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Dorothée BECART L ES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT : Analyse d'un phénomène à travers l'étude des émissions de Michel Drucker et de Thierry Ardisson Mémoire présenté à l'Institut d'Etudes Politiques de Lille sous la direction de Sylvie S TRUDEL

Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

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Mémoire de fin d'études à Sciences Po Lille, soutenu en juin 2001 (16/20) Diplôme obtenu avec mention "Très Honorable"

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Dorothée BECART

LES HOMMES POLIT IQUES DANS LES EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT :

Analyse d'un phénomène à t ravers l 'é tude des émiss ions de

Miche l Drucker et de Th ierry Ard isson

Mémoire présenté à l ' Inst i tu t d 'Etudes Po l i t iques de L i l le sous la d i rect ion de Sy lv ie STRUDEL

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier en premier lieu ma directrice de mémoire, Sylvie

STRUDEL.

Je remercie tout particulièrement le personnel de l'Institut National de

l'Audiovisuel, à la vidéothèque régionale de Lille et à la Bibliothèque Nationale

François Mitterrand, pour leur patience et leur disponibilité.

Je remercie France 2 et les producteurs des deux émissions évoquées dans

ce mémoire, Tout sur l'Ecran et DMD pour l'utilisation des captures d'image.

Je remercie enfin ma principale source d'inspiration, les hommes et

femmes politique qui se succèdent sur les plateaux de Tout le monde en parle et

de Vivement Dimanche, dont je remercie également les animateurs, Thierry

ARDISSON et Michel DRUCKER.

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

AU LECTEUR

Ce mémoire comporte en annexe des captures d'image tirées des

émissions Tout le monde en parle et Vivement Dimanche que j'ai pu visionner à

l'Inathèque de France. Des notes en bas de page renvoient aux captures

correspondantes.

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 :LA DERIVE VERS UNE "TABLOÏDIZATION"DE LA VIE POLITIQUE A TRAVERS LE

MEDIA TELEVISUEL

1.1 L'évolution des rapports de force au sein du triangle Hommes politiques / Champ

médiatique / Opinion publique

1.1.1 Les nouveaux rapports de l'opinion publique au champ politique 1.1.2 L'évolution des rapports entre le champ politique et le média télévisuel

1.1.3 L'évolution de la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la télévision

1.2 Les effets de ce nouveau rapport de force sur les formats des émissions politiques : de l'hybridation à la tabloïdization

1.2.1 Crise et tentative de modernisation du journalisme politique traditionnel 1.2.2 Les nouveaux formats télévisuels dominants depuis les années 90 1.2.3 Deux expressions de cette nouvelle génération d'émissions: les cas Drucker et Ardisson

CHAPITRE 2 : LE TRAVAIL DE PRESENTATION DE SOI DES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE MICHEL DRUCKER ET DE THIERRY ARDISSON

2.1 Construction identitaire et maîtrise de l'image

2.1.1 Une biographie retravaillée à l'avantage des hommes politiques 2.1.2 Le personnage privé au service de l'homme public 2.1.3 Les émissions de divertissement : nouveaux lieux de campagne électorale?

2.2 Une marge de manœuvre limitée 2.2.1…par l'impertinence des questions posées 2.2.2…par des invités "actifs" 2.2.3… par le côté ludique des émissions : les trublions face aux clowns tristes de la politique

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

CHAPITRE 3 : LES EFFETS DE LA PARTICIPATION DES HOMMES POLITIQUES AUX

EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT SUR LE CHAMP POLITIQUE ET SUR L'OPINION PUBLIQUE

3.1 Les conséquences de la dilution du politique dans le divertissement 3.1.1. Un discours politique éclipsé par la forme de ces émissions 3.2.2. Un schisme supplémentaire au sein du champ politique 3.2.3 Une menace supplémentaire sur la crédibilité de la classe politique

3.2 Les effets sur les téléspectateurs 3.2.1 Un excellent moyen de contrer les effets de l'exposition sélective aux médias 3.2.2 Le téléspectateur ne fait pas l'électeur

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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INTRODUCTION

Faut-il être aimé ou compris? Séduire ou convaincre? Ce dilemme est

aujourd'hui au cœur des préoccupations des hommes politiques.

Tout a commencé il y a une quarantaine d'années avec une double

révolution : tout d'abord, l'élection du Président de la République au suffrage

universel qui a logiquement entraîné une personnalisation de la vie politique et,

parallèlement, l'apparition d'un moyen de communication de masse : la télévision.

La conjugaison de ces deux phénomènes a profondément et durablement

bouleversé les rapports entre les champs politique et médiatique, ainsi que les

relations que chacun d'eux entretenaient avec l'opinion publique : chacun a

découvert les pouvoirs de l'image.

"Il n'est pas nécessaire qu'un Prince

possède toutes les qualités mais il l'est qu'il

paraisse les avoir."

"Tout le monde voit bien ce que tu

sembles par dehors, bien peu ont le

sentiment de ce qu'il y a dedans."

Machiavel, Le Prince, 1513

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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Dans un contexte d'affaiblissement progressif de la stabilité des

comportements électoraux et de l'identification partisane, les hommes politiques

ont d'abord découvert avec la télévision un moyen de parler aux électeurs hors des

structures partisanes, grâce à un instrument de communication de masse à

l'adresse et à l'audience universelles. Dès les années 50 les grands rendez-vous

politiques ont donc fait leur apparition à la télévision, et le journalisme politique

est devenu au fil des années un genre à part entière.

Peu à peu, les leaders politiques, dont le rôle se limitait jusqu'ici à être de

simples porte-paroles de leurs mouvements, se sont transformés à travers leurs

passages dans les "étranges lucarnes" en véritables vedettes, au même titre que

les stars de cinéma, et ont commencé à apparaître dans des émissions de télévision

n'appartenant pas au champ politique. Déjà en 1977, Roger-Gérard

Schwarzenberg1 avait mis en évidence cette dérive de la politique vers le

spectaculaire, avec la complicité évidente des médias qui y trouvaient également

leur compte.

En effet, on a pu assister, dès les années 70, à des incursions de hauts

responsables politiques là où personne ne les attendait vraiment : Valéry Giscard

d'Estaing a ainsi surpris en virtuose de l'accordéon dans une émission de Danielle

Gilbert2 quatre ans avant son élection à la Présidence de la République ; puis dans

les années 80, Lionel Jospin a tenté d'émouvoir les foules dans une interprétation

toute personnelle des Feuilles Mortes d'Yves Montand3 tandis que François

Léotard poussait à son tour la chansonnette dans une émission très populaire de

1 Cf. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, L'Etat-spectacle. Essai sur et contre le star-system en politique, Paris, Flammarion, 1977 2 Cf. Capture 1 en annexe 3 Cf. Capture 2 en annexe

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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Patrick Sébastien, Carnaval. Que dire de Jack Lang, dans son remake de La

drague avec Miou-Miou, toujours dans la même émission? Même Arlette

Laguillier a découvert les joies de la vedettisation en interprétant devant son idole,

Pierre Perret, sa version de "Mon p'tit loup", sous le regard ému et attendri du

chanteur.4

Parallèlement, les émissions politiques, pour toucher un public plus large

et non pas limité aux individus capacitaires, ont évolué vers des formes plus

hybrides où la politique n'était plus la dominante : ainsi, dans 7/7, la présence des

hommes politiques n'était prétexte qu'à un commentaire sur l'actualité ; et dans

Questions à domicile, l'homme public dévoilait aux téléspectateurs une partie de

sa vie d'homme privé, dans le cadre d'une "intimité toujours soigneusement mise

en scène".5.

Dès lors, les hommes politiques ont clairement cherché à séduire le public

le plus large possible, aidés en cela par les chaînes de télévision dont les

motivations sont finalement assez semblables : chacun essaie de contourner les

effets ravageurs du zapping, pratique apparue à la fin des années 80 et érigée en

mode de vie dans tous les salons de France, en diluant la politique dans des

concepts hybrides, plus à même d'attirer les téléspectateurs les plus sceptiques et

les moins réceptifs à des émissions politiques classiques qu'ils jugent trop

rébarbatives.

Si au début des années 90 la télévision a opéré une sorte de retour aux

sources en proposant aux téléspectateurs des émissions purement politiques,

4 Cf. captures 3 et 4 en annexe 5 Cf. Agnès CHAUVEAU, "Les hommes politiques sont devenus des stars des médias", L'Histoire, Mars 2001

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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notamment à l'approche de grandes échéances électorales comme l'élection

présidentielle de 1995, les hommes politiques ont développé une stratégie

médiatique consistant à apparaître à la fois dans ces émissions dites "sérieuses"

pour convaincre les individus compétents politiquement et dans des talk-shows

plus légers mêlant interviews et divertissement, comme Nulle Part Ailleurs. Mais

la désaffection profonde du public pour les émissions politiques traditionnelles a

progressivement entraîné leur relégation dans les tréfonds des grilles de

programmes des grandes chaînes, quand elles ne se sont pas tout simplement

éteintes ou exilées sur des chaînes câblées à l'audience beaucoup plus

confidentielle. Les hommes politiques n'ont pas pour autant disparu de l'antenne :

ils se bousculent aujourd'hui aux portes de deux émissions qui cartonnent auprès

des téléspectateurs : Vivement Dimanche, animée le dimanche après-midi par le

gendre idéal des Français, le très condescendant Michel Drucker, et Tout le monde

en parle, la nouvelle émission-concept de l'ex-grand prêtre cathodique de la

provocation, Thierry Ardisson. Deux styles très différents voire opposés, mais un

point commun : c'est là qu'il faut être vu, qu'on soit star du show-biz ou homme

politique. C'est également la consécration du mélange des genres, la fusion ultime

entre politique et divertissement qui s'opère chaque week-end sous les yeux des

téléspectateurs.

J'ai choisi de concentrer ma recherche sur ces deux émissions car ce sont

elles qui indéniablement ont relancé avec succès ce concept de dilution de la

politique dans des formats plus légers et plus à même de séduire le téléspectateur

peu intéressé par la politique. J'aurais pu étendre ma recherche à d'autres

émissions où se presse une bonne partie de la classe politique, comme Ciel mon

Mardi de Christophe Dechavanne, qui accueille il est vrai les personnalités

politiques les plus accoutumées au genre comme André Santini ; mais aussi celle

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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de Laurent Ruquier, On a tout essayé, où se sont succédées quelques personnalités

aussi antinomiques que Christine Boutin, Roselyne Bachelot et Bertrand Delanoë.

On a même pu voir le nouveau maire de la capitale, deux jours à peine après le

vote du budget au Conseil de Paris, choisir d'en présenter les grandes lignes à

Nulle Part Ailleurs, émission il est vrai animée par un "vrai" journaliste, Thierry

Dugeon, mais étiquetée "divertissement" en raison notamment de la présence de

quelques trublions comme le duo Omar et Fred : ces derniers ont d'ailleurs tenté

d'arracher au maire fraîchement élu la promesse de quelque passe-droit pour

obtenir un appartement à Paris… Dans la même émission, le très sérieux Michel

Rocard avait accepté de donner la réplique à la miss Météo la plus déjantée du

paysage audiovisuel français, Axelle Laffont, dans un sketch très rock'n'roll. Je

pourrais également citer le magazine de Marc-Olivier Fogiel, On ne peut pas

plaire à tout le monde, qui accueille fréquemment des personnalités du monde

politique comme Nicolas Sarkozy récemment mais dont le concept reste très

voisin à celui de Tout le monde en parle, les deux animateurs se disputant la

paternité de cette forme d'impertinence journalistique.

Pourquoi alors se concentrer sur les cas Drucker et Ardisson? D'abord

parce que ces deux émissions touchent un public très large et ont rencontré un

succès quasi-immédiat auprès des téléspectateurs. Puis parce que ce sont elles qui

accueillent le plus régulièrement des personnalités politiques : toutes les semaines

pour l'émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, et chaque mois pour

Michel Drucker, à l'exception évidemment des périodes électorales. Enfin, en

terme d'image, il est très intéressant de comparer l'attitude des hommes politiques

dans chacune de ces deux émissions aux styles très différents : dans Vivement

Dimanche l'homme politique prépare en grande partie son émission avec les

équipes de Michel Drucker, ce qui lui permet de contrôler au maximum son

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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image; tous les invités présents sur le plateau sont choisis par lui-même et les trois

chroniqueurs de Vivement Dimanche prochain, dont le très médiatique

psychanalyste Gérard Miller, voient leurs interventions assez contrôlées par le

maître des lieux. En revanche, dans Tout le monde en parle, c'est clairement

Thierry Ardisson qui tire les ficelles du jeu, et l'image des hommes politiques est

quelque fois très malmenée, aussi bien par l'animateur que par les autres invités

qui n'hésitent pas à les prendre à partie : le ton y est beaucoup plus libre, beaucoup

moins complaisant, et pourtant les grands de ce monde n'hésitent pas à y faire des

apparitions souvent très remarquées et reprises par la presse, comme ce fut le cas

récemment pour Michel Rocard dont la prestation a fait couler beaucoup

d'encre…

La présence de ces respectables hommes politiques dans des émissions

plutôt légères où ils parlent certes de leur carrière, de leurs idées et de leurs projets

mais aussi de façon très libre de leur enfance, de leurs loisirs, de leurs passions, de

leurs coups de cœur et parfois même de leur vie sexuelle – ce qui évidemment se

fait plus chez Ardisson que chez Drucker - bref de leur vie publique comme de

leur vie privée m'a en premier lieu intriguée. Puis, à y regarder de plus près et à la

lumière de mes lectures, je me suis aperçue qu'il s'agissait là d'une stratégie

comme une autre ayant pour but de séduire – et non plus de convaincre – les

électeurs les plus indécis, qui sont aussi les plus exposés au média télévisuel ; de

détourner les effets du zapping et de l'exposition sélective aux médias6 en se

fondant dans la masse, en brisant leur image froide et distante d'élite au profit

d'une image sympathique et détendue. Dans l'émission Arrêt sur Images7, Valéry

Giscard d'Estaing, interrogé à propos de son passage chez Michel Drucker avait

6 Cf. Roland CAYROL, La nouvelle communication politique, Paris, Larousse, collection "Essais en liberté", 1986, p. 181 7 Cf. Arrêt sur Images, émission du 20 février 2000 : "La politique est-elle soluble dans le rire?"

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ainsi déclaré : "Je ne crois pas qu'il faille s'imaginer les hommes politiques

comme des gens coupés de la vie. Ils ont leurs loisirs, de la culture, ils vont voir

des films. Le fait que l'opinion publique ne les aime pas, se méfie d'eux et

s'aperçoive qu'ils vivent comme eux au milieu de la vie collective, je crois que

c'est une chose politique et ça me réjouit que les hommes politiques y participent.

On dévalorise le métier en étant malhonnête et en trompant les gens, non pas en

participant à la vie culturelle et quotidienne de son pays." . L'enjeu est clair : il

faut essayer de lutter contre la désaffection des Français envers une classe

politique dont ils se méfient à 48% 8, qui les ennuie à 18% en essayant de

divertir, de faire rire, d'intéresser avec d'autres armes que la politique.

Il apparaît donc que dans un premier temps, les hommes politiques se sont

servis de l'instrument télévisuel pour convaincre les électeurs dans des émissions

aux formats plutôt classiques et austères. Mais si elles ont rencontré un succès

d'estime leur audience restait assez confidentielle et limitée aux individus

compétents politiquement, population initiée au vocabulaire parfois "occulte"9 des

hommes politiques. Par conséquent, chaînes de télévision et hommes politiques

ont compris qu'une nouvelle demande émanait des téléspectateurs, de cette

"France de la salle à manger" 10à l'identification partisane peu définie et

changeant d'une élection à l'autre, en net contraste avec la "France de la rue"

engagée et compétente politiquement. De nouveaux concepts d'émissions plus

hybrides sont alors apparus, dans lesquels les hommes politiques, qui ont entre-

temps compris que leur popularité était un véritable capital, tentent avec plus ou

moins de subtilité d'offrir une "image" d'eux-mêmes plus accessible et plus

8 Cf. Sondage Le Monde/Sofres, octobre 2000 ; question : "Quand vous pensez à la politique, pouvez-vous me dire ce que vous éprouvez ?" 9 La formule est de Bruno Masure. 10 Cf. Jean-Paul GOUREVITCH, L'image en politique. De Luther à Internet et de l'affiche au clip, Paris, Hachette Littérature, 1998, p. 51

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cohérente avec les attentes des téléspectateurs les moins compétents

politiquement, tout en essayant de faire passer le plus efficacement possible leur

message politique à l'intention de ce public : l'enjeu n'est pas mince.

L'étude des deux émissions de Michel Drucker et de Thierry Ardisson

permet de décrypter ces nouveaux comportements des hommes politiques au sein

de l'agora cathodique : leurs attitudes, leurs façons de se présenter, de répondre

aux questions complaisantes ou incisives des animateurs, de mettre en avant l'être

humain au détriment de l'homme d'idées, toutes ces données témoignent d'un

indéniable abandon de la rhétorique de mobilisation au profit d'une esthétique de

la séduction11. L'asymétrie entre l'abondance des travaux sur les mises en scène

télévisuelles et la raréfaction des recherches consacrées aux activités de terrain

confirme en outre cette tendance amorcée à la fin des années 70. En aval de leurs

prestations, il apparaît que les hommes politiques, avec l'aide de leurs conseillers

en communication effectuent un travail de présentation de soi très poussé, se

constituent une image bien définie suivant le style de l'émission. Ce n'est pas sans

conséquences sur le discours politique, qui est considérablement simplifié ; et

certains parlent d'une théâtralisation de la vie politique qui s'enfoncerait dans le

futile, le léger, le dérisoire.

De plus, est-ce que les effets escomptés sur les téléspectateurs sont réels et

perceptibles au moment des grandes échéances électorales? Ils sont à relativiser,

la plupart des Français ayant prouvé qu'ils n'étaient pas très sensibles à la

"politique-paillettes" comme en attestent les défaites d'Elisabeth Guigou, de

Catherine Trautmann, de Jean-Claude Gayssot, de Philippe Seguin, ou encore de

11 Cf. Patrick LECOMTE, Communication, télévision et démocratie, Lyon : Presses Universitaires, collection "Passerelles", 1994, p. 63

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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Jack Lang, tous passés l'année précédente chez Drucker ou chez Ardisson, voire

dans les deux émissions, aux dernières élections municipales.

Je verrai donc dans un premier temps quelles ont été les origines et les

enjeux de cette dérive du jeu politique vers une spectacularisation manifeste par

l'intermédiaire du média télévisuel, qui lui-même a dû répondre à une évolution de

la demande des téléspectateurs, et quelles formes d'émissions ont été crées en

réponse à cette évolution, en décrivant chacune des deux émissions auxquelles j'ai

choisi plus particulièrement de m'intéresser.

Puis, dans un second temps, j'étudierai le comportement et les stratégies

de construction identitaire des hommes politiques dans chacune de ces deux

émissions, en prenant en compte tous les enjeux sous-jacents. Je tenterai

également de montrer que certains aspects inhérents aux concepts mêmes des

deux émissions peuvent réduire la marge de manœuvre des hommes politiques en

terme de présentation de soi.

Enfin, je tenterai de mesurer les effets de cette omniprésence des hommes

politiques dans les émissions de divertissement sur le champ politique ainsi que

sur les téléspectateurs eux-mêmes.

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CHAPITRE 1 :

LA DERIVE VERS UNE "TABLOÏDIZATION"12 DE LA VIE POLITIQUE A TRAVERS LE MEDIA TELEVISUEL

S'intéresser à la présence d'hommes politiques dans des émissions

télévisées n'appartenant pas au champ politique, comme des divertissements tels

que Tout le monde en parle ou Vivement Dimanche nécessite au préalable de

discerner les différents facteurs qui ont amené ces hommes publics à

désaffectionner les formes traditionnelles d'émissions politiques au profit de ces

formes plus hybrides, avec la complicité des chaînes de télévision qui ont trouvé

là le moyen de répondre à une certaine demande des téléspectateurs.

En réalité, toute émission télévisée est au final le produit d'interactions

entre différents agents sociaux : toute évolution des rapports de force entre ces

agents provoquera une modification plus ou moins profonde du produit fini. Erik

Neveu évoque l'existence d'une configuration à trois pôles, d'un "triangle" où se

croisent les intérêts des journalistes politiques, ceux du personnel politique et

enfin ceux d'un troisième pôle, constitué par l'opinion publique. Il applique ce

"triangle" à l'analyse des élections présidentielles et de leur traitement par les

12 Cf. Erik NEVEU, "Des questions jamais entendues ; crise et renouvellement du journalisme politique à la télévision", in Politix, n°37, Télévision et politique, 1997, p.27-28

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grandes chaînes de télévision. Je choisirai pour ma part d'étudier l'évolution des

rapports de force entre les trois pôles suivants : le champ médiatique et en

particulier le média télévisuel, le personnel politique, et enfin une partie non

négligeable de l'opinion publique constituée par les téléspectateurs.

Puis, après avoir déterminé quels étaient les nouveaux rapports de force

existant au sein de ce triangle, je montrerai que c'est précisément cette évolution

qui a entraîné une certaine désaffection du public, des hommes politiques et par

conséquent des chaînes de télévision pour les émissions de télévision

traditionnelles, et l'évolution vers une tabloïdization de la vie politique à travers

des nouveaux concepts d'émissions télévisées hybrides, à mi-chemin entre show

politique et divertissement, dont je présenterai les principales caractéristiques.

1.1 L'évolution des rapports de force au sein du triangle Hommes politiques / Champ médiatique / Opinion publique

Afin de mieux saisir les origines de l'apparition de concepts d'émissions

mêlant politique et divertissement, je vais donc étudier dans un premier temps les

différents facteurs qui ont provoqué une modification des rapports de force entre

les trois pôles du triangle constitué par la classe politique, le champ médiatique et

en particulier le média télévisuel et enfin l'opinion publique, et plus

particulièrement l'ensemble des téléspectateurs qui en constitue une frange non

négligeable.

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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1.1.1 Les nouveaux rapports de l'opinion publique au champ politique

Les rapports de l'opinion publique au sens large du terme - c'est à dire la

manière de penser la plus répandue dans la société, connue grâce aux sondages et

aux résultats des élections - avec le champ politique ont beaucoup évolué à partir

des années 60 en raison d'un certain nombre de facteurs.

Tout d'abord, depuis 1962, le Président de la République est élu au

suffrage universel. Ainsi, les électeurs sont amenés par leurs votes à porter un

homme au sommet de l'Etat, plus que le représentant d'un parti. Cette

présidentialisation du jeu politique a donc naturellement entraîné sa

personnalisation progressive, sous l'influence notable de l'opinion publique qui

semble plutôt avoir tendance à élire une vedette de la politique que le leader d'un

mouvement au moment des élections présidentielles. L'accent est donc mis sur

une compétition entre personnalités plus que sur le débat d'idées en lui-même. La

fonction présidentielle reste par conséquent très liée au sein de l'opinion publique

à une dimension affective, émotionnelle et dans l'isoloir, on peut penser que les

électeurs votent plus avec le cœur qu'avec la raison. C'est en tout cas une

perception des électeurs qu'entretiennent les instituts de sondages en posant aux

citoyens représentatifs des questions telles que : "A-t-il trouvé le bon ton de voix

ou pas?" "Le trouvez-vous ennuyeux ou pas ennuyeux?" ; "A-t-il l'air de réciter

un texte par cœur ou d'improviser?" 13: indéniablement, ce sont les qualités

personnelles des leaders politiques qui sont mises en avant lors des campagnes

13 Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.132 : sondage IFOP/Le Point, 1974

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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présidentielles, ce qui n'est pas sans conséquences sur les rapports entre l'opinion

publique et la classe politique en dehors de ces grandes échéances électorales…

D'autre part, parallèlement à cette personnalisation du jeu politique, on a

assisté à une baisse continuelle de l'identification partisane des électeurs, avec

comme corollaire une instabilité de plus en plus manifeste des comportements

électoraux : ces comportements semblent en effet, et pour une grande partie de

l'électorat – le fameux "marais", ou électorat flottant – de moins en moins

rationnels puisque d'une élection à l'autre, une partie de l'opinion peut changer

d'orientation politique. En outre, l'identification des citoyens à un parti est de

moins en moins explicative de leur comportement politique : de nombreuses

études montrent qu'en France on assiste à un très net décrochage de la fidélité d'un

grand nombre d'électeurs à leur parti habituel.

Au total, on remarque qu'au fil des années, le nombre d'indécis a

nettement augmenté : même les citoyens attachés à une étiquette partisane tendent

à avoir des comportements électoraux imprévisibles, échappant à toute explication

rationnelle.

En outre, la perception que les Français ont de la classe politique s'est

nettement dégradée au fil des années. Cette désaffection de la classe politique au

sein de l'opinion publique se traduit dans les sondages d'opinion effectués à ce

sujet. Les affaires de corruption qui entachent la réputation des plus hauts

responsables politiques ne sont pas étrangères à cette perception de plus en plus

négative de la classe politique par les citoyens français. Le sondage effectué par la

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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Sofres pour le journal Le Monde 14suite à l'affaire de la cassette Méry sur l'image

de la politique dans l'opinion publique française en octobre dernier est à cet égard

éloquent : quand on leur demande ce que leur évoque le mot "politique", 48% des

Français répondent qu'ils éprouvent de la méfiance, 24% du dégoût, 18% de

l'intérêt, tandis que le mot "enthousiasme" n'a été choisi que par … 1% des

sondés! Au moment des élections, cette désaffection, voire même ce désintérêt se

traduit par un niveau d'abstention assez conséquent. Aux dernières municipales,

par exemple, de forts taux d'abstentions ont été enregistrés dans les milieux les

plus populaires et chez les plus jeunes.

La politique dans ses aspects les plus traditionnels ou les plus occultes

ennuie, provoque la méfiance des citoyens ou tout au moins leur désintérêt. Lors

des grandes échéances électorales, les électeurs boudent les isoloirs et ceux qui se

présentent aux bureaux de vote ont des comportements de moins en moins

prévisibles. Les citoyens ne semblent plus dupes des promesses électorales. Il

existe toujours une frange de la population compétente politiquement, engagée et

militante. C'est la "France de la rue"15. Et cette France-là semble toute acquise à

la cause de ceux qu'elle soutient, même si comme je l'ai déjà évoqué la fidélité des

électeurs à leur parti habituel est en baisse depuis quelques années. Mais depuis

les années 60, et l'apparition d'un moyen de communication de masse, la

télévision, c'est la "France de la salle à manger"15 qui semble faire et défaire les

majorités au sein du champ politique : il s'agit de l'ensemble des électeurs peu

politisés, à savoir les femmes, les jeunes de moins de trente ans, ou les plus âgés,

au delà de soixante-cinq ans, de même que les individus appartenant aux classes

14 Cf. Sondage Le Monde/Sofres, octobre 2000 "L'image de la politique dans le cadre de l'affaire Méry" 15 Les deux expressions, déjà citées en introduction, sont de Jean-Paul GOUREVITCH, op. cit. , p151

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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moyennes salariées, ou encore au milieu paysan. Cet ensemble d'individus peu

intéressés par la politique constitue le "marais", qui est la frange de la population

la plus réticente aux discours politiques, aux messages codés et à la langue de bois

régnant dans le champ politique.16. Comme le vote de ces éternels indécis

détermine de plus en plus les résultats des élections, la classe politique doit donc

les séduire en employant des méthodes différentes à celles qu'elle réserve aux

individus capacitaires. Les hommes politiques doivent donc faire avec les

exigences contradictoires de ces deux publics, ce qui peut parfois donner lieu à un

dédoublement de leur démarche politique, puisqu'il s'agit à la fois de séduire et de

convaincre, de se faire aimer mais également de se faire comprendre.

Curieusement, la plupart des individus composant ce "marais" d'indécis si

précieux pour les différents mouvements politiques sont également les

téléspectateurs les plus assidus. C'est donc à travers le média télévisuel que les

hommes politiques ont le plus de chances de les séduire ; cette constatation

m'amène à évoquer l'évolution des rapports entre la classe politique et le champ

médiatique, et plus particulièrement le média télévisuel.

1.1.2 L'évolution des rapports entre le champ politique et le média télévisuel

Au fil des années, le jeu politique s'est déplacé dans le champ médiatique,

et plus particulièrement sur les plateaux de télévision. Le premier danger de cette

16 Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.152

Page 21: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

16

délocalisation du jeu politique pourrait être une dénaturation de la politique, un

brouillage des codes conventionnels de la représentation démocratique, aux

perspectives assez incertaines. En effet, la "téléprésence" ne remplace pas le

contact direct avec les citoyens représentés, et même si elle permet de toucher un

nombre plus conséquent de personnes, elle ne parviendra jamais à se substituer à

l'efficacité de l'interactivité produite par les échanges directs. Cependant, cette

profonde mutation au sein du champ politique, qui divise ce dernier en deux

catégories : les vedettes et les hommes de terrain, est aujourd'hui considérée

comme acquise et même indispensable pour la plupart des partis politiques qui ont

besoin de passages à la télévision pour exister. Même les hommes politiques qui

dénoncent les effets pervers de la télévision sur la démocratie sont obligés de

passer dans les "étranges lucarnes" qu'ils fustigent par ailleurs pour pouvoir

exister politiquement et faire entendre leur opinion au plus grand nombre. Ainsi,

le Parti Communiste français, qui s'était longtemps cantonné sur ses positions en

réfutant l'idée que la télévision était devenue l'instrument dominant de

communication politique, a été amené à changer son fusil d'épaule et à considérer

le petit écran comme canal privilégié de son action de propagande.17

Ainsi, la télévision entretient avec le champ politique des rapports étroits,

fonction des enjeux sous-jacents pour la classe politique. La télévision semble être

devenue au fil des années et pour l'ensemble de la classe politique l'un des lieux

principaux de la vie politique partisane. Depuis les années 60, les hommes

politiques sont toujours plus présents à la télévision et ils ont appris à se servir du

média télévisuel, malgré leurs réticences premières, pour diffuser leurs idées au

plus grand nombre.

17 Cf. Roland CAYROL, op. cit. , p.140

Page 22: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

17

Cependant la télévision a profondément altéré les comportements des

hommes politiques en raison de nombreux facteurs. Tout d'abord, les exigences

techniques du média télévisuel incitent les hommes politiques à faire ressortir leur

côté humain, car les images ont beaucoup plus à voir avec l'émotion qu'avec la

raison. Par conséquent, la télévision est beaucoup plus un instrument de séduction

que de conviction, et le discours politique s'en trouve profondément simplifié. Il

faut "accrocher" le public par des attitudes bien définies face à la caméra. En

télévision, l'une des lois élémentaires est la suivante : la diffusion de tout message

est fonction de sa "richesse" en relation et de sa "pauvreté" en information, le

rapport de proportionnalité inverse entre ces deux composantes lui offrant les

meilleures chances d'être approprié par ses destinataires, qui le reprendront à leur

compte et assureront sa reproduction.18. Le message qui marche le mieux est donc

celui qui se prête le plus à la reproduction par ses destinataires, soit parce qu'il

sollicite ses désirs et son imaginaire, soit parce qu'il apporte une information

simple et claire, et plus généralement parce qu'il permet au destinataire de s'y

reconnaître, en offrant une "image de soi" à partager.

Ainsi, le média télévisuel a introduit au centre des stratégies politiques la

notion d'"image", au sens propre – l'image diffusée, soumise à l'interprétation de

chacun - comme au sens figuré d'"image de marque" à véhiculer. L'homme

politique est plus que jamais un "entrepreneur en représentation"19 qui maîtrise sa

présentation de soi de façon encore plus manifeste depuis l'apparition de la

télévision. Un indice de l'importance de l'image en politique est la prolifération

des conseillers en communication qui se sont en premier lieu occupés des

candidats aux élections présidentielles mais qui sont aujourd'hui présents dans

l'ensemble du champ politique. Leur fonction est de mettre les hommes politiques 18 Cf. Patrick LECOMTE, op. cit. , p.24 19 Cf. Michel OFFERLE, Les partis politiques, Paris, PUF, 1987

Page 23: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

18

en confiance, de les préparer à leurs passages à l'antenne de façon à éviter tous ces

"petits riens" qui pourraient choquer la France téléspectatrice, et enfin de mettre

au point les messages, c'est à dire traduire en termes intelligibles le message

politique du leader ou de l'organisation politique au nom de laquelle il s'exprime,

et en fonction du public visé. Bref, on est clairement dans le domaine du paraître,

de la représentation théâtrale, de l'omniprésence de l'image dans les stratégies des

hommes politiques.

Indéniablement, cette évolution interne au champ politique a été la

conséquence des exigences imposées par le média télévisuel. Mais elle résulte

sans doute également d'une troisième interaction : la nature de la demande des

téléspectateurs en matière d'émissions politiques télévisées.

1.1.3 L'évolution de la demande des téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la télévision.

Les émissions politiques ont pratiquement toujours existé à la télévision

française. Cependant, leurs formats ont été amenés à évoluer avec d'une part les

progrès techniques et d'autre part l'adaptation aux exigences des téléspectateurs.

Or depuis quelques années, ce sont les spectateurs dont les comportements

sont connus grâce aux mesures d'audience, qui semblent faire et défaire les grilles

de programmes. La politique à la télévision est sûrement l'une des catégories de

programmes à avoir le plus souffert de cette dictature de l'audimat, car les

émissions politiques à la télévision n'ont jamais atteint des succès d'audience

Page 24: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

19

extraordinaires, hormis peut-être au moment des grandes échéances électorales

comme les élections présidentielles. La désaffection de l'opinion publique pour la

classe politique française, que j'ai évoquée précédemment, n'arrange certes pas cet

état de fait.

Que demandent les téléspectateurs en matière d'émissions politiques à la

télévision? Moins de politique, indéniablement. Les émissions politiques

traditionnelles, où des journalistes politiques posent des questions politiques aux

hommes politiques sans réellement se soucier de l'intelligibilité du débat pour le

Français moyen sont rejetées en masse. Jusqu'au milieu des années 70, les

émissions politiques connaissaient de larges succès d'audience. Ainsi, l'émission

de Michel Bassi et Alain Duhamel, A armes égales, réunissait 8 millions de

téléspectateurs en moyenne, soit un taux d'audience de 28%. En 1977 apparaît une

émission mensuelle, Cartes sur table, qui se caractérise par une grande liberté de

ton des deux journalistes-interviewers chargés de "cuisiner" les hommes

politiques en présence, Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach. Cependant si

l'émission obtient un succès d'estime, l'audience de masse n'est plus au rendez-

vous : entre 7,3 et 7,8% des téléspectateurs suivent régulièrement cette émission

politique d'un nouveau genre. L'émission emblématique des années 80 et du début

des années 90 reste sans conteste l'Heure de Vérité, qui se présentait comme une

épreuve, un examen imposé aux hommes politiques confrontés aux plus grands

journalistes politiques de l'époque, parmi lesquels on comptait évidemment Alain

Duhamel, pionnier du genre à la télévision, mais aussi aux téléspectateurs qui

pouvaient poser des questions aux invités. L'émission est assez théâtralisée, les

leaders politiques font leur entrée au son de Live and let die de Paul McCartney, et

le public est assis dans des gradins évoquant quelque arène romaine. Mais le

Page 25: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

20

contenu reste entièrement politique, et malgré ces dispositifs de spectacularisation

censés attirer le public, l'audience stagne entre 10 et 12% tout au plus.

Ainsi, les émissions politiques dites "traditionnelles" sont en décalage avec

les attentes de la majorité des téléspectateurs, comme en témoignent leurs

audiences déclinantes. Ce phénomène n'est pas nouveau puisque comme je viens

de le montrer il semble s'être amorcé au début des années 80. Certes, les grandes

émissions politiques sont reprises par la presse, sont très regardées par les

individus compétents politiquement, ces fameux citoyens capacitaires, et très

appréciées au sein du champ politique. Mais dès la fin des années 80, avec la

privatisation de TF1, et l'arrivée de nouvelles chaînes dans le paysage audiovisuel

français l'audimat et la nécessité d'attirer les recettes publicitaires vont occuper

une place centrale dans les logiques de programmation des grandes chaînes, y

compris des chaînes de service public. Les dirigeants de ces grandes chaînes vont

peu à peu prendre conscience de l'existence d'un décalage entre la demande du

public et les formats des émissions proposées.

Cependant, parallèlement à cette désaffection des téléspectateurs pour les

émissions politiques traditionnelles, on note que la télévision continue à être

considérée comme l'aide la plus utile à la détermination du vote, loin devant la

presse écrite, la radio, les conversations, les sondages et les meetings, même si

son influence semble être en baisse continue depuis quelques années20. Mais les

téléspectateurs interrogés privilégient plus la recherche d'informations lorsqu'ils

regardent les émissions politiques qu'ils ne déterminent réellement leur vote, ce

que les hommes politiques ont du mal à comprendre lorsqu'ils s'engagent dans de

vastes opérations de séduction télévisuelle, comme je le montrerai en dernier lieu.

20 Source : Patrick LECOMTE, op. cit. , p.52

Page 26: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

21

La télévision reste néanmoins la source d'information principale d'une majorité

des Français, ce qui constitue pour les hommes politiques, notamment en période

de campagne électorale, une donnée capitale dans leur stratégie médiatique. Ils se

doivent donc d'être présents sur le petit écran d'une façon ou d'une autre, et de

manière à toucher le public le plus large possible. Cette constatation est capitale

pour comprendre la récente évolution des émissions politiques vers des formats

plus hybrides ou n'ayant carrément plus grand-chose à voir avec la politique.

Ainsi, les évolutions au sein du triangle constitué par la classe politique,

l'opinion publique et plus particulièrement les téléspectateurs et le média

télévisuel ont certainement abouti à repenser les formats des émissions politiques

à la télévision : l'évolution des rapports entre l'opinion publique et la classe

politique, beaucoup plus lâches et instables qu'auparavant, accompagnée de la

personnalisation du jeu politique introduite par l'élection du Président de la

République au suffrage universel et qui petit à petit a gagné l'ensemble du champ

politique, ont conduit les hommes politiques à revoir leurs stratégies médiatiques

en insistant plus sur la séduction des électeurs indécis que sur la nécessité de les

convaincre. La télévision a exacerbé cette tendance en introduisant dans le champ

politique la notion d'"image", une présentation de soi qui se travaille en amont des

prestations télévisées, prestations qui doivent avant tout "faire bonne impression"

aux téléspectateurs. Enfin, la demande des téléspectateurs en matière d'émissions

politiques pousse les dirigeants des grandes chaînes à refondre complètement les

concepts traditionnels, qui ne font plus recette depuis les années 80.

Il apparaît que cette nouvelle configuration des rapports de force au sein

du triangle constitué par le champ politique, le média télévisuel et une partie de

l'opinion publique constituée par les téléspectateurs est à l'origine de l'abandon des

Page 27: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

22

concepts d'émissions politiques traditionnelles et de l'évolution vers des formats

plus hybrides, de plus en plus orientés vers le divertissement.

1.2 Les effets de ce nouveau rapport de force sur les formats des émissions politiques : de l'hybridation à la tabloïdization…

Il apparaît que les évolutions précédemment évoquées dans les rapports

entre les trois pôles du triangle Champ politique/Média télévisuel/Opinion

publique ont profondément révolutionné la façon d'appréhender la politique à la

télévision. Les chaînes de télévision, tout d'abord, ont eu tout intérêt à produire

des émissions plus attrayantes et destinées au public le plus large possible, pour

limiter les effets de l'érosion de l'audience constatée dès le début des années 80.

D'autre part, les hommes politiques, qui à travers leurs prestations télévisées

cherchent à atteindre le plus de téléspectateurs possible ont dû détourner les effets

de l'exposition sélective aux médias de ces derniers, encouragés par l'apparition

du zapping et la multiplication de l'offre télévisuelle amorcée avec le

développement du câble et du satellite, en participant à des émissions

n'appartenant pas au champ politique ou tout au moins dont les formats étaient

plus attrayants pour le public. La conjugaison des intérêts des grandes chaînes de

télévision et de la classe politique a entraîné d'une part une crise et une remise en

question du journalisme politique traditionnel qui a essayé d'évoluer vers des

formats d'émissions plus souples et destinés à un public plus large que celui des

individus capacitaires ; mais les hommes politiques ont aussi progressivement

choisi d'apparaître dans des émissions n'appartenant pas au champ politique.

Page 28: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

23

Je verrai donc en premier lieu comment les journalistes politiques ont

essayé de pérenniser le genre à la télévision en tentant de le moderniser, puis je

montrerai que dans les années 90, ce sont les talk-shows qui ont pris le dessus sur

les formes d'émissions plus traditionnelles, les animateurs l'emportant

progressivement sur les journalistes. Enfin, je présenterai les deux formes ultimes

de cette hybridation entre politique et divertissement : les deux émissions de

Michel Drucker et Thierry Ardisson, Vivement Dimanche et Tout le monde en

parle.

1.2.1 Crise et tentative de modernisation du journalisme politique traditionnel

Le journalisme politique télévisé traverse indéniablement une crise

profonde. Les journalistes politiques, face à l'érosion de l'audience et à la

désaffection du public, se trouvent devant une alternative pour le moins

inconfortable : pérenniser les formes d'interactions classiques entre eux et les

hommes politiques ou redéfinir en profondeur les caractéristiques de leur

spécialité21. Si les téléspectateurs ne sont plus au rendez-vous, chaînes de

télévision et hommes politiques n'ont plus vraiment intérêt à parier sur ce type de

programme.

C'est devant ce constat que les journalistes politiques ont tenté de proposer

aux chaînes des nouveaux formats plus attractifs pour le public, et ce dès le milieu

des années 80. En premier lieu, les concepteurs des émissions politiques ont

21 Cf. Erik Neveu, op. cit. ,p. 26

Page 29: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

24

essayé de susciter l'interactivité des téléspectateurs : comme je l'ai déjà montré

précédemment, par exemple, pendant la durée de l'émission L'Heure de Vérité, les

téléspectateurs avaient la possibilité d'appeler le standard d'Antenne 2 pour

interroger les hommes politiques qui se trouvaient alors confrontés à un

interlocuteur supplémentaire : l'opinion publique, celle-là même qui reproche aux

journalistes politiques leurs questions "occultes" et qui avait là la possibilité de

faire part directement aux invités de leurs préoccupations, avec leurs propres

mots. Par la suite, un panel d'individus représentatifs de la population française a

fait son apparition sur le plateau, chargé d'intervenir tout au long de l'émission sur

les prestations des hommes politiques interrogés puis de rendre leur jugement en

fin d'émission. François-Henri de Virieu, animateur de l'émission, pensait ainsi

"donner du rythme, renforcer la dimension du spectacle, mais aussi et surtout

apporter aux journalistes présents dans le studio cette légitimité populaire qui

leur fait défaut."22. Le mot est lâché : les journalistes politiques sont trop en

décalage avec les attentes des téléspectateurs et de l'opinion publique en général,

et le panel d'individus représentatifs présent sur le plateau servait de contrepoids à

ces spécialistes en même temps qu'il permettait de rapprocher le contenu de

l'émission des attentes réelles des téléspectateurs. Il s'agissait donc là d'un progrès

dans le sens de l'intelligibilité des débats politiques pour les téléspectateurs

puisqu'ils pouvaient intervenir directement.

Mais j'ai également montré que les nouveaux rapports entre l'opinion

publique et la classe politique entraînaient une personnalisation de cette dernière,

ce qui poussait les hommes politiques à mettre en avant leur côté "humain". Les

journalistes politiques ont tenté d'exploiter cette demande à la fois des

téléspectateurs et des hommes politiques eux-mêmes en proposant de dévoiler

22 Cf. Erik NEVEU, op.cit., p.30

Page 30: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

25

davantage la personnalité privée des hommes publics. Dès 1986, TF1 a proposé

dans cet esprit l'émission Questions à domicile. L'émission se déroulait au

domicile même de l'invité politique et les deux journalistes, Anne Sinclair et

Pierre-Luc Séguillon, posaient les questions classiques du journalisme politique

mais tentaient en même temps de "psychologiser" l'entretien en dressant le

portrait de l'homme privé. Selon Erik Neveu, ce portrait "permettait à un public

peu politisé de faire usage des grilles de perception empruntées à la vie

quotidienne, de pénétrer dans l'intimité des grands comme par effraction.". 23. On

retrouve là une exploitation de l'idée précédemment évoquée24 que le média

télévisuel produit des images qui ont beaucoup plus à voir avec l'émotion qu'avec

la raison. Les messages imagés sont soumis par chacun de leurs récepteurs à un

travail de décryptage interprétatif qui mobilise l'imaginaire et l'affectivité propres

à leur psychisme individuel et qui conduit à filtrer et trier le flux d'images

transmis, en sélectionnant et intégrant celles qui entrent le mieux en résonance

avec les représentations constitutives de leur imago.25. Ainsi, le fait de plonger

l'homme politique dans son environnement quotidien, quand bien même il s'agit là

d'une intimité contrôlée, va séduire les téléspectateurs les moins intéressés

politiquement parce qu'ils se retrouveront à un moment ou à un autre dans les

propos de l'invité en tant que personne privée : cette évolution vers la

psychologisation des émissions politiques répond bien à la nouvelle configuration

des interactions entre champ politique, télévisuel et opinion publique.

Enfin, une troisième tendance a constitué dans les années 80 à "diluer" la

politique dans des émissions d'informations plurielles comme 7/7 : d'une part, les

invités n'appartenaient plus tous au champ politique : il n'était pas rare de voir,

23 Cf. Erik NEVEU, Op.cit., p.30-31 24 Ibid, p.17 25 Cf. Patrick LECOMTE, Op.cit, p.34-35

Page 31: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

26

face à Anne Sinclair, des sportifs de haut niveau, des stars de cinéma ou d'autres

artistes s'exprimer sur l'actualité au même titre que les traditionnels responsables

politiques. D'autre part, le concept-même de l'émission, à savoir le commentaire

par l'invité de la semaine écoulée, incitait les responsables politiques présents à

s'exprimer sur des sujets autres que les débats internes au champ politique, ce qui

rendait cette émission malgré tout assez politique accessible au plus grand nombre

de téléspectateurs. Tout le monde y trouvait finalement son compte car le créneau

horaire où l'émission était programmée attirait un nombre honorable de

téléspectateurs, et ce programme répondait finalement assez bien à la demande de

ces derniers en tout cas dans la période où il a été diffusé.

Qu'en est-il aujourd'hui? Ces grands rendez-vous des années quatre-vingt,

dont certains se sont prolongés jusqu'au milieu des années 90, ont fini par

disparaître, faute d'audience suffisante. Aujourd'hui, les émissions politiques sont

revenues à des formats plus traditionnels et sont reléguées à des heures peu

favorables, le plus souvent sur les chaînes de service public : Mots croisés passe le

lundi soir en deuxième partie de soirée en alternance avec un autre magazine

d'information ; France-Europe Express, le magazine de Christine Ockrent, est

relégué dans une case horaire tardive du dimanche soir. Enfin, signe des temps, le

rendez-vous politique proposé par Ruth Elkrief l'an dernier, 19:00 Dimanche, une

émission au concept voisin de celui de 7/7, a disparu de la grille des programmes

de TF1 après avoir seulement passé un an dans la case horaire royale qui donnait

son titre à l'émission… battue par Michel Drucker et son Vivement Dimanche

prochain. "La télé n'aime plus la politique", conclut, amère, l'intéressée.26

26 Interview accordée au magazine Elle, en juin 2000

Page 32: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

27

En réalité, ce sont les façons d'aborder la politique dans ces émissions qui

semblent avoir vécu pour les responsables des chaînes comme pour les

téléspectateurs, malgré les tentatives de modernisation des concepts. Il apparaît

que la nature des programmes télévisés a énormément évolué depuis une

quinzaine d'années et que les émissions politiques ne répondent pas encore assez

aux attentes réelles des téléspectateurs en matière de programmes télévisés. Je

vais maintenant montrer que cette forme d'épuisement du journalisme politique

traditionnel a profité à d'autres professionnels de la télévision n'appartenant pas

vraiment au champ journalistique : les animateurs.

1.2.2 Les nouveaux formats télévisuels dominants depuis les années 90

Si les émissions politiques sont petit à petit tombées en désuétude à partir

des années 80, ou tout au moins si elle n'ont pas su parvenir à rencontrer un public

aussi large qu'elles l'auraient souhaité, c'est parce que de nouveaux formats

d'émissions, la plupart importés des Etats-Unis, ont fait leur apparition à la

télévision française et ont peu à peu consacré le mélange des genres comme règle

absolue. Quelles ont été les différentes étapes de ces évolutions?

D'une part, les années quatre-vingt dix ont vu apparaître un nouveau genre

d'émission, encore dominant aujourd'hui : le talk-show, qui comme son nom

l'indique constitue avant tout une conversation familière et conviviale entre des

médiateurs-vedettes et leurs invités dont la notoriété est le capital symbolique

Page 33: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

28

essentiel27. Nulle Part Ailleurs, vitrine de la chaîne cryptée Canal Plus, en est un

exemple. Un espace concurrent de prise de parole a ainsi pris forme et au fil des

années les hommes politiques se sont mis à apparaître de plus en plus

fréquemment dans ce type de programme, touchant il est vrai des téléspectateurs

plus nombreux et peu clients des émissions politiques traditionnelles. Au sein du

champ médiatique, ce nouveau type d'émission oppose les journalistes politiques à

une autre catégorie de professionnels : les animateurs. Ces derniers assoient leur

légitimité sur leur spontanéité, le fait qu'ils soient étrangers au monde politique

tandis que les journalistes politiques en connaissent toutes les ficelles, que leurs

questions sont plus proches des préoccupations des gens ordinaires que celles des

spécialistes initiés à la "cuisine politique" et aux subtilités de cet univers si

particulier. Michel Field, alors animateur-médiateur de l'Hebdo sur Canal Plus, un

forum hebdomadaire qui confrontait un homme politique à un public

essentiellement composé de profanes, s'offusquait dans une interview accordée au

Monde en 199428 de l'existence même de journalistes spécialisés dans la politique:

"Cela veut dire que la politique a perdu sa valeur d'organisation de la cité."

Ainsi, les journalistes politiques ne sont plus les détenteurs légitimes du

savoir au sein du champ journalistique en matière de politique. Les animateurs se

sentent tout aussi capables d'interroger les grands de ce monde selon des

modalités évidemment différentes. Les hommes politiques ont suivi ce

mouvement et aujourd'hui leur stratégie médiatique consiste à apparaître à la fois

dans les émissions politiques peu regardées et reléguées à des horaires tardifs pour

continuer à convaincre le public des individus capacitaires et à se rendre dans des

émissions plus ou moins légères, où ils ne sont plus confrontés à des spécialistes

du champ politique mais à des animateurs-vedettes. 27 Cf. Patrick LECOMTE, op. cit., .p.33 28 Le Monde, 9-10 octobre 1994

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

29

Aujourd'hui, la formule politique+quelque chose29 est consacrée. Certains

parlent d'Infotainment – concept hybride entre information et divertissement – et

la règle absolue est le mélange des genres. Une des principales différences avec

les émissions politiques traditionnelles est qu'on y parle évidemment beaucoup

moins de politique, ou tout au moins sur un ton beaucoup plus libre. Il y a à la fois

dilution, immersion de la politique dans un contexte plus léger, qui se traduit par

la présence d'autres invités n'appartenant pas au champ politique, et

psychologisation car l'accent est indéniablement mis sur le personnage privé de

l'invité. Le succès de ces émissions réside donc dans le fait qu'elles sont parvenues

à réunir dans leur concept deux ingrédients de réussite que les émissions

politiques avaient tenté d'intégrer, mais toujours séparément, comme j'ai pu le

montrer dans le paragraphe précédent. Par ailleurs, le fait qu'elles soient étiquetées

"divertissement" est à même d'attirer les téléspectateurs les plus indifférents à la

politique

Ces nouvelles émissions semblent être le point d'aboutissement de

l'évolution des rapports de force au sein du triangle constitué par le champ

politique, le média télévisuel et les téléspectateurs. Vivement Dimanche de Michel

Drucker et Tout le monde en parle de Thierry Ardisson, quoi que très opposées

sur la forme, sont deux expressions de cette nouvelle génération d'émissions. Les

hommes politiques s'y précipitent d'ailleurs. Quelles sont les principales

caractéristiques de chacune de ces deux émissions?

29 L'expression est de Jean-Louis SCHLEGEL, "Un dimanche soir chez Michel Drucker" – in Esprit, Splendeurs et misères de la vie intellectuelle, mai 2000, p.215

Page 35: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

30

1.2.3 Deux expressions de cette nouvelle génération d'émissions: les cas Drucker et Ardisson

Toutes deux diffusées sur la chaîne de service public France 2 le week-end

et étiquetées "divertissement", Tout le monde en parle et Vivement Dimanche n'en

sont pas moins très différentes. S'il leur arrive de recevoir les mêmes invités à

quelques semaines d'intervalle, le public visé n'est pas le même puisque l'émission

d'Ardisson est diffusée le samedi soir en deuxième partie de soirée tandis que

celle de Drucker occupe une tranche horaire beaucoup plus familiale, celle du

dimanche après-midi et de l'access prime-time du même jour.

En réalité, le style de chacune de ces deux émissions est indéniablement

marqué par la personnalité du maître des lieux. Michel Drucker, gendre idéal du

paysage audiovisuel français, ami de tous les artistes, est ici au sommet de son art.

Quelle que soit l'orientation politique de son invité, il exerce avec minutie son

talent de flatteur. Aller chez Michel Drucker pour un homme politique c'est

indéniablement se refaire une santé, corriger son image et paraître deux heures et

demie durant à son avantage. Tous les hôtes de Michel Drucker, politiques ou

artistes, sont invités à préparer leur émission de A à Z ; l'animateur insiste

d'ailleurs sur cet aspect comme lorsque Martine Aubry est venue faire "son"

Vivement Dimanche le week-end suivant le vote de la loi des 35 heures30 :

"Aujourd'hui nous recevons un personnage important, ça a été une semaine

éprouvante pour elle mais elle a tenu ses engagements, elle a préparé très

sérieusement cette émission et elle est venue malgré la fatigue…" Le maître des

lieux s'emploie à faire apparaître les invités à leur avantage par ses réflexions et

30 Vivement Dimanche, 24 octobre 1999

Page 36: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

31

ses compliments: il a l'art de dépolitiser et de neutraliser les discussions avec ses

invités politiques. On le voit flatter ainsi Laurent Fabius 31 : "il paraît que vous

êtes bon au Scrabble?", "Vous aimez le sport, évidemment, vous êtes un vrai

sportif." ; "Vous êtes très élégant, Mr le ministre.". Martine Aubry se voit

complimentée à trois reprises au cours de l'émission sur son sens de l'humour, de

même que l'inusable Arlette Laguillier32. Michel Drucker fait donc tout pour que

les invités se sentent à leur aise et paraissent à leur avantage. L'émission entière

tourne autour de la vedette conviée, qu'elle appartienne au monde de la politique,

de la chanson ou du cinéma. "Quelle ambiance, le public, toutes générations

confondues, est venu applaudir Edouard Balladur"33. "Laurent Fabius, Hélène

Ségara est là, elle va chanter pour vous". Ne peut-on pas penser que le public est

plutôt venu assister à une émission de variété et que les artistes invités viennent

avant tout faire la promotion de leur dernier album? Personne n'est vraiment dupe,

mais tout le monde y trouve son compte. Le discours est clairement intimiste, le

personnage privé est mis sur le devant de la scène, savamment présenté dans des

séries de petits reportages qui prennent parfois l'allure de véritables clips

électoraux34. Les artistes, écrivains, amis conviés par la star du jour parlent tous

de l'invité en termes élogieux. Enfin, le décor joue également un rôle important :

deux canapés identiques se font face, l'animateur occupe la même position que

son invité, ils sont tous deux sur un pied d'égalité. Le public entoure ce salon

familial reconstitué et en net contraste avec les panneaux de strass et de paillettes

qui composent l'autre élément dominant du décor.35. On est donc bien à la fois

dans l'intimité des grands de ce monde mais également dans la "politique- 31 Vivement Dimanche, 3 décembre 2000 32 Vivement Dimanche, 28 novembre 1999 33 Vivement Dimanche, 16 avril 2000 34 Pour reprendre les termes de Roland Cayrol dans l'introduction de son ouvrage La nouvelle communication politique ( op.cit., p.9) : "Un assaut de sourires enjôleurs, de regards cajôleurs, […] : je te chante une chanson, je te montre ma cuisine, regardez mes enfants comme ils sont beaux et ma femme comme elle est charmante, voyez mes yeux comme j'ai l'air franc…"34 35 Cf. capture 5 en annexe

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

32

paillettes", la vedettisation des hauts responsables et des leaders politiques…

Dans la deuxième partie de l'émission, Vivement Dimanche prochain, Michel

Drucker n'est plus seul à la barre mais accompagné de trois chroniqueurs : le très

médiatique psychanalyste Gérard Miller, qui joue là le rôle de l'intellectuel de

service. Il joue la connivence avec bon nombre des invités présents sur le plateau

car il ne cache pas ses opinions politiques : personne n'ignore qu'il est de gauche,

il s'emploie d'ailleurs à le rappeler à chaque émission. Aux autres, il destine les

compliments, les questions et les petites réflexions empoisonnées, dont voici un

petit florilège très significatif :

A Alain Madelin : "Alain Madelin, il y a quelque chose que j'admire

dans votre parcours… Vous vous êtes intégré de façon tout à fait heureuse dans

la démocratie et la politique républicaine…" (allusion à son passé à Occident…)

A Philippe Douste-Blazy : "Je connais Mr. Le ministre, il n'a que des

qualités : il est démocrate. Il a peut-être un seul défaut : je le dis parce que c'est

un défaut qu'il partage avec la majorité des centristes : il est mortellement chiant

quand il parle politique… alors j'ai fait préparer du café noir très, très fort…"

A Edouard Balladur: "Je vous trouve extrêmement exotique. Vous avez

défendu la différence, vous avez fait un éloge dans votre dernier livre là-dessus.

Quand je vous vois au milieu d'hommes politiques à la démagogie galopante, je

trouve que vous n'êtes pas fait tout à fait du même moule… Je soutiens Mr

Delanoë, et j'aimerais que vous vous présentiez à Paris contre lui…" Balladur

hésite à prendre ça comme un compliment, et il n'a peut-être pas tort : "Vous

voulez que je me présente parce que vous pensez qu'avec moi Delanoë a plus de

chances de gagner, c'est ça?".

Mais comme tout cela n'est pas très sérieux, et qu'il a conscience

d'appartenir au "show Drucker", il joue parfois les trublions comme ses deux

compères, Bruno Masure et Philippe Geluck. Ces deux derniers évoluent plus

dans le registre de l'humour et de la dérision, le domaine de Bruno Masure se

limitant à ses légendaires jeux de mots et autre calembours tandis que Philippe

Page 38: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

33

Geluck régale les invités de ses questions absurdes et délirantes, comme je serai

amenée à le montrer plus loin. Finalement, la moindre charge critique émanant

d'un de ces trois complices de Drucker est annihilée par ce dernier qui, du fait

peut-être de la durée limitée de l'émission, tempère les questions les plus incisives,

enchaîne rapidement dès qu'il sent que le ton devient trop polémique et que la

tension monte sur la plateau – ce qui est très souvent le cas après les interventions

de Gérard Miller lorsque des hommes politiques de droite sont présents – et dans

l'ensemble, l'ambiance reste conviviale sur le plateau grâce aux efforts du

médiateur Drucker.

L'ambiance est très différente chez Thierry Ardisson. Si l'expert en

provocations des années 80 semble s'être assagi après s'être fait oublier pendant

quelques années et s'être racheté une respectabilité en se retirant sur une chaîne

câblée de renom, Paris Première, pour y présenter un magazine culturel

quotidien, Rive Droite, Rive Gauche, il n'en demeure pas moins l'antithèse de

Michel Drucker. Le concept de Tout le monde en parle est plus proche du talk-

show que du divertissement. Plus que chez Drucker, le mélange des genres est

consacré. Sur un même plateau il n'est pas rare de croiser un homme d'Eglise, un

prétendant au trône – car l'animateur ne se cache pas d'être royaliste - , un militant

homosexuel, une chanteuse à la mode, un comique, et quelques acteurs ou

mannequins pour compléter le tout. Les hommes politiques qui viennent chez

Ardisson savent à quoi s'en tenir. Si faire l'émission de Drucker est très positif en

terme d'image, cette dernière étant maîtrisée de A à Z, il faut s'attendre à ce qu'elle

soit plutôt malmenée chez Ardisson. C'est en effet l'animateur qui prépare ses

interviews seul, tandis que chez Drucker les hommes politiques et leurs

conseillers en communication y mettent leur grain de sel. On parle beaucoup plus

de politique dans Tout le monde en parle, et sur un ton beaucoup plus polémique

Page 39: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

34

que dans Vivement Dimanche.; Thierry Ardisson refait la vie de ses invités

politiques et n'hésite pas à mettre le doigt sur leurs incohérences passées et les

ambiguïtés de leurs carrières politiques. On le voit interpeller par exemple

Christine Boutin en ces termes : "Quand vous brandissez la Bible à l'Assemblée

Nationale, vous avez conscience que la Bible, c'est infernal, quand même, il y a

Sodome et Gomorrhe, de l'inceste même, quand la fille de Loth touche son père

pour qu'il la saute…"36Cet exemple peut-être extrême du "style Ardisson" donne

cependant le ton de l'émission. L'animateur a pour autre spécialité de ressortir aux

moments opportuns les "petites phrases" qui ont circulé dans le monde politique ;

il rappelle ainsi au député de la Somme : "Maxime Gremetz, Robert Hue a dit de

vous quand vous n'avez pas voté la confiance au gouvernement Jospin : 'Il ne faut

pas lui en vouloir, c'est l'idée de voter qui le terrorise : il vit encore dans un

monde où ça ne se faisait pas…'"37. La biographie des invités de Tout le monde en

parle est donc sévèrement revue et corrigée par Thierry Ardisson et l'entretien se

veut sans concessions. Pour punir ses invités d'un éventuel usage de la langue de

bois, il utilise des méthodes peu communes ; il a ainsi prévenu le même Maxime

Gremetz des sanctions-maison avant de débuter son interview : "On est ravis de

vous recevoir dans cette émission, mais si vous faites des discours d'homme

politique et si vous utilisez la langue de bois il y a deux punitions : la première

c'est que je vous passerai un extrait d'I Muvrini…38, la seconde c'est que vous

serez mosaïqué39". Mais si les invités politiques jouent le jeu de l'animateur, ils

ont le droit à quelques menus présents comme quelques jolies danseuses exécutant

une chorégraphie spécialement pour eux40 ; de même, Philippe Douste-Blazy,

ayant selon Thierry Ardisson très bien répondu à son hyperview, s'est vu offrir –

36 Tout le monde en parle, émission du 16 janvier 1999 37 Tout le monde en parle, émission du 19 février 2000 38 Cf. capture 6 39 Cf. capture 7 40 Cf. capture 8

Page 40: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

35

ou plutôt jeter au visage – le dernier ouvrage de Karl Zéro41. Ces deux "punitions"

et ces "bons points" témoignent d'un autre aspect de l'émission Tout le monde en

parle : il s'agit en effet d'un programme mêlant l'interview sérieuse et une

dimension plus ludique : devant lui, Ardisson dispose d'un sampler et ponctue les

interventions de ses invités par des extraits sonores correspondant à la situation.

Ainsi, Françoise de Panafieu a été accueillie au son de "Tout va très bien, madame

la Marquise", et à chaque fois que Michel Bulté, alors conseiller de Paris auprès

de Tibéri parlait de son "ami Jean", Ardisson lui passait très délicatement un

extrait des Portes du pénitencier de Johnny Hallyday.42. Autre caractéristique de

l'émission: les fameuses "interviews-concepts" auxquelles sont soumis tous les

invités. J'aurai l'occasion de montrer plus tard combien les interviews-mensonge

(l'invité doit répondre le contraire de ce qu'il pense) et autres interviews-

dyslexique (les hommes de droite comme Patrick Devedjian doivent répondre en

communistes, et vice-et-versa) embarrassent les invités politiques mais peuvent

générer des petits moments de vérité assez intéressants à étudier. Certaines

interviews, comme l'interview nulle sont moins sujettes à des commentaires

politiques. Que dire de l'interview alerte rose, essentiellement basée sur le sexe et

dont Michel Rocard fut bien malgré lui la victime? La vie privée des invités est

donc également mise en avant même si la personnalité ainsi révélée des hommes

politiques n'est pas forcément positive pour leur image. Néanmoins, selon leur

degré de décontraction sur le plateau, ils apparaissent plus ou moins sympathiques

aux yeux du public. Plus ils ont de la répartie et jouent le jeu de l'animateur et des

ses trublions – Laurent Baffie, Laurent Ruquier et consorts – plus leur prestation

est remarquée et reprise par la presse, ce qui par exemple a été largement le cas

pour Michel Rocard.

41 Cf. capture 9 42 Tout le monde en parle, best of, émission du 17 juin 2000

Page 41: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

36

Au total, il apparaît que les concepts des deux émissions les éloignent

plutôt l'une de l'autre : si les hommes politiques paraissent clairement à leur

avantage chez Michel Drucker, leur image est plutôt malmenée chez Thierry

Ardisson. Cependant, les hommes politiques sont presque plus présents dans la

seconde émission que dans la première. Il apparaît donc qu'ils ont de bonnes

raisons de se rendre dans l'une ou l'autre de ces deux émissions…

Ainsi, les hommes politiques sont aujourd'hui encore très présents dans les

émissions politiques traditionnelles mais celles-ci étant peu regardées par les

téléspectateurs et reléguées aux horaires les plus tardifs, ils se rendent de plus en

plus nombreux dans les émissions de divertissement où leur personnalité est mise

en avant et où le mélange des genres est consacré. Cette tendance à la dilution et à

la psychologisation constatable depuis le milieu des années 90 est aujourd'hui

dominante, et correspond bien à une évolution des rapports de force entre le média

télévisuel, les téléspectateurs et le champ politique. Vivement Dimanche et Tout le

monde en parle, deux émissions de divertissement au départ non conçues pour

recevoir des invités politiques, en sont deux expressions. Après avoir décrit les

origines de l'apparition de ce type d'émission, et leur contenu, je vais maintenant

m'intéresser à la façon dont les hommes politiques parviennent à donner une

certaine image d'eux-mêmes dans chacune des deux émissions, même quand la

marge de manœuvre est plus étroite, comme dans Tout le monde en parle …

Page 42: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

37

CHAPITRE 2 :

LE TRAVAIL DE PRESENTATION DE SOI DES HOMMES POLITIQUES DANS LES EMISSIONS DE MICHEL

DRUCKER ET DE THIERRY ARDISSON.

Les hommes politiques qui se rendent chez Michel Drucker et Thierry

Ardisson ne le font pas de manière innocente ; d'une part, comme j'ai déjà pu le

montrer auparavant, ils pensent avoir un quelconque intérêt à venir dans ce type

d'émissions qui leur semblent positives en terme d'image même lorsque les

questions sont plus incisives et mettent moins en valeur les aspects positifs de leur

personnalité, comme dans Tout le monde en parle. Il apparaît que leur présence

dans ces émissions répond à une stratégie médiatique bien définie : chacun de ces

programmes permet ce que Roland Cayrol appelle des "corrections momentanées

d'image"43 et constitue pour ces "entrepreneurs en représentation"44 une occasion

rêvée d'offrir aux téléspectateurs une image d'eux-mêmes répondant à leurs

aspirations présentes, correspondant à la place qu'ils désirent occuper à un

moment donné dans le champ politique.

Je montrerai donc en premier lieu quels sont les enjeux et les formes prises

par la présentation de soi dans chacune de ces deux émissions, à savoir l'ensemble

des aspects que les invités politiques parviennent à contrôler, et ce à des fins bien

définies. Je montrerai par la suite que cette marge de manœuvre dans leur

43 Cf. Roland Cayrol, op.cit, p.78 44 Cf. Michel Offerlé, op.cit.

Page 43: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

38

construction identitaire est parfois réduite par certains aspects de ces émissions

relevant plus du divertissement que du journalisme politique traditionnel, donc

que leurs passages dans de telles émissions ne sont pas entièrement à leur

avantage...

2.1 Construction identitaire et maîtrise de l'image…

Comme je l'ai déjà montré, l'émission dominicale de Michel Drucker est

préparée avec la complicité de l'invité. L'image de ce dernier est donc censée être

contrôlée du début jusqu'à la fin. Mais chez Thierry Ardisson les invités peuvent

aussi apparaître à leur avantage et laisser libre cours à leur travail de présentation

de soi lors des entretiens dits "sérieux" avec le maître des lieux. Quoi qu'il en soit

ces stratégies de re-présentation sont loin d'être innocentes. "L'identité n'est

jamais du point de vue sociologique qu'un état de choses simple, relatif et

flottant" disait Max Weber45. Ainsi, l'identité d'un homme politique est à tout

moment redéfinie, reconstruite pour donner une image de lui conforme à ce qu'il

veut représenter dans le champ politique à un moment donné de sa carrière. C'est

là tout l'enjeu du passage des hommes politiques dans des émissions n'appartenant

pas au champ politique : ce sont des lieux qui leur permettent de se singulariser,

de se façonner une légitimité médiatique qui semble aujourd'hui un préalable

indispensable à la légitimation électorale. Je verrai donc dans un premier temps en

quoi l'évocation de leur enfance, de leur carrière politique et de leurs convictions

fait l'objet d'un travail de sélection et de correction qui légitime leur image

présente. Puis je verrai également en quoi l'évocation de leurs goûts et de leurs

loisirs est beaucoup moins anodine qu'elle ne le paraît de prime abord et fait partie

intégrante de la construction de leur identité, de leur image de marque, de même

45 Cf. Max WEBER, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p.360

Page 44: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

39

que les invités dont ils s'entourent, particulièrement dans l'émission de Michel

Drucker. Enfin, j'évoquerai la manière dont les hommes politiques parviennent,

avec la complicité plus ou moins avérée des animateurs, et ce de façon plus

évidente dans l'émission de Michel Drucker, à inscrire leurs prestations dans ces

émissions de divertissements dans des stratégies électorales à court ou long terme.

2.1.1 Une biographie retravaillée à leur avantage…

Dans chacune des deux émissions les hommes politiques sont invités à

s'exprimer sur leur vie : de l'évocation de leurs origines sociales aux motivations

de leur engagement politique en passant par leur jeunesse et leur parcours scolaire,

puis leur carrière politique, on peut déceler certaines stratégies de présentation de

soi qui sont loin d'être anodines.

A) Les origines sociales des invités : du reniement à l'instrumentalisation

Sur leurs origines sociales et leur enfance, il est à noter que certains

hommes politiques se montrent moins prolixes que d'autres. Nombre d'entre eux

se servent de l'évocation de leur milieu d'origine pour justifier leur engagement

politique. Ainsi, Maxime Gremetz, député communiste de la Somme, explique

dans Tout le monde en parle46 qu'il est issu d'une famille nombreuse et modeste, et

qu'il n'a pas pu faire d'études faute de moyens. Il met d'emblée en évidence sa

prise de conscience dès l'enfance de l'existence d'inégalités dans la société, qui l'a

poussé à s'inscrire au parti communiste. De même, Robert Hue, lorsque Thierry

Ardisson lui fait remarquer que "tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des

46 Tout le monde en parle, émission du 19 février 2000

Page 45: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

40

parents communistes", acquiesce et renchérit : "On n'avait pas la télé pour le

couronnement d'Elisabeth II mais pour la visite de Krouchtchev."47.

D'autres hommes politiques se servent également de leurs origines

sociales pour briser les idées reçues que l'opinion publique pourrait avoir sur eux.

Par exemple, le libéral Alain Madelin insiste sur ses origines modestes pour

montrer que son engagement politique n'est pas incompatible avec les aspirations

du peuple. A Thierry Ardisson, il confie : "Je suis originaire d'un milieu modeste.

J'ai beaucoup appris de mes parents et je suis resté fidèle à ce milieu. Ce n'est

donc pas du tout en réaction contre eux que je suis devenu libéral…"48 et il

renchérit chez Michel Drucker : "Je ne remercierai jamais assez mes parents de

m'avoir aidé à aimer les autres. A l'époque l'ascenseur social fonctionnait. J'ai

bénéficié de cet ascenseur et ce que je veux faire maintenant c'est le renvoyer."49.

Enfin, certains invités politiques rechignent à évoquer leurs origines

sociales, ou tout au moins n'en parlent que de façon très sibylline. Ainsi, dans

Vivement Dimanche, Edouard Balladur n'évoque sa jeunesse qu'à partir de ses

études secondaires et n'insiste pas sur ses origines turques. Dans Tout le monde en

parle, Thierry Ardisson se risque quand même à essayer de faire parler l'ancien

premier ministre sur ce sujet apparemment délicat : "Je vais vous poser une

question et vous allez m'en vouloir. Votre entourage m'a dit qu'il ne fallait pas

parler de vos origines turques. Vous êtes né d'une famille de citoyens ottomans

protégés par les Français. On vous reproche souvent d'être hautain, distant, alors

qu'en fin de compte vous êtes d'une famille de travailleurs immigrés !" Edouard

Balladur se crispe, et répond: "Oui, si on veut, mais ma famille est devenue

française"50, évacuant ainsi le problème et signifiant à l'animateur qu'il est inutile

d'insister. Ce reniement d'Edouard Balladur est un premier exemple du travail de

sélection que les hommes politiques effectuent sur leur passé et leur identité. De

47 Cf. Tout le monde en parle, émission du 27 février 1999 48 Cf. Tout le monde en parle, émission du 10 juin 2000 49 Cf. Vivement Dimanche, émission du 8 avril 2001 50 Cf. Tout le monde en parle, émission du 18 mars 2000

Page 46: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

41

même, Laurent Fabius, invité chez Michel Drucker, insiste très peu sur son

enfance et surtout sur ses origines bourgeoises cadrant peu avec son engagement

politique dans le camp socialiste pour se rendre plus cohérent dans sa démarche

politique aux yeux des téléspectateurs.

B) Jeunesse, études et éveil de la conscience politique.: du passé assumé au passé recomposé

L'évocation des études et de la vocation politique est également l'occasion

pour les hommes politiques de renforcer leur identité ou de corriger des idées

reçues. Ainsi, Martine Aubry, dans le Vivement Dimanche qui lui a été consacré,

n'a eu de cesse de montrer que toute fille de Jacques Delors qu'elle était, la

carrière qu'elle a eu n'était pas toute tracée. Tout d'abord, son père, interrogé par

Michel Drucker, insiste sur le fait que ça n'a pas été plus facile pour la "petite

Martine" que pour les autres. "Ma mère et mon père m'ont transmis le culte du

travail donc j'ai été un peu dur avec mes enfants", confie-t-il à Michel Drucker.

De même, Martine Aubry essaie de corriger son image froide d'énarque qui la

discrédite auprès d'une France en majorité anti-élites en déclarant, d'une part :

"J'étais une élève assez moyenne, et surtout assez insupportable. En fac je ne

faisais pas grand'chose. Préparer l'ENA a été très difficile pour moi, même si je

suis sortie parmi les dix premières.". Plus tard, d'autre part, elle ajoute : "J'ai

longtemps été une militante de base. J'ai baigné dans la vie collective, avec ce

côté joyeux. On a beaucoup à apprendre des autres…". Par ces déclarations,

Martine Aubry corrige son image austère, froide et montre par la même occasion

que tout diplômée de l'ENA et fille de Jacques Delors qu'elle est, elle reste une

femme de terrain aux convictions profondes. Michel Drucker conclut d'ailleurs :

"Vous avez une âme de militant…".

D'autres invités n'éprouvent pas le besoin de justifier leur appartenance à

l'élite aux téléspectateurs. Ainsi, la précocité intellectuelle de Laurent Fabius est

plutôt mise en avant. Son ancien professeur à Sciences Po, Jacques Rigaud, parle

Page 47: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

42

de son jeune élève en ces termes : "J'ai très vite repéré quelqu'un d'intéressant et

de très doué" ; Robert Badinter évoque les premiers pas de Fabius en politique :

"François Mitterrand avait décelé chez Laurent Fabius, tout jeune, des qualités

exceptionnelles non seulement pour une carrière politique mais aussi pour une

carrière d'homme d'Etat.". Laurent Fabius veut donner aux téléspectateurs

l'impression d'un parcours sans faute, maîtrisé, pour mieux attester la thèse de

l'incident de parcours en ce qui concerne l'affaire du sang contaminé, comme je le

montrerai par ailleurs.

Mais de nombreux hommes politiques, au contraire de Martine Aubry et

de Laurent Fabius, ne sont pas passés par les grandes écoles censées former les

élites politiques et administratives comme l'ENS, Sciences-po ou l'ENA et mettent

l'accent sur leurs parcours atypiques. C'est le cas de Philippe Douste-Blazy qui ne

renie pas son côté "médecin", et s'en sert même beaucoup pour justifier son

engagement politique : "Quand on est médecin on a envie de servir les autres,

mais faire de la politique c'est aussi servir les autres, en tout cas moi je le ressens

comme ça…" ; "Il y a beaucoup de ressemblances entre le rôle du médecin et

celui de l'homme politique : on écoute, on diagnostique. ". 51. En s'exprimant

ainsi, Douste-Blazy légitime son engagement politique tout en se singularisant par

rapport à nombre de ses collègues aux carrières beaucoup plus conventionnelles,

balayant l'image traditionnelle de l'homme politique.

Enfin, l'évocation de la jeunesse des hommes politiques donne lieu à des

formes de passé recomposé52. Un des exemples les plus frappants reste celui

d'Alain Madelin, qui, évoquant volontiers et très librement son passé à Occident,

tente de tourner cette période très contestable de sa vie à son avantage. A Michel

Drucker, il confie: "Quand on a quinze ou vingt ans, il est important de ne pas

rester neutre, de prendre parti. J'ai été anticommuniste quand le marxisme tenait

51 Vivement Dimanche, émission du 16 janvier 2000 52 L'expression est de Bernard PELLEGRIN, "Le passé recomposé des hommes politiques", in Autrement, n°88, mars 1987, pp. 130-136

Page 48: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

43

le haut du pavé intellectuel à Paris. Je ne pense pas que les convictions que

j'avais alors étaient mauvaises.[…] Le fil directeur de ma vie politique c'est la

passion de la liberté, la volonté de lutter contre l'oppression. Les deux

totalitarismes de mon siècle me révulsent. Il y a un fil directeur entre le gamin

excessif que j'étais et ce que je suis devenu aujourd'hui.". Alain Madelin sait que

la question sur son passé extrémiste lui est posée de façon récurrente, et a donc,

comme l'écrit Bernard Pellegrin "travaillé comme un pro le thème 'à vingt ans on

n'est pas démocrate-chrétien, ou radical-socialiste, être extrémiste entre puberté

et majorité politique constitue une garantie d'enthousiasme, d'engagement sans

mégotage'."53. Alain Madelin parvient donc à exorciser ce passé qui lui est

souvent reproché en montrant qu'il s'agit là de la preuve qu'il n'est pas un tiède

politicien mais un homme d'action. Le passé et l'identité sont encore une fois bien

maîtrisées par l'invité.

C) La carrière politique des invités : des parcours sans fautes aux erreurs assumées…

Dernier élément de biographie des hommes politiques dans ces émissions

de divertissement : la carrière politique. Chez Michel Drucker, chaque invité voit

sa carrière politique retracée par une série de petits reportages qu'il doit

commenter par la suite. La plupart du temps le travail de sélection est manifeste :

les images diffusées ne prennent pas en compte les échecs des hommes politiques.

Ainsi, le passage de Philippe Douste-Blazy au ministère de la Santé est évoqué

par un résumé très court mais très dense, où l'on découvre qu'il est à l'origine du

préservatif à un franc, qu'il a lancé un programme de dépistage du cancer du sein,

et qu'il a également organisé la distribution de la méthadone aux toxicomanes.

L'émission n'insiste que très peu sur le passage de l'invité au ministère de la

Culture. Seuls les éléments les plus positifs de sa carrière sont soulignés. Il en est

de même pour l'ensemble des invités, comme par exemple Edouard Balladur qui

évoque son mandat de Premier Ministre et les décisions les plus délicates qu'il a

53 Cf. Bernard PELLEGRIN, op.cit., p.131

Page 49: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

44

alors été amené à prendre. Sur le sujet "très douloureux et dramatique" de la prise

d'otages de l'Airbus, il rappelle synthétiquement les faits sur un ton comme

d'habitude très dogmatique. Balladur ne semble pas avoir de propension à

l'autosatisfaction, mais il est aidé dans cette tâche par Michel Drucker qui convie

un membre de l'équipage sur le plateau de Vivement Dimanche ; ce dernier déclare

solennellement : "Monsieur le Premier Ministre, merci d'avoir pris cette

décision". Ce témoignage ajoute une dimension supplémentaire à l'évocation de la

carrière d'Edouard Balladur: il montre en quelque sorte la carrure d'homme d'Etat

de l'ancien premier ministre, qui soigne là une image sérieusement égratignée par

son échec à l'élection présidentielle.

Mais il arrive parfois que chez Drucker les périodes les plus négatives de

la carrière politique soient également évoquées, avec l'accord tacite de l'invité

comme ce fut le cas lors du Vivement Dimanche de Laurent Fabius. Dans un

premier temps, comme je l'ai déjà montré, l'accent a plutôt été mis sur les qualités

de l'invité et sur son parcours sans fautes. Ainsi, le petit montage qui retrace la

carrière politique de l'ancien Premier Ministre fait l'impasse sur le scandale du

sang contaminé. Cependant, Laurent Fabius a choisi de s'exprimer sur ce sujet

délicat dans l'émission de Drucker, ou tout au moins de laisser la parole à

quelques prestigieux intervenants qu'il compte parmi ses proches : Robert

Badinter évoque alors l'état de grâce constant dans lequel se trouvait Laurent

Fabius avant cette affaire dramatique :

"Puis d'un seul coup, l'injustice. Le voilà emporté dans ce qui demeure à

mes yeux l'une des accusations les plus injustes parce que Laurent, comme Premier ministre, compte tenu des connaissances scientifiques de l'époque a réagi vite, autant qu'il le pouvait face à la situation, les connaissances limitées qu'on avait sur le SIDA. S'entendre accusé d'être l'instrument de la mort des gens alors qu'il a agi pour les sauver, il n'y a rien de plus cruel. C'est peut-être après les grandes épreuves comme ça qu'on devient un homme d'Etat. C'était pour lui un temps de maturité cruelle". Après cette intervention de l'ancien ministre de la justice, Serge Moati, invité sur le plateau, ajoute : "Pour les enfants ça a été terrible à vivre, une vraie saloperie. Leur père, traité comme un assassin dans les

Page 50: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

45

journaux. Et comment réagir face à la détresse réelle des gens qui étaient touchés par ce problème? C'est épouvantable".

Pendant ces deux interventions successives, Laurent Fabius reste presque

muet. Avec les témoignages de Robert Badinter et de Serge Moati, Fabius est en

quelque sorte passé dans le camp des victimes de ce drame ou tout au moins il

n'est plus aux yeux des téléspectateurs dans le camp des coupables. Sans porter de

jugement sur l'ancien Premier Ministre, on peut quand même souligner que la

détresse des familles touchées directement par ce scandale n'est évoquée que très

succinctement par Serge Moati. Plus tard dans l'émission, sans aucun lien

explicite de cause à effet, Laurent Fabius convie le professeur Chambon sur le

plateau, un spécialiste de génétique et de biotechnologie au Collège de France qui

évoque les problèmes de risques et de principe de précaution liés à la crise de la

vache folle. On sent qu'en invitant Chambon, Fabius a une dernière fois voulu

marquer son recul par rapport à l'affaire du sang contaminé : Il montre qu'en cas

de crises comme celle-ci, même les scientifiques sont dans le flou et qu'il est donc

très difficile pour les pouvoirs publics de prendre rapidement des décisions. Le

professeur Chambon est donc là pour servir de caution scientifique et morale à

Fabius, qui essaie encore une fois d'excuser ce passé qui pèse sur lui comme un

fardeau.

En revanche, chez Thierry Ardisson, erreurs et incohérences des invités

politiques sont soulignées sans que ceux-ci aient réellement leur mot à dire.

Certains parviennent tout de même à tempérer les affirmations catégoriques de

l'animateur, comme ça a été par exemple le cas pour Michel Rocard qui s'est

entendu dire, à propos de son passage à la tête du PSU .

"C'était le parti organisé au cœur des événements de 68. A cause de

vous, il n'y a jamais eu de débordements. Finalement, vous êtes celui qui a fait échouer 68?", ce à quoi Michel Rocard répond, après un temps d'arrêt : "Je ne voudrais pas être méchant mais là vous avez dit une connerie. Il y avait des provocateurs. Nos services étaient en queue de défilé pour empêcher les anarchistes ou les voyous de casser des vitrine et changer l'image de ce

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

46

mouvement qui voulait parler au peuple en se faisant voir mais pas plus… Mai 68 est un acte de témoignage et pas de violence. C'était une demande de droit à la parole."

Cet exemple montre que même lorsque le ton de l'interviewer se veut plus

incisif, plus polémique, les hommes politiques parviennent à contrôler leur image

et l'évocation de leur carrière politique passée et présente.

Au total, l'évocation des origines sociales, de la jeunesse et des carrières

et convictions politiques des invités fait l'objet, plus chez Drucker que chez

Ardisson, d'un travail de sélection, d'élimination des éléments les plus négatifs ou

au contraire de leur instrumentalisation. Le but est sans doute de montrer au

téléspectateur que ce que les hommes politiques sont aujourd'hui est le fruit d'un

long processus, d'un cheminement qui se veut cohérent. La construction

identitaire est évidente. Même chez Thierry Ardisson les hommes politiques ont

assez de marge de manœuvre pour effectuer ce travail de présentation de soi,

même si l'animateur n'hésite pas à mettre le doigt sur les incohérences et les

échecs politiques de ses invités, et si certains parmi ces derniers tombent

fréquemment dans les pièges qu'il leur tend…

2.1.2 Le personnage privé au service de l'homme public

Comme j'ai déjà pu le montrer, chacune des deux émissions étudiées

insiste sur le personnage privé de l'homme politique invité, de façon plus

évidente chez Michel Drucker que chez Thierry Ardisson. Cela tient certainement

à la durée même des émissions. Vivement Dimanche dure deux heures et demie;

entièrement consacrées à l'invité tandis que dans Tout le monde en parle, les

hommes politiques ne sont que des invités parmi d'autres. Dans l'émission de

Page 52: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

47

Michel Drucker, les invités ont donc plus le loisir de s'exprimer sur leurs goûts

musicaux, cinématographiques et artistiques, leurs loisirs et leurs passions.

Cependant, dans les deux émissions, les hommes publics parlent très librement de

leur vie privée, ce qui leur confère une dimension plus humaine.

Ces évocations sont loin d'être anodines, et donnent au téléspectateur une

image bien définie de l'homme politique invité. Il apparaît qu'ici encore les

hommes politiques effectuent un important travail de construction identitaire,

même si cela ne semble pas évident de prime abord. Rien n'est laissé au hasard :

le personnage privé ainsi décrit doit permettre de singulariser l'homme politique

dans l'espace public…

A) L'entourage privé des hommes publics : Famille, amis, collègues:: les meilleurs porte-paroles des hommes politiques?

L'évocation de l'entourage privé des hommes politiques, de leurs amitiés,

de leurs liens familiaux fait indéniablement partie de leur construction identitaire.

Quand il s'agit de montrer ou de faire parler cet entourage, on se rend compte

qu'il donne plus à voir de l'homme politique que le moindre discours.

Il y a d'abord les amis de marque, qui confèrent un certain prestige aux

hommes politiques et s'emploient à redorer leur image par leurs interventions. J'ai

déjà évoqué les témoignages de Robert Badinter et de Serge Moati au sujet de

Laurent Fabius, qui tous deux insistaient sur le talent de leur ami dans Vivement

Dimanche. Son professeur de Droit Public à Sciences Po Paris renchérit

d'ailleurs: "Il possède une grande maîtrise, un côté assez britannique qui consiste

à pousser le respect de l'autre jusqu'à ne pas lui infliger ses propres tourments."

Edouard Balladur fait également l'objet d'un portrait élogieux de la part de son

ami Michel Jobert, avocat et ancien ministre des Affaires Etrangères : "Une de

ses qualités, c'est le goût qu'il a de simplifier les situations et de les présenter de

façon simple et convaincante ". De même, Léon Schwartzenberg vient témoigner

Page 53: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

48

sur son amie Arlette Laguillier : "J'ai été heureux qu'Arlette m'appelle parce que

pour moi il n'y a pas d'existence plus belle que de rester fidèle à ses idées.".

Enfin, Philippe Douste-Blazy se voit complimenter par Dominique Baudis en ces

termes : "C'est quelqu'un qui a le goût et le sens de l'action publique…"54.Au

total, les interventions de ces amis prestigieux que les hommes politiques côtoient

aussi bien dans leur vie publique que dans leur vie privée renseigne les

téléspectateurs sur les qualités privées des invités qui leur servent dans leurs vies

d'hommes publics.

Les amis et collègues moins connus du grand public puisqu'appartenant

au cercle privé des hommes politiques sont également d'excellents porte-paroles

pour ces derniers. Philippe Douste-Blazy semble avoir une bande d'amis très

soudée autour de lui, qui ne tarissent pas d'éloges à son propos et insistent sur son

dynamisme et son côté passionné. Ses anciens collègues du milieu médical,

comme le professeur Jean Fruchard, renchérissent : "Ce qui le caractérise, c'est

l'enthousiasme. Comme son père, il y a aussi beaucoup d'intégrité chez lui. Il n'a

vraiment peur de rien et quand il est parti en politique il a agi comme quand il

était en science : il n'avait pas de frontière…" 55; "C'est un homme très

intelligent, très exigeant…", ajoute une infirmière qui a travaillé avec lui. Par

ailleurs, les interventions des collègues et amis d'Arlette Laguillier dans un petit

reportage au fond sonore éloquent – "Résiste" de France Gall – dans Vivement

Dimanche renforcent son image d'inusable militante sincère et intègre qui font

d'elle une grande figure populaire ; morceaux choisis des témoignages de ses

anciens collègues du Crédit Lyonnais : "Je me souviens de son intervention

auprès de notre chef de service, ce petit bonhomme méprisant… et Arlette elle l'a

mouché, vous pouvez pas savoir comme ça nous a fait plaisir !".56 Faire parler ses

amis et ses collègues permet de présenter aux téléspectateurs les aspects les plus

quotidiens de la vie des hommes politiques.

54 Cf. capture 10 en annexe 55 Cf. capture 11 en annexe 56 Cf. capture 12 en annexe

Page 54: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

49

Il en est de même pour les interventions des badauds ou des commerçants

qui côtoient les invités politiques, grand classique chez Michel Drucker. Le

poissonnier de Martine Aubry assure qu' "elle est super sympa, elle a un

comportement tout à fait normal pour une ministre…"57. Le boucher d'Arlette

Laguillier déclare : "Moi je ne la vois pas présidente parce que c'est une femme

très intègre et pour être président il ne faut pas être complètement intègre…" 58;

les commerçants du marché du 15ème arrondissement en rajoutent sur le côté

humain et sympathique d'Edouard Balladur : "Il est très sympa, très présent, ça

fait plaisir de voir un homme politique qui n'est pas là que pour les

campagnes…", "Il est proche du peuple, Mr Balladur, on a une image de lui de

grand bourgeois mais c'est faux… quand il est pas là, on est inquiets…"59. Si on

excepte un petit dérapage d'un marchand à la franchise cassant un peu l'image

ainsi redorée d'Edouard Balladur - "Il faut pas compter sur lui pour remplir les

caisses…". - on voit qu'au total, ces interventions d'hommes et de femmes de la

rue qui ont eu l'occasion de côtoyer ces invités politiques, ajoutent de la

crédibilité aux portraits de ces derniers puisqu'elles semblent piquées sur le vif,

totalement improvisées, donc sincères. Mais on se doute qu'en amont un

important travail de montage est effectué pour ne garder que les témoignages les

plus positifs …

Enfin, le cercle familial, la dimension la plus intime des hommes

politiques est également mise en avant. Laurent Fabius est décrit par sa femme

Françoise Castro comme "un père très aimant, en contact permanent avec ses

enfants", ce malgré son emploi du temps de ministre – "être femme de ministre

c'est un peu comme être une femme de marin…" – ; on apprend par son père

Jacques Delors que Martine Aubry "était une enfant gaie et espiègle. Elle nous

fait toujours rire." 60; enfin, Michel Drucker ne manque pas de souligner que

Philippe Douste-Blazy a adopté un enfant vietnamien, ce qu'un petit reportage

57 Cf. capture 13 en annexe 58 Cf. capture 14 en annexe 59 Cf. capture 15 en annexe 60 Cf. captures 16 et 17 en annexe

Page 55: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

50

illustre61. L'invité ne commente pas, les images parlent d'elles-mêmes, et

renforcent son capital-sympathie auprès des téléspectateurs qui découvrent à cette

occasion un homme de cœur…

Au total, les interventions de l'entourage privé des hommes politiques

dans ces émissions de divertissement, et plus particulièrement dans l'émission de

Michel Drucker, sont extrêmement positives en termes d'image puisqu'elles

proposent au téléspectateur de découvrir la facette la plus intime des hommes

publics de façon apparemment objective puisque racontée par d'autres que lui,

alors qu'en amont un important travail de sélection et de montage a sans doute été

effectué…

B) Passions et violons d'Ingres des hommes politiques : un savant travail de singularisation…

L'évocation des passions et des goûts des hommes est une dominante

dans l'émission de Michel Drucker mais est également présente dans l'émission

de Thierry Ardisson. Rien ne semble être laissé au hasard chez les hommes

politiques dans la présentation de leurs loisirs, de leurs passions et de leurs goûts:

encore une fois la stratégie de construction identitaire est évidente.

Tout d'abord, si la façon dont les hommes politiques occupent leur temps

de loisir paraît de prime abord inintéressante, elle n'en demeure pas moins un

élément central dans leur travail de présentation de soi : les invités envoient par

leur évocation aux téléspectateurs une série de messages plus ou moins explicites

qui fait partie intégrante de leur construction identitaire. Ainsi, l'émission

Vivement Dimanche insiste assez longuement sur les talents de cavalier de

Laurent Fabius. Il commente d'ailleurs ainsi des images le montrant à cheval dans

une émission de Pierre Bellemare à laquelle il avait participé à 22 ans : "Je ne

pense pas que les chevaux soient très intelligents, mais en tout cas ils sont très

61 Cf. capture 18 en annexe

Page 56: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

51

intuitifs. Ca apprend sur la nature, mais aussi sur soi.". Laurent Fabius démontre

en affirmant cela qu'il possède la maîtrise lui permettant sans risque de monter à

cheval comme dans les plus hautes sphères de l'Etat. Edouard Balladur, pour sa

part, se présente en randonneur amoureux de la montagne62 : "J'essaie de

marcher deux à trois heures par jour. C'est comme ça que les idées mûrissent…",

confie-t-il à Michel Drucker. Il dégage ainsi une image d'homme réfléchi, calme,

posé. Philippe Douste-Blazy, de son côté, se présente dans un reportage au

montage très serré qui lui est consacré comme un sportif accompli, que ses amis

ont du mal à suivre : ski; vélo tout terrain, on apprend également que l'ancien

ministre a longtemps voulu devenir pilote…63. Toujours présenté très entouré par

ses amis, il montre ainsi qu'il est un homme à la fois dynamique, passionné,

modeste et pas individualiste, ce qui semble manquer à bon nombre de ses

collègues en politique et lui permet de se singulariser. De même, les invités

politiques évoquent souvent leur passion pour la bonne chère : Martine Aubry fait

son marché comme tout un chacun et avoue "détester la cuisine surgelée"64 en

dépit de son emploi du temps surchargé. Alain Madelin insiste également

beaucoup sur cet aspect et Jean-Pierre Coffe dit même de lui : "Je pense toujours

que les hommes politiques sont bidons, mais dès qu'on discute avec lui sur des

choses sérieuses comme les plantations il sait tout ! ". Alain Madelin confirme :

"Je cuisine, je fais le verger, je fais le potager, j'aime tous les plaisirs de la

vie…" Cette image de bon vivant tranche avec les clichés souvent véhiculés sur

des hommes politiques austères et fait sans doute partie intégrante d'une stratégie

de distinction au sein du champ politique.

Mais certaines passions permettent de singulariser encore davantage les

hommes politiques invités de ces émissions de divertissement au sein de la classe

politique, parce qu'elles constituent quelque chose d'inhabituel voire

d'extraordinaire : ainsi Alain Madelin montre sur le plateau ses talents de

62 Cf. capture 19 en annexe 63 Cf. captures 20, 21 et 22 an annexe 64 Cf. capture 23

Page 57: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

52

magicien, que j'évoquerai par ailleurs, même s'il précise d'emblée : "Ce que

j'aime ce n'est pas l'illusion, parce que pour un homme politique, faire de

l'illusion…". De même, dans l'émission de Thierry Ardisson, Robert Hue évoque

sans honte sa courte carrière de leader d'un groupe de rock'n'roll, Les Rapaces, et

entonne même les premières mesures de Be bop-a-lula sur le plateau de Tout le

monde en parle. La très aristocratique Françoise de Panafieu, qui a longtemps

pratiqué la guitare, ne se démonte pas lorsque le même Thierry Ardisson lui

demande d'enfiler une veste de cuir et de montrer ses talents65 en interprétant La

Bamba. Il en est de même pour Noël Mamère66, dont Thierry Ardisson évoque la

courte carrière de chanteur dans les années 8067, et qui, après un long moment de

flottement et d'hésitation, accepte de chanter noboby knows68. Certains se

montrent beaucoup moins prolixes sur leurs incursions dans les milieux

artistiques, comme par exemple Daniel Cohn-Bendit, qui commente très

brièvement sa tentative cinématographique dans Un amour à Paris.69

Au total, l'évocation des passions, loisirs et violons d'Ingres des invités

permet d'ajouter une dimension supplémentaire à leur construction identitaire

d'une part en s'en servant pour confirmer une attitude générale face à la vie et

briser les idées reçues, d'autre part pour se singulariser davantage dans le champ

politique en mettant en avant des dons et des talents exceptionnels et peu connus

du grand public. Encore une fois, rien n'est laissé au hasard.

C) Les hommes politiques et leurs amis du show-biz

Une des caractéristiques de l'émission de Michel Drucker, Vivement

Dimanche, est de laisser la possibilité aux invités de composer eux-mêmes leur

programme de variétés et d'inviter tous les artistes qu'ils admirent. Or, au total, on

65 Cf. Capture 24 en annexe 66Tout le monde en parle, émission du 23 octobre 1999 67 Cf. Capture 25 en annexe 68 Cf. Capture 26 en annexe 69 Cf. Capture 27 en annexe

Page 58: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

53

remarque que le choix des invités n'est jamais innocent, et fait également partie

intégrante de la présentation de soi de l'homme politique. Les invités issus du

show-biz dont s'entourent les hommes politiques permettent en effet de les mettre

en valeur, de capter l'attention des téléspectateurs en leur offrant des visages

familiers, et d'augmenter leur capital-sympathie en citant des références

culturelles plutôt populaires. Ce n'est pas un hasard si peu d'entre eux citent le

cinéma d'auteur parmi leurs goûts cinématographiques…

Tout d'abord, les invités peuvent permettre aux hommes politiques de

corriger leur image. Ainsi, Edouard Balladur s'entoure de figures populaires du

cinéma français comme André Pousse70, l'un des derniers rescapés de la bande à

Audiard, Daniel Prévost ou encore Jean-Michel Ribes, le créateur des Brèves de

comptoir. L'ancien Premier Ministre lit d'ailleurs une de ces brèves, à la suite de

quoi l'assistance rit poliment. Ce que Balladur essaie de montrer, c'est qu'il n'est

pas aussi froid et distant que ce que les caricatures ont pu suggérer. En évoquant

sa passion pour les comédies populaires, il se rapproche des goûts de la France

profonde…

D'autre part, les invités dont les hommes politiques s'entourent peuvent

entraîner un rajeunissement de leur image et montrer qu'ils se préoccupent des

jeunes, qu'ils vivent avec leur temps. Par exemple, Martine Aubry a réclamé la

présence du champion du monde Zinédine Zidane, héros consacré de la France

Black-Blanc-Beur, mais aussi celle du rappeur K-Mel du groupe Alliance Ethnik,

exemple d'intégration pour les jeunes de banlieues. Enfin, Stéphane Diagana, qui

évoque à la demande de Drucker ses origines métissées, est aussi convié dans le

salon de Vivement Dimanche. Au total, Martine Aubry s'entoure de jeunes

talentueux issus de la France de l'intégration et du métissage, ce qui est

évidemment très positif pour son image parce que cela marque son ouverture

d'esprit à la jeunesse et aux difficultés rencontrées par les jeunes issus de

l'immigration. De son côté, Alain Madelin s'amuse à jouer les mécènes sur le 70 Cf. Capture 28 en annexe

Page 59: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

54

plateau de Michel Drucker en présentant un de ses coups de cœur, une jeune

chanteuse de vingt ans prénommée Claire-Lise : "Je veux faire partager aux

jeunes la chance que j'ai de pouvoir participer à ce type d'émissions…". Encore

une fois, Alain Madelin joue dans un registre qui constitue la dominante de son

passage à Vivement Dimanche : "Il faut donner leur chance aux jeunes qui en

veulent, il faut leur mettre le pied à l'étrier.".

Enfin, les invités peuvent également marquer l'ouverture d'esprit des

hommes politiques aux artistes dont les convictions politiques ne sont pas les

leurs, prouvant au passage qu'ils ne sont pas sectaires. Philippe Douste-Blazy

avoue ainsi sa passion pour l'humour de Guy Bedos71 :

."C'est l'humour personnifié. D'un côté, pas de cadeau et de l'autre, un

cœur gros comme ça.". Bedos regarde Douste-Blazy, puis s'exclame : "Mais qu'est-ce qu'il fout à droite? J'ai été très séduit par son action quand le FN était très fort en France. Douste a été épatant dans cette histoire et a même mécontenté des personnes dans son propre camp. Il a été sauvé par des gens de gauche alors que des gens de son propre camp lui tendaient des pièges". Douste-Blazy évoque avec humour la situation embarrassante dans laquelle l'a mis Bedos lorsqu'il était au gouvernement parce qu'il disait dans un de ses spectacles : "Le problème c'est que Douste Blazy est à gauche, mais il ne le sait pas". L'ancien ministre ajoute non sans humour: "J'étais assez mal quand j'étais dans l'équipe du gouvernement…" Bedos renchérit : "Pour moi il y a des gens qui seraient mieux à gauche qu'à droite, et inversement". Douste-Blazy enchaîne : "Il y a quelque chose qui nous rassemble, c'est que Bedos parraine des gens qui vivent en banlieue difficile. Il y a ceux qui le disent et ceux qui le font." Bedos renchérit: "Dans cette histoire de cité, il a tenu sa parole, ce qui est assez remarquable pour un professionnel de la politique".

Le téléspectateur, en regardant cette scène, peut penser qu'en invitant

quelqu'un dont il savait qu'il ne partageait pas les mêmes idées politiques,

Philippe Douste-Blazy a pris un certain risque. Mais il découvre également un

homme politique à l'esprit ouvert, réceptif à la critique. D'autre part, Guy Bedos,

par ses propos sur la "mauvaise" orientation politique de Douste-Blazy, rend ce

71 Cf. capture 29 en annexe

Page 60: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

55

dernier plus sympathique aux yeux des sympathisants de gauche, dont l'humoriste

se fait là le porte-parole. Enfin, la présence de Bedos sur le plateau permet à

Douste-Blazy de mentionner les efforts qu'il a réalisés en direction des banlieues

défavorisées. Finalement, le risque pris était minime et le gain en terme d'image

est en revanche considérable.

Ainsi, s'entourer de figures familières du public dominical des émissions

de Michel Drucker permet d'une part de retenir l'attention de ceux parmi les

téléspectateurs qui sont le moins intéressés par la politique et d'autre part de

corriger ou de valoriser son image.

Je viens de montrer que l'enjeu principal pour les hommes politiques

lorsqu'ils se rendent dans de telles émissions est avant tout un gain en matière

d'image. Cependant, les enjeux peuvent être beaucoup plus terre-à-terre …

2.1.3 Un nouveau lieu de campagne électorale?

Au total, l'évocation du personnage privé de l'homme public à travers les

témoignages de son entourage, ses passions et ses goûts s'intègre dans une

stratégie très élaborée de construction identitaire et de singularisation dans le

champ politique. Or la présentation de soi est devenue aujourd'hui un enjeu

capital dans la lutte politique. L'homme politique qui vient dans ces émissions de

divertissement est plus que jamais un "entrepreneur en représentation" qui va

offrir de lui une image cohérente avec la position qu'il veut occuper dans le

champ politique à un moment donné72. Comme je l'ai montré, rien n'est laissé au

hasard. Les invités de Drucker et d'Ardisson, qu'ils soient issus du monde du

72 Cf. Annie COLLOVALD, "Identités stratégiques", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°62/63, juin 1986, p. 29-40

Page 61: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

56

cinéma ou de la musique viennent toujours "vendre" quelque chose : un album,

un film, un livre. Il en est de même pour les hommes politiques qui préparent le

terrain avant les grandes échéances électorales.

Ainsi, Philippe Douste-Blazy, encore maire de Lourdes et bien avant les

municipales, a axé une grande partie de sa prestation chez Michel Drucker autour

de sa passion pour Toulouse, "ville au brassage des cultures exceptionnels".

Successeur implicitement désigné de Dominique Baudis, "le meilleur maire de

France" comme le montre une petite séquence les présentant tous deux à la Cité

de l'espace dans la ville rose73, il montre en outre à plusieurs reprises qu'il est très

attaché à sa fonction de maire : "Il y a peut-être une crise du politique mais il n'y

a pas une crise des maires. Les gens vont voir leur maire, ils croient en lui…". Le

centriste est clairement en campagne, il se constitue chez Michel Drucker une

légitimité en manifestant son intérêt pour la ville où, et l'animateur ne manque

pas de le rappeler en début d'émission "il a passé toute sa scolarité".

De son côté, Martine Aubry démontre tout au long de l'émission son

attachement à Lille, sa "respiration de fin de semaine". Première adjointe au maire

de Lille quand l'émission a été enregistrée, elle est alors également son successeur

tout désigné.74 Dans la séquence où on la voit faire son marché à Paris, la

commentatrice insiste : "Chaque semaine, si elle en a la possibilité, Martine

Aubry va au marché de Wazemmes à Lille… mais aujourd'hui nous la suivons à

Paris…" Michel Drucker accueille ensuite la cuisinière nordiste Guylaine Arabian

en ces termes : "Nous allons recevoir celle qui porte si bien la cuisine du Nord, la

cuisine des Flandres…" Enfin, on voit Martine Aubry préparer des mets

typiquement nordistes à ses invités, notamment une flamiche aux poireaux et au

Maroilles. Martine Aubry, qui n'est pas originaire du Nord, cherche à se construire

une légitimité en montrant combien elle est attachée à la capitale des Flandres. On

découvre ensuite l'appartement de Martine Aubry qui se révèle être un véritable

73 Cf. Capture 30 en annexe 74 Cf. Capture 31 en annexe

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

57

mécène pour les artistes de la région lilloise comme le peintre tourquennois Ben

Bella. Elle convie d'ailleurs sur le plateau la troupe lilloise Dans la rue la danse .

Elle montre donc son intérêt pour la vie culturelle lilloise, sous toutes ses formes.

Michel Drucker, dans Vivement Dimanche prochain, lui tend encore une perche :

"Quand on reçoit Martine Aubry et qu'on est du Nord, dit-il à l'attention de Bruno

Masure, on ne peut pas ne pas penser à Lille…" Aubry renchérit : "J'ai un petit

faible pour Bruno Masure parce qu'il est originaire de Lille…" On l'aura compris,

Martine Aubry aime Lille, qu'elle semble considérer comme sa ville d'adoption, et

vise clairement la Mairie de Lille. Son père, Jacques Delors, l'encourage d'ailleurs

dans cette voie : "pour son avenir, je la vois bien gérer une ville pour son

équilibre et son bonheur…". Martine Aubry veut tellement montrer son

attachement à la capitale des Flandres qu'elle en fait parfois un peu trop : elle tente

de répondre à une question de Bruno Masure en ch'ti, mais la démonstration

s'avère peu convaincante…

Dernier exemple éloquent d'homme politique en campagne chez Michel

Drucker : Alain Madelin, à la différence près que ce dernier ne se cache pas d'être

candidat à l'élection présidentielle de 2002 et le rappelle d'emblée. Dans le

récapitulatif de sa carrière politique, le point d'orgue du reportage est l'évocation

de l'annonce de sa candidature, "le 23 novembre 2000, dans une ambiance

festive", précise Drucker. Lorsqu'il réalise ce fameux tour de magie qui a fait

couler beaucoup d'encre dans la presse, il n'hésite pas à utiliser une métaphore très

explicite qui peut être prise comme une évocation de l'état de division actuelle de

la droite : "Dans une campagne électorale on se rapproche, on fait des nœuds, et

moi ce que je voudrais mettre c'est le souffle du renouveau (il souffle) Voilà, la

corde s'est réunie…" "Ce que je peux porte peut être utile dans ce pays, je me

sens prêt à assumer cette fonction…" Qu'on ne s'y méprenne pas : c'est réellement

le candidat Madelin qui est venu chez Drucker : Quand Geluck, évoquant les

échecs de quelques "stars" de la politique venues palabrer chez Drucker comme

Seguin, Guigou, Trautman ou Lang lui demande : "Ne craignez-vous pas le

Page 63: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

58

désastreux effet Michel Drucker?", il ne se démonte pas et répond : "Au contraire

on m'avait dit que c'était un viagra électoral…".

Le mot est lâché : les enjeux des passages d'hommes politiques dans les

émissions de divertissement, et particulièrement celle de Michel Drucker, sont

avant tout électoraux : il s'agit de se construire une légitimité médiatique préalable

à la légitimation par le peuple dans le secret des urnes… C'est dans cet esprit que

l'image des hommes politiques est extrêmement travaillée et maîtrisée dans

chacune de ces deux émissions à l'audience très large. Cependant, leur image est

parfois malmenée ou égratignée ; il leur arrive également de ne pas trouver leur

place ou d'être déstabilisés par le côté "divertissement" de ces émissions.

2.2 Une marge de manœuvre limitée …

Dans un entretien accordé au magazine de télévision TV Mag, Gérard

Miller, en réponse à un journaliste qui lui demandait : "Vous ne pensez pas,

comme certains journalistes, que les hommes politiques se précipitent dans les

divertissements car ils savent qu'on ne leur posera pas de questions gênantes?" a

déclaré que "divertissement ne rime pas toujours avec complaisant.". Il est vrai

qu'il serait réducteur de considérer l'émission de Michel Drucker à laquelle le

psychanalyste prend part chaque semaine comme étant complètement conçue à

l'avantage de l'invité, comme la partie précédente aurait pu le suggérer. J'ai déjà

montré que d'autre part, Tout le monde en parle était une émission au ton

clairement plus polémique, dans laquelle l'animateur n'hésitait pas à souligner

échecs et incohérences de ses hôtes politiques. Les hommes politiques ne

parviennent pas toujours à maîtriser totalement leur image, dérapent parfois ou

Page 64: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

59

bien paraissent mal à l'aise. L'objet de cette seconde partie est de présenter tous les

aspects non contrôlés, non préparés de leurs passages dans ces émissions.

Dans un premier temps je me concentrerai sur les réactions des hommes

politiques aux questions les plus embarrassantes, puis sur leur attitude face aux

interventions des "électrons libres" des deux émissions. Enfin j'étudierai les

conséquences parfois cocasses du mélange des genre dans chacun de ces deux

divertissements.

2.2.1 … par l'impertinence des questions posées…

J'ai montré dans la première partie que les hommes politiques parvenaient

la plupart du temps à contrôler leur image, même face à des questions aussi

embarrassantes ou incisives que celles de Thierry Ardisson ou de Gérard Miller.

Mais il arrive que les hommes politiques soient réellement déstabilisés par ces

provocations ou tout au moins ce ton plus mordant auquel ils ne s'attendaient

peut-être pas en se rendant dans de telles émissions.

Il y a d'abord les dérapages incontrôlés, les moments d'énervements ou

d'égarement des hommes politiques. Ainsi, lorsque Thierry Ardisson évoque le

fonctionnement mystérieux de Lutte Ouvrière, Arlette Laguillier perd son sang-

froid, tente d'orienter la conversation sur une autre voie et finit par évacuer le

problème en renvoyant la culpabilité sur les journalistes qui ont enquêté sur la

question :

"On dit beaucoup de choses sur votre parti, on dit que…" Ardisson est

interrompu par le brouhaha sur le plateau. Arlette Laguillier se crispe. "Votre parti a un fonctionnement secret quand même… Je sais que vous n'aimez pas

Page 65: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

60

parler de ça…" "Mais non… Vous aussi vous allez répéter ces ragots? J'ai lu que notre journal était déficitaire…" Elle essaie de dévier la conversation mais Ardisson reprend : "Le patron de votre parti, Hardy, personne ne sait qui c'est. Pourquoi on ne le connaît pas? C'est un parti secret, quand même…" Arlette rétorque : "Nous voulons que nos représentants soient des travailleurs…" Ardisson rebondit : "Donc Mr Hardy ne serait pas un travailleur…Ne niez pas que votre parti a un fonctionnement secret, c'est écrit dans toute la presse…" Arlette Laguillier évacue : "Ce qui est affreux et triste pour la profession de journaliste c'est que ça a été écrit une fois et puis recopié…"

Dans le même ordre d'idées, Thierry Ardisson attaque Maxime Gremetz

sur son statut de président du comité d'amitié France-République Populaire de

Chine. Le député de la Somme évacue le problème par une déclaration

catégorique sans se rendre compte de l'incohérence de ses propos :

"Pourquoi ne dénoncez-vous pas les camps chinois où il y a 6000

exécutions par an?" Gremetz se contente de répondre : "Et aux USA?" Ardisson ne se démonte pas et enchaîne: "Oui mais là-bas c'est pour des raisons politiques…" Gremetz se contente d'une plutôt sibyllin : "Mais je condamne toute atteinte aux libertés et aux droits de l'homme, où que ça se passe…" Alors pourquoi pas en Chine?

On le voit donc, passer dans ces émissions n'est pas toujours extrêmement

avantageux en terme d'image de marque puisqu'il arrive aux hommes politiques

de perdre leur sang-froid et leur maîtrise. Bien que les charges critiques soient

parfois aussi fortes de la part de Gérard Miller dans l'émission Vivement

Dimanche prochain75, il apparaît que l'ambiance bon-enfant qui règne sur le

plateau grâce aux efforts de Michel Drucker permet de tempérer ces attaques et

globalement, les hommes politiques perdent rarement la face dans l'émission

dominicale, alors qu'ils paraissent beaucoup moins à l'aise dans l'émission de

Thierry Ardisson.

Cependant, il arrive que ce soit le mélange des genres constitutif de

chacune des deux émissions qui soit à l'origine des moments les plus

75 Ibid, p.33

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

61

embarrassants pour les invités politiques, puisque très souvent, et ce de façon

plus fréquente chez Thierry Ardisson où les autres invités ne sont pas choisis par

les hommes politiques, artistes, acteurs ou chanteurs n'hésitent pas à interpeller

les leaders politiques, ce qui génère des moments de tension très négatifs pour

l'image de certains d'entre eux, quand ils ne parviennent pas à tourner la situation

à leur avantage…

2.2.2 …par des invités "actifs"…

Je l'ai déjà montré en présentant chacune des deux émissions, leur

principale caractéristique est le mélange des genres : c'est dans le côté "sérieux",

caractérisé par des interviews somme toute assez classiques, que les hommes

politiques parviennent au mieux à maîtriser leur image, tout au moins quand les

questions ne sont pas trop embarrassantes… Mais les moments de dérapage

peuvent être générés par la présence d'autres invités n'appartenant pas au champ

politique sur le plateau.

Evidemment, chez Michel Drucker ces moments de tensions sont moins

fréquents puisque les invités sont choisis par l'homme politique lui-même. Mais

parfois, les artistes invités peuvent se montrer beaucoup moins condescendants

que ne l'auraient pensé les leaders politiques en les conviant sur le plateau.

L'exemple le plus frappant à cet égard est le comique Christophe Alévêque,

qu'Alain Madelin avait souhaité rencontrer sur le plateau de Vivement Dimanche,

espérant sans doute que la présence d'un artiste politiquement opposé lui serait

aussi profitable que celle de Guy Bedos chez Philippe Douste-Blazy76.

Malheureusement le leader de Démocratie Libérale a manifestement commis une

erreur de casting, puisque l'humoriste n'a pas du tout joué le jeu de l'invité :

76 Ibid, p.57-58

Page 67: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

62

Christophe Alévêque s'étonne en effet d'avoir été invité par Alain Madelin parce qu'il fait partie d'ATTAC "où on ne dit pas toujours du bien sur vous". Madelin, avec l'aide de Drucker évacue rapidement le problème. Mais Alévêque revient à la charge : J'ai l'impression que les libéraux parlent, agissent comme des êtres humains mais à l'intérieur on dirait qu'il y a un robot, une calculatrice en permanence branchée sur la Bourse." Madelin sort sa botte secrète et rétorque : "Moi ce qui m'intéresse ce n'est pas la Bourse mais de donner à des gens en bas de l'échelle des meilleures chances dans la vie."

Ce genre de scène où les hommes politiques sont mis en difficulté par des

artistes est beaucoup plus fréquente chez Thierry Ardisson où les hommes

politiques ne sont que des invités parmi d'autres… Maxime Gremetz s'est ainsi vu

interpeller par le duo comique Eric et Ramzy :

Maxime Gremetz, quand Ardisson lui rappelle qu'il n'était pas opposé

à une intervention de l'Union Soviétique en Afghanistan, rétorque : "Il y a eu des pages glorieuses de notre parti. Les grands intellectuels comme Sartre ont été là-bas et ont dit 'C'est la société nouvelle, glorieuse'". Le comique Eric intervient : "Oui mais il y a eu des erreurs d'intellectuels aussi sur la montée du nazisme, et ça n'excuse rien ! Pourquoi vous restez le Parti Communiste? Pourquoi ne pas changer de nom? Moi quand il y a une erreur comme le stalinisme, je me désolidarise !". Maxime Gremetz, qui s'était plutôt maîtrisé jusqu'ici, explose et devient franchement désagréable : "Staline n'était pas au PCF ! Staline n'était pas français ! Vous le saviez ça?"77

De même, Bernard Bled, proche de Jean Tibéri, s'est vu prendre à parti

par l'actrice Clotilde Coureau au détour d'une interview de Thierry Ardisson sur

le choix du candidat RPR à la mairie de Paris…78

"Concrètement, qu'est-ce qu'il va se passer au RPR, comment on va

choisir le candidat?" s'interroge l'animateur. Bernard Bled, répond en soupirant: "Alors là si vous pouviez m'éclairer…". Clotilde Coureau, assise aux côtés de Bernard Bled, s'emporte soudain : "Mais concrètement qu'est-ce qu'on fait, il y a des écarts de plus en plus grands, il y a de plus en plus de pauvres, alors qu'est ce qu'il fait, là, le RPR, le bidule? Et lui qu'est-ce qu'il fout là? Il

77 Cf. captures 32 et 33 78 Tout le monde en parle, émission du 15 avril 2000

Page 68: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

63

devrait être dans son bureau en train de travailler ! Y'en a marre de nous berner comme ça !"79

Ces interventions d'invités n'appartenant pas au champ politique sont en

outre souvent salutaires car elles peuvent mettre en garde les téléspectateurs sur

les dangers de l'image, de l'impression dégagée par ces hommes politiques qui

apparaissent globalement tous très sympathiques dans ces émissions de

divertissement, quelles que soient les idées politiques qu'ils défendent. Je citerai à

cet égard la mise en garde et la leçon de tolérance de Francis Huster à Christine

Boutin :

"A l'image, vous êtes sympa, vous n'êtes pas du tout fermée, vous avez

une espèce de vérité, de fond, mais je suis content d'être là pour vous dire que ce que vous dites me choque. Je voudrais que vous fassiez œuvre de compassion et compreniez que la parole de Dieu est de tendre la main à l'autre mais pas pour le faire changer…"

Au total, les invités issus des milieux artistiques ont aussi leur mot à dire sur

les hommes politiques, et se montrent très actifs sur le plateau de Tout le monde en

parle. Etre entouré par des stars du show-biz n'est donc pas toujours une partie de

plaisir pour les invités politiques même si certains d'entre eux s'en tirent mieux que

d'autres, à l'instar d'Edouard Balladur qu'Emmanuelle Béart embrasse après

l'évocation des Sans-Papiers de l'Eglise Saint-Bernard80, et de la très dynamique

Françoise de Panafieu : l'humoriste Elie Sémoun lui rappelle qu'il soutient Bertrand

Delanoë et lui demande si c'est pour cette raison qu'elle est plutôt froide avec lui

depuis le début de l'émission. Sans se démonter, Françoise de Panafieu l'invite à

boire un verre après l'émission et finit par le prendre sur ses genoux !81

Ce dernier exemple est significatif de l'attitude des invités politiques face au

côté "divertissement" de ces émissions qui les déstabilise parfois...

79 Cf. Capture 34 en annexe 80 Cf. Capture 35 en annexe 81 Cf. Capture 36 en annexe

Page 69: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

64

2.2.3 par le côté ludique des deux émissions : les trublions face aux clowns tristes de la politique…

Tout le monde en parle et Vivement Dimanche accueillent des hommes

politiques mais sont avant tout des émissions de divertissement. Si les hommes

politiques y discutent plutôt sérieusement de leur vie privée, de leur carrière

politique et de leurs passions, ils doivent également assurer le "show" et suivre le

rythme des émissions ; s'intégrer au mieux à l'univers de chacun des deux

divertissements. Certains y parviennent mieux que d'autres, démontrant de

grandes facultés d'adaptation et se rendant d'autant plus sympathiques aux yeux

du public.

Comme je l'ai déjà montré, chacune de ces deux émissions a un côté très

ludique, assuré dans Tout le monde en parle par le maître des lieux lui-même

souvent secondé par des trublions tels que Laurent Ruquier ou Baffie, et dans

Vivement Dimanche par le trio Masure-Geluck-Miller. Plus les hommes

politiques jouent le jeu de ces "électrons libres", plus leur prestation sera positive

en terme d'image. Avant de se rendre dans de telles émissions les hommes

politiques doivent effectivement s'assurer de la solidité de leur sens de l'humour

et de l'autodérision…De même, ces instants plus légers génèrent parfois des

moments de vérité.

Dans l'émission de Michel Drucker, Gérard Miller a pour mission de

poser les questions les plus incisives aux invités, de susciter en eux l'embarras ;

mais avec la complicité de Bruno Masure et de Philippe Geluck, le très sérieux

psychanalyste fait aussi dans l'humour pour faire passer des messages implicites

aux invités politiques, ce que peu d'entre eux apprécient. Il suggère par exemple à

Edouard Balladur de faire des rituels vaudous avec une poupée à l'effigie de

Philippe Seguin82 ; lors de la venue d'Alain Madelin, on le voit déchirer des

82 Cf. Capture 37-38 en annexe

Page 70: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

65

dossiers pendant que Michel Drucker présente les trois chroniqueurs au leader de

Démocratie Libérale : "Je voudrais faire une émission conviviale et ça fait deux

jours que je déchire tous les papiers avec tous les reproches que je peux faire à

monsieur Madelin, et là, j'avoue que j'ai pris un peu de retard…", s'excuse-t-il.

Alain Madelin rit jaune, mais parvient à tourner la situation à son avantage en

prenant un papier au hasard et en le lisant à haute voix. Il conclut :

"Franchement, Miller, vous ne pouvez pas me faire ce reproche-là!". Même avec

les invités politiques avec lesquelles la connivence est évidente, Gérard Miller se

montre caustique ; Martine Aubry en fait les frais : "Je suis de gauche et ma

grande crainte c'est qu'on me soupçonne de complaisance vis à vis de Madame

Aubry… j'ai donc apporté dans cette mallette tous les dossiers compromettants

pour la Gauche comme le financement occulte de la MNEF… et comme on n'est

jamais assez prudent j'ai aussi amené de la documentation sur les promesses non

tenues de la Gauche…"83 ; au total on remarque que les hommes politiques

réagissent plutôt bien à ces petites provocations de Gérard Miller, ces dernières

étant prétexte à rire. D'autre part, l'ambiance bon enfant qui règne sur le plateau

atténue les effets des critiques de Gérard Miller. Les deux autres chroniqueurs et

Michel Drucker semblent être là pour rappeler que tout cela n'est pas bien

sérieux. Ainsi, Bruno Masure brandit un panonceau "danger haute tension" lors

d'un échange houleux entre Madelin et Miller et lance quelques-uns de ses

fameux jeux de mots pour désamorcer les situations les plus critiques. De même,

l'humour absurde de Philippe Geluck semble très apprécié des invités politiques

parce qu'il contraste avec le cynisme de Miller. Ce dernier demande par exemple

à Arlette Laguillier : "Quelques mois après votre naissance, les troupes

allemandes envahissent la France. Vous ne trouvez pas cette réaction

disproportionnée?. Cette boutade est très significative du style Geluck, un ton qui

ne se veut pas critique et qui permet de faire le contrepoids avec les interventions

très dérangeantes pour les hommes politiques de Gérard Miller.

83 Cf. Capture 39-40-41 en annexe

Page 71: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

66

Au total, l'ambiance sur le plateau dominical de Michel Drucker, malgré

les interventions ironiques parfois très critiques de Gérard Miller, n'affecte pas

l'image des hommes politiques qui parviennent à se maîtriser grâce à la

complicité des autres intervenants et au ton général de l'émission.

Les hommes politiques sont en revanche beaucoup plus déstabilisés par

les "trouvailles" de Thierry Ardisson : j'ai déjà montré qu'il usait et abusait des

"samplers" pour ponctuer les interventions de ses invités.84, et qu'une autre de ses

spécialités était les fameuses "interviews concepts". Un des grands classiques de

l'émission lors de la venue d'hommes politiques est la fameuse interview

mensonge où les invités doivent répondre le contraire de ce qu'ils pensent. Le

concepteur de l'émission la présente ainsi : "Certains invités ne peuvent jamais

avouer, et ceux-là, le meilleur moyen de leur faire dire la vérité, c'est de les faire

mentir !" ; "Vous répondez sans dire la vérité, c'est à dire comme si vous étiez un

vrai homme politique…". A la question "Avez-vous couché pour réussir?",

Françoise de Panafieu répond sans se démonter : "Au moins mille fois, je passe

ma vie à… je me demande même comment je suis encore assise ce soir !"85. De

même, à la question "Y a-t-il encore des boîtes échangistes à Abbeville?", le

député de la Somme Maxime Gremetz semble être contraint de répondre : "Bien

s… euh non, non, il n'y en a plus !"86. Une variante de l'interview mensonge est

l'interview dyslexique : ainsi, Patrick Devedjian, qui s'est prêté au jeu, a dû

répondre en homme de gauche.87

Ces interviews concepts sont parfois de véritables pièges pour les hommes

politiques en dépit de leur aspect ludique. Ainsi, l'interview nulle, qui comme son

nom l'indique comprend des questions assez inintéressantes – "Vous préférez

votre père ou votre mère? Vous accordez plus de circonstances atténuantes à un

vieux qui se tape des jeunes ou à un jeune qui tape sur des vieux? Vous partez sur

84Ibid, p.35 85 Cf. capture 42 en annexe 86 Cf. Capture 43 en annexe 87 Cf. Captures 44-45-46 en annexe

Page 72: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

67

une île déserte. Vous préférez être avec une fille très moche ou un mec très

beau?" – peut générer quelques dérapages chez les invités. Car au milieu de ces

questions auxquels les "victimes" d'Ardisson sont amenées à répondre à un

rythme effréné se cachent des pièges insidieux : ils sont toujours amenés par

l'animateur à se justifier sur leurs réponses parfois trop rapides à des questions

plus sérieuses comme : "Vous préférez un président d'extrême droite élu au

suffrage universel ou annuler les élections?". Quand spontanément, la plupart des

hommes politiques répondent qu'il faudrait dans ce cas annuler les élections,

Ardisson rétorque : "Annuler le processus démocratique, comme en Algérie?

Vous n'êtes pas démocrate, alors?". On s'aperçoit que le divertissement peut faire

naître quelques moments de vérité, plus que les interviews classiques auxquels

les hommes politiques sont plus préparés à répondre… Dans le cas présent, par

exemple, Patrick Braouezec, le maire de St Denis, s'en tire par une pirouette :

"Pas de libertés pour les ennemis de la liberté…"88

Dans son rôle de déstabilisateur, Thierry Ardisson est secondé par des

trublions comme Laurent Baffie ou Laurent Ruquier, qui eux, au contraire de

l'animateur qui s'efforce de cloisonner les interviews sérieuses et les questions

plus ludiques, interviennent à tout moment de l'émission pour déstabiliser

davantage ces hommes politiques très austères. Ainsi, alors que Thierry Ardisson

rappelle les scores successifs de Laguillier aux Présidentielles Ruquier enchaîne :

"Les mathématiciens ont prévu qu'à ce rythme-là elle serait élue en 2097…" A

cette saillie Laguillier répond : "Les sciences exactes ne tiennent pas compte des

sentiments". De même, lors d'une émission avec Daniel Cohn Bendit, Laurent

Ruquier demande à l'ancien leader de Mai 68 une précision : "Les Européennes,

redites-moi, c'est le 13…? " Daniel Cohn-Bendit répond : "Juin" Ruquier s'en

amuse : "Vous voyez, il dit pas Juin mais "Joint"… ".

Depuis le départ de Laurent Ruquier, c'est surtout Baffie qui tient le rôle

du trublion dans Tout le monde en parle. Par exemple il accueille Christine Boutin 88 Tout le monde en parle, émission du 14 avril 2001

Page 73: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

68

avec un bouquet de fleurs et ajoute aussitôt : "C'est bon, on peut la faire chialer

maintenant…" 89Il offre ensuite à Ardisson la panoplie "Christine Boutin" avec

kleenex pour pleurer et Bible en bonus90, ce qui ne manque pas de déstabiliser la

députée UDF qui savait pourtant à quoi s'en tenir en venant dans une telle

émission. Michel Rocard se laisse surprendre par les interventions de Baffie, ne

comprenant visiblement pas le rôle de l'humoriste dans l'émission, mais finissant

par se prêter au jeu : quand il se félicite qu'enfin quelqu'un, en l'occurrence

Ardisson, range la CSG parmi les choses positives qu'il a réalisées pendant son

mandat de Premier Minstre - "C'est prodigieux : Vous venez de me faire un plaisir

formidable ! " - , Baffie tempère son enthousiasme : "Attends, il est défoncé, là…"

Puis, lorsqu'Ardisson évoque le cas Balladur, Baffie commente à l'intention de

Michel Rocard : "Vous devriez fonder un syndicat des mecs qui ont failli devenir

président de la République, vous deux…" Enfin, quand l'ancien Premier Ministre

évoque ses premières amours : "Mes premières amours furent protestantes…",

Baffie s'inquiète : "Elles étaient pas d'accord?"

Au total, il apparaît que le rôle de ces trublions, plus particulièrement dans

Tout le monde en parle, et d'éviter aux hommes politiques d'avoir trop de marge

de manœuvre pour se présenter à leur avantage : ils sont d'une part là pour

rappeler que tout ceci n'est pas sérieux et qu'il s'agit avant tout d'une émission de

divertissement, mais aussi pour déstabiliser les hommes politiques et ainsi révéler

aux téléspectateurs une image d'eux sûrement plus proche de la réalité puisque

sortant de la construction identitaire habilement préparée avant leur passage dans

ces émissions.

Si chacune de ces deux émissions permet donc aux hommes politiques de

mettre en avant leurs qualités personnelles, soigneusement sélectionnées en

fonction de l'image qu'ils souhaitent renvoyer à un moment donné dans le champ

politique, ils n'en demeure pas moins que par de nombreux aspects elles ne

89 Cf. capture 46 en annexe 90 Cf. capture 47 en annexe

Page 74: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

69

permettent pas aux hommes politiques de se présenter complètement à leur

avantage, la "dilution" du politique dans le divertissement ayant la plupart du

temps des effets déstabilisants sur eux et réduisant leur marge de manœuvre dans

leur présentation de soi.

Il apparaît que les effets des prestations d'hommes politiques dans des

émissions de divertissement ne sont par conséquent pas totalement positifs, ni

pour le champ politique qui perd davantage en crédibilité ni pour les

téléspectateurs qui ne sont pas tous entièrement dupes…

Page 75: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

70

CHAPITRE 3 :

LES EFFETS DE LA PARTICIPATION DES HOMMES POLITIQUES AUX EMISSIONS DE DIVERTISSEMENT

SUR LE CHAMP POLITIQUE ET SUR L'OPINION PUBLIQUE

J'ai montré dans un premier temps que l'apparition de ces émissions de

divertissement où étaient conviés de façon régulière des hommes politiques

correspondait à une évolution des rapports de force entre le champ politique,

l'opinion publique et plus particulièrement l'ensemble des téléspectateurs et le

média télévisuel. Les très bons scores d'audience réalisés par chacune des deux

émissions sur lesquelles j'ai choisi de me concentrer viennent confirmer le fait que

leurs concepts respectifs répondent indéniablement à cette nouvelle configuration

des rapports de force entre les trois pôles du triangle ainsi constitué.

Cependant, après avoir étudié les prestations des hommes politiques dans

chacun de ces divertissements, il est nécessaire de s'intéresser aux effets de cette

nouvelle stratégie médiatique des personnalités du monde politique sur le champ

politique lui-même, mais également la portée réelle de ce phénomène sur les

téléspectateurs, qui est à relativiser. Je verrai donc dans un premier temps quels

effets ce processus de dilution de la politique dans des formats aussi légers que les

émissions de divertissement ont eu sur le discours politique et plus généralement

dans le champ politique, ainsi que sur la perception que l'opinion publique a de la

Page 76: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

71

classe politique ainsi mise en scène, ce qui m'amènera logiquement à étudier les

effets concrets de la présence d'hommes politiques dans ces émissions de

divertissement sur les téléspectateurs : un excellent score à l'Audimat fait-il

effectivement une élection?

3.1 Les conséquences de la dilution du politique dans le divertissement

J'ai montré dans la première partie que le média télévisuel avait

révolutionné les relations entre l'opinion publique et le champ politique en

introduisant une nouvelle dimension dans les rapports entre ces deux pôles :

l'image. La présence d'hommes politiques dans des émissions de télévision

n'appartenant pas au champ politique pose de nouveaux problèmes car auparavant,

lorsque les hommes politiques se rendaient dans des émissions de télévision,

c'était le plus souvent pour y parler très sérieusement de politique. Certes dès le

moment où les leaders politiques ont commencé à passer à la télévision, ils ont

pris conscience de l'importance de l'image, de l'impression donnée au

téléspectateur. Néanmoins, cette attention portée à l'image n'occultait pas encore

complètement le discours politique, et l'enjeu des passages à la télévision était

encore de faire passer au plus grand nombre un message avant tout politique.

Le problème posé par des émissions de divertissement comme Vivement

Dimanche et Tout le monde en parle, où se rendent en masse les ténors de la

classe politique, c'est que bien qu'on y parle un peu politique, l'objectif semble

avant tout être pour les hommes politiques de se présenter sous le meilleur jour

Page 77: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

72

possible à un électorat peu compétent politiquement, et peu réceptif aux discours

politiques traditionnels. J'ai montré que cela passait par une construction

identitaire et une présentation de soi très poussées. La première conséquence de ce

phénomène de dilution de la politique dans le divertissement est la victoire

indéniable de l'image sur le contenu, de l'impression donnée sur le nécessité de

convaincre. Il est très clair que les hommes politiques qui se rendent dans ces

émissions préfèrent être aimés que compris, et leur discours politique se vide par

conséquent de toute sa substance à force de vouloir atteindre le plus grand

nombre.

Par ailleurs, ce phénomène serait encore assez bénin s'il existait encore à la

télévision des lieux où les hommes politiques pourraient parler sérieusement et à

une heure de grande écoute des programmes de leurs partis et de leurs projets

politiques, reprenant ainsi leur fonction initiale de porte-parole de leur

mouvement s'adressant à des citoyens compétents politiquement. Mais les

émissions purement politiques, comme je l'ai déjà montré, sont reléguées à des

heures de faible écoute ou sur des chaînes du câble au public encore plus

confidentiel. Les téléspectateurs, aux heures de grande écoute, n'ont l'occasion

d'apercevoir des hommes politiques que dans des émissions de divertissement, ou

parfois au journal de 20 heures où ils n'ont que quelques minutes pour exprimer

leur pensée. Or ces deux types de programmes privilégient les "stars" de la

politique aux personnalités moins connues du grand public, ce qui provoque une

véritable scission du champ politique et un déséquilibre profond en matière de

temps de parole entre ces deux catégories d'hommes politiques.

Enfin, conséquence des deux points que je viens d'évoquer, la participation

massive des hommes politiques à ces émissions de divertissement où ils discutent

Page 78: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

73

de tout et de n'importe quoi, où la mise en scène de leur personnalité est évidente,

peut avoir des effets pervers et être fatale à la crédibilité même d'une partie de la

classe politique…

3.1.1 Un discours politique éclipsé par la forme de ces émissions

Le premier problème posé par la participation des hommes politiques à des

émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement

Dimanche, c'est que le format même de ces émissions l'emporte sur le fond, à

savoir le discours politique à proprement parler. Certes, l'étude du contenu de ces

deux émissions a montré que les hommes politiques y parlaient de politique, mais

pas selon les mêmes modalités que dans les émissions politiques traditionnelles. Il

apparaît clairement que le discours est simplifié pour mieux atteindre les publics

qui regardent chacune de ces deux émissions.

Il en résulte un appauvrissement du discours politique et une

prédominance nette de l'image, de l'apparence, sur le contenu. En jouant de la

guitare et en poussant la chansonnette chez Thierry Ardisson, en effectuant

quelque tour de passe-passe chez Michel Drucker, quel message veulent faire

passer les hommes politiques, sinon qu'ils sont éminemment sympathiques et pas

si différents du commun des mortels? Le but non avoué mais évident des hommes

politiques est d'améliorer leur image personnelle, plutôt que de faire passer un

contenu. Ils perdent donc leur fonction de porte-parole d'un mouvement au profit

de celle de star des médias. Pour conquérir l'électorat flottant, le moins réceptif

Page 79: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

74

aux messages trop idéologiques ou trop programmatiques ils utilisent la séduction

par l'image.

En réalité, les hommes politiques doivent adapter le discours politique

traditionnel aux exigences du discours télévisuel, qui possède ses propres codes,

et introduit la dimension supplémentaire de l'image. Qui plus est, lorsqu'ils se

rendent dans les émissions de divertissement, ils doivent intégrer les codes

inhérents à ces émissions pour faire passer au mieux le message qu'ils portent. Ils

doivent s'intégrer au spectacle pour que leur prestation soit réussie. S'ils

choisissent d'être présents dans de telles émissions ils doivent en accepter les

règles pour optimiser les retombées de leurs prestations. J'ai évoqué dans le

deuxième chapitre les difficultés qu'éprouvaient certains hommes politiques à

s'adapter au côté "divertissement" de ces deux émissions. Je citerai à cet égard un

exemple éloquent. Thierry Ardisson a invité sur le même plateau deux

personnalités extrêmement opposées politiquement: Arlette Laguillier et

Françoise de Panafieu91. Lors de l'entrée de ces deux protagonistes sur le plateau,

Arlette Laguillier l'emporte largement à l'applaudimètre, compte tenu de sa

popularité et du fait que Françoise de Panafieu n'est pas encore très connue du

grand public. Pourtant, à la fin de l'émission, c'est Panafieu qui semble avoir

remporté ce combat de popularité parce qu'elle s'est complètement adaptée aux

codes de l'émission. Lors de l'interview croisée des deux femmes, aucune ne se

détache encore vraiment puisqu'interrogées sur des questions politiques sérieuses,

elles présentent leurs arguments de façon convaincante. Après cette interview,

Thierry Ardisson propose un défi aux deux invitées : Arlette Laguillier la

militante inusable doit enfiler une veste Chanel et Françoise de Panafieu

l'aristocrate un blouson de cuir. Malgré les efforts de l'animateur, Arlette

91 Tout le monde en parle, émission du 3 avril 1999

Page 80: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

75

Laguillier se montre très réticente à accepter le défi et fini même par refuser

catégoriquement. Françoise de Panafieu l' encourage d'ailleurs dans cette voie en

prenant Thierry Ardisson à partie : "Elle a raison, c'est pas un porte-manteau !".

Cependant, l'ex-Juppette ne rechigne pas à enfiler le blouson de cuir qu'on lui

propose et adopte même le langage de circonstance. Laurent Ruquier commente

alors : "Là Arlette, vous dégringolez dans les sondages !". Le public applaudit,

Ruquier se lève et embrasse Françoise de Panafieu92 : en l'espace d'une demi-

heure Françoise de Panafieu a accédé au rang de personnalité politique grâce à ce

baptême médiatique qui a certainement plus marqué les esprits que les quelques

idées politiques qu'elle a essayé de vendre avant d'enfiler son perfecto.

Cette scène témoigne du pouvoir de l'image, de la nécessité de s'adapter

aux codes télévisuels prédominants d'une époque donnée pour ne pas sombrer

dans l'anonymat politique. En acceptant les règles du jeu concocté par Ardisson,

Françoise de Panafieu a certainement pu se singulariser et même éclipser une

figure de la politique aussi populaire qu'Arlette Laguillier qui tout au long de cette

émission est restée étonnamment silencieuse.

Au total, les hommes politiques doivent adapter leur discours aux codes du

média télévisuel, avec comme corollaire la prédominance de l'image, ce qui

appauvrit déjà considérablement le contenu de ces discours. Quand qui plus est ils

se rendent dans des émissions de divertissement, ils doivent intégrer d'autres

codes qui dépendent de la nature même de l'émission pour espérer marquer le

public le plus large possible. La forme finit par éclipser totalement le fond, qui

n'occupe plus qu'une place secondaire.

92 Cf. captures 47, 48, 49, 50 en annexe

Page 81: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

76

Cette folklorisation93 de la vie politique constitue sans doute un certain

danger pour la démocratie puisqu'elle favorise les hommes et femmes politiques

qui passent le mieux à l'écran, ce phénomène s'ajoutant aux effets de la

personnalisation de la vie politique, ce qui provoque un schisme supplémentaire

au sein du champ politique…

3.1.2 Un schisme suplémentaire au sein du champ politique

Il apparaît donc que les hommes politiques qui refusent de s'adapter aux

codes dominants du média télévisuel prennent le risque d'être exclus de ce sous-

champ du champ médiatique qui touche le plus grand nombre de personnes. Les

hommes politiques et leurs partis se trouvent en face d'un dilemme : s'ils refusent

de s'intégrer à l'univers du spectacle, ils gagneront peut-être en crédibilité parce

qu'ils auront fait le choix de ne pas dénaturer leur discours politique pour l'adapter

aux exigences du média télévisuel. En revanche, le risque en terme de popularité

est réel, d'autant plus que le public touché sera moins conséquent.

Le jeu politique s'était déjà largement déplacé dans le champ médiatique et

plus particulièrement à la télévision dès les années 70, à l'âge d'or des grandes

émissions politiques et des grands débats télévisés. Aujourd'hui, lors des

campagnes électorales, l'événement politique se déroule avant tout sur les

plateaux de télévision. Comme le remarque Roland Cayrol, une partie des corps

intermédiaires traditionnels, parlementaires ou militants se trouvent ainsi

93 Terme employé par Pierre-Luc Séguillon dans l'émission Arrêts sur images (février 2000)

Page 82: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

77

dépossédés de leur rôle antérieur. Hors des grandes périodes électorales, la

téléprésence94 s'avère plus importante pour certains députés que la présence

effective à l'Assemblée Nationale. Pour exister politiquement, il faut être présent à

la télévision, et plus particulièrement dans les émissions à même de toucher le

public le plus large possible ; or aujourd'hui, alors que les émissions purement

politiques sont reléguées aux heures de faible écoute, ce sont les émissions de

divertissement qui s'avèrent être les plus à même de remplir ce rôle…

Le danger est réel. La télévision semble opérer un déplacement total de la

représentation politique. Ce qui est le plus préoccupant, c'est que seules les

personnalités les plus affirmées et les plus populaires ont aujourd'hui droit de cité

sur le petit écran, puisque l'évolution même des formats d'émissions proposées

aux hommes politiques vers le divertissement privilégie les hommes et femmes

politiques les plus télégéniques et les mieux à même de s'adapter aux codes

spécifiques, aux univers de chaque émission. Le travail des députés, des militants

de base est éclipsé par ces vedettes qui discréditent leurs formations politiques en

abandonnant la rhétorique de mobilisation au profit d'une esthétique de la

séduction. On assiste donc à un véritable schisme dans le champ politique, en

même temps que se dessine un réagencement des processus de légitimation

traditionnels : la télévision, dans ses formes les plus spectaculaires, semble ouvrir

la porte à un cursus inédit d'accès au pouvoir, puisque la légitimité des nouvelles

figures de la politique semble plus que jamais procéder directement de la

popularité qu'elles entretiennent en apparaissant dans des émissions de

divertissement. Le cas précédemment évoqué de Françoise de Panafieu est

éloquent : quasi-inconnue avant sa prestation remarquée dans Tout le monde en

parle, elle est devenue en quelques mois la coqueluche des médias séduits par son

94 L'expression est de Patrick LECOMTE, op.cit.

Page 83: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

78

franc-parler et son style chic et choc. Finalement, la constitution d'une aura

médiatique devient un préalable indispensable à la reconnaissance par les

militants du parti.

Cette scission au sein du champ politique entre les hommes politiques les

plus télégéniques et les autres est encore aggravée par le fait que les émissions

politiques traditionnelles, où les membres de la seconde catégorie pouvaient

encore s'exprimer, sont reléguées à des heures de faible écoute ou sur les chaînes

du câble et du satellite à l'audience encore plus confidentielle. Pour tenter de

doper leur audience, les émissions politiques traditionnelles tendent donc à

convier plus de "vedettes" politiques – celles-là mêmes qui font les beaux jours

des émissions de divertissement – au détriment des figures moins connues du

grand public. Et comme la télévision "fait" l'événement politique, que le jeu

politique semble s'y être largement installé depuis quelques années, il apparaît

qu'il existe un déséquilibre extrêmement préoccupant entre ceux qui ont le droit à

la parole et ceux qui sont de plus en plus marginalisés, rejetés du média télévisuel.

Mais comme je le montrerai plus tard, inversement, l'omniprésence de

certains hommes politiques à la télévision peut jouer contre eux car les

téléspectateurs ne sont pas entièrement dupes et semblent peu à peu prendre

conscience des stratégies de séduction sous-jacentes aux prestations télévisées des

"stars" de la politique.

Outre le schisme que cette tendance à la vedettisation par le biais de la

présence des hommes politiques dans les émissions de divertissement opère dans

le champ politique, on peut également se poser la question de la crédibilité de la

Page 84: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

79

classe politique quand certains de ses membres abusent des ressorts du

divertissement pour séduire les téléspectateurs

3.1.3 Une menace supplémentaire sur la crédibilité de la classe politique

Comme je l'ai déjà montré, la classe politique française souffre d'un déficit

de popularité auprès des citoyens : elle suscite la méfiance et au mieux, l'ennui. Si

la participation des hommes politiques aux émissions de divertissement peut

atténuer l'ennui provoqué par les professionnels de la politique au sein de la

population française, elle ne constitue certainement pas un remède à son déficit en

crédibilité.

Je l'ai déjà montré à plusieurs occasions, pour optimiser leur performance

télévisuelle dans les émissions de divertissement, les hommes politiques ont tout

intérêt à montrer leurs facultés d'adaptation aux codes constitutifs de chaque

émission. Ainsi, chez Drucker, le discours est courtois, l'humour léger mais dans

la mesure du possible jamais vulgaire, tandis que chez Thierry Ardisson, il est

préférable de "se lâcher", de se montrer plus franc et corrosif. Le danger, pour les

hommes politiques est donc, à trop vouloir s'adapter à l'environnement de chaque

émission, d'en perdre la cohérence de leur discours et de se contredire d'une

émission à une autre…

L'exemple le plus éloquent est sans doute celui de Philippe Douste-Blazy,

invité à quelques mois d'intervalles dans les deux émissions, et pris en flagrant

Page 85: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

80

délit de mensonge par le téléspectateur assidu de ces deux divertissements.

L'émission de Thierry Ardisson a été diffusée le 17 avril 1999 et celle de Michel

Drucker, entièrement consacrée au centriste, le 16 janvier 2000. Dans les deux

émissions, l'agression au poignard de Philippe Douste-Blazy par un déséquilibré

est abordée. Dans Tout le monde en parle, l'ancien ministre évoque très

calmement cet épisode dans un récit assez détaillé de l'événement. Quelques mois

plus tard, Michel Drucker interroge le centriste sur ce sujet délicat. Douste-Blazy

déclare alors : "C'est la première et le dernière fois que je raconterai ce qui s'est

passé parce que c'est quelque chose de très intérieur, de très particulier pour

moi…". Or l'homme politique fait presque mot pour mot le même récit que sur le

plateau de Thierry Ardisson, à ceci près qu'il y ajoute une dimension dramatique

qui était moins perceptible dans Tout le monde en parle. Le récit est en effet plus

vivant, Douste-Blazy le raconte avec une émotion palpable, reproduit les gestes de

son agresseur, et balbutie même au souvenir de ce moment très difficile.95 A la

suite de ce récit, l'assistance est médusée, le silence règne sur le plateau. Si cette

agression a effectivement dû être une épreuve très difficile pour l'ancien ministre,

on note une nette différence de ton et de degré de dramatisation chez Ardisson et

chez Drucker et surtout une contradiction entre les deux émissions puisqu'il assure

la primeur du récit à Drucker alors qu'il l'avait déjà raconté quelques mois

auparavant chez Ardisson.

A force de jouer les caméléons en s'adaptant trop aux codes des émissions

où ils se rendent, les hommes politiques perdent donc beaucoup de leur crédibilité

par leurs contradictions et les incohérences de leur discours d'une émission à

l'autre, comme le montre cet exemple éloquent. Je citerai encore l'exemple de

Philippe Douste-Blazy, qui dans l'émission de Michel Drucker se montre très

95 Cf. Captures 51, 52 et 53

Page 86: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

81

courtois à l'endroit de son meilleur ennemi, François Bayrou : "On est tous les

deux des Pyrennées, on est tous les deux fans de rugby et on sait que pour

marquer des essais il faut être ensemble…". Pourtant, six mois plus tôt, Philippe

Douste Blazy avait répondu de façon beaucoup plus ironique à Thierry Ardisson

sur la question de ses relations avec François Bayrou. L'animateur lui avait

demandé si son surnom était vraiment "le Mégret de Bayrou" Douste avait alors

répondu par la négative, mais avec une certaine ironie : "Non, ce n'est pas vrai. Il

m'a dit que nous étions des amis de 100 ans parce que mon grand-père soignait

sa grand-tante. Il a quand même ajouté : "Elle est morte jeune…"

Ainsi, la surexposition des hommes politiques à ce type de divertissement

peut avoir des effets très négatifs sur leur crédibilité car à trop vouloir s'adapter au

ton des émissions concernées, donc à trop jouer un rôle ils finissent par être pris

au piège de leurs propres incohérences. Le cas de Philippe Douste-Blazy n'est

qu'un exemple parmi d'autre. Seuls les téléspectateurs les plus attentifs peuvent se

rendre compte de telles incohérences, mais de façon globale, l'ensemble des

téléspectateurs est-il dupe du spectacle offert par les hommes politiques dans les

émissions de divertissement?

3.2 Les effets sur les téléspectateurs

Il apparaît qu'au centre des préoccupations des ténors de la politique

participant aux émissions de divertissement et de celles des grandes chaînes de

télévision qui choisissent de les programmer, il y a un seul objectif : capter

Page 87: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

82

l'attention du maximum de téléspectateurs. Quels sont les effets concrets des

prestations d'hommes politiques dans des émissions de divertissement sur ces

derniers?

Les hommes politiques croient y jouer un rôle à leur avantage, vendre une

image capable de séduire ces électeurs potentiels qui regardent en masse ces

émissions. Leur important travail de construction identitaire et de présentation de

soi, par ses modalités mêmes, est entièrement tourné vers les populations

regardant les émissions concernées. Il apparaît que les hommes politiques se

présentent, agissent, parlent en fonction du public visé et s'entourent en outre, par

exemple dans l'émission de Michel Drucker, de figures plutôt populaires du

cinéma ou de la chanson pour mieux capter son attention. Il s'agit donc

indéniablement d'une vaste opération de séduction envers les téléspectateurs-

électeurs. Ces derniers sont-ils vraiment dupes de l'image que les hommes

politiques veulent leur imposer en leur faisant croire qu'il s'agit de la réalité, ou

bien sont-ils conscients du travail de sélection, de recomposition et de

réorchestration réalisé en amont?

Certes, dans un premier temps on peut penser qu'il s'agit d'une excellente

stratégie pour séduire le "marais", cet électorat flottant dont la principale source

d'information reste la télévision, que d'utiliser des codes familiers pour lui en se

rendant dans des émissions qu'il apprécie particulièrement. L'attention du

téléspectateur a en effet plus de chance d'être fixée si la prestation de l'homme

politique est "diluée" dans un format s'apparentant plus au divertissement qu'à une

émission politique traditionnelle. D'autre part, on peut penser que la participation

des hommes politiques aux émissions de divertissement est plutôt positive

puisqu'elle désacralise la politique et l'ouvre au-delà du cercle restreint des

Page 88: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

83

individus capacitaires. Cependant, au regard du contenu peu politique de ces

émissions, on peut s'interroger sur leurs effets réels sur les électeurs : est-ce que

les prestations des hommes politiques dans les divertissements ne jouent pas

justement contre eux, et les résultats aux dernières élections municipales ne sont-

ils pas le signe d'une véritable rejet de la politique-paillettes de la part d'une

grande majorité des citoyens français, en dépit des bons scores d'audience réalisés

par les émissions concernées?

3.2.1 Un excellent moyen de contrer les effets de l'exposition sélective aux médias…

J'ai démontré dans la première partie que si les hommes politiques se

rendaient aujourd'hui en masse dans les émissions de divertissement et si les

animateurs de ces dernières les invitaient régulièrement, c'était avant tout parce

que les rapports de force au sein du triangle constitué par le champ politique, le

média télévisuel et l'opinion publique avaient évolué en faveur d'une dilution de la

politique dans des formats plus légers.

Il apparaît que l'hypothèse selon laquelle se rendre dans de telles émissions

permettrait aux hommes politiques de contrer les effets nocifs de l'exposition

sélective aux médias est amplement vérifiée au regard des chiffres d'audience de

programmes tels que Tout le monde en parle et Vivement dimanche, qui

démontrent que les prestations télévisées des hommes politiques dans les

divertissements sont très suivies par les téléspectateurs. Cela rejoint l'hypothèse

selon laquelle le type et le degré d'influence d'un message émis par un média

Page 89: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

84

peuvent varier en fonction même de la présentation et de la forme qui est donnée à

ce message. L'attention à une information est très largement motivée par la

relation, personnelle ou sociale que l'individu posté devant sa télévision entretient

avec cette information. Ainsi, il est évident qu'un individu peu compétent

politiquement ne va pas regarder une émission politique traditionnelle, animée par

des journalistes politiques parlant très sérieusement de politique avec … des

hommes politiques : ils se sentiront d'emblée rejetés et peu concernés par ce qu'il

se passe à l'écran.

En revanche, les individus les moins compétents politiquement

apprécieront les prestations des hommes politiques dans les émissions de

divertissement. D'une part, la forme même de ces émissions est beaucoup moins

rébarbative que celle des émissions politiques traditionnelles. D'autre part, les

hommes politiques y parlent beaucoup moins politique que dans les émissions

politiques traditionnelles, même si comme j'ai pu le montrer le discours politique

n'est pas complètement occulté dans les divertissements, et beaucoup plus des

aspects les plus quotidiens de leur vie: on y apprend que Martine Aubry et

Edouard Balladur font leur marché comme le commun des mortels ; que Michel

Rocard a beaucoup souffert de ces deux divorces successifs et qu'il veut bien

admettre qu'il a une part de responsabilité dans l'échec de sa vie affective ;

qu'Alain Madelin aime les chiens comme vous et moi ; bref, un amas de détails

insignifiants et monstrueusement inintéressants qui captivent pourtant le grand

public, ainsi renvoyé à des situations qu'il vit lui-même au quotidien. En réalité,

les images que reçoivent les téléspectateurs ont plus à voir avec l'émotion qu'avec

la raison. Chacun, individuellement, va décrypter le message envoyé en filtrant et

triant le flux d'images qui lui est transmis et en sélectionnant et intégrant celles qui

Page 90: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

85

entrent le mieux en résonance avec les représentations constitutives de son propre

imago96.

Le travail de représentation et de construction identitaire des hommes

politiques qui se rendent dans les émissions de Michel Drucker et de Thierry

Ardisson, loin de donner un sentiment d'artifice, va au contraire en raison de la

distance géographique et de la présence d'intermédiaires technologiques s'imposer

comme étant la réalité. Le montage des petits reportages à la gloire de chacun des

invités de Michel Drucker, par exemple, laisse penser que les réactions la plupart

du temps enthousiastes des commerçants sont naturelles et unanimes alors qu'il est

évident qu'un important travail de montage est réalisé en amont. Cependant ce

même montage est réalisé de telle façon à ce que le téléspectateur croit que ces

réactions ont été piquées sur le vif, offrant le visage d'une spontanéité naturelle.

Ainsi, d'une part, les hommes politiques ont toutes les chances de capter

l'attention des téléspectateurs en se rendant dans des émissions de divertissement

car ils y discutent à la fois de politique et de choses renvoyant plus à la vie

quotidienne donc plus à même d'intéresser les individus les moins compétents

politiquement. Ils s'y présentent en effet comme des citoyens comme les autres et

les interviews s'intéressent en grande partie à leur vie quotidienne, ce qui renvoie

les téléspectateurs à des situations qu'eux-mêmes peuvent être amenés à

rencontrer chaque jour. Ces moments d'intimité saisis sur le vif mais en réalité

soigneusement mis en scène permettent de mieux faire passer un contenu

politique puisque l'attention du téléspectateur aura auparavant été fixée.

Cependant, on peut émettre quelques doutes quant à la faculté de mémorisation

96 Cf. Patrick LECOMTE, op.cit

Page 91: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

86

des individus non compétents politiquement de ces petits messages politiques

dilués dans une prestation largement dévolue au divertissement…

Donc a priori, ces émissions de divertissement où se pressent les hommes

politiques auraient un effet extrêmement positif sur les téléspectateurs qui les

regardent d'ailleurs en masse. Cependant, ne doit-on pas nuancer cette perception

de l'individu exposé au spectacle des hommes politiques dans les émissions de

divertissement comme dénué de tout sens critique ? Et d'autre part, n'est-ce pas

trop simpliste de la part des hommes politiques de penser que le téléspectateur qui

passe un moment agréable devant leur prestation télévisée deviendra de façon

systématique l'électeur qui votera pour eux lors de la prochaine échéance

électorale?

3.2.2 Le téléspectateur ne fait pas l'électeur…

Les théories sociologiques qui s'intéressent à l'influence de la télévision

sur les individus se partagent en deux grands groupes : celles qui montrent que ce

média, par le rapport émotif et immédiat qu'il génère, plonge le téléspectateur

dans un état d'hypnose et le vide de tout sens critique. Si on se réfère à ce type de

théorie, on peut penser que la présence d'hommes politiques dans des émissions

de divertissement permet, outre de limiter les effets négatifs de l'exposition

sélective aux médias, de capter l'attention du téléspectateur et de séduire de façon

optimale l'électeur potentiel.

Page 92: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

87

Cependant n'est-ce pas supposer l'absence de tout esprit critique de la part

des téléspectateurs qui regardent les hommes politiques dans des émissions de

divertissement? En premier lieu, leur présence dans ce type de programme n'est

pas naturelle. D'ailleurs, j'ai longuement montré que de nombreuses personnalités

du monde politique peinaient à trouver leur place dans le côté ludique et léger de

ces émissions. Les téléspectateurs, et en premier lieu les plus habitués à regarder

des émissions de divertissement, s'interrogent forcément sur la pertinence de la

présence de ces hommes et femmes politiques dans de tels programmes. En outre,

comme le suppose Roland Cayrol, le citoyen-téléspectateur n'est pas "vierge et

nu" devant la communication politique.97. Il apparaît que tout un chacun possède

les armes critiques suffisantes pour juger de l'artificialité de la présentation des

hommes politiques dans de telles émissions. Evidemment, en s'adressant à l'affect

des téléspectateurs, en se présentant dans des situations quotidiennes et en

s'entourant de figures populaires de milieu artistique, les hommes politiques ont

toutes les chances de capter l'attention des téléspectateurs. Mais du téléspectateur

à l'électeur, un grand pas reste encore à franchir.

Les téléspectateurs voient se succéder sur les plateaux des dizaines

d'hommes politiques, qui leur apparaissent globalement tous très sympathiques,

qui leur font bonne impression, quelle que soit leur orientation politique. Même

lorsque ces derniers perdent leur sang-froid face aux attaques des animateurs les

plus impertinents et les moins complaisants, ils paraissent à leur avantage parce

qu'en quelque sorte ils passent dans le camp des victimes. Or le public a toujours

tendance à avoir plus de sympathie pour les attaqués que pour les attaquants.

Cependant, à force de voir se succéder les personnalités politiques sur les plateaux

de ces émissions dont la vocation première n'était pas d'accueillir ces hommes et

97 Cf. Roland CAYROL, op.cit., p.161

Page 93: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

88

ces femmes en quête d'un gain de popularité, les téléspectateurs finissent par

comprendre les enjeux sous-jacents et sentent que tout un travail de construction

identitaire et de présentation de soi est réalisé en amont…

Or, dans un article au titre éloquent, "Ce que tu es parle si fort qu'on

n'entend plus ce que tu dis"98, Jean-Louis Parodi a montré qu'au total, les citoyens

faisaient peu de cas du travail de communication politique effectué par les

hommes et les femmes politiques. Ainsi, deux ans avant l'élection présidentielle

de 1988 la structure des opinions était déjà constituée et n'a presque pas bougé

jusqu'à l'élection. Tous les efforts de communication politique réalisés par les

équipes des candidats n'auront finalement eu qu'une faible influence sur les

électeurs les plus indécis. L'élection de Jacques Chirac en 1995 est plus

problématique à cet égard. La presse a largement diffusé l'idée selon laquelle

Jacques Chirac aurait été élu grâce à sa marionnette des Guignols de l'info qui

durant les deux années précédant l'élection présidentielle – tout le monde se

rappelle du fameux "Putain, deux ans !" - a été présenté comme un outsider de la

politique trahi par "son ami de trente ans" Edouard Balladur, ce qui évidemment a

rendu le vrai Jacques Chirac très populaire dans l'opinion publique française. Mais

le cas Chirac est en réalité beaucoup plus complexe. Si sa marionnette l'a

indéniablement rendu extrêmement sympathique, il a surtout gagné les élections

sur le terrain, en allant à la rencontre des Français et en serrant des milliers de

mains. Et comme le rappelle Daniel Schneidermann dans un article publié dans Le

Monde99, ce sont précisément ces mains-là qui plient le bulletin de vote et le

rangent dans l'enveloppe. Les dernières élections municipales illustrent de façon

éloquente cette différence profonde entre le téléspectateur qui regarde avec plaisir

98 Revue Hermes 99 Daniel SCHNEIDERMANN, "Secondes mains", Le Monde Télévision, 17 mars 2001

Page 94: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

89

plus qu'avec intérêt ces émissions de divertissement où se rendent des hommes

politiques et l'électeur qui glisse son enveloppe dans l'urne…

J'ai montré que la présence d'hommes politiques dans les émissions de

divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement Dimanche était loin

d'être innocente et s'inscrivait indéniablement dans une stratégie politique bien

définie100, le plus souvent électorale. Ainsi, dans l'émission de Michel Drucker, où

le contrôle de l'image est de la présentation de soi est le plus aisé, on a vu se

succéder, pendant la période d'un an et demi précédant les Municipales : Martine

Aubry, future candidate à la Mairie de Lille ; Elisabeth Guigou, candidate à la

mairie d'Avignon ; Catherine Trautmann, maire de Strasbourg et candidate à sa

propre succession ; Jack Lang, maire de Blois, et au moment de son passage dans

l'émission "candidat à la candidature" à la mairie de Paris ; Philippe Seguin, qu'on

ne présente plus, ou encore Philippe Douste-Blazy, successeur désigné de

Dominique Baudis à la mairie de Toulouse. Il apparaît donc qu'aujourd'hui, passer

dans l'émission de Michel Drucker fait partie intégrante de la stratégie médiatique

pré-électorale. On s'y fabrique une aura médiatique qui est censée séduire

durablement les électeurs potentiels postés devant leur télévision.

Mais comme le fait très justement remarquer Daniel Schneidermann, rien

n'est plus trompeur qu'un triomphe à l'Audimat : "Direction poubelle, les vedettes!

La bouche avait bien ri en regardant Vivement Dimanche avec Elisabeth Guigou ;

la main fait de la résistance. Et la voilà qui plie soigneusement le bulletin de

l'adversaire, celui qui n'a jamais rompu les lances de Gérard Miller. Au moment

décisif, la main, c'est humain, votera plus volontiers pour le candidat qui l'a

plusieurs fois serrée, dans la rue piétonne, aux inaugurations…". Il apparaît donc

100 Ibid, p.56 et suivantes

Page 95: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

90

que cette aura médiatique soigneusement constituée par les hommes et les femmes

politiques participant aux émissions de divertissement en croyant que cela suffira

à séduire durablement les électeurs potentiels ne peut pas remplacer le contact

direct avec ces citoyens beaucoup plus raisonnables qu'on ne le pensait, et plus

sensibles au travail de terrain qu'au théâtre des apparences soigneusement mis en

scène dans Vivement Dimanche et dans Tout le monde en parle.

Evidemment, il apparaît que la nature même de ces élections, dont les

enjeux relèvent plus de la proximité que des intérêts nationaux, ne nous autorisent

pas à tirer des conclusions trop hâtives des résultats aux Municipales 2001. Dans

le cadre d'élections locales, il paraît naturel et très sain que le corps électoral

choisisse le candidat qui s'est montré tout au long de la campagne électorale le

plus disponible et le plus accessible, au détriment de "vedettes" par définition plus

distantes venues se refaire une santé médiatique chez Michel Drucker ou chez

Thierry Ardisson. Mais les prochaines échéances électorales, en premier lieu

l'élection présidentielle qui consacre la personnalisation du jeu politique offriront

une nouvelle configuration qui peut remettre en cause les effets sur les

téléspectateurs de la présence d'hommes politiques dans ces émissions de

divertissement. Car l'élection présidentielle se joue beaucoup sur le terrain,

comme l'a montré Jacques Chirac en 1995, mais aussi sur la popularité forgée à

travers les interventions des candidats dans les médias, plus que pour tout autre

échéance électorale…

Au total, si les hommes politiques se rendent dans ces émissions de

divertissement c'est avant tout parce qu'ils espèrent y gagner le cœur des citoyens

les moins compétents politiquement et les plus indécis au moment des grandes

Page 96: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

91

échéances électorales, et qui s'avèrent justement être les téléspectateurs les plus

assidus de ce type de programme télévisé. Cependant, si en agissant ainsi ils

réussissent effectivement à contourner les effets de l'exposition sélective aux

médias comme en attestent les excellents scores d'audience de chacune de ces

deux émissions, ils ne sont pas pour autant assurés du soutien de ces électeurs

potentiels lors des grandes échéances électorales, comme l'ont montré les échecs

de certaines stars de la politique-paillette qui avaient passé plus de temps sur les

plateaux de télévision que sur le terrain et ont été sanctionnés par des citoyens peu

sensibles une fois dans l'isoloir à leur extraordinaire sympathie et à leur grand

sens de l'humour qu'ils avaient pourtant beaucoup travaillé pour optimiser les

retombées de leurs passages dans de telles émissions.

Finalement, l'étude des effets de la présence de personnalités politiques sur

les plateaux des émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et

Vivement Dimanche montre qu'il existe un réel écart entre les bénéfices escomptés

par les hommes politiques de leurs prestations sur les téléspectateurs et l'influence

réelle exercée sur le téléspectateur le moins compétent politiquement, certes séduit

par cette ouverture du politique sur le divertissement, mais qui n'en demeure pas

moins un électeur rationnel et conscient de moins en moins dupe de l'image très

travaillée qui lui est proposé.

En outre, l'omniprésence des hommes politiques dans de telles émissions

au contenu globalement plutôt léger ne peut que participer à un certain discrédit

de la classe politique dont le rôle n'est après tout pas de séduire mais avant tout de

convaincre les électeurs les plus indécis. Elle provoque un schisme inquiétant au

sein de la classe politique entre les vedettes et les hommes politiques plus discrets.

Page 97: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

92

Ce phénomène plutôt préoccupant doit pousser les hommes et les femmes

politiques habitués de ces émissions de divertissement à s'interroger sur la

pertinence de leur présence dans de tels programmes et sur les dangers de

l'appauvrissement du discours politique provoqué par le format même de ces

émissions.

Page 98: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

93

CONCLUSION

Au total, il apparaît que Thierry Ardisson et Michel Drucker ont fait les

bonnes émissions, au bon moment.

Dans une première partie, j'ai montré que l'évolution des interactions entre

les trois pôles constitutifs du triangle Champ politique/Opinion publique/Média

télévisuel avait conduit à l'émergence de ce type de programme télévisé diluant la

politique dans un format plus léger que les émissions politiques traditionnelles.

Ces dernières, qui avaient fini par devenir trop peu intelligibles pour un grand

public frustré de voir s'affronter des protagonistes connaissant tous les subtilités

d'un champ politique dont lui-même ignorait tout, ont fini par être reléguées aux

heures de faible écoute, faute d'avoir pu se rendre plus accessibles aux individus

les plus faiblement politisés. La nouvelle configuration des rapports de force au

sein de ce triangle n'est pas étrangère au fait qu'aujourd'hui, pour voir des hommes

politiques à la télévision aux heures de grande écoute, il faut se brancher sur les

émissions de divertissement comme Tout le monde en parle et Vivement

Dimanche, qui servent d'asile aux politiques expulsés des tranches horaires les

plus favorables en terme d'audience.

Dans la deuxième partie, j'ai démontré que cette forme d'émissions

favorisait les stratégies de construction identitaire de la part des hommes

politiques bien que leur marge de manœuvre dans cette présentation de soi soit

Page 99: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

94

réduite parfois par la nature même de ces émissions. J'ai insisté sur le fait que

cette présentation de soi était devenue un enjeu capital au sein du champ politique

et que les hommes politiques ne laissaient passer aucun détail pour se présenter de

façon optimale au téléspectateur.

Enfin, dans une troisième partie, je me suis intéressée aux effets concrets

de la participation des hommes politiques à ce type de divertissement sur le

champ politique, avec tous les problèmes que cela pose en terme

d'appauvrissement du discours politique, de perte de crédibilité de la classe

politique et d'une scission de cette dernière entre les hommes politiques les plus

télégéniques et les autres ; j'ai enfin prouvé qu'il existait manifestement un

décalage entre les bénéfices escomptés par les hommes et les femmes politiques

participant à ces émissions au sein de l'électorat et que le téléspectateur ne faisait

pas l'électeur, ce que le personnel politique qui se réjouit des audiences de ces

émissions ne parvient pas toujours à saisir.

Au total, ce phénomène de "politique-divertissement" n'est pas tellement

nouveau. Séduire l'électeur avant de la convaincre n'est pas une attitude totalement

liée à l'apparition de la télévision dans les démocraties modernes. Les conseils de

Machiavel aux Médicis montrent que l'art de gouverner a toujours plus ou moins

été lié à l'art de paraître.

Cependant, le danger ne survient que quand le souci de paraître l'emporte

définitivement sur le souci de convaincre. Or, il serait réducteur de considérer

qu'aucune de ces émissions de divertissement – qu'il s'agisse de Tout le monde en

parle, de Vivement Dimanche mais aussi d'autres programmes évoqués en

Page 100: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

95

introduction comme On ne peut pas plaire à tout le monde ou Nulle part ailleurs

– ne permet aux hommes politiques de faire passer quelques idées politiques. Le

phénomène était finalement beaucoup plus préoccupant dans les années 70 et 80,

quand les hommes politiques venaient pousser la chansonnette ou jouer la

comédie chez Patrick Sébastien sans aller plus loin, en se contentant de leur

performance artistique. L'évolution générale des programmes télévisés vers des

formes d'hybridation a finalement entraîné l'émergence de divertissements de

meilleure qualité, les talk-shows, où le fond l'emporte tout de même plus sur la

forme que dans les émissions de variété proposées aux téléspectateurs dans les

années 80. Même si les longs entretiens complaisants de Michel Drucker avec les

personnalités politiques laissent une large place à ces derniers pour se présenter

sous leur meilleur jour, le téléspectateur n'est pas livré sans armes critiques aux

images qu'il reçoit. Et dans Tout le monde en parle, les hommes politiques se

mettent d'une certaine manière en danger face à l'impertinence de l'animateur.

Déstabilisés par ses questions embarrassantes, les voilà contraints de répondre de

façon improvisée alors qu'on peut penser qu'ils s'attendent un peu plus aux

questions des journalistes politiques traditionnels et qu'en conséquence ils s'y sont

plus préparés.

Le vrai danger serait que les émissions de divertissement jouent

complètement le jeu des hommes politiques, ce qui les transformerait en véritables

instruments de propagande. La question se pose surtout pour l'émission du très

condescendant Michel Drucker, Vivement Dimanche. Mais d'une part, l'animateur

veille à donner la parole à des personnalités de tout l'échiquier politique, à

l'exception de l'extrême-droite, pour assurer un certain pluralisme et donner leurs

chances d'améliorer leur image à l'ensemble de la classe politique. D'autre part, la

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

96

présence dans l'émission d'esprits critiques comme les trois chroniqueurs de

Vivement Dimanche prochain est aussi saine que vitale. Leur rôle est de former un

contrepoids, de modérer l'enthousiasme des téléspectateurs les moins conscients

des stratégies de présentation de soi sous-jacentes en déstabilisant les hommes

politiques. Même si parfois la connivence de certains chroniqueurs avec les

personnalités invitées remet en cause cette potentialité critique, il est nécessaire

que l'équilibre entre la liberté laissée aux hommes politiques dans leur

présentation de soi et la possibilité de critique reste assuré au sein même de

l'émission, de façon à mettre en garde le téléspectateur. Je pense que cet équilibre

est beaucoup plus assuré dans Tout le monde en parle. Certes, les hommes et

femmes politiques les plus télégéniques y finissent toujours par tirer leur épingle

du jeu. Mais l'immersion de ces personnalités dans un environnement inhabituel et

impertinent laisse une grande liberté de jugement au téléspectateur. Les électrons

libres de l'émissions – invités ou habitués – les questions impertinentes de

l'animateur laissent beaucoup moins de marge de manœuvre à l'invité que dans

l'émission de Michel Drucker. Ce n'est pas pour rien que très peu de membres du

gouvernement en exercice sont venus sur le plateau de Thierry Ardisson – la

saison dernière, seul Jean-Claude Gayssot s'y est aventuré – préférant de loin la

tranquillité du salon rouge de Michel Drucker.

Au total, il me paraît sain que ce genre d'émission ait sa place dans le

paysage audiovisuel français, surtout dans leurs aspects les plus iconoclastes. Si la

grande liberté laissée à la présentation de soi des hommes politiques est discutable

parce que trop facilement assimilable à une forme de propagande larvée, c'est

finalement dans le décalage produit entre cette volonté de contrôler et de maîtriser

leur prestation des hommes politiques et les moments les plus imprévisibles de ces

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

97

émissions que se situe le véritable intérêt de tels programmes. Les hommes

politiques ont fini par s'habituer aux questions posées par les journalistes

politiques et y répondent donc avec de moins en moins de spontanéité.

Finalement, ces spécialistes de la politique font, depuis quelques années, partie

intégrante du champ politique et les personnalités politiques se sont habituées à

les côtoyer, à prévoir leurs questions et leurs réactions.

En revanche, plongés dans un environnement qui n'est pas le leur, même

en espérant pouvoir contrôler leur présentation de soi du début jusqu'à la fin, les

hommes politiques finissent toujours par révéler quelques facettes de leur vraie

personnalité aux téléspectateurs. C'est dans cette perte du contrôle de la

construction identitaire, dans ces moments de spontanéité que se situe l'intérêt de

plonger des hommes publics dans des émissions de divertissement. Ce sont peut-

être les derniers endroits où ils peuvent encore être surpris ou surprendre à la

télévision, parce que ces émissions échappent aux codes traditionnels auxquels ils

avaient été habitués lors de leurs prestations successives sur les plateaux des

émissions politiques.

Quelles perspectives pour la politique à la télévision? La relégation des

émissions politiques aux tranches horaires les plus ingrates est un signal fort : ce

type de programme a vécu, remplacées très vite dans le cœur des téléspectateurs

par les émissions de divertissement. Ces dernières ne devraient pourtant pas être

pensées comme des solutions de substitution mais comme de véritables

compléments aux émissions politiques traditionnelles, qui au lieu de se replier sur

des concepts trop rébarbatifs pour attirer le public le plus large possible, quand

l'information de l'ensemble des citoyens devrait être dans une démocratie comme

Page 103: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

98

la France, leur mission première, devraient progresser dans l'intelligibilité tout en

conservant un souci de qualité et de sérieux.

La coexistence durable aux heures de grande écoute de ces deux types

d'émissions permettra peut-être aux hommes politiques de résoudre un des grands

dilemmes de la vie politique et ainsi de réaliser leur vieux rêve: être aimé, certes,

mais aussi être compris (et inversement). Les citoyens français ont besoin d'être

séduits, comme le montre l'attitude enthousiaste des téléspectateurs face aux

émissions de Drucker et d'Ardisson ; mais ces téléspectateurs, aux portes des

bureaux de vote, redeviennent de véritable citoyens qui demandent des preuves et

du concret aux hommes politiques. Le téléspectateur ne fait pas l'électeur, ou si

peu, comme l'ont montré les dernières élections municipales. Les hommes

politiques doivent donc éviter de mettre tous leurs œufs dans le même panier et,

pour la crédibilité de la classe politique, continuer à participer sérieusement au

débat public dans les endroits prévus à cet effet au sein du champ politique

comme au sein du champ médiatique. A ce moment-là, plus rien ne s'opposera à

leur présence dans ces émissions de divertissement d'un nouveau genre.

Page 104: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

99

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux

ü GHIGLIONE (Rodolphe), BROMBERG (Marcel), Discours politique et télévision, Paris : PUF, collection Psychologie sociale, 1998

ü GOUREVITCH (Jean-Paul), L'image en politique, de Luther à Internet et

de l'affiche au clip, Paris : Hachette Littératures, 1998

ü LECOMTE (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon : Presses Universitaires, collection Passerelles, 1994 (vérifier)

ü CAYROL (Roland), La nouvelle communication politique, Paris :

Larousse, collection Essais en liberté, 1986

ü SCHARTZENBERG (Roger-Gérard), L'Etat-spectacle. Essai sur et contre le star-system en politique, Paris, Flammarion, 1977

Articles de périodiques

ü NEVEU (Erik), "Des questions "jamais entendues" : crise et renouvellement du journalisme politique à la télévision" – in Politix, n°37, Télévision et politique, 1997, p.25-56

ü SCHLEGEL (Jean-Louis), "Un dimanche soir chez Michel Drucker" – in

Esprit, Splendeurs et misères de la vie intellectuelle, mai 2000, p.212-216

ü COLLOVALD (Annie), "Identité stratégique", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°62/63, juin 1986, pp. 29-40

ü PELLEGRIN (Bernard), "Le passé recomposé des hommes politiques", in

Autrement, n°88, mars 1987, pp. 130-136

Page 105: Les hommes politiques dans les émissions de divertissement

Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

100

Articles et coupures de presse

ü DHOMBRES (Dominique), "Michel Rocard l'égrillard", Le Monde, 2 avril 2001

ü SCHNEIDERMANN (Daniel), "Secondes mains", Le Monde Télévision,

17 mars 2001 ü CHAUVEAU (Agnès), "Les hommes politiques sont devenus des stars des

médias", L'Histoire, mars 2001

ü AUBERT (Vianney) et GERMON (Marie-Laure), "La nouvelle dérive des politiques", Le Figaro, 3 mars 2001

ü ELKRIEFF (Ruth), "La télé n'aime plus la politique", Elle

ü VAILLANT (Luc), "La mule du PAF, portrait de Thierry Ardisson",

Libération, 19 septembre 1998

Sites internet :

ü Site de l'institut de sondages de la Sofres : www.sofres.com ü Site du quotidien Libération : www.liberation.com ü Site du journal Le Monde : www.tout.lemonde.fr ü Site de la chaîne de service public France 2 : www.france2.fr

Emissions citées dans le mémoire

v Tout le monde en parle: Production : France 2/Ardisson et Lumières (1998) puis Tout sur l'écran (TSE).(Catherine Barma – Thierry Ardisson)

ü Emission du 16 janvier 1999 ; invitée : Christine Boutin ü Emission du 27 février 1999 ; invité : Robert Hue

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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ü Emission du 20 mars 1999 ; invité : Daniel Cohn-Bendit ü Emission du 3 avril 1999 ; invitées : Françoise de Panafieu et

Arlette Laguillier ü Emission du 17 avril 1999 ; invité : Philippe Douste-Blazy ü Emission du 23 octobre 1999 ; invité : Noël Mamère ü Emission du 19 février 2000 ; invité : Maxime Gremetz ü Emission du 18 mars 2000 ; invité : Edouard Balladur ü Emission du 15 avril 2000 ; invité : Bernard Bled ü Emission du 10 juin 2000 ; invité : Alain Madelin ü Emission du 17 juin 2000 : best-of politiques ü Emission du 31 mars 2001 ; invité : Michel Rocard ü Emission du 14 avril 2001 ; invité : Patrick Braouzec

v Vivement Dimanche et Vivement Dimanche prochain :

Production : France 2/DMD (Dany et Michel Drucker Productions)

ü Emission du 24 octobre 1999 ; invitée : Martine Aubry ü Emission du 28 novembre 1999 ; invitée : Arlette Laguillier ü Emission du 16 janvier 2000 ; invité : Philippe Douste-Blazy ü Emission du 16 avril 2000 ; invité : Edouard Balladur ü Emission du 3 décembre 2000 ; invité : Laurent Fabius ü Emission du 8 avril 2001 ; invité : Alain Madelin

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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INDEX DES NOMS PROPRES CITES DANS LE MEMOIRE

A

Alévêque (Christophe) : p.61 Arabian (Guylaine) : p.56 Aubry (Martine) : p. 30, 31, 41, 49, 50, 51, 53, 56, 65, 84, 89 Audiard (Michel) : p.53

B Bachelot (Roselyne) : p.5 Badinter (Robert) : p.42, 44, 47 Baffie (Laurent) : p.35, 64, 67 Balladur (Edouard) : p.31, 32, 40, 43, 44, 47, 49, 51, 53, 63, 64, 68, 84 Bassi (Michel) : p.19 Baudis (Dominique) : p. 48, 56, 89 Bayrou (François) : p.81 Béart (Emmanuelle) : p.63 Bedos (Guy) : p.54, 61 Bellemare (Pierre) : p. 51 Bled (Bernard) : p.62 Boutin (Christine) : p. 5, 34, 63, 67 Braouzec (Patrick) : p.67 Bulté (Michel) : p.35

C Castro (Françoise) : p.49 Cayrol (Roland) : p. 12, 14, 16, 31, 37, 76, 88 Chauveau (Agnès) : p.3 Coffe (Jean-Pierre) : p. 51 Cohn-Bendit (Daniel) : p.52-67 Collovald (Annie) : p. 55 Coureau (Clotilde) : p. 62

D Dechavanne Christophe) : p. 4 Delanoë (Bertrand) : p. 5, 32, 63 Delors (Jacques) : p.41, 50, 57

De Panafieu (Françoise) : p. 35, 52, 63, 66, 74, 77 Devedjian (Patrick) : p. 35, 66 De Virieu (François-Henri) : p. 24 Diagana (Stéphane) : p.53 Douste-Blazy (Philippe) : p. 34, 42, 43, 48, 50, 54, 56, 61, 79, 89 Dugeon (Thierry) : p. 5 Duhamel (Alain) : p. 19

E Elkabbach (Jean-Pierre) : p. 19 Elkrief (Ruth) : p. 26 Eric et Ramzy : p. 62

F Fabius (Laurent) : p. 31, 41, 44, 47, 49, 51 Field (Michel) : p. 28 Fogiel (Marc-Olivier) : p. 5 Fruchard (Jean) : p. 48

G

Gayssot (Jean-Claude) : p. 8, 96 Geluck (Philippe) : p. 32, 57, 64, 65 Gilbert (Danielle) : p. 2 Giscard d'Estaing : p. 2, 6 Gourévitch (Jean-Paul) : p. 7, 14 Gremetz (Maxime) : p. 34, 39, 50, 62, 66 Guigou (Elisabeth) : p. 8, 57, 89

H Hallyday (Johnny) : p. 35 Hue (Robert) : p. 34, 39, 52 Huster (Francis) : p. 63

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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J Jobert (Michel) : p. 47 Jospin (Lionel) : p. 2, 34

L Lafont (Axelle) : p. 5 Laguillier (Arlette) : p. 3, 31, 48, 49, 59, 65, 67, 74 Lang (Jack) : p. 3, 8, 57, 89 Lecomte (Patrick) : p. 8, 17, 20, 25, 28, 77, 85 Léotard (François) : p. 2

M Madelin (Alain) : p. 32, 40, 42, 43, 51, 54 , 57, 61, 64 Mamère (Noël) : p. 52 Masure (Bruno) : p. 7, 32, 57, 64, 65 Miller (Gérard) : p. 6, 32, 33, 58, 60, 64, 65, 89 Mitterrand (François) : p. 42 Moati (Serge) : p. 45, 47 Montand (Yves) : p. 2

N Neveu (Erik) : p. 10, 23, 24, 25

O Ockrent (Christine) : p. 26 Offerlé (Michel) : p. 17, 37 Omar et Fred : p.5

P Parodi (Jean-Louis) : p. 88

Pellegrin (Bernard) : p. 42, 43 Perret (Pierre) : P. 3 Pousse (André) : p. 53 Prévost (Daniel) : p. 53

R Ribes (Jean-Michel) : p. 53 Rigaud (Jacques) : p. 42 Rocard (Michel) : p. 5, 6, 35, 45, 68, 84 Ruquier (Laurent) : p. 5, 35, 64, 67, 75

S Santini (André) : p. 4 Sarkozy (Nicolas) : p. 5 Schlegel (Jean-Louis) : p. 29 Schneidermann (Daniel) : p. 88, 89 Schwartzenberg (Léon) : p. 48 Schwarzenberg (Roger-Gérard) : p. 2 Sébastien (Patrick) : p. 3, 98 Ségara (Hélène) : p. 31 Séguillon (Pierre-Luc) : p. 25, 76 Seguin (Philippe) : p. 8, 57, 64, 89 Sémoun (Elie) : p. 63 Sinclair (Anne) : p. 25, 26

T Tibéri (Jean) : p. 35, 62 Trautmann (Catherine) : p. 8, 57, 89

W Weber (Max) : p. 38

Z Zéro (Karl) : p. 35 Zidane (Zinedine) : p. 53

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherche

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

I

ANNEXES

Vous trouverez ici toutes les captures d'images auxquelles il est fait allusion tout au long du mémoire… et quelques autres bien significatives de l'attitude des hommes politiques dans ces deux émissions.

1. Des hommes politiques dans des émissions de divertissement? Du déjà-vu…

Capture 1

Valéry Giscard d'Estaing a toujours

voulu être aimé des Français, notent un certain nombre de commentateurs politiques à l'image de Pierre-Luc Séguillon : "Le rêve de Giscard, c'est d'être enfin proche des gens." Ici, en virtuose de l'accordéon dans une émission de Danielle Gilbert de 1970

La Cinquième – arrêt sur images – Février 2000

Capture 2

Mais il est loin d'être le seul à avoir surpris par ses talents artistiques : ici, Lionel Jospin dans une interprétation toute personnelle des feuilles mortes d'Yves Montand dans l'émission de Patrick Sébastien, Carnaval, en 1984.

La Cinquième – arrêt sur images – Février 2000

Capture 3

Arlette Laguillier elle –même a pris le micro pour rendre hommage à une de ses idoles, Pierre Perret…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

II

Capture 4 … sous le regard ému de l'artiste.

2. Deux émissions aux univers très différents…

Capture 5

Chez Michel Drucker, le discours est

intimiste : animateur et invité (ici, Edouard Balladur) parlent d'égal à égal sur le fameux canapé rouge… France 2 - DMD prod - VD - 6/04/00

Capture 6 Thierry Ardisson au contraire, mène le jeu et prévient d'emblée les hommes politiques invités (ici, Maxime Gremetz, député communiste de la Somme), des sanctions-maison…

France 2 – TSE – Ardisson/Barma Février 2000

France 2 - C'est votre vie 1

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

III

Capture 6 bis "On est ravis de vous recevoir dans cette émission, mais si vous faites des discours d'homme politique et que vous utilisez la langue de bois, il y a deux punitions. La première c'est que je vous passerai un extrait d'I Muvrini…" Capture 7 "… et la deuxième, c'est que vous serez mosaiqué…" Les méthodes de Thierry Ardisson sont pour le moins particulières…

Capture 8 Mais les maître des lieux distribue aussi des bons points aux hommes politiques qui se prêtent au jeu… Ici, quelques jolies danseuses…

Capture 9 … ou le dernier opus de Karl Zéro gentiment jeté à la figure de Philippe Douste-Blazy que Thierry Ardisson félicite à sa manière pour sa réussite à l'Ardiview…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

IV

3.Quand les amis, collègues, familles et badauds parlent des hommes

politiques…

Capture 10 Dans Vivement Dimanche, des intervenants prestigieux parlent de leurs amis. Robert Badinter et Serge Moati ne tarissent pas d'éloges sur Laurent Fabius. Mais ici, c'est Dominique Baudis qui dresse le portrait de son ami Philippe Douste-Blazy : "C'est quelqu'un qui a le goût et le sens de l'action publique…"

Capture 11 Les collègues de travail sont aussi appelés à la rescousse par l'équipe de Vivement Dimanche pour redorer l'image de leurs amis politiques ; ici, un ancien collègue de Douste-Blazy, le professeur Jean Fruchard : "Un mot le caractérise, c'est l'enthousiasme. Comme son père il a aussi beaucoup d'intégrité. Il n'a vraiment peur de rien…"

Capture 12 Dans un autre genre, une collègue d'Arlette Laguillier ne mâche pas ses mots : "Je me souviens de son intervention auprès du chef de service, ce petit bonhomme méprisant… et Arlette elle l'a mouché, vous pouvez pas savoir comme ça nous a fait plaisir !"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

V

Capture 13 Grand classique de Vivement Dimanche : le marché. Les interventions des commerçants sont soigneusement sélectionnées…; ici, le poissonnier de Martine Aubry : "Elle est super sympa, elle a un comportement tout à fait normal pour une ministre…"

Capture 14 Le boucher d'Arlette Laguillier : "Moi je ne la vois pas présidente parce que pour être président il ne faut pas être complètement intègre…"

Capture 15 Un commerçant du marché du 15ème Arrondissement témoigne sur Edouard Balladur : "On a une image de lui de grand bourgeois, mais il est très proche des gens, Mr. Balladur…"

Capture 15bis … ce que l'ancien Premier ministre n'hésite pas à prouver devant les caméras ; à une jeune maman : "Dites-moi, il est superbe…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

VI

Capture 16 … et pour attendrir les téléspectateurs dominicaux, quoi de mieux que l'intervention de Papa pour Martine Aubry?

Capture 17 Jacques Delors : "La petite Martine était une enfant gaie, espiègle, réservée… Elle nous fait toujours rire…"

Capture 18 Philippe Douste-Blazy est un homme de cœur. Michel Drucker le prouve : "Le public ne le sait peut-être pas, mais vous avez dans votre vie un petit Vietnamien que vous avez adopté…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

VII

4. Les loisirs des hommes politiques en disent long sur eux…

Capture 19 Edouard Balladur est un grand randonneur, amoureux de la montagne. Ici à Chamonix : "J'essaie de marcher deux à trois heures par jour. C'est comme ça que les idées mûrissent…" Capture 20 Beaucoup plus dynamique, Philippe Douste-Blazy se présente comme un sportif accompli… Ici, sur ses skis… Capture 21 … et lors d'une randonnée à VTT. Commentaire d'un de ses amis : "Parfois, on a du mal à le suivre…" Capture 22 Michel Drucker rappelle également que Douste-Blazy a failli devenir pilote professionnel…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

VIII

Capture 23 : Dans un registre beaucoup plus calme, Martine Aubry confie qu'elle déteste la cuisine surgelée et prend toujours le temps de faire la cuisine pour ses amis malgré son emploi du temps de ministre…

… en somme, Martine Aubry est une bonne vivante…

Capture 24 Chez Thierry Ardisson aussi les hommes et femmes politiques évoquent leurrs violons d'Ingres. Ici, Françoise de Panafieu s'accompagne à la guitare et met le feu au plateau en chantant La Bamba Capture 25 L'animateur de Tout le monde en parle n'hésite pas à exhumer des archives que les hommes politiques auraient préféré oublier… Ici, le clip très eighties de Noël Mamère, Les enfants de par-là…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

IX

Capture 26 L'écologiste se montre très réticent à prouver ses talents sur le plateau de Thierry Ardisson mais finit par interpréter un extrait de Nobody knows. Vous remarquerez son aisance à la guitare…

Capture 27 Les Verts ont décidément beaucoup de talents cachés… Daniel Cohn-Bendit ne commente pas trop sa prestation cinématographique dans Un amour à Paris…

5. Des hommes politiques toujours très bien entourés…

Capture 28 Edouard Balladur apprécie l'humour français, et particulièrement Michel Audiard, dont André Pousse est l'un des derniers représentants… Commentaire de Michel Drucker : "Ca me fait rire de vous voir tous les deux sur le même canapé, parce que comme dirait Audiard, 'c'est pas la même limonade…'"

Capture 29 Daniel Prévost est également invité par l'ancien Premier Ministre : "M. le Ministre est absolument délicieux. J'ai une très bonne opinion de lui en le regardant dans une émission de divertissement…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

X

Capture 29 Philippe Douste-Blazy apprécie particulièrement l'humour de Guy Bedos, à qui il prend le pouls pour calmer ses angoisses hypocondriaques… Bedos : "Mais qu'est-ce qu'il fout à Droite? […] Pour moi il y a des gens qui seraient mieux à Gauche qu'à Droite, et inversement…"

6. Les émissions de divertissement, nouvelles étapes dans les campagnes électorale?

Capture 30 Philippe Douste-Blazy se présente, implicitement, dans Vivement Dimanche, comme le successeur de Dominique Baudis. Ici, l'ancien et le futur maire à la Cité de l'Espace de Toulouse…

Capture 29 De même, Martine Aubry vise indéniablement le beffroi de Lille. La voici avec Pierre Mauroy dans les locaux de sa future Mairie…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XI

7. Des invités actifs…

Capture 32 Eric, du duo comique Eric et Ramzy, interpelle Maxime Gremetz : "Pourquoi ne pas changer de nom? Moi, quand il y a une erreur comme le stalinisme, je me désolidarise direct…"

Capture 33 Maxime Gremetz perd son calme et devient franchement désagréable : "Staline était pas au PCF… Staline était pas français, vous le saviez, ça?

Capture 34 Colère soudaine de Clotilde Coureau, alors qu'Ardisson interroge Bernard Bled sur le choix du candidat RPR à la Mairie de Paris : "Mais concrètement, qu'est-ce qu'on fait? Il y a de plus en plus de pauvres[…]. Qu'est-ce qu'il fout là, lui? Il devrait être dans son bureau ! Y'en a marre de nous berner comme ça !" Bled reste stoïque…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XII

Capture 35 Heureusement, les choses se passent parfois beaucoup mieux pour les invités politiques d'Ardisson. Ici, Emmanuelle Béart embrasse Edouard Balladur… Capture 36 Françoise de Panafieu, de son côté, prouve à sa façon qu'elle n'en veut pas du tout à Elie Sémoun de soutenir Bertrand Delanoë…

8. Des hommes politiques déstabilisés par les trublions…

Capture 37 Gérard Miller veut aider Edouard Balladur : "J'ai un ami africain et il m'a dit que certaines manipulations pouvaient marcher… J'ai donc amené une poupée à l'effigie de Philippe Seguin" (en réalité, il s'agit d'un Télétubbies affublé de gros sourcils…) Capture 38 Edouard Balladur ironise : "Oh non, arrêtez, c'est beaucoup trop dangereux, imaginez que ça soit efficace…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XIII

Capture 39 Avec Martine Aubry : "Je suis de Gauche et ma grande crainte c'est qu'on me soupçonne de complaisance vis-à-vis de Madame Aubry… J'ai donc amené cette mallettes avec des dossiers compromettants pour la Gauche comme le financement occulte de la MNEF…"

Capture 40 Martine Aubry apprécie apparemment beaucoup l'humour de Gérard Miller…

Capture 41 Miller poursuit : "…et comme on n'est jamais assez prudent, j'ai aussi amené de la documentation sur les promesses non tenues de la Gauche…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XIV

Capture 42 Françoise de Panafieu se prête au jeu de Thierry Ardisson dans une interview-mensonge débridée… "Avez-vous couché pour réussir?" Réponse de l'intéressée : "Au moins mille fois, je passe ma vie à… je me demande même comment je suis encore assise ce soir…" Capture 43 Maxime Gremetz apprend vite les subtilités de l'interview-mensonge : "Y a-t-il encore des boîtes échangistes à Abbeville?" Gremetz hésite : "Bien s… euh non, non, non, il n'y en a plus…" Capture 44 Patrick Devedjian est un excellent client pour l'interview dyslexique, où il doit répondre en communiste. C'est Baffie qui est chargé de lui poser les questions… : "Etes-vous pour ou contre les 35 heures?"

Capture 45 -"Camarade Baffie, je suis pour, je suis même pour que ce soit encore moins, car le travail c'est le Capital, c'est l'exploitation et je ne veux pas continuer à la subir…" -"Et comment ils font pour être aussi cons à Droite?" -"Ils nous imitent…"

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XV

Capture 46 Christine Boutin est accueillie par Baffie avec un bouquet de fleurs et au son de Loveboat.

Capture 47 Il s'agissait en réalité d'un cadeau empoisonné… Commentaire de Baffie : "C'est bon, on peut la faire chialer maintenant…"

… Thierry Ardisson se voit par la suite offrir la "panoplie Boutin" : Perruque permanentée, lunettes, kleenex et Bible en bonus…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XVI

9. Le baptême médiatique de Françoise de Panafieu

Capture 47 Invitée sur le même plateau qu'Arlette Laguillier, Françoise de Panafieu comprend très vite que pour gagner le match de la popularité, elle a tout intérêt à jouer le jeu de Thierry Ardisson…Tandis que Laguillier refuse d'enfiler une veste Chanel, l'ex-Juppette accepte de mettre le perfecto qu'on lui propose… Capture 48 … et adopte l'attitude et le langage de circonstance… Capture 49 Arlette Laguillier doit s'avouer vaincue… … et Françoise de Panafieu est congratulée par Laurent Ruquier qui auparavant avait fait remarquer à Arlette qu'elle avait perdu 5 points dans les sondages en ne jouant pas le jeu d'Ardisson…

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Dorothée Bécart – 3POS1 – Mémoire de recherches - Annexes

XVII

10. Le coup de poignard de Philippe Douste-Blazy…

Capture 51 Philippe Douste-Blazy fait le récit de son agression au poignard dont il assure la primeur à Michel Drucker, alors qu'il l'a déjà raconté sur le plateau de Tout le monde en parle six mois plus tôt…

Capture 52 Mais sur le plateau de Drucker, le récit est beaucoup plus vivant. Douste-Blazy le dramatise plus que chez Ardisson, où il l'avait raconté très calmement…

Capture 53 A la fin de l'évocation de cet incident tragique, le public, médusé, est plongé dans le silence.