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LES FEMMES IMMIGRANTES, LEURS FILLES ET LE MARCHÉ DE L’EMPLOI QUÉBÉCOIS RAPPORT DE RECHERCHE PRÉSENTÉ À L’ÉCOLE D’ÉTÉ SUR L’IMMIGRATION, L’INTÉGRATION ET LA DIVERSITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL. DE LA CHAIRE EN RELATIONS ETHNIQUES TITULAIRE : MARIE-THÉRÈSE CHICHA PAR ANNA GOUDET CENTRE URBANISATION CULTURE SOCIETE INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE – INRS AOÛT 2016 @2016. Toute reproduction en tout ou en partie est interdite sans autorisation de l’auteure.

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LES FEMMES IMMIGRANTES, LEURS FILLES ET LE MARCHÉ DE L’EMPLOI QUÉBÉCOIS

RAPPORT DE RECHERCHE PRÉSENTÉ

À

L’ÉCOLE D’ÉTÉ SUR L’IMMIGRATION, L’INTÉGRATION ET LA DIVERSITÉ SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL.

DE LA

CHAIRE EN RELATIONS ETHNIQUES TITULAIRE : MARIE-THÉRÈSE CHICHA

PAR

ANNA GOUDET CENTRE URBANISATION CULTURE SOCIETE

INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE – INRS

AOÛT 2016

@2016. Toute reproduction en tout ou en partie est interdite sans autorisation de l’auteure. 

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Introduction  

En 2006, 12,7 % de la population féminine au Québec était issues de l’immigration. Et, autant de 

femmes  que  d’hommes  obtiennent  chaque  année  la  résidence  permanente1.  Pourtant,  les 

femmes immigrantes sont peu prises en compte dans les politiques migratoires, et celles reliées 

au  marché  de  l’emploi.  Aussi,  le  Conseil  du  Statut  de  la  Femme  déplore‐t‐il  le  fait  que 

l’immigration soit pensée comme un « processus neutre », alors qu’elle relève d’« aspects sexo‐

spécifiques » et qu’il importe de « tenir compte des besoins spécifiques des femmes tant lors de 

l’étude que de l’élaboration des politiques migratoires » (CSF 2016, p.9). 

Nous devons alors nous demander comment les femmes immigrantes s’insèrent dans le marché 

de l’emploi québécois, et quelles en sont les pistes explicatives.  

Par ailleurs, on évoque souvent  le “sacrifice” que  les femmes  immigrantes réalisent pour  leurs 

enfants  en  venant  s’installer  au  Québec  ou  au  Canada.  Mais  qu’en  est‐il  concrètement ? 

Comment ce “sacrifice” influence‐t‐il leur propre parcours et celui de leurs enfants ? Parmi leurs 

enfants,  les  filles  héritent‐elles  des  obstacles  rencontrés  par  leur  mère  ou  au  contraire  se 

réalisent‐elles scolairement et professionnellement ? Quelles en seraient  les pistes explicatives 

sous‐jacentes ?  

Pour  répondre  à  ces questions, nous nous basons  sur une  recherche documentaire,  à  la  fois 

statistique et qualitative. Notre première partie sera consacrée à la situation professionnelle des 

femmes  immigrantes québécoises, nous commencerons par en donner un portrait statistique, 

avant d’explorer plusieurs pistes d’explications. Notre seconde partie s’attardera sur la situation 

des  filles  d’immigrants.  Dans  un  premier  temps,  nous  nous  concentrerons  sur  la  situation 

professionnelle  de  celles‐ci  au  Canada,  et  dans  un  second  temps,  nous  observerons  les 

différences avec la situation spécifique, et plus précaire, du Québec. Pour chaque contexte, nous 

proposerons un portrait statistique et les explications sous‐jacentes à celui‐ci 

 

I. Les femmes immigrantes et le marché de l’emploi 

a. Portrait statistique 

i. Le taux d’activité 

Les  femmes,  qu’elles  soient  immigrantes  ou  natives,  sont moins  présentes  sur  le marché  de 

l’emploi  québécois  que  leurs  homologues  masculins.  Néanmoins,  l’écart  entre  les  sexes  se 

remarque  nettement  plus  chez  les  immigrants  que  chez  les  non‐immigrants :  13  points  de 

pourcentages contre 8 points, en 2011 au Québec  (Boudarbat et Grenier 2014, p.41). Ainsi,  le 

taux d’activité2 des femmes immigrantes était de 56 % au Québec en 2011. Il est nécessaire de 

                                                            1 http://www.cc‐femmes.qc.ca/ETUDE_CCF_RRose_VF.pdf 2 Le taux d’activité correspond au nombre total d’actifs exprimé en pourcentage de la population totale en âge  de  travailler. Un  actif  est  une  personne  qui  occupe  un  emploi  ou  qui  n’a  pas  d’emploi  et  qui  en cherche un activement. (Définition tirée de Boudarbat et Grenier 2014). 

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noter toutefois que celui‐ci est en progression ces dernières années. Il était en effet de 48,6 % 

en 1996, soit en progression de 7,5 points jusqu’en 2011 (Ibid.).  

De plus, notons que  le niveau de  scolarité agit de manière positive  sur  le  taux d’activité des 

femmes  immigrantes : plus elles détiennent un diplôme postsecondaire ou universitaire, plus 

elles sont susceptibles de participer au marché du travail québécois (Ibid.). Néanmoins, bien que 

les femmes immigrantes soient en moyenne davantage scolarisées que les femmes natives, leur 

taux d’activité reste en deçà de ce groupe (Ibid.).  

Le tableau suivant (issu de Chicha 2009, p.19) offre un aperçu de cette dimension à Montréal en 

2006.  

 

 

ii. Le taux de chômage  

Concernant le taux de chômage3, ce sont les personnes immigrantes qui y sont les plus exposées 

comparativement  aux  natifs,  au Québec.  Toutefois,  au  sein  de  la  population  immigrante,  les 

femmes sont  légèrement plus touchées (11,8 % contre 10,6 % pour  les hommes, en 2011). On 

remarque  cependant  une  amélioration  de  cette  situation  pour  les  immigrants  ces  dernières 

années : « le taux de chômage a régressé d’environ cinq points de pourcentage chez les hommes 

et  d’environ  six  points  de  pourcentage  chez  les  femmes  entre  1996  et  2011  (Boudarbat  et 

Grenier 2014, p.42).   

 (Tableau issu de Chicha 2009, p.19) 

Par ailleurs, il importe de relever que le chômage ne touche pas tous les immigrants de la même 

façon :  les  nouveaux  arrivants  (arrivés  depuis moins  de  5  ans)  et  les  personnes  de minorité 

visible sont les plus exposés au chômage au Québec (Boudarbat et Grenier 2014).  

                                                            3 Le  taux de chômage  indique  le pourcentage de  la population au chômage par rapport à  la population active. (Ibid.) 

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 (Tableau issu de Boudarbat et Grenier 2014, p.130) 

 

Enfin, retenons un élément particulièrement pertinent pour notre propos : parmi les immigrants 

sélectionnés  en  tant que  travailleurs qualifiés,  ceux qui  arrivent  au Québec  avec  le  statut de 

conjoints  (très majoritairement des  femmes) ont  un  taux  d’activité plus  faible  et un  taux de 

chômage plus élevé que  ceux qui  arrivent  comme  requérants principaux  (principalement des 

hommes) (Godin 2004, cité dans Chicha 2009, p.19). 

 

iii. Le taux d’emploi  

Nous  observons  les  mêmes  tendances  lorsqu’il  s’agit  du  taux  d’emploi4  des  femmes 

immigrantes :  

Au Québec,  les femmes  immigrantes avaient un taux d’emploi de 49,4 % en 2011, alors que chez 

les non‐immigrantes, ce taux était de 57,7 %. Chez les hommes, ces taux étaient respectivement de 

61,8 et 63,9 %. Les  femmes  immigrantes sont donc moins susceptibles d’occuper un emploi, à  la 

fois  par  rapport  aux  hommes  immigrants  et  aux  femmes  non  immigrantes. (Boudarbat  et 

Grenier 2014, p.44) 

Comme les précédents, cet indicateur semble connaître une amélioration ces dernières années 

au Québec. Il a en effet augmenté de dix points de pourcentage chez les immigrantes et de cinq 

points chez les immigrants, entre 1996 et 2011 (Ibid.).  

 

iv. Les revenus d’emploi 

Remarquons que les revenus moyens suivent une logique similaire :  

                                                            4 Le taux d’emploi est le rapport entre la population occupée et la population totale en âge de travailler. (Ibid.) 

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 (Tableau issu de Atif 2016) 

 

v. Le taux de déqualification professionnelle 

Par  le  terme « déqualification », nous entendons « la non‐correspondance entre  le niveau du 

diplôme  le plus élevé détenu par  le migrant  [et]  le niveau du diplôme exigé par  la profession 

qu’il  exerce »  (Chicha 2009,  p.20).  Autrement  dit,  il  s’agit  de  personnes  “surqualifiées”  pour 

exercer leurs tâches professionnelles. 

Ce taux de déqualification est nettement plus élevé chez les femmes immigrantes que chez leurs 

homologues masculins, et que chez les personnes natives (femmes et hommes) :  

 (Tableau issu de Atif 2016) 

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Le tableau suivant permet de souligner deux dimensions cruciales relatives à la déqualification : 

il existe un désavantage notable pour les personnes de minorité visible (femmes et hommes) et 

si  la  déqualification  diminue  avec  la  durée  de  résidence,  elle  est  loin  de  se  résorber 

complètement :  

 (Tableau issu de Chicha 2009) 

 

Par  ailleurs,  notons  que  les  immigrantes  se  distinguent  également  des  natives  dans  leur 

répartition  entre  les  divers  secteurs  d’activité.  Ainsi,  elles  sont  presque  deux  fois  plus 

nombreuses  à  exercer  un  emploi dans  le  secteur  secondaire,  notamment  dans  l’industrie du 

textile, et elles sont beaucoup moins représentées dans les emplois du service public (Mongeau 

et Pinsonneault 2007, cités dans  Ibid.). Autrement dit, elles semblent surreprésentées dans  les 

emplois les moins bien rémunérés et les plus précaires. 

Plusieurs auteurs se sont penchés sur ce paradoxe : comment les femmes immigrantes qui sont 

particulièrement  instruites  ne  performent‐elles  pas  aussi  bien  qu’attendu  sur  le marché  de 

l’emploi québécois ? Nous allons maintenant explorer plusieurs pistes d’explications avancées 

par ces chercheurs. 

 

b. Éléments explicatifs : facteurs culturels et dynamiques familiales 

i. Variations selon l’origine 

Boudarbat  et  Grenier  (2014)  remarquent  que  ce  sont  surtout  les  femmes  immigrantes 

originaires de certaines  régions du monde qui sont  les moins susceptibles de  travailler. Parmi 

ces  régions,  nous  retrouvons  notamment  des  pays  arabes,  sud‐asiatiques  et  asiatiques 

occidentales. Or, d’après ces auteurs, ce sont des pays où « traditionnellement, les femmes sont 

moins portées à travailler » (Ibid., p.41). Les taux d’activité des femmes dans ces régions sont en 

effet assez faibles : de 23 % dans le monde arabe et de 32 % en Asie du Sud, comparativement à 

une moyenne mondiale  de  51 %,  en  2011  (Banque mondiale,  citée  dans  Ibid.).  Cette même 

situation  serait  également  remarquée  chez  les  femmes  immigrantes  aux  États‐Unis  et  en 

Australie. Elle s’expliquerait principalement par des facteurs culturels traditionnels, notamment 

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religieux – selon lesquels l’homme doit remplir un rôle de pourvoyeur principal –, entretenus et 

transmis par  les  réseaux  sociaux ethniques et  religieux dans  le pays d’accueil  (Foroutan 2008, 

Read 2004 et Antecol 1999, cités dans Ibid. ; Ghazal et Read 2007, cités dans Chicha 2009). 

Certains auteurs, toutefois, ont remarqué la possibilité d’une inversion des rôles de genre dans 

l’immigration  (Chicha 2009,  p.35). Dans  ces  cas,  la  femme  devient  la  principale  pourvoyeuse 

alors que le conjoint n’occupe qu’un rôle économique marginal au sein du foyer. Ces situations 

ne se traduisent néanmoins pas nécessairement en un accroissement de  l’autorité et du statut 

de  la  femme dans  le ménage :  la  résistance du  conjoint à adopter  son nouveau  rôle a plutôt 

tendance à créer des tensions dans la famille (Espiritu 1999, citée dans Ibid.).  

 

ii. Le couple, la perte du soutien 

Bien  que  les  écarts  soient  davantage manifestes  au  sein  des  couples  originaires  des  régions 

mentionnées précédemment,  le portrait  statistique de  la première partie  souligne  le  fait que 

cette  situation  est  partagée  par  la  grande  majorité  des  femmes  immigrantes.  Les  valeurs 

traditionnelles de genre ne sont en effet pas l’apanage des pays à majorité musulmane, et sont 

également partagées dans des sociétés dites féministes comme le Québec où les taux d’activité 

sont  également  inégaux  entre  les  sexes (63,5 %  pour  les  femmes  contre  73,3 %  pour  les 

hommes, parmi la population native à Montréal en 2006).  

La  priorité  de  carrière  est  ainsi  plus  souvent  accordée  aux  hommes,  tandis  que  les  femmes 

doivent  également  remplir  leur  rôle  d’épouse  et  de mère,  en  plus  de  celui  de  travailleuse, 

lorsqu’il y a lieu. 

Toutefois,  les  femmes  qui  arrivent  au Québec  doivent  également  combiner  à  ces  différents 

rôles, celui d’immigrante. L’une des dimensions de ce rôle réside dans l’affaiblissement, voire la 

perte,  du  réseau  externe.  Cette  nucléarisation  de  la  structure  familiale,  combinée  aux 

stéréotypes de genre, peut accentuer  les responsabilités familiales et ménagères de  la femme 

(Bellemare 2016,  p.129).  Une  grande  partie  des  femmes  pouvaient  en  effet  compter  sur  de 

nombreuses aides familiales ou externes au pays d’origine, et ainsi se consacrer à leur carrière, 

et éprouvent des difficultés sans accès à un tel soutien une fois installées au Québec (Ibid.).  

Mais toutes  les femmes  immigrantes ne sont toutefois pas égales face à cette situation. Celles 

qui ont un statut socioéconomique  relativement élevé peuvent  faire appel à un  réseau d’aide 

privé au Québec ou bien faire venir leur famille élargie pour obtenir du soutien (Vayman 2012, 

citée  dans  Ibid).  Le  lieu  de  résidence  au Québec  peut  également  jouer  un  rôle.  En  effet,  les 

femmes qui habitent dans un quartier à forte concentration ethnique auraient un accès facilité à 

de  l’aide  externe,  par  la mobilisation  des membres  de  leur  communauté  pour  la  garde  des 

enfants par exemple (Stier 1991, cité dans Ibid.). 

 

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iii. Les enfants 

Comme évoqué ci‐dessus, incombe aux femmes immigrantes, par la perte du réseau de soutien 

et  la persistance de stéréotypes de genre, une grande responsabilité des  tâches domestiques. 

Certains  auteurs  évoquent  d’ailleurs,  outre  cette  accentuation,  l’apparition  de  nouvelles 

responsabilités  dans  l’immigration.  Il  s’agit,  par  exemple,  de  l’intégration  sociale  des  enfants 

dans  le  nouveau  pays,  tant  à  l’école  que  dans  le  voisinage,  qui  requiert  temps  et  attention 

(Cooke 2007, Purkayastha 2005, cités dans Chicha 2009, p.36). 

Ainsi, nous remarquons dans quelle mesure  la présence d’enfants, et particulièrement ceux en 

bas  âge,  peut  être  frein  à  l’insertion  professionnelle  des  femmes  immigrantes.  Mais  cette 

dimension, si elle est fortement  liée aux rapports de genre au sein du couple, est également à 

rapprocher  du  système  de  la  société  d’accueil.  En  effet,  les  services  de  garde  sont  souvent 

difficilement  accessibles,  en  termes  de  prix  et  d’horaires,  pour  les  personnes  aux  emplois 

atypiques, comme c’est souvent le cas pour les nouveaux arrivants. Autrement dit, l’intersection 

des rôles de mère, d’épouse et d’immigrante représente un obstacle en  lui‐même à  l’insertion 

des  femmes  sur  le marché de  l’emploi québécois, mais  il  importe de ne pas nier  les  facteurs 

structurels qui renforcent ou sous‐tendent cet obstacle. 

 

c. Éléments explicatifs : facteurs structurels  

i. Le système d’immigration 

Nous  l’évoquions dans notre portrait statistique,  il existe une  inégalité face au chômage entre 

les membres d’un couple, en fonction des statuts de « requérant principal » et de « conjoint » 

(au détriment de celui‐ci) déterminés dans  le processus administratif d’immigration. Chouakri 

(2004, citée dans Chicha 2009) dénonce ainsi ce processus de sélection qui confère davantage 

de  poids  au  requérant  principal  (généralement  l’homme)  qu’au  demandeur  jugé  secondaire 

(généralement  la  femme),  dans  le  calcul  des  caractéristiques  de  capital  humain  pour  être 

sélectionnés.  Aussi,  ce  fonctionnement  contribuerait‐il  à  renforcer,  avant même  l’arrivée  au 

Québec,  la  priorité  du  conjoint masculin  dans  l’insertion  professionnelle  (Ibid.).  Par  ailleurs, 

cette différenciation risque de s’accentuer avec l’implantation du nouveau système de sélection 

par  déclaration  d’intérêt,  dans  la  mesure  où  celui‐ci  privilégie  certains  secteurs  d’emplois, 

généralement traditionnellement masculins (Atif 2016). 

 

ii. Le marché du travail 

Si  toutes  les personnes  immigrantes  sont confrontées à des obstacles communs de difficultés 

d’apprentissage de  la  langue officielle et de  reconnaissances des diplômes et des expériences 

professionnelles  acquis  dans  le  pays  d’origine,  les  femmes  semblent  connaître  des  freins 

supplémentaires à leur bonne insertion professionnelle. 

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Concernant la reprise d’études, à laquelle sont contraints bon nombre de nouveaux arrivants, il 

semblerait, selon Godin (op. cit.), que requérants principaux et conjoints soient aussi nombreux 

à suivre des formations (environ un tiers pour chaque groupe), mais que la divergence s’observe 

au  niveau  des  secteurs  ciblés. Les  « conjoints »  (généralement  des  femmes)  s’engagent 

davantage dans des voies techniques qu’universitaires. Par ailleurs, Action Travail des Femmes 

(2008, cité dans Ibid.) remarque le rôle joué par les intervenant.e.s et agent.e.s d’emploi sur ce 

sujet.  En  effet,  ceux‐ci  ne  prendraient  pas  tant  en  compte  le  haut  niveau  de  scolarité  des 

nouvelles  arrivantes  et  les  dirigeraient  vers  des  formations  plutôt  destinées  à  une  clientèle 

moins scolarisée. 

Au moment de  la recherche d’emploi, ce sont de nouveaux obstacles qui se dressent entre  les 

immigrantes et un emploi qui  coïncide avec  leurs diplômes et expériences. À  l’embauche,  les 

préjugés  et  stéréotypes  relatifs  à  l’origine  étrangère  et  au  genre  féminin  influenceraient  les 

recruteurs  dans  leur  anticipation  des  performances  des  candidats  aux  postes  (Browne  et 

Misra 2003, cités dans  Ibid., p.44). Ainsi,  si  les  femmes ont déjà peu de chances d’obtenir un 

emploi dans un secteur  traditionnellement masculin, celles‐ci s’amenuisent encore  lorsque  les 

candidates  sont  immigrantes.  De  plus,  dans  certains  pays,  les  secteurs  techniques  et 

scientifiques sont plutôt mixtes, les nouvelles arrivantes au Québec se retrouvent donc face à un 

mur  qu’elles  n’avaient  pas  anticipé  pour  poursuivre  l’exercice  de  leur  profession  (Raghuram 

2008, Weiner 2009, cités dans Ibid.).  

Pendant  l’entretien  d’embauche,  l’évaluation  des  compétences  interpersonnelles  peut 

également porter préjudice aux  femmes  immigrantes. En effet, ces compétences, ou « savoir‐

être », comme les capacités de communication, la motivation ou le dynamisme, sont valorisées 

différemment  selon  les  cultures.  Or,  au moment  de  l’entretien,  des  comportements  qui  ne 

correspondent pas à ce qui est attendu par le recruteur peuvent être perçus comme des signes 

d’incompétences ou d’incompatibilités avec  le reste de  l’équipe et conduire à  l’élimination du 

candidat. Chicha en conclut :  

En raison de  leur double appartenance,  les  immigrées risquent d’être encore plus désavantagées 

par la subjectivité du critère des compétences interpersonnelles et de se heurter à un plafond de 

béton plutôt que de verre dans leur accès à des postes de direction. (Ibid., p.49)  

Enfin,  un  autre  obstacle  pour  les  femmes  immigrantes  réside  dans  l’un  des  moyens  de 

recrutement  les plus courants parmi  les employeurs :  le recours aux réseaux de connaissances 

des employés. Ce fonctionnement contribue à reproduire la ségrégation sexuelle et ethnique qui 

caractérise  le marché  du  travail  québécois  (Ibid.).  En  effet,  lorsqu’il  y  a  peu  de  personnes 

immigrantes  dans  des  postes  qualifiés,  le  recrutement  par  réseau  risque  de maintenir  cette 

exclusion.  Aussi,  les  femmes  immigrantes  qualifiées,  dont  le  réseau  est  surtout  composé 

d’autres  immigrantes,  se  voient  confiner  dans  des  emplois  précaires  et  ethnicisés  (Chicha  et 

Deraedt 2009, citées dans Bellemare 2016, p.326). 

 

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9  

iii. Une discrimination intersectionnelle 

Les obstacles que  rencontrent  les  femmes  immigrantes dans  leur  insertion  sur  le marché du 

travail  québécois  semblent  se manifester  à  plusieurs  échelles :  à  l’échelle  de  la  famille  et  à 

l’échelle de  la société. Pour autant ceux‐ci ne sont pas déconnectés  les uns des autres, mais  le 

résultat  au  contraire  d’entrecroisement  entre  les  différents  rôles  endossés  par  les  femmes 

immigrantes  et  entre  les  différents  facteurs  discriminatoires  dont  elles  sont  l’objet.  Ces 

discriminations, si elles peuvent parfois se  réaliser en actes directs, se manifestent surtout de 

manière  diffuse  et  à  différents  niveaux  (Simon  2016).  On  parle  alors  de  discrimination 

systémique, définie ainsi :  

La discrimination  systémique est une  situation d’inégalité cumulative et dynamique  résultant de 

l’interaction de pratiques, de décisions ou de comportements, individuels ou institutionnels, ayant 

des effets préjudiciables, voulus ou non,  sur  les membres de groupes visés par  l’article 10 de  la 

Charte Québécoise des droits de la personne. La discrimination systémique [...] est persistante car 

elle résulte d’un réseau complexe de facteurs en  interaction. (Chicha‐Pontbriand 1989, citée dans 

Eid 2016) 

Ainsi,  Chicha  (2009)  précise‐t‐elle  que  « ces  discriminations  imprègnent  les  pratiques,  les 

comportements et  les règles adoptés par  les divers acteurs, notamment  l’État,  les employeurs, 

les  associations  professionnelles,  les  universités  ou  encore  la  famille  immigrée ».  Elles  se 

réalisent de manière croisée en fonction du genre, de  l’origine, de  l’appartenance ethnique ou 

raciale, de l’état civil, de la langue, etc.   

Pour  saisir  la  situation  particulière  des  femmes  immigrantes  qui  combinent  l’expérience  de 

plusieurs  discriminations,  Chicha  (2009)  propose  alors  l’utilisation  d’une  « approche 

d’intersectionnalité  des  facteurs  discriminatoires ».  Le  concept  de  « discrimination 

intersectionnelle », désigné sous ce nom par Makonnen (2002, citée dans Ibid.), a émergé sous 

l’influence  de  Crenshaw  (1993,  citée  dans  Ibid.)  qui  cherchait  à  expliquer  la  situation  des 

femmes  afro‐américaines.  L’intersection  des  oppressions  ne  résulte  pas  en  un  cumul  de 

discriminations, mais plutôt en une situation unique, qualitativement différente, vécue par  les 

personnes porteuses de cette combinaison d’appartenances (Atif 2016).  

 

Certains chercheurs arguent que les femmes immigrantes viennent avant tout pour assurer 

un  meilleur  avenir  à  leurs  enfants,  et  que  leur  situation  professionnelle  précaire  serait 

compensée par la réussite de leurs enfants (Boudarbat et Grenier 2014). On remarque en effet 

qu’elles semblent parfois « contraintes à se sacrifier » pour la bonne intégration économique du 

reste de  la  famille. Mais qu’en  est‐il dans  les  faits ?  Les  filles d’immigrants héritent‐elles des 

obstacles  rencontrés  par  leur  mère  ou  parviennent‐elles  à  réussir  sur  le  plan  scolaire  et 

professionnel ? 

 

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10  

II. Les femmes de deuxième génération 

1. Une situation favorable au Canada 

a. Portrait statistique 

i. Scolarité 

En général,  les personnes dont  les parents sont nés à  l’étranger ont une scolarité plus élevée 

que ceux dont les parents sont nés au Canada : « those with both parents born abroad had, on 

average, about 14 years of  schooling, one year more  than  those whose parents were born  in 

Canada » (Corak 2008, p.13). En particulier, les femmes de deuxième génération sont celles qui 

ont  le  plus  de  chances  d’avoir  suivi  des  études  les  plus  longues,  comparativement  à  leurs 

homologues masculins et aux femmes de troisième génération et plus. En effet, près d’un quart 

d’entre  elles  ont  au moins  un  diplôme  universitaire  de  premier  cycle  (contre  20 %  pour  les 

hommes de deuxième génération et 15 % pour les femmes de troisième génération) (Ibid.).  

 

 (Tableau issu de Corak 2008, p.11, nos soulignements) 

De plus, notons que, si habituellement  le niveau de scolarité des parents  influence  largement 

celui de leurs enfants, les enfants d’immigrants en général, et les filles en particulier, sont moins 

touchés  par  cette  logique.  Autrement  dit,  la  mobilité  « scolaire »  entre  la  première  et  la 

deuxième génération est plus grande chez  les familles où  les parents sont nés à  l’étranger que 

chez  celles  où  les  parents  sont  nés  au  Canada  (Picot  et  Hou  2011,  p.12).  Ci‐dessous  une 

illustration de cette mobilité :  

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11  

 (Tableau issu de Corak 2008, p.14) 

 

ii. Emploi, chômage et revenus 

Concernant  la participation au marché du travail,  les hommes ne présentent pas de différence 

quelque que  soit  la génération à  laquelle  ils appartiennent. Pour  les  femmes, en  revanche,  la 

différence est notable en faveur de celles dont les parents sont nés à l’étranger : elles sont plus 

susceptibles  de  travailler  toute  l’année  et  de  connaître  moins  de  périodes  de  chômage 

(Palameta 2007, p.9). 

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12  

En  ce  qui  a  trait  aux  revenus  (horaires  et  annuels), on  remarque  le même  effet :  il n’y  a de 

nouveau pas de différence significative entre  les hommes, alors que parmi  les femmes ce sont 

celles  de  deuxième  génération  qui  obtiennent  la  situation  la  plus  favorable  (27 500 $  par  an 

contre 18 200 $ pour les femmes de troisième génération et plus, en 2004) (Ibid., p.10). 

 (Tableau issu de Palameta 2007, p.9, nos soulignements) 

 

De  plus,  parmi  les  enfants  d’immigrants,  ce  sont  les  femmes  qui  semblent  le  mieux  se 

démarquer de la situation d’emploi de leurs parents :  

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13  

 (Tableau issu de Corak 2008, p.17) 

Enfin,  si nous  regardons  les différences en  fonction de  l’appartenance à une minorité visible, 

nous  nous  apercevons  qu’elles  sont  fortement  marquées  chez  les  hommes  et  presque 

inexistantes chez les femmes, concernant les revenus d’emploi :  

 (Tableau issu de Palameta 2007, p.14) 

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14  

Il existe aussi des différences au sein même des minorités visibles. Certaines communautés sont 

en  effet  particulièrement  à  risques  de  voir  une  transmission  de  la  situation  professionnelle 

précaire (en termes de revenus) de père en fils, malgré des niveaux de scolarité plus élevés que 

la moyenne. C’est le cas notamment pour les communautés caribéennes, d’Afrique de l’Ouest et 

de certains pays latino‐américains (Corak 2008, p.22). 

 

b. Éléments explicatifs 

Certains auteurs ont cherché à comprendre la meilleure situation scolaire et professionnelle des 

femmes dont  les parents sont  immigrants comparativement à celles dont  les parents sont nés 

au Canada, ou en comparaison des fils d’immigrants. Plusieurs pistes ressortent. 

i. Le niveau de scolarité 

En  premier  lieu,  ces  écarts  de  participation  au  marché  du  travail  et  de  revenus  peuvent 

s’expliquer en partie par la scolarisation très élevée des filles d’immigrants. Celle‐ci, et celles de 

leurs homologues masculins, s’expliqueraient, selon Picot et Hou (2011), par plusieurs facteurs, 

comme les fortes attentes des parents, le fait de résider dans des zones urbaines (où le niveau 

de scolarité est plus élevé qu’en  région) ou encore  le  rôle du “capital ethnique” : « The  latter 

concept typically refers to the advantages or disadvantages bestowed on the  individual by the 

overall level of income and educational attainment for the ethnic group as a whole. » (Ibid., p.8).   

 

ii. Le lieu de résidence 

L’avantage  lié à  la  situation professionnelle des  femmes et hommes de deuxième génération 

repose  également  en  partie  sur  leur  implantation  géographique.  En  effet,  les  enfants 

d’immigrants  ont  une  forte  tendance  à  s’installer  dans  des  régions  et  des  centres  urbains 

particulièrement prospères :  

Les trois quarts des  jeunes Canadiens dont  les deux parents sont  immigrants sont concentrés en 

Ontario et en Colombie‐Britannique, et plus des trois quarts vivent dans de grands centres urbains. 

En  revanche,  la moitié de  leurs homologues dont  les parents  sont nés  au pays  vivent dans des 

régions économiquement moins prospères telles que le Canada atlantique, le Québec, le Manitoba 

et  la  Saskatchewan,  et  environ  60 %  vivent  dans  de  petites  villes  et  dans  des  régions  rurales. 

(Palameta 2007, p.15) 

 

iii. Report des naissances et des mariages 

Les différences de situation professionnelle entre les femmes dont les parents sont immigrants 

et celles dont  les parents sont natifs semblent également s’expliquer par des différences dans 

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15  

l’âge du mariage  et  du premier  enfant. On  remarque  en  effet  que  les  femmes de  deuxième 

génération se marient et ont des enfants plus tard que  leurs consœurs : dans une enquête de 

Statistiques Canada, parmi les femmes de 22 à 34 ans interrogées, un tiers des femmes dont les 

parents sont nés à l’étranger avaient déjà eu, adopté ou élevé un enfant, alors que c’était le cas 

pour près de  la moitié des  femmes de  troisième génération et plus  (33,3 c. 47,2 %, en 2004) 

(Ibid,  p.8).  Or,  nous  savons  que  l’état matrimonial  et  la  présence  d’enfants  constituent  des 

facteurs importants de l’insertion professionnelle des femmes.  

  

Si  l’insertion  professionnelle  des  femmes  de  deuxième  génération  semble  particulièrement 

positive au Canada,  la situation se détériore toutefois considérablement  lorsque  l’on s’attarde 

au contexte québécois.  

 

2. Une situation moins favorable au Québec 

a. Portrait statistique 

i. Scolarité 

Les  jeunes Québécois en général, et ceux dont  les parents sont  immigrants en particulier, sont 

en moyenne davantage scolarisés que leurs homologues du reste du Canada :  

 (Tableau issu de Boudarbat 2016)5 

Au Québec, les femmes présentent un niveau de scolarisation plus élevé que les hommes, et ce 

pour presque toutes les générations :  

                                                            5 Idem pour les tableaux suivants. 

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16  

  

ii. Emploi, chômage et revenus 

Concernant  la  participation  au  marché  du  travail  québécois,  les  femmes  de  deuxième 

génération se démarquent par leur plus haut taux d’activité comparativement à leurs confrères 

de deuxième génération, mais par un taux moindre en comparaison des femmes de troisième 

génération et plus. 

  

On remarque également une différence des taux d’activité entre les femmes qui appartiennent 

ou non à une minorité visible, au détriment de celles qui sont racialisées :  

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17  

  

Et,  surtout,  notons  les  différences  avec  les  femmes  du  reste  du  Canada.  Les  femmes  de 

deuxième  génération  québécoise  ont  en  effet  un  taux  d’activité  plus  faible  que  celles  qui 

résident ailleurs au Canada :  

  

Concernant  les  taux  de  chômage,  nous  remarquons  une  logique  sensiblement  similaire. 

Autrement dit, au Québec, les femmes de deuxième génération ont des taux de chômage moins 

élevés  que  leurs  homologues  masculins,  mais  parmi  les  enfants  d’immigrants  ce  sont  les 

personnes  racialisées  qui  ont  des  taux  de  chômage  les  plus  élevés. De  plus,  les  femmes  de 

deuxième  génération  qui  résident  au  Québec  performent  moins  bien  sur  ce  point, 

comparativement à celles du reste du Canada. 

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18  

  

C’est également le même scénario qui se reproduit au niveau des revenus :  

  

Comment expliquer que  les enfants d’immigrants québécois qui ont des taux de scolarité plus 

élevés  que  la  moyenne  réussissent  moins  bien  à  le  traduire  en  réussite  professionnelle, 

comparativement  aux  enfants  d’immigrants  du  reste  du  Canada,  et  ce  de  façon  encore  plus 

marquée pour les femmes ?  

 

 

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19  

b. Pistes d’explication 

i. Lieu de résidence 

Nous l’évoquions plus haut, une explication de la meilleure situation professionnelle des enfants 

d’immigrants  au  Canada  repose  sur  leur  lieu  de  résidence,  dans  des  régions  et  des  villes 

particulièrement  prospères.  Or,  bien  qu’au  sein même  du  Québec,  les  jeunes  de  deuxième 

génération se concentrent presque exclusivement dans la région métropolitaine de Montréal (à 

95 % !)  (Boudarbat 2016),  la  région  du Québec  est moins  avantageuse  économiquement  que 

celle d’Ontario ou de Colombie‐Britannique.  

 

ii. Capital social  

Concernant les enfants d’immigrants de minorité visible et leur situation désavantageuse sur le 

marché  de  l’emploi  québécois,  certains  auteurs  avancent  l’hypothèse  d’un  capital  social  et 

familial plus faible que les autres. Le capital social serait en effet une ressource importante pour 

les  jeunes  chercheurs  d’emploi  (Granovetter 1974,  cité  dans  Chung  Yan,  Lauer  et 

Jhangiani 2008); or les jeunes dont les parents sont immigrants et de minorité visible ne peuvent 

bénéficier d’un réseau étendu. Leurs parents n’ont effectivement pas de profession, travaillent 

dans une enclave ethnique ou n’ont pas de réseau social  interethnique très vaste (Chung Yan, 

Lauer et Jhangiani 2008). 

  

iii. Facteurs culturels 

D’autres auteurs évoquent plutôt  l’hypothèse de  la prégnance de  facteurs culturels, reliés aux 

pays  d’origine  des  parents  (Boudarbat 2016).  Ainsi,  ce  serait  les  mêmes  valeurs  dites 

traditionnelles  qui  freineraient  à  la  fois  les mères  et  leurs  filles  à  s’insérer  sur  le marché  de 

l’emploi  québécois. Nous  pouvons  notamment  retrouver  ces  arguments  dans  l’histoire  de  la 

famille  B.,  originaire  d’Algérie  et  immigrée  en  France  à  la  fin  des  années 1970,  étudiée  par 

Beaud (2016). Le contexte français est bien sûr très différent de celui du Québec, surtout en ce 

qui  a  trait  à  l’immigration  et  à  leurs  descendants,  toutefois  certains  éléments  peuvent  sans 

doute  apporter des  pistes de  réflexion  sur  le  sujet. Ainsi,  la  fille  ainée de  la  famille doit  par 

exemple  s’occuper  de  tâches  domestiques  et  familiales pendant  sa  scolarité :  « rentrée  de 

l’école à 17h, je mettais la gandoura et je passais dans un autre monde où je préparais à manger 

pour  les petits,  je  les  couchais,  je  les douchais… Enfin… Et que  je  commençais mes devoirs à 

minuit  dans  la  cuisine. »  (Beaud 2016).  Puis,  elle  connaît  la  pression  de  ses  parents  pour 

s’engager  dans  des  études  courtes  et  professionnalisantes  (en  l’occurrence  des  études 

d’infirmières) et se marier jeune :  

‐ [Q :]  À  l’école  d’infirmières,  il  y  avait  la  perspective  de  l’argent  assez  vite,  entre 

guillemets… tout ça repoussait la question du mariage, c’est ça ? Cette question, elle était évacuée 

ou elle ressurgissait à un moment ?...  

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20  

‐ [R :] Alors le contrat c’est je finis mes 3 ans…  

‐ Et après, vous êtes bonne à marier... 

‐ Voilà  !... Et en  fait, six mois avant  la  fin des 3 ans, donc elle  [sa mère] est  revenue au 

galop. Voilà. Et  là elle me disait “mais c’est  très bien, comme ça  tu vas  finir en même  temps  tu 

seras mariée, moi j’ai quelqu’un”, voilà. (Beaud 2016) 

Un plus jeune frère résume : « je prends souvent comme exemple ma grande sœur Samira… Qui 

s’est privée de sa jeunesse, quand elle est venue ici, à Paris, travailler… Elle s’est privée de plein 

de  trucs, pour aider nos parents, pour nous aider, nous. »  (Beaud 2016). Ainsi, nous pouvons 

voir  le  poids  de  la  dynamique  familiale,  et  de  ses  traditions,  sur  les  parcours  scolaire  et 

professionnel de cette jeune femme et qui ont pu constituer des freins à ceux‐ci. 

 

iv. Discrimination systémique 

Il ne  faut  toutefois pas occulter,  comme nous  l’avons  vu  en première partie,  les  effets de  la 

discrimination  systémique  sur  l’insertion professionnelle des enfants d’immigrants. Eid  (2016) 

soulève notamment  l’idée de “transmissibilité” de  la discrimination raciale d’une génération à 

l’autre. Ce tableau, comparant les revenus moyens d’emplois, l’illustre : 

 

(Eid 2016)

Cette  “transmissibilité”  s’inscrit  dans  l’idéologie  du  racisme  “sans  races”  ou  “color‐blind” 

(Bonilla‐Silva 2010)  des  sociétés  occidentales  contemporaines.  En  effet,  celle‐ci  conçoit 

notamment  les pratiques culturelles présumées comme un bloc  figé et homogène, commun à 

tout le groupe minorisé, et opère ainsi un glissement de  la notion de race vers celle de culture 

(Ducharme et Eid 2005, p.6). La culture devient une donnée “naturelle” et essentialisante dans 

les rapports sociaux, et qui se transmet, de surcroît, d’une génération à l’autre. Ce qui permet in 

fine de justifier l’exclusion des enfants d’immigrants du marché de l’emploi (Eid 2016).  

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Par ailleurs, dans  le contexte  français, des auteurs  remarquent  la “double discrimination”, par 

rapport  à  leur  origine  et  leur  sexe,  dont  sont  victimes  les  femmes  issues  de  l’immigration 

maghrébine  sur  le marché de  l’emploi  (Meurs et Paillé 2008). Cette piste  serait à développer 

dans le contexte québécois.  

 

En guise de conclusion 

Pour  résumer,  nous  avons  montré  dans  cet  écrit  à  quel  point,  au  Québec,  les  femmes 

immigrantes et leurs filles ont une intégration économique souvent précaire, et loin de coïncider 

avec  leur  niveau  de  scolarité  élevé.  Leurs  insertions  professionnelles  sont  le  produit  d’un 

entrecroisement de facteurs tant structurels que personnels. Il faut en effet prendre en compte 

les effets de la dynamique familiale, reliée à des stéréotypes de genre traditionnels, les effets du 

contexte dans  lequel  celle‐ci  s’inscrit :  le  contexte économique,  les politiques migratoires,  les 

enjeux  de  discriminations  systémiques,  ainsi  que,  surtout,  les  intersections  entre  ces  deux 

niveaux.  Par  ailleurs,  nous  nous  sommes  rendu  compte  que  les  inégalités  qui  entravent  les 

femmes  immigrantes dans  leur parcours professionnel au Québec sont en partie  transmises à 

leurs filles, particulièrement lorsqu’elles appartiennent à une minorité visible. 

Concluons  sur  le  fait  qu’il  est  à  notre  avis  crucial  de  poursuivre  les  études  sur  les  femmes 

immigrantes  et  leur  inclusion  dans  la  société  québécoise,  qui  passe  nécessairement  par  une 

meilleure  intégration  économique.  Pour  cela,  nous  pensons  qu’il  est  nécessaire  –  tant  dans 

l’analyse  que,  sans  doute,  dans  l’accompagnement  pratique  –  de  considérer  les  familles 

immigrantes  dans  leur  ensemble,  avec  les  besoins  et  les  aspirations  de  chacun,  et  dans  le 

contexte  spécifique  dans  lequel  elles  s’inscrivent,  qui  ajoute  et  renforce  des  facteurs 

discriminants à leur égard. 

   

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Diversité sur le marché du travail de la Chaire en relations ethniques et du Centre d’études et de 

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