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UNIVERSITÉ DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX-MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D’AIX-MARSEILLE LES GARDES A VUE DEROGATOIRES Thèse pour le doctorat en droit présentée et soutenue publiquement par Fabrice TROLLIET Octobre 2002 Premier volume Directeur de recherche : M. Gaétan DI MARINO, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille III Membres du jury M. le Doyen Roger BERNARDINI, Professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis M. Jean-François RENUCCI, Professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis

LES GARDES A VUE DEROGATOIRES - Avocat au Barreau de … · Par quelle magie judiciaire, soulignait-il, « ce qui est ... de la procédure pénale française. Au cours de celle-ci,

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  • UNIVERSIT DE DROIT, DECONOMIE ET DES SCIENCES DAIX-MARSEILLE

    FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DAIX-MARSEILLE

    LES GARDES A VUE DEROGATOIRES

    Thse pour le doctorat en droit

    prsente et soutenue publiquement par

    Fabrice TROLLIET

    Octobre 2002

    Premier volume

    Directeur de recherche :

    M. Gatan DI MARINO, Professeur lUniversit dAix-Marseille III

    Membres du jury

    M. le Doyen Roger BERNARDINI, Professeur lUniversit de Nice Sophia-Antipolis M. Jean-Franois RENUCCI, Professeur lUniversit de Nice Sophia-Antipolis

  • A lintention de Monsieur le Professeur Di Marino pour

    lhonneur et la confiance quil ma faits en mapportant son prcieux concours pour la ralisation de cette thse.

    Cher Professeur, je ne vous remercierai jamais assez de tout ce que vous avez pu faire pour moi,

    Merci.

    2

  • Pour ma mre,

    3

  • La facult de droit nentend donner aucune approbation aux opinions

    mises dans cette thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

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  • SOMMAIRE PREMIERE PARTIE. LE CADRE JURIDIQUE DES GARDES A

    VUE DEROGATOIRES Titre 1. Le cadre initial du rgime drogatoire Chapitre 1. Linstauration dun rgime drogatoire de

    garde vue en matire de sret de ltat. Chapitre 2. Les dangers du rgime drogatoire Titre 2. Les dveloppements ultrieurs du

    rgime drogatoire. Chapitre 1. Le cas du trafic de stupfiants Chapitre 2. Le cas du terrorisme DEUXIEME PARTIE. LES GARANTIES LIEES AUX GARDES

    A VUE DEROGATOIRES Titre 1. Les garanties touchant la mise en

    uvre de la garde vue Chapitre 1. Le placement en garde vue Chapitre 2. Les consquences du placement en garde

    vue Titre 2. Les garanties touchant aux droits de la

    personne garde vue Chapitre 1. Les garanties relatives lintervention

    dagents extrieurs Chapitre 2. Les garanties relatives au respect des droits

    reconnus la personne garde vue

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  • Introduction Un sicle et demi aprs quait t dcrte, le 17

    novembre 1808, la loi devenue Code dinstruction criminelle, la loi du 31 dcembre 1957 a institu le Code de procdure pnale dont le titre prliminaire et le livre premier remplacent et modifient environ le tiers des dispositions de lancienne loi. Au titre de ces modifications, lune dentre elles savrait fondamentale : cest celle de la garde vue.

    Si pour certains, comme le rapporteur du projet devant lAssemble nationale, M. Isorni 1, la nouvelle lgislation, en ce quelle consacrait la notion de garde vue, apparaissait comme une bonne loi , une telle position ne sembla pas faire lunanimit. Me Garon 2, estimait quavec la garde vue : cest la conscration de la dtention arbitraire, ctait un retour la procdure inquisitoriale, avec ce quelle comporte de plus rprhensible . Pour lui, jamais la libert individuelle na autant t mise en pril . Ce mme auteur estime, par ailleurs 3 : que le texte nouveau rend lgales des pratiques jusqu ce jour irrgulires et dangereuses . Dautres, comme Monsieur le Professeur Merle 4, devaient, leur tour, stigmatiser les incohrences de cette nouvelle procdure, en nhsitant pas parler, son propos, de magie judiciaire . Par quelle magie judiciaire, soulignait-il, ce qui est jug impossible et inacceptable pendant la phase dinstruction ou du jugement est-il considr comme fondamentalement bon au cours de lenqute policire ? .

    1 Isorni, Une Bonne Loi , Le Monde, 10 juillet 1957, p. 5. 2 Garon, La Garde vue , Le Monde, 26 juin 1957, p. 7. 3 Garon, Une Mauvaise Loi , Le Monde, 4 Juillet 1957, p. 1 et 11. 4 Merle, La garde vue , Gaz. Pal., 18 juillet 1969, p. 19.

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  • Avec la garde vue, le lgislateur, en ce quil confre aux officiers de police judiciaire certaines attributions qui, jusque l, ne relevaient que des seules prrogatives du magistrat instructeur, consacrait lun des plus remarquables paradoxes de notre code de procdure pnale. Celui-ci, au terme des textes relatifs linstruction, rserve exclusivement le pouvoir dinterroger un inculp, un prvenu ou un accus, des magistrats, seules autorits parfaitement adaptes la protection des libert individuelles. Un tel interrogatoire est une opration trop dangereuse pour tre confie des officiers de police judiciaire 5. Pourtant, le code de procdure pnale va, au terme du titre II de son livre premier consacr aux enqutes, instituer une procdure dans laquelle la personne suspecte ne bnficiera, au cours de son interrogatoire, daucune des garanties par ailleurs accordes par le loi, dans le cadre des interrogatoires raliss par un Juge dinstruction. Ainsi, suivant la qualit de celui qui y procdera, linterrogatoire ne sera pas soumis aux mme rgles et ne comportera pas les mmes garanties ! Le paradoxe ne sarrte pas l.

    Au del mme de linterrogatoire, certains auteurs 6, se demandent quoi bon instruire une affaire alors que la gendarmerie et la police ont multipli leurs efforts pour faire une enqute complte . Si le code de procdure pnale, en autorisant les officiers de police judiciaire se livrer de vritables instructions, pose la question de lutilit du Juge dinstruction en matire de recherche de la vrit, la garde vue, en ce quelle confre aux officiers de police judiciaire le soin de procder de vritables instructions, va aussi lencontre de tous les principes quont pu tablir plusieurs sicles dvolution de notre procdure pnale.

    Enfin, en guise de paradoxe il convient de mettre en lumire le plus singulier dentre eux, qui concerne lorigine historique de la garde vue. Il serait faux de croire que la garde vue fut cre ex-nihilo par le code de procdure pnale en 1957. Loin sen faut, avec la garde vue, le lgislateur est en fait venu lgaliser une pratique illgale ou tout le moins extra lgale, non prvue par le Code dinstruction criminelle, ralise loccasion de lenqute officieuse. La garde vue nest que la traduction lgislative de liberts prises par les officiers de police judiciaire, lorigine, en dehors de tout texte.

    5 Merle, La garde vue , Gaz. Pal., 18 juillet 1969, p. 19. 6 Marquiset, Le Juge d'instruction la recherche de la vrit , Editions La Renaissance, Troyes, 1968, p. 14.

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  • ce stade, la garde vue apparat comme le point de convergence de pratiques peu orthodoxes. Pourtant, afin de bien concevoir la nature profonde de la garde vue, par essence drogatoire, il est indispensable de retracer son volution historique, non parce quelle constitue un incontournable legs de lantiquit, mais plutt parce que ce qui constitue ses forces et ses faiblesses ne peut tre bien compris sans un rapide recours lhistoire de la procdure criminelle franaise. cette fin, nous envisagerons les prrogatives respectives des magistrats instructeurs et des forces de polices charges de lenqute, ainsi que leur volution jusqu ladoption du Code dinstruction criminelle. Ensuite, nous envisagerons la remise en question des principes dicts par le Code dinstruction criminelle que pose la garde vue et, ce titre la garde vue pourrait se concevoir comme linexorable glissement des prrogatives du Juge dinstruction entre les mains des officiers de police judiciaire.

    Malgr des recherches historiques passionnantes, on connat mal les origines de notre instruction prparatoire. Certains 7 estiment quau moyen-ge, la justice tait administre sans loi ni mme coutume fixe 8. Toutefois, une telle affirmation mrite dtre nuance dans la mesure o, partir de la seconde moiti du XIII e sicle, sous leffet de laffermissement du pouvoir royal, vont apparatre des techniques tendant une meilleure obtention de la vrit. La recherche de la preuve est confie par la juridiction de jugement des spcialistes, les examinateurs ou commissaires enquteurs, anctres de nos Juges dinstruction. Cet affermissement progressif va se poursuivre jusqu la renaissance, date laquelle linstruction prparatoire verra son rgime se prciser et saffirmer au point de ne plus tre remis en question jusqu la rvolution.

    Ainsi, aux fins de bien saisir les problmes que soulvent la garde vue, au travers du prisme des comptences du Juge dinstruction, nous distinguerons deux poques successives. La premire va des origines de la procdure criminelle jusquau XVIIe sicle, la seconde, de cette priode jusqu ladoption du Code dinstruction criminelle.

    Historiquement, la procdure accusatoire prcde toujours la procdure inquisitoire. De cet incessant ballet quorchestrent les imprieuses ncessits de la rpression, vont dcouler de nombreuses consquences relatives la situation avant jugement des personnes souponnes davoir commis une infraction. 7 Bongert, Cours dhistoire de droit pnal : le droit pnal franais mdival de la seconde moiti du XIIIe lordonnance de 1493 , Les cours de droit, Paris, 1973, p. 64. 8 Pradel, Linstruction prparatoire , Editions Cujas, 1990, Paris, p. 19.

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  • Il est indispensable dvoquer, succinctement, certains aspects du droit romain, dont linfluence sur notre droit est, maints gards capitale. lpoque romaine, linstruction du procs relve dj de la comptence du magistrat. Toutefois, deux grandes priodes sont distinguer : la priode rpublicaine et la priode impriale, se subdivisant elle-mme en principat et bas empire.

    Pendant la priode rpublicaine, le pouvoir coercitif du magistrat tait la rgle et ctait encore ce pouvoir qui sexerait seul dans la plupart des cas. la fin de cette priode, cest un jury prsid par un magistrat qui connat dun certain nombre de dlits. Ce droit pnal constituait ce que lon appelle lordo judiciorum publicorum, par opposition lordo judiciorum privatorum. Lorsque lon scartait de ce terrain lgal, la procdure tait dite extra ordinem, par exemple quand les dcisions taient prises par lempereur ou par des fonctionnaires impriaux. Avec le principat, cest dsormais lempereur, au travers du tribunal imprial, qui, seul, a en charge ladministration de la justice criminelle. Cette priode marque le dbut de lessor de la procdure extraordinaire. Sous le rgne dAuguste, afin de rprimer plus efficacement de nouveaux dlits, les juges impriaux reoivent le pouvoir den rechercher doffice les auteurs 9. Cette nouvelle procdure, dessence inquisitoire, appele extraordinaire, apparat cot du systme accusatoire, thoriquement maintenu dans le cadre de lordo judiciorum publicorum. Puis, au bas empire, Diocltien va remplacer lorganisation judiciaire mise en place par Auguste, par un systme de Tribunaux de fonctionnaires, tant au civil quau pnal. Cest surtout cette priode qui est intressante pour lhistoire de la procdure pnale franaise. Au cours de celle-ci, la procdure pnale publique Rome revt deux formes : la cognitio et laccusatio 10. Dans les deux cas, le dlit est poursuivi au nom de ltat, mais dans le cadre de la cognitio ce rle appartient un magistrat, reprsentant de la communaut, tandis que dans le cadre de laccusatio, il appartient un particulier qui se charge volontairement de cette procdure publique. Cette procdure extraordinaire permet aux juges dagir doffice contre tous dlinquants mme si la voie de laccusatio reste nanmoins ouverte pour les crimes ordinaires. La recherche de la preuve relve de la stricte comptence de certains diles et, la runion des preuves,

    9 Carbasse, Introduction historique au droit pnal , PUF, collection droit fondamental, Paris, 1990, p. 30. 10 Bongert, Cours dhistoire de droit pnal : le droit pnal franais mdival de la seconde moiti du XIIIe lordonnance de 1493 , Les cours de droit, Paris, 1973, p. 15.

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  • cest--dire linstruction, se faisait entirement devant la juridiction de jugement, o le demandeur puis laccus fournissaient tour tour au Juge les preuves venant lappui de leurs dires 11. Les tmoins de chaque partie taient entendus, les pices convictions produites et, lorsque les juges estimaient que la procdure de la preuve tait suffisamment tablie, ils tranchaient. Notons, enfin, que toute linstruction, rcolement, confrontation et jugement se faisait huis ouvert, et en public en prsence du peuple, du Juge et des parties prsentes 12.

    Les invasions germaniques et la cration de lempire romain doccident vont avoir pour consquence un affaiblissement significatif de lide de ltat. Cela va se traduire, en matire de procdure criminelle, par la rapparition de la procdure accusatoire et des modes de preuves irrationnels. Ici des rgles plus primitives supplantent les rgles les plus complexes issues du droit romain, grce leur simplicit. Sous les lois barbares, apparurent en France les preuves corporelles ou ordalies, et le duel judiciaire devint bientt le mode de preuve ordinaire. Les juges y recherchaient la vrit, si laccus niait les faits. Comme prcdemment Rome, ces preuves destines la manifestation de la vrit se droulaient toujours laudience de jugement. Il en tait encore ainsi au moyen ge. Cependant, cette poque, il pouvait arriver que lexcution dactes dinstruction soit confie des examinateurs qui avaient pour mission propre deffectuer certains actes tels laudition de tmoins ou transport sur les lieux 13.

    Aprs la chute de lempire romain, lors du haut moyen ge, la procdure criminelle fodale va tre marque par le dclin de la procdure inquisitoire. Dessence accusatoire, cette procdure fodale ne va tre que la transposition au criminel de la procdure civile, laquelle drive elle-mme du combat singulier 14. Ce qui caractrise le systme accusatoire, ce nest pas lexistence dune accusation, mais la ncessit dun accusateur. En effet, la poursuite nappartient qu la partie lse ou si elle est morte son lignage, faute daccusation face une infraction, la puissance publique ne pouvait poursuivre, nanmoins, celle-ci pouvait saisir le malfaiteur,

    11 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 11. 12 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 163. 13 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 11. 14 Mellor, La torture : son histoire, son abolition, sa rapparition au XXe sicle , Editeur Maison MAME, collection sicle et catholicisme, Tours, 1961, p. 74.

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  • le priver de sa libert et provoquer la poursuite des intresss 15. Nous rappellerons, quau terme de cette procdure, le seigneur devait faire publier son de trompe quil tenait tel individu souponn de tel crime et quil invitait la victime ou ses parents se porter accusateurs ; aprs trois publications, lors dassises successives, le prisonnier tait mis en libert sous caution ou gard un an et un jour en prison avant dtre dfinitivement quitte.

    Avec la rapparition du systme accusatoire, linstruction du procs a lieu in praesenti populo et relve de la comptence du comte ou de son vicaire, assist, selon les poques, dhommes libres ou dchevins spcialiss. La justice est luvre du seigneur, et linstruction de laffaire relve exclusivement de ses attributions. Cependant, rapidement, le systme accusatoire va montrer ses propres faiblesses. Fond sur le principe pas daccusateur, pas de poursuites , la procdure accusatoire facilitait limpunit et, mme avec linvention de nouveaux systmes tels la publication son de trompe ou lenqute de pays, il est rapidement apparu plus expditif dobtenir laveu et au besoin de lextorquer.

    Ce glissement, fond sur linefficacit de la rpression, va trouver dans la science un alli de taille. En effet, au XIe et XIIe sicles se produit un vnement scientifique dune incalculable porte, savoir, la renaissance des tudes de droit romain savant dans lItalie du nord avec lcole des glossateurs, dite aussi cole de Bologne. Lincomparable progrs qui en rsulta pour le droit devait malheureusement trouver une terrible ranon, dissimule dans ce droit lui mme : le de quaestionibus du digeste o la torture ressortait comme lune des pices matresse du systme 16. Blmer la torture serait revenu rejeter la raison crite et dfigurer le systme inquisitoire.

    Ne pour sanctionner les manquements la discipline que lglise mdivale reprochait son clerg, la procdure inquisitoire se caractrisait par des mthodes diamtralement opposes celles des cours laques : secrte pour obvier la crainte rvrencielle qui aurait retenu dnonciateurs et tmoins de dposer contre leurs pasteurs, crite et savante car lglise contrairement la socit laque avait prserv son capital intellectuel ; elle cherchait avant tout obtenir laveu du coupable qui, sa faute confesse,

    15 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editiond Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 49. 16 Mellor, La torture : son histoire, son abolition, sa rapparition au XXe sicle , Editeur Maison MAME, collection sicle et catholicisme, Tours, 1961, p. 77. 17 Lebigre, La justice du roi : la vie judiciaire dans lancienne France , Editions Albin Michel, collection laventure humaine, Paris, 1988, p. 173.

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  • acquitterait sa dette en purgeant sa peine 17. Etendue ultrieurement la poursuite des hrsies qui menaaient lunit du dogme et de linstitution ecclsiale, linquisition devenue Sainte Inquisition appliqua les mmes rgles, en leur ajoutant toutefois la torture que la renaissance du droit romain, au XIIe sicle, avait fait redcouvrir.

    La contamination du droit laque par le modle inquisitoire ne fait aucun doute. En effet, touche par touche, sans plan prtabli, sous limpulsion du pouvoir royal, juges royaux et seigneuriaux vont progressivement sinspirer dun exemple dont lefficacit leur semblait propre remdier aux carences de la procdure accusatoire. titre dexemple, au XIIIe sicle, on trouve les premires traces dune vritable poursuite doffice avec, en 1254, une ordonnance 18, destine la rformation des actes dans le Languedoc, qui vient dfinir les contours de la procdure d aprise 19. La procdure devient entirement crite lexception dun unique interrogatoire de laccus et, la Cour jugera uniquement sur dossier, en fonction des preuves quil contient.

    Puis, du XIIIe au XVe sicle, suite lavnement de la procdure inquisitoire au sein du royaume, va progressivement se dgager lide que seul le roi va avoir le droit de procder aux inquisitions, en personne ou par dlgus. Celui qui tait charg denquter rassemblait un certain nombre dhommes du pays et sous la foi du serment recueillait leurs dclarations sur le point en litige puis, conformment leurs dires, prononait la sentence. Cette sorte de droit rgalien, qui nappartenait quaux juges en vertu dune commission du souverain, va se dvelopper jusqu fonder lun des principes directeurs du Code dinstruction criminelle, au terme duquel linstruction nappartient quau magistrat instructeur. Cest partir de cette priode, o notre procdure criminelle soriente inluctablement vers le modle inquisitoire, que de nombreuses ordonnances vont dune part instiller les principes de notre procdure criminelle moderne et, dautre part, affirmer le rle prdominant et central du magistrat instructeur dans la conduite des instructions.

    ce titre, lordonnance de Blois de 1498 20, qui entrine la distinction coutumire labore partir du XIVe sicle entre procdure ordinaire et procdure extraordinaire, cette dernire tant

    18 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 15. 19 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 66 et s.. 20 Carbasse, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle , PUF, Coll. Droit fondamental, 2000, Paris, p. 177.

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  • caractrise par lemploi de la torture, apparat dune importance considrable, en ce quelle prescrit le secret dans le cadre de la procdure extraordinaire 21. Elle prfigure, cet gard, notre procdure moderne. Toutefois, dans le cadre de notre recherche consacre aux sources de linstruction prparatoire, incontestablement, lordonnance la plus importante fut celle que prit Franois 1er Villers-Cotterts 22, au mois davril 1539.

    De nombreux auteurs 23 estiment que lordonnance de 1670 ne fera que recueillir, en le prcisant dans ses dtails, en aggravant parfois sa rigueur, le systme quavait organis lordonnance de 1539. En effet, au sein de cette ordonnance, la procdure criminelle est fixe par les articles 139 172, qui constituent un vritable petit code de procdure pnale, qui restera en vigueur jusquen 1670 24. Lordonnance de 1539, uvre du Chancelier Poyet, apparat comme foncirement novatrice, car disposant dun certain nombre de traits saillants et caractristiques sur lesquels il faut prsent nous pencher.

    Notons tout dabord, que le procureur du roi ou du seigneur est dornavant partie dans tout procs. En cela, cette ordonnance pose le principe de la sparation des fonctions de jugement et dinstruction. Ensuite, avec cette ordonnance, linstruction exige dsormais le concours de deux magistrats : le procureur qui requiert, et le Juge qui instruit 25. Notons, dailleurs, que cest antrieurement cette ordonnance de 1539, quapparat, avec la dclaration de Franois 1er du 14 janvier 1522, lanctre du Juge dinstruction, appel lieutenant criminel, qui runissait au droit dinstruire les procs criminels, celui de participer leur jugement 26. En effet, ds 1539 le procs se divise en deux phases avec dune part linstruction et dautre part le jugement. Linstruction, qui comprend toute la recherche des preuves que va fixer lcriture, est aux mains dun seul Juge, le Juge criminel cest--dire le lieutenant criminel attach chaque bailliage ou snchausse 27, ou le Juge seigneurial. Tout au long de la procdure, laccus tait maintenu en 21 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 136 et s. 22 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 140. 23 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 139. 24 Carbasse, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle , PUF, Coll. Droit fondamental, 2000, Paris, p. 178. 25 Samet, Histoire du Juge d'instruction et de la procdure pnale franaise , Regards sur lactualit, La documentation franaise, n 216, dcembre 1995, p. 9. 26 Chambon, Le Juge d'instruction , Dalloz, Manuel Dalloz de droit usuel, 1972, Paris, p. 11. 27 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 14.

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  • prison, mme si dans le cadre de la procdure ordinaire la libert provisoire moyennant caution tait assez libralement accorde. Si la procdure tait absolument secrte, elle tait aussi dune implacable rigueur : priv de lassistance dun conseil et de la libre facult de citer des tmoins dcharge, laccus soumis des interrogatoires habiles et souvent perfides, menac de torture tait pris dans un terrible engrenage 28. Sa pice matresse, qui rsidait dans linstruction, mene par un Juge unique aux pouvoirs considrables 29, prfigure dj le Code dinstruction criminelle. Pourtant, cette ordonnance fut accueillie favorablement par un peuple qui, sortant de lanarchie du moyen ge, des grandes guerres contre langlais, dchir bientt par les cruelles guerres de religion, sentait avant tout le besoin de scurit 30.

    Ces aspirations scuritaires quincarnait lordonnance de 1539 nallaient pas tre remises en question par les ordonnances suivantes, dont la plus remarquable, celle de 1670, contenait dans son prambule sa raison dtre : contenir, par la crainte des chtiments, ceux qui ne sont pas retenus par la considration de leur devoir . Celle-ci va faire la part belle une instruction crite, secrte et non contradictoire qui, sans dtours, rpond aux exigences defficacit que commandent la recherche et la poursuite des infractions.

    Mieux quaucune autre loi, les ordonnances de 1498 et 1539 assuraient efficacement la rpression des crimes et, cet gard, furent volontiers acceptes et presque populaires. Cependant, lordonnance de 1539 ne passa point sans protestations de la part des juristes. Des voix loquentes slevrent contre la rigueur quelle introduisait 31. Dumoulin ou Ayrault slevaient contre le secret de la procdure, mais aussi, contre la puissance terrible du Juge dinstruction et la faiblesse de la dfense. Vox clamantis in deserto, le pays acceptait avec reconnaissance tout ce qui tendait rprimer les dsordres dont il avait si longtemps souffert 32. Il ne devait pas en aller autrement avec lordonnance de 1670 qui, en matire dinstruction, ne devait pas foncirement diverger des options procdurales consacres par les ordonnances prcdentes. 28 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 153. 29 Carbasse, Introduction historique au droit pnal , PUF, collection droit fondamental, Paris, 1990, p. 147. 30 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 159. 31 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 159. 32 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 169.

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  • Lordonnance de 1670, uvre de Pussort, appele aussi grande ordonnance criminelle de Louis XIV, na rien envier la rigueur de celle de 1539. Toutefois, elle corrige le dfaut majeur du systme antrieur qui, en pratique, malgr linterdiction de la loi, laissait souvent laccusation ou au personnel judiciaire subalterne le soin de mener des investigations, en disposant que les actes denqute seront effectus directement par un Juge33. Ainsi, comme dans le cadre des dispositions de lordonnance de 1539, toute la phase antrieure au jugement est domine par un Juge, le lieutenant criminel, pre de notre Juge dinstruction 34. Cependant, la diffrence de la procdure consacre par lordonnance de 1539, le procs pnal tel quil se prsente dsormais peut tre dcompos en cinq tapes 35. La mise en mouvement de laction publique rsulte soit de la plainte dune partie, soit de la poursuite doffice par le Juge. Ensuite, se droule linstruction prparatoire qui, confie des juges du sige, souvre par la collecte des divers procs verbaux, en particulier ceux de la marchausse et des mdecins ; puis suivent laudition des tmoins, sous serment, entendus sparment et secrtement, proprement appele information. Au cours de celle ci, le lieutenant criminel a tout loisir pour dcerner des dcrets, ou actes portant atteinte la libert de linculp, dcrets dont le plus important est la prise de corps, lequel implique la dtention provisoire considre comme la rgle cette poque dans toutes les affaires criminelles. Ensuite, vient linterrogatoire du suspect par le Juge dinstruction o, seul et sans assistance, il se dfend face au Juge qui cependant se doit de mener linstruction charge et dcharge 36. la fin de cet interrogatoire, le Juge pouvait choisir entre la procdure ordinaire et la procdure extraordinaire. Si cette dernire tait retenue, linstruction prparatoire ntait pas suffisante, et il tait ncessaire de la complter par des investigations plus pousses qui constituent linstruction dfinitive. Celle-ci commence dabord par le rcolement des tmoins, que lon convoque une seconde fois pour leur demander de confirmer ou dinfirmer leurs dclarations, puis par la confrontation entre les accuss et tmoins. Linstruction dfinitive acheve, le Juge instructeur devait transmettre le sac du procs au Juge rapporteur, dont la tche tait de faire la synthse de

    33 Samet, Histoire du Juge d'instruction et de la procdure pnale franaise , Regards sur lactualit, La documentation franaise, n 216, dcembre 1995, p. 10. 34 Pradel, Linstruction prparatoire , Editions Cujas, 1990, Paris, p. 19. 35 Carbasse, Introduction historique au droit pnal , PUF, collection droit fondamental, Paris, 1990, p. 180. 36 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 234.

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  • laffaire devant le sige assembl : cest la visite du procs, o le greffier lit toutes les pices de la procdure 37. Une fois le rapport entendu, il comparat devant le sige assembl o, assis sur la sellette, laccus subit son dernier interrogatoire et cest alors quil peut prsenter sa dfense et faire valoir dventuels faits justificatifs 38. Nous le voyons, la phase dinstruction est mene par un Juge dinstruction, unique et tout puissant, dont les procs verbaux serviront de base lassemble des juges runis huis clos, ce qui prfigure dj les options procdurales du Code dinstruction criminelle. Certains auteurs 39 estiment quune telle omnipotence du Juge dinstruction, dans la conduite des investigations, est directement lie la faiblesse des forces de police.

    Quoiquil en soit, il nous faut encore noter que lordonnance de 1670, au del de la place quelle accorde au magistrat instructeur, va aussi consacrer, avec le principe de la sparation des pouvoirs de poursuite et dinstruction, un principe incontournable, dont la justesse ne sera pas remise en cause par notre droit moderne. Dans lordonnance de 1670, est inscrit le principe qui dfend au procureur du roi de participer la recherche et linstruction, si ce nest par son rquisitoire 40.

    Le caractre rsolument moderne de lordonnance de 1670, qui fonde entre autre le systme inquisitoire, devait subsister jusqu la rvolution 41. Cependant, ds le XVIIe sicle certaines voix, assez isoles, protestant au nom de la justice et de lhumanit, slvent dj contre les rigueurs de cette procdure. Sous certains aspects, comme, par exemple, la ngation des droits de la dfense ou encore les trop grands pouvoirs du Juge dinstruction, la procdure pnale franaise apparat comme la procdure pnale la plus rigoureuse dEurope 42. partir du XVIIIe sicle, magistrats, juris-consultes et philosophes, parmi lesquels dillustres auteurs 43 tels Montesquieu, Beccaria ou encore Voltaire, dnoncent dune seule voix cette procdure, qui sacrifie entirement les intrts de la dfense ceux de laccusation 44 et, nhsitrent pas se prononcer

    37 Carbasse, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle , PUF, Coll. Droit fondamental, 2000, Paris, p. 181. 38 Carbasse, Histoire du droit pnal et de la justice criminelle , PUF, Coll. Droit fondamental, 2000, Paris, p. 182. 39 Laingui, Histoire du droit pnal , PUF, Collection Que-Sais-Je, Paris, 1993, p. 94. 40 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 43. 41 Marquiset, Le Juge d'instruction la recherche de la vrit , Editions La Renaissance, Troyes, 1968, p. 15. 42 Samet, Histoire du Juge d'instruction et de la procdure pnale franaise , Regards sur lactualit, La documentation franaise, n 216, dcembre 1995, p. 10. 43 Pradel, Histoire des doctrines pnales , PUF, Coll. Que-Sais-Je, Paris, 1989, 127 pages. 44 Laveix, Etude sur la loi du 8 dcembre 1897 , Thse, Toulouse, 1898, p. 13.

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  • pour un retour la procdure accusatoire 45. Leurs griefs lendroit de la grande ordonnance sont clairement rsums par A. Esmein 46: quoi de plus draisonnable quune procdure criminelle o laccusation est tout et la dfense rien ; o le Juge, arm dun pouvoir terrible, se sent en mme temps enchan par une thorie des preuves qui lui dicte sa dcision et qui domine sa conviction intime ? Quelle trange ide dinfaillibilit, contradictoire dans ses termes ? Quoi de plus inhumain que ces longs emprisonnements, ces interrogatoires secrets et perfides ? . Enfin claire, lopinion publique finit par smouvoir et, de tous cots, on demanda bientt des rformes et des garanties en faveur des inculps. Toutefois, la Rvolution franaise ne devait pas permettre aux institutions de lancien rgime dhumaniser la procdure, et cette tche difficile devait tre entreprise par la constituante.

    Le dveloppement de la procdure inquisitoire avait entran de nombreux abus, parmi lesquels le dveloppement des pouvoirs immenses du magistrat charg la fois dinstruire et de juger 47. Si bien quaprs la rvolution, face ces critiques, un systme mixte, uvre de la constituante, fut mis en vigueur par le dcret des 8 et 9 octobre 1789 sur la rformation de quelques points de la jurisprudence criminelle . Dans ce dcret, taient maintenues leur place de nombreuses dispositions de lordonnance de 1670 telles linformation, les interrogatoires, le rglement lextraordinaire, le rcolement, la confrontation et le rapport 48. Mais paralllement cela, il va aussi tenter doprer un recul, quant la puissance du Juge, juge trop importante 49. Si le Juge dinstruction reste la pice matresse de linstruction, linculp, quant lui, sera mieux protg. Le dcret consacre une certaine publicit, dune part vis vis des tiers dans la mesure o dsormais deux notables assistent le Juge dinstruction dans ses oprations 50, dautre part, vis vis de linculp, dans la mesure o, lors des interrogatoires de ce dernier, un avocat est prsent et peut tout moment consulter le dossier. En second lieu, ce dcret dveloppe le principe du contradictoire, car linculp est dsormais prsent tous les actes dinstruction et peut invoquer en tout tat de cause ses 45 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 15. 46 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 358. 47 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 15. 48 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 410. 49 Pradel, Linstruction prparatoire , Editions Cujas, 1990, Paris, p. 21. 50 Chambon, Le Juge d'instruction , Dalloz, Manuel Dalloz de droit usuel, 1972, Paris, p. 7.

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  • dfenses et faits justificatifs. Enfin, hors le cas de flagrant dlit, linculp ne pouvait tre mis en tat darrestation, quau terme dune enqute pralable. Aprs larrestation de celui-ci, la procdure devenait contradictoire, et dans les vingt-quatre heures de lincarcration, le Juge devait faire comparatre linculp, lui donner connaissance des charges releves contre lui et lui communiquer toutes les pices de la procdure 51.

    Pourtant, cette transformation dune conception rsolument librale tait alle trop loin. Ce rgime, qui rsultait dun mouvement de raction violente contre la lgislation antrieure est le plus libral quait alors jamais pratiqu la France. Toutefois, en voulant assurer la libert de la dfense, elle compromit les droits de la poursuite et les ncessits de la rpression ; ainsi, la trop grande publicit donne linstruction produisit un effet dsastreux sur la rpression des crimes. Les rsultats dplorables de la rforme dbouchrent sur la loi des 16-29 septembre 1791.

    Avec cette loi, qui sapparente une imitation du droit anglais, linstruction est soumise des rgimes juridiques diffrents en fonction de la nature de linfraction. Pour les dlits et contraventions, linstruction se fait toute entire laudience 52. En revanche, pour les crimes, une information prcdait la saisine de la juridiction de jugement, et celle-ci ntait pas ralise par les magistrats chargs de juger laccus 53. Linformation, au premier degr, tait confie au Juge de paix du canton, magistrat de sret, modeste successeur du lieutenant criminel 54. Ce dernier, outre ses pouvoirs en matire de mandats, interrogeait linculp et entendait les tmoins en la prsence de ce dernier. Puis, ainsi commence, linstruction tait continue par le directeur du jury, sigeant au district, qui constituait le magistrat instructeur du second degr. Si ce dernier estimait quil y avait lieu de poursuivre, il rdigeait lacte daccusation et le prsentait un jury compos de huit citoyens lus qui dcidaient de la poursuite dfinitive 55. Nous noterons aussi, que la publicit absolue de linstruction prparatoire, prcdemment institue, tait dsormais formellement carte.

    Avec les drives des annes 1793 et 1794, les vnements politiques ne permirent pas un fonctionnement prolong de cette

    51 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 20. 52 Laveix, Etude sur la loi du 8 dcembre 1897 , Thse, Toulouse, 1898, p. 17. 53 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 15. 54 Pradel, Linstruction prparatoire , Editions Cujas, 1990, Paris, p. 22. 55 Samet, Histoire du Juge d'instruction et de la procdure pnale franaise , Regards sur lactualit, La documentation franaise, n 216, dcembre 1995, p. 11.

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  • nouvelle procdure et, dans les annes qui suivirent, on assista un net retour vers la procdure inquisitoire. Sous lempire du code des dlits et des peines du 3 brumaire an IV, le rle du Juge de paix tait accru, au dtriment du directeur du jury dont les fonctions devinrent presque nulles.

    Toutefois, ce systme fut jug insuffisant pour mener bien une rpression efficace, face au brigandage qui se dveloppait dangereusement sur une grande partie du territoire 56. Ainsi, au dsir de progrs de la priode prcdente, succda un immense besoin de scurit, qui se traduisit, en droit, par la loi du 7 pluvise an IX, qui opre un retour quasi complet aux principes de la procdure inquisitoriale, tels que les rglait lordonnance de 1670 57. Cette loi restaura le Ministre public, qui elle confia la poursuite et le droit de rquisition, en lui concdant un pouvoir quil navait jamais eu 58 mais aussi, en laissant au magistrat instructeur la charge de rassembler les preuves de linfraction.

    De ce rapide survol de plusieurs sicles dvolution de

    notre procdure criminelle, il nous est permis de tirer une conclusion incontournable : ce sont toujours des magistrats qui ont procd linstruction et qui, de ce fait, ont dispos du droit dinterroger les personnes souponnes dun quelconque mfait. Une telle conclusion ne peut avoir dutilit dans le cadre de notre recherche, que si elle est apprcie la lumire des prrogatives accordes aux personnels judiciaires subalternes, dans la conduite des interrogatoires de personnes souponnes, quil nous faut prsent envisager.

    Lhistoire nous enseigne que linterrogatoire du suspect

    sanalyse en un acte dinstruction, qui relve de la stricte comptence du magistrat instructeur. Pourtant le code de procdure pnale, en 1957, offre, aux officiers de police judiciaire le pouvoir de procder des interrogatoires, cest--dire en un sens, se livrer des actes qui, jusque l, ne relevaient que de la stricte comptence du magistrat instructeur.

    Affirmer que les personnels judiciaires subalternes ont, au cours de lvolution historique de la procdure criminelle, toujours t tenus lcart de linterrogatoire des suspects serait inexact. En 56 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 451. 57 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 22. 58 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 453.

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  • matire de flagrant dlit ou de crime flagrant, la police a toujours dispos de prrogatives comparables celles dun Juge dinstruction et cette facult ne sera pas remise en question par ladoption du Code dinstruction criminelle. En revanche, hors enqute de flagrance, ce mme code est venu mettre un terme la comptence des personnels judiciaires subalternes en matire dinterrogatoire des suspects, cest--dire en matire dactes dinstruction.

    De tous temps, de par sa nature propre, le flagrant dlit a fait lobjet dune procdure particulire base sur lefficacit et la rapidit de laction rpressive 59. Si le furtum manifestum chez les romains, ou delictum manifestum au moyen ge, a toujours eu une place part dans les lgislations peu avances, cest quil sagissait, dans le cadre du flagrant dlit, de procder rapidement des actes dinstruction, pour viter tout dprissement de preuves. Or, le Juge ntant pas forcment disponible au moment voulu, cest tout naturellement que des auxiliaires de justice se sont vu reconnatre le droit de procder linterrogatoire de suspects mls un crime ou dlit flagrant.

    Au moyen ge, la notion de flagrant dlit tait plus large quelle ne lest en droit moderne, au moins en cas de vol o elle se rapprochait de celle du furtum manifestum du droit romain, le voleur manifeste tant Rome, non seulement celui qui tait pris sur le fait, mais encore celui qui tait arrt tenant la chose entre les mains 60. Cette extension du domaine dapplication temporelle de la procdure de flagrant dlit devait tre consacre par une ordonnance de 1273, qui va permettre de conserver au fait le caractre de flagrant dlit, pendant un certain temps aprs son accomplissement et que lon appelait la clameur de haro 61. Quoiquil en soit, au moyen ge, comme de nos jours, la police avait pour fonction de rechercher et de constater les infractions. Celle-ci tait compose dans le domaine du roi, de sergents du roi. Les justices seigneuriales, laques ou ecclsiastiques possdaient, elles aussi, leur sergents 62. Puis, lordonnance de Villers-Cotterts daot 1539 dicte sous le rgne de Franois 1er posa les bases dune procdure qui permettait notamment linterrogatoire sur le 59 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 3. 60 Bongert, Cours dhistoire de droit pnal : le droit pnal franais mdival de la seconde moiti du XIIIe lordonnance de 1493 , Les cours de droit, Paris, 1973, p. 68. 61 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 48. 62 Bornecque-Winandy, Histoire de la police , T.1, Les ditions internationales, Paris, 1950, p. 138 et s.

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  • champ 63 du coupable. Lordonnance de 1670 ne remit pas en cause ce principe qui fut tout naturellement inscrit au sein du Code dinstruction criminelle. Dans ses articles 32 49, le Code dinstruction criminelle donnera, au Procureur et ses auxiliaires, le pouvoir dinterroger le criminel flagrant, au mme titre que le Juge dinstruction. Notons toutefois, que cette facult accorde aux magistrats et aux officiers de police judiciaire auxiliaires tait, comme au moyen age, strictement limite dans le temps par larticle 45 du mme code.

    Pourtant, hors les cas de flagrant dlit, la volont de dlguer aux auxiliaires de justice les prrogatives du Juge dinstruction, en matire dinterrogatoire, constitue, en matire de procdure pnale, un lan rsurgent et incontournable, auquel le Code dinstruction criminelle viendra mettre un terme quil supposait dfinitif.

    Le Grand Coutumier de Charles VI nous enseigne que les juges commettaient alors des avocats, des tabellions ou autres hommes sages pour procder aux enqutes 64. Cette procdure comprenait linformation et linterrogatoire qui, seul, avait ncessairement lieu devant le magistrat. Au contraire, il tait procd linformation par un sergent, un notaire ou un archer de la marchausse. Ultrieurement, lordonnance de Villers-Cotterts va autoriser, de faon implicite 65, laudition de tmoins et linterrogatoire de linculp. En effet, larticle 145 de cette ordonnance affirme que les juges informeront ou feront informer 66. Ainsi, les juges, dans un but de clrit, confirent des personnels subalternes le soin de procder aux interrogatoires et confrontations.

    Toutefois, ces prescriptions paraissent avoir t abroges par lordonnance dOrlans de 1560, sur les plaintes, dolances et remontrances des tats assembls dans cette ville 67. Au terme de larticle 63 de cette ordonnance, il apparat que les juges devront, dsormais, procder personnellement aux actes de linformation, et notamment linterrogatoire des suspects. Quelques annes plus tard, de faon fort ambigu, lordonnance de Blois de 1576 reviendra sur les obligations poses par lordonnance dOrlans, en

    63 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 141. 64 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 53. 65 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 55. 66 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Edition Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 141. 67 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Edition Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 170.

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  • permettant, de nouveau, aux juges de dlguer des huissiers, des sergents ou des notaires, pour recevoir des plaintes et procder aux actes constitutifs de linformation. Puis, aux Etats de Paris, en 1614, les trois ordres insistrent pour quun seul Juge assist de son greffier diriget linformation 68. Cet ultime revirement devait tre consacr dfinitivement par la grande ordonnance de 1670 69. Au terme de cette ordonnance, linformation tait souverainement mene par le lieutenant criminel du bailliage assist de sergent et dhuissiers qui furent les premiers officiers de police judiciaire. Ils agissaient sans initiative, sous les ordres stricts de leur chef qui, en matire criminelle, dment saisi par le procureur du roi, leur faisait excuter ses dcrets. Mais progressivement, au mpris du principe de la sparation des poursuites et de linstruction, le lieutenant criminel prit lhabitude dabandonner de plus en plus largement ses greffiers, officiers de police et sergents ses pouvoirs dinvestigation 70.

    Toutefois, le Code dinstruction criminelle allait mettre un

    terme cette mconnaissance du droit. Le Code de 1808 allait mettre en exergue le principe selon lequel, en dehors du cas de flagrant dlit et de la rquisition du chef de maison, les officiers de police judiciaire nont pas le droit de procder des actes relevant uniquement du domaine de linstruction.

    Le Code dinstruction criminelle allait consacrer, en matire de recherche de la vrit et dinterrogatoire, un rle central aux magistrats instructeurs. Pourtant, les praticiens vont trouver les moyens de transgresser certaines de ces dispositions en offrant, notamment, aux officiers de police judiciaire, la possibilit de raliser des actes qui, jusque l, ne relevaient que de la stricte comptence du Juge dinstruction. Pour savoir, par quelle magie judiciaire , sous lempire du Code dinstruction criminelle, les officiers de police judiciaire vont, sous limpulsion de leur chef hirarchique, le Ministre public, soctroyer des droits que la lgalit leur refusait, il apparat incontournable de procder en deux temps. Tout dabord, il convient de rappeler certains principes directeurs du Code dinstruction criminelle. En second lieu, il faut

    68 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 172. 69 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 16. 70 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 4.

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  • rechercher de quelle faon et pour quelles raisons, ces principes directeurs furent remis en question par les praticiens.

    Revenant lesprit de lordonnance de 1670, le directoire dcida de restaurer le Juge dinstruction . Puis le Code dinstruction criminelle, rdig dans un esprit de centralisation, dautorit et de rigueur, en maintenant loption inquisitoriale, consacra linstitution du Juge dinstruction comme Juge unique professionnel et opra un partage du procs pnal en deux phases : lune prparatoire, de type inquisitoire, fut confie au Juge dinstruction, lautre, de type accusatoire fut dvolue aux magistrats du sige 71. De plus, ce code, allant dans le sens de la loi du 7 pluvise an IX, va compltement sparer les fonctions de poursuite et dinstruction, en ce quil confie la charge de la recherche et de la poursuite des crimes et dlits aux magistrats du Ministre public, qui devront galement soutenir laccusation devant les Tribunaux. Rappelons, toutefois, qu lorigine, le projet de loi nentendait pas consacrer un tel principe 72. Certains, dont Merlin et Treilhard, plaidrent pour la confusion de la poursuite et de linstruction, en voulant que le procureur imprial ment linstruction toute entire 73. Dans le cadre du projet, ces derniers avaient envisag que le magistrat de sret, reprsentant le Ministre public dans chaque arrondissement, non seulement poursuivrait, mais aussi instruirait les affaires dfres devant lui, runissant ainsi entre ses mains les deux pouvoirs. Le Juge dinstruction devait se contenter de complter linformation, en interrogeant linculp et en dlivrant quelque-fois un mandat darrt 74. En somme, les articles 30 75 du projet attribuaient aux procureurs du roi, en dehors des cas de flagrant dlit, la facult de constater, de dcouvrir, de poursuivre, de recevoir les dpositions des tmoins, de procder des visites domiciliaires, en un mot, de faire tous actes dont le Code dinstruction criminelle, dans ses articles 61, 62, 71 et 90, a exclusivement rserv lexercice au Juge dinstruction. Les partisans de ce projet invoquaient la simplicit et la clrit de cette procdure, aussi bien que limpossibilit de dissocier police judiciaire et instruction. Cependant, le maintien du principe de la sparation des pouvoirs de poursuite et dinstruction devait tre maintenu au sein du Code dinstruction criminelle. En effet, ce principe trouva avec Cambacrs, alors Prsident du

    71 Samet, Histoire du Juge d'instruction et de la procdure pnale franaise , Regards sur lactualit, La documentation franaise, n 216, dcembre 1995, p. 12. 72 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Edition Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 527. 73 Pradel, Linstruction prparatoire , Editions Cujas, 1990, Paris, p. 24. 74 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 20 et 21.

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  • Conseil dEtat, un loquent dfenseur qui, en sopposant au projet, voulait viter de faire du Procureur du roi un petit tyran qui ferait trembler toute la cit 75 . Nanmoins, plusieurs concessions furent consenties aux dfenseurs du premier projet. Ainsi, il parut satisfaisant daccorder des pouvoirs exceptionnels au parquet en cas de crime flagrant. Dans cette hypothse la possibilit dinstruire tait accorde au procureur imprial, et le Juge dinstruction pouvait se saisir doffice, quand il se transportait sur les lieux. Enfin, le code ne sparait pas nettement la phase policire de linstruction dans la mesure o le Juge dinstruction tait par son statut officier de police suprieur et son activit tait dcrite au livre premier du code intitul : De la police .

    Le Code dinstruction criminelle dfinit clairement la mission du magistrat instructeur. Quels que soient le mode et la raison de sa saisine, son premier soin doit tre de constater sil y a eu rellement dlit commis. Pour constater les traces matrielles de linfraction, le magistrat instructeur peut se transporter sur les lieux, oprer des perquisitions domiciliaires et des saisies. Le Juge peut y faire procder par un officier de police judiciaire, ordinairement le Juge de paix, auquel il dlgue ses pouvoirs par une commission rogatoire. Toutefois, cette dlgation de comptence, loin dtre gnrale, est maintenue, par le Code dinstruction criminelle, dans de strictes limites puisquil prohibe, de faon formelle, linterrogatoire du suspect par la police judiciaire. Aprs avoir constat le corps du dlit et runi les charges, le Juge dinstruction doit recevoir les explications de linculp, recueillir ses dngations ou ses aveux. Il procde, dans ce but, linterrogatoire du prvenu, laiss avant son audition dans lignorance la plus complte des charges qui psent contre lui, prvenu qui comparait seul, sans avoir la possibilit de se faire assister dun conseil. Comme on a pu le dire 76 : linculp, sous le Code dinstruction criminelle, comme sous lordonnance de 1670, est laiss la discrtion du magistrat, aucune mesure nest prise pour le prmunir contre des questions insidieuses, des insinuations perfides, des violences de langage, des menaces daggraver, sil navoue, la rigueur de la dtention provisoire . Le Juge dinstruction, dans le cadre de lexercice de sa mission dispose, comme aujourdhui, de plusieurs types de mandats, qui lui permettent de faire arrter le suspect et de le priver de sa libert, sil estime que des prsomptions graves psent contre lui. Ainsi, le magistrat, sil sagit dun crime et que le prvenu nest 75 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 48. 76 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 31.

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  • pas domicili ou na pas obi au mandat de comparution dlivr contre lui, peut dlivrer un mandat damener, qui est un ordre par lequel il enjoint tous les agents de la force publique de conduire devant lui de gr ou de force, linculp qui doit tre interrog dans les vingt-quatre heures au plus tard de son arrestation. Le but identique de ces mandats est uniquement de mettre linculp en face de son Juge, afin quil soit inform du crime ou dlit dont il est accus et des charges qui psent contre lui 77.

    Le Ministre public, quant lui, dont il serait faux de soutenir quil nest quune transposition du Ministre public dancien rgime, , qui a t cre de toute pice par le lgislateur napolonien 78, va avec le Code dinstruction criminelle se voir attribuer de nouvelles attributions. Sous le rgime de ce code, domin, nous lavons vu, par le principe de la sparation de la poursuite et de linstruction, le droit commun voulait que le Juge dinstruction ne se saist pas lui mme, mais attendt, pour agir, un rquisitoire introductif du Procureur de la Rpublique, ou une plainte assortie de Constitution de partie civile de la victime. Dans ce cadre, le Code dinstruction criminelle permit au Ministre public de participer la confection des actes dinstruction. En effet, larticle 94 prvoyait lintervention obligatoire du procureur propos de la dlivrance des mandats, dans la mesure o le Juge ne pouvait les dcerner quaprs avoir entendu le reprsentant du Ministre public. De mme, au terme des articles 135 et 539 du Code dinstruction criminelle, le Ministre public avait, en matire de mise en libert provisoire du prvenu et de comptence du Juge dinstruction, la possibilit dinterjeter appel de toutes les ordonnance de ce dernier en ces domaines 79. Toutefois, en dehors du droit commun, le Code dinstruction criminelle va accorder au Ministre public des pouvoirs dinformation, et ce dans lhypothse dun crime flagrant. Ds 1808, en matire de flagrance, le procureur disposait dj de pouvoirs tendus dans la mesure o, les articles 32 46 mettaient ce magistrat au premier plan des oprations accomplir en dcrivant, en fonction de sa personne, chacun des actes quil pouvait effectuer 80. Cependant, comme on le verra, une srie de lois postrieures viendront accrotre les pouvoirs du Ministre public en matire de flagrance. Mais dans la mesure o celles-ci expliquent le dveloppement des enqutes officieuses puis 77 Laveix, Etude sur la loi du 8 dcembre 1897 , Thse, Toulouse, 1898, p. 27. 78 Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 34. 79 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 51. 80 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 53.

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  • de la garde vue, nous ne les envisagerons quultrieurement. Toutefois, dans le cadre du dveloppement de celles-ci, il faut, prsent, voquer une autre des attributions du Ministre public qui va jouer, nen pas douter, un rle central et incontournable : le principe de lapprciation de lopportunit des poursuites.

    Cest incontestablement ce dernier principe qui va tre lorigine de la premire phase du dveloppement des enqutes officieuses. Le principe de lapprciation de lopportunit des poursuites pose la question du pouvoir du Procureur de la Rpublique, quant lengagement des poursuites 81. Ici, deux attitudes semblent concevables : soit lui imposer de poursuivre toutes les infractions dont il est saisi, quelque soit leur gravit : systme de la lgalit des poursuites ; soit le laisser libre de poursuivre, ou non, en fonction des donnes de fait quil apprcie souverainement dans chaque affaire : il sagit alors du systme de lopportunit des poursuites. Ainsi, en 1808, avec le Code dinstruction criminelle, nous aurions pu attendre du lgislateur quil se prononce clairement en faveur de lun ou lautre des systme envisags. Cependant, il nen fit rien, et ce code reste tonnamment muet sur la question. De cette imprcision vont naturellement dcouler de vives controverses. Dans un premier temps, la doctrine sembla discerner, dans les dispositions du Code dinstruction criminelle, la mise en uvre dun systme fond sur la lgalit des poursuites. Celle-ci va trouver, lappui de sa thse, argument dans larticle 47 de ce code qui affirme que : hors les cas noncs dans les articles 32 et 46 [concernant le flagrant dlit] le Ministre public sera tenu de requrir le Juge dinstruction quil en soit inform . Ce texte, rdig en termes impratifs semblait, pour les tenants de cette opinion, trancher la question et interdire au Procureur de la Rpublique de surseoir aux poursuites 82. Toutefois, cette manire de voir ne devait pas dominer longtemps en doctrine, et les auteurs classiques se firent forts de dmontrer que larticle susvis ne tranchait pas la question du pouvoir dapprciation du Ministre public, mais celle des rapports du Procureur de la Rpublique et du Juge dinstruction 83. Une telle position semble contraire lesprit de la lgislation napolonienne, lgislation de rigueur, qui avait pour proccupation essentielle dassurer, de la faon la plus complte, la rpression de toutes les infractions, ainsi quen tmoignent les nombreux remdes que prvoyait le Code

    81 Pradel, Procdure pnale , Editions CUJAS, 9e dition, 1997, Paris, p. 431. 82 Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 226. 83 Sur cette question voir : Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 227.

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  • dinstruction criminelle linaction ventuelle du Ministre public 84. Quoiquil en soit, de lavis de certains 85 : lillgalit de lapprciation de lopportunit de la rpression, dans loptique du Code dinstruction criminelle, ne semble pas faire de doute . Illgal, nen pas douter, le principe de lopportunit des poursuites, mis en avant par la doctrine classique, allait pourtant trs vite se rpandre dans les annes qui suivirent la promulgation du Code dinstruction criminelle, pour une raison qui tient au dfaut majeur du principe de la lgalit des poursuites : lencombrement des juridictions rpressives par des plaintes lgres ou insignifiantes. Notons, enfin, que curieusement, cest la volont de ne pas encombrer les Tribunaux qui va, partiellement, tre lorigine du dveloppement de lenqute officieuse et partant, de la garde vue.

    Lempereur Napolon stait empress dattacher son

    nom au Code civil, mais il avait refus daccorder la mme faveur au Code dinstruction criminelle. Il tait trop clair, pour ne pas comprendre que le temps et lexcution ne manqueraient pas de signaler bien des imperfections et bien des lacunes. Il promulgua ses codes officiels sous la rserve expresse dun perfectionnement graduel 86 Le Code dinstruction criminelle de 1808 fut probablement le plus mauvais des codes napoloniens. Il tait peu inspir, mal bti, gravement lacunaire 87. Ce code contenait, en germe, tous les lments ncessaires au dveloppement dune certaine confusion des rles.

    Rapidement les officiers de police judiciaire, sous le contrle du parquet, allaient pouvoir, de faon extralgale, endosser les prrogatives, jusque-l exclusives, du magistrat instructeur, en ralisant des actes dinstruction, dans la mesure o, dsormais, ils allaient, entre autre, pouvoir dcider de priver un suspect de sa libert aux fins, notamment, de linterroger. Cependant, la confusion des rles restait embryonnaire. Cest dans les modifications ultrieures du Code dinstruction criminelle ainsi que dans les circulaires de la Chancellerie quil faut rechercher la monte en puissance de la mconnaissance de ses principes directeurs.

    84 Articles 235 et 247 du Code d'instruction criminelle : voir Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 229. 85 Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 229. 86 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 40. 87 Rassat, Propositions de rforme du code de procdure pnale , Editions Dalloz, collection Dalloz service, Paris, 1997 , p. 11.

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  • Dans un premier temps, cest le ralentissement du cours de la justice pnale qui va tre lorigine des liberts que prendront, vis vis du Code dinstruction criminelle, tant les parquets, que les officiers de police judiciaire. Puis, dans une seconde priode qui dbute au lendemain de ladoption de la loi du 8 dcembre 1897, cest dans lhumanisation progressive de linstruction et dans les garanties procdurales offertes linculp qui en dcoulent, quil va falloir rechercher les causes relles du dveloppement de procdures extralgales.

    Comme on la vu, le fait, pour des officiers de police judiciaire, de procder des actes dinstruction, hors les cas de flagrant dlit, tait parfaitement illgal et, tout le moins, contraire aux ambitions du code. Pourtant, la conception et larticulation mme du Code dinstruction criminelle allaient leur offrir les moyens doutrepasser ces interdictions. Avec le Code dinstruction criminelle, place sous lautorit du Ministre public dont elle est devenue lauxiliaire, et non pas sous le contrle du Juge dinstruction qui ne peut ventuellement que lui dlguer une partie de ses pouvoirs dinvestigations, la police judiciaire voit sa mission limite, en principe, la seule recherche criminelle, toute manifestation procdurale exclue.

    Toutefois, la dcision de classer sans suite une affaire ou, loppos, celle dengager des poursuites, quelque ft leur forme, implique naturellement, pour le parquet, une certaine connaissance du dossier. Conformment au code, hors les crimes, le Procureur, face une plainte ou une dnonciation, ne disposait pas dune grande marge de manuvres. Au del du classement sans suite, sil estimait que laffaire tait simple et que la culpabilit du, ou des auteurs, tait suffisamment tablie, il citait directement le ou les prvenus devant le Tribunal correctionnel. Si, au contraire, il jugeait ncessaire de faire procder un examen attentif et une recherche approfondie des circonstances du fait dlictueux, sil ny avait contre le ou les individus souponns que de vagues prsomptions et non des charges formelles, le Procureur Imprial se devait de requrir une information 88. Si bien que, lgalement, dans le cadre du Code dinstruction criminelle, le Procureur ne disposait, afin de juger de la suite donner une plainte ou une dnonciation, que dun seul et unique moyen qui tait celui de la confier au Juge dinstruction par le biais du recours au rquisitoire aux fins dinformer, cest--dire dune procdure lourde et tatillonne qui, dans de nombreux cas, ntait pas justifie par les circonstances de 88 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 25.

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  • lespce. Ainsi, le fait pour le Procureur de choisir sciemment lune des trois possibilits soffrant lui apparaissait comme une tche laborieuse, longue et pnible. De plus, celle-ci avait, ncessairement, dimportantes rpercussions un double niveau : dune part, sur le travail du Juge dinstruction dont la tche va tre considrablement alourdie par des affaires dont les caractres ne justifient pas quelles soient soumises lacuit de son examen et, dautre part, sur le cours mme de la justice dans la mesure o, en pratique, un tel procd va tre de nature entraner dinvitables et regrettables lenteurs, dfaut majeur de la lgalit des poursuites, comme on la vu.

    Pour remdier de tels inconvnients, les procureurs vont rapidement trouver plus commode de charger la police judiciaire deffectuer une vritable enqute sur les faits signals, afin de ne classer quen connaissance de cause 89. Ainsi, devint-il dusage dans les parquets que les Procureurs, en vue de se dterminer utilement quant au sort de la poursuite, procdent eux-mme ou fassent procder par leurs officiers auxiliaires de la police judiciaire une enqute officieuse 90. Un tel usage, pourtant illgal sur le plan des principes, ne pouvait, par ailleurs, trouver dans la loi un obstacle insurmontable son dveloppement dans la mesure o, dans le cadre du Code dinstruction criminelle, la mission dvolue la police judiciaire ntait pas contenue dans de strictes limites. En effet, dans son article 8, le code disposait que : la police judiciaire recherche les crimes, les dlits et les contraventions, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux Tribunaux chargs de les punir . Du fait de cette imprcision, allait rapidement sinstaurer et considrablement se dvelopper la pratique de ltablissement des procdures dites de renseignement , tablies par la police judiciaire, soit la demande des parquets, soit de sa propre initiative 91.

    Peu de temps aprs la promulgation du Code dinstruction criminelle, se retrouvent les premires traces du dveloppement de ces enqutes de renseignement. Nous en voulons pour preuve la circulaire quen 1817 92, le procureur du roi au tribunal de la Seine, Jacquinot-Pampelune, adressait ses officiers de police judiciaires 89 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 5. 90 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 36. 91 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 5. 92 Le Poittevin, Dictionnaire formulaire des parquets et de la police judiciaire , t. 2, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, Editions A. Rousseau, Paris, 1885, p. 63.

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  • auxiliaires : quoique la loi ne semble vous charger, Messieurs, de dresser des procs verbaux quen cas de crime et de dlit flagrant, cependant, lusage introduit par la ncessit est que vous en dressiez aussi hors les cas de flagrant dlit, et mme quand il sagit dun fait correctionnel. Si vos procs verbaux dans ce cas paraissent ne pas avoir la mme force, ils servent au moins de renseignements . Ainsi, ds cette date, les procureurs du roi invitaient leurs auxiliaires se livrer des enqutes de renseignement, leur permettant, de procder des classements sans suite plus nombreux car de lavis de certains on avait trop multipli les informations et les poursuites doffice sur des plaintes lgres quelque-fois mme insignifiantes qui nintressaient pas essentiellement lordre public 93. On notera, lhabilet de lauteur de la circulaire, bien conscient de lillgalit de la voie dans laquelle il stait engag. Si, nen pas douter, les auxiliaires se livreront, au terme de cette circulaire, de vritables actes dinstruction, lauteur prcise, toutefois, que ces actes nauront quune valeur de renseignement. En somme, pour rassurer les juristes stricts, lon feignait de marquer une diffrence entre la valeur probante des procdures lgales crites en vertu des articles 32, 41 et 46, et la valeur probante de celles qui seraient tablies officieusement en dehors de ces cas, comme si tous les crits, lgaux ou extra lgaux, dresss dans linformation des crimes et des dlits navaient pas uniformment valeur de simples renseignements pour lintime conviction des juges. Comme nous le verrons, leuphmisme de simples renseignements sera maintes fois mis en avant par les auteurs et par les juges pour autoriser, ou sabstenir dannuler des actes de police judiciaire accomplis en dehors de la loi. Mais, lon ne disait pas que cest sur la base de ces renseignements sans importance, que le Juge avait t clair et que ctait en fait sur eux que staient forme sa conviction et sa dcision. titre dexemple, devant une Cour dassises, ces renseignements officieux pouvaient tre soumis lapprciation des jurs, en vertu du pouvoir discrtionnaire du Prsident, condition, toutefois, que la dfense ait t mise en mesure de les discuter avant de clturer les dbats. De mme, en matire correctionnelle, il ressort dun arrt du 19 avril 1855 94 o la Cour de cassation confirme un arrt de la chambre des mises en accusation de la Cour dappel de Paris qui avait annul les actes du procureur, en lespce une autopsie ordonne hors les cas prvus par larticle 32, en tant quacte dinstruction , mais les avait annexs la procdure 93 Rassat, Le Ministre public entre son pass et son avenir , LGDJ, Paris, 1997, p. 229. 94 Cass. Crim. 19 avril 1955, RDS 1855.1.269.

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  • comme simples renseignements , que lenqute officieuse fera partie du dossier qui est communiqu aux parties, et le tribunal, sil le croit utile, fera vrifier ces documents, sinon ils seront carts des dbats 95.

    Lanalyse que fait Lambert 96 de cette pratique est, dailleurs, assez instructive : un procureur du roi prenait sur lui, au nom de la ncessit dinterprter, dtirer une loi criminelle encore toute neuve et recommandait ses auxiliaires doutrepasser les dispositions du code, de tourner le grand principe de la sparation des pouvoirs de poursuite et dinstruction . La bienveillance de certains auteurs policiers lendroit de cette mconnaissance du droit tait cependant loin de reflter la position unanime de la doctrine. Certains, comme Morizot-Thibault 97, critiquaient nergiquement cette pratique : Il y a en France deux choses distinctes qui sont la pratique et la loi. La premire devrait toujours se soumettre la seconde, mais elle est souvent en tat dindpendance. La loi sparait la poursuite de linstruction ; mais le Ministre public reprit la tradition rvolutionnaire qui consistait tout runir dans sa main et il ne saisit le magistrat informateur que des affaires quil jugea propos de dfrer, , tout part de lui et tout lui revient . Dautres, comme Faustin Hlie 98, blmaient en ces termes la faon dont le procureur Pampelune et ses successeurs en prenaient leur aise avec la loi : Comment admettre que des officiers auxiliaires puissent se transporter sur les lieux, interroger les prvenus et les tmoins, dresser des procs verbaux, saisir les instruments ou le corps du dlit, et que tous ces actes dinstruction, qui ne peuvent tre faits quen vertu dun pouvoir lgalement dlgu soient justifis par ce seul mot quils serviront de simples renseignements ? Est il possible de se jouer avec plus de libert des prescriptions et des garanties stipules en faveur des citoyens de la loi ? . En somme, le schma est dune redoutable simplicit : au mpris des principe poss par le Code dinstruction criminelle, le Procureur de la Rpublique procdait lui mme, ou faisait procder par ses officiers auxiliaires ou par la gendarmerie des enqutes ou instructions dites officieuses ou administratives comprenant une srie dactes et doprations appropris dont linterrogatoire

    95 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 74. 96 Lambert, Trait thorique et pratique de police judiciaire , 3e dition, Editions J. Dasvigne, 1952, Lyon, p. 306. 97 Morizot-Thibault, De linstruction prparatoire : tude critique du Code d'instruction criminelle , Libraire gnrale de droit, Paris, 1906, p. 85 89 98 Faustin Hlie, Trait de linstruction criminelle , t. 3, Editeur Henri Plon, Paris, 1866, p. 69.

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  • dinculps ou laudition de tmoins 99. Toutefois, les praticiens saccordaient reconnatre lutilit de ces enqutes officieuses, qui permettaient dune part au Ministre public de donner aux plaintes la suite qui simposait, et dautre part dadministrer la justice moindre frais en vitant la cration de nombreux postes de magistrats instructeurs 100. Ces avantages que la pratique tire de lillgalit connurent, bien videmment, sous limpulsion conjugue de circulaires ultrieures et de la bienveillance de la Cour de cassation, un important dveloppement.

    Si le procureur Jacquinot-Pampelune avait, de facto, pos les bases de la pratique des enqutes officieuses, la Chancellerie, quant elle, allait consacrer cet usage par diverses circulaires o elle recommandait duser le plus souvent possible des enqutes officieuses. Les magistrats instructeurs eux mme y taient en grande partie favorables, quoiquelle les dessaist et peut tre parce quelle les dessaisissait 101.

    Au titre des circulaires venant consacrer le dveloppement de lenqute officieuse, on peut citer en premier lieu celle du 23 avril 1825 102. Il ne faut pas multiplier les informations crites ; quand une affaire est videmment de la comptence du Tribunal correctionnel, si les tmoins ne sont pas suffisamment dsigns dans la plainte, le Procureur du roi na pas toujours besoin de requrir une information rgulire. Il faut charger les juges de paix, les commissaires de police ou les autres officiers de police judiciaire, du soin de prendre des renseignements, puis il faut citer directement laudience, o se fait la vritable instruction . On peut citer ensuite la circulaire du 16 aot 1842 103 : cest en prenant lavance des renseignements prcis auprs des officiers de police judiciaire, sur les personnes qui peuvent avoir eu connaissance directe ou indirecte des faits incrimins, ainsi que des circonstances qui les ont accompagns, quon parviendra presque toujours nappeler que des tmoins vritablement utiles. Cette marche doit tre gnralement suivie, soit quil sagisse dune information pralable, soit quil y ait lieu de saisir le tribunal par 99 Garraud, Trait thorique et pratique dinstruction criminelle et de procdure pnale , t. 2, Librairie de la socit du recueil J.-B. Sirey et du journal du palais, Paris, 1909, p.627. 100 Besson, Combaldieu, Simon, Dictionnaire-formulaire des parquets et de la police judiciaire , t. 2, 8e dition, Editions Rousseau, Paris, 1955, p. 380 et 381. 101 Lambert, Trait thorique et pratique de police judiciaire , 3e dition, Editions J. Dasvigne, 1952, Lyon, p. 369. 102 Circulaire du 23 avril 1825, cit dans : Le Poittevin, Dictionnaire formulaire des parquets et de la police judiciaire , t. 2, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, Editions A. Rousseau, Paris, 1885, p. 64. 103 Circulaire du 16 aot 1842, cit dans : Besson, Combaldieu, Simon, Dictionnaire-formulaire des parquets et de la police judiciaire , t. 2, 8e dition, Editions Rousseau, Paris, 1955, p. 381.

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  • la voie de la citation directe Avec cette circulaire, les procureurs sont pris de faire entendre pralablement par la police les tmoins des affaires quils suivent sur citation directe. Il sagira bien l de procs verbaux daudition illgaux, puisque les officiers de police judiciaire nont dans le code, droit de recueillir par crit que les dclarations des articles 32 et 33 du Code dinstruction criminelle, cest--dire celles qui leur sont faites dans le cas de crime flagrant ou de rquisition de chef de maison 104. De mme, les Juges dinstruction, au cours de leur information rgulire, sont invits faire dabord recueillir par les officiers de police judiciaire les dpositions des tmoins, avant dentendre, eux-mme, ces tmoins. Le but est clairement affich : viter, de la sorte, de citer au Tribunal ou au cabinet dinstruction des tmoins sans intrt. De lavis de M. Lambert 105, ces circulaires attestent dune vritable manie de la parcimonie . Une dernire circulaire du 1er janvier 1855 106 confirme lusage qui stait instaur : les procureurs ne doivent pas requrir des informations dans des circonstances o le titre des inculpations, le peu de complication des faits, la position des personnes poursuivies ne les rendent pas rellement ncessaires. Ils ne doivent pas se dbarrasser ainsi sur les Juge dinstruction, au dtriment de la prompte expdition des affaires, du soin de complter les procs verbaux par quelques investigations de dtail, tandis qu laide dune correspondance avec leurs auxiliaires, ils arriveraient plus rapidement ce rsultat . De la lecture de ces diffrentes circulaires, il ressort clairement que si lon supprimait les enqutes officieuses, on doublerait le chiffre des frais de justice et, sous prtexte de protger les citoyens et de respecter les garanties que leur assure la loi, on les tranerait inutilement dans les cabinets dinstruction ou sur les bancs de la police correctionnelle 107. Les proccupations budgtaires prenaient ainsi le pas sur une saine application de la loi, une circulaire de 1897 108, manant du procureur de la Rpublique de la Seine, M. Atthalin, est cet gard tout fait significative : je nai pas vous rappeler combien vous devez mnager les deniers de ltat ; vous devez vous abstenir de toutes dpenses qui ne

    104 Lambert, Trait thorique et pratique de police judiciaire , 3e dition, Editions J. Dasvigne, 1952, Lyon, p. 370. 105 Lambert, Trait thorique et pratique de police judiciaire , 3e dition, Editions J. Dasvigne, 1952, Lyon, p. 370. 106 Circulaire du 1er janvier 1855, cit dans : Lambert, Trait thorique et pratique de police judiciaire , 3e dition, Editions J. Dasvigne, 1952, Lyon, p. 370. 107 Le Poittevin, Dictionnaire formulaire des parquets et de la police judiciaire , t. 2, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, Editions A. Rousseau, Paris, 1885, p. 63. 108 Lacaze, Des enqutes officieuses , Thse, Toulouse, 1910, p. 62.

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  • seraient point indispensables et rgler de la manire la plus conomique celles qui ne peuvent tre vites .

    Cependant, il ne faudrait pas perdre de vue, au fil de ces derniers dveloppements, la raison premire du dveloppement des enqutes officieuses, savoir, remdier aux imperfections du Code dinstruction criminelle, dans la mesure o ce dernier stait engag dans la voie du principe de la lgalit des poursuites. Pourtant, les acrobaties juridiques propres lenqute officieuse restaient vaines. En effet, cinquante annes aprs la promulgation du Code dinstruction criminelle, le lgislateur, inquiet des lenteurs judiciaires dues lencombrement des cabinets dinstruction, promulguait la loi du 20 mai 1863 destine acclrer la procdure de jugement des flagrants dlits 109. Visiblement, lenqute officieuse tait loin davoir permis dacclrer le cours de la justice pnale et davoir permis de dsengorger les cabinets dinstruction de dossiers dont la simplicit ne mritait pas quils soient soumis la sagacit du magistrat instructeur. Le lgislateur se devait dintervenir. Avec la loi du 20 mai 1863, intitule, loi sur linstruction des flagrants dlits devant les Tribunaux correctionnels , les procureurs allaient se voir accorder, en matire de flagrant dlit, les pouvoirs dinstruction quils exeraient auparavant loccasion des crimes flagrants 110. Larticle premier leur donna la possibilit de dcerner un mandat de dpt contre un individu pris sur le fait et passible dune peine correctionnelle, alors que jusque l dtention prventive et instruction prparatoire taient deux choses indissolublement lies. De plus, cette loi a supprim linstruction prparatoire pour les flagrants dlits 111 et en a singulirement acclr et simplifi le jugement. En effet, celle-ci permettait au procureur imprial de traduire immdiatement le prvenu devant le tribunal comptent, sil y avait audience, le jour mme, ou le lendemain si aucune audience ne se tenait sur-le-champ. ce titre, voquons, pour mmoire, quen province o gnralement une seule audience par semaine tait consacre aux affaires de police correctionnelles, lindividu surpris en flagrant dlit pouvait donc rester pendant une semaine presque entire sous le coup du mandat de dpt dlivr par le procureur 112. 109 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 5. 110 Bergoignan-Esper, La sparation des fonctions de justice rpressive , PUF, 1973, Paris, p. 22. 111 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 37 et 38. 112 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 578.

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  • Cette loi venait douvrir la premire brche qui entaillait officiellement le sacro-saint principe de la sparation de la poursuite et de linstruction. On ne peut manquer dvoquer lincidence quallait avoir cette loi sur le dveloppement des enqutes officieuses. Le Procureur de la Rpublique charg dornavant dinterroger le dlinquant flagrant, et non plus seulement le criminel flagrant, et de le placer sous mandat de dpt, allait naturellement charger la police judiciaire de lpauler dans lexercice de ses nouvelles attributions 113. Cette dernire, bien quelle nait reu de la loi que le pouvoir dapprhender le dlinquant flagrant et de le dfrer au parquet, allait sarroger le droit de disposer dun dlai de quelques heures pour btir une procdure officieuse, mais complte dite de flagrant dlit et de procder, au mpris le plus total du principe de la sparation des fonctions de poursuite et dinstruction, linterrogatoire du malfaiteur dont elle stait saisie. Ainsi, aux fins de contourner les imperfections manifestes du Code dinstruction criminelle, la police judiciaire sorientait de faon trs perceptible dans lillgalit. De simples enqutes de renseignement destines clairer les dterminations du Ministre public, la police judiciaire franchit, avec les procdures de flagrant dlit, une tape supplmentaire en direction de la garde vue.

    Jusquici, nous avons pu constater que le dveloppement

    des enqutes officieuses, bien quallant lencontre dune logique et dune tradition juridique vieilles de plusieurs sicles, trouve sa source dans des intentions qui, vrai dire, ne prtent gure le flanc la critique. Avec les enqutes officieuses, nous venons de le voir, il sagissait de porter remde aux imperfections du Code dinstruction criminelle, en ce quil fondait son efficacit sur le principe de la lgalit des poursuites. Pourtant, cette adaptation du Code dinstruction criminelle la misre chronique dont souffrait le budget de la justice ne constitue que la premire phase du processus devant, en 1957, dboucher sur la cration de la notion de garde vue. En effet, partir de 1897, le dveloppement des enqutes officieuses ne sera plus sous tendu par une volont de remdier aux dfauts originels du Code dinstruction criminelle, mais par une nouvelle logique, bien moins avouable, et quil nous faut prsent envisager.

    113 Denis, Rapport sur lenqute prliminaire , Journes rgionales de police judiciaire des 6 et 7 mai 1969, Publication de linstitut de sciences pnales et de criminologie, Aix en Provence, 1969, p. 6.

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  • Initialement, il ntait gure prjudiciable aux intrts du suspect que les officiers de police judiciaire se livrent des interrogatoires officieux dans la mesure o, en 1808 le code offre bien peu de garanties aux personnes interroges par le Juge dinstruction. Il est indniable que le Code dinstruction criminelle avait laiss laccus la merci du Juge dinstruction sans autres garanties que celles quil trouvait naturellement dans la conscience et limpartialit du magistrat 114 . La procdure dinstruction prparatoire prsentait, en 1808, tous les caractres fondamentaux dune procdure inquisitoire : conduite par le Juge dinstruction, magistrat dot dune large initiative et dune grande libert pour la recherche et la runion des preuves, elle tait crite, troitement secrte et non contradictoire, car la partie demanderesse, le Ministre public, tait investie de nombreux droits et prrogatives que linculp ne partageait nullement 115. En somme, au cours de son interrogatoire, linculp, sous le code de 1808, comme sous lordonnance de 1670, tait laiss la discrtion du magistrat et aucune mesure ntait prise pour le prmunir contre des questions insidieuses, des insinuations perfides, des violences de langage, des menaces daggraver, sil navouait pas, la rigueur de la dtention prventive 116.

    A nen pas douter, linstruction prparatoire apparaissait comme la partie la plus critiquable du Code dinstruction criminelle 117. Pour remdier de tels inconvnients, ds le second empire, se profilait toute une srie de rformes qui allaient essentiellement toucher la question de la dtention prventive et de la libert provisoire. Avec de telles rformes, linstruction prparatoire saffirmait comme la principale proccupation des lgislateurs du second empire.

    La premire pierre pose ldifice de la rforme de linstruction prparatoire fut la loi du 4 avril 1855. Celle-ci, modifiant larticle 94 du Code dinstruction criminelle, dcida quaprs linterrogatoire, le Juge pourrait dcerner un mandat de dpt et que dans le cours de linstruction il pourrait, sur les conclusions conformes du procureur, et quelque ft la nature de linculpation, donner main leve de tout mandat de dpt. Cette loi,

    114 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 39. 115 Levasseur, Vers une procdure dinstruction contradictoire , RSC, 1959, p. 297. 116 Frmincourt, Les rsultats de la loi sur la rforme de linstruction criminelle , thse, Lille, 1904, p. 31. 117 Esmein, Histoire de la procdure criminelle et spcialement de la procdure inquisitoire depuis le 13e jusqu nos jours , Editions Larose et Forcel, Paris, 1882, p. 572.

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  • de lavis de certains 118, ne faisait que conserver au mandat de dpt son caractre de mesure provisoire. Ensuite, la loi du 17 juillet 1856 supprima la chambre du conseil et en transfra les attributions au Juge dinstruction seul. En effet, en 1808, le lgislateur avait confi la fonction juridictionnelle de linstruction et, notamment, son rglement, la chambre du conseil et non au Juge dinstruction lui mme, car il avait craint que le Juge dinstruction ne soit influenc par son propre dossier et manque dindpendance au moment de la clture de celui-ci 119. Cependant, la pratique de la chambre du conseil fonctionna mal et, pratiquement, dans la ralit quotidienne, le Juge dinstruction tait lorgane