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COLLECTION DVD Les Grandes DE ROBERT ENRICO . Gueules LE CINÉMA DU 123

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COLLECTION DVD

Les GrandesDE ROBERT ENRICO

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Gueules

LE CINÉMA DU 123

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Un western vosgienEn 1966, dansLes Cahiers du cinéma,Jean-Louis Comollifulmine contre ce filmqu’il situe dans la grandetradition françaisedes productions fourre-tout

Les Grandes Gueules(France-Italie, 1966, 128 min).Réalisation : Robert Enrico.Scénario : Robert Enricoet José Giovanni.Photographie : Jean Boffety.Musique :François de Roubaix.Production :Belles Rives Productions.Interprètes : Lino Ventura,Bourvil, Marie Dubois,Michel Constantin.

FILMOGRAPHIE

1962a AU CŒUR DE LA VIE(Fr., trois courts métrages,98 min).Avec Stéphane Fey, FrançoisFrankiel, Anne Cornaly.a LA BELLE VIE(Fr., 107 min).Avec Frédéric de Pasquale,Josée Steiner,Lucienne Hamon.1966a LES GRANDES GEULES1967a LES AVENTURIERS(Fr.-Ital., 112 min).Avec Lino Ventura,Alain Delon, Serge Reggiani.a TANTE ZITA(Fr., 105 min).Avec Joanna Shimkus, KatinaPaxinou, Suzanne Flon.

1968a HO !(Fr-Ital., 103 min).Avec Jean-Paul Belmondo,Joanna Shimkus,Raymond Bussières.1971a BOULEVARD DU RHUM(Fr.-Ital.-Esp., 135 min).Avec Lino Ventura,Bill Travers, Brigitte Bardot.a UN PEU, BEAUCOUP,PASSIONNÉMENT(Fr., 100 min).Avec Maurice Ronet, LucienneHamon, Neda Arneric.1972a LES CAÏDS(Fr., 103 min).Avec Juliet Berto,Jean Bouise,Michel Constantin.

1974a LE SECRET(Fr.-Ital., 102 min).Avec Jean-Louis Trintignant,Marlène Jobert,Philippe Noiret.1975a LE VIEUX FUSIL(Fr.-RFA, 100 min).Avec Philippe Noiret,Romy Schneider,Jean Bouise.1976a UN NEVEU SILENCIEUX(Fr., 96 min).Avec Jean Bouise, SylvainSeyrig, Lucienne Hamon.1979a L'EMPREINTEDES GÉANTS(Fr.-RFA, 140 min).Avec Mario Adorf,

Zoé Chauveau, PatrickChesnais.1980a PILE OU FACE(Fr., 105 min).Avec Philippe Noiret,Michel Serrault, Dorothée.1983a AU NOM DE TOUSLES MIENS(Fr.-Can.-Hongr., 145 min).Avec Michael York, JacquesPenot, Brigitte Fossey.1985a ZONE ROUGE(Fr., 110 min).Avec Richard Anconina,Sabine Azéma.1987a DE GUERRE LASSE(Fr., 125 min).Avec Nathalie Baye,

Christophe Malavoy,Pierre Arditi.1989a LA RÉVOLUTIONFRANÇAISE : « LESANNÉES LUMIÈRE »(Fr.-Ital.-RFA-Can.-GB, 165min).Avec Klaus Maria Brandauer,François Cluzet,Andrzej Seweryn.1993a VENT D'EST(Fr.-Suisse, 114 min).Avec Malcolm McDowell,Wojciech Pszoniak.1999a FAIT D'HIVER(Fr., 105 min).Avec Charles Berling,Claude Brasseur,Jean-François Stévenin.

Fiche technique

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LE CINÉMA DU 123

S i nous parlons avec tant deretard de quelques films qui fi-rent les beaux jours des exploi-tants des Champs-Elysées etde leur clientèle mi-ignorante,mi-snob, tels que Viva Maria et

Les Grandes Gueules ( il faudrait ajouter àces deux locomotives le wagon de La Viede château), c’est d’une part qu’il n’y arien à en dire, d’autre part qu'ils sontrétrogrades.

De Robert Enrico, certes, La Rivière duhibou nous avait fait nourrir les pires espé-rances. La Belle Vie, où l'esthétisme mons-trueux et tape-à-l’œil n'avait grâce au cielpas trouvé sa place, et où quelques éclairs

de vérité chez les acteurs perçaient lesintentions ténébreuses d’un mélodramesocial à dormir debout, La Belle Vie donclaissait planer un doute sur l'orientationde la carrière de ce jeune talent.

Nous regrettons sincèrement pour lui,tout en le félicitant de son opportunisme,qu'il ait choisi, en tournant un westernvosgien avec Bourvil, de se porter au se-cours de ce que le commerce et l’hypocri-sie peuvent avoir en commun de pire :exaltation des saines valeurs de la forcevirile, de la bêtise triomphante, de la viefruste et simple des campagnes et de lapoésie ô combien sauvage des grandsespaces verts.

II/LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 10-LUNDI 11 OCTOBRE 2004

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de Robert En-rico, en 2001, c’est surtout duVieux Fusil, grand succès en 1975,champion des rediffusions télévi-sées, qu’il a été question. Ou deces tandems d’acteurs dont le réa-lisateur avait le secret : Bourvil etLino Ventura pour Les GrandesGueules ; ce même Ventura etAlain Delon en Aventuriers en1967. Au point qu’on oublie sou-vent qu’avant d’être le maître desfilms du dimanche soir, Enrico futun audacieux, auteur de filmsbien ancrés dans la réalité de leurtemps.

Etudes à l’Idhec, débuts de tech-nicien : il a tout juste trente ansquand un court métrage saisis-sant lui vaut la reconnaissanceimmédiate. Après cette Rivière duhibou en 1961, qui peint l’échap-pée imaginaire d’un condamné àmort, il affronte, en jeune hommede son époque, un tabou. La BelleVie, en 1962, est un titre ironiquequi cache l’histoire d’un appelédont la vie est dévastée par laguerre d’Algérie.

Robert Enrico reçoit alors leprestigieux prix Jean-Vigo. Cebrillant début de carrière se distin-gue aussi par une grande curio-sité littéraire : il emprunte àMorts violentes, le recueil del’Américain Ambrose Bierce, pourtraiter de la guerre de Sécession(Au cœur de la vie, en 1962). Ilcoécrit avec Jean Gruault, le scéna-riste de Truffaut et de Resnais, LaRedevance de fantôme, d’aprèsHenry James.

Le virage se produit au cœurdes années 1960, avec LesGrandes Gueules, qui offrent àune France désorientée par laNouvelle Vague le réconfort d’unfilm grand public, aux dialoguessavoureux. Enrico a trouvé savoie, et ne la quittera plus.

Ainsi, à l’orée de Mai 68, pas defilm politique, mais une fable,Tante Zita, avec Joanna Shimkus,la coqueluche du moment. Dejolies femmes traversent sesfilms, la grâce blessée de RomySchneider illumine ce pénible plai-doyer pour la vengeance indivi-duelle qu’est Le Vieux Fusil, maisEnrico fait pour l’essentiel uncinéma d’hommes.

De Caïds en Aventuriers, il sespécialise dans les intriguessemipolicières, qu’il écrit, loin dela sophistication littéraire des dé-buts, avec José Giovanni. Iltrouve son acteur idéal en LinoVentura, comme lui fils d’immi-grés italiens dont une rudessebonhomme est la marque de fa-brique. Il fait tourner lesmeilleurs acteurs de l’époque,notamment Maurice Ronet (Unpeu, beaucoup, passionnément

en 1971) et Jean-Louis Trinti-gnant (Le Secret, 1974).

Mais se produit ce phénomènefréquent et inexplicable : RobertEnrico perd le lien si étroit quil’unissait au public. Il se tournealors vers la télévision, tra-vaillant pour « Les Dossiers del’écran » (Un neveu silencieux) outransformant un long métrageen série (Au nom de tous lesmiens).

En 1989, il signe, à l’occasiondu Bicentenaire, La Révolutionfrançaise, justement estampilléfilm officiel. Enrico tourne jus-qu’au bout (Fait d’hiver, avecCharles Berling, deux ans avantsa disparition), mais reste dansl’esprit du public l’un desmeilleurs artisans d’une époquerévolue, celle d’un cinéma fran-çais populaire de qualité.

Florence Colombani

L’artisan du film populaireLE CINÉMA DU 123

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Ajoutons que, pour faire bonne mesureet combler un public qui passe pour diffi-cile (difficile à décevoir, plutôt), l'auteur,se révélant ainsi comme un des produc-teurs les plus avisés que nous ayons, ajugé bon de compléter ce cocktail salubrede sentiments forts par une tragique his-toire d'amour et une non moins subtileidylle entre une brute et un délicat bam-bin de 25 ans.

Les Grandes Gueules s'inscrit ainsi à sontour dans la grande tradition françaisedes films fourre-tout, qui évoque irrésisti-blement les revues de paquetage : tout cequi passe pour nécessaire à l'existenced'un film et à son succès y est soigneuse-ment rangé et détaillé, et l'on jette tout le« superflu » : c'est-à-dire ce qui fonde lanécessité et l'existence d'un film : la pré-sence et l'expression propre de l'auteur.

Pour Enrico, pas de danger, le poidsd'une personnalité est un fardeau encom-brant sur la pente du succès.

Jean-Louis Comolli,« Tous dans le même cul-de-sac »,

Cahiers du cinéma, avril 1966.

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LE MONDE TÉLÉVISION/DIMANCHE 10-LUNDI 11 OCTOBRE 2004/III

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France and CoE n 1965, alors que le monde tape

du pied les refrains pop, alors quela France change de tête, pousséeaux fesses par sa jeunesse éner-

vée, le pourtant pas vieux Robert Enrico(né en 1931) réunit à l’affiche de son troi-sième long métrage, non pas Belmondoet Léaud, mais Bourvil et Ventura.

C’est toujours mieux que la foison d’op-portunistes qui s’efforcent alors de paille-ter leurs films de tics Nouvelle Vague,sans se rendre compte que ladite vague adéjà été supplantée par le raz-de-maréed’une décennie insatiable. Cela restenéanmoins un cas édifiant d’étanchéitéau monde. Insensible aux métamorpho-ses en cours, Les Grandes Gueules dragueet célèbre le peuple de toujours.

Enrico est quand même du XXe siècle.Il a vu des westerns, ce qu’entendent si-gnifier l’harmonica de feu de camp de lapremière séquence et la guitare très Sha-dows du générique. Mais si visible est lapose qu’un parfum de seconde main aus-sitôt se renifle. Un parfum de spaghetti,pour tout dire, par quoi le film gagne sesgalons de contemporanéité (en admet-tant que Pour une poignée de dollars setienne alors sur la crête du présent),mais qui révise à la baisse ses rêves decow-boys.

La maison boisée où HectorValentin/Bourvil emménage, les sapinsalentour évoquent davantage le Canada,cette Amérique à la portée des canichesfrançais. Or le Canada, il en revient, seschemises de bûcheron l’attestent. Là, onest dans les Vosges. Les scènes de bar son-nent saloon, gestes-symboles, aphoris-mes jetés d’un bout à l’autre du comp-toir, mais l’on y boit des demis et des ca-nons, pas du whisky.

La France, donc. Ici tout finit par deschansons (Quand tu rentres bourré lesoir/qu’est-ce que tu fais Léon Léon ?) à pré-textes dérisoires (Ma sœur est une pu-tain ?), ou par de joyeuses mêlées(T’aurais eu tort de rater ça). Ici l’Améri-

que n’existe qu’en petits soldats (Eh Lau-rent, fais gaffe aux Peaux-Rouges) et lesgangsters à costumes, gants et lunettesnoirs qui débarquent de Fleury sur laplace du village ne font illusion que deuxminutes en melvilliens mutiques.

Des mômes, voilà tout, grondés récur-

remment par le paternel Bourvil. DesPieds Nickelés pas méchants volontaire-ment, attachants comme tout. Des gueu-les, grandes. Langue bien pendue, mous-taches, sourcils broussailleux. Chacun satouche, guirlande de types : le molosse, lebellâtre gominé, le Michel Constantin, lepetit teigneux, le tout ce qu’on veut.

Or à ceux-là qui incarnent l’Hexagone,le certificat de francitude reste à délivrer,et c’est le principe moteur du film, sacause finale. Il est peu d’œuvres bien dechez nous qui ne se mettent en abyme entant que telles ; peu de films populairesqui, en plus de postuler le peuple, ne cher-chent à le constituer.

A quoi donc travaillent Les GrandesGueules ? A recomposer la famille Franceen y intégrant un peu de son négatif en lapersonne de ces « libérés conditionnels »engagés comme bûcherons par l’ami Hec-tor ; à faire cohabiter sous le même toit lebon sens terrien et la loyauté du milieu.Bourvil, Ventura. L’un, paysan éternel,ne manque jamais d’enlever sa casquettepour saluer une femme ; l’autre, ex-cat-cheur, a des principes : jamais plus detrente secondes dans le plan sans allumerune Gitane. Et sans doute, dans ce vœud’élargissement de la mansuétude répu-blicaine aux petits malfrats, il faut voirl’empreinte du repenti José Giovanni,adaptateur de son roman, Le Haut-Fer.

La cohabitation ne va pas de soi, ellenécessite un contrôle au millimètre dela circulation des signes. Par exempleon prendra soin de débarrasser lemilieu de son enveloppe sulfureuse : nevous battez pas avec les outils, insisteLaurent/Ventura, mains nues seule-ment et surtout pas de sang. De mêmel’intégration des grandes gueules segagne, équation implacable, au prixd’exclusions et donc de la fabricationde créatures-repoussoirs : l’éducateur àlunettes, qui ne saurait percevoir l’hu-manité commune de ceux d’en bas ; l’en-trepreneur moderne, anticipation durequin mondialiste.

Qu’on ne se laisse pas endormir, donc,par l’apparente bonhomie des GrandesGueules. Le moindre atome y fonctionnerelativement à un autre, et l’ensemblefait système. Autre aspect du jeud’abyme évoqué plus haut, la scierie,dont le Normand et le Rital assurent ladirection bicéphale, figure, en mêmetemps que l’usine France, en quête desang neuf pour se réactiver, la petiteentreprise de sens en quoi consiste toutfilm dit populaire.

François Bégaudeau

LE CINÉMA DU 123

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Insensible auxmétamorphosesen cours,« Les GrandesGueules » dragueet célèbrele peuplede toujours

Lino Ventura, acteur fétiche de Robert Enrico.

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