’apprentissage d’une vie nouvelle qu’il devait faire

dès son arrivée le renvoyait à sa prime jeunesse, il s’agit encore une fois

d’une expérience commune. Mais elle s’impose pour les immigrés dans

des conditions que connaissent plutôt ceux qui subissent que ceux qui

choisissent. La liberté dans le « choix » d’une activité s’apparenterait en

fait pour eux à celle qui préside par exemple à l’orientation en fin de

troisième des jeunes des « quartiers difficiles », comme on dit

aujourd’hui1. Les années peuvent changer la donne, mais les délais sont à

la hauteur des handicaps : le temps des migrants, celui qui est

nécessaire pour donner forme à un projet, pour le mener à bien et pour

le remodeler en fonction de ses possibilités, est distendu. Il se compte à

partir des gages qu’il leur convient de donner : ce qu’on appelle des

« preuves d’intégration ».

Le temps d’être

Au fil de ces preuves d’intégration qui lui sont demandées, l’immigré suit

un parcours défini par la dialectique des droits et des devoirs, dont le

trait dominant est que la reconnaissance de ses droits a toujours un

temps de retard sur le respect de ses devoirs auxquels on lui enjoint de

1 Les plus âgés se souviennent peut-être que l’on parlait jadis plutôt de « classespopulaires ».

- 103 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

satisfaire. Mais c’est le parcours obligé pour, au bout, être « comme les

autres », accéder à une vie « normale », un statut d’adulte en quelque

sorte.

La dernière étape de ce processus se déroule dans le cadre familial.

L’aboutissement des projets des enfants peut compenser les frustrations

des parents. Ce sont eux qui vont être en mesure de se situer vraiment

sur une trajectoire d’ascension sociale qui représente l’aboutissement de

leur projet migratoire.

Une fois encore, ce report des espoirs et des attentes d’une génération

sur la suivante n’appartient pas qu’aux immigrés. Mais il a son caractère

propre. En premier lieu, parce qu’il est soumis à des aléas

particuliers, qui tiennent d’abord des diverses formes de discrimination

qui s’attachent à l’origine ethnique. Au-delà de cette considération,

l’enjeu est d’une autre nature : la « réussite » des enfants, s’ils gagnent

bien leur vie, s’ils occupent une place à laquelle ils n’auraient sans doute

jamais pu se trouver dans le pays d’origine des parents, donne tout son

sens à leur décision d’émigrer. Elle est véritablement le prix de leurs

efforts.

Enfin, les enfants nés dans le pays d’accueil renvoient l’image d’un autre

destin : ils y ont effectué leur scolarité, ils en maîtrisent la langue, ils

n’ont pas d’accent, ils n’ont pas besoin d’adopter, de jouer, voire de sur-

jouer des modes de vie qui leur sont naturels. Le fils d’immigré n’est plus

un émigré. Il a droit de cité, au sens propre. Il peut même revendiquer

comme bon lui semble, son origine. Le droit de vivre là où il vit n’est plus

à conquérir. A travers eux, les parents qui ont conquis ce droit peuvent

se sentir enfin justifiés.

Mais c’est aussi dès lors le temps de la mémoire. Avoir un avenir autorise

à se réclamer d’un passé. Rien ne témoigne mieux du droit à l’existence

que la reconnaissance de son histoire à travers sa réinscription dans

l’Histoire. Cette réinscription est le dernier temps de la migration, celui

où le fil du temps est reconstitué.

La construction exogène du temps : les nécessités de la vie

La vie n’est pas un long fleuve tranquille : la construction du temps

n’échappe pas aux traverses qui en dévient le cours. Si tout parcours de

vie peut se lire comme un roman d’apprentissage dont le sens est donné

dès les premières pages, chacun de ces romans est aussi rempli de

tribulations liées à des événements extérieures. L’immigré en fait plus

que quiconque l’expérience.

- 104 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Temps et identité

La première rupture que doit supporter le migrant est le changement

d’identité : émigrer, cela veut dire renoncer aux droits, si limités soient-

ils, que conférait une identité reconnue dans le pays d’origine ; avoir

besoin de « papiers » pour se faire reconnaître ailleurs une identité et les

nouveaux droits qui s’y attacheraient.

Or, par une étrange aberration de l’Histoire de notre temps, la circulation

des hommes n’est, de nos jours, pas libre. Pour les Etats, les hommes

sont des « flux » et il coule de source que le contrôle de ces flux ne doit

pas leur échapper. L’accès à des titres de séjour durables est donc

problématique. Qu’ils entrent régulièrement dans le pays qu’ils ont choisi

et ne se voient pas renouveler leur titre de séjour temporaire, ou qu’ils

s’y introduisent clandestinement, nombre d’hommes et de femmes, ayant

rompu leurs amarres, en viennent ainsi à s’installer dans des pays de

« non-accueil » qui leur refusent papiers et droits.

Les conséquences de la privation de « papiers » rythment dès lors leur

vie. Elles la rythment très clairement au quotidien : à chaque instant, au

hasard d’un contrôle, tout peut basculer, l’aventure peut trouver son

terme. Tout projet est donc impossible à long ou à moyen terme. La vie

sans papiers est une vie en suspens. Le temps des sans-papiers est un

temps menaçant, mais immobile, pour une durée incertaine. Temps

immobile parce qu’on n’y progresse pas, mais qui n’en est pas moins

temps qui passe : temps qui use, d’angoisse et d’épuisement à la tâche ;

temps qui se creuse, d’années de séparation de parents qui sont toujours

au pays, ou d’une femme et d’enfants qui pour le moment ont dû rester

« là-bas » et qu’on n’ose pas faire venir. Les parents vieillissent et

peut-être mourront sans qu’on ait pu les revoir. Les enfants grandissent

au loin.

C’est le temps de la quête. On se présente aux autorités habilitées à

délivrer un titre. On attend la réponse. On attend beaucoup. On obtient

parfois une autorisation provisoire de séjour dans l’attente de cette

réponse ou on se retrouve dans les limbes d’une présence tolérée tant

qu’un refus explicite n’a pas été exprimé. On s’enfonce dans la précarité

et la succession de vagues lendemains. Au gré des régularisations, des

recours, des révisions de dossiers, ainsi que des refus, des avis négatifs,

des suppléments d’information, des jugements de telle ou telle instance,

des menaces d’expulsion et des replongées dans la nuit, l’espoir parfois

renaît, mais le cède souvent au découragement.

- 105 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les procédures, les modes de gestion et d’organisation de la précarité

varient d’un Etat à l’autre, d’un gouvernement à l’autre, d’une loi à

l’autre. Mais le fond reste le même. Des années durant, la vie des sans-

papiers ne se conjugue qu’au présent, ce temps qui, non relié au passé

ou au futur, est le temps du non-être. Comme le temps des

« bénéficiaires » d’une carte de séjour temporaire, sous leur épée de

Damoclès, est le temps du peut-être.

Le temps des textes

Pourtant, si le fond ne change pas, la mesure du temps qu’introduit pour

les étrangers la production de textes juridiques qui les concernent n’est

pas indifférente. Elle l’est d’autant moins qu’au fil de textes dont la

conception varie peu, en ceci qu’elle se ramène toujours à l’expression

d’une volonté de contrôle étroit, les prescriptions en matière de temps ne

cessent de changer, multipliant d’autant les cahots dans le parcours de

l’immigré, qui attend que les lois, décrets et circulaires qui lui sont

applicables fixent son destin.

Ces textes ne cessent d’évoquer des durées, de fixer des délais, de

prévoir des périodes. La loi dit la durée des titres de séjour qui peuvent

être successivement octroyés ; elle dit au bout de combien d’années ces

titres de séjour peuvent être délivrés, quand ils doivent être renouvelés.

Les textes fixent les délais d’application des décisions de l’Administration,

ainsi que les délais de recours devant les diverses juridictions ou encore

ceux à l’issue desquels une absence de réponse à une demande équivaut

à un refus. Elle indique les âges auxquels une demande de

reconnaissance de la nationalité peut être effectuée ou les âges limites

des enfants pour faire valoir une demande de regroupement familial. Les

durées de présence régulière sur un territoire, les durées de scolarité,

l’ancienneté d’un mariage sont autant de paramètres dont découlent

autorisations ou interdictions de toute nature : on déplace le curseur d’un

cran - assouplissement ou durcissement - et des existences s’en trouvent

bouleversées, des perspectives transformées.

Nul autant que l’immigré ne voit à ce point sa vie régie, dans son

déroulement et dans ses étapes, par le législateur et par les services qui

appliquent les textes. Bien entendu, il est dans la nature de tous les

textes juridiques, et pas seulement de ceux qui concernent les étrangers,

d’encadrer les dispositions en vigueur par des indications de temps. Mais

dans la mesure où la vie de l’étranger est, en gros et souvent en détail,

serrée au plus près par une infinité de textes, l’immigré, tant qu’il n’a

pas, au terme d’un long parcours, obtenu l’égalité des droits conférée par

la reconnaissance de sa citoyenneté, ne peut que « passer son temps »,

- 106 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

l’œil sur le calendrier, dans la peur ou l’attente de la date fatidique qui lui

dit : « trop tard ! » ou « enfin ! ».

Temps des personnes, temps des institutions

La nécessité d’être en règle, la volonté de faire valoir ses droits n’ont pas

de répercussions que sur le temps long, celui du projet de vie. L’individu

aux prises avec les institutions souveraines est singulièrement démuni.

Les effets s’en font communément sentir dans le temps de la vie

quotidienne. L’immigré ne manque pas, pour sa part, d’en faire

particulièrement l’expérience.

Il y a le temps des convocations : telle jour, telle heure et pas une autre.

On peut en principe demander un changement de rendez-vous. Mais

lorsqu’on a peur ou, simplement, si l’enjeu est important, même si cela

ne tombe pas à un très bon moment, on ne discute pas : on se débrouille

pour faire garder ses enfants ou pour les emmener avec soi et on sacrifie

sa journée de travail. Et on est là longtemps à l’avance. Quand on arrive,

il y a souvent la queue : les immigrés sont des gens qu’on n’hésite moins

que d’autres encore à convoquer par paquets : l’heure précise devient

tranche horaire, demi journée, chacun attendra son tour.

Il y a le temps des demandes : pour savoir à quoi on a droit, où

s’adresser, ce que signifie telle lettre reçue la veille. Là encore, il faut

attendre : il y a beaucoup de monde dans la salle, beaucoup d’immigrés.

Forcément : les autres ont moins souvent besoin de se renseigner, ils

connaissent en principe un peu mieux les rouages. Et s’ils ont quand

même besoin d’une précision ou s’ils ont une réclamation à formuler, ils

téléphonent ou ils écrivent. C’est plus commode et plus rapide.

L’immigré, lui, se dérange, il attend le bus et, sur place, il attend encore,

le temps qu’il faut. Il attend aussi des réponses : quand il s’agit d’une

demande d’asile, de régularisation, de regroupement familial ou de

naturalisation, la perception de la longueur de l’attente est à la hauteur

de l’enjeu ; on attend des semaines, des mois un courrier qui décidera de

toute une vie.

Il y a le temps du guichet. L’immigré ne comprend pas toujours tout de

suite ce que l’on lui dit, ce qu’on lui veut, quel document il doit encore

produire, où il doit se rendre pour l’obtenir ; il a du mal à s’exprimer, il

est stressé, il apparaît confus ou agressif. C’est interminable, derrière lui,

on s’impatiente. Le fonctionnaire, l’assistante sociale finissent par

l’expédier. Il devra revenir avec la pièce requise ou une demande plus

claire. Il proteste ou se résigne. Il renoncera ou tentera à nouveau sa

chance une autre fois.

- 107 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Une journée de perdue ; d’autres journées à venir.

Des journées ordinaires.

Temps et travail

Rester des années sans papiers, lot commun d’un contingent important

d’immigrés, toujours alimenté par de nouveaux arrivants, cela veut dire

endurer des années de travail irrégulier. Ne disposer encore, plusieurs

années durant, que de cartes de séjour temporaires renouvelables

annuellement comme en France, ou de droit au séjour lié à l’emploi,

comme aujourd’hui en Italie, c’est subir d’autres années de travail

nécessairement précaire.

Partout, les conditions d’emploi sont étroitement liées à la situation au

regard du droit au séjour. Cela se pose bien sûr d’abord en termes

purement juridiques : autorisation de travailler, accès à tous les emplois.

Mais aussi en termes pratiques : comment créer une entreprise, obtenir

un emploi qui ouvre sur de vraies perspectives de promotion lorsqu’on ne

sait pas si on n’aura encore le droit d’être là dans un an ? Pourquoi, (et

comment ?) dans de telles conditions suivre une formation ou des cours

de langue pour être moins exposé au chômage et pouvoir abandonner,

en changeant de métier, une activité où la concentration d’étrangers

souvent en situation irrégulière ou précarisés (bâtiment, restauration,

confection, services aux particuliers ou aux entreprises, agriculture…)

induit de mauvaises rémunérations, la soumission à une extrême

flexibilité, des entorses répétées au droit du travail ?

Pourtant, le temps de la vie quotidienne n’en est pas moins, une fois de

plus, sérieusement affecté par ces conditions d’emploi, essentiellement

caractérisées par la soumission à des pratiques de flexibilité maximale.

Cela conduit à supporter, en dehors de périodes non travaillées parfois

longues, une charge de travail très irrégulière et des horaires de travail

atteignant des durées quotidiennes considérables. Qui refusera de

travailler 12 ou 15 heures d’affilée s’il est en situation irrégulière, sous la

menace constante d’une dénonciation et dépourvu de toute possibilité de

recours… ou en situation précaire, confronté à la concurrence des

travailleurs irréguliers ? Qui se plaindra d’ailleurs de ces « coups de

bourre » s’ils permettent de compenser le manque à gagner des périodes

creuses ?

Les contraintes ou les usages propres aux activités où sont concentrés

les immigrés marquent également de leur empreinte le rapport au

- 108 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

temps : c’est par exemple le cas des horaires de la restauration, du

travail à la pièce dans la confection, du travail saisonnier ou même de

certaines astreintes des emplois domestiques.

L’incapacité de mobiliser le droit du travail hors de toute reconnaissance

de ses droits civiques et sociaux se répercute ainsi pleinement sur le

temps au travail. C’est plutôt gênant quand, sorti du travail, on n’a non

plus pas beaucoup de temps « à soi » !

Le temps libre

Avoir des itinéraires compliqués pour éviter les contrôles ; être aux

aguets comme un bandit en cavale ; éviter les sorties si on n’a pas une

bonne raison ; rester en fin de compte le plus possible chez soi, sauf pour

travailler et même parfois y rester pour y travailler ; ne pas même, bien

entendu, pouvoir imaginer des « vacances » pour soi ou pour ses

enfants, tel est le sort du sans-papier. Comment s’étonner dès lors

qu’une régularisation puisse souvent être assimilée par celui qui en

bénéficie à une sortie du prison, une libération ? Le temps passé en

situation irrégulière est tout sauf un temps de liberté.

Le « chez-soi » lui-même est d’ailleurs relatif. Comment être chez soi

lorsqu’on ne peut ni louer, ni acheter, ni trouver officiellement une place

dans un foyer ? Ne pas avoir de papiers, cela veut dire le plus souvent

être hébergé par de la famille ou chez des amis, ou encore être

surnuméraire dans une chambre de foyer. Dans tous les cas, cela veut

dire être largement tributaire du temps des autres, soumis à leur

organisation. Le temps du sans-papier est un temps dont il est largement

dépossédé jusque dans le lieu où il vit. Il dépend des horaires de ceux

qui lui offrent un toit.

C’est pourquoi la quête des papiers est d’abord la quête d’un minimum

de temps libre. Pour celui qui est en possession du précieux viatique,

tous les problèmes ne se résolvent pas miraculeusement. La ré-

appropriation du temps, en parallèle à la ré-appropriation de l’ailleurs, ne

sera que progressive et, comme pour tout un chacun, partielle. Le temps

de la précarité demeure pour une bonne part un temps de « galère »

passé à essayer de se sortir des multiples problèmes qui lui sont liés. De

ce point de vue, les immigrés ne sont pas seuls à connaître des temps

difficiles ; mais dès qu’ils sont en situation régulière, ils les partagent : ils

commencent, comme ils disent, à avoir des « soucis normaux ».

- 109 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le temps des familles

La constitution d’une famille, en tant qu’aboutissement du processus

conduisant l’immigré à être « comme les autres » est, elle aussi, en

grande partie dépendante de la régularité du séjour. Le temps du sans

papiers n’est pas encore non plus le temps de la vie en famille.

Le mariage lui même pose problème. Se présenter dans une mairie n’est

en soi pas sans risque. Une dénonciation n’est jamais à exclure. Mais la

lutte menée dans tous les pays contre les mariages blancs que des

autorités soupçonneuses ne cessent de chercher à débusquer et à

traquer est aussi déstabilisante. Les conjoints potentiels peuvent aussi

être rongés par un doute malsain. Difficile dans ces conditions de

s’engager dans une relation durable, sans arrière-pensée, non altérée.

Impossible de même d’avoir des enfants dans des conditions absolument

normales. Certes, les enfants peuvent aller à l’école et se faire soigner.

Mais ils n’ont pas l’impression d’être comme leurs camarades. Ils se

sentent obligés de se cacher vis-à-vis d’eux. Ils sont fréquemment privés

d’activités communes, telles que des voyages à l’étranger. De retour à la

maison, ils doivent endurer la lourdeur de l’atmosphère. Ils savent leurs

parents perpétuellement menacés. Ils ne peuvent pas connaître leurs

grands-parents restés au pays, comme le sont parfois certains frères et

sœurs.

Au demeurant, le regroupement familial, même lorsqu’il devient possible

après la régularisation, reste subordonné au bon vouloir du législateur

qui en dicte les conditions et en apprécie l’opportunité : âge des enfants,

taille du logement, revenu des parents, tout est passé au crible. Un seul

paramètre apparaît secondaire : le désir des familles.

La reconquête du temps

Le format de cet exercice ne nous permet pas de prendre en compte

toutes les dimensions d’un rapport au temps qui n’est notamment pas

indépendant des cultures : les notions de rapidité, de lenteur ou de

ponctualité, n’ont pas partout le même sens ; les mesures du temps

varient, ainsi que la conception du « tôt » et du « tard », du « long » et

du « court », de « jeune » et de « vieux » ; on ne saurait non plus

exclure que des traces d’une conception cyclique du temps se

manifestent dans certaines cognitions ou comportements.

Les conceptions du temps des migrants peuvent donc entrer en conflit

avec les conceptions dominantes dans le pays où il souhaite s’établir. A

cet égard, il conviendrait de s’intéresser aussi de plus près aux rapports

- 110 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

au temps et aux rythmes des différents pays européens : ils ne sont

certes pas identiques en Espagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. Mais

ces aspects sont d’autant plus difficiles à prendre en compte que les

rapports au temps induits par la place assignée dans le corps social aux

hommes et aux femmes, aux jeunes et aux vieux, varient eux aussi avec

les cultures : les choses ne se passent pas de la même manière par

exemple selon qu’il est ou non concevable qu’un homme participe aux

tâches ménagères, selon que l’âge est valorisé ou stigmatisé ou encore

selon qu’il est admis ou non qu’un jeune dispose d’une certaine

autonomie vis-à-vis des ses parents dans l’usage de son temps libre.

Le rôle déterminant de la législation imposerait aussi une analyse plus

fine des textes de chacun de ces pays, afin d’en apprécier plus

précisément l’impact sur « le temps des migrants ».

Mais nous ne pouvons ici que nous en tenir à quelques considérations

générales.

Les migrants, n’en déplaise à ceux qui n’en parlent qu’en termes de

« flux » ou de « stocks », sont d’abord des êtres humains. En ce sens, ils

ont un rapport au temps, qui anthropologiquement, ne présente aucune

différence fondamentale avec celui de tous les hommes pour lesquels le

temps est une dimension à travers laquelle on essaie de donner un sens

à sa vie en faisant quelque chose entre sa naissance et sa mort.

Les aspects particuliers du temps des migrants concernent trois points :

- Vivre, c’est aussi apprendre à vivre, c’est à dire apprendre à se

repérer, à circuler, à agir dans son environnement. Le migrant,

subissant, à un moment donné de son existence, une transformation

radicale de cet environnement, doit, quant à lui, réapprendre à

vivre. Il doit, à partir d’un point assimilable à une nouvelle

naissance, concilier l’être qu’il a été et celui qu’il doit être désormais.

Il est confronté en somme à un dédoublement du temps, reflet de

son propre dédoublement.

- Dans une société qui d’une part fait de la présence de l’immigré un

« problème » et d’autre part tend à ne le considérer que pour sa

force de travail, l’immigré fait doublement figure de dominé. Il

partage ainsi avec tous les dominés les contraintes fortes qui pèsent

directement sur la maîtrise de leur temps. Dans ce domaine comme

dans d’autres, l’immigré est un révélateur de nos rapports sociaux,

avec un effet grossissant.

- 111 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- Enfin, le temps des immigrés s’articule autour de l’événement décisif

que représente la reconnaissance en droit de leur présence. Privé de

titre de séjour régulier et durable, l’immigré est en suspens dans

une a-temporalité qui le dépossède de son avenir comme de son

passé. L’accès à une situation régulière est seule à même de le

réinsérer dans le cours commun du temps.

L’intégration est devenu un topique des discours sur l’immigration, avec

son caractère ambigu d’injonction, souvent contradictoire, et de

promesse. Elle pourrait être aussi sanction d’une reconquête : dans un

même mouvement, reconquête de son identité et reconquête de son

temps.

- 112 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CHAP. 9 - PRESTATIONS FAMILIALES ET REGROUPEMENT FAMILIAL —

L’ACCÈS AUX DROITS SOCIAUX DES FAMILLES ÉTRANGÈRES

CONTRARIÉ PAR LES POLITIQUES MIGRATOIRES

ANTOINE MATH

La protection sociale est un droit fondamental, protégé en particulier par les

textes internationaux, qui devrait valoir pour toutes les personnes quelle

que soit leur nationalité. Les discriminations vis-à-vis des étrangers en

matière d’accès aux prestations sociales n’ont pas disparu dans l’Union

européenne (UE) mais empruntent désormais de nouvelles formes sous

l’impulsion des évolutions des politiques dites de maîtrise des flux

migratoires. Les quelques 15 millions de ressortissants d’Etats tiers résidant

dans l’UE se trouvent dans une position défavorable. La construction

européenne, au fur et à mesure qu’elle a consolidé et enrichi les droits de

ceux qui sont aujourd’hui les « citoyens européens »1, a eu pour effet

paradoxal d’accroître le fossé et donc les discriminations à l’égard de ceux

qui ne le sont pas, en matière de liberté de circulation, d’accès au marché

du travail et aussi de droits sociaux2.

Dans cet article, nous voudrions examiner les droits aux prestations

familiales des familles étrangères et la remise en cause de ces droits sous

l’effet des politiques d’immigration. Notre raisonnement s’opère en trois

temps.

Nous revenons d’abord sur le principe selon lequel, entre familles

étrangères et familles nationales, devrait prévaloir l’égalité de droit en

matière sociale dans les pays de l’Union européenne. Les distinctions

fondées sur la nationalité en matière d’attribution de prestations sociales

sont désormais reconnues comme incompatibles avec les normes

juridiques en vigueur des sociétés démocratiques. La suppression de toute

« préférence nationale » ou « préférence européenne » n’est cependant

pas encore une réalité dans tous les pays de l’UE, en témoigne l’abondant

contentieux existant. La tentation de distinguer communautaires et non

communautaires persiste tant au niveau des pratiques administratives que

des idées des décideurs, sous la pression de partis populistes ou

1 Entendus depuis le Traité de Maastricht comme les individus qui ont la nationalitéd’un des Etats membres de l’Union européenne, à l’exclusion donc des autresrésidents.2 Math A. et Rodier C. (2003), « Communautarisation des politiques migratoires :entre fermeture des frontières et besoins de main d’œuvre », ChroniqueInternationale de l’IRES n°84, septembre 2003 (www.ires-fr.org)

- 113 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

xénophobes. Cette tentation se heurte aux avancées jurisprudentielles et à

la protection des textes internationaux qui ont permis de prohiber les

discriminations directes, c’est-à-dire celles qui consistent à traiter

différemment les personnes du seul fait de leur nationalité (1).

Mais, en même temps que les discriminations directes tendent à s’effacer,

émergent sous la pression d’idées défavorables aux migrants mais aussi

de la volonté de subordonner la protection sociale à la politique de

contrôle de l’immigration, d’autres formes de discriminations moins

ostensibles, mais tout aussi négatives dans leurs effets. Il s’agit des

discriminations indirectes, formes déguisées consistant non pas à

conditionner ouvertement l’accès aux prestations à la nationalité mais à

poser d’autres règles d’éligibilité qui, bien que pouvant apparaître neutres

au regard du critère de nationalité, aboutissent aussi à priver les étrangers

de prestations, ou même proportionnellement davantage les étrangers

(2).

A cet égard, il apparaît de plus en plus que les droits sociaux, et les

prestations familiales en particulier, sont mises au service de la police des

étrangers, au détriment de nombreuses familles. Ainsi, le fait de

conditionner de plus en plus les droits sociaux à l’impératif de contrôle des

flux migratoires, et en particulier les prestations familiales aux règles du

regroupement familial, couplé avec des restrictions apportées à ce droit au

regroupement familial, conduit à priver de nombreuses familles des droits

aux prestations familiales. Ces évolutions nationales se reflètent peu à peu

dans la politique d’immigration de l’UE en cours d’élaboration (3).

Le principe d’interdiction des discriminations directes en matière de

protection sociale

La discrimination directe, dite aussi ostensible, est "une différence de

traitement fondée sur une caractéristique précise", par exemple, un

avantage social accordé différemment selon le sexe, la religion ou la

nationalité du demandeur. Les progrès en matière de suppression des

discriminations directes ont d’abord concerné les travailleurs

communautaires pouvant se prévaloir de la liberté de circulation avant de

s’étendre à tous les ressortissants communautaires, puis aux

ressortissants non communautaires, non pas grâce au droit

communautaire pour ces derniers, mais sous la pression d’autres normes

juridiques.

- 114 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

L’égalité pour les travailleurs communautaires puis les citoyens européens

Pour garantir la libre circulation des travailleurs prévue à l’article 51 du

Traité de Rome, il importait de faire en sorte que les différences dans les

régimes de sécurité sociale ne puissent pas constituer une entrave pour

les travailleurs migrants ressortissants communautaires voulant user de

leur droit d’exercer une activité professionnelle sur le territoire d’un autre

Etat. Deux règlements relatifs à la « coordination des régimes de sécurité

sociale » pour les travailleurs migrants ont été adoptés au début des

années 1970, puis modifiés de très nombreuses fois1. Parmi les principes

de ces règlements qui visent à ne pas pénaliser le travailleur exerçant son

droit à la libre circulation figure l’égalité de traitement avec les

ressortissants de l’Etat dans lequel le travailleur migrant exerce son

activité. Ces dispositions, réservées au début au travailleur salarié, vont

être peu à peu étendues à d’autres catégories : les membres de famille

des travailleurs migrants et leurs survivants, les anciens travailleurs

migrants, les travailleurs indépendants (règlement 1390/81) et, beaucoup

plus récemment, les fonctionnaires (règlement 1606/98) et les étudiants

(règlement 307/99).

Il n’a cependant pas suffi l’adoption de ces règles au début des années

1970 pour obtenir aussitôt l’effectivité de l’égalité des droits, ce que

confirme l’important contentieux relatif à l’application de ces règlements.

Les Etats ont opposé des réticences à adapter leurs législations et leurs

pratiques. Par exemple, la France a refusé pendant longtemps de verser

les prestations familiales aux travailleurs communautaires pour leur famille

restée au pays, alors même que ces travailleurs versaient des cotisations

aux régimes français de prestations familiales. Il faudra deux arrêts de la

Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), en 1986 et en

1989, pour que la France cède enfin2. Et à la suite de ces arrêts, elle s’est

résolue en 1990 à exporter ses principales prestations familiales tout en

négociant pour en rendre certaines non exportables3. Les réticences d’alors

reflétaient davantage des idées étroites et des fantasmes d’invasion

totalement infondés puisque un nombre stable d’environ 3000

ressortissants communautaires travaillant en France bénéficient des

1 Règlements 1408/71 et 574/72. Cf. Favarel-Dapas B. et Quintin O. (1999),L’Europe sociale – enjeux et réalités, Collection Réflexe Europe, La Documentationfrançaise ; Kessler F., L’Hernould J-P. (2002), Code annoté européen de laprotection sociale, Groupe Revue Financière.2 CJCE, 15 janvier 1986, Pinna I. CJCE, 2 mars 1989, Pinna II.3 GISTI (1997), Le guide de la protection sociale des étrangers en France, guideGISTI, Syros ; Kessler F., L’Hernould J-P. (2002), op. cit.

- 115 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

prestations familiales pour leur famille résidant dans un autre pays

européen (pour plus de 6 millions d’allocataires des prestations familiales

françaises). En l’occurrence il s’agit surtout de portugais et de frontaliers

belges. Il faut ajouter qu’il y a davantage de familles résidant en France

qui en retour bénéficient de prestations familiales allemandes, belges ou

luxembourgeoises.

Plus récemment, l’égalité de droits entre ressortissants communautaires

va être renforcée à travers la notion de citoyenneté européenne. La CJCE a

ainsi reconnu l’égalité de traitement en matière de protection sociale à des

ressortissants ne tirant pourtant pas du Traité un droit à la libre

circulation1. Il s’agissait d’un français ayant séjourné en Belgique comme

étudiant et, y ayant terminé ses études, qui demandait à bénéficier du

minimex (le revenu minimum garanti en Belgique), une prestation à

laquelle un belge dans la même situation peut prétendre. Sa demande

avait été rejetée au motif que le bénéfice de cette prestation non

contributive pour les ressortissants communautaires est subordonné à la

condition qu'ils aient eu la qualité de travailleur. La CJCE a considéré que

les principes de citoyenneté européenne et de non-discrimination

s'opposaient à ce que la qualité de travailleur soit exigée des

ressortissants communautaires et pas des nationaux pour bénéficier d'une

prestation sociale, même non contributive.

La mise à l’écart progressive des discriminations directes à l’encontre des

ressortissants non communautaires

Afin de se conformer aux normes communautaires interdisant les

discriminations entre ressortissants communautaires, les législations

nationales ont d’abord remplacé la condition de nationalité du pays par

une condition de nationalité d’un pays de l’espace économique européen,

maintenant donc une condition de nationalité pour l’octroi de certaines

prestations. Si les ressortissants d’Etats tiers résidant en Europe se voient

reconnaître peu à peu le droit aux prestations sociales sans qu’on puisse

leur opposer une condition de nationalité européenne, ce n’est pas au droit

communautaire qu’ils le doivent : il ne leur offre quasiment pas de

protection. Les progrès ont été réalisés grâce à l’invocation d’autres

normes à l’occasion de recours juridiques menés par les intéressés.

- Dans un certain nombre de pays dont la France, la jurisprudence va peu

à peu considérer contraire au principe d’égalité reconnu en droit interne

1 CJCE, 20 septembre 2001, Rudy Grzelczyk.

- 116 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

toute condition de nationalité pour l’octroi d’une prestation. Par exemple,

le Conseil constitutionnel français, dans une décision de 1990, a considéré

que la condition de nationalité pour l’attribution d’une prestation aux

handicapés enfreignait le principe républicain d’égalité, à valeur

constitutionnelle. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont également

adopté cette position dans des arrêts de principe pris à la fin des années

1980 ou au début des années 19901.

- La jurisprudence, tant de la CJCE, que des juridictions internes, va

donner raison au début des années 1990 à des ressortissants non

communautaires se prévalant de conventions internationales qui, il faut le

rappeler, ont une autorité supérieure à la loi nationale. Il s’agit notamment

des conventions prises dans le cadre de l’Organisation Internationale du

Travail (OIT)2 et surtout les accords conclus entre la CEE et des Etats tiers,

et qui prévoient l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale.

Quatre pays sont particulièrement concernés : l’Algérie, le Maroc, la

Tunisie et la Turquie.

En France, l'invocation des dispositions de ces accords ont permis de faire

prévaloir sur la législation nationale le droit aux prestations non

contributives (allocation aux adultes handicapés, « minimum vieillesse »

ou pension minimum d’invalidité) à des ressortissants de ces pays. La Cour

de justice des Communautés européennes (CJCE) et la Cour de cassation

leur ont donné raison dès 1991. Mais l’administration a refusé pendant

près d’une décennie de se soumettre au droit3. Ce sont les centaines de

contentieux engagés pendant plusieurs années sur la base de ces accords

– ainsi que la menace d’un recours en manquement devant la CJCE - qui

ont contraint le gouvernement français à modifier sa législation et ses

pratiques sur les prestations non contributives4. La suppression de la

condition de nationalité française a été définitivement acquise, pour tous

les étrangers, par la loi du 11 mai 1998.

1 Etude "Discriminations", Dictionnaire Permanent - Droit des étrangers, Editionslégislatives, janvier 2003. Michelet K. (2002a), Les droits sociaux des étrangers,préface de Michel Borgetto, Coll. Logiques juridiques, L’Harmattan.2 En particulier, la convention 118 de l’OIT sur l’égalité de traitement en matièrede sécurité sociale du 28 juin 1962 et la convention n°97 sur les travailleursmigrants du 1er juillet 1949.3 Gacon-Estrada H. (1996), « Etrangers : la Sécurité sociale se moque de lajustice », Droit social ; CATRED, FNATH, GISTI, GRAVE, ODTI (1994, 1ère édition,1997, 2ème édition) Vers une égalité de traitement ? Les engagementsinternationaux de la France pour les handicapés et les retraités étrangers.4 Lochak D. (1999), « Quand l’administration fait de la résistance. Les prestationsnon contributives et les étrangers », in Mélanges E. Alfandari., Dalloz.

- 117 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- L’avancée majeure en matière d’égalité des droits va venir d’une norme

adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe : la Convention Européenne

de Sauvegarde des Droits de L’Homme (CESDH). Avec l’arrêt Gayguzuz1,

la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné l’Autriche

qui refusait une prestation de chômage de fin de droits à un ressortissant

turc du seul fait de sa nationalité. Dans son raisonnement, la Cour de

Strasbourg considère que les prestations sociales constituent un bien et

relèvent en tant que tel du droit de propriété. Elle en a déduit qu’elles

entraient dans le champ protégé par la convention et que l’égalité de

traitement devait leur être appliquée. Elle a considéré qu’une condition de

nationalité pour une prestation sociale est discriminatoire car il s’agit une

"mesure qui manque de justification objective et raisonnable", qui ne

poursuit pas de "but légitime" ou encore qui ne comprend pas de "rapport

raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé".

D’autres décisions de la CEDH sont venues prohiber toute condition de

nationalité en réitérant ce raisonnement2, dont un arrêt condamnant la

France en ce qui concerne l’allocation aux adultes handicapés3.

Cette jurisprudence a été rapidement suivie en France par la Cour de

Cassation4 et par le Conseil d'Etat5. La CESDH pourrait même conduire à

considérer l’exigence d’un titre de séjour comme discriminatoire, sauf à

démontrer une justification objective et raisonnable pour une telle

limitation6.

Les discriminations directes fondées sur la nationalité devraient donc

toutes disparaître en matière de protection sociale dans l’Union

européenne. C’est malheureusement encore loin d’être le cas dans la

réalité. Par exemple, l’Autriche, malgré les condamnations, persiste à

refuser les allocations non contributives aux chômeurs étrangers7. Ce fut

aussi le cas de la France qui a refusé pendant une décennie d’appliquer le

droit en ce qui concerne les prestations non contributives et n’a cédé qu’en

1998. Et elle continue toujours pour les pensions civiles, les pensions

1 CEDH, 16 septembre 1996, Gaygusuz c/ Autriche.2 CEDH, 30 juillet 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni.3 CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/ France, requête n° 40892/98.4 Soc. 14 janvier 1999, Bozkurt c/ CPAM de Saint Etienne, pourvoi n°B 97–12.487 ; Soc. 21 octobre 1999, Kunt, droit social 1999, p.1122.5 Par exemple, CE, Rouquette et Lipietz, 5 mars 1999, RFDA 1999 p.357 concl.Maugüe et CE, Ministre de la défense c/ M. Diop / Ministre de l'économie, desfinances et de l'industrie c/ M. Diop, 16 novembre 2001, n°212179/212211.6 Pour une doctrine en ce sens, voir Michelet K. (2002b), « La conceptioneuropéenne du droit à des prestations sociales et la jurisprudence administrative »,Droit social n°7/8, juillet-août 2002.7 Voir Dufour C. (2003), « Autriche. Travailleurs étrangers, des hôtes parnécessité », Chronique Internationale de l’IRES n°84, septembre 2003.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

militaires et la retraite du combattant. Les anciens fonctionnaires ou

combattants des anciennes colonies françaises subissent toujours en effet

des discriminations, à travers un mécanisme dit de « cristallisation » des

pensions1. En dépit de condamnations par la plus haute juridiction

administrative française, l’administration continue de bafouer ouvertement

le droit en s’obstinant à refuser d’attribuer des droits égaux2. Il en va de

même pour les nombreux harkis et leurs familles qui, pour bénéficier des

divers dispositifs destinés aux anciens supplétifs et à leurs survivants, se

voient aussi toujours discriminés s’ils n’ont pas opté pour la nationalité

française avant 1967.

Les avancées jurisprudentielles, en particulier celles de la Cour de

Strasbourg, rendent peu probable tout retour en arrière. La suppression

des discriminations directes fondées sur la nationalité dans l’Union

européenne sont en principe irréversibles, en dépit des pressions

politiques poussant en sens contraire. Toutefois, le durcissement constaté

dans le domaine de l’immigration a eu des effets venant contrecarrer les

progrès réalisés. Comme par un jeu de vases communicants, les

discriminations directes se voient ainsi remplacées par le maintien ou

l’accroissement d’autres restrictions qui aboutissent finalement aussi à

exclure les étrangers des prestations sociales.

Les discriminations indirectes à l’encontre des résidents étrangers

A l’occasion de contentieux relatifs à l’égalité entre ressortissants

communautaires ou entre hommes et femmes, la CJCE a introduit et peu à

peu précisé la notion de discrimination indirecte ou "dissimulée", en

particulier dans le champ de la protection sociale3. Le juge communautaire

a d’abord estimé que "les règles d'égalité de traitement, [résultant] du

traité prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur

la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination

qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au

même résultat"4. La définition va ensuite s’élargir pour englober d’autres

1 Segues S. et Livio T. (2003), « Quarante ans de discriminations », Plein Droit n°56, mars 2003 ; CATRED, GISTI (2002), Egalité des droits pour les anciensfonctionnaires et anciens combattants, 64 pages. (http…gisti.org/doc/publications/2002/retraites/index.html)2 Slama S. (2003a), « La République ‘Banania’. L’arrêt Diop, un long combatjudiciaire », Plein Droit n°56, mars 2003.3 Guelette A. (2003), « De la discrimination indirecte telle qu’appréhendée par laCJCE au regard du règlement 1408/71 CEE et de la directive 79/7/CEE », Revuebelge de sécurité sociale, 2/2003.4 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73.

- 119 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

situations. Il en va ainsi dès lors qu’une « disposition, un critère ou une

pratique apparemment neutre affecte (a pour simple effet sans pour

autant avoir pour intention d’affecter) une proportion plus élevée de »

personnes d’une catégorie que de l’autre, et même si elle n’aboutit pas

exactement au même résultat qu’une discrimination directe1. Enfin, pour

établir la discrimination indirecte, la CJCE va ensuite considérer qu’il n’est

pas nécessaire de disposer de mesures statistiques montrant qu’une

catégorie est proportionnellement plus affectée qu’une autre par une

disposition. Même en l’absence de toute mesure, une disposition révèle

également une discrimination indirecte « dès lors qu’elle est susceptible,

par sa nature même d’affecter davantage les travailleurs migrants que les

travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser

plus particulièrement les premiers »2.

Une discrimination indirecte est donc constituée lorsqu'une disposition est

susceptible d’affecter davantage une catégorie, sauf à pouvoir apporter

une justification appropriée, légitime et nécessaire pour atteindre l'objectif

poursuivi.

Cette notion de discrimination indirecte a ensuite été reprise dans les

nouvelles directives adoptées en vertu du nouvel article 13 du traité

d’Amsterdam au regard des discriminations. Elle a été intégrée très

récemment en droit interne français, par exemple dans le code du travail,

mais aussi par les juridictions comme la Cour de cassation ou le Conseil

d'Etat3. Mais, dans la pratique, les administrations et la plupart des juges

continuent d’ignorer cette notion ou, au moins, n’entreprennent pas

spontanément le raisonnement préalable et nécessaire à la détermination

des discriminations indirectes.

La prohibition des discriminations indirectes contre les ressortissants

communautaires

La jurisprudence de la CJCE a été très abondante pour condamner les

discriminations indirectes à l’encontre des ressortissants communautaires

en matière de protection sociale. Elle a ainsi admis comme critères

constituant une discrimination indirecte et violant le principe d’égalité des

1 Par exemple, CJCE, 21 septembre 2000, Borawitz, aff. C-124/99, rec. p. I-7293,point 25.2 CJCE, 23 mai 1996, O’Flynn c./Adjudication Officer, C-237/94.3 Etude "Discriminations" (2003), op. Cit. ; Slama S. (2003b), « La discriminationindirecte : du droit communautaire au droit administratif », Actualité JuridiqueFonction publique, n° 2003-4.

- 120 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

critères tels que le lieu d’origine ou le domicile d’un travailleur1, la

nationalité des enfants pour exclure les parents du bénéfice d’une

allocation2, l’exigence de la possession d’un titre de séjour d’une certaine

durée3 ou encore le fait de soumettre le versement d’allocation de

naissance et de maternité à des conditions de résidence préalable sur son

territoire4. Ne pas accorder une prestation à taux majoré pour couple, à un

bénéficiaire lorsque son conjoint n’est pas résident dans le pays a aussi

été considéré par la CJCE comme une discrimination indirecte « puisque ce

sont essentiellement [les étrangers] qui seront affectés par une condition

de résidence des membres de leur famille sur le territoire national »5.

De nombreuses législations ont dû ainsi être adaptées dans l’UE. En

France, la durée de résidence préalable exigée pour certaines prestations

(15 ans pour les prestations d’aide sociale pour les personnes âgées ou

dépendantes, 5 ans pour le revenu minimum d’insertion6) ne sont plus

exigibles des ressortissants communautaires en raison de leurs effets

discriminatoires. Elles le demeurent pour les autres étrangers. Même la

seule exigence de production d’un titre de séjour pour l’obtention d’un

avantage social est désormais prohibée. La France, à travers diverses

circulaires depuis la fin des années 1990, a supprimé une telle exigence

pour toutes les prestations sociales, retraites, prestations familiales, RMI,

etc. Le ressortissant communautaire peut prouver par tout moyen qu’il

dispose d’un droit au séjour et il n’a plus besoin de justifier d’un titre de

séjour pour bénéficier des prestations. Cette exigence constituait de facto

un moyen de ne pas verser les prestations aux ressortissants

communautaires. Ainsi, de nombreux étudiants communautaires

demandant une prestation familiale ou une aide au logement en France se

voyaient opposer l’absence de titre de séjour adéquat, les préfectures

ayant pris l’habitude de délivrer une carte de séjour « étudiant » après de

longs mois.

L’étendue des discriminations indirectes à l’encontre des résidents non

communautaires

1 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73.2 CJCE 12 juillet 1979 Toia, aff. C-237/78, Rec. 1979, p.2645, §143 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/964 CJCE, 10 mars 1993, Commission/Luxembourg, aff. C-111/91, Rec. p. I-817, §9.5 CJCE, 16 octobre 2001, Stallone et Onem, aff. C-212/00.6 Ce délai de résidence préalable pour demander le RMI a été allongé de 3 à 5 anspar la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise del'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

- 121 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Pour les ressortissants d’Etat tiers, les progrès constatés dans l’attribution

des prestations sociales avec la suppression progressive de la condition de

nationalité se sont malheureusement accompagnés de régressions avec le

renforcement ou l’introduction d’exigences conduisant à restreindre l’accès

à la protection sociale.

Il peut s’agir de l’exigence d’une durée de séjour préalable, de titres de

séjour spécifiques, d’une résidence en France des ayants-droit, etc. Ces

mêmes exigences sont ou seraient considérées en droit communautaire

comme des discriminations, directes ou indirectes selon les cas. Mais le

droit communautaire protège seulement les ressortissants

communautaires, et non les ressortissants d’Etat tiers résidant dans

l’Union européenne. Sauf pour les rares nationalités protégées par un

accord international avec l’Union européenne prévoyant l’égalité de

traitement en matière de protection sociale.

En matière de prestations familiales, ce fut le cas d’un ressortissant turc

s’étant prévalu de l’accord entre l’Union européenne et son pays. Il s’était

vu refuser une prestation familiale parce que, bien que résidant en

situation régulière en Allemagne, il n’était pas titulaire d’un titre de séjour

particulier d’une certaine durée exigée des autorités allemandes. La CJCE

a estimé qu’il s’agissait d’une discrimination indirecte violant le principe

d’égalité de traitement prévu par l’accord avec le Turquie1. Cette situation

n’a pourtant pas été suivi de mesures d’adaptation des diverses

législations nationales. Or tous les dispositifs de protection sociale soumis

à condition de régularité de séjour se trouvent dans cette situation en

France (à l’exception notable de la CMU) : la condition est vérifiée à partir

d’une liste limitative de titres de séjour fixée par un texte réglementaire.

Ces listes varient d’ailleurs d’une prestation à l’autre2. Avec pour

conséquence que même les étrangers en situation régulière mais ne

disposant pas du « bon » titre en sont exclus. A cet égard, ce sont les

prestations d’aide sociale créées à la libre initiative des collectivités locales

qui contiennent souvent les restrictions les plus exorbitantes. A Paris par

exemple, seuls les étrangers titulaires d’une carte de résident (10 ans)

sont éligibles à la carte Paris famille, ce qui écarte de nombreuses familles

parisiennes de cet avantage social. Et d’autant plus que les évolutions de

la législation et des pratiques préfectorales ont fortement accru la part des

étrangers vivant en France, pour des périodes de plus en plus longues,

sous couvert de titres plus courts que la carte de résident.

1 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/96. 2 Pour les prestations familiales, la liste est celle de l’article D. 511-1 du code de lasécurité sociale.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La suppression en 1998 de la condition de nationalité pour les prestations

non contributives a montré l’ingéniosité de l’administration à

« compenser » une telle ouverture. Le bénéfice de ces prestations aux

retraités et invalides pauvres suppose une « résidence » (régulière au

surplus). A défaut d’être définie par la loi, cette notion de résidence peut

donner lieu à des lectures plus ou moins restrictives de la part des

organismes de sécurité sociale. Certains en viennent à interdire toute

absence du territoire français, même pour de courtes périodes de

vacances, sous peine de perdre les droits aux prestations non

contributives. Un problème d’autant plus inquiétant que semblent s’être

mises en place des politiques de contrôle ciblées, en fait discriminatoires,

sur les retraités ou invalides étrangers considérés comme plus

susceptibles de s’absenter du territoire...

Une autre discrimination indirecte s’exprime à travers l’exigence, pour

pouvoir bénéficier d’une majoration pour les couples, que le conjoint du

bénéficiaire de la pension minimum d’invalidité réside en France. Outre

qu’une telle exigence n’est pas prévue par la loi et semble contraire aux

règles du code civil sur le choix des couples mariés de mener leur vie de

couple marié comme ils l’entendent, cette exigence été jugée

discriminatoire par le juge communautaire lorsqu’il s’agit de ressortissants

communautaires1 (ou de ceux pouvant se prévaloir d’un accord avec

l’Union européenne).

Pour bénéficier du RMI, la durée de séjour préalable avec droit au travail

peut également être considérée comme une infraction au regard du

principe d’égalité de traitement. Elle l’est au regard du droit

communautaire pour les ressortissants de l’Union européenne. Et pour

tous les étrangers, elle est considérée comme discriminatoire et contraire

à la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe par le comité

d’experts chargé du suivi du respect de cette Charte.

Emprise de la législation sur le séjour des étrangers et discrimination

indirecte en matière de prestations sociales.

La plupart des dispositions visant à limiter l’accès aux prestations des

étrangers s’inscrive dans le cadre d’un durcissement des politiques

d’immigration, en particulier à travers l’extension de l’exigence de la

régularité du séjour. Ce durcissement s’est traduit par une ingérence de

1 Par exemple, une telle exigence a été jugée contraire au principe d’égalité dans lecas d’une prestation belge. CJCE, 16 octobre 2001, Stallone et Onem, aff. C-212/00.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

plus en plus forte des règles de police et de séjour des étrangers sur les

règles en matière sociale.

La condition de régularité de séjour a été introduite progressivement avant

d’être généralisée. Au début des années 1970 en France, le fait pour

l’étranger d’avoir pénétré et/ou séjourné de manière irrégulière en France

était alors uniquement sanctionné sur le plan pénal et sa situation au

regard du séjour n’avait aucune répercussion sur l’accès aux droits

sociaux1. Seule la « résidence en France » était requise par le code de

sécurité sociale2.

La régularité de séjour a fait son apparition avec la loi de 1975 relative à

l’IVG qui subordonnait non seulement la prise en charge mais aussi le droit

de se faire pratiquer une IVG à la détention d’un titre de séjour d’une

durée de validité de plus de trois mois (cette disposition a été supprimée

en 2001). En 1978, la même exigence est introduite lors de la mise en

place de l’assurance personnelle (un dispositif disparu depuis et remplacé

par la couverture maladie universelle - CMU). La loi du 29 décembre 1986,

dite "loi Barzach" relative aux prestations familiales poursuit et complète

cette logique en introduisant une double exigence de régularité : d’une

part, la régularité de séjour de l'allocataire et, d’autre part, la régularité

d'entrée de l'enfant au titre duquel les prestations familiales sont

demandées.

La loi du 1er décembre 1988, complétée par celle du 29 juillet 1992,

relative au RMI subordonne le bénéfice du RMI à deux conditions : d’une

part, la régularité du séjour au moment de la demande, limitée à la

production soit d’une carte de résident, soit d’une carte de séjour

temporaire ouvrant droit au travail mais à la condition supplémentaire de

justifier avoir résidé régulièrement de façon ininterrompue depuis trois ans

sous couverts de titres de séjour ouvrant droit au travail3.

L’étape ultime est apportée par la loi du 24 août 1993 dite "loi Pasqua" qui

généralise l'exigence de la régularité de séjour pour l'accès à la quasi

totalité des dispositifs de protection sociale. De rares exceptions

subsistent pour quelques prestations d’aide sociale : l’aide médicale, l’aide

sociale à l’enfance, l’aide sociale pour l’accueil dans les centres de sans

abris. La loi a aussi eu des effets particulièrement négatifs sur les

représentations et les comportements. Alors que les caisses d’assurance

1 Ancien art. L.311-2 du code de sécurité sociale.2 Ancien art. L.311-7 du code de sécurité sociale.3 Période allongée récemment à cinq années par la loi n° 2003-1119 du 26novembre 2003.

- 124 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

maladie et leurs agents ne connaissaient pas la nationalité des assurés

depuis 19451, l’introduction de la condition de régularité de séjour va les

obliger à s’enquérir de la nationalité des assurés pour dans un premier

temps distinguer les Français des étrangers et ensuite, parmi ces derniers,

vérifier la validité des titres de séjour. La réforme a donc légitimé et

banalisé dans les têtes des agents de sécurité sociale le fait qu’il est

normal de distinguer Français et étrangers. Elle ne pouvait pas être sans

effet sur les comportements et le développement de pratiques

discriminatoires.

Enfin, la réforme de la couverture maladie universelle (CMU), en 2000, si

elle a eu des effets très positifs en terme d’effectivité d’accès aux soins

pour les plus démunis, a également poussé à son paroxysme la mise en

quarantaine des personnes sans autorisation au séjour : elles sont

cantonnées à l'aide médicale de l’Etat, un dispositif qui leur est désormais

réservé, alors que jusque là ils cohabitaient encore avec les autres

populations pauvres.

La subordination des prestations familiales aux politiques migratoires

On l’a vu, alors que la législation française ne connaissait pas la régularité

de séjour des allocataires, celle-ci a été peu à peu généralisée lors des

deux dernières décennies à la quasi totalité des droits sociaux. Pour les

prestations familiales, ce fut le cas en 1986 par la loi du 29 décembre

1986, à un moment où la majorité de droite de l’époque se trouvait,

depuis mars 1986, sous la pression d’une soixantaine de députés du Front

national. De telles restrictions ont également été introduites dans d’autres

pays de l’UE. La progressive communautarisation des politiques

d’immigration depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam s’inscrit

dans la poursuite de ces évolutions.

Des évolutions nationales de plus en plus restrictives

La législation et les pratiques vont durcir l’accès aux prestations familiales

en deux temps. D’une part en conditionnant le bénéfice de ces prestations

à l’exigence d’une entrée dans le cadre du regroupement familial. D’autre

part en rendant l’accès au regroupement familial lui-même plus difficile.

1 Le numéro d’immatriculation à la sécurité sociale informe du lieu de naissancemais pas de la nationalité de l’assuré social.

- 125 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

a- Les prestations familiales subordonnées à la politique migratoire : Nous

illustrerons cette évolution à travers de l’exemple français. Pour pouvoir

bénéficier des prestations familiales, la loi de 1986 a introduit une double

condition pour les étrangers.

D’abord la personne recevant les prestations (l’allocataire) doit justifier

d’un séjour régulier. Comme on l’a vu, cette restriction va aussi conduire à

refuser les prestations familiales à des familles n’ayant pas le « bon » titre

de séjour. Une restriction discriminatoire qu’ont dû, ou doivent, lever les

Etats membres pour les ressortissants de l’UE. Une telle discrimination a

également été condamnée par la CJCE sur la base de l’accord entre l’UE et

la Turquie1. Suite à cet arrêt, les autorités françaises n’ont pas modifié

pour autant leurs textes et leurs pratiques. Les conséquences de cette

restriction sont d’autant plus importantes qu’un nombre de plus en plus

important de familles en situation régulière se voient exclues du « bon »

titre de séjour par les évolutions de la législation sur les étrangers ainsi

que par les pratiques des administrations appliquant cette législation.

Ensuite, les prestations familiales sont également conditionnées à l’entrée

par la procédure du regroupement familial pour les enfants non nés en

France. Cette condition est vérifiée par la production d’un certificat médical

délivré par l’office des migrations internationales (OMI) à l’occasion du

regroupement familial. Cette condition aboutit concrètement à priver de

prestations familiales des dizaines de milliers d’enfants vivant en France.

Elle enfreint le principe d’égalité de traitement garanti par de nombreuses

conventions internationales.

Elle contrevient par exemple à l’accord d’Ankara de 1963 avec la Turquie

et notamment la décision n°3/80 du 19 septembre 1980 qui énonce le

principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale,

comparable à celui existant pour les accords avec le Maghreb. Ce texte qui

s’applique aux travailleurs turcs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union

européenne, et les membres de leur famille, a également donné lieu à une

jurisprudence abondante tant au niveau de la CJCE que des juridictions

internes. L’exigence qu’un enfant né à l’étranger soit passé par la

procédure du regroupement familial pour pouvoir être considéré à charge

et pour ouvrir droit aux prestations familiales prévu par l’accord entre la

Turquie et l’UE2.

1 CJCE, 4 mai 1999, Sürül c/Bundesanstalt für Arbeit, aff. C-262/96.2 TASS de la Haute-Loire, 1er mars 2001, Yuksel c./CAF de la Haute-Loire, n°84 /2000. Cf. GISTI (2002), Le guide de la protection sociale des étrangers en France,guide GISTI, La découverte.

- 126 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Cette disposition contrevient surtout à la Convention internationale

relative aux droits de l’enfant (CIDE). L’article 2 de cette convention

interdit toute discrimination qui serait notamment motivée par la situation

juridique des parents et son article 3.1 stipule que “ dans l’exercice de son

pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une

attention primordiale à l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions le

concernant1 ”. Le juge administratif français a reconnu l’applicabilité

directe de cet article dans le cas d’un refus de regroupement familial sur

place2. Une décision de refus par la préfecture de régularisation sur place

d’enfants venus en dehors de la procédure a aussi été considérée comme

contrevenant à l’article 3.1 de la CIDE pour le seul motif qu’elle pouvait

aboutir à priver les enfants du bénéfice des prestations familiales3. Or tel

est bien la raison d’être de la disposition législative introduite en 1986 et

visant à conditionner les prestations familiales à la procédure du

regroupement familial. Dans le rapport adressé en 2004 au comité de suivi

de la CIDE, la Défenseure des enfants rappelle plusieurs fois que la mesure

est « discriminatoire » et contrevient à plusieurs articles de la CIDE.

L’exigence du certificat médical OMI est souvent défendu comme un

moyen de lutter contre l’immigration illégale, contre les personnes venant

en dehors du regroupement familial. C’est faire semblant d’ignorer les

restrictions croissantes au regroupement familial, c’est faire peu de cas du

droit fondamental à vivre en famille et de l’irrépressible aspiration légitime

des familles à être ensemble.

b- Le droit à la vie familiale malmené par des politiques migratoires

restrictives : La loi de 1986 exigeant des enfants d’être venus par la

procédure du regroupement familial a eu pour effet d’écarter d’autant plus

d’enfants et leur parents du bénéfice des prestations familiales que la

procédure de regroupement familial s’est durcie à partir des années 1970.

Avant la fermeture à l’immigration de travailleurs au milieu des années

1970, il y avait peu de restriction à l’immigration familiale. Au contraire,

un décret de 1945 prévoyait de « faciliter l’établissement familial » et une

circulaire de 1947 soulignait déjà l’importance de l’immigration familiale,

d’une part dans une logique économique afin de fixer une main d’œuvre

immigrée convoitée et d’autre part dans une logique nataliste pour

1 Défenseur des enfants (2004), Rapport du Défenseur des enfants au comité desuivi de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, mars 2004, 23pages.2 CE, Cinar, 2 octobre 1997, n°1613643 TA, Fannan c/Préfet du Rhône, 12 novembre 1997

- 127 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

favoriser la venue de femmes en âge de procréer1. Dans la pratique, il

s’agissait plutôt d’une politique « à la bonne franquette au gré des

besoins de l’économie française »2. Si l’on met à part des restrictions

visant explicitement les Algériens à partir de 1965, le changement de cap,

très brutal, viendra avec une circulaire du 9 juillet 1974 préconisant l’arrêt

de l’introduction des familles étrangères. Cette circulaire sera supprimée

puis suivie d’autres textes réglementaires dont un décret en 1976 servant

de référence à toutes les évolutions postérieures et introduisant de

multiples obstacles au regroupement familial : résidence régulière depuis

au moins un an, logement adapté, ressources suffisantes, etc.3. C’est aussi

à cette époque que les premières réactions juridiques amèneront le

Conseil d’Etat à reconnaître que le droit de vivre en famille, pour les

étrangers comme pour les nationaux, est un principe général du droit4.

A partir de cette époque, et si l’on excepte une brève période d’ouverture

entre 1981 et 1984, l’accès au regroupement familial va fortement se

durcir en imposant des conditions sans cesse plus difficiles à obtenir5.

c- Les autres pays européens ont également connu une évolution similaire,

souvent plus récemment6. Les mesures de restrictions sont de divers

ordres et se cumulent pour venir limiter le droit à vivre en famille :

1) Les conditions de logement et de ressources (nature, niveau et

régularité des revenus) ont été très fortement durcies. Ces conditions

constituent les principaux obstacles au regroupement familial. Trouver un

logement d’une taille suffisante est particulièrement difficile, à fortiori pour

des populations faisant l’objet de fortes discriminations sur un marché

locatif lui-même très tendu. Disposer de revenus suffisants et réguliers sur

une période assez longue est également un obstacle souvent rédhibitoire,

surtout avec le développement du chômage et de formes précaires et

atypiques d’emploi (contrat à durée déterminée, intérim, temps partiel

1 Toutes les informations relatives à l’évolution de la législation sur leregroupement familial sont tirées de Rodier C. (1995), « Des familles selon lesbesoins », Plein Droit 29-30, novembre 1995, ainsi que de l’étude « Regroupementfamilial », Dictionnaire permanent des étrangers, Editions législatives.2 Rodier (1995), op. cit.3 Sur cette période, voir “Les errements d’une réglementation”, Plein Droit n°24,avril-juin 1994.4 Arrêt GISTI du Conseil d’Etat du 8 décembre 1978.5 Cette évolution n’a pas été linéaire. La loi « Chevènement » du 11 mai 1998 aainsi assoupli quelques dispositions – les conditions de ressources par exemple -mais sans revenir sur des restrictions introduites par les gouvernementsprécédents et surtout sans remettre en cause la philosophie générale.6 Voir notamment Le regroupement familial, Les documents de travail du Sénat,série législation comparée, n°LC 112, septembre 2002.

- 128 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

subi, etc.). En France, la nouvelle loi du 26 novembre 2003 vient ainsi de

durcir la condition de revenus.

2) les catégories de bénéficiaires potentiels tendent à être limités au seul

conjoint et aux enfants mineurs. Les autres membres de famille sont

écartés. A cet égard, la notion même de famille a connu une évolution

inverse à celle des mœurs puisque qu’avant 1974, les demandes de

regroupement familiales pour des concubines, des fiancées, des parents

étaient recevables en France. Aujourd’hui, seuls le conjoint marié et les

enfants mineurs sont prévus. Mais, même des mineurs peuvent être

désormais exclus du droit au regroupement familial dans certains pays

comme en Allemagne où la nouvelle loi permet de rejeter des enfants de

plus de 12 ans. Un âge minimal a aussi été introduit par la loi du 6 juin

2002 au Danemark pour les regroupements de conjoints adultes. Ces

derniers doivent tous avoir plus de 24 ans.

3) Les exigences relatives au séjour de l’étranger résident (type de titre de

séjour, durée préalable de résidence) tendent également à être durcies

dans tous les pays. Par exemple, depuis 2002, l’étranger au Danemark

doit disposer depuis au moins 3 ans d’un titre de séjour d’une durée

illimitée, un titre qui ne peut lui-même être obtenu qu’après sept années

de séjour régulier…

4) Les procédures sont également rendues plus difficiles, plus fastidieuses

et plus longues. Des enquêtes peuvent être prévues et ces dernières

peuvent impliquer l’intervention de plusieurs acteurs et augmenter la

probabilité de décisions arbitraires de refus du regroupement familial (en

France, la loi du 26 novembre 2003 réintroduit à cet égard l’intervention

du maire de la commune).

5) Le regroupement familial peut davantage être remis en cause en cas de

rupture de la vie commune. Ainsi, en France, dans un tel cas, la carte

délivrée au conjoint rejoignant peut être retirée ou non renouvelée

pendant les deux années suivant sa délivrance (contre un an avant la

nouvelle loi du 26 novembre 2003). Il n’est pas reconnu d’avoir de bons

motifs à rompre une vie commune lorsqu’on est étranger.

6) Le droit au séjour des proches rejoignant tend à être fragilisé. Par

exemple en France, alors que le conjoint et les enfants d’un étranger

disposant d’une carte de résident de 10 ans recevaient jusque là le même

titre de séjour, ils ne reçoivent plus désormais qu’un titre court et précaire

depuis la nouvelle loi du 26 novembre 2003.

- 129 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Enfin, le regroupement familial « de fait », c’est-à-dire le fait pour une

famille de se réunir en dehors de la procédure, seul moyen le plus souvent

pour rendre effectif le droit à vivre en famille, est de plus en plus

sanctionné. En France, une telle sanction prévue par la loi Pasqua de 1993

vient d’être réintroduite avec la nouvelle loi du 26 novembre 2003 sous la

forme d’un retrait du titre de séjour de l’étranger, ainsi reconnu coupable

d’avoir été rejoint par son conjoint et/ou ses enfants.

Des évolutions inquiétantes au niveau de l’Union européenne :

regroupement familial et égalité en matière de droits sociaux

Au sommet européen de Tampere en 1999, les Etats ont affirmé leur

volonté de « mettre en place une approche commune pour assurer

l’intégration dans nos sociétés de ressortissants de pays tiers résidant

légalement dans l’Union » par l’octroi de « droits aussi proches que

possibles que ceux dont jouissent les ressortissants de l’Union ». Ce volet

« intégration » des politiques d’immigration devait équilibrer d’autres

orientations plus répressives en matière de mesures de dissuasion, de

contrôle des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine.

Ce volet « intégration » s’est d’ailleurs développé plus lentement que les

volets répressifs, surtout après le 11 septembre 2001. L’objectif va

cependant se traduire quatre ans plus tard par l’adoption de deux

directives, l’une sur le regroupement familial1, l’autre sur le statut de

résident de longue durée2.

La Commission avait présenté le regroupement familial comme un outil

« essentiel pour l’intégration des immigrés » lors de la présentation de son

premier projet de directive immédiatement après le sommet de Tampere3.

Ce projet avait reçu le soutien de nombreuses organisations non

gouvernementales agissant en faveur des droits des migrants et particulier

du droit à une vie privée et familiale, et notamment de la Coordination

européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille4. Les Etats vont

1 Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit auregroupement familial (Journal officiel L351-12 du 3 octobre 2003).2 Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut desressortissants de pays tiers résidents de longue durée (Journal Officiel L16/44 du23 janvier 2004).3 Proposition de directive du Conseil relative au regroupement familial, COM(1999)638 final (Journal officiel C 116 du 26.04.2000).4 Sur les développements relatifs à cette directive, voir Rodier C. (2003), « Ladirective relative au regroupement familial, une occasion manquée de faireprogresser l’intégration des immigrés », Nouvelle Tribune, décembre 2003. Voirégalement GISTI (2004), « Directive européenne relative au regroupement

- 130 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

toutefois s’opposer à cette orientation et contraindre la Commission à le

vider de ses aspects protecteurs à travers de nouvelles propositions de

directives1. D’un projet initial instaurant un « droit au regroupement

familial », le proposition de 2002 ne parle plus que de « fixer les

conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial ».

Cette dernière version intègre toutes les restrictions demandées par les

uns et les autres : désormais seuls le conjoint marié et les enfants mineurs

sont admissibles ; par dérogation, un Etat peut subordonner l’admission

d’un mineur de plus de 12 ans à une condition d’intégration ; le délai

d’attente pour pouvoir demander le droit à se faire rejoindre passe de un à

deux ans, voire trois ans dans certains cas ; de nombreuses conditions

(logement et revenus notamment) peuvent être opposées au demandeur,

etc. Ce projet a d’ailleurs servi de légitimation à des reculs en matière de

droit au regroupement familial dans divers pays, dont la France avec la

nouvelle loi du 23 novembre 2003 sur l’immigration. Le texte finalement

adopté par le Conseil en février 2003 a été vivement critiqué, entre autres

parce qu’il enfreint la Convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme2. A tel point que sous la pression de nombreuses associations, le

Parlement européen est allé, fait rarissime, jusqu’à saisir la Cour de

Justice en décembre 2003 pour en demander l’abrogation.

Le deuxième texte d’importance des politiques d’immigration qui devait

donner du contenu à l’objectif d’« intégration » est la directive relative aux

résidents d’Etat tiers résidant depuis longtemps dans l’UE, finalement

adoptée fin 2003 3. Son objectif est de rapprocher les législations

nationales concernant la délivrance d’un statut de résident de longue

durée et les droits afférents à ce statut, ainsi que de fixer les conditions

dans lesquelles ces ressortissants pourront se rendre et séjourner dans un

autre Etat membre. Sans rentrer dans le détail, notons qu’a été

abandonnée le principal intérêt initial du projet qui était d’étendre à ces

étrangers résidant légalement déjà depuis longtemps dans un Etat

membre un droit à la libre circulation au sein de l’UE à égalité avec les

familial – chronologie », 22 janvier 2004 http…gisti.org/doc/actions/2004/regroupement/index.html.1 Propositions modifiées de la Commission, COM(2000) 624 final (Journal officiel C62E du 27.02.2001) et COM(2002) 225 final (Journal officiel C 203 E du27.08.2002).2 Voir notamment les réactions des six principaux réseaux chrétiens d’associationsoeuvrant dans ces domaines au niveau de l’UE. « The EU Directive on family reuni-fication : right for families to live together or right for member States to derogatefrom human rights ? », Communiqué de presse de Caritas, Comece, CCME, ICMS,JRS, Quaker Council, 4 mars 2003.3 Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut desressortissants de pays tiers résidents de longue durée (Journal Officiel du 23janvier 2004).

- 131 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

autres résidents. Notons aussi que l’accès à ce statut de résident de

longue durée sera soumis à des conditions assez restrictives. Nous nous

limitons cependant ici à la question des droits sociaux qui seront garantis à

ceux qui seront parvenus à obtenir ce statut.

Pour ces privilégiés, l’article 11 de la directive prévoit de leur accorder le

« bénéfice de l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui

concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles

qu’elles sont définies par la législation nationale ». A ce niveau peu de

commentaires sont nécessaires. Cet article ne fait finalement qu’entériner

l’égalité de traitement déjà garantie par de nombreuses normes

existantes, si l’on entend par égalité de traitement l’absence de toute

condition de nationalité ou discrimination directe (cf. 1). Par ailleurs, il

s’agit d’étrangers résidant depuis longtemps de façon régulière dans un

Etat membre donc a priori épargnés de la plupart des formes déguisées de

discriminations ou discriminations indirectes consécutives à des critères

tels que la régularité, la résidence ou la durée préalable de résidence (cf.

2).

Cet article de la directive serait positif si un autre paragraphe ne prévoyait

pas des dérogations à cette égalité de droit : « en matière d'aide sociale

et de protection sociale, les Etats membres peuvent limiter l'égalité de

traitement aux prestations essentielles ».

Cette restriction à l’égalité de traitement est particulièrement surprenante.

D’abord, du point de vue politique, elle reflète un climat manifestement

délétère dans l’UE vis-à-vis des ressortissants d’Etats tiers puisqu’elle

avalise la « préférence européenne » préconisée par les partis européens

de l’extrême droite xénophobe. Une telle disposition dans une directive

adoptée par les Etats membres montre l’influence de ces partis. L’histoire

des deux dernières décennies a montré que ces partis n’ont pas besoin

d’être au pouvoir pour qu’une partie de leurs idées finisse par être reprise

et appliquée dans les dispositions nationales. La contagion s’étend

désormais à la législation de l’Union européenne. Cette disposition

autorisant une « préférence européenne » contredit, en acte concret et

hautement symbolique, tous les beaux discours à propos du racisme, de la

xénophobie et de l’intégration.

Ensuite, du point de vue juridique, la dérogation à l’égalité de droit est

incontestablement contraire a à la Convention européenne de sauvegarde

des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et à d’autres

normes nationales et internationales1. Nous avons déjà mentionné que la

Cour européenne des droits de l’Homme a dégagé une jurisprudence

1 Sur ces normes internationales voir GISTI, La protection sociale des étrangers parles textes internationaux, Cahier juridique, février 2004. http…gisti.org/doc/publications/2004/convprotsoc

- 132 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

constante sur ce point : conditionner l’attribution d’une prestation, quelle

qu’elle soit, à la nationalité est une violation de la CESDH, et en particulier

du principe de non discrimination par l’application combinée de l’article 14

et de l’article 1er du protocole n°11. Cette directive enfreint également les

accords UE-pays tiers qui prévoient l’égalité de traitement en matière de

protection sociale (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie) et à ce titre, devrait

être sanctionné par la CJCE. Elle est susceptible de violer d’autres textes

internationaux, la Convention internationale relative aux droits de l’enfant

en particulier si de telles restrictions étaient introduites pour des

prestations familiales.

Cette disposition contraire à l’égalité de traitement s’inscrit dans le

prolongement d’une directive sur les normes minimales d’accueil pour les

demandeurs d’asile adoptée au début 2003 qui, elle aussi, entérinait

explicitement un traitement discriminatoire entre les demandeurs d’asile

et le traitement réservé aux autres résidents2.

Conclusion : quelle place pour les familles étrangères dans l’Union

européenne ?

En matière de droit aux prestations sociales pour les étrangers, on peut

noter depuis une vingtaine d’années deux orientations contrastées. D’un

côté, la prohibition progressive des discriminations directes fondées sur la

nationalité grâce aux actions juridiques et aux normes internationales. De

l’autre, la subordination de plus en plus forte de ces prestations sociales

aux objectifs assignés par les pouvoirs publics en matière de police des

étrangers, ce qui s’est traduit notamment par l’instauration de nouvelles

restrictions à l’accès aux prestations pour les ressortissants étrangers. De

ce point de vue, l’accès aux prestations familiales a été fortement

restreints pour des milliers de familles en raison de la conjonction de deux

évolutions. D’abord, la décision d’exclure des prestations familiales toutes

les familles dont les enfants sont venus en dehors de la procédure du

regroupement familial et ensuite la remise en cause progressive du droit

au regroupement familial, accroissant par là même le nombre de familles

contraintes de contourner une procédure draconienne mais se voyant aussi

perdre tout droit aux prestations familiales. Ces évolutions ont pour effet

de priver aujourd’hui des familles étrangères de prestations familiales.

L’ampleur et les effets de ces exclusions sont insuffisamment connus. Des

1 CEDH, 16 septembre 1996, Gayguzuz c/ Autriche ; CEDH, 30 juillet 1998,Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni ; CEDH, 30 septembre 2003, Koua Poirrez c/France, requête n° 40892/982 Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normesminimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres (Journalofficiel L 031 du 06 février 2003)

- 133 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

études effectuées auprès de familles étrangères seraient utiles pour

comprendre comment ces discriminations inscrites dans les textes jouent

contre leur bonne insertion dans la société dite d’« accueil »1.

Ces restrictions aux droits sociaux sont contraires à de nombreux textes

internationaux garantissant l’égalité des droits et protégeant les familles et

les enfants. Elles ont été introduites dans les législations nationales mais

commencent à s’étendre aux nouvelles normes qui se mettent en place au

niveau de l’UE. Cette orientation est contradictoire avec la volonté affichée

de favoriser une bonne insertion des familles étrangères résidant en

Europe. Elle est par contre cohérente avec le projet de « traité

constitutionnel »2. Ce dernier s’apprête à cantonner quelques 15 millions

de résidents non européens à un rôle de résidents de seconde zone en

refusant de leur reconnaître l’égalité des droits et la place qui leur revient

dans une Europe qu’ils ont aussi contribuée à construire.

1 Pour une telle démarche voir Rohi D. (2001), L’accès au droit des migrants ensituation de précarité et de leurs enfants : une approche pragmatique etdynamique des discriminations légales fondées sur la nationalité, Rapport derecherche réalisé avec le soutien du GIP Mission de recherche droit et justice,Ministère de la justice, novembre 2001, 177 pages.2 Blanchard E. et Rodier C. (2004), « Le projet de traité constitutionnel européen :un déni de droits pour les étrangers ? », Hommes et Libertés (à paraître).

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

TROISIEME PARTIE : MIGRATIONS ET TEMPS

PRÉSENTATION

ANNE-MARIE DIEU et LYDIE GAUDIER

Dans le cadre du projet européen «usages sociaux du temps et

migrations : les familles à la croisée de l’espace et du temps », les quatre

partenaires se sont posés constamment la question de la séparation ou du

traitement simultané des deux problématiques que sont les migrations et

le temps.

D’un côté, la question des migrations est si vaste et a fait l’objet d’un

nombre tellement important d’études et de recherches dans les différents

pays concernés qu’il s’agissait de trouver le moyen de les appréhender

sous un angle novateur et original sous peine de n’apporter aucune plus-

value à la littérature existante. De l’autre, la problématique conjuguée du

temps des migrants a été, par contre, très peu approfondie, sauf sous

l’angle des différences culturelles et religieuses. Les bases scientifiques

disponibles sont donc très minces pour fonder une recherche dont les

résultats doivent être publiés à court terme.

Face à cette interrogation sur la perspective à privilégier, les partenaires

se sont positionnés de manière contrastée en tentant de tirer le meilleur

parti des différents angles d’approche possibles.

Les partenaires finlandais ont privilégié le pragmatisme. Après une

analyse approfondie du cadre réglementaire finlandais et des statistiques

migratoires, les chercheurs de la Family Federation of Finland –

Vaestoliitto se sont attachés au temps des personnes migrantes qui se

trouvent en dehors du circuit du travail et pour lesquelles, de ce fait, très

peu de données sont disponibles quant à la manière dont elles vivent et

utilisent leur temps : chômeurs, invalides, femmes au foyer, etc.

Au total, 15 entretiens ont été réalisés, non pas auprès d’un échantillon du

public cible, mais auprès de professionnels travaillant directement avec

celui-ci.

Les résultats mettent en évidence la multiplicité des infrastructures

développées en Finlande pour aider les migrants à s’intégrer (même si ce

terme d’intégration est souvent décrié), les causes du taux d’échec

relativement élevé des mesures mises en œuvre, et les problèmes

- 135 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

humains et existentiels rencontrés par les personnes migrantes

notamment dans des situations de crises familiales (redéfinition des rôles

respectifs de l’homme et de la femme, absence de repères temporels pour

les hommes sans emplois, difficulté à entreprendre des démarches auprès

de structures publiques ou administratives «froides » - c’est-à-dire

essentiellement anonymes, lointaines -, etc.).

Les partenaires grecs se sont heurtés à un déficit de données statistiques

nationales concernant aussi bien le temps que les migrations. La

contribution du F.C.C.C. a donc tenté, à partir des quelques études

disponibles, de dresser une photographie de l’état de la situation

migratoire dans ce pays et de présenter les principales difficultés

rencontrées par les personnes migrantes.

Outre l’importance de l’immigration en provenance d’Albanie et de l’ex-

Union soviétique qui constitue une donnée tout à fait particulière de la

problématique de l’immigration en Grèce et qui n’est pas facile à gérer -

Les comportements xénophobes d’une partie de la population grecque vis-

à-vis des immigrés albanais ont fait plus d’une fois couler de l’encre dans

la presse -, la situation grecque présente la particularité d’une répartition

très inégale des migrants sur son territoire.

Si la plupart des immigrés se concentrent autour des centres urbains et en

particulier, autour d’Athènes, la distribution par nationalité d’origine et par

sexe entre les régions et préfectures du pays est très inégale. Un certain

nombre de facteurs explicatifs sont avancés. Il apparaît, par exemple, que

les hommes sont plus nombreux dans les campagnes où ils trouvent à

s’employer dans les travaux des champs.

Par ailleurs, nos partenaires grecs ont mis à profit leur expérience

professionnelle de terrain en matière d’aide et de soutien aux familles en

difficultés. Ils se sont engagés dans l’approfondissement de la question

des usages du temps par les personnes migrantes, et en particulier de

leur temps libre, en fonction de leur nationalité, de leur statut migratoire

et de l’ancienneté de leur séjour en Grèce.

Là aussi, comme il apparaît de manière transversale dans l’ensemble des

contributions nationales, il ressort de l’enquête sommaire réalisée que le

temps de loisir ne peut s’imaginer que par rapport à l’existence d’un

temps de travail concomitant pour les personnes concernées et, qui plus

est, dans le cadre d’un emploi relativement stable qui se confirme être un

facteur important d’insertion sociale.

- 136 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Si tel n’est pas le cas, le temps libre reste un “temps mort” rempli

d’activités non choisies ou essentiellement passives, comme regarder la

télévision, et renvoient les individus à la solitude de leur domicile, ces

activités renforçant l’exclusion sociale dont ils font l’objet.

La Ligue des Familles (Belgique) s’est orientée dès le départ de la

recherche sur la question du temps tel qu’il est vécu par les personnes

migrantes. Il est rapidement apparu que la littérature existante sur ce

sujet est non seulement très pauvre mais orientée selon une approche

essentiellement culturaliste.

L’objectif du travail a été la déconstruction de ce point de vue fondé sur

les déterminants culturels et religieux dans l’explication des manières dont

les personnes de différentes origines appréhendent leur temps. En effet,

cette approche présente de multiples effets pervers dont les moindres ne

sont pas de stigmatiser les comportements individuels en fonction des

origines ethniques, de renforcer par-là même les oppositions entre les

cultures et de contrecarrer la volonté et la liberté des personnes de

s’adapter à leur milieu de vie en développant des identités

multiculturelles.

Le statut migratoire (demandeur d’asile, réfugiés, sans papiers, détenteur

d’un permis de séjour et de travail en règle, naturalisé,…), l’époque de la

migration et notamment le cadre juridique en vigueur, les conditions

socio-économiques et les projets personnels ont été mis en évidence

comme aussi et même plus importants que la culture d’origine ou la

religion de référence pour comprendre le rapport au temps des migrants.

A ce stade, un projet d’enquête qualitative portant sur la réalisation

d’entretiens sous forme de récits de vie avec un échantillon de migrants

correspondant à des profils types prédéfinis est envisagé. Cette enquête

devrait permettre, dans un deuxième temps, de confirmer les hypothèses

de départ en ce qui concerne les facteurs explicatifs des usages du temps

par les migrants et de mettre en évidence des informations originales sur

le déroulement du cycle de vie des migrants actuellement, sur leurs

projets, les difficultés qu’ils rencontrent et les stratégies qu’ils mettent en

œuvre pour y faire face. Des indicateurs pourraient ensuite être

développés qui rendraient compte de la mesure selon laquelle les

conditions favorables à l’insertion des personnes migrantes et à leur

participation à la société d’accueil sont rencontrées.

A ce propos, Luz Garcia, qui est directrice de la revue sud-américaine

Panoramica, publiée en Belgique, a parfaitement mis en évidence les

- 137 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

interrelations qui existent entre les évolutions macroéconomiques globales

et les mouvements de populations. En particulier, elle estime que les

migrations actuelles de ressortissants latino-américains sont une

conséquence directe de l’appauvrissement du continent à la suite de la

libéralisation sauvage des marchés. Après une période caractérisée par

des migrations internes à l’Amérique Latine, les individus ont été poussés

par la pauvreté à migrer vers les autres continents et, en particulier, vers

l’Europe.

Les partenaires français, enfin, de par leur histoire et leur tradition

administrative, disposent depuis longtemps d’un appareil législatif et

statistique très sophistiqué, à la fois en ce qui concerne les migrations, les

situations socio-économiques des familles et les usages du temps. Un

certain nombre d’experts éminents ont été conviés à présenter les

résultats de leurs travaux (voir les deux premières parties de ce rapport)

en essayant au maximum d’établir des liens entre ces différents thèmes.

Néanmoins, Luc-Henry Choquet, après une synthèse critique des données

existantes met en évidence dans le cadre de cette troisième partie une

série d’interrogations et de lacunes concernant les chiffres disponibles sur

les migrations en France en fonction des catégories juridiques visées et

souligne la difficulté qu’il y a eu jusqu’à présent à croiser, en particulier,

les variables relatives aux migrations et aux conditions socio-économiques

de vie des familles.

Au-delà de la diversité des angles d’analyses adoptés par les quatre

partenaires du projet, qui résulte des différences nationales tant au niveau

des situations respectives en matière de migrations que des situations

géopolitiques diverses, de l’histoire des législations nationales et du degré

inégal de sophistication des appareils statistiques, il ressort cependant au

moins trois conclusions transversales.

Tout d’abord, il semble fondamental de souligner que dans les quatre

réalités nationales étudiées, l’invisibilité du rôle social joué par les

individus qui ne sont pas à un moment ou à une autre inséré sur le

marché du travail est flagrante. Non seulement, la manière dont ces

personnes vivent et utilisent leur temps est inconnue des chiffres

statistiques, mais elle l’est même de la société à partir du moment où ces

personnes ont tendance à se replier uniquement sur leur vie familiale, à

éviter les endroits publics pour les illégaux ou, en tous cas, à restreindre

leur cercle social à un nombre limité d’autres migrants de la même

origine.

- 138 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

D’une manière constante, les personnes en chômage de longue durée, à la

retraite ou encore certaines femmes au foyer tendent à “décrocher” des

temps sociaux, à perdre leurs repères et à s’isoler socialement, exclus à la

fois de l’emploi et de la consommation. Luz Garcia le décrit bien quand

elle souligne que l’isolement social et la perte d’identité sont les

principales difficultés rencontrées par les femmes latino-américaines

immigrées en Belgique, non pas uniquement en raison de leur précarité

financière mais parce que, dans leur pays d’origine, même les plus

pauvres ont une place et une reconnaissance dans la communauté à

laquelle ils appartiennent.

Il s’agit donc de s’interroger sur la pertinence politique de vouloir à tous

prix s’accrocher à la société salariale telle qu’elle s’est construite depuis le

XIXème siècle. Le maintien du travail comme unique pourvoyeur de

l’identité des personnes, et en particulier, des hommes est-il crédible dans

un contexte de non-emploi d’une partie importante de la société et d’un

détricotage dans tous les pays de la norme du contrat d’emploi à temps

plein et à durée indéterminée sur laquelle se fonde la sécurité sociale. Il

paraît urgent que les politiques, et pas seulement les sociologues, se

penchent en profondeur sur les évolutions sociales de la société actuelle

dont les personnes migrantes sont les premières à pâtir et sur la

redéfinition d’un projet de société inclusive qui ne serait plus basé de

manière aveugle sur l’emploi et sur la croissance de la production.

Une première piste qui n’est pas neuve car revendiquée depuis longtemps

par les associations de défense des droits des étrangers est la citoyenneté

comme mode de participation à la société d’accueil et base sur laquelle les

migrants peuvent prendre appui pour revendiquer leurs droits et leur

place en tant que personnes.

Ensuite, se pose la question de la correspondance entre le temps «vécu »

par les individus et le temps objectif mesuré par la société. Il apparaît des

enquêtes réalisées auprès des migrants, selon des modalités diverses

selon les partenaires, que les enquêtes budget – temps, si elles sont

capables de mesurer à peu prêt convenablement le temps objectif que les

individus consacrent aux activités qui composent leur journée ou leur

semaine, mettent par contre très peu en évidence les ressorts sociaux,

économiques, culturels et psychologiques des comportements observés.

Enfin, la principale difficulté rencontrée dans l’étude du temps des

personnes migrantes se situe au niveau de la définition de l’objet même

- 139 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

de la recherche. En effet, les migrants sont un groupe social aussi

hétérogène que le reste de la population. Leur situation dans la société

d’accueil dépend de l’époque de leur migration, de leur statut migratoire,

de leur âge, de leur situation de famille, de leur situation

socioprofessionnelle, de leur niveau d’éducation, etc. Une partie des

migrants sont cadres, professeurs d’université, médecins... Si un

pourcentage des femmes migrantes se situent dans un schéma familial

patriarcal, d’autres sont célibataires ou divorcées. La question reste donc

ouverte de savoir comment aborder pertinemment la problématique des

comportements des personnes migrantes vis-à-vis du temps sans tomber

dans le travers des clichés ou de la stigmatisation d’une partie importante

des personnes concernées qui ne se sentent pas fondamentalement

différentes de leurs concitoyens français, belges, grecs ou finlandais.

- 140 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

BELGIQUE - CHAP. 10 - UN PROJET D’ENQUÊTE SUR LE TEMPS DES MIGRANTS

LYDIE GAUDIER

La Ligue des familles, dans le cadre du projet européen « Migrations et

temps : Perspectives de développement durable dans le domaine

familial », a décidé de centrer son analyse sur l’usage du temps chez les

migrants primo-arrivants. L’objectif étant, après un inventaire de

l’existant, de développer une approche méthodologique qualitative

adaptée à cet objet de recherche.

La première étape de ce projet a consisté en une recherche

bibliographique et une étude de la littérature existante sur le thème du

temps des migrants. Dans un deuxième temps, nous avons mis en lumière

les lacunes de cette littérature. Enfin, un projet d’enquête qualitative,

susceptible d’affiner les analyses existantes et de fournir une base pour la

définition d’indicateurs a été défini. Ce projet, articulé autour de la récolte

de récits de vie de primo-arrivants arrivés en Belgique après 1990,

permettrait de mettre en lumière les problèmes spécifiques rencontrés par

ces migrants dans leur relation au temps, de formuler des critères de

qualité de vie en matière d’usages des temps ainsi que des indicateurs

permettant de mesurer la manière dont ces critères sont satisfaits.

Le premier chapitre du texte qui suit est intitulé « Cadre politique et

historique des migrations en Belgique » et fait le point sur les différents

modes de migrations vers la Belgique depuis les Trente Glorieuses et

d’évolution des politiques migratoires. La population brassée est beaucoup

plus large que celle qui serait l’objet de notre enquête. Néanmoins, il a

semblé utile de replacer les phénomènes de migrations actuels dans une

perspective historique.

En effet, le contexte juridique de la migration et le statut migratoire sont

des facteurs externes qui influencent de manière importante les parcours

de vie des personnes migrantes et leur gestion du temps en raison des

procédures administratives à entreprendre, des conditions d’accès à

l’emploi, etc.

Le deuxième chapitre intitulé « Données statistiques socio-économiques

disponibles concernant les migrations : bilan de l’existant » présente une

photographie de la situation actuelle de la Belgique au vu des différents

types de migrations que sont principalement le regroupement familial, les

- 141 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

migrations de travail, l’asile et l’immigration clandestine. Il permet

également de percevoir la construction administrative de l’image des

migrations qui rend invisible et donc, soit occultés, soit diabolisés sur le

plan politique, des phénomènes tels que l’immigration clandestine ou la

situation des mineurs non-accompagnés.

Par ailleurs, il apparaît que la diversité des situations socio-économiques

dans lesquelles se trouvent les personnes migrantes rend d’autant plus

difficile l’élaboration de réponses en terme de services sociaux (gardes

d’enfants, activités extrascolaires, aide ménagère, aide à l’emploi, etc.)

qu’elles sont très peu abordées par l’analyse statistique.

Le troisième chapitre vise à analyser comment les personnes se

débrouillent sur le plan des usages et de la gestion du temps pour

concilier à la fois les contraintes externes citées dans le premier chapitre

(politiques et statuts migratoires) et leurs aspirations personnelles en

termes de projets de vie. A ce stade du travail, l’analyse et la critique de

la littérature existante sur les usages du temps par les migrants sont

intervenues.

Le fait que les migrants d’origines marocaine et turque soient davantage

décrits ne constitue pas une restriction volontaire quant à l’objet de la

recherche. La raison en est que la littérature recueillie sur le thème a

quasi exclusivement trait aux personnes qui sont originaires de ces pays.

Cette constatation témoigne en soi d’une discrimination tendant à

stigmatiser les personnes de cette origine comme principale cause des

problèmes liés aux migrations.

Par ailleurs, la part des personnes d’origine marocaine et turque dans

l’immigration de ces dernières années semble se réduire. Les chiffre

globaux ne sont pas encore disponibles. Néanmoins, en ce qui concerne

les demandeurs d’asile, pour lesquels les chiffres sont disponibles via

l’Office des étrangers, il apparaît, en tous cas, que depuis juillet 1999, les

pays d’origine les plus représentés sont, dans des ordres différents selon

les années, la République démocratique du Congo, certains Etats de l’ex-

Union soviétique, certains pays d’Europe de l’Est, l’Iran, le RFY Kosovo, les

Balkans,… Parmi les pays du Maghreb, seule l’Algérie figure dans les dix

premiers pays en 2001.

Enfin, les conclusions reprennent les critiques formulées, présentent les

hypothèses à tester en termes de facteurs explicatifs des usages du temps

- 142 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

par les migrants et exposent la proposition d’enquête qualitative qui

devrait constituer la seconde étape du projet.

Cadre politique et historique des migrations en Belgique1

Comme le souligne Anne Morelli2, les flux migratoires vers l’Europe

constituent une donnée permanente au fil de l’Histoire. Le moteur

fondamental de toute migration est la recherche d’un mieux-être qui peut

être de différentes natures : l’amélioration de ses conditions de vie

économique ou de celles de sa famille, la fuite par rapport à un régime

politique répressif ou à une situation de guerre, le regroupement de la

famille dans un pays étranger, la poursuite d’ études,…

Le plus souvent, plusieurs de ces raisons s’entrecroisent et les causes de

départ ne sont pas toujours faciles à distinguer. Le cheminement des

migrants dans le pays d’accueil est également extrêmement variable en

fonction du contexte politique, social, économique et institutionnel du

moment, du profil des migrants, de la politique migratoire.

Les migrations liées au travail, suivies par le regroupement familial, puis

par l’arrivée de demandeurs d’asile et de réfugiés, ainsi que

l’accroissement des clandestins et travailleurs illégaux caractérisent

l’histoire récente de l’immigration en Belgique, ponctuée par ailleurs par

deux vagues de régularisation en 1974 et en 1999.

Les migrations de travail3

A partir du XIXème siècle, l’essor de l’industrialisation s’accompagne d’un

important appel de main d’œuvre. Au départ, le recrutement s’effectue

auprès des agriculteurs touchés par la crise agricole et donne lieu à un

exode rural vers les abords des usines et des charbonnages. Néanmoins,

les besoins en main d’œuvre nécessitent rapidement de faire venir des

ouvriers de régions de plus en plus lointaines.

1 Ce paragraphe est en grande partie inspiré de l’ouvrage intitulé EmmanuelleBribosia et Andrea Rea (dir.), Les Nouvelles Migrations – Un enjeu européen, ,Editions Complexe, Bruxelles, 2002.2 « Les flux migratoires en Europe : une très vieille histoire », Anne Morelli,Historienne, professeur à l’Université libre de Bruxelles, in Osmoses, n°28, juillet-août-septembre 2003.3 Et si on racontait…Une histoire de l’immigration en Belgique, Marco Martiniello etAndrea Rea, Communauté française de Belgique.

- 143 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

L’industrie du Nord de la France, par exemple, a commencé par

embaucher des agriculteurs en difficulté de la région avant de recruter,

d’abord des Belges, ensuite des Polonais, des Italiens et enfin des

ressortissants d’Afrique du Nord.

De la même façon que ses voisins européens, la France, l’Allemagne et les

Pays-Bas, la Belgique a eu recours à l’immigration principalement pour

répondre aux pénuries de main d’œuvre. Les deux grandes périodes

d’immigration de travail ont été, après la première guerre mondiale

jusqu’en 1930, et ensuite, de 1947 à 1974, année à partir de laquelle la

« crise » économique et la croissance du chômage ont commencé à se

faire sentir.

Cette politique est foncièrement différente de celle des Etats-Unis et du

Canada qui pratiquent une immigration de peuplement. En effet, en

Europe, les autorités publiques et les immigrés eux-mêmes ont toujours

pensé l’immigration comme un phénomène provisoire et ces derniers ont

gardé l’espoir très présent du retour au pays.

C’est ainsi que la Belgique n’a pas prévu initialement de politique d’accueil

dans les domaines du logement, de l’éducation, de la culture.

Dans l’entre deux guerres, les migrants provenaient d’abord de la Flandre,

pour ce qui est de la Wallonie qui constituait alors une des régions les plus

industrialisée d’Europe, et des pays limitrophes et ensuite, d’Italie et de

Pologne. Entre 1920 et 1930, 170.000 étrangers sont arrivés en Belgique.

Avec la crise économique des années trente, la Belgique tente une

première fois de limiter l’afflux de main d’œuvre étrangère et adopte une

législation en matière de réglementation des migrations. Elle prévoit la

double obligation pour les étrangers de présenter, d’une part, un contrat

de travail pour obtenir un permis de travail et ensuite, l’autorisation du

ministre de la Justice pour se voir accorder un permis de séjour.

A partir de 1947, la Belgique fait à nouveau appel à la main d’œuvre

étrangère, principalement italienne pour travailler dans les bassins

charbonniers du Centre, du Borinage, de Charleroi, de Liège et de

Campine. A partir de la catastrophe de Marcinelle en 1956, l’immigration

en provenance d’Italie est suspendue et la Belgique conclut des

conventions bilatérales avec d’autres bassins d’emplois, en particulier,

- 144 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

l’Espagne (1956), la Grèce (1957), le Maroc et la Turquie (1964), la

Tunisie (1969), l’Algérie et la Yougoslavie (1970).

Les secteurs dans lesquels travaillent les immigrés se diversifient

également à la métallurgie, aux transports, à la chimie et à la

construction.

De 1963 à 1967, l’appel de main d’œuvre est tel que la législation en

vigueur en matière de permis de travail et séjour n’est plus respectée et

que l’immigration clandestine est tacitement acceptée à la fois par les

employeurs et par la Police des étrangers. De nombreux étrangers

arrivent en Belgique avec un visa touristique et régularisent leur situation

par la suite après avoir trouvé un emploi.

En 1967, le ralentissement économique commence déjà à se faire sentir

et une nouvelle législation est adoptée visant à contrôler les flux d’entrée

d’immigrés en fonction des besoins de main d’œuvre et prenant en

compte le contexte de la construction européenne.

Après 1968, les immigrés originaires des Etats membres des

Communautés européennes, d’abord essentiellement les Italiens et

ensuite les Grecs, les Espagnols et les Portugais, ont pu travailler et

séjourner en Belgique sans avoir besoin de visa, conformément au

principe de libre circulation des travailleurs prévu par le Traité de Rome.

En 1974, avec la montée du chômage, en Belgique comme dans les autres

pays européens d’immigration dont la France et l’Allemagne, le

gouvernement met un frein brutal à l’immigration de travail et ferme

officiellement les frontières par décision du Conseil des ministres.

L’immigration n’est plus autorisée que pour les travailleurs hautement

qualifiés et certains recrutements par contingent.

Actuellement, les migrations officielles de travail concernent en grande

partie les ressortissants des autres pays de l’Union européenne. Les

Français notamment arrivent en troisième position pour le nombre de

ressortissants étrangers séjournant en Belgique avec 107.000 personnes

en 2000, suivis par les Néerlandais avec plus de 85.000 personnes.

- 145 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le regroupement familial

Au début des années soixante, la politique de regroupement familial est

corollaire à l’immigration de travail et vise deux objectifs :

- Le redressement démographique, essentiellement de la Wallonie, et le

maintien du niveau de vie ;

- Le renforcement de l’attractivité de la Belgique comme pays

d’immigration par rapport à ses concurrents directs que sont la Lorraine

ou la Ruhr et la réduction de la mobilité des immigrés vis-à-vis des

employeurs.

La question démographique est mise en évidence par un rapport confié au

sociologue français Alfred Sauvy à la demande du Conseil économique

wallon. Il préconise le développement d’une politique d’intégration des

immigrés et de leur famille. Ses conclusions s’inscrivent dans le contexte

de la naissance du fédéralisme après les grandes grèves de 1960-61 et du

déficit de natalité entre le nord et le sud du pays.

Quant à l’aspect de l’attractivité de la Belgique comme pays d’accueil, il

était présent dès les premiers accords bilatéraux signés avec l’Italie qui

mettaient en évidence les conditions favorables accordées aux

travailleurs.

Après l’arrêt de la politique d’immigration en 1974, le regroupement

familial devient une des formes principales de l’immigration vers la

Belgique et ce jusqu’en 1981. En effet, les étrangers en séjour légal sont

autorisés à faire venir leur conjoint et leurs enfants mineurs et, dans

certains cas, d’autres membres de leur famille (en fonction d’accords

bilatéraux notamment).

Emmanuelle Bribosia et Andrea Rea évaluent entre 2000 et 3000

personnes par an le nombre d’étrangers extra communautaires qui se sont

installés en Belgique ces dernières années par le biais du regroupement

familial.

Il est à noter que la fermeture des frontières en 1974 s’est accompagnée

de la mise en place d’une politique d’intégration pour les migrants qui

vivaient légalement dans la société belge. Quelle que soit l’efficacité de

ces politiques, il s’ensuit que, pour la première fois, ils ont été

symboliquement reconnus en tant que personnes et plus uniquement en

tant que force de travail.

- 146 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les réfugiés et demandeurs d’asile

La fin de la guerre froide se traduit par le développement de crises et de

conflits un peu partout dans le monde et donne lieu à une mondialisation

de la question de l’asile politique. La guerre en ex-Yougoslavie, en

particulier, a été à l’origine d’une partie significative des demandes d’asile

en Belgique dans les années quatre-vingt-dix.

D’une manière générale, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté

considérablement entre 1981 et 1999, même si la Belgique n’accueille

qu’une toute petite partie des candidats à l’asile, la majorité d’entre eux

étant accueillie par les pays dits en développement : 1.897 personnes en

1990, 26.408 en 1993, entre 11.000 et 14.500 personnes par an entre

1994 et 1997 et 22.064 en 1998. Cette augmentation a été utilisée

comme argument par le gouvernement « Arc-en-ciel » pour justifier la

suppression de l’aide sociale aux candidats réfugiés à partir de 2001,

espérant ainsi réduire l’attrait de cette forme d’immigration. Pourtant,

seuls 5 à 10% des demandeurs d’asile obtiennent chaque année le statut

de réfugié. Les autres sont censés retourner dans leur pays d’origine. En

réalité, la plupart reste sur le territoire et sombre dans la clandestinité.

Les étudiants

L’arrivée d’étudiants étrangers est la troisième forme d’immigration vers

la Belgique. L’Etat octroie chaque année la possibilité à de jeunes

étrangers de venir se former dans les universités et les écoles supérieures

belges. Les candidats reçoivent l’autorisation de séjourner dans le pays

pendant la durée de leurs études. En principe, ils sont supposés quitter le

pays au terme de celles-ci. Certains étudiants originaires de pays moins

développés, notamment africains, reçoivent une bourse qui représente

une manière pour l’Etat de favoriser le développement. Des étudiants

étrangers originaires de pays plus riches viennent également à leurs

propres frais pour effectuer des études difficilement accessibles chez eux

en raison d’une politique de limitation discriminatoire dans certaines

filières.

A la fin de leurs études, beaucoup d’étudiants étrangers tentent de rester

en Belgique où ils ont créé des liens et entrevoient des occasions

professionnelles meilleures que dans leur pays d’origine. Un pourcentage

de ces étudiants devient des clandestins.

- 147 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les clandestins et travailleurs illégaux

Outre les demandeurs d’asile, les bouleversements politiques et

économiques dans le monde, alliés à la fermeture des frontières de l’union

européenne, sont à l’origine d’un flux important d’immigration illégale. Ce

phénomène dont tirent parti des réseaux organisés qui monnayent le

voyage des candidats migrants notamment vers la Grande-Bretagne a été

médiatisé à l’occasion de l’affaire du centre de la Croix Rouge de

Sangatte. Ce centre a, en effet, été confronté à un afflux croissant de

personnes tentant d’emprunter illégalement le tunnel sous la manche au

risque de leur vie. La loi du Royaume-Uni interdit de rejeter les candidats

réfugiés et contient des dispositions en matière d’aide sociale pour ces

personnes.

Peter Staker (2000) évalue entre 5 et 7 milliards de dollars par an le

chiffre d’affaires lié au trafic de migrants sans papiers.

Il faut y ajouter à ce mode d’entrée sur le territoire les demandeurs d’asile

déboutés qui restent en Belgique plutôt que de respecter l’ordre qui leur a

été donné de quitter le territoire et les personnes qui sont entrées

légalement en Belgique (touristes, étudiants) et qui y sont restées après

l’expiration de leur visa.

Il arrive également que des personnes aient un titre de séjour valable

mais pas d’autorisation de travailler en Belgique. Elles peuvent alors

devenir des travailleurs illégaux mais ne sont pas des clandestins. Il s’agit

donc d’être prudent lorsqu’on utilise les catégories de « sans papiers », de

clandestins et d’illégaux qui peuvent recouvrir des situations très

différentes.

Les procédures de régularisation

En 1974, à la suite de la décision du Conseil des ministres d’arrêter toute

nouvelle immigration de travail, a eu lieu une première opération de

régularisation. Elle a abouti, à la fin de 1975, à la régularisation de 9000

personnes.

Pendant les années quatre-vingt-dix, les autorités ont régularisé au

compte-gouttes, et sur base de cas particuliers individuels, une centaine

de « sans papiers ».

- 148 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

A la fin de la décennie, l’opinion publique belge a pris conscience de la

situation et des traitements dont sont l’objet les clandestins, à la suite de

la médiatisation de plusieurs cas dramatiques, et notamment, de la mort

de la jeune demandeuse d’asile nigérienne déboutée Sémira Adamu. Un

mouvement en faveur de la cause des « sans papiers » s’est organisé à

grande échelle et le 22 décembre 1999, le nouveau gouvernement a

décidé d’organiser une campagne de régularisation. Cette opération a

débuté le 10 janvier 2000 et a duré trois semaines, durant lesquelles les

candidats à la régularisation ont pu déposer leur dossier auprès des

autorités communales. Beaucoup, parfois en raison d’une mauvaise

information sur les conditions de régularisation, n’ont pas osé rentrer de

dossier de peur que cette opération soit un piège du gouvernement belge

pour les identifier.

Finalement, 36.000 dossiers ont été introduits concernant 50.000

personnes dont 23.000 mineurs d’âge. 140 nationalités étaient

représentées dont 17,6% de Congolais et 12,4% de Marocains. Le nombre

de personnes qui ont bénéficié d’une régularisation à l’occasion de cette

campagne n’est pas encore connu car le traitement des dossiers est

toujours en cours.

Enfin, quelles perspectives se profilent aujourd’hui ? A l’occasion, en

particulier, de la parution en 2000 de plusieurs publications d’organismes

internationaux (UE, OCDE) et, en particulier, d’une communication de la

Commission européenne soulignant les risques socio-économiques du

vieillissement de la population, le débat politique sur l’ouverture des

frontières a resurgi.

La spécificité du débat actuel par rapport à ceux qui ont eu lieu à des

époques antérieures est liée à la réalité nouvelle d’une Union européenne

à vingt-cinq, à l’intérieur de laquelle, à terme, les citoyens pourront

circuler librement.

Parallèlement, les acteurs scientifiques et politiques, et notamment l’Union

européenne, en viennent à s’interroger publiquement sur la fonction du

travail clandestin sur le plan macro-économique et tentent d’analyser ses

mécanismes de régularisation.

Le discours semble donc en train d’évoluer en s’ouvrant sur un certain

nombre de facteurs nouveaux qui sont notamment l’élargissement de

- 149 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

l’Union européenne, le vieillissement de la population en Europe, les

déficits de mains d’œuvre qualifiée, la redéfinition des rapports de force

géopolitique depuis la fin de la guerre froide, la mondialisation

économique, l’essor du nombre de clandestins et le travail au noir.

Données statistiques socio-économiques disponibles concernant les

migrations : bilan de l’existant

A l’heure actuelle, il apparaît qu’en Belgique 8,4% des habitants sont

titulaires d’une nationalité étrangère. Les hommes semblent un peu plus

enclins à migrer que les femmes quoique l’immigration se féminise ces

dernières années. En 2001, 39.147 hommes et 38.437 femmes ont

immigré en Belgique. La plus forte proportion d’étrangers se situe dans les

catégories d’âge de 25 à 29 ans (12,1%), de 30 à 34 ans (12,4%), de 35

à 39 ans (11,2%), la proportion la plus faible chez les jeunes de 0 à 17

ans (6,0%) et chez les personnes de 65 ans et plus (5,4%).

Si le groupe intermédiaire des 18 à 64 ans est le groupe le plus fortement

représenté dans toutes les régions, la Wallonie héberge davantage

d’étrangers plus âgés (8,7% d’étrangers de 65 ans et plus, contre 4,9%

de moins de 18 ans), tandis que la Flandre (2,5% d’âge avancé contre

4,0% de plus jeunes) de même que Bruxelles (12,2% contre 21,7%)

hébergent une population étrangère plus juvénile.

En 2000, 47.457 hommes et 40.000 femmes sont arrivés en Belgique

(non compris bien entendus les étrangers en situation illégale).

Par ailleurs, au 1er janvier 2002, la population de la Belgique s’élevait

officiellement à 10.309.725 habitants. Le nombre de résidents titulaires

d’une nationalité autre que belge a baissé de 897.000 à 861.700 entre le

1er janvier 2000 et le premier janvier 2001 et de 861.700 à 847.000 entre

le 1er janvier 2001 et le 1er janvier 2002. Cependant, le solde migratoire

ayant doublé au cours de même période (passant de 12.137 à 24.887),

cela tend à indiquer qu’il n’y a pas sur notre territoire moins de personnes

d’origine étrangère mais que celles-ci ont été plus nombreuses

qu’auparavant à opter pour la nationalité belge. Au cours de l’année 2001,

62.982 étrangers sont devenus belges contre 61.980 en 2000 et 24.196

en 1999. Cette évolution s’explique notamment par le fait que la loi de

naturalisation rapide, entrée en vigueur à partir de mai 20001, rend plus

1 Loi du 1er mars 2000 modifiant certaines dispositions relatives à la nationalitébelge, Moniteur belge du 6 avril 2000.

- 150 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

aisée l’acquisition de la nationalité belge pour certaines catégories

d’étrangers.

Mouvements de la population (1997-2007)

1997 1998 1999 2000 2001

Total 10.192.264 10.213.752 10.239.085 10.263.414 10.309.725

Etrangers 903.120 891.980 897.110 861.685 846.734

Accroissement des

étrangers-8.801 -11.140 + 5.130 - 35.425 - 14.951

Source : INS, statistiques démographiques

Solde migratoire (1995-2001)

1995 1996 1997 1998 1999 2001

Total +12.714 +6.041 +6.740 +12.252 +12.137 +24.887

Hommes +4.950 +1.519 +1.991 +4.482 +4.506 +11.685

Femmes +7.764 +4.522 +4.749 +7.770 +7.631 +13.202

Source : INS, statistiques démographiques

Droit d’asile (1997-2002)

1997 1998 1999

Demandes d’asile11.824 21.965 35.778

Demandes d’asile

reconnues1.863 1.692 1.487

2000(*) 2001(*) 2002(*)

Demandes d’asile42.691 24.549 18.805

Demandes d’asile

reconnues1.382 1.154 1.322

(*) Depuis l’année 2000, les autorités appliquent le principe « Last

in, first out » : c’est l’examen de la recevabilité des demandes

d’asile qui devient prioritaire. Ce n’est que dans un stade ultérieur

que l’on statue sur la reconnaissance de ces demandes. Le nombre

de demandes d’asile reconnues peut ainsi être sensiblement

influencé par cette nouvelle définition des priorités.

Source : Ministère de l’Intérieur- Office des étrangers, Commissariat

général aux Réfugiés et aux Apatrides, Commission permanente de

recours des réfugiés

- 151 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Ressortissants de pays tiers vivant en Belgique par nationalité, 2000

Europe CE

plus ex-

URSS

Turquie,

Malte,

Chypre

Autre pays

d’Europe

Afrique Autres

Hommes 7,7 17,5 0,8 57,1 16,9

Femmes 11,8 19,8 0,5 48,7 19,2

Source : Eurostat, Statistiques en Bref, Populations et conditions sociales,

thème 3 – 2/2003) : % de ressortissants non-européens.

En moyenne, les ressortissants non communautaires vivant dans l’Union

ont des niveaux d’études inférieurs à ceux des citoyens de leur pays

d’accueil et des ressortissants de l’UE vivant dans ce pays. Ce constat

s’applique en particulier aux hommes et aux femmes âgés de 25 à 39 ans.

En 2000, 46% des hommes de nationalité non communautaire

appartenant à cette classe d’âge n’étaient pas allés au-delà de la scolarité

obligatoire, contre seulement 29% pour les ressortissants du pays

d’accueil. Seuls 17% des ressortissants non communautaires avaient fait

des études supérieures ou universitaires, contre 24,5% dans le cas des

ressortissants du pays d’accueil. Ces écarts sont encore plus marqués

pour les femmes.

De la même façon, le taux d’emploi relatif des ressortissants non

communautaires vivant dans l’Union reflète l’écart observé en ce qui

concerne le niveau d’études. En l’an 2000, un peu plus de 73% des

hommes de nationalité non communautaire âgés de 25 à 39 ans et vivant

dans l’Union exerçaient une activité, contre 88% des ressortissants

nationaux. En outre, leur taux de chômage s’établissait à un peu plus de

15% contre 6,5% pour les ressortissants nationaux de cette classe d’âge.

Dans le cas des femmes, les écarts sont encore plus marqués.

Selon l’OCDE, l’écart entre les niveaux d’éducation des ressortissants

nationaux et des étrangers va se réduire si l’accent sur l’immigration de

travailleurs qualifiés se poursuit.

Evaluation des outils statistiques existants pour appréhender les

phénomènes socio-économiques liés aux migrations en Belgique

L’appareil statistique belge en matière de migrations est donc

relativement pauvre et les données sont dispersées. Au niveau de l’INS,

les croisements des données démographiques se font par rapport à une

- 152 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

seule variable, le plus souvent le genre ou l’âge. Il y a donc peu de

données construites en fonction du pays d’origine des migrants.

Par ailleurs, les statistiques socio-économiques ne font pas la distinction

entre les ressortissants belges et étrangers : emploi et chômage, revenus

et rémunérations, patrimoine et équipement des ménages, consommation

de biens et services, enseignement – culture – formation, emplois du

temps et loisirs, comportements de santé et prévention, mobilité, etc.

Dans l’état actuel du travail, si des chiffres ont pu être trouvés sur les

migrations de travail, les demandeurs d’asile, les étudiants étrangers,

aucun chiffre n’a pu être trouvé sur les migrations annuelles par le biais

du regroupement familial.

Néanmoins, la question se pose de l’utilisation qui pourrait être faite de

statistiques établies de manière systématique en fonction du critère de

nationalité. Ne risqueraient-elles pas de conduire à accroître les

discriminations à l’égard de ces populations ?

Par ailleurs, ces chiffres ne seraient pas nécessairement significatifs en

raison du nombre important de naturalisations en Belgique. En effet, le

fait d’acquérir la nationalité belge ne modifie peut-être pas

significativement les conditions sociales, culturelles et économiques dans

lesquelles vivent ces personnes, si ce n’est au niveau de l’accès à l’emploi

public et aux procédures démocratiques (droit de vote et d’éligibilité).

Néanmoins, il est étrange de constater que si la ventilation des données

statistiques selon le genre ou même selon la composition de famille est

considérée comme permettant de mettre en avant certaines injustices et

discriminations, la question des nationalités est beaucoup plus sensible.

En ce qui concerne la petite enfance, il serait pourtant intéressant de

comparer les modes d’accueil utilisés par les étrangers vivant en Belgique

et les raisons de leurs comportements en la matière de manière à pouvoir

prendre en compte également les besoins de ces populations et de

favoriser l’accès des femmes à l’emploi. Aucune donnée reflétant le profil

des enfants accueillis en milieux d’accueil n’est disponible sur le site de

l’ONE ni du Ministre de la petite enfance de la Communauté française. Au

niveau universitaire, une étude sur la garde des enfants malades a été

réalisée en 2002 par l’ULB1 qui donne quelques indications.

1 Maladies infantiles et garde des enfants, une source d’inégalités hommesfemmes, recherche subsidiée par la Communauté française, Pr. Michèle Dramais,Ecole de santé publique, Dr Walter Hecq, Institut de Sociologie, Jacques Moriau,

- 153 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Usages du temps par les migrants : construire une vie entre contraintes

de la société d’accueil, bagage culturel et aspirations personnelles

Comment les personnes migrantes construisent-elles leurs usages du

temps au quotidien, compte tenu de la spécificité de leur situation, tant

sur les plans juridique et administratif que culturel et socio-économique ?

Quelles réponses apporte actuellement la littérature sociologique à cette

question ? C’est le sujet que la Ligue des Familles a souhaité aborder dans

ce troisième chapitre.

Il s’agit, d’une part, de critiquer, souligner les manquements et les effets

pervers de la majorité des analyses actuelles sur la question du temps des

personnes migrantes et, d’autre part, de proposer une méthodologie qui

permette de progresser dans la réflexion.

Le temps des migrants est, en effet, essentiellement abordé dans la

littérature sous l’angle culturel et religieux. Et même de ce point de vue

relativement limité qui peut être sujet à critique, les ressources sont

relativement rares et dispersées, tant sur le plan de la part faite à ce

thème que de l’exhaustivité des analyses où seules la culture et les

traditions liées à l’Islam sont étudiées de manière quelque peu

approfondie et conséquente.

Pourtant, la question de la gestion du temps par les migrants se heurte à

des contraintes spécifiques qui sont liées à leur statut de migrants, aux

conditions socio-économiques dans lesquelles ils vivent, à leurs stratégies

individuelles d’adaptation à la société d’accueil, à l’image que leur renvoie

cette société (discriminations à l’emploi, parcours d’insertion,…), etc., qui

vont bien au-delà de la question religieuse.

Au lieu de perpétuer les représentations religieuses et culturelles

traditionnelles qui n’ont plus cours même dans le pays d’origine comme le

laisse entendre le discours dominant, la plupart des migrants sont en

réalité amenés à faire preuve de créativité et à inventer des pratiques qui

leur permettent de s’adapter aux contraintes qu’ils rencontrent, par

exemple, en matière de garde d’enfants.

Faculté des Sciences politiques, économiques et sociales, Rapport final, novembre2002.

- 154 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Dans le même ordre d’idée, les migrants pendulaires, à cheval entre deux

pays, ont à concilier deux gestions du temps différentes et développent

des stratégies spécifiques pour ce faire quelque soit leur origine culturelle.

Généralités sur les représentations culturelles et socio-économiques du

temps

Le temps a de multiples dimensions. Cécile Segretain distingue trois

catégories de temps :

- Le temps chronologique, mesuré par la montre ou le calendrier et qui,

pour les migrants, passe notamment par la durée du processus

administratif pour l’obtention de la carte de séjour ;

- Le temps socioculturel qui représente la manière dont les rythmes de la

journée, de l’année et les événements importants de la vie (naissance,

mariage, retraite,...) sont codifiés dans la société ;

- Le temps vécu qui, pour les migrants, se rapporte à la gestion affective

de la séparation d’avec la famille et le pays d’origine et au développement

de projets dans le pays d’accueil.

De ces trois catégories de temps, le temps socioculturel est celui qui,

d’après notre bibliographie, a été le plus étudié jusqu’à présent sous

l’angle des migrations.

D’une manière générale, les anthropologues s’accordent à dire que ce

qu’une culture pense du temps et la façon dont elle le gère seraient

significatifs de ses échelles de valeurs et de sa manière de considérer les

relations entre l’Homme et son environnement naturel et social.1

Déjà, à la fin du 18ème siècle, le sociologue français Emile Durkheim

considérait le temps comme une construction sociale qui permet aux

membres d’un même espace social et culturel de coordonner leurs

activités.2

La notion du temps en vigueur dans les pays occidentaux, linéaire,

quantifiable, prenant l’aspect d’une ligne du temps orientée du passé vers

le futur et sur laquelle viennent se situer les événements de la vie, les

activités les rendez-vous,…, ne serait donc pas universellement partagée.

1 Comment gérer notre temps ?, L’entreprise interculturelle, E. Trompenaars,Collection Institut du Management d’EDF et de GDF, Maxima, Laurent du Mesniléditeur.2 De la division du travail social, E. Durkheim, Collection Quadridge, PUF, 1991.

- 155 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Ce temps essentiellement économique et monétaire peut cohabiter avec

d’autres rythmes relevant de la sphère privée (familiaux, religieux,

individuels,…). Néanmoins, force est de constater que ces vécus du temps

différents concernent l’ensemble des citoyens qu’ils soient ou non

d’origine étrangère, même si la dimension culturelle peut en expliquer

certains éléments.

Pour souligner l’importance des trajectoires individuelles et la non-

réductibilité des comportements et des styles de vie des migrants à leur

appartenance culturelle d’origine, nous citons Nouzah Ben Salah qui

estime, au sujet de la famille que : Elle se construit comme un lieu de vie

commune à des individus, hommes et femmes, enfants et adultes qui ne

partagent pas nécessairement une même vision du monde. Selon que la

famille est en accord ou en désaccord avec les milieux dans lesquels elle

évolue, celle-ci se reformule constamment dans un rapport dialectique

entre vérités fondatrices qui lui donnent sens et les réalités sociales

qu’elles éprouvent.1 Cette réponse est sans doute partielle elle aussi et

nécessite d’être approfondie en fonction de facteurs socio-économiques,

éducatifs, liés aux circonstances de vie rencontrées dans le pays

d’accueil,...

Confrontation entre le temps des migrants et le temps de la société

d’accueil : un problème spécifique ?

En Belgique, comme dans les autres pays européens, malgré la relative

cohabitation des cultures et des nationalités dans des grandes villes

comme Bruxelles, la prédominance de la sphère économique,

technologique et des médias sur les autres lieux d’investissement social

(sphère privée, spirituelle,... ) implique la hiérarchisation des

représentations du temps et la soumission des comportements individuels

au temps monétaire quantitatif, sous peine de chômage, de

marginalisation, d’exclusion sociale.

La culture de l’agenda, comme l’appelle le professeur Ambros

Couloubaritsis2 et la programmation du temps sont omniprésentes. Les

1 Familles turques et maghrébines aujourd’hui. Evolution dans les espaces d’origineet d’immigration, Nouzha Ben Salah (sld), Editions Academia, Louvain-la-Neuve,1994, p.7.2 « Une mécanique invisible, Entretien avec Embros Couloubaritsis, professeur dephilosophie à l’Université Libre de Bruxelles », in Agenda Interculturel, n°159,

- 156 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

outils de re synchronisation du temps que sont les téléphones mobiles, les

répondeurs, les ordinateurs portables, et encore et toujours la voiture,

deviennent tous les jours un peu plus indispensables pour correspondre à

la norme en vigueur sur le plan des exigences professionnelles.

L’overbooking et le stress, tant sur le plan des activités professionnelles

que sociales et culturelles restent des signes extérieurs de réussite

sociale.

Face à cette réalité, peuvent surgir deux types de disfonctionnement :

« conflits de temps » ou « décalages de temps ».

Les « conflits de temps » résultent d’une confrontation, le plus souvent

involontaire, entre deux hiérarchies temporelles. Si ces différences sont

d’ordres culturel ou religieux et impliquent des relations entre Belges et

étrangers, il peut en résulter des incompréhensions mutuelles.

Néanmoins, ces conflits peuvent aussi se poser dans d’autres situations

qui n’ont rien à voir avec l’appartenance culturelle. Bertrand Montulet,

chercheur aux Facultés Universitaires Saint-Louis1 estime que les

personnes qui ont à gérer des temps longs, comme notamment les mères

de jeunes enfants, ont un handicap pour s’adapter aux exigences de

flexibilité et de saisie des opportunités qui caractérisent le milieu

socioprofessionnel.

Les « décalages de temps » entre les individus et la société, quant à eux,

apparaissent davantage comme étant d’ordre socio-économique et

concernent les temps sociaux. S’ils touchent davantage les populations

migrantes, c’est certainement parce qu’une plus grande proportion de

celles-ci se retrouvent dans les milieux défavorisés par rapport aux

autochtones. Gilles Verbunt2 explique que : Dans toutes les cultures, chez

des personnes qui pendant longtemps n’ont plus du tout géré leur temps,

(par exemple certains chômeurs de longue durée), il peut y avoir une

perte ou absence de gestion du temps. De la même façon, T. Mukuna3

reconnaît que la société demeure pourvoyeuse de temps morts qui

apparaissent comme des sous-produits du temps productivité. Les jeunes

décembre 1997.1 Les enjeux spatio-temporels du social-Mobilités, Bertrand Montulet, L’Harmattan,Paris-Montréal, 1998.2 « La vie quotidienne, temps d’ancrage culturel, Choc des cultures oucomplémentarité des cultures ? », Gilles Verbunt, in Migrations-Santé, n°102/103,2000.3 « Les représentations du temps : organisation, désorganisation et influencessocio-culturelles », T. Mukuna, in Les temps de la vie (sous la direction d’ArmandTouati), n° hors série, le Journal des psychologues (5ème forum des psychologues-Marseille, 25 au 27 juin 1987).

- 157 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

chômeurs, certaines femmes au foyer et certains pré-pensionnés se

confrontent à l’angoisse de planifier, de remplir et de reconvertir certaines

séquences temporelles qu’on consacrerait au travail en temps de vivre. Il

estime que le désir de temps personnel de beaucoup de personnes en

activité professionnelle correspond à une recherche de développement de

son identité personnelle plus que de temps libre.

La multiculturalité, obstacle pour certain mais richesse pour beaucoup : l’exemple

de l’école

Driss Abenchikar1 rapporte que : Nombreuses sont les situations rencontrées par

les enseignants où les parents immigrés sont rudement malmenés, voire jugés

en raison du manque de sérieux avec lequel ils géreraient la dimension temps de

la scolarité de leurs enfants, à tel point qu’ils semblent parfois avaliser leur

absentéisme jugé chronique.

Le discours ambiant des enseignants – qui date, par ailleurs – fait part du

manque de réaction des parents face à des situations qui mettent « en péril »

l’avenir scolaire de leurs enfants. De même, le jeune du Ramadan est considéré

comme un frein à l’apprentissage et à la productivité en classe des élèves qui le

pratiquent.

Ils constatent que les parents immigrés de la première génération vivent dans un

monde totalement étranger à celui de l’école et réciproquement. A la maison, la

vie est rythmée par les préceptes culturels et religieux traditionnels. Les valeurs

de l’autorité, de la mémoire, du respect des vieux, de la solidarité familiale, de la

continuité des générations s’opposeraient à celles de l’autonomie et de l’égalité

défendues par l’école.

Ils se plaignent de l’absence de communication entre les univers scolaire et

familial et du fait que les jeunes se trouvent dans une situation particulièrement

inconfortable, à cheval entre l’un et l’autre. Les parents et les professeurs ne se

rencontrent pas et les enfants tentent d’amortir les « chocs de culture », se

revendiquant de l’Islam à l’école et prenant la défense du mode de vie occidental

à la maison.

Néanmoins, tous les auteurs ne sont pas du même avis et certains rapportent

une autre vision du fossé culturel qui sépare les parents primo-migrants de leurs

enfants. Ainsi, Joëlle Lacroix et Nouzha Bensalah soulignent que : l’Histoire

proche des migrations vers la Belgique et les propos relatés par des mères

1 « Le temps des uns et celui des autres », Driss Abenchikar, in Agendainterculturel, n°159, décembre 1997.

- 158 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

étrangères concernant l’éducation des jeunes enfants nous apprennent que les

parents arrivés dans les années ’60-’74, leurs enfants (aujourd’hui parents) et

les parents arrivés dans les années ’80-’90 ne tiennent pas les mêmes discours

quant à l’éducation qu’ils entendent donner à leurs enfants et quant à celle qu’ils

attendent des institutions préscolaires et scolaires.

Elle signale également que pour certains auteurs : l’enfant n’est pas tant

dépourvu face à ces deux milieux de vie (la famille et l’école)... Au contraire, ces

deux mondes de vie sont sources d’expériences enrichissantes pour la

construction de son identité. Plutôt que d’être dans un « entre-deux monde », il

se trouve « dans deux mondes ». Dans cette optique, ces sphères d’éducation

se complètent... Il faut noter que la découverte d’un double milieu est

généralisable à tout jeune enfant, quelle que soit son origine ethnique. Chacun

de ces milieux est porteur d’une « culture » : culture familiale et culture

préscolaire, institutionnelle.1

Quelle que soit la manière de voir, les auteurs s’accordent pour dire que la place

et le rôle joué par les enseignants et les parents dans l’éducation doivent être

questionnés.

En particulier, il serait sans doute nécessaire, compte tenu de la proportion

importante des élèves d’origine marocaine et turque dans beaucoup

d’établissements scolaires urbains, d’aider les enseignants à prendre

suffisamment de recul pour relativiser leur propre perception du temps et

reconnaître celle de l’élève, de manière à être en mesure de négocier des

compromis.

Les rituels qui structuraient traditionnellement le temps de vie des

Marocains et des Turcs et dont les équivalents existaient plus ou moins

dans la religion catholique, tombent en désuétude, tant dans les pays

d’origine qu’en Occident. En effet, l’évolution de la société s’oriente vers

une privatisation des choix de vie liés à la famille et à l’âge (unions,

naissances des enfants, partage des tâches domestiques entre les

hommes et les femmes, rôle des grands-parents,...).

Les comportements individuels sont également de moins en moins

conditionnés par l’appartenance à l’un ou l’autre sexe et par les catégories

d’âges. De plus en plus de personnes reprennent des études à l’âge de la

retraite, se marient plusieurs fois ou à un âge avancé, certains hommes

1 Nouzha Bensalah, Joëlle Lacroix, Formation à destination du travailleur médico-social de l’ONE : Eduquer en milieu immigré. Quelles implications pour lestravailleurs de l’ONE ?, Automne 98, commanditée par le Fonds Houtman et l’ONE,réalisée par le GREM (Nouzah Ben Salah) et Synergie .

- 159 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

(encore minoritaires cependant) décident de rester à la maison pour

s’occuper des enfants, certains parents ont des enfants du même âge que

ceux de leurs enfants plus âgés,... Au contraire de ce qui se passe dans la

tradition musulmane, la vieillesse est dévalorisée, fait peur et les individus

tentent de rester jeunes notamment en cultivant les comportements liés à

la jeunesse. Même les contraintes biologiques telles que celles liées à

l’âge de la procréation pour les femmes ne sont plus aussi incontournables

que par le passé.

La répartition des temps de travail, de loisirs, de formation, de vie

familiale et sociale sur la journée, la semaine et le cycle de vie, qui étaient

institutionnalisée jusqu’aux années soixante-dix dans le cadre du

compromis social d’après-guerre et du fordisme se brouillent

progressivement et les trajectoires s’individualisent.

Il apparaît clairement que des facteurs comme le statut social et

professionnel supplantent l’âge pour expliquer la position des individus

dans la société. Comme l’écrit Xavier Gaullier : « ... cadres supérieurs et

ouvriers n’ont pas la même longévité, et les événements de la vie

interviennent à des âges un peu différents : entrée et sortie de la vie

active, promotion hiérarchique, date de mariage et calendrier des

naissances... La segmentation des cycles de vie pourrait bien se

développer à l’avenir de la façon suivante :

- Aux couches sociales aisées, une formation initiale longue, un plein

emploi prenant, un couple à double carrière, une retraite de niveau élevé

et remplie d’activités gratifiantes, pendant que les tâches domestiques

sont assurées par des emplois de maison ; une espérance de vie sans

incapacité plus longue que celle des autres.

- Aux couches défavorisées, une formation initiale brève, un emploi en

dents de scie, des tâches ménagères prenantes, une retraite de faible

niveau et faite d’inactivité subie ; une longévité plus courte et en moins

bonne santé.»1

Les familles migrantes d’origine marocaine et turque sont donc pénalisées,

en matière de gestion de leur temps de vie, par leur position sociale

statistiquement moins favorisée qui les confronte à des contraintes de

temps supplémentaires telles que des horaires de travail irréguliers, des

contrats à durée déterminée alternant avec des périodes de chômage, une

espérance de vie plus faible,...

1 « La protection sociale et les nouveaux parcours de vie », Xavier Gaullier, inEsprit – Entre la loi et le contrat, février 2001.

- 160 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Si la question de l’acculturation, notamment sur le plan du rapport à

l’école des enfants des migrants, a été abordée par la littérature, par

contre, à ce stade, très peu d’analyses ont été trouvées sur la question de

l’adaptation des migrants aux rythmes imposés par les situations socio-

économiques dans lesquelles ils vivent, en particulier, par comparaison

avec les nationaux confrontés à des difficultés du même ordre. Quel est

l’emploi du temps respectif des hommes et des femmes ? Comment sont

gardés les enfants ? Quels modes de transport sont utilisés ? Quels sont

les rapports à l’emploi des hommes et des femmes? Quels sont les loisirs

des migrants?,...

Dans les sources bibliographiques sur lesquelles cette étude se base, le

cas du mariage traditionnel et de son adaptation aux contingences de

l’immigration est cependant étudié de manière approfondie par Nouzha

Bensalah.

Evolution des mariages turcs et marocains en immigration :1 2

Le mariage représente dans la culture musulmane un rituel familial fondamental

qui marque profondément le cycle de vie des individus et détermine leur statut

social d’adulte. Il est, avec le système de parenté, l’une des deux clefs de voûte

de la structure familiale patriarcale. Dans les communautés immigrées turques et

marocaines, il reste un événement familial à dimension communautaire.

Néanmoins, au fil du passage des générations de migrants et des modalités de

migrations imposées par la Belgique, sa signification de soutien de la famille

patriarcale s'est quelque peu diluée au profit de sa dimension socio-économique.

La flexibilité des trajectoires individuelles et la privatisation des temporalités

familiales caractéristiques de l’évolution de la société occidentale influencent

progressivement les rituels traditionnels. La dimension temporelle marque donc

le mariage à deux niveaux, d’une part, en modifiant progressivement ses règles

et sa signification sur le long terme, d’autre part, car le mariage perd de sa

dimension totalement structurante du cycle de vie des personnes en raison

notamment de la scolarisation et du travail des femmes.

Les évolutions du mariage depuis les années soixante dans la communauté

immigrée peuvent être résumées de la manière suivante :

1 Familles turques et maghrébines aujourd’hui. Evolution dans les espaces d’origineet d’immigration, sous la direction de Nouzha Bensalah, Editions Academia,Louvain-la-Neuve, Editions Maisonneuve et Larose, Paris, 1994.2 « Le voyage de noces... », interview de Nouzha Bensalah, in Agenda interculturel,n°153, avril 1997.

- 161 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

1ère étape : les années 60 et 70 :

Durant cette première époque, l’immigration était essentiellement masculine.

S’agissant de se marier, deux situations se présentaient. Dans le premier cas de

figure, les hommes retournaient au pays après avoir régularisé leur situation en

Belgique et trouvé du travail. Là, leur famille leur trouvait une épouse avec

laquelle ils revenaient. Dans le second cas de figure, ils avaient lié des liens en

Belgique avec d’autres personnes de leur communauté et ils décidaient de sceller

les relations entre les deux familles, en s’échangeant leurs sœurs restées au

pays, par exemple.

C’est donc l’homme ou sa famille qui reste à l’initiative du mariage, garantissant

ainsi son autorité dans le couple et les cérémonies ont lieu dans le pays d’origine.

Le mariage avec une femme belge signifiait la rupture avec sa famille et ses

origines.

2ème étape : la fin des années 70 et les années 80 :

Cette période est marquée par deux phénomènes. D’un côté, l’immigration des

femmes augmente : les épouses des migrants les rejoignent, ainsi que des

célibataires ou des femmes divorcées qui ont des liens de parenté avec les

familles établies en Belgique. De l’autre, la fermeture des frontières à

l’immigration de travail en 1974 donne au mariage la fonction de porte d’entrée

quasi unique vers la Belgique.

L’initiative du mariage se déplace vers le pays d’accueil. La famille immigrée aide

les femmes qui arrivent à trouver un mari en règle dans la communauté en

Belgique ou encore les femmes régularisées permettent à des familles de

régulariser des clandestins. Un véritable marché matrimonial se développe avec

pour conséquence une plus grande instabilité des mariages « pour les papiers ».

Ce n’est plus nécessairement l’homme mais l’individu par lequel la migration est

rendue possible qui détient la prééminence dans le couple. Le mariage conclu

pour des raisons opportunistes perd de sa signification et les cérémonies sont de

plus en plus organisées en Belgique.

Les personnes séparées ou divorcées, et plus spécialement les femmes, font

l’expérience inédite de devoir se débrouiller de manière autonome et de travailler

à l’extérieur.

3ème étape : l’arrivée à l’âge du mariage des enfants des primo-migrants depuis

les années 80:

Le mariage comme moyen de régularisation pour les nouveaux arrivants existe

toujours mais est complètement géré par les familles installées en Belgique. Par

- 162 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

ailleurs, des compromis sont trouvés avec les individus de la deuxième

génération qui ont intégré une partie des valeurs et du mode de vie de la société

belge. La famille entend souvent continuer à jouer un rôle prépondérant dans le

choix de l’époux mais, en contrepartie, accepte que les nouveaux mariés aient

une vision différente des rapports de couple et trouve de nouveaux critères de

sélection qui correspondent mieux à l’évolution des mentalités. Nouzha Bensalah

reprend les expressions d’épouses « modernes » et de maris qui ne soient pas

« arriérés ». Il appartient à l’épouse ou au mari « importé » de s’adapter au

mode de vie des familles en Belgique et les unions entre jeunes tous deux issus

de la communauté immigrée sont jugés plus favorables.

Les mariages mixtes sont tolérés à conditions que le conjoint soit musulman ou

converti à l’Islam.

Nouzha Bensalah souligne que : « ... le mariage est un instrument aux mains des

familles et des individus pour agir, voire modifier les structures de pouvoirs qui

charpentent la famille patriarcale. Des mécanismes régulateurs traditionnels tels

que les structures de parenté, les appartenances au genre masculin ou féminin,

les classes d’âge, n’exercent plus de la même manière leur contrôle sur l’accès à

ces pouvoirs parce que leurs fondements sont eux aussi en mutation. »

CONCLUSIONS ET ÉNONCÉ DU PROJET D’ENQUÊTE QUALITATIVE

La question de l’usage du temps par les migrants est presque toujours

abordée sous l’angle des différences culturelles. La perspective

culturaliste tend à envisager les ressortissants étrangers uniquement en

fonction de leur culture d’origine dans ce qu’elle a de plus traditionnel. Il

s’agit d’une approche simpliste qui va dans le sens du renforcement des

stéréotypes. D’ailleurs, beaucoup de documents figurant dans la

bibliographie qui a servi de base de travail à la présente étude ne

proviennent pas de sources scientifiques mais sont de type essayistes et

rédigés par des acteurs de terrain (animateurs, psychologues,…).

L’approche culturaliste présente certains avantages pour leurs auteurs et

pour le grand public. Elle est élaborée à partir de données bien connues et

structurées concernant les rituels religieux et les traditions culturelles et

va dans le sens du renforcement des expériences vécues dans la vie

courante. Elle peut être facilement relayée par le discours dominant

(médias, conversation du « café du commerce »,…) qui a tendance à

interpréter le comportement des gens en fonction de quelques

- 163 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

caractéristiques externes facilement repérables. Par exemple, on va dire

que les Africains sont toujours en retard aux rendez-vous, que les

Méditerranéens ne sont pas organisés, que les Indiens sont fatalistes, etc.

Ce sont là des schémas interprétatifs qui permettent de se rassurer en se

faisant une image claire de l’autre mais une image raccourcie.

Néanmoins, elle présente de graves inconvénients tant pour les personnes

qui en sont la cible que pour la cohésion sociale :

- L’analyse des comportements des individus uniquement en termes

d’appartenance religieuse ou culturelle concourt à leur enfermement

identitaire. Elle fait l’impasse sur la volonté éventuelle de changement

d’identité qu’expriment les personnes en fonction des évolutions dans leur

situation économique, sociale et relationnelle et va à l’encontre des

libertés individuelles. Or, un nombre important de migrants revendiquent

une identité culturelle multiple et la considère comme un enrichissement.

Même si tous les milieux sociaux ne sont pas concernés par cette prise de

conscience, les frontières ne sont pas hermétiques entre les groupes

culturels.

- L’identité d’une personne se construit à partir de nombreux éléments :

éducation, histoire familiale, expérience personnelle, événements vécus,

rencontres,… Toute société, par ailleurs, évolue et réinvente ses règles et

références au fil du temps. C’est pourquoi une vision statique des identités

des individus en fonction de leur appartenance culturelle d’origine n’est

pas une approche pertinente. Une personne ne peut être réduite à sa

seule dimension d’appartenance à une nationalité ou d’adhésion à une

religion. Les individus, et notamment les migrants, construisent des

stratégies pour s’adapter aux situations nouvelles qu’ils rencontrent. Dans

ces stratégies, les références culturelles, «nationales »,

«communautaires » ou «religieuses » vont être mobilisées parmi d’autres

ressources.

A titre d’exemple, Catherine Rollot, dans un article du Monde publié le 4

novembre 2003, dénonce l’idée d’un déterminisme ethnique en matière de

métiers : « la croyance selon laquelle certains groupes socioculturels

seraient, en raison de leurs caractéristiques «innées », voués à exercer

tels métiers ou telles activités professionnelles est fausse (…) Les juifs ne

sont pas usuriers par nature (…) Le nombre élevé de petits magasins de

- 164 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

proximité tenus par des immigrés maghrébins ne s’explique pas par leur

prétendue «bosse » du commerce (…) ».1

- L’approche culturaliste tend à opposer les différentes cultures les unes

aux autres et à promouvoir une image stéréotypée et homogène de toutes

les personnes de même origine. Comme l’écrit Marco Martiniello2 : « …la

tendance à encourager la séparation ethnique et culturelle et

l’enfermement communautaire des individus sous couvert de protection

des minorités et de respect des différences culturelles va de pair avec une

tendance à faire de cette différence culturelle le problème majeur auquel

se heurte la cohésion sociale. Tous les problèmes et toutes les difficultés

sont traduites en problèmes culturels et les solutions proposées seront

logiquement du même ordre. » Cette manière de voir est stérile,

encourage les extrémismes et conduit à l’affrontement des cultures sans

apporter de solution.

L’occultation volontaire ou involontaire des interactions entre les sphères

culturelle, économique et sociale a pour effet de renforcer la mise à l’écart

d’une partie importante de la population en reportant sur elle la

responsabilité de cette ségrégation alors qu’elle est en réalité le

symptôme d’une incapacité de l’Etat et des autres acteurs économiques et

sociaux de gérer de manière satisfaisante les conséquences négatives du

fonctionnement économique néo-libéral mondialisé.

Compte tenu de l’analyse ci-dessus, il semble important de développer

une approche constructiviste des rapports entre les migrants et le temps.

Pour comprendre cette réalité sociale, il convient de se distancer d’une

approche culturaliste qui fige les choses et de mettre l’accent sur les

critères socio-économiques et les stratégies individuelles et familiales des

personnes qui ont vécu l’expérience de la migration (c’est-à-dire qui ont

fait le voyage).

Dans la manière dont les migrants gèrent leurs temps de travail, de

loisirs, de consommation, de prise en charge des enfants, de

déplacement, de démarches administratives, etc., interviennent, outre les

aspects culturels (au sens macro social du terme):

- La situation dans laquelle ils se trouvent en termes de statut

migratoire : il est clair qu’un demandeur d’asile en attente de

1 La fausse idée des métiers « ethniques », Catherine Rollot, Le Monde, 4novembre 03.2 Multiculturalisme : ouverture et limites, Marco Martiniello, Chercheur qualifié duFNRS, Directeur du CEDEM – Ulg., p.9.

- 165 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

régularisation ou un clandestin aura un emploi du temps quotidien, un

mode de vie et des projets différents d’une personne de même origine

mais qui a obtenu une autorisation de séjour et peut envisager de

travailler de manière légale.

- La situation socio-économique des personnes concernées : les migrants

proviennent le plus souvent des catégories de population les plus

fragilisées dans leur pays d’origine. Un grand nombre d’entre eux, et

notamment les femmes, ont un niveau d’éducation plus faible que la

moyenne de la population belge.

Leur déficit de qualification allié aux discriminations conscientes ou

inconscientes à l’embauche fondées sur leur origine leur rend difficile

l’accès à l’emploi. Le ministre régional bruxellois Eric Tomas relève dans

son entretien paru dans le quotidien La Libre Belgique du 29 août 2003 :

« Trop de chômeurs d’origine étrangère subissent encore des

discriminations à l’embauche ».1

Par ailleurs, même les migrants qualifiés rencontrent des difficultés à

trouver un emploi, soit parce que leur formation n’est pas reconnue en

Belgique, soit parce que les employeurs pratiquent une discrimination à

l’embauche.

Cette situation se traduit dans la réalité par une re-stratification de la

société en classes sociales dont l’une d’elles, composée en grande partie

de migrants et de personnes peu qualifiées, hériterait des emplois

précaires, flexibles et mals rémunérés.

Or, les stratifications sociales et professionnelles jouent beaucoup dans le

rapport au temps et à l’espace. Certains métiers permettent une gestion

des différents temps de manière plus souple, procurent un revenu

permettant aux personnes de résider dans des quartiers plus diversifiés

sur le plan de la mixité sociale, etc.

Plusieurs des auteurs étudiés, même s’ils sont rares, confirment l’influence

des conditions socio-économiques sur la perception et les usages du

temps par les personnes, indépendamment de leur condition de migrants.

1 « La discrimination aggrave le chômage », Pascal Sac, in La Libre Belgique, 29août 2003, p.5.

- 166 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- Les stratégies individuelles et les choix personnels des migrants en

termes de mariage, d’émancipation sociale, etc., qui donnent lieu à une

diversification des trajectoires de vie.

La société se transforme. L’un des traits caractéristiques de cette

transformation est la flexibilité au niveau des parcours de vie, tant au

niveau professionnel qu’au niveau familial.

Dans ces domaines, la logique du jeu de l’oie tend à remplacer la ligne

droite de l’ancien continuum :

Etudes / emploi sous CDI / mariage / enfants / épargne / retraite

____________________ (temps) _______________________>

Les personnes sont de plus en plus amenées à construire leurs propres

réseaux sociaux qu’elles utilisent pour tenter de s’orienter vers la

réalisation de leurs objectifs par la méthode des essais et erreurs ou pour

transformer leurs objectifs en fonction des opportunités. Ces évolutions

touchent aussi bien les migrants que les nationaux et expliquent en partie

pourquoi les parcours des migrants actuels sont différents de ceux des

personnes qui sont arrivées en Belgique il y a 30 ou 40 ans. Il est

prévisible que la flexibilité socio-économique conduise, d’une part, à

l’exclusion d’une partie de la population, d’autre part, à une diversification

croissante des trajectoires de vie en général et au sein de la population

migrante en particulier.

En résumé, comme l’écrit encore Marco Martiniello1 : « Il est crucial de

reconnaître que les processus de formation et d’affirmation de certaines

identités ethniques et culturelles, d’une part, et les processus d’exclusion

et de recomposition des inégalités sociales et économiques, d’autre part,

sont intimement liés. En effet, une fraction de ceux qui sont démunis ou

exclus au niveau social et économique sont aussi ceux dont la culture et

l’identité sont stigmatisées et considérées comme illégitimes voire

dangereuses pour la cohésion sociale. Des mécanismes d’ethnicisation,

voire de discrimination raciale expliquent ainsi en grande partie leur

position sociale désavantageuse et renforcent leur quête de sécurité et de

protection dans des identités aux contours de plus en plus fermés.

Par conséquent, il semble dangereux pour la démocratie de dissocier le

débat sur le multiculturalisme et le débat sur la lutte contre l’exclusion et

1 Multiculturalisme : ouverture et limites, Marco Martiniello, Chercheur qualifié duFNRS, Directeur du CEDEM – Ulg, p. 12-13.

- 167 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

les inégalités sociales. En effet, plus les inégalités et l’insécurité socio-

économique s’accroîtront, plus nombreux seront ceux qui chercheront

refuge dans des appartenances culturelles et ethniques exclusives, mais

protectrices, et plus ils auront tendance à rejeter celle ou celui perçu

comme différent. »

Il s’agit donc d’étudier plus en profondeur la manière dont les conditions

de l’immigration en Belgique et la situation socio-économique des

migrants influencent leur perception du temps, leur usage de temps et

même de quelle manière celles-ci modifient les temps traditionnels des

rituels culturels ou religieux et les valeurs attribuées au temps et à son

usage dans les pays d’origine.

Sur un plan plus méthodologique, il ressort des considérations

développées ci-dessus que les enquêtes budget-temps traditionnelles (cf.

enquête sur le « Temps des Belges, groupe TOR VUB, 2000), qui

mesurent le temps consacré par un individu aux diverses activités

composant sa journée ou sa semaine, sont insuffisantes pour expliquer la

variété des comportements vis-à-vis du temps de la population en général

et à plus forte raison inadaptées à plusieurs niveaux pour décrire et

analyser le temps des migrants :

- La méthodologie quantitative des enquêtes budgets-temps ne prend pas

en compte les combinaisons d’activités : repassage et télévision, lecture

et déplacement,…

- Les catégories d’activités utilisées (emploi, tâches ménagères, soins et

éducation des enfants, soins personnels, sommeil et repos, enseignement

et formation, activités sociales, loisirs, déplacements) sont subjectives.

Par exemple, manger et boire sont classés dans les soins personnels, alors

qu’ils pourraient très bien figurer également dans les activités sociales ou

les loisirs.

- Les répartitions par régions, classes d’âges, par sexe et selon le nombre

d’enfants pourraient être affinées par une répartition selon les pays

d’origine, la date d’arrivée en Belgique, le statut socioprofessionnel

(chômeur, cadre,…), le niveau de revenu, la composition familiale (famille

traditionnelle, monoparentale, recomposée,…), la présence ou non d’un

handicap,…

- Les variations entre les comportements individuels sont en grande partie

gommées et les résultats des enquêtes en viennent globalement à

- 168 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

conclure que la plupart des gens sont occupés à des activités identiques

aux même moments alors qu’il serait tout particulièrement instructif de

s’intéresser aux comportements divergents par rapport à la moyenne. Par

ailleurs, l’établissement de durées moyenne, de temps de travail

notamment, sur un la totalité de l’échantillon interrogé qui représente une

population âgée de 12 à 95 ans n’apporte que peu de résultats

significatifs.

- Les enquêtes budget-temps sont conçues en fonction du temps

quotidien. Elles ne prennent pas en compte le long terme ni le

cheminement des personnes à travers leur parcours de vie (progression à

travers les étapes de procédures, évolution du projet migratoire,

adaptation à la société d’accueil et aux évolutions des politiques

d’immigration, mariage, naissance des enfants, retraite,...).

- Enfin, les enquêtes budget-temps ne permettent pas une approche

systémique qui décrirait les modalités de répartition des usages du temps

à l’intérieur du groupe familial et leur évolution.

La Ligue des Familles propose, de manière à affiner et compléter la

méthode des enquêtes budget-temps, de façon également à mieux saisir

les différentes réalités du temps des migrants et ainsi alimenter les bases

scientifiques de la décision politique en matière de politiques

d’immigration, la réalisation d’entretiens qualitatifs de personnes en

situation migratoire correspondant à des profils migratoires particuliers.

Ces profils sont à construire à partir des facteurs significatifs qui ont paru,

à travers la présente étude, pouvoir expliquer les usages du temps par les

migrants et qui sont :

- La nationalité d’origine

Si la première communauté étrangère d’origine extra européens présente

en Belgique est marocaine. Les Marocains ne représentent plus la majorité

des nouvelles entrées sur le territoire. Malheureusement, des statistiques

exhaustives concernant la nationalité des nouveaux arrivants ne sont pas

disponibles. Néanmoins, les chiffres relatifs aux demandeurs d’asile

montre un nombre important de personnes originaires des pays de l’Est,

de l’ex-URSS, des Balkans, de la RD du Congo et de pays comme

l’Afghanistan où l’oppression des populations est très importante.

- 169 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- L’époque de la migration

De manière à ne pas brasser une population trop importante et à éviter de

nous disperser au détriment de la pertinence des résultats du travail

entrepris, il apparaît pertinent de se limiter à interroger des personnes

nées à l’étranger et qui sont arrivées en Belgique après 1990.

- La génération des migrants

Il s’agirait de se limiter également aux migrants de première génération,

de manière à ne pas trop diversifier la population étudiée.

- Le genre

- Le statut socio-économique

Il serait judicieux de distinguer les migrants selon qu’ils sont sans emploi

ni protection sociale, demandeurs d’emploi ou émargeant au CPAS,

ouvrier, employés, indépendant, fonctionnaire.

Il serait, par ailleurs, utile de trouver des personnes de niveaux

d’éducation, statuts migratoires et situations familiales variées de manière

à enrichir les informations susceptibles d’être recueillies. Au total, une

recherche pilote qui serait réalisée à la suite de la présente étude

porterait uniquement sur une vingtaine de personnes, provenant de 3 ou

4 pays différents.

L’objectif des interviews serait de cerner comment les personnes

interrogées construisent leur rapport au temps et leur cycle de vie en

fonction de la législation du pays d’accueil en matière d’immigration, de

leur statut migratoire, de leurs contraintes socio-économiques, de leurs

projets individuels et des stratégies qu’ils développent pour les réaliser.

Les réponses des personnes soumises à un entretien seraient enregistrées

et retranscrites sous forme de récits de vie et interprétées. Les points

communs et les différences entre les récits des différentes personnes et la

diversité des trajectoires qui peuvent être rencontrées chez des personnes

au premier abord de la même origine religieuse et culturelle seraient mis

en exergue.

A partir de cette étude qualitative, il devrait être possible de formuler un

certain nombre de critères d’évaluation de la qualité de vie des personnes

- 170 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

migrantes pour ce qui concerne les usages du temps et de construire des

indicateurs permettant de mesurer dans quelle mesure ces critères sont

rencontrés.

- 171 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

FINLANDE - CHAP. 11 - UNE POLITIQUE D’INTÉGRATION

PLUS ACTIVE POUR UN PAYS D’IMMIGRATION DE FRAÎCHE DATE

ISMO SÖDERLING

A propos de la politique finlandaise de migration et d’intégration, nous

sommes conduits d’ores et déjà à souligner qu’il y aura une migration

d’Estonie qui sera très importante dans l’avenir. Avant cela, nous verrons

bien qu’elle sera la situation au 1er mai 2004, une fois que les Pays baltes

adhéreront à l’Union.

En réalité, les quatre pays scandinaves connaissent à peu près les

mêmes politiques d’immigrations. Les sociétés sont fort semblables,

qu’on considère le taux de fertilité, le nombre d’enfants, la participation

des femmes au marché du travail.

En fait, plus ce dernier chiffre est élevé, plus il y a un taux de fertilité

élevé. En Italie, par exemple, 51% des femmes travaillent et le taux total

de fertilité est très bas. Donc c’est un chiffre très linaire. Dans les pays

scandinaves près de 85% des femmes travaillent, en Finlande un peu

moins, et le taux de fertilité est élevé. C’est tout à fait caractéristique

des pays scandinaves. La France, autre exemple, se situe à un taux de

fertilité très élevé qui a augmenté pas seulement grâce à l’immigration.

En Finlande le taux de fertilité est élevé, nous disons par conséquent

« davantage d’enfants, davantage de bébés. » Le Premier ministre

finlandais a exprimé sa préoccupation à l’égard de l’avenir du pays et

souligné la nécessité de faire davantage d’enfants en Finlande, car la

génération du baby-boom des années 45-50, arrivent à l’âge de la

retraite. D’où le débat que nous menons en Finlande et qui est aussi

manifeste ailleurs.

- 172 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Tableau : L'indicateur conjoncturel de fécondité (nombre moyen

d’enfants par femme) en Europe, en 2000

Source : Eurostat

L'indicateur conjoncturel de fécondité de l'Union progresse légèrement

depuis 1998 et s'établit, en 2000, à 1,50 enfant par femme, soit 0,6

enfant de moins qu'aux États-Unis. Il s'élève dans presque tous les

pays d'Europe occidentale, s'échelonnant de 1,23 enfant par femme en

Italie à 2,08 en Islande. C'est en Europe centrale et orientale que se

rencontrent les fécondités les plus faibles : de 1,11 enfant par femme

en Arménie à 1,21 en Russie, en passant par la République tchèque

(1,14) et sans doute l'Ukraine.

La durée de vie moyenne continue à progresser en Europe occidentale,

avec des gains un peu plus élevés pour le sexe masculin. À l'Est, des

gains nets sont également enregistrés dans tous les pays, à l'exception

de la Moldavie et surtout de la Russie où l'espérance de vie masculine

perd encore 1 an au cours de l'année 2000. Cf. SARDON Jean-Paul,

« Évolution démographique récente des pays développés », INED,

Population n° 1, 2002 - page 123, France.

Traditionnellement nous sommes un pays d’émigration : 5,2 millions

d’habitants et, durant à peu près un siècle, un million de personnes est

parti à l’étranger. Maintenant nous sommes un pays d’immigration. On

quittait la Finlande. Maintenant on rentre en Finlande, on arrive en

- 173 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Finlande, on émigre vers la Finlande. Il y a de l’immigration partout, en

Finlande également. Il y a davantage d’immigrants que d’émigrants. Il y

a 15 ans en Finlande, il y avait à peu près 20.000 familles immigrantes.

Depuis 1990, le nombre d’immigrants se situe entre 115.000 et 150.000

semble-t-il.

[La synthèse (version abrégée) du Séminaire annuel des 8–10 juin 2002

portant sur “Immigration et famille”, Helsinki, Finlande, notait dans deux

études de cas (Le Royaume-Uni et la Finlande) que les principales raisons

qui ont conduit la Finlande a cessé d’être un pays d’émigration pour

devenir un pays d’immigration étaient l’effondrement des pays

socialistes, la guerre civile dans l’ancienne Yougoslavie et les événements

en Asie et en Afrique à l’origine des déplacements des réfugiés. Sirpa

Taskinen, du Centre National de Développement et de Recherche pour les

Questions Sociales et de Santé Finlande indiquit à l’Union européenne les

chiffres suivants concernant les migrants vivant en Finlande : des

personnes ayant des origines finlandaises venant de Suède et des Fino-

Ugriens (venant de Russie et d’Estonie), représentant 25.000 personnes ;

des migrants à la recherche de travail, des étudiants, les membres de

leur famille et d’autres, représentant au total de 20.000 à 25.000

personnes ; des épouses de citoyens finlandais pour 22.000 personnes

environ ; des réfugiés (15.000 personnes environ).]1

Il y a à peu près 30.000 de ces finlandais ou de russes d’origines

finlandaises. Cette situation trouve un parallèle en Allemagne. Lorsque

l’Estonie sera membre de l’Union européenne au 1er mai, le nombre

d’Estoniens augmentera. Il faut le répéter : la Finlande est devenue un

pays d’immigration. Il n’y a pas de politique d’immigration active. Mais

nous changeons notre politique en matière d’immigration. Elle évolue et

de nouvelles dispositions ont été adoptées au Parlement. Nous pouvons

penser que la nouvelle législation sera en place en fin d’année : ce qui

modifiera notre politique d’immigration. C’est une politique restrictive et

ça devrait être une politique beaucoup plus active en matière

d’immigration.

En matière de politique d’intégration, le moment actuel a débuté en

1997 : c’est un phénomène tout à fait nouveau en Finlande. Toutefois,

en matière d’intégration, on ne peut pas se féliciter des résultats, car, en

2001, seuls 10 000 plans d’intégrations avaient été rédigés.

Les immigrants cherchaient un travail et devaient rédiger ce plan

d’intégration. 3000 ont trouvé un travail sur les 10 000 plans

1 Cf. http://europa.eu.int/comm/employment_social/eoss/downloads/helsinki_synthesis 02_kurz_fr.pdf

- 174 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

d’intégrations donc 30 % ont pu participer au marché du travail et 70%

ont été évincés du marché et n’y ont pas participé. Certains ont pu suivre

des formations, plusieurs formations. En réalité, ces mesures

d’intégrations et la politique d’intégration n’ont pas été suffisamment

efficaces. En considérant les pourcentages, on voit que prend forme la

politique d’intégration, mais qu’elle n’est pas encore suffisante (cf. Anna

MIKKONEN infra).

Nous sommes un pays d’immigration nouveau, un pays neuf en ce sens.

Nous aurons davantage d’immigrants à l’avenir et, parallèlement, une

politique d’intégration plus active, dés les mois à venir. La politique

d’immigration changera et la Finlande fera la promotion de l’accueil de

travailleurs compétents et formés.

- 175 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

FINLANDE - CHAP. 12 - L’UTILISATION DU TEMPS PAR LES MIGRANTS

ET LES ACTIVITÉS ET SERVICES QUI LEUR SONT PROPOSÉS DANS CE CONTEXTE

ANNA MIKKONEN

Le chapitre précédent évoquait le contexte général en matière

d’immigration. Celui-ci porte sur les projets mis sur pied en Finlande en

partant du contexte général, des activités, des services proposés aux

immigrants vus à travers le projet de recherche et les groupes cibles.

En soulignant le cas des groupes les plus vulnérables, nous discuterons

de l’utilisation du temps par les immigrants, la répartition du temps.

Ce chapitre est fondé sur une étude réalisée pour cette mission (dont une

version anglaise est présentée dans le chapitre suivant).

Nous ne disposions pas jusqu’à présent d’information relative au temps

des immigrants, comment ils passaient le temps, comment ils

répartissaient la journée.

Ceux qui étudient ou qui travaillent, bien évidemment consacrent la

majeure partie de leur activité au travail ou à l’étude, mais ce n’est pas le

cas pour ceux qui ne travaillaient pas et/ou qui n’étaient pas formés.

Pour mener une approche qualitative, nous nous sommes tournés vers

des groupes cibles. Il s’agissait d’immigrants chômeurs ou d’immigrants

qui apparaissaient dans la catégorie “autres”, autrement dit qui ne font

pas partie des actifs mais qui ne sont pas chômeurs non plus : des

personnes qui bénéficiaient de pension maladie ou de femmes s’occupant

au domicile de l’activité du ménage.

Il y a toute une série de sous-groupes. Par conséquent, et certaines

catégories sont passées sous silence alors que la Finlande a prévu à leurs

effets des activités.

La recherche est basée sur 15 interviews, complétés par des statistiques.

Ces entretiens ont été réalisés avec des autorités, le personnel municipal,

des ONG et des fondations d’immigrants. Certains des intervieweurs

avaient eux-mêmes un passé d’immigrants, avaient été immigrants, et

tous étaient capables de parler de manière générale de l’immigration et

travaillait au sein du domaine depuis quelque temps déjà. Nous n’avons

- 176 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

pas pris en compte les demandeurs d’asiles dans notre étude, car leurs

situations est complètement différente des autres immigrants.

L’objectif de la recherche était de voir quelles étaient les activités

proposées aux immigrants, et qu’elles étaient les besoins en service de

ces groupes de populations. Nous souhaitions également des précisions

sur l’utilisation que les immigrants font de leur temps.

En matière de programmes d’intégrations en Finlande, le chapitre

précédent indiquait que la plupart des services visent à promouvoir

l’emploi des immigrants ; la totalité des personnes vivants en Finlande

ont une sécurité sociale, une couverture sociale ; de même, les

personnes d’origines finlandaises ont droit à une couverture sociale dans

les trois ans qui suivent leurs arrivés en Finlande. Lorsque on est au

chômage, en Finlande, on peut recevoir un plan d’intégration sur le

marché du travail ; il y a également d’autres activités proposées comme

des cours de langues ou des formations professionnelles et ce sont des

cours et formations rémunérés. En plus, des services municipaux, il y a

des ONG et des fondations pour les immigrants qui apportent un

complément à ces activités municipales. De plus les églises et

communautés sont également impliqués. Donc, il est clair que toutes ces

activités sont très utiles. Nous espérons d’ailleurs que les municipalités

vont acheter les services proposés par les ONG, car le soutien financier

est nécessaire.

Il est clair que les immigrants en Finlande ont des origines tout à fait

différentes. Ce qui rend difficile la tâche de proposer des services

municipaux à tous et, parfois, il n’est pas possible de proposer des

services ciblés pour chaque groupe.

Voyons maintenant brièvement les activités proposées actuellement aux

immigrants. On peut réellement considérer la plupart comme des bonnes

pratiques dès à présent, même si elles peuvent être améliorées :

Tout d’abord des centres d’informations pour les immigrants.

Il s’agit de centres qui peuvent accueillir les immigrants pratiquement

n’importe quand et ces derniers peuvent recevoir une assistance pour

tout type de problèmes. Ces centres sont en faites des ponts entre les

immigrants et les autorités. Les services proposés sont gratuits, et en

général les personnes qui travaillent dans les centres sont eux-mêmes

d’origines immigrantes, donc ils sont conscients des problèmes liés à la

situation. L’un des buts principaux est d’aider les immigrants et de leur

montrer à qui s’adresser pour leurs besoins spécifiques.

Ensuite, les points de rencontres où les immigrants peuvent se réunir.

- 177 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Ils sont organisés tant par les municipalités que par les ONG. Ces points

de rencontres sont des lieux d’échanges, de rencontres, cela peut-être

tout à fait multiculturel, ça peut-être un salon chez quelqu’un. Mais

l’important est d’avoir un endroit où se réunir. Les immigrants souhaitent

avoir plus de points de rencontres.

Les camps.

C’est quelque chose qui est également très populaire en Finlande.

Pourquoi les camps pour immigrants sont-ils si populaires parmi les

immigrants ? Et bien, tout d’abord, ceux-ci n’ont en général pas de lieux

de vacances, nulle part où aller en week-end, contrairement à la

population finlandaise, et cette question est bien entendu lié à celle de

l’usage des temps. Lorsqu’on n’a pas de parents présents en Finlande, il

est difficile de se rendre en vacances, et alors les immigrants peuvent,

grâce à ses camps qui leur fournissent un lieu de vacances, changer

d’environnement.

De plus, les ONG organisent des voyages et des visites pour les

immigrants afin de leur faire découvrir la ville, le pays, sans lesquels les

immigrants ne pourraient le faire ne pouvant se permettre de faire des

voyages.

Parallèlement, il y a des activités spécifiques pour les femmes

immigrantes, car on voit souvent, par exemple, des femmes immigrantes

souhaiter des activités sportives non mixtes.

Toutefois, on est conduit à penser que l’on s’est un peu trop concentré

sur les femmes et les enfants qui ont été d’emblée considérés comme la

catégorie la plus vulnérable, et qu’il faudrait également se concentrer sur

les hommes. Des ateliers ont été, en conséquence, ciblés pour les

hommes immigrants.

Il y a encore d’autres services à destination des familles, des conseils de

mariages pour les parents, par exemple, tout cela dans un cadre

multiculturel.

Il y a également le cas des immigrants âgés qui sont déjà à la retraite où

qui sont sur le point d’y être : ils ont des besoins spécifiques, leurs

situations sont tout à fait différentes des jeunes immigrants qui

souhaitent trouver un emploi. Il est donc judicieux d’avoir des activités

différentes pour les immigrants âgées.

Il y a, enfin, des groupes avec des besoins particuliers, dont nous devons

tenir compte lorsque l’on fournit nos services ; la plupart de ces groupes

ont souvent le risque d’être marginalisé.

- 178 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Tout d’abord les immigrants illettrés qui sont dépendants des autres

personnes, et n’ont que peu de chance de trouver un emploi. Ceux-ci ont

donc besoins de cours adaptés, de cours de langue, etc.

Un autre groupe est celui des immigrants avec des troubles mentaux ou

des traumatismes liés à leurs expériences précédentes et, apparemment,

les personnes qui travaillent en Finlande avec les immigrants ne sont

fréquemment pas ou peu conscientes de ces traumatismes. Ce qui n’est

pas sans provoquer certains malentendus entre les immigrants et les

personnes qui les prennent en charge.

Un 3ème groupe est composé de mères de familles qui ne peuvent pas

avoir accès aux services d’intégrations car elles doivent souvent rester à

la maison pendant plusieurs années où elles s’occupent de leurs enfants.

Or ce sont pendant les trois premières années qu’elles ont droit aux

services d’intégrations. Elles peuvent alors manquer l’occasion.

Néanmoins, cette situation commence à être prise en considération et

nous espérons que cela va pouvoir changer : une fois dégagées de ces

obligations, elles pourront avoir accès à ces services.

En plus, il y a des personnes âgées immigrantes, souvent pas bien

intégrées, sans beaucoup de relations sociales et qui ont bien souvent un

niveau linguistique assez faible. Mais il y a maintenant une modification

du système de retraite qui fait que les immigrants âgés restés au moins

5 ans en Finlande auront accès à la retraite et cela améliorera au moins

leur situation financière.

Autre difficulté notable, les immigrants divorcés qui peuvent être dans

une situation difficile demeurant soudain seuls et peinant à régler les

problèmes du quotidien.

Un autre groupe important comporte les femmes qui viennent en

Finlande pour se marier avec un Finlandais. En principe elles n’ont pas

accès aux services d’intégrations et elles peuvent être donc entièrement

dépendantes de leurs maris, n’avoir aucune information, aucun accès à la

société qui les entourent.

En vérité, il y a un problème de solitude pour les immigrants qui vivent

seuls, sans relations sociales, qui vont souvent rester chez eux, ne

participer à rien, à l’instar des immigrants qui peuvent être mariés,

divorcés ou en attente du regroupement familial, mais qui peuvent se

sentir bien seuls.

- 179 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Pour les enfants de réfugiés, il y a ce statut de mineurs non accompagnés

qui viennent en Finlande sans leurs familles. Cela les place dans une

situation particulièrement difficile : il leur faut un lieu de résidence, un

tuteur légal. Cela a été déjà organisé en Finlande, mais il y a beaucoup

d’amélioration à apporter. Une catégorie qui est lié au groupe précédent

en partie correspond aux immigrants qui viennent pendant leurs

adolescence et qui rencontrent deux sources de problèmes : déjà leur

âge est difficile — ils peuvent être en conflits avec leurs parents au sein

de la famille et même après le regroupement familial, la situation peut

toujours être tendue — et ils héritent, d’autre part, des problèmes

inhérents à l’immigration.

Il y a également les enfants nés en Finlande : Pourquoi sont-ils

vulnérables ? Nous pensons qu’ils peuvent l’être, car être né en Finlande

empêchent d’avoir accès aux services spéciaux pour les immigrants, dont

ils pourraient pourtant avoir besoin, car leurs parents ne sont souvent

pas bien intégrés.

En dernier lieu, les femmes au foyer dont les enfants sont grands

constitue un groupe qui est souvent invisible car, bien qu’ayant passé de

longues années en Finlande, elles seront restées à la maison, n’auront

eux aucunes expériences sur le marché du travail et il leur est très

difficile de trouver un emploi une fois que les enfants ont grandi. Elles

peuvent se trouver plongées dans l’oisiveté, et on sait que ces femmes

ont pourtant souvent envie d’avoir des formations, des activités.

En matière d’utilisation du temps chez les immigrants, dont le chapitre

précédent a déjà signalé que leur taux de chômage était assez élevé

quoiqu’il y ait de fortes variations entre les groupes. La division du travail

demeure nette et de tradition dans de nombreux groupes d’immigrants,

même si la situation est souvent inversée, où l’homme reste à la maison

tandis que sa femme a des activités extérieures. Toutefois, il paraît assez

habituel de voir des immigrants étudier en Finlande. C’est en partie dû à

la situation de l’emploi et en partie à la structure démographique de la

population immigrante qui est telle que les immigrants sont assez

jeunes : En conséquence, il est clair qu’il faut se préoccuper de leur

fournir des lieux de vacances, puisque ces enfants ont tendance à

s’ennuyer en vacances, n’ayant rien à faire. De plus, il est clair que les

enfants ont besoins d’un soutien scolaire, après l’école notamment, car

on sait que les parents ne sont souvent pas en mesure d’apporter le

soutien nécessaire à leurs enfants.

Pour conclure, nous allons formuler des bonnes pratiques et des

recommandations pour ces services, en pensant que c’est utile pour la

Finlande, mais aussi pour beaucoup d’autres pays, même si les services

- 180 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

proposés aux immigrants sont dans d’autres pays peut-être plus

développées.

Tout d’abord, nous devons toujours prendre le soin de consulter des

groupes cibles avant de proposer les services et activités. Ce qui peut

paraître évident n’est bien souvent pas le cas.

De plus, lorsqu’on organise des activités pour les immigrantes,

particulièrement, il faut prévoir de fournir un service de garde des

enfants, sinon ces femmes ne pourront pas venir.

De plus, il semble que la communication de visu est beaucoup plus

efficace que toute une littérature de prospectus et de document.

Autre chose, il est important d’avoir des heures très flexibles pour

prendre rendez-vous avec les immigrants. Si l’on peut rencontrer un

travailleur social une fois par mois, alors il est évident qu’il y a de ce fait

un besoin supplémentaire de travail pour les ONG et pour les services

municipaux. Il semble que ce soit une bonne pratique de travailler en

duo, en tandem, un finlandais et un immigrant. Une autre bonne pratique

semble d’avoir des conseillers en intégrations et en emplois, il peut s’agir

de personnes qui ont des origines immigrantes, mais ce sont des

personnes qui peuvent accompagner les immigrants pour s’adresser aux

services sociaux ou chez le médecin. Ils feront office non seulement

d’interprètes — sans doute faut-il plus de cours de langues pour les

personnes illettrés, mais c’est vrai également pour les autres catégories

de personnes immigrantes — mais également de personnes de liaisons

entre les immigrants et les services municipaux, sociaux. Cela représente

évidemment une demande accrue en ressource de personnels, mais c’est

souvent beaucoup plus pratique.

Lorsque, en tant que bonne pratique, nous envisageons un accès aisé aux

services et aux activités, nous pensons au sens matériel comme

psychologique : ces services doivent être proposés à proximité, mais il

faut également que l’ambiance soit détendue, car pour de nombreux

immigrants il est difficile de quitter le foyer et d’aller dans un endroit où

ils ne connaissent personnes.

En matière de recommandations, nous avons déjà parlé des plans

d’intégrations qui sont principalement orientés vers les immigrants au

chômage parce que c’est le Ministère du Travail qui se charge des

questions liées à l’immigration. D’où l’accent particulier qui a été porté

sur l’emploi des immigrants. Pourtant, aujourd’hui, chacun se rend

compte qu’il est important de s’occuper de l’ensemble de la population

immigrante, de tous les groupes et de leur proposer à tous des plans

- 181 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

d’intégration. Le problème lié est l’absence de prévision du financement

et de planification à long terme quand le succès de ces activités réclame

la continuité.

Parce qu’on entend souvent dire qu’il manque des informations

centralisées portant sur les immigrants, la Finlande a tenté de remédier à

la situation en créant un grand portail Internet avec des liens vers les

différents services d’immigrations : toutes les questions connexes à ces

services sont proposés dans de nombreuses langues.

Dernier point, mais pas le moindre, il serai très souhaitable de donner

plus de pouvoir de décisions aux immigrants. On voit que des immigrants

sont employés dans les ONG, dans les projets, et même dans les

municipalités, qu’un projet peut devenir un emploi fixe, tant dans les

ONG que dans les municipalités, que la poursuite du projet se traduit

dans la création d’un emploi à durée indéterminé, si le projet fonctionne

bien et si cela offre une valeur ajoutée. Mais ces immigrants n’ont

pourtant souvent pas de réel pouvoir de décision.

- 182 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

FINLANDE - CHAP. 13 - THE USE OF TIME –

SERVICES AND ACTIVITIES FOR UNEMPLOYED IMMIGRANTS IN FINLAND

ANNA MIKKONEN

Abstract

This report is based on a qualitative study about services and activities

provided for unemployed immigrants and immigrants who do not belong

to the labour force in Finland. Vulnerable immigrant groups with special

needs that should be taken into account in service provision are also in-

cluded in the report. The use of time of immigrants is also described

shortly. Recommendations and good practices are concluded to improve

services according to requests of immigrants and people who work with

immigrants.

BACKGROUND, METHODOLOGY AND RESEARCH TOPIC OF THE RESEARCH

The Migration and Time project was carried out in 2003 in partnership

with COFACE (Confederation of Family Organisations in the European Uni-

on) and its four member organisations in different countries. The Family

Federation of Finland is one of the four partners.

This report is a summary based on a larger project report made in spring

2003. The research is based on the previous Finnish research on the top-

ic, statistics and qualitative interviews conducted for this project in Janu-

ary – March 2003. Altogether 15 experienced authorities, personnel of

NGOs, municipalities and immigrants’ foundations were interviewed1.

The time use of Finns has been a research subject for a long period of

time but this is not the case with time use of immigrants. The phenomen-

on of immigration is relatively new in Finland, and this is one of the reas-

ons why there has been hardly any research on the specific topic of time

use of immigrants.

1 Some of the service and activity providers meet only immigrants who have prob-lems and therefore employees do not get to see immigrants who are doing well.On the other hand, some of the interviewees stated that their clients are the activeones who participate and seek help and information.

- 183 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Research topic and target groups

The Finnish part of the Migration and Time project focused on immigrants

who are unemployed or who do not belong to the labour force in Finland.

There was also focus on vulnerable immigrant groups.

The target groups of the research were defined as:

1) Unemployed immigrants

2) Immigrants who in the statistics are defined as “other” which means

that they do not belong to the category of “work force” but instead are

e.g. housewives or on a sickness pension.

3) Vulnerable groups with special needs.

Immigrants who work or study were left out of the study because their

use of time and needs are usually very different from immigrants who do

not work. Asylum seekers are not included in the study either. Their situ-

ation differs considerably of refugees and other immigrants who have

been granted a residence permit in Finland because asylum seekers are

still waiting for the asylum decision and their ties to the society and pos-

sibilities of integrating and finding work and education are often weak.

These target groups were chosen because in contrary to employed immig-

rants and students who spend most of their time working or studying, not

much is known about the time use of unemployed immigrants and those

who do not belong to the labour force. In addition, these groups are often

in a vulnerable situation and need special services and attention.

Unemployment can be seen as one of the most important things affecting

the time use of immigrants, their integration and life in general. Unem-

ployment causes dependence on society, inactivity and feelings of being

an outsider and not useful in a society like Finland where work is con-

sidered very important. It seems that especially immigrant men suffer

from the vacuum and frustration resulting from unemployment. The em-

ployment situation of immigrants has improved lately in Finland but the

proportion of unemployment is still very high especially in some refugee

groups.

Objectives of the research

There were three research objectives:

1) To investigate the time use of unemployed immigrants and immigrants

who do not belong to the labour force.

2) To find out what kinds of integration, employment and other services

and activities there are for these groups and what kinds of needs for ser-

vices and activities they have.

- 184 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

3) To identify vulnerable groups and their needs.

It was investigated what kinds of services and activities there are for un-

employed and other targeted immigrant groups. It was also studied what

kinds of needs and requests these immigrant groups have for integration,

employment and other services provided for them.

Information on use of time of immigrants was also gathered. Nationality,

gender, age, education and number of children are factors that are likely

to affect the use of time of immigrants in addition to being employed or

unemployed. However, it was not possible to collect statistical data in this

project.

Short overview of the previous research in Finland

There are major differences in proportion of unemployment between dif-

ferent immigrant groups. According to the estimations of the Ministry of

Labour, the unemployment rate among foreigners varied from 77 per cent

to 8 among different nationality groups. The unemployment rate of all

foreigners was 31. (Statistics 2002a.) Another important matter that af-

fects the time use of immigrant families in addition to employment is the

number of children that also varies remarkably between immigrant

groups. Speakers of a foreign language are more often married and they

have bigger families than citizens of Helsinki in average (City of Helsinki

Urban Facts 2000, 23).

The research on labour market status of immigrants in Finland shows that

refugees and immigrants coming from developing countries have the low-

est status whereas it proved strongest among immigrants from Asia and

especially from Western countries. The majority of the immigrants studied

were in an unstable or marginal position in the labour market and seven

percent were out of the labour force. Short-term jobs, phases of training

and unemployment are typical for many immigrants whose status at the

labour market is unstable. The weak employment situation causes de-

pendence on social income transfers. Most of the social income transfers

went to the citizenship groups that had the highest number of children

and the lowest rate of employment. Most of these groups were refugees.

(Forsander 2002.)

In general, immigrant women participate in the labour markets much less

than immigrant men although there are differences according to a nation-

ality. There are several reasons for this. In refugee families the number of

children is usually high and mothers stay at home because of children. In

addition, the age structure of immigrants is much younger than that of

- 185 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Finns. This explains partly the high numbers of immigrant mothers who

are giving birth and taking care of children. The age structure and diffi-

culties in finding employment also explain the fact that there are more

students among immigrants than among Finns. (Forsander 2003, 64–73.)

There are examples of so-called traditional gender roles. Research among

Somali women proves that mothers have a lot of housework to do and

they are often very busy. Cooking and taking care of the house and chil-

dren are usually responsibilities of women. Women lack the support and

help they used to get from relatives and friends in Somalia. It is difficult

for mothers to have activities out of home or to e.g. follow language

courses. Some of the children may have a place in a day care and school

age children are at school during the day. Mothers are in contact with the

surrounding world mainly by phone and by watching television. (Tiilikain-

en 1999, 71-74).

On the other hand, Tiilikainen notes that the roles in Somali families are

changing, and some men are starting to do housework and to take care of

the children. Many of the Somali men are unemployed, and have thus lost

their authority in making living. Quite a few men participate in activities

of the mosques because working in the mosques is considered as respect-

ful and meaningful. (Tiilikainen 1999, 74- 76). In Somali families girls are

thought to do cooking and housework whereas boys have more freedom

and free time to play. Many families value the education of the girls as

well. (Marjeta 2001).

Satu Kontiainen (2003) has done a qualitative study of life values of five

Somali mothers. According to her study, religion is a very important life

value for the women in the study. In addition to religion, women’s ambi-

tions in life concern their children and goals revolve around the home.

The women in the study are used to doing plenty of work and having too

little to do is a problem for them in Finland. The women clearly express

their desire to work but they face many obstacles concerning employ-

ment. Another problem for the women in the study is loneliness. They

come from a communal culture and would like to have some place where

they can get together. (Kontiainen 2003.)

Even though there has not been research on the topic of time use of im-

migrants, physical activities and leisure time spending of immigrants in

Finland has been studied. The results indicated that socialising with family

members and friends as well as reading, listening to the radio and watch-

ing television were more important ways of spending leisure time than

physical activities. The immigrants also felt that work and school were

more important than physical activities. However, nearly all of the immig-

rants had something to do with sports at least once a week. The results of

- 186 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

the study indicate that physical activities can work as means of immigrant

integration. Doing some sports makes it easier for immigrants to establish

social relations and learn Finnish. (Myrén 1999.)

Ekberg-Kontula (2000) interviewed 22 women of African origin. Mothers

spent most of their time taking care of children and their daily rhythm

was organised according to children’s school and other activities. Women

who did not have children had more hobbies than other women. Most of

the women spent evenings and weekends with friends, doing housework,

shopping, watching TV and going to a mosque. Some of the unemployed

women felt funny about questions concerning their free time because they

had nothing but free time. (Ekberg-Kontula 2000, 20–2.)

The provision of integration and employment services and activities for

immigrants

Services and projects described in this report aim at promoting integra-

tion, employment and empowerment of immigrants. They also fight

against marginalisation, increase tolerance and develop co-operation

between authorities, Finnish NGOs and immigrants’ foundations.

All people living in Finland, including immigrants, have a universal social

security. Refugees and Ingrian Finns are entitled to integration services

during the first three years after arriving in Finland. Refugees and immig-

rants who are in a need of social assistance and who register as unem-

ployed job seekers are entitled to an integration plan and an integration

allowance for three years after arriving in Finland. The integration plan is

an agreement between an immigrant, a local authority and an unemploy-

ment office on measures to support immigrants and their families in ac-

quiring the knowledge and skills needed in society and working life. The

plan may consist of employment and training issues and language

courses, depending on the municipality. Unemployed immigrants who

participate in language and integration courses for 25 hours a week are

entitled to integration allowance.1

In general, services, projects and activities for immigrants can be divided

into three main categories regarding their target groups. Firstly, some of

the services and projects are only for asylum seekers, refugees and Ingri-

an Finns who belong to an integration programme of municipalities from

one to three years depending on a municipality after they become mem-

bers of the municipality (regulated by the law on Integration of Immig-

rants and Reception of asylum seekers in 1999). Secondly, there are ser-

1 Act on the Integration of Immigrants and Reception of Asylum Seekers 1999.

- 187 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

vices and projects that focus on the same group after they cannot turn

into municipal integration services anymore. However, services and pro-

jects that officially serve only asylum seekers and refugees are some-

times able to help other immigrants as well if they have time and re-

sources.

Thirdly, target groups of some services and projects are all immigrants

regardless their status as a foreigner or length of a stay in Finland. Some

projects are only for unemployed immigrants. Usually immigrants who

come to the services or participate in activities have to be residents of the

municipality. Somalis form the biggest refugee community and the Russi-

ans are the largest immigrant groups, and therefore some projects and

activities focus on them alone.

There are several providers of services, activities and projects related to

immigrants:

The biggest cities have municipal Units for Immigrant Services. Refugees

and Ingrian Finns1 are Unit clients for 1-3 years, depending on the muni-

cipality. The Units normally offer social services for refugees and Ingrian

Finns who move to a municipality after getting a residence permit. The

Units offer temporary housing, they help to find a permanent dwelling and

provide general information on life in Finland.

In addition to municipal services, there are NGOs and foundations of im-

migrants that usually fund their activities by project funding from the Min-

istries, the EU or the Finnish Slot Machine Association. The Finnish adult

education centres provide a great variety of courses that are open to

everybody but they do not have much activity specifically for immigrants.

However, several interviewees stated that it is neither possible nor mean-

ingful to build up a parallel system of activities for immigrants. Some par-

ishes and churches provide activities for immigrants. They often see reli-

gion as a bridge between the society and immigrants.

The idea of most NGOs and projects is to support the work officials and

authorities are doing and not to provide double services. Information and

support services for immigrants usually function as bridges between im-

migrants and authorities. Some NGOs are developing their existing ser-

vices and activities in order to offer them especially for immigrants and to

get immigrants involved. Personnel of NGOs and projects usually have a

1 Ingrian Finns are Ingrians of Finnish descent. Together with members of theirfamily from Russia, Estonia and other parts of the former Soviet Union they hold‘returnee’ status in Finland. These re-migrants are often included under Russiansand Estonians in the statistics. (The Ministry of Labour 1998b.)

- 188 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

different position from officials and authorities and they have more time

to form closer relations with their immigrant clients.

Some integration services have developed their work in three levels: so-

cial level, informational level and action level. Social level includes social

support, creating a social network and having peer groups. The second

level means information and improving language skills and other skills.

The third level includes clubs, trips and other activities.

DIFFICULTIES IN SATISFYING DIFFERENT NEEDS AND WISHES

Immigrants have different backgrounds and wishes and requests, which

makes it difficult to plan common activities for them. People who have

just arrived in the country have naturally very different needs than people

who have lived in Finland for several years. There is often a strong divi-

sion of clients according to the language and ethnic background. Some

immigrant groups tend to separate themselves from refugees and other

immigrant groups, which makes it more difficult to provide multicultural

courses and other activities. For example Russian and Somalian clients of-

ten tend to have very different wishes concerning activities.

Immigrants often find it hard to define what they would like to do or what

kind of services they would need. It is difficult especially for peoples who

do not speak much Finnish, and those who have recently arrived in Fin-

land and do not know much about different possibilities and ways of doing

things.

Some immigrant groups prefer to take care of different issues and prob-

lems inside the ethnic community without asking for outside help. For ex-

ample groups that have lived in Finland for a long time have in some

cases developed their own networks inside the community. For many

people it may feel like a loss of the face to seek help.

Currently existing integration and employment services and activities for

immigrants

Activities for immigrants in general

Information centres for immigrants

Information centres function as bridges between immigrants and authorit-

ies and they offer their services for free. A major task of information

centres is to inform immigrants about municipal services and to direct cli-

ents to right services and places. Employees of the centres are usually

immigrants or have an immigrant background. They are able to serve

- 189 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

their clients in several languages. The aim of the work is to help immig-

rants to be able to take care of their daily things by themselves in the fu-

ture and to empower them. Centres also encourage immigrants to use the

whole network of services and not just special services for immigrants.

Special information centres for immigrants are needed because many im-

migrants are unwilling or scared of talking about their problems to

strangers and to Finnish people in general. Naturally people prefer to talk

about difficult issues in their mother tongue. The Finnish municipalities

provide usually a lot of social, health and employment services of which

immigrants may not be aware of. It would improve the situation if muni-

cipalities employed more employees with an immigrant background in

services where they have clients with an immigrant background. This is

already happening in most cities and in many smaller municipalities.

The most common questions at information centres in the metropolitan

area concern employment, housing, social security, health issues, resid-

ent and working permits, family reunification, education, general legal ad-

vice, language courses, social and other public services and other ques-

tions related to a daily life in Finland.

International centres and meeting points

These centres are open for all people regardless their ethnic or religious

background. Centres are places for discussion, being together, meeting

people and enjoying coffee and tea. Sports, arts, music and food often

work as “common languages” between immigrant groups and Finns.

Camps

There are camps for families, children, women, men, elderly people and

combinations of all these. Some camps are multicultural, some are only

for certain immigrant groups and some are open to everybody. Camps

are usually organised by municipalities, NGOs and parishes. Camps are

extremely popular among different immigrant groups and the demand

seems to be bigger than the supply. There are several reasons why camps

are so popular among immigrants. Camps are needed for relaxation, re-

freshment and a change of environment. Immigrants often wish to have

places where they could go for holidays and camps offer one possibility. It

is a welcome change for immigrants who feel lonely at home and for

those who spend most of their time cooking and taking care of children.

Information and discussions

Information centres, projects and municipalities organise seminars and

discussions about different themes. Seminars about functions of the

Finnish society, employment and other important issues are popular

among immigrants. Chosen themes derive from needs and wishes of im-

- 190 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

migrants, immigrants are involved in planning and experts with an immig-

rant background are used more and more.

Organised trips and visits for immigrants

It is difficult for immigrant families to do visits and trips by themselves

because they often lack the knowledge of good places to go to and how to

get there. In addition, they do not have much money for leisure activities.

Activities for immigrant women

Separate workout classes and sport clubs for women

Many immigrant groups prefer to have separate courses and clubs for

men and women. Aerobics, swimming and other sports activities for wo-

men are popular and rather common in a metropolitan area. Reasons for

organising separate sports classes for women derive usually from needs

of Muslim women. Doing exercise often eases head and backaches women

have.

“ Women’s cafés”

At “Women’s cafés” women can have a chat and a coffee, some like to do

handicrafts or just to hang around. Cafés have a meeting time once a

week or more often. The interviewees see women’s networks as strength-

ening their self-confidence and empowerment. For many women it is the

only time in a week they get together and talk. Sewing clubs are also

popular.

Activities for immigrant men

It is generally seen as easier for immigrant men than to immigrant wo-

men to study or work, to go out and take care of different affairs. Men are

usually freer to arrange their daily life and to participate in different activ-

ities and events than women who are often responsible of children and

house keeping. Even so, several interviewees expressed their concerns of

immigrant men who they see as being forgotten in service provision. The

unemployment rate is very high among many immigrant and especially

refugee groups, and men may need services and activities just like wo-

men do. Many social and health services are provided for children, and

mothers are often included through their children but men can be left out.

Workshops

There are workshops and courses for immigrant men but the need is big-

ger than the supply. Workshops include e.g. woodwork, cooking, technical

handicrafts and other practical activities. It is important for many of im-

migrant men to be able to do something practical and to produce

- 191 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

something. By participating in workshops men get into a regular daily

rhythm, learn Finnish and get to know each other.

Groups for immigrant men

Groups for immigrant men coming from different countries are also im-

portant because many men lack social networks and the group build them

one. It usually works better to have a male worker for men’s groups and

activities and vice versa.

Activities for families

There are not many services especially for immigrant families but families

are naturally welcome to the centres of activity and to participate in activ-

ities organised by municipalities, NGOs and parishes.

Some centres of activity have provided support and counselling for par-

ents on family life in two cultures, a role of a parent, etc. There are also

guide leaflets for parents to inform them about different aspects of a

Finnish society. As a pilot project some NGOs have established multicul-

tural day care centres where parents can bring children during the day to

stay for some time. An international marriage counselling is organised by

social work of the churches of Helsinki in different languages. Some or-

ganisations have started multicultural family work including counselling

and spreading information for families.

Activities for elderly immigrants

Immigrants who are in a retirement age or who do not have realistic

chances of employment have a different situation and needs from immig-

rants whose integration process is aiming at employment. Similar services

as for immigrants in general are often provided separately for elderly im-

migrants with different emphases. In some municipalities the special

needs of elderly immigrants are already taken into account but more ser-

vices are still needed in many municipalities. There are for example lan-

guage courses, information about the Finnish society and discussion

groups for this target group.

Special groups with special needs

The interviewees expressed their concerns about several sub-groups of

immigrants that are in an especially vulnerable situation for different

reasons. These special immigrant groups should be better taken into ac-

count in a legal and practical level in social and other services.

- 192 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Illiterate immigrants

Illiterate immigrants are dependent on others in many ways and they of-

ten have to use their children as interpreters. Especially illiterate immig-

rants who are over 40 years old are in a difficult situation in many cases

without realistic chances of employment. Some immigrants are afraid of

going out alone because they cannot read and write and they are afraid of

not being able to manage. For example looking for employment and filling

applications without help is practically impossible for illiterate immigrants.

Immigrants who have mental health problems and traumas

People working with refugees and immigrants should be more aware of

special problems that traumas may cause. Some immigrants, especially

those with a refugee background, have severe mental health problems

that may prevent them from working and participating in courses and

other activities. These people are often in a danger of marginalisation.

People who suffer from previous traumas and PTSD (post traumatic stress

disorder) may have a negative attitude towards services and courses or-

ganised for them even though these activities would be helpful for them.

It is also difficult for many traumatised people to receive information that

is given to them in a new society.

Mothers with children miss out integration services

Unemployed immigrants are entitled to integration services during the

first three years after arriving in Finland. Mothers are in a difficult position

since they often miss out integration services because of having children

and being at home with them. There should be more flexibility and life

situations should be better taken into account when deciding about hav-

ing a right to integration services.

Elderly immigrants

The situation of immigrants of a retirement age is often difficult in many

ways: many of them have come to Finland at old age and they have not

integrated very well, they may lack social networks and their economical

situation and language skills can be poor. Many of them have been unem-

ployed before retirement because it is extremely difficult for elderly im-

migrants to find employment. Often immigrants do not get a pension

from their home countries or a pension is very small in Finnish standards.

The Finnish foreign law has recently been changed to entitle senior im-

migrants citizens after five years stay a pension that is better than a liv-

ing allowance they would get otherwise.

- 193 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Divorced immigrants

Divorces are more common among immigrants and in mixed marriages

than among Finns. Many immigrants who suddenly have to live on their

own do not know how to take care of daily matters, they are reluctant to

do it or they do not know whom to contact.

Women who come to Finland because of a marriage with a Finnish man

Many interviewees had noticed a growing number of female clients from

Eastern neighbour countries who come to Finland because of a marriage

with a Finnish man. Usually women who come to Finland because of a

marriage are not entitled to municipal integration services and an integra-

tion allowance. The condition for getting a residence permit is that their

husbands have to be able to financially take care of them and they are

not entitled to social benefits. Some of the women spend most of their

time at home and they can be completely dependent on their husbands

because often they have no money and no friends in Finland. Often these

women need basic information about everything in a new society. Many of

these couples do not have a common language, which complicates situ-

ation more. Among “real love marriages“ there are also some “marriages

of convenience”, which can make the situation more complicated.

Immigrants living alone without a social network

Many immigrants, especially immigrant men, who are unmarried, di-

vorced or are waiting for a family reunification live alone and feel lonely.

Long waiting times of getting a family reunification are tough for men and

women whose family far away. They are continuously worried and miss

their families. Many of them are marginalized, unemployed and they do

not have a social network in Finland.

Separated refugee children

Separated refugee children (also called unaccompanied minors) are an

especially vulnerable group among refugees and children because they

are in a new country without the support of their parents and other family

members. They miss their parents and worry about them. This anxiety

and coping in a new, foreign country cause various symptoms such as

sleeplessness, nightmares, eating disorders, depression and aggression.

The foreign language and unfamiliar contents of the curriculum, family

worries and traumatic memories make concentrating in school difficult.

(Helander & Mikkonen 2003).

- 194 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Immigrants who come to Finland as teenagers

Immigrant youth that comes to Finland as teenagers are often in a com-

plex position due to their difficult age and integration process that are

taking place at the same time. Alitolppa-Niitamo (2001) has done re-

search about young Somalis who arrived in Finland as teenagers. Accord-

ing to the research results, in attending school, adolescents generally re-

ceive more mainstream influences than the first generation. Due to the

youngsters’ better command of Finnish and their understanding of the

way Finnish society works, the roles of parents and adolescents are often

reversed. Parents may feel that they are no longer capable of controlling

their offspring. In addition, many young persons find themselves in

between multiple definitions, statuses, norms and expectations that make

their situation ambiguous and confusing. (Alitolppa-Niitamo 2001.)

Children who are born in Finland

Children of immigrant parents who are born in Finland are not entitled to

the integration services. They are not usually included in the integration

plans made for their parents either. Still many of them may need support

in many ways because their parents have recently immigrated and are

not able to fully help their children with school and other things in a new

society in a new language.

House wives whose children are grown ups

Many housewives whose children are grown-ups may have spent several

years in Finland and most of that time at home without learning much

Finnish. Many of these women have no educational background and some

of them are illiterate. Often their chances of finding employment are weak

but they no longer have children to take care of either.

Recommendations for improving services and activities for immigrants

More special integration and employment services for immigrants are

needed

Both the native Finnish interviewees and interviewees with an immigrant

background stated that there is no need of special health and social care

or other services for immigrants because of the high standard of the

Finnish municipal services and their availability to everybody, including

- 195 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

migrants. As a contrary, special integration and employment services for

immigrants were seen as necessary and the need was estimated to be

much bigger than the current supply. Information centres, projects and

other “extra” sources for immigrants are often needed because in many

cases social authorities do not have extra time and special knowledge

needed to take care of clients with an immigrant background. In general

it is easier for young immigrants to participate in common courses and

activities where as older immigrants find it more convenient to have sep-

arate groups for immigrants.

All immigrant groups need integration plans

Most immigrants in Finland are first-generation ones; consequently integ-

ration is more difficult and the integration processes are still going on. A

lot of the refugees have changed their attitudes towards integration after

they have realised that they cannot return to their home countries as

soon as they had anticipated.

There have been wide public discussions and criticism about the ineffi-

ciency of the integration procedure, the lack of resources for training and

language courses and the unwillingness of Finnish employers to employ

immigrants. Municipalities need more resources for more efficient integra-

tion measures. It also appears that more language courses are required,

and they need to be improved.

Integration plans have been typically made only for immigrants belonging

to the labour force1. Many other immigrant groups need integration plans,

such as housewives, teenagers and elderly immigrants. Another problem

is that integration plans are not always automatically implemented in

practice. It is important to have personal consultation and to do a person-

al employment and training plan for immigrants in the beginning. In gen-

eral, the possibility of having personal counselling and comprehensive

case management is important in services for immigrants.

Long-term funding and planning needed

Lack of continuation and long-term funding and planning is one of the

most common and severe problems in work related to work among im-

migrants. A large part of the personnel working for municipal integration

services and for NGOs have temporary and short-term contracts. It is dif-

ficult for municipalities and NGOs to make long-term action plans for

1 The Ministry of Labour is responsible of integration measures of immigrants inFinland. This explains at least partly the strong emphasis on employment and im-migrants of a working age.

- 196 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

coming years or even for a following year when there is no confirmation

about funding.

More and better targeted language courses needed

The interviewees expressed criticism about provision of language courses

in many ways. First of all, queues for the courses are often long. There is

a lack of co-ordination of different courses and it is often difficult to find a

suitable course for each person. Courses organised by the employment

agencies are often too difficult for illiterate people. More special language

courses for illiterate immigrants are therefore needed. Finnish as a

second language is a rather new subject in Finland and its teaching needs

to be improved.

More support with homework for children needed

Parents who have immigrated in Finland are often unaware of the Finnish

educative system and they may have unrealistic expectations towards

their offspring’s educational possibilities and future. If parents do not

speak Finnish they are unable to help their children with schoolwork and

give children support they may need. Therefore after school support for

home assignments should be a part of official teaching programmes for

immigrant children and youth at schools. Remedial instruction is already

existing and important but it is not enough in many cases.

Centralised information for immigrants in different languages

Several interviewees stated that the lack of centralised information about

services and activities for immigrants makes their job more difficult. This

shortcoming is taken into account, and the International Cultural Centre

Caisa in Helsinki produced web pages where important information and

links for immigrants are gathered together1.

Easy access to activities and services

It is esseential that services and activities for immigrants have an easy

access for immigrants and services are in a grass root level. Access

should be psychologically and physically easy for immigrants. Language

courses and other activities reach immigrants better if they take place in

the neighbourhoods where immigrants live. There are a lot of immigrants

with disabilities that make it difficult to go out on the town. Women fre-

quently have children with them, which limits their possibilities of moving

around.

1 For more information, see www.caisa.hel.fi

- 197 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Flexible appointment hours

It is a common problem for many immigrant groups that you have to

make an appointment to see a social worker and other officials. Another

problem is that you have to be in time, which is unfamiliar for many im-

migrants. Clients often come late or they forget to come. It is easier to

come to the centres for immigrants without an appointment and there is

usually somebody all the time. People who work with immigrants usually

try to be flexible with e.g. appointment hours but they also try to teach

their clients to be on time.

Good practices in short

· Ideas for activities, services, themes of seminars etc. should de-

rive from target groups.

· It is necessary to provide childcare during courses and activities

for immigrant women.

· Passing a word around face-to-face is often the best way of

spreading information among most immigrant groups.

· It is often hard for immigrants to understand the roles and func-

tions of different officials and authorities. Special attention to

clearing things and using interpreters should be paid at least dur-

ing the first meetings.

· Integration counsellors should be a part of established functioning

of municipalities. Counsellors may accompany clients to health

care, authorities, schools, courses, day care etc in order to help

both sides and explain things.

· Working in pairs of a Finn and a worker with an immigrant back-

ground has proven to be a good practice. Often the best way to

help immigrants is through other immigrants. It usually works

well that personnel with an immigrant background activate people

from their own ethnic groups. On the other hand it should not be

an end in itself to employ workers with an immigrant background.

· More power, more decision-making and planning positions should

be given to immigrants and people with an immigrant background

when planning and implementing services and projects for them.

· If projects manage to develop good practices they should become

a permanent part of municipal or NGO based work.

The use of time

- 198 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

There are a lot of immigrants who spend their time mostly at home taking

care of children, watching TV and not having activities out of home. The

common activity for immigrants just like for Finns at home is to watch TV.

It is also common among many immigrant groups to visit other families

at their homes

Among many immigrant communities the labour division of men and wo-

man is still traditional and very clear. However, more and more women

learn Finnish and study.

There are a lot of unemployed immigrant men who spend time at activit-

ies centres almost every day. A lot of the men suffer from not having

things to do but many of them find it difficult to help with housekeeping.

It can be seen as a part of integration that fathers also learn to take care

of children when mothers have courses or other things to do.

Many Muslims go to a mosque every day. In addition to obvious religious

matters, mosques are meeting places for seeing friends. Sometimes eth-

nic community can replace the support network of relatives and family

that is missing in Finland.

Because of the Finnish universal social security women are not economic-

ally dependent on their husbands and it gives them more power and free-

dom. The standard of living, education and working of women affect the

number of children. In many immigrant families the numbers of children

is decreasing and families of young immigrants are smaller than their par-

ents’. Many families have become stronger when fathers have started to

participate in taking care of children and shopping. Often women who

have children would like to get part-time jobs but they are often difficult

to find.

It is usually possible to get a place in a day care if parents can prove that

both of them are working or studying full time. It is difficult to get a place

in day care for children if one of the parents is unemployed. If for ex-

ample a husband is unemployed a family does not have a right to child-

care even if a father does not take care of children. This situation has

caused problems in many immigrant families where a mother would like

to study or work but she cannot because of children.

Conclusions

The major problem for many immigrants in Finland is that they are get-

ting tired and frustrated of having all sorts of employment and integration

courses and other activities but no full time paid work. The Finnish em-

- 199 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

ployers should better make use of these resources in a way that would

benefit both sides.

When planning work related to immigrants it is essential that ideas for

activities, services, themes of seminars etc. should always derive from

target groups.

It has to be kept in mind that projects and other temporary measure-

ments are not able to remedy needs for basic municipal services. It is

however important that projects can become permanent parts of work re-

lated to immigrants if they prove to have created good practices that

should be continued.

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--------------------------

This text has not yet been language checked. The full research report is available

in English. Contact information: Anna Mikkonen, MA researcher

[email protected] , +358-50-373 9932, +32-496-43 53 35

- 201 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

FRANCE - CHAP. 14 -SITUATION DE L’IMMIGRATION ET DÉBATS MÉTHODOLOGIQUES

LUC-HENRY CHOQUET

“Troisième article définitif pour la paix perpétuelle : « Le

droit cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une

hospitalité universelle. » Il s'agit dans cet article,

comme dans les précédents, du droit, non de la

philanthropie. Hospitalité signifie donc uniquement le

droit qu'a chaque étranger de ne pas être traité en

ennemi dans le pays où il arrive. On peut refuser de le

recevoir, si on le peut sans compromettre son existence;

mais on n'ose pas agir hostilement contre lui, tant qu'il

n'offense personne. Il n'est pas question du droit d'être

reçu et admis dans la maison d'un particulier; cet usage

bienfaisant demande des conventions particulières. On

parle du droit qu'ont tous les hommes de demander aux

étrangers d'entrer dans leur société, droit fondé sur celui

de la possession commune de la surface de la terre,

dont la forme sphérique les oblige à se supporter les uns

à côté des autres, parce qu'ils ne sauraient s'y disperser

à l'infini et qu'originairement l'un n'a pas plus de droit

que l'autre à une contrée.”

Emmanuel Kant,

Projet de paix perpétuelle, 1796,

cité dans Pénombre, octobre 19961

Le travail en commun des quatre partenaires sur le thème des migrations

a rendu nécessaire une comparaison selon plusieurs axes :

Un premier axe concernait la législation de la nationalité (titres de séjour,

conditions d'entrée et de séjour dont les personnes qui viennent pour

travailler, l'immigration pour motif familial, les demandeurs d'asile et les

réfugiés), le droit de la nationalité dont l’attribution de la nationalité et

l’acquisition de la nationalité. On a détaillé et chiffré dans le cadre français

la distinction importante parce qu’elle emporte des conséquences en

matière de droit, entre “étrangers” et “immigrés”.

Le deuxième axe concernait les débats politiques, idéologiques et

scientifiques sur ces questions. A cet égard, la contribution française s’est

nourrie des débats riches qui ont eu lieu à l’Institut national d’études

1 L'association Pénombre a été créée en juin 1993, pour développer un espacepublic de réflexion et d'échange sur l'usage du nombre dans les débats desociété. http://ds.unil.ch/penombre

- 202 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

démographiques (INED) et à l’Institut national de la statistique et des

études économiques (INSEE), notamment les colloques organisés par les

syndicats CGT et CFDT de l’INSEE sur la construction et les usages de la

statistique (ex : Le colloque intitulé "Statistique sans conscience n'est que

ruine..." du 4 novembre 1999) comme d’une bibliographie riche sur ces

questions1.

La contribution française au rapport intermédiaire de la mission reprenait

les tentatives d’établissement de quelques principes pour la statistique

publique, rappelait les enquêtes en cours qui servent les croisements

“étrangers”, “immigrés”, Famille, et constatait certains manques

aujourd’hui dans ces croisements statistiques.2

Après une brève présentation de la situation démographique en France3,

on reprend dans ce chapitre les principaux éléments relevés au cours de

la mission qui peuvent servir le débat sur les questions méthodologiques.

1 Desrosières (A.), La politique des grands nombres. Histoire de la raisonstatistique, Paris, La Découverte, 2ème éd. 2000 ; Héran (F.), L’assise statistiquede la sociologie, Economie et Statistique, n°168, juillet-août 1984, pp. 23-35 ;INSEE, Pour une histoire de la statistique. Tome 1 : contributions, INSEE-Economica, Paris, 1977 ; INSEE, Pour une histoire de la statistique. Tome 2 :matériaux (J. Affichard dir.), INSEE-Economica, Paris, 1987.2 Cf. Rapport intermédiaire, juillet 2003. La réalisation de la mission a bénéficié dela participation d’un groupe d’experts organisé à l’initiative de l’UNAF quirassemblait Catherine Borrel, de l’INSEE, Institut national de la statistique et desétudes économiques, de Marie Ruaut, DREES, Ministère des Affaires Sociales, duTravail et de la Solidarité, de Patrick du Cheyron, Mire, Ministère des AffairesSociales, du Travail et de la Solidarité et d’Antoine Math, IRES, Institut deRecherches Economiques et Sociales.3 Les informations et les développements de ce chapitre proviennent pour unebonne part du rapprochement et de la compilation de données issues des articleset ouvrages cités auxquels le lecteur, soucieux de précisions, est renvoyé,notamment : Héran (F.), Cinq idées reçues sur l'immigration, Populations etsociétés, n° 397, INED, janvier 2004 ; Héran (F.), Aoudai (M.), Richard (J.-L.),Immigration, marché du travail, intégration, Commissariat Général du Plan, Ladocumentation française, Paris, FRA, 2002/10 ; « Les immigrés » in France,portrait social, INSEE, octobre 2003 ; Borrel (C.) et Tavan (C.) , « La vie familialedes immigrés », idem ; Bréchon (P.), « L’opinion des Européens sur les immigrés –Une mesure de l’ouverture à autrui » et Roux (G.), « L’évolution des opinionsrelatives aux “étrangers” – Le cas de la France », Informations sociales, CNAF, n°113, janvier 2004 ; Lebon (A.), Migrations et Nationalité en France, Ladocumentation française, décembre 2002; Daguet (F.) et Thave (S.), « Lapopulation immigrée - Le résultat d'une longue histoire », Insee Première, n° 458.Des renseignements complémentaires peuvent être obtenus en consultantPopulation immigrée — Population étrangère, Tableaux thématiques — Exploitationcomplémentaire, Recensement de la population de mars 1999, Insee, décembre2001.

- 203 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La situation française

Source : Ecole des Sciences Politiques, Paris.

La France est un pays où l’immigration est ancienne, due essentiellement

à la baisse de sa fécondité dès le milieu du XVIIIème siècle et à la pénurie

relative de main-d'œuvre qui dans la seconde moitié du XIXème siècle

aboutit à une différence sensible d’avec les autres pays européens qui

connaissaient à l’opposé fécondité élevée et émigration. Les plus forts

courants migratoires (1920-1930 et 1956-1973) correspondent à des

périodes de croissance économique et de pénurie de main-d'œuvre. La

France a servi aussi de terre d'asile à de nombreux étrangers.

Après guerre, à partir de 1945, l'Etat a encouragé officiellement

l'immigration et a créée en 1946 un Office national d'immigration puis en

1951 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui

reçoit les dossiers des étrangers entrés en France au titre de demandeurs

d'asile et attribue la qualité de réfugié. Le niveau atteint en 1931 a été

dépassé au recensement de 1962 (~ 3 millions).

En 1974, préoccupé par le ralentissement de la croissance, le

gouvernement français décidait l'arrêt officiel de l'immigration hors droit

d'asile, sauf dans le cadre du regroupement familial et de demandes

spécifiques mais l'entrée de migrants ne s'est jamais tarie. Toutefois, c'est

désormais l'immigration de regroupement familial qui prédomine dans les

statistiques.

La France est, on l’a vu, un pays où l’immigration est un aspect ancien

mais elle n'est pas un pays d'immigration massive et sa croissance

démographique dépend pour un quart à un cinquième seulement de

l'immigration. Le flux actuel des immigrants reste bien plus faibles que les

niveaux atteints dans les années soixante ou ceux atteints aujourd'hui en

- 204 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Allemagne et en Europe du Sud. Pourtant c’est un préjugé contraire qui

souvent l’emporte avec l’idée d'une France en déclin démographique dans

laquelle s’immisce une vague d'immigration. Ces idées reçues tiennent

notamment au fait que des concentrations locales peuvent aboutir à des

proportions de population immigrée élevées dans certaines communes (cf.

infra).

Flux d’entrée à caractère permanent d’étrangers non ressortissants de

l’Espace économique européen en 20011

Travailleurs salariés 8 811

Actifs non salariés 433

Réfugiés statutaires (i) 7 323

Asile territorial 322

Regroupement familial (j) 23 081

Membres de famille de français (k) 42 567

Conjoints de scientifiques 366

Membres de familles de réfugiés (l) 1 422

Etrangers nés en France 45

Mineurs résidant depuis l'âge de 10 ans 1 853

Liens personnels et familiaux 5 564

Résidence en France depuis + de 10 ou 15 ans 2 699

"Visiteurs" (m) 8 968

Titulaires d'une rente accident du travail >20% 32

Bénéficiaires du réexamen (n) 65

Total 103 551

(i) : Y compris les apatrides (62)

(j) : Non compris les membres des familles des ressortissants du Togo qui ne font

pas appel à l’OMI

(k) : Non compris les enfants de 0 à 16+ ans et une partie de ceux de 16 à 18 ans

(l) : Non compris les enfants de 0 à 16+ ans et une partie de ceux de 16 à 18 ans

(m) : uniquement âgés de 18 ans ou plus

(n) : Non compris 8 déjà comptées dans le regroupement familial

Source : OMI, OFPRA

En réalité, la France entière observait en 2001 un flux d’entrée à caractère

permanent d’étrangers non ressortissants de l’Espace économique

européen de 103 551, soit 17/°°°° (dix-sept pour dix mille). Rapportée à

la France métropolitaine, elle comptait en mars 1999, lors du

recensement national, 4,3 millions d’immigrés2, soit 7,4 % de l’ensemble

1 On retrouve ces différentes catégories dans le § suivant consacré à la législation.2 Immigrés - La catégorie statistique des immigrés regroupe les personnes néesétrangères a l’étranger, c’est-à-dire celles qui ont effectué une migration depuisleur pays de naissance. La catégorie comprend donc des personnes qui depuis leurarrivée ont acquis la nationalité française et exclut les Français de naissance nés àl’étranger. Un ménage ordinaire est constitué de l‘ensemble des personnes vivantdans une même résidence principale et l’expression “ménage immigré” désigne les

- 205 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

de la population dont 88,4 % vivaient en famille, et pour les seuls adultes

dans une proportion un peu plus importante que dans l’ensemble de la

population: 80 % contre 77 % et variant selon le pays d’origine pour

atteindre ainsi 90 % chez les natifs du Portugal ou de Turquie, plus

fréquemment aussi pour les personnes originaires du Maroc, d’Afrique

subsaharienne ou d’Asie du Sud-Est. Un peu plus souvent chefs d’une

famille monoparentale, 7,2 % pour 6,6 % dans la population totale. Mais,

depuis 1990, la part des familles monoparentales et celle des personnes

seules augmentent et aussi bien chez les immigrés que dans l’ensemble

de la population.

Les 2,9 millions d’immigrés qui vivent en couple ou sont a la tête d’une

famille monoparentale appartiennent à 2 millions de familles qui comptent

6,9 millions de personnes dont moins de la moitié sont immigrées. Plus du

tiers des immigrés vivant en couple sont en union avec une personne non

immigrée (on parle de “mariage mixte”). Cette proportion a légèrement

progressé depuis dix ans. Les hommes forment, un peu plus souvent que

les femmes, une union mixte sans doute parce qu’ils sont plus souvent

célibataires à leur arrivée en France. Simplement, ce sont plus de la

moitié des immigrés européens qui ont formé un couple mixte et, par

exemple, seulement 14 % hommes et 4 % des femmes nés en Turquie

qui vivent avec un conjoint non immigré. Ce qui traduit des différences

dans la propension à la mixité, mais aussi dans l’histoire migratoire:

statut conjugal et âge à l’arrivée, ancienneté de la présence, sont autant

de facteurs qui interviennent.

En revanche, quand les deux conjoints sont immigrés, ils ont alors, dans

neuf cas sur dix, la même origine. La quasi-totalité (98 %) des couples

d’immigrés où la femme est née en Turquie sont formés avec un homme

originaire du même pays, de même au Portugal ou dans certain pays du

Maghreb (respectivement 97 % et 92 %).

Ceci étant, la vie familiale des immigrés a connu grosso modo les mêmes

évolutions que celle de l‘ensemble de la population : personnes seules et

familles monoparentales plus nombreuses, ruptures et remises en couple

plus fréquentes, début de plus en plus fréquent de la vie de couple hors

mariage, quoique plus rarement pour les immigrés venus du Maghreb ou

de Turquie.

Une fois sur deux, écrit Laurent Toulemeon de l’Institut national d’études

démographiques, « les enfants d’immigrés sont issus d’un “couple mixte”,

au sens où il réunit un parent immigré et un parent non immigré. Sur le

tableau (page suivante), ont été distingués les parents nés en France

métropolitaine, les parents immigrés et les autres parents, nés outre-mer

ou nés Français à l’étranger. « Au total, plus d’une naissance sur six

(17,1 %), chiffres sur fond grisé dans le tableau est issue d’au moins un

parent immigré, les couples mixtes (un parent est immigré et l’autre non)

ménages dont la personne de référence est immigrée.

- 206 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

faisant jeu égal avec les couples où les deux sont immigrés :

respectivement 8,5 % et 8,6 % des naissances. Les naissances de couples

mixtes se répartissent elles-mêmes de façon équilibrée entre les couples

où c’est le père qui est immigré (4,2%) et ceux où c’est la mère (4,3

%). »1

Source : Tableau tiré de Laurent Toulemon, « La fécondité des immigrées:

nouvelles données, nouvelle approche », Population & Sociétés, n° 400, avril

2004.

Les immigrés ont en fin de vie féconde davantage d‘enfants. Ces écarts de

descendance finale tiennent a des différences de position sociale (ils

appartiennent à des groupes sociaux qui ont une fécondité plus élevée) et

à l’origine géographique.

Plus souvent concernées par des emplois d’ouvriers et d’ouvriers non

qualifiés, par les secteurs de la construction, des services aux particuliers

ainsi que dans l’industrie automobile et les services aux entreprises. Plus

souvent affectés par le chômage que les autres actifs : au 1er trimestre

2003, 18,2 % des hommes et 20,5 % des femmes immigré(e)s sont au

chômage (8,8 % et 11,2 %, en moyenne nationale), affectant davantage

les ressortissants des pays du Maghreb.

En 1999, l’Ile-de-France accueille 39,9% des étrangers recensés en

France, soit deux fois plus que son strict poids démographique dans le

1 Cf. Laurent Toulemon, « La fécondité des immigrées: nouvelles données, nouvelleapproche », Population & Sociétés, n° 400, avril 2004.

- 207 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

pays (18,7%). 43% des étrangers arrivés depuis 1990 se sont installés en

Ile-de-France et 14,1% à Paris. La Seine-st-Denis est le département

français où le pourcentage de personnes vivant dans un ménage étranger

est la plus importante (26,2%) et cette proportion a fortement progressé

depuis 1982 (+7,2 points). Plus localement, la progression est plus forte

dans les communes dont le parc immobilier est peu valorisé et plus

abordable car la valeur marchande des logements privés joue beaucoup et

dépend de plus en plus de la qualité de l’environnement au sens large :

desserte par les transports en commun, absence de nuisances, réputation

des établissements scolaires, existence d’espaces verts, etc. Concentrés

dans les zones industrielles, vivant dans des familles plus nombreuses,

disposant de revenus plus faibles, les immigrés se tournent plus

fréquemment vers le parc locatif social et la proportion de ceux qui vivent

en HLM au 1er trimestre 2003, est (29 %) deux fois supérieure a celle de

l’ensemble de la population. Néanmoins, la part des propriétaires

progresse et à la même date prés de 38 % des ménages immigrés sont

propriétaires (accédants ou non).

Certaines analyses sociologiques et médiatiques tiennent pour acquise

l'augmentation de la xénophobie en France à partir des années quatre-

vingt et son illustration dans la croissance du vote pour un parti d’extrême

droite (Le Front national). Toutefois les enquêtes conduisent à tempérer

le diagnostic1 et celles menées par l'INED de 1947 à 1974 indiquent une

progression de la “tolérance de principe” à travers le vœu de l'égalité de

traitement entre immigrés et "nationaux" dans les domaines de l'emploi,

du logement ; les mariages mixtes sont de mieux en mieux acceptée.

Néanmoins, l’idée selon laquelle il y a "trop de travailleurs immigrés"

recueille entre 1966 et 2002 des taux d'adhésion comparables (57 et

60%,) mais avec des variations nettes et notamment entre 1988 et 1995

où cette idée progresse jusqu’à 65 – 73 % d'adhésions, pour ensuite

diminuer et notamment du fait des générations les plus jeunes, en

particulier des plus instruits.

Un indice synthétique d’attitudes favorables aux immigrés2 tirées de

l’enquête sur les valeurs des Européens, 19993, permet de construire le

tableau suivant qui assemble les quatre partenaires de la mission.

1 Source : CSA, Louis Harris pour la Commission nationale consultative des droitsde l'homme, SOFRES, Panel électoral français, IFOP, enquêtes CEVIPOF2 Regroupement des réponses favorables (3 derniers échelons d’une échelle de 5) àlaisser venir les étrangers qui le désirent ou tant qu’il y a du travail disponible,accepter qu’ils conservent leurs coutumes, se dire beaucoup ou assez concerné parleurs conditions de vie, être probablement prêt à les aider. Source : PierreBréchon, « L’opinion des Européens sur les immigrés – Une mesure de l’ouvertureà autrui » et Guillaume Roux, « L’évolution des opinions relatives aux “étrangers” –Le cas de la France », Informations sociales, CNAF, n°113, janvier 2004 3 Cf. European Values Study, WORC/EVS, Tilburg University, Faculty of Social andBehavioral Sciences, Warandelaan 2, 5037 AB Tilburg, www.europeanvalues.nl , PPO Box 90153, 5000 LE Tilburg

- 208 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

% d’attitude favorable aux immigrés

Belgique 32

Finlande 31

France 33

Grèce 42

Moyenne européenne (15) 39

En France, Guillaume Roux signale que « parmi les "étrangers" qui

participent de notre société, les "Arabes" sont les moins bien perçus. Ils

sont jugés trop nombreux par 65 % des enquêtés en 1992, et toujours

par 63 % pour l'année 2000 (contre 43 % pour les "Noirs", 21 % pour les

"Asiatiques" et 19 % pour les "Juifs", source Louis Harris pour la

Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, CNCDH).1»

La législation en matière de nationalité

La loi définit les conditions d'entrée et de séjour des étrangers ainsi que

les règles d'attribution et d'acquisition de la nationalité française2.

Titres de séjour

Tout étranger âgé de plus de 18 ans et séjournant en France au-delà de

trois mois doit être titulaire d'un titre de séjour qui vaut en principe

autorisation de travail3. Il existe deux titres uniques de séjour et de

travail4 : la carte de séjour temporaire, dont la durée de validité est

variable sans pouvoir excéder un an, la carte de résident, valable dix ans.

Un ressortissant étranger qui demande pour la première fois un titre de

séjour se voit délivrer une carte de séjour temporaire, sauf s'il est

bénéficiaire de plein droit de la carte de résident. La carte de résident

peut lui être attribuée à l'issue d'un délai de trois ans s'il justifie d'une

résidence en France ininterrompue d'au moins trois années. La carte de

résident est renouvelable de plein droit.

1 op. cit.2 La législation applicable en la matière a fait l'objet d'un ensemble de réformes en1993 dont la loi du 22 juillet réformant le droit de la nationalité et la loi du 24août modifiant l'ordonnance de 1945 sur les conditions d'entrée et de séjour desétrangers déjà modifiée en 1984 en ce qui concerne les titres de séjour.3 Il existe des exceptions au principe de l'unicité du titre : en particulier, lestravailleurs saisonniers ou les personnes exerçant une activité professionnelle nonsalariée soumise à autorisation (artisans, commerçants, agriculteurs exploitants)doivent posséder un titre distinct de la carte de séjour.4 Depuis la loi du 1 7 juillet 1984.

- 209 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les bénéficiaires de plein droit de la carte de résident sont notamment et

sous certaines conditions : les conjoints de français ; les enfants étrangers

d'un ressortissant français âgés de moins de 21 ans ou vivant à sa

charge ; les ascendants d'un français et de son conjoint qui sont à

charge ; les parents étrangers d'enfants français ; les personnes venues

en France au titre du regroupement familial lorsque le travailleur est

titulaire de la carte de résident ; les familles de réfugiés.

Conditions d'entrée et de séjour

D'une manière générale, l'accès au territoire français peut être refusé à

tout étranger dont la présence constituerait une menace pour l'ordre

public. Le régime de droit commun ne s'applique pas aux ressortissants

des pays de l'Union européenne et des pays présents à l'accord sur

l'Espace économique européen, qui peuvent entrer et circuler librement

sur le territoire sans autorisation préalable. Les étrangers qui peuvent

être autorisés à entrer ou à séjourner en France relèvent des situations

suivantes :

Les personnes qui viennent pour travailler.

Ce sont les travailleurs permanents et les actifs non salariés, ainsi que les

travailleurs saisonniers et les bénéficiaires d'une autorisation provisoire de

travail. Les travailleurs permanents sont ceux qui disposent d'un contrat à

durée indéterminée ou d'une durée initiale supérieure à un an. L'emploi

des étrangers à titre permanent est soumis à autorisation. Depuis 1975,

il est très difficile à un primo-immigrant d'obtenir l'autorisation de

travailler à titre permanent en France. Celle-ci est accordée par le Préfet,

qui dispose de plusieurs éléments d'appréciation au premier rang desquels

la situation de l'emploi pour accorder ou refuser son autorisation. La

situation de l'emploi n'est pas opposable à certaines personnes (bénéfi-

ciaires de plein droit de la carte de résident, ressortissants de certains

pays, etc.). Hormis ces cas, les dérogations de fait ne sont accordées que

pour des étrangers hautement qualifiés. Le renouvellement de

l'autorisation de travail est normalement accepté si le requérant dispose

d'un emploi ou est involontairement privé d'emploi. Cependant, si le

demandeur est toujours involontairement privé d'emploi lors d'une

deuxième demande de renouvellement, celui-ci peut alors être refusé.

Les actifs non salariés : pour pouvoir s'établir en qualité d'artisan, de

commerçant ou d'industriel, les étrangers doivent solliciter une

autorisation spéciale.

Les travailleurs saisonniers sont autorisés à travailler en France pour des

durées limitées afin d'exécuter des travaux spécifiques, essentiellement

dans l'agriculture. Le recours à des travailleurs saisonniers étrangers

n'est possible que si la main d'œuvre nécessaire manque sur le marché de

l'emploi.

- 210 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Enfin, les autorisations provisoires de travail sont délivrées aux étrangers

qui sont appelés à exercer une activité présentant un caractère

temporaire (cadres détachés en France, chercheurs, artistes, etc.).

L'immigration pour motif familial recouvre différentes procédures

juridiques. Tout d’abord, le regroupement familial : tout ressortissant

étranger a le droit de faire venir son conjoint et ses enfants de moins de 1

8 ans, dès lors qu'il est régulièrement installé en France depuis au moins

deux ans (au lieu d'un an avant la loi du 24 août 1993) et que les

conditions d'accueil permettent d'envisager une bonne insertion de la

famille. L'exercice de ce droit est donc notamment soumis à des

conditions de ressources et de logement. Les bénéficiaires exclusifs du

regroupement familial sont le conjoint et les enfants mineurs (ou âgés de

moins de 21 ans dans certains cas).

Sont également admises à entrer et à séjourner en France les familles de

Français, de ressortissants des pays de l'Union européenne et des pays

parties à l'accord sur l'Espace économique européen, ainsi que les familles

de réfugiés et apatrides. Les conditions de ressources et de logement

nécessaires à l'exercice du droit au regroupement familial ne sont pas

requises dans ces cas.

Troisième situation, celle des demandeurs d'asile et des réfugiés : Les

demandeurs d'asile sont des personnes qui sollicitent le statut de réfugié

auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides

(OFPRA). Si le demandeur d'asile remplit les conditions requises pour

être admis au séjour en France (loi du 24 août 1 993), il reçoit un titre

provisoire de séjour qui pourra être renouvelé jusqu'à ce que I'OFPRA ait

statué. Lorsque la qualité de réfugié est reconnue au demandeur, il reçoit

de plein droit une carte de résident. Dans le cas contraire, il fait l'objet

d'une mesure d'éloignement.

Enfin, les autres étrangers qui peuvent être autorisés à séjourner en

France pour une durée supérieure à trois mois sont les apatrides, les

titulaires d'une rente d'accident du travail versée par un organisme

français à un taux d'incapacité permanente supérieur à 20 %, les

étudiants, les stagiaires, les visiteurs et les membres algériens

d'organismes officiels.

Droit de la nationalité

Le droit de la nationalité, réformé par la loi du 22 juillet 1993, fixe les

règles d'attribution et d'acquisition de la nationalité française.

Attribution de la nationalité française : est française à la naissance toute

personne née d'au moins un parent français (par filiation), ou née en

France d'au moins un parent lui-même né en France (double droit du sol).

- 211 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les Français de naissance ne sont pas des immigrés, même s'ils sont nés

hors de France.

Acquisition de la nationalité française : la loi définit les conditions dans

lesquelles des personnes ayant à la naissance une nationalité étrangère

peuvent acquérir la nationalité française.

Tout étranger né en France de parents étrangers peut acquérir la

nationalité française à sa majorité s'il réside en France de façon habituelle

depuis cinq ans, en manifestant entre l6 et 2l ans sa volonté de devenir

français. Cette procédure ne concerne pas les immigrés puisqu'elle

s'adresse à des personnes nées en France.

Tout étranger majeur peut demander à être naturalisé ou réintégré dans

la nationalité française s'il réside en France depuis au moins cinq ans et

satisfait certaines conditions d'assimilation (en particulier la pratique de la

langue française) et de moralité. Le gouvernement possède un pouvoir

d'appréciation souverain et se prononce par décret.

Tout étranger qui se marie avec un ressortissant français peut acquérir la

nationalité française sur simple déclaration, après un délai de

communauté de vie de deux ans à compter du mariage.

Enfin, les enfants mineurs dont l'un des parents acquiert la nationalité

française peuvent devenir français s'ils sont mentionnés au décret ou à la

déclaration de leur parent et résident avec lui.

Les débats politiques, idéologiques et scientifiques sur les questions

d’immigration1

Parmi les débats récurrents en France dans le domaine, la querelle « des

catégories "ethniques" » dans la statistique publique est un exemple utile

à considérer car il mêle des aspects politiques, idéologiques et

scientifiques, concernant pour ce dernier cas, notamment, la théorie

statistique et de l’échantillonnage.

Le recensement de la population en France prend soin de distinguer

“français de naissance” et “français par naturalisation ou acquisition”

depuis 1871 et la nationalité antérieure des personnes naturalisées figure

depuis quarante ans dans tous les recensements (1962, 1968, 1975,

1982, 1990, 1999 et bientôt2) : c’est d’ailleurs le moyen de savoir

combien de personnes de telle ou telle origine nationale ont bénéficié des

lois françaises de naturalisation.

1 Voir sur ce point les actes du colloque “Statistique sans conscience n’est queruine…” organisé par les confédérations syndicales CGT et CFDT de l’Institutnational de la statistique et des études économiques (INSEE) le 4 novembre 1998.2 voir notamment F. Daguet et S. Thave, " La population immigrée : le résultatd'une longue histoire ", Insee-première n° 458, juin 1996

- 212 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La controverse porte en réalité sur la référence au “pays de naissance”

des immigrés, associée au fait d'être étranger ou naturalisé, référence

présente dans toute la statistique publique sur les conditions de vie des

ménages puisque la plupart des grandes enquêtes distinguent les

immigrés selon le lieu de naissance, ainsi l'enquête Emploi ou Formation–

qualification professionnelle. Mais faut-il, pour autant, appeler " ethnique "

ce genre de recueil ? Les principaux arguments alimentant le débat sont

les suivants :

- Le vocabulaire anglo-saxon de l'ethnie : Il est contradictoire de recourir

au vocabulaire anglo-saxon de l'ethnie pour désigner le pays de naissance

des Français. «Si l'on défend une vision républicaine de la nation (comme

le font aussi bien l’ensemble des participants de la controverse) (…) dira-

t-on, comme le souligne le directeur de l'Institut National d’Etudes

démographiques, François Héran, important contributeur au débat, que

les immigrés venus du Portugal en France forment une " ethnie

portugaise ", les immigrés de Turquie une " ethnie ", voire une " race

turque " ? Et, réciproquement, par quel tour de passe-passe ceux d'entre

nous qui passent plus d'un an à l'étranger deviendraient-ils les membres

d'une " ethnie " ou d'une " race française " (…)1»

- La confusion entre catégorie “ethnique” et groupe linguistique :

Parallèlement, Il ne faut pas confondre catégorie “ethnique” et groupe

linguistique. « Parler d'une " ethnie mandé " est aussi vague et superficiel

que de parler d'" ethnie romane ". Or, si la langue permet d'approcher

une réalité historique extra-nationale, il s'en faut de beaucoup qu'elle

coïncide avec l'ethnie : on trouve souvent plusieurs ethnies pour une

même langue et plusieurs langues pour une même ethnie. La large

diffusion de certains parlers comme langues administratives ou

véhiculaires vient encore relâcher ce lien, spécialement en Afrique.2 »

- Erreurs de déclarations de nationalité et auto-perceptions : il y a des

erreurs de déclarations de nationalité (voir § suivant) mais aussi des

auto-perceptions qui conduisent beaucoup d’immigrés devenus Français à

se déclarer rétrospectivement “Français de naissance” tant ils se sentent

assimilés3. Seule une enquête biographique permet de reconstituer leur

1 François Héran, 12 novembre 1998, La fausse querelle des catégories" ethniques " dans la statistique publique, INED.

2 ibid3 Ainsi pouvait se penser rétrospectivement Française, sans conteste, FrançoiseGiroud (1916-2003), célèbre femme de lettres, journaliste, écrivain, titulaire duministère de la condition féminine à sa création, etc., de son vrai nom FranceGourdji, née à Genève le 21 septembre 1916 dans une famille aux origines russeet turque.

- 213 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

trajectoire mais une telle enquête n’a pas vocation à constituer un

dispositif de collecte permanent.

- Les opérations de la statistique publique française bénéficient d’une

légitimité, sur le plan juridique : Les opérations de la statistique publique

ont toutes été, en France, présentées à la CNIL (Commission nationale de

l'informatique et des libertés) qui leur a accordé un avis favorable et

soumises au droit de regard préalable du CNIS (Conseil national de

l'information statistique), où sont représentées les organisations

syndicales, patronales, les associations familiales, le Conseil économique

et social, le Conseil d'État et la CNIL, qui vérifie les aspects concernant

l’anonymat, la spécialisation et la pertinence scientifique et sociale de

l’enquête. Le nouveau recensement de la population (en 2004) a ainsi été

présenté au préalable à la CNIL et au CNIS1.

Certains plaident, a contrario, pour un recours aux catégories "ethniques"

justifié par l’utilité sociale d'une meilleure connaissance des relations

entre les immigrés et la société d'installation, en abandonnant certes

toute conception raciale l'existence de la “race” en tant que

caractéristique générique mais en reconnaissant de façon simultanée la

présence de “comportements et d’attitudes racistes” qui produisent des

effets considérables.

Les dispositifs de lutte contre la discrimination mis en place reposent en

partie sur des informations statistiques. Mais, soulignent-ils, l'évaluation

des pratiques discriminatoires s'effectue le plus souvent de façon

indirecte. Par exemple, en comparant la distribution des qualifications

nécessaire à tel type d’activité sociale d'une population donnée et la

distribution de cette dernière dans ladite activité, par exemple, les

décalages étant alors attribués, entre autres, à l'existence de

discriminations. On retrouve là une problématique anglo-saxonne

(Royaume Uni) qui reconnaît explicitement l'existence de « groupes

ethniques minoritaires » au sein de sa population nationale, la question

ethnique posée pour la première fois lors du recensement de 1991 aurait

permis d'améliorer la connaissance de ces populations et de leurs

handicaps afin de faciliter la mise en place de politiques d’intégration.

Toutefois des insuffisances ont été mises en évidence par l'évaluation des

résultats du recensement (Census Validation Survey), par exemple, en

matière d’identification des personnes d'origine mixte, ou à leurs enfants.

Néanmoins, la classification ethnique de la population britannique s'est

généralisée à tous les domaines du champ social.2

1 Pour plus de détails sur ce recensement permanent, par tranche annuelle de 14%, cf. le dossier de presse - Le recensement de la population – Insee, 8 janvier2004, www.insee.fr.2 Les problèmes posés par la construction de catégories faisant référence à l'origineethnique des individus sont abordés largement et sous plusieurs points de vue dansINED, Population, n° 3, 1998 dont Lassalle (D.), « La généralisation progressive du

- 214 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les tenants de la modération dans ce domaine répondent que si l’on veut

pousser plus loin le questionnement jusqu’au rôle des caractéristiques

physiques dans la discrimination, la loi le permet quand elle autorise

l’inclusion de questions sensibles à la condition qu’elles soient pertinentes

et que les intéressés donnent leur accord.

Aujourd’hui, la question rebondit avec l’introduction de réflexions sur la

pertinence du repérage de l'ethnie par auto-déclaration des intéressés,

pratique réputée respectueuse des libertés individuelles. On voit rappeler

parfois à cette occasion le rejet du recours à l’auto-déclaration pratiqué

depuis le XIXème lors du recensement de la population en Allemagne en

1939 où des questions sur la " nationalité " et la " race " furent

introduites à partir de la fixation juridique des appartenances « étant

donné que la recherche était incapable de produire une définition savante

de la " race juive " et d’une objectivation de la " nationalité ".»1

La comparaison des réponses entre enquêtes en Polynésie française a

montré combien la déclaration de l’ethnie est un choix subjectif qui revêt

des aspects affectifs, dépendant de considérations sociales plutôt que

traduisant une réalité biologique ou héréditaire, une déclaration perçue

comme péjorative pouvant d’ailleurs devenir avantageuse quand le

contexte politique et social a changé. De plus, comme le souligne J-L

Rallu, « la valeur descriptive de la variable ethnie est grande mais sa

valeur explicative est faible (…) La référence à l’ethnie n’éclaire pas, à elle

seule, les mécanismes de la discrimination ni les processus économiques

et sociaux de la marginalisation. Le besoin d’information statistique de

qualité, permettant le suivi des populations (…) conduit à retenir des

critères peu subjectifs et non susceptibles de changement, tels le lieu de

naissance de l’individu et de ses parents. »2

La question rebondit encore avec l’interrogation sur la pertinence, en

matière d'intégration, du seul critère juridique de la nationalité par

rapport à l'histoire des flux migratoires qui réclamerait d'appliquer des

modèles statistiques plus fins contenant des considérations effectives sur

l’âge d’entrée, la date d’entrée (création de cohortes) et la durée de

séjour.

recueil de statistiques ethniques au Royaume-Uni » et Simon (P. ), « Nationalité etorigine dans la statistique française : les catégories ambiguës », Population,3/1998. 1 Morgane Labbé « Race " et " Nationalité "dans les recensements du TroisièmeReich - De l’auto-déclaration au diagnostic racial. », Histoire & Mesure, 1998,Volume XIII - Numéro ½, Compter l'autre. 2 Cf. Rallu (J-L), « Décrire les minorités? », Populations et sociétés, INED, n°309,Janv. 1996

- 215 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La distinction “étrangers” / “immigrés”

On distingue les individus de nationalité française et les individus

étrangers en regardant la nationalité déclarée sur le bulletin individuel du

recensement.

La population étrangère est composée des individus ayant déclaré une

nationalité autre que la nationalité française. Elle est mouvante dans le

temps, car selon les dispositions prévues par la législation, un étranger

peut obtenir la nationalité française et devient “français par acquisition” :

il sort alors de la population étrangère quoiqu’il demeure distingué

statistiquement des Français dits « de naissance », titulaires de la

nationalité française dès leur naissance.

Le Haut Conseil à l'intégration s’appuyant sur les travaux de Michèle

Tribalat, démographe à l'INED a proposé d’appeler « immigrés » les

personnes nées à l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité

étrangère et résidant en France depuis un an au moins, en bref : les

résidents nés étrangers à l'étranger (rapport du HCI, 1991).

Après quelques années de résidence, certains immigrés ont pu devenir

français par acquisition, les autres restant étrangers, toutefois, né

étranger à l’étranger, il continue d’appartenir à la population immigrée

même si sa nationalité change. Cette stabilité de la qualification est

justement un trait important pour les statisticiens. Les acquisitions de

nationalité n’affectent pas le chiffre de la population immigrée.

Par définition, les enfants nés en France de parents immigrés ne font pas

partie de la population immigrée.

Au cours des années 1990, la variable “immigré” a supplanté la variable

“étranger”, et cela s’est traduit, par exemple à l’INSEE, par le changement

au milieu des années 90 de l’intitulé de publications caractéristiques

(Contours et caractères, Insee Première), qui s’illustre dans la liste

suivante :

§ « La population étrangère, Recensement de la population de 1990

», Insee Première, n° 150, juin 1991

§ « La population étrangère en 1990 par nationalité », Insee

Première, n° 217, juillet 1992

§ « Les étrangers en France », Contours et caractères, Insee, mai

1994

§ « La population immigrée, le résultat d’une longue histoire »,

Insee Première, n° 458, juin 1996

§ « Les immigrés en France », Contours et caractères, Insee, février

1997

- 216 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les variables “étranger” et “immigré” ne sont pas bonnes ou mauvaises

en soi mais peuvent être plus ou moins pertinentes selon les questions

posées. cependant, la variable “étranger” est réellement pertinente,

particulièrement pour les questions du marché du travail par exemple, où

le critère de la nationalité structure les emplois et sépare ceux auxquels

on peut accéder de ceux auxquels on ne peut pas accéder. Un étranger

doit avoir une autorisation de travail pour travailler, ce qui n’est pas le cas

d’un non étranger.

Des exemples de bonnes pratiques

A — Des exemples de débats instruits sur internet

1. A l'initiative de deux chercheurs, Alain Blum (INED) et

Maurizio Gribaudi (EHESS), un débat public s'est engagé

entre chercheurs en sciences sociales, sur les modalités

d'utilisation des catégories ethniques en matière

d'immigration, d'intégration, et plus généralement

concernant la société française. Ce débat porte sur les

outils, théoriques et méthodologiques, aptes à saisir la

complexité présente dans les sociétés contemporaines. Une

liste très outillée de publications, de débats est

- 217 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

présente : http://www-user.ined.fr/~

blum/debat/DebatsurleWeb.html

2. L'association Pénombre a été créée en juin 1993, pour

développer un espace public de réflexion et d'échange sur

l'usage du nombre dans les débats de société.

http://ds.unil.ch/penombre

3. The IEHS (Immigration and Ethnic History Society Web

Page) website contains membership information, a list of

officers and committees, minutes of meetings, information

about the Journal of American Ethnic History and the Im-

migration and Ethnic History Newsletter, announcements of

prize and award competitions, information from the IEHS

program committee planning panels at future conferences,

and links to other organizations and research sites. http…

libertynet. org/balch/iehs

4. The H-ETHNIC Web page C, a member of the H-NET Hu-

manities & Social Sciences On-Line initiative. H-ETHNIC en-

courages scholarly discussion of ethnic history; immigration

and emigration studies and makes available diverse biblio-

graphical, research and teaching aids. H-ETHNIC's editorial

board serves a broad intellectual community. http…h-

net.msu.edu/~ethnic/

B —Le rapport français du Commissariat Général du Plan

Une source française qui pourrait fournir utilement, sans aucun doute, un

profil pour des approches et des démarches ultérieures est le rapport

récent du séminaire présidé par François Héran au Commissariat Général

du Plan (CGP) consacré à ce sujet1. Le premier intérêt que présente cette

1 Téléchargeable http…ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000590/0000.pdf et0001.pdf. Commissariat Général du Plan, Immigration, marché du travail,intégration, Rapport du séminaire présidé par François Héran, Documentationfrançaise, Octobre 2002. François Héran est actuellement Directeur de l’InstitutNational d’Etudes Démographiques (INED) ; Le Commissariat général du Plan(CGP) auprès du Premier Ministre, créé en 1946, a pour mission d’éclairer les choixpublics à travers quatre missions principales : La stratégie ; La prospective ;L’évaluation ; La concertation. Des commissions et groupes de travail rassemblentdes élus, partenaires économiques et sociaux, représentants des administrations,experts et personnalités qualifiées. On peut aussi se reporter au rapport précédentde la même institution publié quinze ans avant : Commissariat général du Plan,Immigration : le devoir d’insertion, Rapport issu du groupe de travail présidé parStéphane Hessel, 1987.

- 218 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

entrée est lié à son élaboration à partir de la présentation et de la

discussion de travaux français et étrangers, en associant aux chercheurs

des différentes disciplines concernées des représentants des partenaires

sociaux et des administrations. Le deuxième intérêt est qu’elle a permis

de recenser et de rassembler les principales sources statistiques

concernant le domaine, en réunissant à cette occasion les différents

institutions d’émission. Cette entrée a, d’ores et déjà, mené à une série

d’interrogations fructueuses dans la perspective du présent projet.

On trouve dans ce rapport les indications suivantes : En France, la

nationalité antérieure des personnes naturalisées est une question qui

figure à tous les recensements de la population organisés par l’INSEE

depuis 1962, à savoir 1968, 1975, 1982, 1990, 1999 et la distinction

entre Français de naissance, Français par naturalisation et étrangers

remonte au recensement de 1871.

En fait, la plupart des grandes enquêtes de l’INSEE permettent d’isoler la

catégorie des immigrés en les distinguant selon le pays de naissance.

Ainsi l’enquête Emploi (n= 80 000), l’enquête Formation–qualification

professionnelle (n=40 000 à 60 000), l’Échantillon démographique

permanent (extrait au 1/100 de la population recensée que l'INSEE

entretient depuis 1968) et c’est également vrai de la plupart des enquêtes

sur les conditions de vie des ménages.

Le rapport du Commissariat Général du Plan formule « quelques principes

pour la statistique publique » (Cf. François Héran, op. cit., « Les

immigrés et leurs descendants dans le système statistique français :

réflexions sur les pratiques et les principes », pp. 121-133, et

particulièrement 127-130).

Deux groupes de variables indicatrices doivent être distingués :

Les variables standard, régulièrement utilisées dans les grandes enquêtes

- L’ « indicateur de nationalité » : « Français de naissance / devenu

français / étranger »;

- Le pays de naissance qui couplé à l’indicateur de nationalité, permet

d’identifier les immigrés, au sens du Haut conseil à l’intégration (1991) –

c’est-à-dire “les personnes nées étrangères à l’étranger et installées en

France”, et de les ventiler le cas échéant selon l’origine nationale.

- L’année d’installation en France, qui permet de calculer la durée de

séjour, variable-clef de l’intégration et de substituer une « démographie

du temps » à une « démographie des groupes », c’est-à-dire d’éviter

qu’on impute à des différences culturelles ou nationales ce qui tient

d’abord au passage du temps (intégration progressive au pays d’accueil).

- 219 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les variables spécifiques, construites pour les besoins d’enquêtes

spécialisées sur la mobilité ou l’intégration, poussent le questionnement

plus loin, en remontant d’une génération.

- Pays de naissance des parents ;

- Langue dite maternelle (langue dont usaient les parents en famille dans

la jeunesse de l’enquêté).

Sont proposées trois restrictions sur l’usage des variables spécifiques :

Elles sont construites uniquement pour les besoins d’une étude

particulière, n’ont pas vocation à être consolidées dans une nomenclature

standardisée d’usage universel (sur le modèle des diplômes, par

exemple), qui pourrait se diffuser ensuite dans les usages administratifs

et il est essentiel de ne pas isoler ces variables dans la phase

d’exploitation pour en faire par défaut des facteurs explicatifs de premier

rang. Cela incite à se donner les moyens de considérer les effets de

l’origine « toutes choses égales d’ailleurs », en intégrant dans le modèle

explicatif les autres éléments du statut (sexe, âge, origine et position

sociale, diplôme, revenu, habitat, conditions de vie en général, mais aussi

durée écoulée depuis l’entrée en France...) et à écarter ainsi la tentation

d’attribuer à l’origine nationale des parents des vertus qui sont en réalité

imputables à d’autres facteurs socio-démographiques. L’auteur insiste sur

ce dernier point en notant que les méthodes de régression multiple

constituent l’outil privilégié d’un tel contrôle, si l’on spécifie correctement

le modèle.

Les modèles d’analyse statistique opérant « toutes choses égales par

ailleurs », c’est-à-dire essayant d’identifier en quoi les immigrés se

différencient encore des nationaux quand on tient compte de leurs divers

handicaps sociaux (niveau d’instruction, habitat, charge familiale…),

permettent de vérifier que la différence immigrés/nationaux n’a rien

d’intrinsèque. Mais, poussés à l’extrême, ces modèles deviennent

tautologiques : s’il possédait les mêmes caractéristiques que le reste de la

population au lieu de cumuler les handicaps, l’immigré serait évidemment

intégré. Les difficultés d’intégration sont-elles toujours spécifiques à

l’intégration des immigrés ou ne tiennent-elles pas, pour certaines, aux

difficultés d’intégration des fractions inférieures des milieux populaires

dans l’ensemble du corps social ? Comment se répartit la charge du travail

d’intégration entre les diverses catégories sociales ou entre les diverses

catégories de communes classées selon leur profil social (notamment la

question du logement social) ? La coexistence des immigrés et des «

natifs » (souvent issus de vagues d’immigration plus anciennes) ne

concerne-t-elle pas d’abord les classes populaires ? Pour éviter d’imputer

hâtivement les écarts observés dans les chances d’accès aux biens de

toute sorte et dans les difficultés à des différences intrinsèques entre les

groupes alors qu’ils peuvent résulter pour une large part des conditions et

- 220 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

des circonstances de l’installation sur le territoire, la durée de séjour

(ancienneté), l’âge à l’entrée (moment de la socialisation), la date

d’entrée constituent des variables essentielles.

Ces approches amènent à envisager que les écarts résiduels observés

entre certaines nationalités d’origine seraient imputables à des effets de

discrimination. Il convient cependant de ne pas tenir cette conclusion pour

acquise tant qu’on n’a pas établi la réalité des comportements

discriminatoires par des observations et des interrogations directes. Les

propositions (n°40 sq, pp. 19-21) énoncées en entrée dans le rapport

portent sur cette question de la discrimination pour conclure que la lutte

contre les discriminations au travail ou ailleurs doit pouvoir s’appuyer sur

des études circonstanciées, qui abordent le problème dans sa double

dimension objective et subjective (n°50).

Le Haut Conseil à l'intégration s’appuyant sur les travaux de Michèle

Tribalat, démographe à l'INED avait proposé d’appeler « immigrés » les

personnes nées à l'étranger, entrées sur le territoire avec une nationalité

étrangère et résidant en France depuis un an au moins, en bref : les

résidents nés étrangers à l'étranger (rapport du HCI, 1991). François

Héran note qu’on peut étudier, partant de ce point de départ fixe, la

progression de l'assimilation avec le temps sans que le dénominateur des

taux ne varie en cours de route. Mais on reste « immigré » toute sa vie,

puisque les critères retenus sont liés au passé (lieu de naissance,

nationalité d'origine, franchissement d’une frontière même si la nationalité

a pu changer par la suite) : ce qui ne fait pas l'unanimité y compris à

l’INED, pour ceux qui ne se résignent pas à l’idée que l’on puisse assigner

pour la vie une personne à son lieu de naissance et à sa nationalité.

L’auteur rajoute que l’argument est toutefois affaibli par le fait que l’on

pourrait en dire autant d'une variable d'étude comme la catégorie sociale

des parents, pourtant indispensable aux études de mobilité sociale.

Un inconvénient : la définition officielle de l'immigré est difficile à mettre

en œuvre (des études comparées des recensements successifs révèlent

que beaucoup d'immigrés devenus Français, surtout s'ils sont entrés

jeunes en France, préfèrent se déclarer rétrospectivement « Français de

naissance », tant ils se sentent assimilés et soustraient de l'observation

instantanée une partie importante des immigrés.

Un point important : cette définition démographique de l'immigration

adoptée il y a dix ans en France n'est guère reconnue à l'étranger. Or les

pays d’Europe ne sont pas en phase du point de vue des cycles

migratoires et les projections démographiques qui figent durablement les

situations nationales sans prendre la mesure de ces déphasages

historiques n’ont guère d’intérêt. Il faut également en tenir compte si l’on

- 221 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

veut harmoniser convenablement les politiques migratoires d’un pays à

l’autre.

Des enquêtes récentes servent le thème …….

Mais il y a maintenant dans la statistique publique des enquêtes qui

poussent l’investigation plus loin en remontant d’une génération et

demandent le pays de naissance des parents (père ou mère), de façon à

cerner la situation des enfants d’immigrés et non plus seulement des

immigrés eux-mêmes ; toutes ces enquêtes ont obtenu le visa du Conseil

national de l’information statistique (CNIS) et ont été ensuite examinées

par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a

accordé un avis favorable à leur traitement informatique : 1986,

Catherine Bonvalet, « Peuplement de Paris », INED ; 1992, Michèle

Tribalat, MGIS (« Mobilité géographique et insertion sociale»), INED –

INSEE ;

L’enquête « Étude de l’histoire familiale » (EHF) a été réalisée par l’INSEE

et l’INED en 1999. Elle est le prolongement de l’enquête «Famille»

réalisée en complément de chaque recensement de la population depuis

1954. En 1999, 380 000 personnes de 18 ans et plus vivant en logement

individuel ont répondu au questionnaire auto-administré en France

métropolitaine : 145 000 hommes et 235 000 femmes. Cette enquête a

été étendue également aux prisons et aux maisons de retraite. Le

questionnaire porte essentiellement sur les parcours familiaux (enfants et

unions), les trajectoires professionnelles, l’origine sociale, la transmission

familiale des langues. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les

informations issues du bulletin de recensement de la personne, ainsi que

celles des autres membres de son ménage ont pu être retrouvées. Seules

les réponses des personnes ainsi appariées, soit 96,5 % des personnes

enquêtées, sont ici exploitées. En effet, la définition des familles

monoparentales repose sur une analyse des ménages et la présence

d’enfants au domicile ne pouvait être définie de façon certaine que

lorsqu’un bulletin de recensement avait été rempli. La pondération

élaborée par l’INSEE et l’INED, a donc été légèrement aménagée pour

tenir compte de cette différence de champ. Les chiffres qui ont été d’ores

et déjà présentés1 sont issus de l’exploitation du fichier définitif. Un travail

de redressement a été réalisé par l’INSEE et l’INED. Est contenue une

opération vaste sur la question des langues : le volet linguistique de

l’Étude sur l’histoire familiale porte sur un échantillon aléatoire où on

demande à chacun d’indiquer « en quelles langues, dialectes ou “patois” »

son père, puis sa mère, lui « parlait habituellement dans l’enfance, vers

1 http…sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er-pdf/er218.pdf

- 222 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

l’âge de cinq ans », et une génération plus tard, en quelles langues lui-

même a parlé habituellement à ses propres enfants quand ces derniers

avaient cinq ans. Il devient donc possible de retracer sur l’essentiel du

XXème siècle la dynamique de la diffusion des langues, en particulier la

rapidité du passage au français dans les vagues successives d’immigration

(groupe de travail réunissant des chercheurs de l’INED et de l’INSEE et

des sociolinguistes).

L’enquête : " histoire de vie " , à l'Institut national de la statistique et des

études économiques (INSEE), sur la construction des identités se déroule

actuellement auprès de 8000 personnes.

Elle a pour objectifs de décrire, de hiérarchiser et d'analyser les différents

types de liens sociaux qui permettent aux personnes de s'intégrer dans la

société française.

Le questionnement vise à mesurer comment chaque individu construit sa

relation aux autres et à la société en général, en fonction de sa trajectoire

personnelle (origines géographiques et sociales, mobilités, projets) et de

son appartenance à certains groupes sociaux (classe d'âge, situation

professionnelle, situation familiale, état de santé, engagement éthique,

pratiques culturelles). Les différentes catégories d'informations traitées

concernent respectivement :

- les repères biographiques : biographie familiale, résidentielle, vie

professionnelle, aisance financière, périodes de vie, événements

marquants ;

- les appartenances et les identifications : situation familiale, origines

géographiques (nationalité, langues, généalogie, parents, lieux

d'attachement), sphère des idées (politique, religion, convictions), sphère

professionnelle (situation par rapport à l'emploi), revenus et patrimoine,

loisirs et occupations, santé (handicaps, corps et apparence,

personnalité).

- les relations avec les autres et les discriminations (comportements

négatifs et positifs)1.

L’enquête : "seniors immigrés en france", lancée par de nombreuses

institutions (CNAV et l’INSEE, avec le concours de l'ARRCO, du FAS, de la

MSA, de la Caisse des Mines), vise à connaître la diversité des situations

des immigrés âgés. Familles séparées ou regroupées, hommes

célibataires ou mariés esseulés, chefs de ménage vivant en famille,

couples mixtes, femmes immigrées âgées vivant seules ou cohabitant

avec des enfants, diversité des origines..., les situations sont multiples.

Quels sont, selon ces situations, les profils de carrière, les histoires de vie,

les histoires familiales d’une génération à l’autre ? Quelles sont les

1 Cette enquête pourrait être un pilote intéressant pour l’Europe

- 223 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

perspectives de ces migrants, à l’heure de la construction de l’Europe et

de l’accélération des mouvements migratoires dans le monde ? La

nécessité de prendre en compte la réalité de la présence d'immigrés âgés

en France passe nécessairement par une meilleure connaissance de leurs

situations sociales, familiales et professionnelles, associée à l'étude de

leurs trajectoires et de leurs histoires de vie. Que signifie être âgé et

immigré, en termes de niveaux de vie, de modes de vie, de besoin de

logement, de santé, de services, d'aide sociale, de vie associative, de

souhaits ou de projets quant à l'avenir. Leur faible présence dans les

maisons de retraite, qui contraste avec le poids accru des vieux au sein

des foyers de travailleurs, montre la nécessité d’adapter les systèmes de

prise en charge existants aux problèmes spécifiques que peut poser le

vieillissement pour des personnes immigrées.

Les données de cette enquête peuvent avoir des retombées en terme de

politique sociale. Elle devrait aussi contribuer à faciliter les procédures de

gestion des retraites grâce à une meilleure évaluation des flux de

populations.

L'enquête en cours porte sur un échantillon aléatoire de personnes tirées

du recensement de 1999, parmi l'ensemble des personnes immigrées qui

vivaient en France à cette date. Les personnes sélectionnées présentent

les caractéristiques suivantes : elles sont âgées de 45 à 70 ans, nées non

françaises et hors de France. L'objectif est d'obtenir à partir d'un tirage de

12 000 fiches adresses, 6 à 7 000 questionnaires renseignés et complets.

Cette enquête bénéficie du concours du réseau d'enquêteurs

professionnels de l'INSEE, qui a une implantation nationale. Il a été tiré

6278 questionnaires. Un premier questionnaire "papier" a été testé auprès

de 50 personnes en juin 2001. Deux autres tests "CAPI" (le questionnaire

a été informatisé) ont suivi en janvier et juin 2002, dans cinq régions

différentes. 25 enquêteurs et 350 personnes au total y ont participé. Ces

tests ont confirmé la grande diversité des situations d'immigration selon

les régions et notamment l'importance de l'immigration de retraite dans le

Sud, ou les particularités des frontaliers dans le Nord.

Calendrier : La phase de collecte des données a débuté mi-novembre

2002 et devrait être achevée en février 2003. Les premiers résultats sont

prévus pour le dernier trimestre de l'année 2003.

Le programme de recherches sur le thème des “circulations migratoires”,

lancé par la Mission Recherche (Mire) avec l'appui de la Direction des

Populations et des Migrations (Ministère de l’intérieur) et du FASILD

(Fonds d'action et de soutien pour l'intégration)1

1 Cf. Cahiers de recherches de la MIRE, 2001-2003, n° 12 à 16 ; Migrations études,n° 98 , 2001 et 108, 2002, Migrations et Société n°90, 2002, Hommes etMigrations, n°1233, 2001 et 1240, 2002, Cahiers de l’INED, n° 149, 2002, Rev.Europ. des Mig. Intern., n°20, 2004. Voir aussi la synthèse du programme rédigée

- 224 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

………. Mais les résultats montrent fréquemment des lacunes en matière de

croisements statistiques “étrangers”, “immigrés”, Famille

Aujourd’hui, à partir des variables qui sont quasiment dans toutes les

grandes enquêtes et le recensement, on a tous les éléments pour traiter

les questions d’immigrations et celles concernant les familles.

C’est-à-dire que sont présentes du point de vue statistique, dans toutes

les enquêtes existantes, les variables étrangers et immigrés : nationalité

des personnes, nationalité de naissance ou par acquisition, lieu de

naissance, etc. Partant, on peut exploiter toutes ces enquêtes

(recensement, enquête-emploi, condition de vie, enquête dite famille,

etc.) aussi bien au regard de la variable étranger, qu’immigré. Avec, en

plus, une enquête ad hoc famille qui va approfondir toutes les questions

de ce que l’on appelle identité ou origine.

Dans ces mêmes enquêtes, sont toujours présentes les variables “famille”,

c’est-à-dire leur quotient familial (réduction fiscale associée à la présence

d’enfant dans le ménage), statut marital, conjugal, nombre et âge des

enfants, configuration familiale, divorce, etc.

D’une certaine manière, dans la production statistique routinière, on a les

deux types d’ensemble de variables qui existent et la variable

étranger/immigré est assez bien exploitée.

Il y a notamment une publication récente de l’INSEE au regard de tout un

ensemble de questions : le logement, l’emploi, la fécondité. La variable

famille est bien exploitée même si elle n’est pas exploitée suffisamment

sous tous les aspects, pas exploitée systématiquement.

Par exemple, beaucoup de gens travaillent sur les corrélations ou même

les relations de causalité entre l’emploi et la famille (par exemple :

Famille et chômage, Haut Conseil à la Population, juillet 1999) notamment

en considérant le nombre d’enfants. Or, dans la publication de l’enquête

emploi, il y a beaucoup de tables croisées mais pas ceux qui conduiraient

à croiser les variables “famille” avec tout ce qui est lié à l’emploi, secteurs

d’activités, catégories socioprofessionnelles, etc.

Il y a sans doute une sous-exploitation dans la production standard de

l’INSEE, mais la dimension famille est beaucoup plus utilisée dans des

enquêtes ad hoc ponctuelles, liées à un chercheur et il y a une commande

institutionnelle à un moment donné.

Les variables existent, il y a tout ce qu’il faut dans l’appareil statistique

français pour étudier les croisements.

Mais il y a aujourd’hui a fortiori encore moins d’exploitation systématique

avec des croisements immigrations, étrangers, immigrés, et dimension

familiale, et aucune d’ailleurs de façon routinière.

par Patrick du Cheyron, à paraître en 2004 dans la Revue française des affairessociales.

- 225 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Quand on regarde les publications de l’enquête emploi on va avoir à un

moment donné étrangers ou immigrés mais avec en sortie uniquement un

taux de chômage par secteur d’activité, mais rien par rapport à la famille,

et a contrario partant de la famille, on observe des sorties en matière

d’emploi mais rien de croisé avec étranger, immigré.

On peut prendre un exemple dans une publication récente de l’INSEE à

partir du recensement de 1999 (livre + Cd).

Reste à noter, enfin, qu’il est d’usage dans les institutions nationales

relevant de l’Etat ou de la Sécurité sociale, par exemple, de parer à

d’éventuelles utilisations “abusives” de certaines données sensibles, de

façon impropre, voire stigmatisante, dans la controverse politique, en ne

réalisant pas un certain nombre de croisements, tel que l’origine des

bénéficiaires de prestation sociales, ou de les agréger à d’autres comme

dans le cas de la population des prisons, pour empêcher la confection d’un

pourcentage d’immigrés dans les prisons françaises qui, pour le

statisticien, n’ a aucun sens en dehors des effets de structure.

R emarque complémentaire : les situations des déboutés et des mineurs

isolés mériteraient un examen plus approfondi

D’une part, la situation des mineurs étrangers isolés qui arrivent aux

frontières de la France sans représentant légal, généralement sans point

de chute ou relais familial renvoie immédiatement à de nombreux dangers

liés à l'errance, aux réseaux criminels, etc. Or, ces mineurs ne sont pas

traités comme des mineurs en danger mais simplement comme des

mineurs sans représentants légaux, en l'absence de représentant de

l'autorité parentale : Cette position illustre une lecture extrêmement

étroite du critère de danger posé par le code civil souligne Michèle Creoff,

Inspectrice principale des affaires sanitaires et sociales, spécialiste de la

protection de l'enfance dans une importante contribution accessible sur

internet1. Cette question des mineurs isolés est aujourd’hui une question

cruciale parmi celles relevant de la protection de l’enfance et, partant, de

la politique familiale des Etats.

D’autre part, sur la population entrant sur le territoire et faisant une

demande d’asile, une partie est déboutée et devient clandestine. Ce

problème n’est pas seulement lié aux individus, un par un, mais aussi à

leur famille. Ce faisant, l’impact de la décision touche plusieurs personnes.

Il n’existe pas aujourd’hui de donnée ou trop peu pour permettre

d’objectiver les situations qui paraissent recouvrir des parcours familiaux,

1 Cf. http…gisti.org/doc/plein-droit/52/danger.html : Michèle Creoff, « Mineursétrangers isolés en danger », Qu'est ce qu'un enfant en danger ? Plein Droit n° 52,mars 2002, Inspectrice principale des affaires sanitaires et sociales, spécialiste dela protection de l'enfance

- 226 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

éventuellement des familles à un seul parent. Il n’existe que de rares

études issues de témoignages provenant d’associations telles que l’Ordre

de Malte ou France terre d’asile ou, encore, des travailleurs sociaux, qui

tendent à indiquer cette dimension familiale. En réalité, il n’y a pas pour

ces personnes de catégories administratives et, partant, pas de structures

dédiées aux déboutés, de données, peu de recherches, une difficulté à

construire une doctrine en matière de prise en charge, de protection

sociale.

Dans ces deux cas, l’absence de chiffrage ne facilite pas la mise sur

agenda et confine le sort de ces personnes et des familles qui leur sont

liées au “non-problème” politique.

- 227 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

GRÈCE- CHAP. 15 - DÉVELOPPEMENT DURABLE : LES MIGRANTS

À LA CROISÉE DE L’ESPACE ET DU TEMPS

VIVIE PAPADIMITRIOU

Introduction

Migrations

La situation actuelle de la Grèce en matière de migrations

DéfinitionsImmigration régulièreImmigration clandestineRéfugiés et demandeurs d’asile

Situation des migrants par rapport à l’emploi

PROBLÈMES STATISTIQUES

Analyse des données disponibles relatives aux profil des migrantscandidats au permis de séjour temporaire (carte blanche)NationalitéSexeRépartition géographique des migrantsProfil migratoire des régions

PRINCIPAUX DÉBATS : LE REGROUPEMENT FAMILIAL ET LES MINEURS ISOLÉS

Enquête du F.C.C.C. sur les mineurs isolés

Le temps des personnes migrantes

Législation en matière de congésDéfinition de la notion de temps libreEnquête sur l’usage du temps par les migrants du Professeur KoulaKassimati de l’Université du PanthéonRésultats de la recherche réalisée par MRB HellasEnquête sur l’usage du temps par les migrants réalisée par le F.C.C.C.

Recommandations

Références bibliographiquesSites Internet de référenceAnnexe : questionnaire de l’enquête du F.C.C.C.

- 228 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Introduction

Dans le cadre de ce rapport, le F.C.C.C. (Family and Child Care Centre)1

s’est donné comme objectif l’analyse de la situation socio-démographique

des migrants actuellement résidant en Grèce et des usages du temps

pratiqués au sein de cette population, en se basant sur la méthodologie

des enquêtes budget-temps.

Préalablement à cette recherche, l’état des lieux des politiques de

migrations en Grèce et dans l’Union européenne a été réalisé.

La situation actuelle de la Grèce en matière de migrations

Le nombre d’Etats membres de l’Union européenne qui sont des pays de

destination pour l’immigration a augmenté considérablement. La Grèce,

en particulier, rencontre, depuis les années quatre-vingt, une situation

inédite dans ce domaine. Quant à l’Union européenne, elle travaille à

l’harmonisation des politiques d’asile non seulement au sein des Etats

membres actuels mais également avec les pays qui vont faire partie du

prochain élargissement.

Depuis la fin de la Guerre froide, la Grèce doit faire face à un nombre

considérable de réfugiés politiques et économiques en provenance des

Etats de l’ex-Union soviétique, ainsi que de personnes d’origine grecque

qui souhaitent rentrer au pays. On estime à 80.000, le nombre de

personnes grecques originaires de régions proches de la Mer Noire

(Pontos) qui sont rentrées en Grèce au cours de ces dix dernières années

et entre 350.000 à 500.000, les personnes d’origine grecque (Epire du

Nord) qui sont rentrées d’Albanie.

La Grèce est, par ailleurs, un pays de transit2 pour un certains nombre de

migrants, en raison de sa frontière commune avec plusieurs Etats et de sa

facilité d’accès par la mer.

Selon les prévisions de l’Organisation des Nations Unies , en 2015, la

Grèce devrait compter environ 3,5 millions d’immigrés sur une populations

totale de 14,2 millions de personnes. Actuellement, les immigrés

représentent 7% de la population hellénique, soit le pourcentage le plus

élevé de l’Union européenne, à l’exception du Luxembourg. Ce chiffre

1 Centre de Soutien pour la Famille et l’Enfant2 La période de transit est évaluée entre trois et cinq ans

- 229 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

pourrait progresser jusqu’à atteindre 25% de la population selon certaines

extrapolations.

Selon une étude récente réalisée par l’Université du Panthéon,

l’émigration vers la Grèce suit une progression ascendante et possède un

certain nombre de caractéristiques :

- Lors du recensement de 1981, 176.119 personnes immigrées ont été

enregistrées contre 797.093 lors du recensement réalisé en 2001.

Parmi les ressortissants des Etats de l’ex-Union soviétique, une majorité

importante des migrants sont des femmes.

- La majorité des migrants ont entre 30 et 34 ans, ce qui correspond à la

classe d’âge pour laquelle le taux d’emploi est le plus élevé.

- Deux migrants sur trois sont des hommes. Parmi ceux-ci, 65%

proviennent d’Albanie, 6,5% de Bulgarie, 4,5% de Roumanie, 4,2% du

Pakistan, 2,6% d’Ukraine, etc. En raison de l’importance de l’émigration

de l’Albanie vers la Grèce, le gouvernement grec envisage d’accorder à

300.000 migrants originaire de ce pays la possibilité d’acquérir la

nationalité grecque1. Cette annonce n’a néanmoins pas encore été

confirmée officiellement.

- 51,2% des étrangers qui ont introduit une demande de permis de séjour

sont mariés.

- Un peu moins de la moitié des hommes immigrés (42,8%) travaille dans

le secteur de la construction et un peu moins d’un quart (23,7%) dans

l’industrie manufacturière. En ce qui concerne les femmes immigrées, la

majorité (55%) travaille comme femmes de ménage et 14% dans le

secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Selon une enquête réalisée

par les Autorités de l’Administration Indépendante du « Défenseur des

Citoyens », les migrants sont souvent surqualifiés par rapport aux emplois

qu’ils occupent. Leurs salaires sont modestes, ils ne bénéficient pas de la

sécurité sociale et ils n’ont pas la possibilité de se regrouper avec leurs

compatriotes pour défendre leurs conditions de travail ni d’adhérer à une

organisation syndicale.

- 37,05% des migrants ont terminé leurs études primaires, 49,16% leurs

études secondaires et 8,89% sont titulaires d’un diplôme universitaire.

- Selon les données officielles disponibles, la proportion de femmes

immigrées titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire ou

universitaire est supérieur à celle des hommes.

La société grecque (MRB Hellas)2 a réalisé, pour sa part, une recherche,

qui a abouti à des conclusions similaires. 491 interviews de personnes

1 Journal Kathimerini, 13/06/2003.2 MRB Hellas, « Tendances des Groupes sociaux – Immigrés dans la préfecture dela capitale grecque », juin 2002.

- 230 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

immigrées ont été réalisées. Celles-ci étaient réparties en quatre

groupes :

- Les personnes originaires d’Albanie (51,9% de l’échantillon) ;

- Les personnes originaires des pays de l’Europe centrale et orientale, des

Balkans et des Etats de l’ex-Union soviétique (Bulgarie, Roumanie,

Pologne, Ukraine, Géorgie, Arménie, Yougoslavie, Moldavie) (22,2% de

l’échantillon) ;

- Les personnes originaires d’Asie (Pakistan, Bengladesh, Philippines,

Inde, Sri Lanka) (13,6% de l’échantillon) ;

- Les personnes originaires du Proche-Orient et d’Afrique (Egypte, Irak,

Syrie, Nigeria, Ethiopie) (12,2% de l’échantillon).

D’après les résultats de la recherche, 65% des migrants vivent en famille

et 44% avec leurs enfants. La moitié des migrants sont en Grèce depuis 6

à 10 ans, parmi lesquels sont sur-représentées les personnes originaires

d’Albanie. De la même façon, parmi les 44,2% de migrants âgés de 25 à

34 ans, la plupart sont originaires d’Albanie, alors que la majorité des

migrants de plus de 45 ans proviennent de l’Europe de l’Est et des

Balkans.

Le tableau (page suivante) tente de faire la synthèse des principales

difficultés rencontrées par les migrants en Grèce.2

78% des migrants interrogés se déclarent satisfaits de leurs conditions de

vie en Grèce avec néanmoins un taux de satisfaction moindre pour les

personnes en provenance d’Asie, d’Afrique et du Proche-Orient. Selon un

article publié précédemment par MRB Hellas, il apparaît que 53% des

migrants souhaitent rester en Grèce, tandis que 17% envisage de

s’installer aux Etats-Unis, 9,7% en Italie, 8,4% en Allemagne et 7,8% en

Grande-Bretagne.

2 MRB Hellas, op.c.

- 231 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Difficultés par

pays ou région

d’origine

(en%)

Albanie Europe

centrale,

orientale

et Balkans

Asie Afrique et

Proche-

Orient

Moyenne

Racisme 29,0 13,9 23,5 30,9 25,1

Difficultés

économiques

24,7 26,6 26,1 21,6 24,9

Chômage 18,1 17,2 25,1 28,2 20,1

Crainte de

l’expulsion

21,6 16,9 5,7 17,2 17,9

Difficulté

d’obtention du

permis de séjour

9,3 6,5 9,8 11,5 9,1

Bureaucratie 6,2 9,9 8,6 9,4 7,7

Mauvaises

conditions de

travail

7,4 5,6 8,6 10,0 7,5

Difficultés pour

entrer et sortir

du pays d’accueil

4,2 3,4 10,2 5,9 5,0

Insuffisance de

couverture et

d’assistance

sociale

4,0 7,6 5,1 3,8 4,9

Isolement social 4,5 4,0 9,5 2,5 4,8

D’après la recherche réalisée en juin 2002, il ressort, en outre, que 44,2%

des migrants sont insatisfaits de leurs revenus. Néanmoins, 53,4% ont

une évaluation positive du système de santé, 53,8% des prestations de

sécurité sociale et 62,4% des relations avec leurs employeurs.

Enfin, une majorité de migrants (51%) se déclare également satisfaits de

leur vie sociale et plus des trois quart (79%) se sentent libre de pratiquer

leur religion.

Des études publiées au cours de ces dernières années et des débats

politique actuels, il ressort, qu’en Grèce, les problèmes majeurs liés à

l’immigration aujourd’hui sont l’inadaptation des procédures légales

d’immigration, l’inadéquation de l’emploi disponible avec les qualifications

- 232 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

des migrants, leur difficulté à construire des réseaux de solidarité et

l’immigration clandestine.

L’absence de politique officielle d’immigration se fait sentir et la mise en

œuvre par l’administration de mesures en faveur d’une meilleure

intégration des migrants est urgente et nécessaire. Pour parvenir à des

résultats, la politique d’immigration doit prendre en compte les questions

sociales et s’appuyer notamment sur des collaborations avec les

associations de la société civile actives dans ce domaine.1

Définitions et statuts

Dans la perspective de pouvoir établir des comparaisons au niveau

européen dans le cadre de la présente recherche, nous présentons ci-

dessous plusieurs définitions des migrants en fonction de leur statut

migratoire.

D’une manière générale, les migrants sont des personnes qui quittent

volontairement ou involontairement leur pays pour des raisons politiques,

familiales ou économiques. Ils peuvent être reconnus comme réfugiés

politiques si la migration à pour origine des persécutions d’ordre raciste,

liées à la religion ou à leurs opinions politiques.

Les « réfugiés économiques », par contre, sont des personnes dont la

décision d’émigrer est motivée par des raisons liées au marché du travail.

Immigration régulière

Les immigrés réguliers sont :

- Les personnes qui sont entrées dans le pays d’accueil dans le cadre des

procédures d’immigration officielles, qui possèdent un permis de séjour et

un permis de travail. Les personnes d’origine grecque mais ressortissante

d’un pays étrangers sont reprises dans cette catégorie.

- Les ressortissants d’un Etats membre de l’Union européenne, en raison

de la libre circulation, ont le droit de s’installer en Grèce et obtiennent un

permis de séjour et un permis de travail sur simple demande.

1 Données tirées d’une étude réalisée par Iordannis Psimmenos, Professeur desociologie à l’Université d’Athènes (dans le cadre d’un ouvrage collectif consacré àl’immigration publié en 2000)

- 233 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les personnes qui sont ressortissante d’un pays situé en dehors de l’Union

européenne doivent être en possession d’un permis pour séjourner en

Grèce (Loi 1975/91 sur les étrangers).

Pour obtenir un permis de séjour d’une durée d’un an (carte verte

renouvelable), le candidat doit fournir (Loi 2910/mai 2001) : Une

attestation de travail certifiée par l’employeur sur base d’un contrat ; une

adresse de résidence ; une assurance sociale.

Le permis de séjour donne aux migrants les mêmes droits qu’aux

ressortissants grecs en matière notamment de remboursement des soins

de santé et des médicaments, de congé de maternité, de congé parental,

de congé pour soins aux personnes dépendantes de la famille (parents

âgés dépendants, personnes handicapées).

Immigration clandestine

Cette catégorie recouvre la plupart du temps (60% de l’immigration

clandestine) des personnes qui sont entrées dans le pays avec un visa de

touriste, comme étudiant ou pour des raisons professionnelles et qui ont

prolongé leur séjour au-delà de la limite de validité de leur titre de séjour.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Les réfugiés sont des personnes qui entrent dans le pays dans le cadre de

l’Article 1, paragraphe 2(A) de la Convention de Genève (de 1951) et qui

sont reconnus comme tels par les autorités grecques.

Ils bénéficient des soins médicaux et pharmaceutiques gratuits et les

enfants ont le droit de fréquenter l’école. D’une manière générale, leurs

droits sont identiques à ceux des ressortissants grecs. Les personnes

handicapées ont également accès aux mêmes aides que les nationaux

dans la même situation.

Onze centres de réception pour les candidats réfugiés sont répartis dans

les grandes villes du pays où ils sont accueillis dans des conditions

décentes et ont la possibilité de suivre des cours de langue.

A la suite d’une décision de la Hiérarchie du Synode de 1984, l’Eglise

orthodoxe, dans le cadre d’un plan pour la protection des réfugiés et des

- 234 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

immigrés, a mis en œuvre un programme de construction de maisons et

d’hôpitaux, ainsi que d’organisation de soins médicaux et de fourniture de

repas.

Situation des migrants par rapport à l’emploi

Selon la Loi 1975/1991 sur les étrangers, toutes les personnes étrangères

qui résident légalement sur le territoire grec ont le droit d’exercer leur

profession dans le cadre d’un emploi, dans la mesure où ils satisfont aux

critères de connaissances et de compétences requises.

Les personnes en situation régulière en possession d’un permis de travail

sont essentiellement employées dans le secteurs des services, ainsi que

l’hôtellerie et la restauration. Un petit nombre d’entre aux travaillent dans

le secteur des transports et des communications, et dans l’industrie.

L’analyse de l’emploi des migrants originaires de pays tiers de l’Union

européenne présente un intérêt particulier. L’emploi de ces personnes

influence le marché du travail grec et la situation en matière de chômage.

Selon la Confédération du Travail, les migrants non-européens en

situation illégale occupent principalement des emplois saisonniers dans les

secteurs de l’agriculture ou de la pêche (personnes originaires d’Egypte,

de Pologne et d’Asie), du tourisme, des hôpitaux ou des services

domestiques (femmes en provenance d’Albanie et des Philippines), de la

construction (personnes originaires de Pologne et d’Albanie) et de

l’artisanat.

L’emploi non déclaré est évalué à 9% de la population active et

représente 20% de l’emploi de type salarié en raison de la nature des

activités concernées. Un travailleur clandestin coûte à l’employeur entre la

moitié et deux tiers de moins qu’un travailleur déclaré en raison des

économies réalisées sur les cotisations de sécurité sociale et du fait que

les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. Ces personnes

composent ce qui est appelé le secteur de « l’économie informelle ».

D’après les données disponible, on constate une spécialisation ethnique

des migrants à la fois du point de vue des secteurs d’activité économique

que sur le plan géographique des régions où ils s’installent. Les

ressortissants albanais, par exemple, sont majoritairement occupés dans

le secteur agricole (culture et élevage), tandis que les Polonais travaillent

- 235 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

dans la construction et les Philippins dans les services domestiques. La

plus grande partie d’entre eux sont installés à Athènes et dans ses

environs.

- 236 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les migrants en situation irrégulière possèdent des caractéristiques

communes. Ils ont tendance à déménager et à changer d’emploi

souvent. Leurs salaires et leurs horaires de travail sont très flexibles. Ils

sont confrontés davantage que les migrants en situation régulière aux

problèmes de langue et de différences de mentalités.

D’après la recherche réalisée par MRB Hellas déjà citée1, parmi les 85%

des migrants qui travaillent dans le secteur formel, 23,3% sont employés

dans la construction (principalement les Albanais), 13,4% sont

commerçants (surtout les personnes originaires d’Asie et d’Afrique) et

13% travaillent dans les services domestiques (en majorité les femmes en

provenance de l’Europe centrale et orientale et des Balkans).

48,4% des migrants travaillent 8 heures par jour et 29,5%

(essentiellement les personnes originaires du Proche-Orient et d’Afrique et

Ethiopie) entre 9 et 12 heures par jour. Il est très important de constater

que la majorité des migrants (67,2%) bénéficient d’une couverture

sociale, 10% sont couverts d’une autre manière et 21,8% n’ont aucune

assurance sociale (surtout les femmes originaires d’Asie, du Proche Orient

et d’Afrique et Ethiopie).

Problème statistiques

Théoriquement, le dénombrement des personnes d’origine étrangères

vivant en Grèce devrait être simple. En pratique, il se heurte à

d’importantes difficultés et un examen approfondi des données relevant

des différentes sources disponibles est rendu nécessaire.2

Ces difficultés sont dues aux raisons suivantes :

- A partir des années quatre-vingt-dix, se produit une arrivée massive de

migrants en provenance d’Albanie, parmi lesquels des personnes d’origine

grecque venant de l’Epire du Nord (sud de l’Albanie), ainsi que de

personnes d’origine grecque fuyant les Etats de l’ex-Union soviétique pour

des raisons politiques.

- Les critères imposés par les autorités pour le calcul du nombre

d’immigrés sont vagues.

1 MRB Hellas, op.c.2 Karydis X. Vassilis, 1996. « La criminalité des immigrés en Grèce. Questionsthéoriques et politique anti-criminelle », Athènes, Papazissis.

- 237 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- Dans de nombreux cas, des immigrés clandestins en possession d’un

permis de travail saisonnier ou d’un permis de travail temporaire dont

l’échéance est dépassée sont considérés comme légaux par les

statistiques.

- S’ajoute à cette situation, l’incapacité à recueillir des informations sur les

personnes qui sont entrées légalement sur le territoire mais qui ont

prolongé leur séjour après l’expiration de leur permis de séjour ou de leur

visa.

Analyse des données disponibles relatives aux profils des migrants

candidats au permis de séjour temporaire (carte blanche)

Notre analyse se fonde sur les données recueillies par l’Institut National

du Travail (I.N.T.) qui a mené la première recherche systématique en ce

qui concerne le recensement des immigrés en Grèce. Grâce à cette

initiative, sont disponibles pour la première fois des données relatives à la

nationalité, au sexe, à l’âge, à la situation familiale, au niveau d’éducation

et à la localisation des migrants sur le territoire.

Dans une seconde étape, l’analyse des données fournies par l’I.N.T. a

permis d’appréhender l’adéquation entre les caractéristiques socio-

économiques des migrants en fonction de leur nationalité d’origine et les

politiques développées par le gouvernement. Des différences importantes

apparaissent, en effet, entre les différentes nationalités de migrants qui

sont susceptibles de justifier l’adoption de mesures politiques également

différenciées.

Selon l’I.N.T., les données relatives aux immigrés qui ont demandé la

carte blanche peuvent être considérées comme très fiables1. Par ailleurs,

des données quantitatives sur les personnes migrantes en situation

clandestines sont également disponibles, bien que quelques réserves sont

en droit d’être soulevées par rapport à l’interprétation douteuse de

certains éléments d’archives.

1 En 1997, une loi sur l’enregistrement des immigrés en provenance de pays tiersde l’Union européenne est entrée en vigueur selon laquelle les personnesdemandant l’obtention d’un permis de séjour et de travail à durée déterminéedoivent se faire enregistrer auprès de l’Organisation pour l’Emploi et la Force deTravail (OAED).

- 238 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Nationalité

Les migrants qui ont introduit une demande de carte blanche

représentent plus de 120 nationalités dans le monde entier. Presque

tous les continents sont représentés. Néanmoins, malgré cette énorme

diversité, la majorité écrasante des migrants proviennent d’un petit

nombre de pays. En particulier, 91% des migrants sont originaires des

dix pays que sont l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, le Pakistan,

l’Ukraine, la Pologne, La Géorgie, l’Inde, l’Egypte et les Philippines.

L’Albanie est le premier pays d’émigration vers la Grèce et 65% des

personnes qui ont introduit une demande de carte blanche sont de

nationalité albanaise. Vient ensuite la Bulgarie dont sont originaires

seulement 6,8% des candidats à la carte blanche. La prédominance de

l’Albanie est énorme en nombre de personnes compte tenu de l’écart de

pourcentage avec le deuxième pays qu’est la Bulgarie.

La Roumanie est le troisième pays le plus important comme pays d’origine

des immigrés avec 4,6% des candidats porteur la nationalité roumaine. Le

Pakistan suit avec 2,9%, l’Ukraine avec 2,6%, la Pologne avec 2,3%, la

Géorgie avec 2,0%, l’Inde et l’Egypte avec 1,7% chacun, les Philippines

avec 1,4% et la Moldavie avec 1,2%. Les autres pays ensemble

représentent 1% des personnes qui ont introduit une demande de carte

blanche.

Le fait que les pays d’émigration les plus importants soient des pays

balkaniques voisins de la Grèce n’est pas sans répercussions sur la forme

de l’immigration et sur l’intégration des migrants en Grèce.

Sexe

D’après l’analyse des données disponibles, les femmes ne

représenteraient que 26% du total des migrants qui ont demandé la carte

blanche. Néanmoins, leur profil se différencie de manière sensible de celui

des hommes. L’apparition de la Bulgarie au deuxième rang des

nationalités d’origine des migrants notamment s’explique essentiellement

par la présence de 15% de femmes de cette nationalité, alors que les

hommes bulgare ne représentent que 3,9%.

- 239 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La deuxième nationalité représentée parmi les migrants masculins, après

l’albanaise (72,6%) est la nationalité roumaine, alors que la troisième et

la quatrième sont respectivement les nationalités pakistanaise et bulgare.

En ce qui concerne les femmes, après l’Albanie et la Bulgarie, le troisième

pays d’origine par ordre d’importance est l’Ukraine avec 8,2% du total,

alors que ce pays n’arrive qu’au onzième rang pour les hommes, avec un

pourcentage de seulement 0,7%.

En conclusion, il s’agit de souligner que l’émigration en provenance de

certains pays est presque exclusivement masculine. C’est le cas du

Pakistan et de l’Inde où la part des hommes représente respectivement

99,5% et 98% des candidats à la carte blanche. Ce phénomène de

supériorité numérique d’un sexe sur l’autre se vérifie par contre au profit

des femmes en ce qui concerne les Philippines, l’Ukraine et la Moldavie.

Les femmes représentent respectivement 83%, 80% et 74% du total

des personnes de ces origines.

Profil migratoire des régions

Certaines préfectures concentrent la plupart des migrants. C’est le cas de

la région d’Attiki où sont installés 44,2% de ceux-ci. Vient ensuite la

Macédoine centrale où vit 15% de la population immigrée, le Péloponnèse

avec 6,8%, la Grèce continentale avec 6,5%, la région de Thessalie avec

6,1%, la Crète avec 5,7% et la région occidentale de la Grèce avec 5,3%

du total des immigrés.

La plupart de ces personnes sont des migrants économiques qui

travaillent où sont à la recherche d’un emploi. Elles représentent, de ce

fait, un pourcentage non négligeable de la population active.

Selon le Bureau national du Travail, la part des personnes immigrées dans

la population active est assez importante. Les données de la recherche

nationale de 1997 confirme cette appréciation puisque, pour cette année,

sur les 4.294.408 personnes comptabilisées dans la population active,

371.641 personnes étaient des migrants qui ont demandé une carte

blanche, soit 8,65%.

A l’opposé, parmi les régions qui se caractérisent par un faible taux

d’immigrés en comparaison à leur population active, figurent la Macédoine

de l’Est et la Thrace où les migrants représentent 5,9% de la population

- 240 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

active de la région et 2,1% du total des immigrés, ainsi que l’Epire où ils

constituent 2,6% de la population active et 1,5% du total des immigrés.

L’analyse de la nationalité des migrants revêt un grand intérêt. La région

d’Attiki, par exemple, présente un importante diversité en ce qui concerne

l’origine des populations immigrées avec néanmoins 52,7% d’Albanais, la

deuxième nationalité par ordre d’importance étant les Pakistanais avec

6,2% du total.

La Préfecture de Grèce continentale se caractérise par une importante

population indienne qui représente 7,9% des immigrés alors que ce

groupe ne constitue que 1,7% de l’ensemble des migrants au niveau

national. De la même façon, les Géorgiens représentent 5,8% de la

population étrangère de la Macédoine centrale, alors qu’ils ne constituent

que 2% de l’immigration en Grèce.

Les Albanais constituent, on l’a vu, un cas très particulier en raison de

l’importance de leur communauté qui constitue 65% de la population

immigrée en Grèce. Néanmoins, dans certaines régions, ils représentent la

quasi totalité de l’immigration. C’est le cas de la Macédoine occidentale où

les Albanais représentent 95,5% de la population étrangère, de l’Epire

avec 95,3%, de la région de Thessalie avec 89,2%, des Iles Ioniennes

avec 87% et de la Macédoine centrale avec 80,6%.

Par ailleurs, la répartition géographique par nationalité d’origine coexiste

avec une répartition géographique des migrants en fonction du sexe. C’est

ainsi que parmi les personnes en provenance d’Albanie, il apparaît que

54,3% des femmes se concentrent dans la région d’Attiki contre

seulement 31,6% des hommes.

Il résulte, par ailleurs, de l’analyse territoriale des données que des

différences importantes au niveau des préfectures ne se retrouvent pas

nécessairement au niveau des chiffres régionaux agrégés. La recherche

menée par le B.N.T. souligne néanmoins que la répartition des migrants

entre les préfectures semblent liée à des différences au niveau régional.

Si l’analyse des différences régionales en matière de concentration des

immigrés en fonction de leur sexe et de leur nationalité est intéressante,

l’étude de la situation au niveau des préfectures permet de s’intéresser

au caractère plus ou moins urbain de l’immigration.

- 241 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

C’est ainsi que la ville d’Athènes accueille 39,4% des migrants qui ont

demandé la carte blanche. Vient ensuite la préfecture de Thessalonique

avec 7,1%, la région d’Attiki avec 4,8% et la préfecture de Larissa avec

2,5%.

A l’inverse, certaines préfectures n’accueillent qu’un très petit nombre

d’immigrés. La préfecture d’Euritanie dénombre seulement 91 personnes

d’origine étrangère inscrites (0,0% de la population), la préfecture d’Evros

251 (0,1%), la préfecture de Rodopi 306 (0,1%), la préfecture de Lefkada

549 (0,1%), la préfecture de Xanthi 646 (0,2%) et la préfecture de Chios

730 (0,2%).

Au niveau des préfectures, la répartition des migrants par sexe est très

variée. Il apparaît néanmoins que la population féminine est beaucoup

plus urbanisée que la population masculine. 52,8% des femmes

immigrées sont installées à Athènes, alors que c’est le cas de 34,5% des

hommes seulement. Ceux-ci, contrairement au femmes, sont davantage

présents dans les régions agricoles. Par exemple, dans les environs

d’Attiki, les préfectures de Larissa, de Phthyotide, de Voiotia, de Pella et

de Hymathia, le pourcentage des hommes immigrés par rapport à la

population étrangère totale est beaucoup plus élevé que le même

pourcentage calculé pour les femmes.

Dans certaines préfectures, le rapport entre les migrants de nationalité

albanaise et la population étrangère totale est beaucoup plus elevé que la

moyenne nationale de 65%. Dans la préfecture de Fiorina, par exemple,

96,7% des immigrés qui ont demandé la carte blanche étaient de

nationalité albanaise. De manière comparable, ce chiffre s’élève 95,6%

dans la préfecture de Thesprotia (bien que les immigrés y soient très peu

nombreux au total), à 95,6% dans la préfecture d’Aitoakarnania, à 95,4%

dans la préfecture de Grevena, à 95,3% dans la préfecture de Préveza, à

95,2% dans les préfectures d’Arta et de Hymatheian de 95,1% dans la

préfecture de Kastoria, de 94,9% dans la préfecture de Ioannina et de

91,8% dans la préfecture de Pella. Il convient de noter que la proportion

des hommes parmi les migrants d’origine albanaise est très importante

dans l’ensemble des préfectures citées. Le cas de Florina est le plus

extrême puisque les hommes y représentent 99% des Albanais présents.

La préfecture de Thessalonique regroupe un nombre élevé de migrants en

provenance de Géorgie qui y constituent 8,9% de l’ensemble des

immigrés, chiffre qui s’élève à 18,2% si on ne tient compte de la

population féminine.

- 242 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Pour conclure, des différences très importantes existent au niveau de la

répartition géographique des immigrés en Grèce selon leur nationalité

d’origine mais aussi de leur sexe. Les femmes sont beaucoup plus

présentes que les hommes dans certaines régions. La plupart des

migrants sont néanmoins rassemblé à Athènes et dans les environs.

Voir page suivante le tableau du pourcentage des immigres qui ont

demandé le permis de séjour temporaire dans la population active par

régions (carte blanche) - année 1998.

- 243 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

REGIONPOPULATION

TOTALE (% population totale) HOMMES (% hommes) FEMMES (% femmes)

SEXE NON

PRECISE

REGION

ACTIVE

TOTALE ETRANGERS

ACTIVE

TOTALE

ETRAN-

GERS

ACTIVE

TOTALE

ETRAN-

GERS

ACTIVE

TOTALE

ETRAN-

GERS

ACTIVE

TOTALE ETRANGERS

ACTIVE

TOTALE

ETRAN-

GERS

PAYS 4,294,408 371,641 100.00% 100.0% 2,612,004 269.075 100.0% 100.00% 1,682,404 93,831 100.00% 100.00% 8,735

ATTIKI 1,600,791 164,128 37.30% 44.20% 961,377 106,804 36.80% 39.70% 639,414 52,575 38.00% 56.00% 4,749

MACEDOINE

CENTRALE 772,835 55,641 18.00% 15.00% 469,073 43,533 18.00% 16.20% 303,762 10,683 18.10% 11.40% 1,425

THESSALIE 299,309 22,623 7.00% 6.10% 184,927 19,211 7.10% 7.10% 114,382 3,114 6.80% 3.30% 298

MACEDOINE

EST ET THRACE 254,502 7,654 5.90% 2.10% 149,993 6,06 5.70% 2.30% 104,508 1,504 6.20% 1.60% 90

GRECE DE

L’OUEST 254,203 19,572 5.90% 5.30% 156,387 15,875 6.00% 5.90% 97,816 3,394 5.80% 3.60% 303

CRETE 229,611 20,999 5.30% 5.70% 133,848 14,499 5.10% 5.40% 95,763 6,043 5.70% 6.40% 457

PELOPONNESE 225,533 25,453 5.30% 6.80% 138,228 18,695 5.30% 6.90% 87,305 6,157 5.20% 6.60% 601

GRECE

CONTINENTALE 184,816 24,009 4.30% 6.50% 117,275 19,929 4.50% 7.40% 67,541 3,718 4.00% 4.00% 362

MACEDOINE DE

L’OUEST 120,754 9,099 2.80% 2.40% 77,067 8,008 3.00% 3.00% 43,687 989 2.60% 1.10% 102

EPIRE 110,119 5,41 2.60% 1.50% 68,781 4,538 2.60% 1.70% 41,338 752 2.50% 0.80% 120

MER EGEE DU

SUD 102,461 7,46 2.40% 2.00% 66,405 4,747 2.50% 1.80% 36,056 2,605 2.10% 2.80% 108

ILES D’IONE 80,514 6,113 1.90% 1.60% 48,011 4,671 1.80% 1.70% 32,503 1,38 1.90% 1.50% 62

MER EGEE DU

NORD 58,96 3,476 1.40% 0.90% 40,632 2,502 1.60% 0.90% 18,328 916 1.10% 1.00% 58

- 244 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Principaux débats : le regroupement familial et les mineurs isolés

Comme il a été souligné au début de ce rapport, au cours de ces dernières

années, un grand nombre de personnes se sont vues obligées de quitter

leur pays d’origine pour trouver refuge ailleurs, souvent loin de leur

famille. A l’instar de la plupart des Etats membres de l’Union européenne,

la Grèce a fait face à un afflux important de réfugiés, accompagnés ou non

de leurs enfants, à la recherche d’un pays où ils puissent vivre en sécurité.

La plupart des ces personnes proviennent d’Albanie mais une part

considérable d’entre eux sont également originaires d’Europe centrale et

orientale, d’Afrique et du Kurdistan.

Ces groupes de population bénéficient en général pendant un certain

temps de l’aide d’organisations humanitaires qui tentent d’apporter des

solutions d’urgence aux problèmes aigus qu’ils rencontrent.

Dans ce genre de situation, parents et enfants se retrouvent souvent

séparés. La mise en œuvre d’un plan d’assistance de longue durée pour

ces personnes, parents et enfants de moins de dix-huit ans, est très

urgente. Un certain nombre d’ONG européennes et internationales

essaient notamment de dégager des solutions durables pour les mineurs

isolés ou accompagnés de leurs parents et pour les adultes qui se

retrouvent loin de leur famille.

Dans ce contexte, les éléments suivants doivent être pris en

considération :

- Les mineurs isolés qui arrivent en Grèce sont la plupart du temps

absolument seuls, n’ont pas d’existence légale et vivent le plus souvent

dans l’illégalité.

- Ces enfants cherche l’asile par crainte de persécution, de conflit armé,

des réseaux de prostitution ou d’autres formes d’exploitation.

Il s’agit donc prioritairement de défendre l’application de la Convention

des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant ainsi que l’accueil et le suivi

des mineurs dans les pays d’accueil.

Les règles et attitudes à adopter à l’égard de ces enfants sont la non-

discrimination, le droit de participation à la vie sociale, l’égalité des

chances sur la plan de l’éducation avec les ressortissants nationaux. Ils

doivent être respectés et bénéficier d’une sécurité d’existence suffisante.

- 245 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le pays d’accueil doit leur fournir un lieu de vie correspondant à leurs

besoins spécifiques, un encadrement adapté, une assistance personnelle

et financière, l’accès à la scolarité et à la poursuite de projets

professionnels.

Les recherches pour retrouver les familles ne peuvent être entreprises que

lorsque tout danger pour l’enfant dans son pays d’origine peut être écarté.

Les mineurs isolés doivent être consultés et informés du déroulement de

la procédure et pouvoir communiquer avec sa famille, le cas échéant.

Le retour éventuel des enfants dans leurs pays d’origine n’est possible que

dans des conditions de sécurité absolue et, bien sûr, en accord total avec

la famille restée au pays. Il s’agit donc d’élaborer pour chaque mineur

isolé un plan de retour individuel en toute sécurité en collaboration avec

les institutions et ONG à la fois du pays d’accueil et du pays d’origine qui

sont chargées de prendre contact avec les familles.

La ratification par la Grèce et les autres Etats membres de l’Union

européenne des conventions internationales contenant des dispositions

relatives à la protection des mineurs, ainsi que leur mise en œuvre dans

le cadre de la législation nationale est vérifiée. A cet égard, la Grèce a mis

en œuvre la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant par le

biais de la Loi 1426/184. La Grèce doit adopter cette législation au plus

tard pour le 8 février 2005. Les Etats membres de l’Union ont l’obligation

de protéger les mineurs et de leur assurer l’accès aux services d’aide

compétents.

La législation grecque sur les migrations (Loi 2910/2001) ne contient pas

de dispositions spécifiques concernant les mineurs. Une protection est

prévue en faveur des enfants accompagnés de leur famille mais rien n’est

prévu pour les mineurs isolés. La loi donne accès à l’éducation à tous les

enfants, y compris ceux qui ne disposent pas d’un titre de séjour légal ou

dont la procédure d’autorisation de séjour des membres de la famille n’est

pas encore aboutie. Les enfants nés en Grèce de parents réfugiés

disposent de droits spécifiques qui les protègent.

La directive européenne 2001-20/7 accorde aux réfugiés et aux mineurs

isolés ou accompagnés l’accès aux soins de santé. Conformément à

l’ordonnance présidentielle 141/199, la police grecque, en tant que

représentante du Ministre de l’Intérieur, est l’autorité compétente en

matière de protection des mineurs étrangers et surtout de ceux qui ne

- 246 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

fréquentent pas les établissements scolaires. La police surveille les

mineurs et les protège au maximum contre les réseaux de prostitution et

de pédophilie notamment.

En matière de regroupement familial, l’article 7 de l’ordonnance

présidentielle 61/1999 prévoit que les étrangers dont le statut de réfugiés

a été reconnu sur base de cette même ordonnance et de la loi

2452/1996, peuvent demander à être rejoints par les membres de leur

famille. Les membres de la famille pris en considération sont le mari ou

l’épouse, les enfants mineurs, les grands-parents s’ils vivaient déjà au

sein de la famille dans le pays d’origine (Cette dernière conditions doit

être attestée par un certificat).

Enquête du F.C.C.C. sur les mineurs isolés1

En Grèce, s’est développé à l’initiative de l’UNCR pour les réfugiés un

réseau international pour la protection des mineurs isolés, qui deviennent

très souvent des victimes pour des raisons diverses.

Plusieurs associations dont le F.C.C.C. participent à ce réseau et

s’occupent notamment de la prévention des risques de pauvreté et

d’exclusion sociale pour ces enfants. Dans ce cadre, la F.C.C.C. a réalisé

une enquête en collaboration avec une école multiculturelle. Les enfants

interrogés ont été sélectionnés parmi les élèves de l’école. L’échantillon se

composait de 25 enfants âgés de 12 à 17 ans (12 garçons et 13 filles).

Les questions posées relatives essentiellement aux problèmes familiaux

ont été difficiles à aborder.

La répartition des enfants interrogé par nationalité était la suivante :

Albanaise : 4 garçons (de 11, 13, 14 et 15 ans) et 1 fille de 13 ans ;

Bulgare : 2 garçons (de 11 et 14 ans) et 1 fille de 16 ans ;

Chinoise : 1 garçon de 12 ans et 2 filles de 14 ans ;

Moldave : 3 garçons (de 13, 14 et 15 ans) et 4 filles (de 11,12, 13 et

15 ans) :

Ukrainienne : 1 garçon de 14 ans et 2 filles (de 13 et 15 ans) ;

Sri Lankaise : 2 filles de 15 ans ;

Polonaise : 1 garçon de 13 ans et 1 fille de 14 ans ;

Russe : 1 garçon de 13 ans et 2 filles (de 15 et 16 ans).

1 Le questionnaire utilisé pour les entretiens se trouve en annexe de ce rapport .

- 247 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Les deux garçons de nationalité albanaise de 13 et 14 ans (scolarisés

respectivement en 2ème et 3ème secondaire) vivent en Grèce avec leurs

parents. Les trois autres enfants vivent avec leurs « parrains » (c’est le

terme qu’ils utilisent) et leurs parents sont restés en Albanie. Aucun des

enfants albanais n’est content de séjourner en Grèce. D’après eux, ils sont

rejetés par les Grecs en raison de la mauvaise conduite de leurs

compatriotes. Ils n’ont pas d’amis grecs mais néanmoins, ils ne veulent

pas retourner au pays.

A l’école, ils n’ont pas de problème particulier. Après l’école, les deux

enfants qui vivent avec leurs parents se consacrent aux loisirs. Ils

déclarent jouer au football et regarder la télévision, tandis que les autres

enfants doivent travailler. Les deux garçons vont à l’usine alors que la fille

travaille dans un bar.

Les enfants d’origine bulgare et moldave vivent avec leur famille en

Grèce. Après l’école, ils déclarent jouer au football et retrouver d’autres

amis de leur nationalité. Ils sont en classe de 2ème et 3ème secondaire.

Le garçon d’origine chinoise est en 3ème secondaire et a quitté son pays en

2001. Il vit dans un centre de réfugiés. Il est très triste de ne pas pouvoir

ni retourner en Chine ni contacter ses parents à cause des conflits armés.

Il n’a pas d’amis de son âge. Ses seules relations sont des adultes du

centre de réfugiés.

Une des filles sri lankaises, est en 3ème secondaire et est arrivée en Grèce

en 2000. Elle vit également dans un centre de réfugiés. Elle n’a pas d’amis

en dehors de ses camarades de classe. Elle a aussi quitté son pays à

cause des conflits armés.

Les enfants d’origine russe sont en 2ème et 3ème secondaire. Ils vivent tous

les trois dans un centre de réfugiés depuis 2001. Ils ne sont pas contents

de leur situation et voudraient rentrer au pays mais des raisons politiques

les en empêchent.

Le garçon ukrainien est en 3ème secondaire et vit en Grèce avec ses

parents. Il ne doit pas travailler après l’école. Pendant ses loisirs, il

déclare jouer au football et passer du temps en compagnie de ses amis

grecs. Il ne souhaite pas retourner en Ukraine. La fille la plus âgée est 3ème

secondaire. Elle vit à Athènes avec sa mère et le compagnon de celle-ci.

- 248 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Après l’école, elle travaille dans le bar du compagnon de sa mère. Elle n’a

pas d’amis de sa nationalité.

Les enfants polonais sont respectivement en 2ème et en 3ème secondaire et

sont venus en Grèce avec leurs parents. Après l’école, ils ne travaillent et

passent du temps en compagnie de leurs amis grecs. Ils ne souhaitent pas

retourner en Pologne.

En conclusion, la majorité des élèves interrogés sont bien intégrés à

l’école où ils peuvent suivre des cours de grec. Ceux qui ont le plus de

difficultés sont les albanais qui se sentent victimes de racisme à cause de

l’importance du taux de criminalité dans leur communauté. Néanmoins,

ces enfants se conduisent bien et n’ont pas de problème liés à leur

scolarité.

Les enfants qui vivent avec leurs « parrains » et la fille a qui vit avec sa

mère et le compagnon de celle-ci sont ceux qui nous ont le plus

sensibilisés. Même s’ils déclarent qu’ils travaillent après l’école, la réalité

est que la plupart du temps, ils traînent dans les rues d’Athènes et sont

contraints de mendier de l’argent pour leurs « parrains » pour les uns,

pour le compagnon de la mère pour l’autre.

Ce sont les enfants qui, à cause des conflits militaires dans leurs pays,

sont séparés de leurs parents qui vivent néanmoins leur situation de la

manière la plus dramatique. Ils sont inquiets pour leurs parents dont ils ne

reçoivent pas de nouvelles. Sur le plan psychologique, ils sont

mélancoliques, souffrent de sentiments d’oppression et ont tendance à

s’isoler. Ils souffrent également de symptômes physiques tels que maux

de tête et de ventre, et troubles du sommeil.

Les situations rencontrées confirment l’urgence de la mise en œuvre d’un

programme d’assistance de longue durée pour les mineurs et pour leurs

parents. Afin de protéger les droits et la sécurité des enfants et de leur

offrir des perspectives d’avenir, un programme de regroupement familial

doit être développé en collaboration avec la gouvernement, les ONG et les

familles des mineurs.

- 249 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Le temps des personnes migrantes

Législation en matière de congés

Conformément aux dispositions de la loi 2910 sur les immigrés et de

l’article 12 du protocole de New York de 1967, les immigrés réguliers et

les réfugiés disposent de droits identiques à ceux des citoyens grecs.

La manière dont ils utilisent leur temps se concentre beaucoup vers la

famille. Les parents s’occupent des enfants, du ménage et des personnes

dépendantes de la famille.

La législation du travail, en Grèce, prévoit les types de congés suivants :

- Le congé de maternité est rémunéré et est d’une durée de 16 semaines.

Jusqu’à 6 semaines peuvent être prises avant la date présumée de

l’accouchement si la mère le souhaite.

- Le congé parental n’est pas rémunéré. Il est d’une durée maximum de

10 semaines et constitue un droit pour chacun des parents. Il est

également octroyé en cas d’adoption.

- Le congé pour soins et assistance à un membre dépendant de la famille

(gravement malade, handicapé, très âgé) existe mais n’est pas rémunéré.

- Quelques jours de congés pour raisons familiales (maladies d’enfants ou

autres raisons) sont accordés à chacun des parents sur une base annuelle

mais ne sont pas rémunérés.

Définition de la notion de temps libre

Quatre type de temps peuvent être distingués :

- Le temps « mort » : Ce sont les périodes durant lesquelles il n’est

possible de rien faire telles que les temps de transition entre deux

activités ou les temps de déplacement (y compris les temps d’attente),…

- Le temps physiologique : C’est le temps qui est utilisé à la satisfaction

des besoins vitaux tels que l’alimentation, le sommeil,…

- Le temps productif : C’est le temps consacré au travail rémunéré.

- Le temps libre : C’est le temps qui est utilisé sans contrainte ni

obligation.

A l’intérieur du temps libre, doivent être distingués le temps libre choisi et

le temps libre imposé. Les deux notions sont liées directement ou

indirectement à la situation d’exclusion sociale. Le temps libre choisi est

- 250 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

socialement acceptable. Le temps libre imposé est utilisé dans un cadre

qui n’est pas socialement reconnu (chômage, inertie forcée). Le chômage

de longue durée en particulier peut conduire à des comportements

marginaux et à l’exclusion sociale car il représente socialement le signe de

l’impuissance des personnes concernées à entrer sur le marché du travail.

Le « temps libre » est un temps qui n’est pas consacré à une activité

obligatoire. Il peut être consacré à la satisfaction de besoins tels que

l’éducation, les loisirs, la participation citoyenne, etc.1

Deux phénomènes attestent du caractère politique et de l’importance que

revêt aujourd’hui le temps libre :

- Les revendications en faveur de la réduction du temps de travail, et

donc, du droit à pouvoir disposer de davantage de temps libre pour soi-

même et pour la famille ;

- La reconnaissance de l’importance fondamentale du temps libre pour le

développement de l’enfant.

Enquête sur l’usage du temps libre par les migrants (Prof. Koula

Kassimati, Université du Panthéon)

Le Professeur Koula Kassimati de l’Université du Panthéon a réalisé, en

1992, une recherche sur les usages du temps par les migrants.2 L’étude a

porté plus particulièrement sur les personnes d’origine grecque qui sont

rentrées d’ex-Union soviétique après la fin de la Guerre froide pour des

raisons politiques. Ces personnes représentent une population importante

en Grèce et sont confrontées à différents problèmes d’adaptation même si

leur retour en Grèce correspond dans la plupart des cas à la concrétisation

d’un vieux rêve.

L’étude de l’usage du temps par les Grecs rapatriés reflète leur degré

d’adaptation à leur environnement social, degré d’adaptation qui est lui-

même dépendant d’un certain nombre de facteurs, parmi lesquels :

- Le niveau de développement social objectif de la Grèce ;

1 Kassimati, Koula (ed.), 1998. «Κοινωνικός αποκλεισμός: Η ελληνική εμπειρία».Athènes: Gutenberg.

2 Kassimati, Koula, « Les immigrés du Ponde en provenance de l’ex-Unionsoviétique : insertion sociale et économique », Ministère de la civilisation –Université du Panthéon, Athènes, 1992.

- 251 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

- Les situations antérieures dans lesquelles ils ont vécu ;

- Des éléments subjectifs tels que les valeurs sociales auxquelles ils

adhérent, les spécificités individuelles, etc.

Le temps libre pour les rapatriés de l’ex-Union soviétique est difficilement

identifiable. D’un coté, cette population se caractérise par un taux élevé

de chômage, c’est-à-dire par un temps important qui n’est pas consacré à

l’emploi et qui est donc théoriquement du « temps libre ».

Néanmoins, ce temps n’est pas comparable à celui des personnes qui sont

insérées socialement, qui ne sont pas confrontées aux même difficultés

d’adaptation, qui ont un emploi, un cadre de vie stable et dont le temps

libre est prévisible et structuré.

L’étude des données fournies par l’étude du Professeur Kassimati montre

que les personnes interrogées passent une partie très importante de leur

temps libre à la maison. 38% consacrent leur temps libre aux travaux

ménagers et, d’une manière générale, aux tâches domestiques.

Il apparaît que 10% de la population cible ne disposent pas du tout de

temps libre car leur temps de veille est presque entièrement occupé par le

travail. 10% des personnes répondent, par ailleurs, passer leur temps

libre à s’occuper de leurs enfants (devoirs, soins, …).

Sur l’ensemble des réponses, il ressort que seulement 40% des personnes

interrogées consacrent leur temps libre aux loisirs et aux relations

sociales, ce qui constitue un indicateur de leur insertion sociale

relativement faible.

- 252 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Usage du temps libre par la population cible

Réponses

En %

Activités domestiques 948 38.5

Pas de temps libre 254 10.3

Loisirs ext. (café, discothèques, vacances,…) 204 8.3

Relations avec membres de la famille et les amis 422 17.2

Télévision ou jeux de Loto 186 7.6

Soins et éducation des enfants 236 9.6

Apprentissage de la langue grecque 116 4.7

Pas de relations fam. ou soc. durant le tps libre 39 1.6

Autres 55 2.2

Total des réponses 2460 100.0

On observe que 8% de la population cible consacrent leur temps libre à

des activités extérieures (sorties, voyages en courts séjours,…). Une

partie importante des personnes interrogées passe leur temps libre avec

leurs amis, connaissances et membres de la famille, ce qui leur permet de

développer une certaine compréhension de la société grecque pendant la

première phase de leur adaptation à la société d’accueil. 8% des

personnes passent également leur temps de loisirs devant la télévision ou

à jouer au Loto. L’étude en général et l’apprentissage de la langue

grecque en particulier occupent le temps libre de 5% de la population

cible.

En résumé, il apparaît que les occupations principales des personnes

migrantes pendant leur temps libre sont recevoir la famille et les amis à la

maison et étudier pour améliorer leurs conditions de vie.

Il est intéressant, dans une seconde étape, d’analyser la manière dont les

migrants combinent leurs différentes activités de loisirs qui concernent

essentiellement la maison, les enfants, la famille et les amis. Il semble

ressortir que ces activités commencent et aboutissent à la maison,

laissant ainsi penser que l’insertion de la population cible est encore

incomplète.

Les tendances présentées dans le tableau ci-dessous sont fonction, en

grande partie, des caractéristiques individuelles des migrants. Les facteurs

qui déterminent la manière dont ils utilisent leur temps libre sont les

suivants :

- 253 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Combinaisons des usages du temps libre

par la population cible

Nombre des

réponses

Activités domestiques / Relations avec les

membres de la famille et les amis78

Activités domestiques/ Loisirs extérieurs (cafés,

discothèques, vacances,…)22

Activités domestiques/ Soins et éducation des

enfants99

Activités domestiques/ Télévision ou jeux de

Loto19

Loisirs extérieurs (cafés, discothèques,

vacances, …) / Relations avec les membres de la

famille et les amis

42

Relations avec les membres de la famille et les

amis / Télévision ou jeux de Loto50

- Le sexe : les hommes passent plus de temps que les femmes à

l’extérieur de la maison et sortent davantage au café ou en discothèque.

Quand ils sont à la maison, ils regardent la télévision ou jouent au Loto.

Les femmes, quant à elles, s’occupent des enfants, du ménage et étudient

le grec.

- L’âge : les moins de 40 ans consacrent plus de temps à des activités

extérieures pendant leur loisir. Les personnes plus âgées préfèrent rester

chez eux à regarder la télévision ou à jouer au Loto.

- La situation familiale : Les personnes mariées passent plus de temps à la

maison que les célibataires qui préfèrent sortir avec des amis.

- Niveau d’éducation : Les personnes diplômées de l’enseignement

universitaires sont celles qui ont le moins de temps libre, tandis que celles

qui n’ont que le certificat d’études primaires passent beaucoup de temps

chez eux avec leur famille ou leurs amis.

- L’emploi : Les personnes sans emploi consacrent davantage de temps à

leurs enfants et à l’étude du grec alors que celles qui travaillent ont

davantage d’activités extérieures, jouent davantage au Loto et reçoivent

plus souvent des amis à la maison.

Les données étudiées ne permettent pas d’établir une relation entre les

usages du temps libre et la durée du séjour des personnes en Grèce.

- 254 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Résultats de la recherche réalisée par MRB Hellas1

La recherche réalisée par MRB Hellas (à laquelle il déjà été fait référence)

a porté sur des personnes migrantes de différentes origines. Il apparaît

que la principale activité à laquelle ils consacrent leur temps libre (surtout

les plus jeunes) est la télévision (74,5%). Les migrants d’origine arabe,

les Africains et les personnes originaires de l’Europe centrale et orientale

sont ceux qui passent le plus de temps à écouter de la musique et la

radio.

MRB Hellas s’est également intéressée au niveau d’équipement des

migrants. Il ressort que 90% des personnes interrogées ont un frigidaire,

76% disposent d’une cuisinière électrique, 68% d’un téléphone mobile et

20% d’une voiture.

Le tableau suivant répertorie les résultats de l’étude concernant les

usages du temps des migrants :

Activités T. souvent Souvent Rarement Jamais

Regarder la télévision 74.5% 22.2% 1.3% 1.2%

Ecouter de la musique 45.9% 36.8% 11.7% 4%

Ecouter la radio 43.9% 41.3% 10.9% 3.2%

Promenades avec des amis 30.9% 36.7% 18.7% 12.9%

Faire les magasins 20.9% 44.3% 31.3% 3%

Aller au café 9.4% 19.8% 24.5% 44.3%

Jouer au Loto 6.5% 14.8% 30.8% 46.8%

Aller au restaurant 4.6% 26.5% 49.1% 18.4%

Acheter des livres 3.3% 14.6% 33.9% 47.3%

Aller au cinéma 1.7% 11.5% 33.2% 51.9%

Faire du sport 1.6% 6.5% 7.9% 82.5%

Faire des excursions 1.4% 17.1% 39.8% 40.5%

Aller aux matchs (foot/

basket) 0.9% 5.1% 13.1% 79.8%

Voyager 0.5% 11.1% 28.4% 58.5%

Aller au théâtre 0.4% 4.4% 13.3% 80.4%

Enquête sur l’usage du temps par les migrants réalisée par le F.C.C.C.

1 MRB Hellas, op. c.

- 255 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Depuis quelques années, le F.C.C.C. développe un certain nombre

d’activités relatives à l’accueil et à l’intégration des migrants (réguliers et

clandestins, migrants d’origine grecque rentrés d’ex-Union soviétique et

réfugiés).

De 1980 à 1997, le F.C.C.C. a organisée en collaboration avec l’église

œcuménique (aide aux réfugiés pour lesquels la Grèce est une destination

de transit) des camps d’accueil et des centres d’accompagnement pour les

enfants de réfugiés dans plusieurs villes de Grèce.

Depuis 1998, il développe, en collaboration avec les Ministère du Travail

et de la Protection sociale, des projets de formation professionnelle pour

les immigrés, des services sociaux d’information et de soutien

psychologique.

Les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête sont des migrants

réguliers et clandestins qui ont été sélectionnées parmi le public des

différents projets menés par le F.C.C.C.

Méthodologie utilisée pour l’enquête

Pour réaliser l’enquête, le F.C.C.C. a fait appel à des méthodologies

variées. Dans une premier étape, une recherche bibliographique a été

effectuée, y compris sur Internet. Des données statistiques ont été

notamment extraites de monographies et de rapports publiés par des

universités, des centres de recherche et l’administration.

Dans une seconde étape, ces données ont été enrichies par les récits des

expériences individuelles de personnes avec lesquelles le centre est en

relation. Les entretiens ont été réalisés sur base de deux types de

questionnaires qui sont annexés au présent rapport. Les questions posées

touchaient à la vie personnelle, familiale et aux difficultés rencontrées

dans le pays d’accueil par les personnes interrogées. Pourtant, ces

dernières se sont montrées très ouvertes et disponibles.

L’objectif de cette mini-recherche qualitative est l’analyse du temps libre

des personnes migrantes et la mise en évidence des besoins en la matière

à la fois des personnes, qu’elles aient ou non un emploi. Pour un total de

50 personnes, dont 31 femmes et 19 hommes, le profil des personnes

interrogées était le suivant :

- 256 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Leurs nationalités d’origine étaient : 8 Albanais (5 femmes et 3 hommes),

6 Bulgares (3 femmes et 3 hommes), 3 Polonais (1 femme et 2 hommes),

3 Roumains (2 femmes et 1 homme),10 Russes (femmes), 4 Georgiens

(femmes), 6 Ukrainiens (2 femmes et 4 hommes), 3 Irakiens (2 femmes

et 1 homme), 2 Iraniens (1 femme et 1 homme), 2 Kurdes (hommes),1

Sri Lankais (femme), 2 Rwandais (hommes).

Leur statut migratoire était :

3 Albanais et 4 Bulgares sont des immigrés clandestins. Les migrants de

nationalités irakienne, iranienne, kurde, sri lankaise et rwandaise sont des

réfugiés reconnus par les autorités grecques, conformément à la

Convention de Genève de 1951, modifiée par l’article 12 du Protocole de

New York de 1967.

On lira page suivante les données du tableau des caractéristiques des

enquêté(e)s : sexe, nationalité, âge, niveau d’études suivies, profession,

emploi, situation conjugale, nombre d’enfants, âges des enfants,

regroupement familial, date d’arrivée, statut.

Remarques tirées de l’enquête :

Les migrants réguliers possèdent un permis de séjour (carte verte qui

peut être renouvelée chaque année) mais aussi un permis de travail et

jouissent de droits identiques à ceux des citoyens grecs (notamment

remboursement des soins de santé et des médicaments par la sécurité

sociale, congé de maternité, congé parental, congé pour soins et

assistance à un membre dépendant de la famille). Les clandestins n’ont

pas de papiers et sont toujours susceptibles d’être arrêtés par la police.

Néanmoins, les principales difficultés auxquelles sont confrontés les

immigrés, quelque soit leur statut, quand ils arrivent en Grèce sont

trouver un emploi, un logement et accéder aux services compétents. Ils

sont souvent surqualifiés par rapport aux emplois qu’ils occupent y

compris ceux qui ont un permis de travail.

Pendant leur loisir, les hommes bulgares fréquentent les cafés et leur

association nationale alors que les femmes (régulières ou clandestines)

s’occupent du ménage et des enfants.

- 257 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

La migrante d’origine polonaise (migrante régulière) enquêtée disposait

de suffisamment de temps libre parce qu’elle n’avait pas la charge de

s’occuper de son ménage, ni de ses enfants. Elle va au cinéma, sort avec

des amis, etc. Les hommes, qui sont aussi des migrants réguliers,

travaillent dans le secteur privé et occupent des emplois correspondant

quasiment à leurs qualifications. La situation familiale de l’un d’entre eux

(G.K.) est particulière puisque son épouse ne possède pas de permis du

séjour. En conséquence, elle ne peut travailler et reste confinée à la

maison. Elle s’occupe du ménage et des enfants mais ne peut pas aller au

cinéma, au théâtre, etc., et n’a pas d’amie.

- 258 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Description de l'échantillon de la recherche du F.C.C.C. sur l'usage du temps par les migrants

Sexe Nation. Age Etudes Profession EmploiSituation, nombre d’enfants,âges des enfants

Regr.familial

Dâtearrivée

Statut

F. albanaise 39 ans secondaire Infirmière* sans mariée, 5 (5-12 ans) oui 1998 légaleF. albanaise 42 ans fondamental _ femme de ménage divorcée, 2 (12 et 14 ans) non 1999 clandestine

F. albanaise 41 ans fondamental _ femme de ménage mariée, 2 (12 et 14 ans) non 2001 clandestineF. albanaise 44 ans fondamental _ femme de ménage mariée, 3 (11,13 et 16 ans) non 2000 clandestine

F. albanaise 46 ans fondamental _ femme de ménage non mariée, 2 (11 et 16 ans) non 2001 clandestineH. albanaise 43 ans fondamental _** maçon marié, 2 (12 et 16 ans) oui 1999 légal

H. albanaise 45 ans fondamental _ ouvrier marié, 4 (10-16 ans) non 2001 clandestinH. albanaise 46 ans fondamental _ ouvrier non marié _ 2001 légal

F. bulgare 45 ans supérieure assistante sociale infirmière divorcée, 2 (11 et 15 ans) oui 1997 légaleF. bulgare 43 ans supérieure _ baby-sitter non mariée, 2 (8 et 12 ans) oui 1999 _

H. bulgare 45 ans supérieure assistant ingénieur ouvrier marié, 3 (12-16 ans) non 1999 clandestinH. bulgare 47 ans universitaire ingénieur ouvrier marié, 3 (8-17 ans) oui 2000 clandestin

H. bulgare 43 ans universitaire archéologue maçon marié, 2 (9 et 13 ans) oui 1997 clandestinH. bulgare 41 ans universitaire géologue ouvrier marié, 1 enfant oui 1999 clandestin

F. polonais 45 ans universitaire ingénieur assistante d'un ingénieur mariée, 2 (7 et 10 ans) non 1998 légaleH. polonais 48 ans universitaire théologien enseignement marié, 2 (13 et 16 ans) oui 1999 légal

H. polonais 43 ans supérieure infirmier infirmier marié, 1 (15 ans) non 2000 légalF. roumaine 38 ans universitaire philologue enseignement divorcée, 2 (7 et 10 ans) oui 1999 légale

F. roumaine 22 (?) universitaire assistante sociale secteur privé Divorcée, 2 (8 et 11 ans) non 2000 légaleH. roumaine 43 ans universitaire géologue secteur privé marié, 3 (6,7 et 12 ans) oui 2001 légal

F. ex-URSS 50 ans universitaire géologue secteur privé divorcée, 2 (12 et 18 ans) non 1997 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure interprète enseignement non mariée, 2 (16 et 18 ans) non 1997 légale

F. ex-URSS 41 ans supérieure infirmière clinique privée divorcée, 1 (16 ans) non 2000 légaleF. ex-URSS 42 ans universitaire institutrice enseignement mariée, 2 (16 et 18 ans) oui 1999 légale

F. ex-URSS 45 ans supérieure infirmière infirmière à domicile mariée, 1 (15 ans) oui 1999 légaleF. ex-URSS 49 ans supérieure infirmière clinique privée divorcée, 3 (10,12 et 15 ans) non 1999 légale

- 259 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

F. ex-URSS 42 ans universitaire psychologue _ mariée, 2 (12 et 15 ans) oui 1999 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure interprète secteur privé divorcée, 2 (12 et 15 ans) non 1987 légale

F. ex-URSS 42 ans supérieure musicienne enseignement mariée, 2 (11 et 15 ans) oui 1985 légaleF. ex-URSS 32 ans universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (10 et 13 ans) non 1995 légale

F. ex-URSS 43 ans supérieure infirmière _ mariée, 3 (11, 13 et 15 ans) oui 1998 légaleF. ex-URSS 45 ans universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (2 et 14 ans) non 1998 légale

F. ex-URSS 44 ans universitaire géologue secteur privé mariée, 2 (15 et 18 ans) oui 1997 légaleF. ex-URSS 43 ans supérieure _ clinique privée mariée, 3 (11,14 et 16 ans) non 1998 légale

F. Ukrainienne 44 ans supérieure infirmière clinique privée mariée, 3 (10,13 et 15 ans) oui 1997 légaleF. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcée, 2 (8 et 13 ans) non 1997 légale

H. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcé, 3 (10, 13 et 15 ans) non 1999 légalH. Ukrainienne _ universitaire ingénieur secteur privé divorcé, 3 (10, 13 et 15 ans) non 1999 légal

H. Ukrainienne 38 ans supérieure infirmier clinique privée marié, 2 (13 et 15 ans) oui 1998 légalH. Ukrainienne 40 ans universitaire dentiste clinique privée marié, 3 (9,13 et 16 ans) oui 1999 légal

H. Irakienne 44 ans universitaire médecin traducteur marié, 2 (8 et 12 ans) non 2001 _F. Irakienne 40 ans _ _ baby-sitter mariée, 2 (7 et 9 ans) non 2000 _

F. Irakienne 43 ans supérieure infirmière clinique privée mariée, 3 (12,15 et 17 ans) non 2001 _F. Iranienne 42 ans _ _ pub mariée, 4 (10-16 ans) non 2000 _

H. Iranienne 43 ans universitaire jounaliste interprète marié _ 2000 _H. kurde 42 ans universitaire géologue ouvrier célibataire _ 2000 _

H. kurde 41 ans universitaire théologien infirmier célibataire _ 2000 _F. Sri Lankaise 41 ans universitaire ingenieur interprète mariée, 4 (9-15 ans) partiel 2000 _

H. Rwandaise 44 ans universitaire théologien secrétaire marié, 2 (10 et 12 ans) non 2001 _H. Rwandaise 42 ans universitaire ingenieur secteur privé marié, 3 (8-12 ans) non 2000 _

* conjoint : ouvrier et clandestin

**conjointe : ouvrière

- 260 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Remarques tirées de l’enquête (suite) :

Quant aux migrants réguliers d’origine roumaine, ils rencontrent des

problèmes un peu moins aigus que les autres migrants. Par ailleurs, les

migrants dont les enfants sont restés au pays ressentent durement leur

absence. Les migrants réguliers ont le droit de retourner dans leur pays

d’origine une fois par an mais pour les clandestins ne peuvent pas se

permettre de voyager sous peine ne plus pouvoir rentrer en Grèce.

Pour les immigrés de l’ex-Union Soviétique, obtenir le permis de séjour et

du travail est plus facile puisque la plupart d’eux ont une provenance

Grecque. Mais, même pour ces derniers, les difficultés de l’accès à

l’information et aux services demeurent sensiblement les mêmes. En ce

qui concerne le travail, même si la plupart des immigrés ont un niveau

universitaire, ils travaillent dans d’autres domaines que celui de leur

qualification d’origine. Les femmes, quant à elles, n’ont pas de temps

disponible dans la mesure où elles ont le soin du ménage et des enfants.

Enfin, lorsqu’on envisage la situation des réfugiés qui viennent d’Irak,

d’Iran, de Sri Lanka, de Rwanda et de Kurdistan, on relève que ceux-ci,

des réfugiés, ont quitté leur pays en raison des conflits militaires qui s’y

déroulaient et qu’ils reçoivent une allocation du gouvernement grec. Ils

ont presque tous un niveau d’études universitaires mais ne sont pas en

mesure de faire valoir leurs qualifications. Leur principal problème est la

séparation d’avec leur famille, d’autant que les communications sont

difficiles et qu’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine même

pour un court séjour. Par ailleurs, pour les réfugiés comme pour les autres

migrants, se pose le problème de l’accès aux services compétent de

l’administration et à l’information, à l’exception des services chargés

spécifiquement de l’aide aux réfugiés.

Ces considérations conduisent à tirer les conclusions et les préconisations

suivantes :

Conclusions

Les personnes interrogées peuvent être classées selon trois catégories :

- les migrants (réguliers et clandestins) ;

- les migrants d’origine grecque qui reviennent de l’ex-Union soviétique ;

- les réfugiés.

- 261 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Parmi ceux-ci, 60% des migrants de la première catégorie et la totalité de

ceux de la deuxième catégorie ont un permis de séjour. Les réfugiés ont

un statut particulier.

Les principales difficultés qui sont citées par l’ensemble des personnes

interrogées sont :

- le manque d’informations et la difficulté d’accès aux services

compétents ;

- la connaissance insuffisante de la langue grecque qui les empêche de

s’intégrer et de trouver du travail.

En Grèce, le Ministère du Travail organise des formations en langue

grecque pour les immigrés adultes. Les enfants de 8 à 16 ans peuvent

également suivre des cours de grec quand ils fréquentent l’école primaire

ou secondaire. Des écoles interculturelles existent aussi à Athènes et dans

plusieurs grandes villes. Tous les enfants, même si les parents n’ont pas

de papiers, doivent être admis à l’école et les crèches sont ouvertes aux

migrants réguliers comme aux citoyens grecs.

Plusieurs ONG sont actives dans le domaine de l’aide aux réfugiés et aux

migrants réguliers et clandestins.

Recommandations

- Il s’agirait de développer un centre d’information administratif disposant

des ressources humaines nécessaires pour renseigner les personnes dans

leur langue maternelle (Les employés pourraient être des migrants eux-

mêmes.).

- Il s’agirait de mettre en place un service de consultation sociale composé

d’assistants sociaux et de psychologues qui pourraient aider les migrants

à trouver des solutions à leurs difficultés personnelles et familiales.

- Les migrants doivent apprendre la langue grecque mais également

conserver la connaissance de leur langue maternelle (surtout les enfants).

Les migrants doivent avoir la possibilité de continuer à vivre selon leurs

propres coutumes (respect de la liberté de culte et des valeurs familiales

notamment).

- Un des problèmes les plus importants auquel les migrants sont

confrontés est celui de l’accès au marché du travail, en raison de leur

méconnaissance de la langue du pays d’accueil et de la non

reconnaissance de leurs qualifications professionnelles. C’est pourquoi, les

Etats doivent s’attacher à concevoir un questionnaire qui permet d’évaluer

- 262 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

de manière correcte les qualifications des migrants et les encadrer dans la

recherche d’emplois.

- L’accès des migrants à la sécurité social nécessite l’allègement des

formalités nécessaires pour l’obtention d’un permis de travail.

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Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

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- 265 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

CLÔTURES

Clôture 1

ANNE-MARIE SIGMUND

A partir de ces travaux, j’en suis venue à quelques conclusions. Je vous

prie de m’excuser si mes conclusions reflètent mes travaux mais elles

m’ont été aussi inspirées par mes travaux à la Convention Européenne.

D’abord, j’ai pu constater qu’en l’état actuel des choses, il ne peut pas y

avoir de politiques familiales européennes au sens propre du terme,

puisqu’il n’y a pas de compétence européenne dans ce sens. Il me semble

utile que la notion de famille et le débat sur sa place soient extraits du

débat juridique, et soient intégrés dans le débat sur les valeurs. C’était un

point fort de cette Convention Européenne, puisqu’on a commencé à parler

de valeurs européennes1.

De mon point de vue, cet échec n’a peut-être pas d’influence sur la

politique familiale à proprement parler. Mais peut-être aurait-il fallu avoir

la volonté politique de s’acheminer d’une communauté européenne vers

une communauté européenne de valeur.

Vous vous souvenez que l’on a remis en question la valeur juridique de la

charte et de la définition des valeurs et des buts de l’Union Européenne.

Toutefois un des principes fondamentaux de l’Union Européenne est la

reconnaissance du “principe de durabilité”. Ce principe est étroitement lié

à la question de la famille, comme ces travaux l’ont illustré en rappelant

que la famille est le lieu où apparaissent les générations de demain. Cela

souligne très clairement le lien entre la notion de développement durable,

de durabilité, et la question de la famille.

On réduit en effet fréquemment la durabilité à la question de

l’environnement. Mais cette définition restreinte ne sera pas utile si on

néglige pour autant l’aspect démographique. Je pense, en conséquence,

que la durabilité est une question très importante sur le plan social et

1 [Note de la rédaction : le Rapport final du groupe de travail XI "Europe sociale" dela Convention Européenne, 4 février 2003, contenait 25 occurrences de “valeurs” etaucune présence du radical “famil.”.]Cf. http://register.consilium.eu.int/pdf/fr/03/cv00/cv00516-re01fr03.pdf

- 266 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

sociologique et que les organisations familiales ont ici un rôle

prépondérant à jouer.

Lorsque le Directeur de la COFACE [William Lay] m’a fait parvenir le

programme de ces travaux, j’ai eu du mal dans un premier temps à

reconnaître le lien entre l’emploi du temps et les migrations. Ces deux

points sont des défis considérables, et comme ces travaux l’ont manifesté,

il ne s’agit pas seulement du partage du temps, quantitativement et

qualitativement, entre vie professionnelle et familiale, mais il s’agit aussi

du temps qui est employé pour les relations sociales, pour les affaires

sociales. Et je ne parle pas ici uniquement de l’intégration mais également

de la formation des personnes.

Ces travaux ont été marqués fortement par l’aspect culturel, et la culture

telle que nous la définissons au Comite Economique et Social Européen,

est une collectivité de valeur et également une collectivité de mode de

pensée et de mode de comportement : au Comité Economique et Social

Européen a été lancé, en ce sens, un avis d’initiative sur la dimension

sociale de la culture. Un membre du groupe III, Daniel Le Scornet1 est

rapporteur afin d’élaborer une telle définition.

Le sujet des statistiques a été abordé. En effet, le souhait d’intégrer des

éléments qualitatifs dans des statistiques quantitatives est une aspiration

très justifiée, et nous sommes conscients des problèmes que cela pose.

Cela touche aussi, d’ailleurs, à une question qui me tiens très à cœur : la

question de la représentativité et, partant, de la représentativité des

organisations qui sont présentes dans la société civile.

On reproche souvent aux associations familiales de ne pas être

représentatives, parce qu’on ne parle que de représentativité quantitative.

On demande aux associations familiales combien de personnes elles

représentent, combien de membres elles contiennent. De mon point de

vue, cette forme de représentativité est secondaire et nous devons être

attentif, en premier lieu, à la représentativité qualitative et, notamment, à

l’expertise des personnes qui sont impliquées dans les organisations. Il y a

plusieurs exemples : wwf n’a que peu de membres, pour ne citer qu’elle,

mais elle est une organisation reconnue mondialement pour la protection

1 [Note de la rédaction : Daniel Le Scornet, Administrateur de la Fédération des

mutuelles de France (FMF) - Président de la mutuelle Arts, sciences, social, culture,membre du Groupe III - Groupe Activités Diverses - Comité Economique et SocialEuropéen, Cf. Communiqué de presse n° 49/2004 du 2 avril 2004]

- 267 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

du milieu naturel. Il y a ainsi des organisations qui peuvent être faible

quantitativement mais forte qualitativement.

Le Comité Economique et Social Européen va prendre un avis d’initiative,

afin de pouvoir établir un dialogue civil entre les différentes organisations

nationales1 : il faut se poser la question de savoir comment nous allons

intégrer les différentes organisations. Je vous prie de m’excuser si je vais

un peu au-delà du sujet, stricto sensu, mais nous pensons que la COFACE

et les membres nationaux ont un rôle prépondérant à jouer pour faire

avancer ce processus d’une idée commune européenne, d’une identité

européenne. A défaut de cette identité il ne sera pas possible de mener à

bien des projets individuels qu’il s’agisse du marché intérieur ou de la

question de la Politique de sécurité commune de l’Union européenne. Il ne

s’agit pas seulement de mots clés mais, vraiment, d’une réalité que nous

devons développer.

Pour revenir à la durabilité, nous croyons que l’Europe se distingue, dans

le contexte de la mondialisation, par son approche ainsi que par

l’importance qu’elle accorde à la famille, au principe de solidarité, au

principe de subsidiarité. Nous nous distinguons en cela du reste du monde

et nous devrions tenter d’accentuer encore cette particularité.

Alors nous nous réjouirions si ces thématiques pouvaient être abordées,

que la COFACE et le Comité Economique et Social Européen se penchent

sur ces thèmes comme sur le contenu des travaux présentés à la

conférence et recensés dans ce rapport et, cela, dans le cadre d’un

nouveau séminaire, afin de réunir un public encore plus large.

En mon nom personnel et, également, au nom du groupe III du Comité

Economique et Social Européen, nous vous demandons d’organiser une

telle réunion qui pourrait très bien se dérouler à l’occasion du 10ème

anniversaire de l’année internationale des familles (AIF+10). Cela pourrait

permettre un accès très large à ces questions.

1 [Note de la rédaction : Voir communiqué de presse n° 18/2004, dialogue civil : « À l'initiative de son Président, Roger BRIESCH, le Bureau du CESE a adopté hierdes propositions importantes (rapporteur: M. Jean-Michel BLOCH-LAINÉ) pour unecoopération renforcée et plus structurée avec les organisations et réseauxeuropéens de la société civile » et n° 23/2/2004 et n° 22/2004 : pour une nouvelleEurope plus participative et plus démocratique: la société civile organisée endébat.]

- 268 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Clôture 2

GRAHAM TAYLOR

Nous voudrions remercier tous les orateurs de la conférence et tous les

participants à ce projet que nous avons trouvé particulièrement

intéressants. Tout ce que nous avons appris à cette occasion est allé au-

delà de nos attentes.

Je voudrais revenir sur le propos de Constantinos Fotakis (cf. supra) qui

expliquait pourquoi la DG Emploi et Affaires sociales était intéressée par

un sujet tel que la famille.

Dans notre rapport annuel sur la situation sociale dans l’Union

Européenne, nous avons constaté deux tendances très marquées qui

pourrait créer des problèmes à l’avenir.

Tout d’abord, il semble que la société présente de plus en plus d’attentes

vis-à-vis des familles : nous savons qu’il y aura un vieillissement de la

population. De 2010 à 2030, le nombre de personnes de plus de 80 ans

devrait augmenter de 44% et, en général, ce sont les familles elles-

mêmes qui gèrent et qui s’occupent de ces personnes. Cela dépend aussi

des pays concernés.

On l’a déjà dit : la génération du baby-boom part à la retraite, et il va

falloir s’occuper de ces personnes comme nous le devons et il semble que

la charge va porter sur les familles, comme souvent, puisque c’est un rôle

qui leur est dévolu.

Une autre tendance est la durée de la période d’éducation,

d’enseignement, qui semble être de plus en plus longue et c’est souvent la

famille qui assure le soutien de ces étudiants : les enfants étudient

pendant plus longtemps et restent pendant plus longtemps chez leurs

parents.

C’est donc une première tendance : il y a de plus en plus d’attentes qui

pèsent sur la famille.

La 2ème tendance est celle constituée par l’apparition d’une nouvelle

typologie de la composition des familles : il y a de plus en plus de

divorces ; les jeunes mettent de plus en plus de temps à entrer dans des

relations de longues durées, des relations qui sont d’ailleurs de plus en

- 269 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

plus fragiles ; les jeunes, en général, ont des enfants de plus en plus tard.

Ce qui signifie que cela va diminuer le nombre total d’enfants qu’un couple

ou une personne aura dans son existence.

En d’autre terme, la famille est une institution de plus en plus fragile, alors

que dans le même temps les attentes à son égard sont de plus en plus

marquées. Ce sont donc deux tendances que l’on retrouve très

fréquemment.

Un autre élément dont il a été beaucoup question ici relève des

migrations. Au cours des 4 dernières années le solde migratoire dans

l’Union Européenne a été d’environ d’un million de personnes chaque

année. On comprend que le phénomène est de plus en plus important,

puisque l’immigration devient un facteur essentiel dans notre tissu social.

Il y a plusieurs explications à l’immigration : dans le pays d’origine, il peut

s’agir de raisons politiques, économiques, mais il y a aussi des facteurs

dans les pays d’accueils. Les immigrés sont utiles au pays d’accueil et

c’est, en conséquence, au pays d’accueil de faire également des efforts

pour intégrer ces populations. D’où le besoin croissant de soutien à l’égard

de ces populations.

Donc, on a parlé de l’émigration dans l’Union Européenne où sont les

rapports, les statistiques, sur cette question.

Dans le Conseil européen de Tampere du 15 et 16 Octobre 19991, il y avait

des conclusions qui donnaient des lignes directrices politiques pour une

politique européenne de l’immigration qui visait une politique commune

européenne de demandeurs d’asiles sur l’immigration des relations vis-à-

vis des pays d’origines.

L’année dernière il y a une communication sur l’immigration, l’intégration

et l’emploi qui a été présenté au Conseil Européen de Thessalonique.

Dans les conclusions de Thessalonique on a mentionné la production d’un

rapport annuel sur l’immigration et l’intégration en Europe.

La portée de ce rapport est assez limitée puisque cela ne recouvre que les

immigrés en situation régulière et donc pas les clandestins.

1 [Note de la rédaction : Voir …europa.eu.int/council/off/conclu/oct99/oct99_fr.htm]

- 270 -

Les familles à la croisée de l’espace et du temps — Usages sociaux du temps et migrations.

Mais dans le cadre de ce rapport nous devons faire figurer une analyse

objective et précise divisé en différent groupe cible, particulièrement les

groupes vulnérables ou les groupes avec des intérêts spéciaux.

De plus, il était demandé de formuler des solutions pour une meilleure

gestion de flux migratoires.

Comme on a dit un des problèmes actuellement est un problème de

statistique, non seulement à haut niveau mais également à la base. Ce qui

nous ramène à l’intérêt de conférence comme celle d’aujourd’hui.

En l’état actuel des choses, les statistiques ne nous fournissent qu’une

assistance limitée. Nous avons donc besoin de plus d’études pour produire

ces rapports annuels sur l’immigration et l’intégration.

Alors, comme je vous l’ai dit ce sujet nous intéresse particulièrement et les

documents que vous nous avez présentés vont même au-delà de nos

attentes, et comme vous l’avez dit il est assez difficile de combiner ces

différentes expériences dans différents pays et dans tirer des leçons au

niveau européen, car dans tous les pays les situations sont différentes au

niveau de l’immigration, il y a des histoires différentes dans chaque pays.

Alors, afin de lancer un débat politique européen sur l’immigration, et bien

il faut rassembler le plus souvent possible vos organisations pour en tirer

des conclusions et recommandations, comme vous avez commencé à le

faire dans votre document.

Et enfin, j’aimerais donner une liste d’autres sources d’informations :

L’Observatoire européen sur la situation sociale, la démographie et la

famille1. Il y a différentes sources intéressantes dont une communication

de 2003 ; il y a le rapport de conclusion qui a été mise à jour, à partir du

plan d’action nationale de l’année dernière qui sera produit au Conseil de

printemps. Il y a des travaux intéressants fournis par la Fondation

Européenne sur l’amélioration des niveaux de vie2.

Dans ce contexte, je vous remercie encore une fois, et je vous souhaite

une bonne continuation.

1 europa.eu.int/comm/employment_social/ eoss/index_fr.html2 fr.eurofound.eu.int

- 271 -