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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2006, N° 288 (2) 15 FORÊTS SACRÉES COULOIR DU DAHOMEY Kouami Kokou 1 Nestor Sokpon 2 1 Laboratoire de botanique et écologie végétale, faculté des sciences, université du Bénin BP 1515, Lomé Togo 2 Laboratoire d’études et de recherches forestières, faculté d’agronomie, université de Parakou BP 123, Parakou Bénin Photo 1. Un bois sacré dans les montagnes de Kara, au Togo, seul espace boisé dans un paysage très anthropisé. Photo M. Kaman. Au Togo et au Bénin, les fragments de forêts qui subsistent sont essentiellement des forêts sacrées, de faible superficie, dispersées, mais très variées en termes de typologie et d’affectation cultuelle. Dans cette région, dépourvue de massifs forestiers conséquents, les forêts sacrées abritent néanmoins une part non négligeable de la biodiversité. Des propositions sont faites pour une gestion durable de ces espaces. Les forêts sacrées du couloir du Dahomey

Les forêts sacrées du couloir du Dahomey

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B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 8 ( 2 ) 15FORÊTS SACRÉESCOULOIR DU DAHOMEY

Kouami Kokou1

Nestor Sokpon2

1 Laboratoire de botanique etécologie végétale, faculté dessciences, université du BéninBP 1515, LoméTogo

2 Laboratoire d’études et derecherches forestières, facultéd’agronomie, université de ParakouBP 123, ParakouBénin

Photo 1. Un bois sacré dans les montagnes de Kara, au Togo, seul espace boisé dans un paysage très anthropisé. Photo M. Kaman.

Au Togo et au Bénin, les fragments de forêts qui subsistent sont essentiellement des forêts sacrées, de faible superficie, dispersées, mais très variées en termes de typologie et d’affectation cultuelle. Dans cette région, dépourvue de massifs forestiers conséquents, les forêts sacrées abritent néanmoins une partnon négligeable de la biodiversité. Des propositions sont faites pour une gestion durable de ces espaces.

Les forêts sacrées du couloir du Dahomey

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RÉSUMÉ

LES FORÊTS SACRÉES DU COULOIRDU DAHOMEY

Au Bénin et au Togo, les forêts sacréessont signalées depuis très longtemps.Elles sont très nombreuses, relative-ment petites et interviennent dans laprotection de la faune et de la floreforestières de ces deux pays du cou-loir sec du Dahomey. Cette étude apermis de faire une typologie de cesforêts sacrées, en s’appuyant sur laperception des populations locales.Plusieurs espèces d’arbres et espacesforestiers sont ainsi considéréscomme des habitats d’une multitudede divinités vénérées par les popula-tions locales. Ce sont des arbressacrés isolés, des réserves de chasse,des forêts des ancêtres, des forêtscimetières, des forêts de dieux ou degénies, des forêts de sociétéssecrètes, etc. Très protégés aupara-vant pour leur rôle social, culturel etde conservation de la biodiversité,ces arbres et forêts sacrés sont actuel-lement menacés de disparition. Lamise en œuvre d’une gestion durables’avère urgente pour leur sauvegarde.

Mots-clés : forêt sacrée, biodiversité,conservation, gestion durable, cou-loir du Dahomey.

ABSTRACT

SACRED FORESTSIN THE DAHOMEY GAP

Sacred forests in Benin and Togohave been reported for a very longtime. They are numerous and rela-tively small, and they help to protectforest fauna and flora in these twocountries of the Dahomey gap. Oursurvey enabled us to draw up a typeclassification of these sacred forestsaccording to perceptions among localcommunities. Several tree speciesand forest areas are considered asthe habitats of a multitude of divini-ties worshipped by the local popula-tions. These habitats may be isolatedsacred trees, hunting reserves, forestburial grounds, forests inhabited byancestors, gods or genies, or used bysecret societies, etc. Although theywere highly protected in the pastbecause of their social and culturalimportance and their role in biodiver-sity conservation, these sacred treesand forests are now under threat, andthe implementation of sustainablemanagement has become a matter ofurgency for their preservation.

Keywords: sacred forest, biodiver-sity, conservation, sustainable man-agement, Dahomey gap.

RESUMEN

LOS BOSQUES SAGRADOSDEL PASILLO DE DAHOMEY

La existencia de bosques sagrados enBenín se conoce desde hace muchotiempo. Son muy abundantes, relati-vamente pequeños y contribuyen a laprotección de la fauna y flora forestalde estos dos países del pasillo secode Dahomey. Este estudio permitiórealizar una tipología de estos bos-ques sagrados, basándose en la per-cepción de las poblaciones locales.Varias especies de árboles y áreasforestales son vistas como moradasde una multitud de divinidades vene-radas por las poblaciones locales. Setrata de árboles aislados sagrados,reservas de caza, bosques de losantepasados, bosques cementerio,bosques de dioses o genios, bosquesde sociedades secretas, etc. Dichosárboles y bosques sagrados, antañomuy protegidos por su papel social,cultural y de conservación de la biodi-versidad, se encuentran actualmenteamenazados. Para poder salvarlos,hay que aplicar urgentemente unaordenación sostenible.

Palabras clave: bosque sagrado, bio-diversidad, conservación, ordena-ción sostenible, pasillo de Dahomey.

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SACRED FORESTS

Kouami Kokou, Nestor Sokpon

DAHOMEY GAP

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Descaractér istiques

var iées

À l’issue des grandes conven-tions de Rio en 1992, la gestiondurable des ressources naturelles etla conservation de la diversité biolo-gique sont devenues une préoccupa-tion majeure pour les États Parties.Nombre d’espaces forestiers quiétaient auparavant négligés intéres-sent désormais les scientifiques etles organismes de conservation, quiont engagé des actions de sauve-garde et de gestion durable (Hay-Edie, Hadley, 1998).

Sur le continent africain, lesforêts sacrées sont signalées depuistrès longtemps (Chevalier, 1933 ;Aubréville, 1937 ; Jones, 1963).Ceux qui soutiennent la thèse d’undéboisement exagéré dans le couloirdu Dahomey (carte 1) ont vu en cesîlots de forêt les vestiges d’uneancienne forêt continue sur toute lacôte ouest-africaine (Fairhead,Leach, 1998). Des études récentes(Kokou, 1998 ; Sokpon et al., 1998 ;Sokpon, Agbo, 1999 ; Kokou et al.,1999 ; Sokpon, Ago, 2001) ont mon-tré que ces fragments de forêt sontessentiellement des forêts sacrées,très nombreuses, relativementpetites (entre quelques ares et 40 ha,parfois plus) et variées du point devue physionomique, ethnique, géo-mantique, socioculturel et politique.

La variété des rites pratiquésdans ces forêts constitue unerichesse culturelle exceptionnelle etfondamentale pour l’identité despopulations de ces pays. Elles sontles lieux de résidence des dieux etdes ancêtres auxquels les popula-tions assignent un rôle protecteur deleur communauté ou de leur village.Les cérémonies y sont régulièrespour diverses raisons (danses depurification et d’initiation, intronisa-tion des chefs traditionnels, anoma-lies climatiques, prolifération demoustiques, d’oiseaux et d’insectesnuisibles aux cultures, épidémies,période de chasse pour solliciter

l’abondance du gibier, réparationsdes dégâts dus à la foudre…). Enoutre, elles constituent un refugepour beaucoup de végétaux et d’ani-maux dans des environnements trèsfortement anthropisés et écologique-ment fragiles (photo 1). Certainesforêts abritent des sources d’eau quialimentent les villages. Des récoltesde fruits, de bois, de plantes médici-nales, de fourrages, de lianes y sontparfois autorisées.

Au Bénin et au Togo, la nomen-clature traditionnelle de ces espacesforestiers s’appuie fortement sur leculte vaudou ou vaudoun. Le cultevaudou prend lui-même appui sur leculte fa ou afa et la géomancie qui luiest liée (Maupoil, 1961 ; de Surgy,1988). Le terme fa désigne à la fois ledieu de la communication entre lesautres dieux, les ancêtres et leshommes, l’objet de la divination qui

lui correspond, mais aussi sa tech-nique (Adjakly, 1985). Les offrandessacrificielles, qui sont les reconnais-sances aux dieux interrogés par le fa,se font à un endroit précis du terroirqui abrite le dieu ; celui-ci peut êtreun cours d’eau, une montagne, unrocher mais très souvent un arbre ouune forêt.

L’objectif de cette étude n’est nide revenir sur le concept de forêtssacrées ni sur leurs rôles social, cul-turel et conservateur de biodiversité(Juhé-Beaulaton, Roussel, 2002)mais d’établir une typologie de cesespaces forestiers traditionnels telsque perçus par les populationslocales. Puis face à la dégradation deplus en plus forte dont ils font actuel-lement l’objet, des propositions sontfaites pour une gestion durable deces sanctuaires de la biodiversitéforestière.

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Carte 1. Situation du Bénin et du Togo dans le couloir du Dahomey.

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Diversité desarbres et des forêts

en relation avec la multiplicité

des dieux

La variété des forêts sacréesentraîne aussi une diversité deconcepts liés notamment aux fonctionsqui leur sont assignées, à la multipli-cité des divinités, aux légendes quimarquent leur origine, à la nature dutotem qui engendre des tabous cultu-rels et alimentaires et aussi à la diver-sité des habitats. Il s’agit d’arbressacrés, de réserves de chasse, deforêts des ancêtres, de cimetières, deforêts de dieux ou génies, de sociétéssecrètes ou masquées.

Arbres sacrés

L’arbre sacré est un arbre particu-lier auquel un adepte est lié pour sa vieentière. Cet arbre est un « double végé-tal » de l’individu ou de la famille, à lafois symbole et « ange gardien ».L’adepte s’identifie aux qualités quereprésente l’arbre, par exemple force etgrandeur du baobab (Adansonia digi-tata), richesse et abondance du palmierà huile (Elaeis guineensis) et splendeurde l’iroko (Milicia excelsa). Il vientdemander de l’aide, avantage ou suc-cès, à cet arbre et il le remercie en casde bienfait. Seules certaines espèceslocales sont sacrées (tableau I). Parmices arbres, certains incarnent les mau-vais esprits et sont craints, c’est le casdu baobab (Adansonia digitata) au suddu Togo ou du lingué (Afzelia africana)au nord du Bénin et du Togo.

Réserves de chasse

Les réserves de chasse sont desforêts dans lesquelles les rites sontlimités à des sacrifices de volaille audieu de la forêt, au début de chaquecampagne de chasse. Les habitantsont le droit de chasser, d’extraire régu-lièrement le miel et de couper le boisde service. Les grands arbres ne sontabattus que sur ordre du chef coutu-mier et pour des raisons collectives.

Forêts des ancêtres

Les forêts des ancêtres(Togbévé au Togo et Togbozoun auBénin) abritent l’esprit de ceux-ci.Généralement, c’est là que repose lepremier occupant du village.Certaines de ces forêts serventencore de cimetière aux dignitaires,dans les villages. Il peut arriver que lasacralité d’une forêt des ancêtres soitrenforcée à la suite de l’installation

spontanée d’un arbre sacré commeMilicia excelsa. Ces forêts peuventêtre regroupées en trois catégories :▪ Les forêts personnelles ou indivi-duelles sont protégées par une per-sonne, en l’honneur des ancêtres etdes dieux, pour sa propre sécurité etson bien vital.▪ Les forêts communautaires. Lesrites ne concernent que les membresd’une famille particulière. Certains deces rites familiaux peuvent, néan-

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DAHOMEY GAP SACRED FORESTS

TTaabblleeaauu II.. EEssppèècceess dd’’aannggiioossppeerrmmeess pplluuss ffrrééqquueemmmmeenntt vvéénnéérrééeess..

Numéro Espèce Famille

1 Adansonia digitata Bombacaceae

2 Afzelia africana Caesalpiniaceae

3 Albizia zygia Mimosaceae

4 Antiaris africana Moraceae

5 Bombax costatum Bombacaceae

6 Borassus aethiopum Arecaceae

7 Ceiba pentandra Bombacaceae

8 Celtis integrifolia Ulmaceae

9 Daniellia oliveri Caesalpiniaceae

10 Diospyros mespiliformis Ebenaceae

11 Diospyros monbuttensis Ebenaceae

12 Dracaena arborea Agavaceae

13 Elaeis guineensis Arecaceae

14 Ficus capensis Moraceae

15 Ficus polita Moraceae

16 Grewia carpinifolia Tiliaceae

17 Holarrhena floribunda Apocynaceae

18 Hymenocardia acida Euphorbiaceae

19 Khaya senegalensis Meliaceae

20 Lecaniodiscus cupanioides Sapindaceae

21 Lophira lanceolata Ochnaceae

22 Milicia excelsa Moraceae

23 Newbouldia laevis Bignoniaceae

24 Parkia biglobosa Mimosaceae

25 Tamarindus indica Caesalpiniaceae

26 Triplochiton scleroxylon Sterculiaceae

28 Vitex doniana. Verbenaceae

27 Vittelaria paradoxa Sapotaceae

29 Zanha golungensis Sapindaceae

30 Zanthoxylun zanthoxyloides Rutaceae

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moins, se pratiquer au profit de lacommunauté. Elles se situent sur dessites très particuliers ayant marqué lacommunauté dans des périodesguerrières de son histoire (lieu d’uncombat, lieu de la maison de l’an-cêtre commun). L’existence d’an-ciens vestiges (pierres de soutène-ment des greniers, pierres de foyers,meules, éclats de poteries) en leursein confirme qu’il s’agit d’ancienneshabitations. Certaines espèces végé-tales marquent ces lieux, notammentMilicia excelsa, Dracaena arborea,Newbouldia laevis, Pterocarpus san-talinoides, Cynometra megalophylla,Kigelia africana et Ceiba pentandraen zone guinéenne ; Anogeissus leio-carpus, Adansonia digitata, Afzeliaafricana, Bombax costatum en zonesoudanienne.▪ Les forêts sacrées mixtes sont desforêts sacrées familiales ou person-nelles, dont les bienfaits peuventprofiter à toute la communauté. C’estle cas de la plupart des forêts sacréesde la région centrale du Togo.

Forêts cimetières

Les forêts cimetières servent decimetière pour les personnes quidécèdent suite à un accident deroute, un incendie, une femme morteen état de grossesse, un enfant mortd’une épidémie de variole, varicelle,rougeole, une personne foudroyée ounoyée. De peur de subir le même sortque les morts qui y sont enterrés, cesforêts étaient craintes et respectéesjusqu’à une époque récente. De nosjours, elles sont délaissées et misesen culture du fait de la forte pressionanthropique, surtout dans les zonesoù la terre est un facteur limitant.

Forêts des dieux ou de génies

Les forêts des dieux ou degénies abritent les dieux ou génies,en principe protecteurs des popula-tions. Elles sont les plus nombreusesau Bénin (fréquence de l’ordre de60 %) et peuvent abriter plusieursdivinités : Danzoun ou forêts du génie

Dan (dieu serpent), Xèbiossozoun ouforêts du dieu Xèbiosso (dieu de lafoudre), Sakpatazoun ou forêts dugénie Sakpata (dieu de la terre),Lissazoun ou forêts du dieu Lissa(symbolisé par le caméléon). Au suddu Togo, les Nyigbenvé sont desforêts du dieu serpent, symbolisé parl’arc-en-ciel (photo 3).

Ces forêts sont parfois associéesparce qu’elles sont issues d’unensemble qui s’est scindé. La portionla plus grande est la « forêt mâle »associée à la petite portion qui est la« forêt femelle ». Il existe aussi desforêts dites « forêts sacrées princi-pales » qui sont consultées seulementen cas de problèmes très graves etlorsque les forêts sacrées « infé-rieures » sont incapables de trouverdes solutions (épidémie meurtrière,sécheresse persistante, etc.). Lesforêts sacrées d’importance secon-daire sont consultées plus fréquem-ment. Elles sont intégralement proté-gées et, le jour des cérémonies, leurentrée n’est strictement permise

qu’aux initiés. Certaines sont traitéespar le feu, une fois par an. Il s’agit defeux rituels qui sont allumés unique-ment le jour des cérémonies. Ce rituela pour but d’observer la fumée, soncomportement constituant un présagequi est interprété par le prêtre coutu-mier. Dans d’autres forêts sacrées,des coupes rituelles sont pratiquéesune fois par an et toute la commu-nauté se retrouve le jour des cérémo-nies pour procéder au prélèvement.

Forêts des sociétéssecrètes ou sociétés

masquées

Au Bénin, certaines sociétéssecrètes font leur initiation à l’intérieurdes forêts sacrées. Ce sont les Orozounou forêts à Oro, les Kouvitozoun ouforêts à Kouvito, les Zangbétozoun ouforêts à Zangbéto (tous ces dieuxincarnent les morts et les revenants).Les forêts sacrées cachent ou serventde couvent à ces sociétés.

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Photo 2. Un Antiaris sacré dans la ville d’Agbodrafo, au Togo. Photo K. Kokou.

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Caractéristiquesgénérales

des forêts sacrées

Le nombre et la surface totaledes forêts sacrées dans les deux paysne sont pas connus avec précision.Au sud du Togo, la surface moyenneest de 5,6 ha (Kokou, 1998).Beaucoup sont de petits bosquetsqui dépassent rarement 200 m2. AuBénin, 69,4 % des forêts sacréesrecensées ont une surface inférieureou égale à 1 ha, 18,3 % ont une sur-face comprise entre 1 et 5 ha et lesplus grandes forêts (égales ou supé-rieures à 5 ha) représentent 12,3 %(Sokpon, Agbo, 1999). La richessefloristique moyenne des forêtssacrées du Togo est de 75 espècespar forêt. Cette richesse floristiqueaugmente en fonction de la surface.Des inventaires botaniques réalisésdans 160 forêts sacrées du Togo ontpermis de recenser 900 taxons, soit28 % de la flore spontanée et intro-duite au Togo. Ces espèces sontregroupées en 529 genres et 110familles, dont les plus représentéessont les légumineuses, les Rubia-ceae, les Euphorbiaceae et les Mora-ceae pour les dicotylédones et les

Poaceae pour les monoctylédones.Parmi celles-ci, une cinquantained’espèces n’avaient pas été recen-sées auparavant au Togo (Brunel etal., 1984). Au Bénin, la richesse spé-cifique des forêts sacrées (diamètredbh égal ou supérieur à 10 cm) varied’un type de forêt à l’autre et estcomprise entre 3 et 55 espèces(Sokpon et al., 1998 ; Sokpon,Agbo, 1999 ; Sokpon, Ago, 2001).

Les principaux types physiono-miques qui composent ces forêtsdans les deux pays se répartissent enquatre groupes. ▪ Les forêts semi-caducifoliées ousemi deciduous forests (Hall, Swaine,1981).▪ Les variantes sèches des forêtssemi-caducifoliées ou dry semi deci-duous forests (Hall, Swaine, 1981).▪ Les forêts denses sèches ou dryforest.▪ Les forêts littorales ou south-east out-lier type forest (Hall, Swaine, 1981).

À part ces principaux types phy-sionomiques, d’autres sites sacrésrecensés sont des forêts-galeries, desforêts claires et des savanes boisées.

Pratiques localesde gestionforestière

Les forêts sacrées sont desexemples de traditions locales quicontribuent au sauvetage de la flore etde la faune menacées de disparition(Camara, 1994 ; Chandrashekara,Sankar, 1998 ; Kokou et al., 1999).Plusieurs auteurs ont évoqué la néces-sité de tirer certaines leçons de cessystèmes de gestion locale (Ostrom,1997 ; Ramakrishnan et al., 1998).Mais, actuellement, plusieurs élé-ments concourent à leur déclin,notamment la croissance démogra-phique, les défrichements et les feuxde brousse, l’expansion incontrôléedes habitations, l’érosion descroyances religieuses traditionnelleset la faiblesse du pouvoir des chefsreligieux.

Pour assurer une gestion viablede ces forêts, il existe une série d’ap-proches qui doivent impliquer l’en-semble des acteurs, notamment lesscientifiques, les forestiers et lespopulations locales. Les grandeslignes des mesures à prendre concer-nent l’élaboration d’un plan de ges-tion participative, la création d’uncadre réglementaire et législatif et laformation et la sensibilisation despopulations.

Recommandations pour un plan de gestion

Les recommandations pour unplan de gestion consistent principa-lement en quatre types d’actions pré-sentés ci-après.▪ Recenser, délimiter et inventorierles forêts sacrées. L’exiguïté et lamultiplicité des forêts sacrées entraî-nent des difficultés de localisation etl’absence de repères clairs et tan-gibles de leurs limites facilite leurérosion foncière. Il est essentiel etprioritaire de cartographier cesreliques forestières et d’en matériali-ser les limites. Des exemples existentdéjà, notamment au Bénin, où lespopulations locales ont pour habi-

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Photo 3. Forêt sacrée d’Amédéhoèvé, sur le littoral togolais. Photo K. Kokou.

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tude d’utiliser des plantes diversesmatérialisant sans équivoque leslimites des forêts sacrées. À Ouidah,la forêt sacrée Kpassezoun est clôtu-rée et ouverte au public à titre de sitetouristique (photo 4). ▪ Limiter la pression humaine. Lesprélèvements pour l’autoconsomma-tion ne constituent pas une menacepour ces forêts. Il s’agit de concilierla préservation et l’exploitation desressources. En interdisant tout prélè-vement dans une forêt, les villageoiss’en désintéressent, puis, lorsqu’ilsdoivent faire face à leurs besoinscroissants, outrepassent les interditset exploitent de façon anarchique.C’est exactement la situation actuelledans les aires protégées.▪ Gérer les feux de brousse acciden-tels et rituels. Un plan de gestion duterritoire pour créer des bandes pare-feu, à entretenir annuellement, seraitnécessaire. L’instruction sur les tech-niques de feux de brousse dirigés etun encadrement technique compé-tent permettraient de nettoyer lessurfaces nécessaires. Ces techniquessemblent envisageables en raison dufort esprit communautaire des popu-lations. La gestion des feux rituels estpossible pour les forêts d’une cer-taine taille (supérieure à 2 ha).L’exemple en pays losso, au nord duTogo, montre qu’il est possible debrûler une partie d’une forêt (3/4 ha)en épargnant le reste et de le faire demanière rotative. Il serait souhaitablede négocier avec les responsablesdes forêts vouées à la chasse pourqu’ils conviennent de circonscrireleurs feux, afin d’assurer la reconsti-tution des secteurs épargnés.L’expérience du village Siou, au norddu Togo, pourrait être citée enexemple en ce qui concerne lesmenaces liées à la destruction desforêts sacrées par les feux rituels.Dans ce village, les pluies devenaienttrès tardives et, quand les anciens sesont réunis, ils ont réalisé que laforêt, brûlée pour la chasse, étaitdépouvue d’arbres bénéfiques pourle climat. Le village a donc décidé de

replanter du teck, Tectona grandis, etdes Eucalyptus spp. Si la solutiontrouvée n’est pas parfaite, la prise deconscience s’avère intéressante.▪ Établir un plan de gestion et d’amé-nagement intégré. Ce plan doit lierles objectifs écologique, social, cul-turel et économique développés parles populations locales, et êtreappuyé par un partenariat (forestiers,Ong, chercheurs) qui informe,conseille et renforce les liens.Soutenus et pris en considération,les villageois devraient participeractivement au plan de sauvegarde deleurs forêts. Pour pallier l’avancéedes terres cultivables et la pratiquedes feux intentionnels, il est indis-pensable d’établir un système deceintures consolidant le noyau fores-tier. Une première ceinture, dequelques mètres de large, peut êtreplantée, de préférence avec desessences locales, adaptées au milieuet qui ne risquent pas de modifier lacomposition floristique ; cela ens’appuyant sur les limites actuellesdes champs. Cette zone tampondevrait établir une limite physiqueentre la forêt et les champs. Les agri-

culteurs autour des forêts sacréesdoivent procéder au défrichementsystématique des parcelles avant lasaison sèche. Ils pourront être encou-ragés à planter des essences fores-tières à usage de bois d’énergie, pourcontribuer au développement ducouvert forestier. Ces aménagementsnécessitent, au préalable, une prisede conscience générale et unevolonté de s’investir dans la mise enœuvre d’un travail communautaire deplantation et d’entretien. Enfin, leplan d’aménagement peut prévoirl’écotourisme ; les forêts sacréessont généralement proches des vil-lages, faciles d’accès et parfois trèsbelles. En formant des guides, les vil-lages riverains de forêts sacrées desuperficie conséquente peuventcréer une association touristique dedécouverte de la forêt. Cette actioncommunautaire permettrait de créerun fonds villageois à partir desrecettes. Cette dernière propositionn’est pas compatible avec le statutde forêt sacrée mais elle vaut bienmieux que l’absence de gestionactuelle, qui conduirait incontesta-blement à leur disparition.

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Photo 4. Kpassèzoun, à Ouidah (Bénin), une forêt sacrée aménagée et ouverte aux touristes. Photo K. Kokou.

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Mise en œuvre d’un cadre réglementaire

et législatif

Dans un cadre réglementaire etlégislatif, des droits d’usage doiventêtre instaurés et suivre des règlesclaires et précises pour éviter lesdébordements. Pour les animaux, ilfaudrait appliquer effectivement lestextes réglementant les conditions dechasse et de capture des espèces pro-tégées. Au Togo, il s’agit de l’ordon-nance n° 4, du 16 janvier 1968, régle-mentant la protection de la faune etl’exercice de la chasse au Togo. AuBénin, c’est la loi n ° 93-009, du2 juillet 1993, portant Régime desforêts en République du Bénin quisitue le cadre réglementaire de la ges-tion des forêts des domaines classé etprotégé de l’État. Il serait envisa-geable d’intégrer ces forêts dans ledomaine classé (forêts naturelles),mais ceci risquerait de soulevermaints nouveaux problèmes fonciers.L’essentiel serait d’adapter les régle-mentations au contexte actuel.

Formation et sensibil isation des populations

Il s’avère nécessaire de sensibili-ser les populations riveraines des forêtssacrées sur l’importance écologique etculturelle de ces sites au sein de leurterroir. Ceci suppose d’engager deséchanges avec les villageois pour trou-ver un mode d’aménagement participa-tif. Ces échanges doivent, de préfé-rence, être menés par des Ong locales,mieux acceptées que l’administrationforestière. Une autre approche consisteà impliquer directement les agentsforestiers, en prenant soin de lesaccompagner dans un effort de recon-version, pour devenir les éducateurs etinformateurs des populations. Cetteresponsabilisation est assujettie à laprise de conscience collective vis-à-visde l’importance de la forêt, en tant queressource naturelle et source d’intérêtspour les hommes. À cet effet, unenotion générale de la forêt est utile, carla majorité des populations ne connaît

que les îlots forestiers proches de leurvillage. Elles n’ont aucun élément decomparaison possible. Il est utile deleur présenter le contexte général de laforêt, au Bénin et au Togo, par rapportaux pays forestiers voisins (Ghana, Côted’Ivoire, Nigeria). Il s’agit de faire étatde la richesse particulière de ces îlotsforestiers et de démontrer l’irréparablevitesse de destruction. La prise deconscience du rôle environnementaldes forêts sacrées est fondamentale,notamment auprès des jeunes. Unesensibilisation et une information préa-lables du corps enseignant seraientnécessaires à cette action, de mêmeque la mise au point et la diffusion dedocuments pédagogiques attractifs etadaptés à l’âge du public. Cette actionéducative n’est pas la moindre, car elleseule peut garantir que les populationslocales continuent à assurer la protec-tion des forêts sacrées, comme ellesl’ont fait par le passé.

Conclusion

Cette étude a permis de présen-ter une première approche typolo-gique des forêts sacrées du Bénin etdu Togo. Ces forêts, nombreuses maisdispersées, maintiennent tant bienque mal une part de la diversité biolo-gique de ces deux pays, naturelle-ment dépourvus de massifs forestiersconséquents. En effet, elles consti-tuent des refuges pour beaucoup detaxa végétaux et animaux ayant dis-paru des paysages très anthropisésqui caractérisent le Bénin et le Togo.Elles recèlent aussi de menus pro-duits ligneux et non ligneux, quoti-diennement exploités par les popula-tions locales. C’est le cas de certainesforêts sacrées abritant des sourcesd’eau qui alimentent des villages quin’ont pas souvent d’autres moyenspour s’approvisionner en eau. Malgréces services, la gestion actuelle et les

conflits autour de ces espaces fores-tiers entraînent progressivement leurdisparition. Les éléments moteurs dece déclin sont la croissance démogra-phique, les défrichements, les feux debrousse, la pression foncière accrueet la perte progressive d’autorité de lapart des chefs de village, voire de l’ad-ministration. Une démarche éducativeest nécessaire, afin d’obtenir uneprise de conscience. Il appartient à lacommunauté scientifique d’assurerun suivi technique des pratiqueslocales en liaison avec la conservationde la biodiversité et l’environnement,de promouvoir leur reconnaissance etappropriation par tous les acteurs quiinterviennent dans la gestion des res-sources forestières. Les autoritésforestières doivent assurer la protec-tion de ces îlots forestiers en établis-sant des liens de confiance avec lespopulations locales. Celles-ci doiventêtre associées à toutes les actions quipourront être menées pour qu’ellesn’apparaissent pas être imposées parune autorité, mais issues d’une prisede conscience collective.

RemerciementsK. Kokou remercie la Fondation inter-nationale pour la science (Ifs, Suède)et N. Sokpon remercie le Centrerégional pour le développementinternational (Crdi, Canada).

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Page 9: Les forêts sacrées du couloir du Dahomey

Référencesbibliographiques

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