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CHAPITRE 1 • CRISE FINANCIÈRE : ORIGINES ET DYNAMIQUES BANQUE DE FRANCE • DOCUMENTS ET DÉBATS • N° 3 • JANVIER 2010 5 C e chapitre est une synthèse de Documents et débats n°2 : la crise financière (Banque de France, février 2009), qui a pour objet d’expliquer le passage d’une crise financière à une crise touchant l’économie réelle. La crise financière puis économique qui s’est développée depuis l’été 2007 s’est déroulée en trois temps : elle a successivement atteint les marchés, les banques et l’économie réelle. On est en effet passé d’un problème de marché (les subprime et leur diffusion via les produits structurés) à une crise financière (le marché des refinancements à court terme) puis à une crise bancaire, laquelle a eu, à son tour, des répercussions macroéconomiques. 1| LE DÉCLENCHEMENT DE LA CRISE 1|1 La sous-évaluation du risque Dans un environnement de faible taux d’intérêt, les investisseurs ont cherché à accroître leurs rendements en investissant dans des produits rémunérateurs, mais risqués. Du fait d’un environnement économique extrêmement favorable (inflation faible, croissance forte, solidité financière des entreprises), les investisseurs ont sous-estimé les risques attachés à ces produits. 1|2 Un système bancaire aux frontières mal définies Aux États-Unis, les prêts subprime ont été octroyés par des courtiers qui n’étaient pas des banques, et n’étaient donc pas soumis à une supervision de la même qualité que celle à laquelle ces dernières sont soumises. Certains véhicules financiers spécifiques dits « conduits » ou « SIV » (structured investment vehicles) jouaient un rôle similaire à celui des banques, en empruntant à très court terme et en finançant des produits structurés à long terme très rémunérateurs, réalisant ainsi, en période faste, des bénéfices importants. Cependant, ils n’étaient pas soumis aux mêmes exigences réglementaires que les banques et se sont retrouvés dans l’impossibilité de se refinancer et donc de poursuivre leur activité quand la liquidité s’est asséchée. 1|3 L’innovation financière et la globalisation Les années précédant la crise ont été marquées par la création et le développement de produits financiers dits structurés consistant à construire des instruments financiers à partir de différents éléments « sous-jacents », dont ces crédits immobiliers subprime. La crise sur ces crédits immobiliers spécifiques s’est étendue à certains produits structurés dans la mesure où ils entraient dans leur composition, puis à l’ensemble des produits structurés parce qu’il y avait un doute sur la composition réelle de ces derniers. Les grandes étapes de la crise financière

Les Grandes Étapes de La Crise Fi Nancière

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  • CHAPITRE 1 CRISE FINANCIRE : ORIGINES ET DYNAMIQUES

    BANQUE DE FRANCE DOCUMENTS ET DBATS N 3 JANVIER 2010 5

    Ce chapitre est une synthse de Documents et dbats n2 : la crise fi nancire (Banque de France, fvrier 2009), qui a pour objet dexpliquer le passage dune crise fi nancire une crise touchant lconomie relle.La crise fi nancire puis conomique qui sest dveloppe depuis lt 2007 sest droule en trois temps : elle a successivement atteint les marchs, les banques et lconomie relle.

    On est en effet pass dun problme de march (les subprime et leur diffusion via les produits structurs) une crise fi nancire (le march des refi nancements court terme) puis une crise bancaire, laquelle a eu, son tour, des rpercussions macroconomiques.

    1| LE DCLENCHEMENT DE LA CRISE

    1|1 La sous-valuation du risque

    Dans un environnement de faible taux dintrt, les investisseurs ont cherch accrotre leurs rendements en investissant dans des produits rmunrateurs, mais risqus. Du fait dun environnement conomique extrmement favorable (infl ation faible, croissance forte, solidit fi nancire des entreprises), les investisseurs ont sous-estim les risques attachs ces produits.

    1|2 Un systme bancaire aux frontires mal d nies

    Aux tats-Unis, les prts subprime ont t octroys par des courtiers qui ntaient pas des banques, et ntaient donc pas soumis une supervision de la mme qualit que celle laquelle ces dernires sont soumises. Certains vhicules fi nanciers spcifi ques dits conduits ou SIV (structured investment vehicles) jouaient un rle similaire celui des banques, en empruntant trs court terme et en fi nanant des produits structurs long terme trs rmunrateurs, ralisant ainsi, en priode faste, des bnfi ces importants. Cependant, ils ntaient pas soumis aux mmes exigences rglementaires que les banques et se sont retrouvs dans limpossibilit de se refi nancer et donc de poursuivre leur activit quand la liquidit sest assche.

    1|3 Linnovation nancire et la globalisation

    Les annes prcdant la crise ont t marques par la cration et le dveloppement de produits fi nanciers dits structurs consistant construire des instruments fi nanciers partir de diffrents lments sous-jacents , dont ces crdits immobiliers subprime. La crise sur ces crdits immobiliers spcifi ques sest tendue certains produits structurs dans la mesure o ils entraient dans leur composition, puis lensemble des produits structurs parce quil y avait un doute sur la composition relle de ces derniers.

    Les grandes tapes de la crise nancire

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    2| LACCLRATION DE LA CRISE

    Par construction, le fonctionnement et la valeur des produits structurs sont diffi ciles comprendre pour un investisseur. Afi n den faciliter la vente, les agences de notation (Moodys, Standard & Poors ou Fitch Ratings) leur attribuent une note cense guider le choix des investisseurs. Le non-remboursement des crdits subprime dont certains entraient dans la composition de ces produits, a provoqu une dgradation de leur note et, naturellement, un mouvement de dfi ance des investisseurs. Ce facteur explique le passage dun phnomne de march la crise bancaire dans la mesure o la baisse de la valeur (notation) des produits structurs a provoqu, pour les vhicules (SIV) qui les portaient leur bilan, des diffi cults de fi nancement. Ces mmes vhicules ont alors tir sur les lignes de liquidit bancaire qui leur avaient t octroyes. Les banques ont alors repris leur bilan ( rintermdiation ) les encours concerns, logs dans ces vhicules, mettant en pril leur propre bilan. Enregistrs comptablement leur valeur de march, les actifs concerns ont vu leur valorisation seffondrer, provoquant le retrait des investisseurs et lenclenchement dun cercle vicieux entre asschement de la liquidit et baisse de la valorisation. Ces tensions ont exerc une forte pression sur les fonds propres des banques qui ont rduit leur activit de prts, conduisant au passage dune crise fi nancire une crise de lconomie relle.

    Une crise en trois temps : marchs, banques, conomie relle

    Hausse du taux de dfaut sur les prts subprimeBaisse des prix de limmobilier aux tats-Unis

    Lconomie relleRestriction du crdit Pressions sur limmobilier

    Effets de richesse ngatifs

    Acclrateurs

    Agencesde notation

    Monolines

    Pertesen valeur

    de march

    Menaces dedgradation

    Canal du bilan :rintermdiation

    Canal du comptede rsultat

    DprciationsRetour dactifs

    hors bilanAjustementde valeur

    Blocage dactifsen cours de syndication

    Les banques

    Les marchs

    Tension sur lesproduits structurs

    Tension sur lesfonds montaires

    Tension sur lesconduits (SIV, ABCP)

    VALORISATION LIQUIDIT

    Canaux de contagion

    PRESSION SUR LE CAPITAL DES BANQUES

    Source: Banque de France, Direction de la Stabilit nancire

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    Encadr 1 Le sisme Lehman Brothers

    La faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre2008, a marqu un tournant dans la crise, la suite duquel les tensions sur les marchs nanciers ont atteint leur paroxysme. Elle a, en effet, dclench:

    Une crise de con ance profonde dans la solvabilit des institutions nancires:

    les primes de risque sur le dfaut du secteur bancaire ont atteint des records avant de re uer en rponse aux actions des banques centrales etsurtout des tats (cf. chapitres 3 et 4).

    Un climat de d ance gnralis entranant le blocage des marchs de capitaux:

    dans ce contexte, on a assist un phnomne defuite vers la qualit marqu par une forte prfrence des investisseurs pour les titres dtat;

    tandis que les investisseurs se sont massivement dsengags des actifs les plus risqus, notamment des marchs dactions et du crdit ainsi que des hedgefunds;

    la monte de la d ance entre intervenants de march et entre banques en particulier, a entran un blocage du march montaire interbancaire, rduisant fortement les transactions entre institutions, et une envole de la prime de risque de contrepartie.

    La faillite de Lehman Brothers a accentu la fuite vers la qualit: la demande de bons du Trsor amricains a pouss les taux de rendement du T-Bill 3mois de plus bas niveaux historiques, passant mme sous le seuil de 0%.

    VolatilitIndices de volatilit du S&P 500 et de lEuroStoxx 50

    (en%)

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    80

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    VIX Index (S&P500) V2X Index (EuroStoxx50)

    1999 2001 2003 2005 20072000 2002 2004 2006 2008 2009

    Source: Bloomberg

    .../...

    Aversion au risqueFacteur commun daversion au risque

    1999 2001 2003 2005 2007- 4

    1

    6

    11

    16

    21

    26

    31

    Estim par une analyse en composantes principales de plusieurs primes de risque (estimes par des spreads de crdit)Sources : Bloomberg, JP Morgan, Merrill Lynch ; calculs : Banque de France, Direction de la Stabilit nancire

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    Fuite vers la qualit(taux de rendement du T-Bill 3 mois)

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    Janv.2005

    Avril Juil. Oct. Janv.2006

    Avril Juil. Oct. Janv.2007

    Avril Juil. Oct. Janv.2008

    Avril Juil. Oct. Janv.2009

    Dbut de la crise

    Bear Stearns

    Lehman Brothers

    Source: Bloomberg

    Prime de risque de contrepartie observe sur le march interbancaire(en points de base)

    Juillet2007

    Octobre Janvier2008

    Avril Juillet Octobre0

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    350

    Spread Euribor Swap OIS 1 mois Spread Libor USD Swap OIS USD 1 mois Spread Libor GBP Swap OIS GBP 1 mois

    Source: Bloomberg

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    1| LES MARCHS DE CAPITAUX ET LA LIQUIDIT1

    1|1 Dsintermdiation, libralisation et drglementation nancires, titrisation

    La dsintermdiation, la drglementation, la libralisation fi nancires et la titrisation sont probablement les volutions les plus marquantes observes sur les marchs de capitaux au cours de la dernire dcennie. Elles ont non seulement profondment modifi le paysage fi nancier mais galement le contour de la liquidit. La forte croissance de la masse montaire et du crdit a t un lment-cl des conditions de fi nancement bon march sur les marchs de capitaux.

    Cette fi nance facile a exacerb la tentation des investisseurs de prendre davantage de risques et davoir plus largement recours lendettement, alimentant ainsi lexpansion du crdit et de la monnaie. Llimination de certaines barrires structurelles entre banque dinvestissement et banque de dpt a galement favoris la fl uidit du crdit, des initiateurs de prts aux metteurs de titres de dette. Il en est galement rsult une concurrence accrue au sein du secteur fi nancier et une stimulation de linnovation fi nancire. Enfi n, la titrisation a non seulement permis aux banques de rendre liquides les actifs fi nanciers, mais elle leur a galement offert de nouvelles opportunits, de loctroi de crdits, leur reconditionnement puis leur cession sous forme de titres.

    1|2 ont contribu lmergence dun nouveau modle de nancement quali dinitiation puis distribution du crdit

    Ces diffrentes tendances ont donn naissance un nouveau modle de transfert des risques, par lequel les banques, aprs avoir accord des prts, cdent le risque de crdit sous-jacent un ensemble dinvestisseurs par le biais dinstruments ddis. Auparavant, les tablissements bancaires taient les principaux initiateurs des prts. Ils les conservaient leur bilan et les suivaient jusqu lchance. La titrisation leur a donn la possibilit de ne plus faire apparatre le risque de crdit leur bilan mais de le transfrer dautres investisseurs. La valorisation dinstruments structurs complexes est devenue un vritable dfi .

    2| LES PRINCIPALES LIMITES DUN TEL MODLE DE FINANCEMENT

    2|1 La prsence dimperfections sur le march du crdit

    Dans ce modle de fi nancement, les deux parties de la transaction ne sont pas enclines vrifi er la qualit des actifs, crant de part et dautre un problme dala moral :

    les metteurs de prts parce quils prvoient de transfrer le risque de crdit dautres investisseurs ;

    Les mcanismes nanciers lorigine de la crise

    1 Source : Extrait de Dbats conomiques, n 4, propos des turbulences fi nancires , Banque de France, fvrier 2008. Le texte intgral peut tre consult ladresse suivante : www.banque-france.fr/fr/publications/telechar/debats/turbulences_fi nan.pdf.

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    les acqureurs de prts qui envisagent de les restructurer parce quils savent en effet que les acheteurs fi naux se fi ent surtout la notation attribue lactif sous-jacent.

    Les asymtries dinformation altrent donc chaque tape du processus et constituent une puissante source de contagion. De surcrot, un tel systme ne peut fonctionner que si chaque intervenant de march, impliqu dans ce processus, a en permanence accs la liquidit.

    2|2 La valorisation

    Par construction, les produits structurs sont peu liquides. Ils sont constitus pour sadapter parfaitement aux caractristiques et au profi l de risque requis par leur acqureur. Ces proprits limitent leur aptitude tre revendus dautres investisseurs dont les prfrences ou les besoins peuvent tre diffrents. Cela fait apparatre un phnomne de circularit : la valorisation la juste valeur doit seffectuer sur la base dun prix de march, en application des normes comptables internationales ; les oprateurs ne peuvent valoriser correctement un actif que sil existe une liquidit suffi sante sur le march ; et, pour fi nir, la liquidit dpend de la valorisation.

    Dans ce processus, les agences de notation sont investies dune mission essentielle qui consiste runir et contrler linformation concernant les emprunteurs mais le processus comporte deux faiblesses importantes :

    les agences de notation se considrent comme uniquement responsables de lvaluation du risque de crdit et non de celle du risque de liquidit alors que les investisseurs sont souvent persuads du contraire ;

    le modle utilis pour noter les produits structurs est identique, en termes de prsentation, celui qui est utilis pour les produits obligataires traditionnels, alors que les risques sont plus levs.

    2|3 La relative inadquation du capital au risque dans le modle de titrisation

    Les nouvelles entits, comme les conduits et les SIV, effectuaient des transformations dchances grande chelle sans aucun capital pour absorber les chocs. Toutefois, la plupart dentre eux taient dots de lignes de crdit bancaires ou dautres garanties des banques qui les sponsorisent. Ces lignes de crdit se substituent aux fonds propres qui auraient autrement t exigs de ces entits pour pouvoir mettre des billets de trsorerie bnfi ciant de la note AAA. La titrisation ne protge pas compltement les banques du risque de crdit sur les actifs transfrs. Tout dabord, les initiateurs de crdits sont gnralement exposs aux premires dfaillances sur les prts quils vendent, dans la mesure o ils conservent gnralement une partie du risque. En outre, les vhicules spcialiss dans lacquisition de ces produits, bnfi cient dimportantes lignes de crdit de la part des banques qui les ont mis en place, prcisment pour faire face aux risques de liquidit. Quand ils font appel ces lignes, les bilans des banques peuvent considrablement augmenter, diminuant le montant des capitaux disponibles pour fi nancer de nouveaux prts.

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