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JEUDI 24 MARS 2011 - LE FIGARO N° 20 727 - CAHIER N° 5 - COMMISSION PARITAIRE N°0411 C 83022 N°24

LES HOMMESPRÉFÈRENTLES MONTRES

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JEUDI 24 MARS 2011 N°24 — SO/FIGARO — 3

ÉDITO par Anne-Sophie von ClaerDans le droit-fil du dernier cahier SO Figaro, consacré à la mode masculine (voir nos éditions du 16 mars et sur notre application iPad dédiée)

qui mettait en lumière le retour significatif des couleurs vives dans le vestiaire des hommes de l’été 2011, une envie de légèreté s’est infiltrée

dans les esprits. Et avec elle, plus sûrement encore, le désir de s’y adonner pour de bon. De célébrer, à juste titre, cette nouvelle ère

économique, déjà auréolée, dans le luxe, de progressions records et de performances insolentes. Au pays des premières exportations

horlogères mondiales (en termes de chiffre d’affaires), l’édition annuelle du salon international de l’horlogerie, Baselworld, ouvre ainsi

ses portes aujourd’hui dans un climat objectivement optimiste et serein, malgré les terribles secousses du monde. Précédée d’un réjouissant

trimestre d’exceptionnelle croissance du secteur - emmenée par les Chinois, toujours de loin meilleurs clients de ce fameux savoir-faire

helvétique unique au monde -, la vigueur spécifique du marché des montres de prestige s’accompagne en toute logique d’une évolution

symptomatique de l’offre mise en avant par la profession. Pour le bonheur de cette industrie, la roue tourne, et ainsi vont les goûts

des hommes, qui n’en finiront sans doute jamais d’osciller entre une tentation et une autre, un genre et son contraire, un format et son exact

opposé ; lunette ronde ou carrée, boîtier or jaune ou platine, fond noir ou blanc… Qui s’étonnera alors, en ces jours prometteurs,

de voir les amateurs de belles mécaniques préférer à l’ultraplat - silhouette star des périodes de vaches maigres - de nouveaux modèles

aux rondeurs autrement généreuses… Et ludiques. Fini l’ennui, le régime minceur et la planque, résignée, des plus discrets trésors

sous les manchettes des chemises. Place aux belles épaisseurs, aux diamètres qui osent, mécanismes qui en imposent, complications

à qui mieux-mieux… et hommage au passage à l’indétrônable seigneur du genre, le remarquable en tout point tourbillon.

Allégrement, l’offre et la demande s’envolent, comme autant de désirs suscités, assouvis ; de caprices assumés. L’heure, on l’aura compris,

est aux attributs virils (et fiers de l’être) ; à l’ostentation peut-être mais à l’humour aussi, au regard distancié, nécessaires de facto.Car on joue gros dans cette cour-là, où tout est réservé aux grands. Aux poignets épais comme ça, aux beaux joueurs fiers-à-bras, aux grands

garçons majeurs, munis de cartes Gold, pas dupes pour autant. Quand on aime, c’est comme ça, on en joue. Et on veut que ça se voie.

SO/FIGARODIRECTION DE LA RÉDACTION:ANNE-SOPHIE VON CLAERRÉDACTION EN CHEF:SYLVIE YEURÉALISATION:FABIENNE REYBAUDDIRECTION ARTISTIQUE:CHRISTOPHE BRUNNQUELLÉDITION:ANNE-SOPHIE PELLERIN

En couverture, de gauche à droite.Montre Oyster Perpetual SubmarinerDate, mouvement automatique,étanche à 300 mètres, boîtier et braceleten or jaune, Rolex (tél. : 01 44 29 01 50).Chronographe Speedmaster MoonwatchProfessional, mouvement mécaniqueà remontage manuel, calibre 1863,boîtier et bracelet en or jaune, Omega(tél. : 01 53 81 21 90).

Ci-contre, de gauche à droite.Montre Histoire de Tourbillon 2,mouvement mécanique à remontagemanuel, tourbillon biaxial volant, boîtieren or gris, bracelet en alligator,série limitée à 20 exemplaires,Harry Winston (tél. : 01 47 20 03 09).Chronographe Marine Tourbillon,mouvement mécanique à remontagemanuel, calibre 554.4, tourbillon,boîtier en or blanc, cadran sertide 132 diamants, bracelet en alligator,Breguet (tél. : 01 47 03 65 00).Montre Invention Pièce 2, mouvementmécanique à remontage manuel, calibreGF30n, quadruple tourbillon, boîtieren platine, bracelet en alligator, sérielimitée à 11 exemplaires, Greubel Forsey(www.greubelforsey.com).

PHOTOGRAPHIE:Philippe LACOMBESTYLISME :Fabienne REYBAUDASSISTANTE :Bénédicte BURGUET

4 — SO/FIGARO — N°24 JEUDI 24 MARS 2011

L’heure de la récréa sonné

Alors que la crise n’est plus qu’un mauvais souvenir, les horlogers renouent avec la créativité.Modèles plus sexy, fonctions ludiques, mécanismes bavards…

De quoi donner aux hommes l’envie de retourner jouer.

« On en a soupé des extraplates, à trois aiguilles,qui ne font que donner l’heure ! Quel ennui !, pestece quadragénaire parisien. On veut des calibresqui nous épatent, nous amusent. » Traduction :des montres qui ne ressemblent pas à des montres.Des sujets remontés qui font « Crack ! Boum !Hue ! » En somme, des joujoux mécaniquespour (grands) enfants gâtés. En 2011, il sembleraitque notre homme ait été entendu. Fin de la disettehorlogère. Réapparition des « conversationpieces », ces montres qui font parler d’elleset pour lesquelles les amateurs sont prêts à casserleur tirelire. Après un régime drastique contraintet forcé, le marché reprend forme et corps.L’an dernier, les exportations horlogères suissesont enregistré une croissance de plus de 22 %avec un chiffre d’affaires de 16,2 milliards de francssuisses. Les volumes se sont envolés : 26,1 millionsde montres ont été exportées, soit une haussede 20,4 % par rapport à 2009. Et les indicateursdemeurent au beau fixe. « La reprise repose surdes bases solides et devrait se poursuivre en 2011,affirme Jean-Daniel Pasche, présidentde la Fédération horlogère suisse. Nous pensonsdépasser le score de 2008, la meilleure année de notrehistoire avec un chiffre d’affaires de 17 milliardsde francs suisses. »Résultat, les marques ne se contentent plusde capitaliser sur leurs sacro-saintes valeurs sûresmais développent des modèles moins frileux,susceptibles de taper dans l’œil des collectionneurs

contemporains. Ainsi, sans tomber dans les excèsdes années qui ont précédé la crise et durantlesquelles une génération de montres freaks,tapageuses, parfois, hideuses, a vu le jour, l’audacereprend ses droits. Affichages étonnants, formesde boîtiers incongrus, matériaux innovants,volumes conséquents, constructions mécaniquesbasées sur la déconstruction…, le cru 2011,que les professionnels vont découvrir aujourd’huià Baselworld, ne devrait pas manquer de sel.Ni d’humour. « Autrefois, lorsqu’on s’offraitune montre de haute horlogerie, on prenait vingt ansd’un coup !, se moque Félix Baumgartner, fondateuravec Martin Frei de la marque Urwerk. Il n’y avaitque des grandes manufactures qui proposaientdes mouvements compliqués et classiques. Quandnous nous sommes lancés, en 1997, nous voulionsréaliser des pièces qui parlent à notre génération. »En 2011, les modèles d’Urwerk ont le designd’une navette spatiale ou d’un spoutnik des années1960 et indiquent l’heure différemment viades minisatellites et des aiguilles télescopiques.Bref, cet horloger indépendant, qui ne produitque 200 pièces par an, a accompli sa missionen donnant à l’époque de véritables montresd’anticipation. Exemplaires également,les « machines horlogères » de MB&F dont le looks’inspire des rêves d’enfant de son fondateurMax Büsser. Quand on a eu Goldorak commecompagnon de biberon et été élevé à la Guerredes étoiles, cela laisse forcément des traces :

composants en forme d’astéroïdes et/ou noirsillustrant le côté obscur de la force, cadrans enforme de tête de robot, etc. À l’instar de la HM3ReBel, un ténébreux modèle hydrocéphalequi ne peut se porter qu’au poignet droit…

Des (grands) enfants gâtés« Aujourd’hui, l’offre a beaucoup évolué : elle està la fois pléthorique et diversifiée grâce notammentau travail des créateurs indépendants qui ont détournéla montre de sa fonction première en la rendantdéraisonnable, plus ludique, analyse LaurentPicciotto, fondateur à Paris du magasinChronopassion. Je dis souvent que je suisun marchand de jouets. » Ce n’est pas un hasardsi, dans le tome II du livre Toys for Boys (YBEditions), les montres figurent en première place,avant les voitures. « La différence entre un hommeet un enfant, c’est le prix de ses jouets. En 2011, plusque l’automobile, l’horlogerie de luxe est le symboleultime de l’appartenance à un groupe, quel qu’il soitd’ailleurs », analyse l’éditeur de l’ouvrage.Le phénomène ne cesse de s’amplifier tant la gentmasculine semble se passionner pources mécaniques miniatures. « Quand un de mesmodèles revient au SAV, raconte Richard Mille,son propriétaire est, la plupart du temps, dans un étatde frustration totale car, en cassant son jouet,il a cassé son rêve. J’ai beau leur dire qu’après tout,ce ne sont que des montres, rien n’y fait,leur attachement est viscéral. »

Serait-ce la nostalgie de la première montre portéefièrement devant les copains dans la courde récréation ? Ou la fascination pour ce petit moteurmiraculeux, créé de toutes pièces par l’homme, et quipeut marcher pendant des années sans autre apportd’énergie que celle fournie par les mouvements dupoignet de son propriétaire ? Un peu des deux sansdoute. Sans compter que ces rouages divers et variéspermettent d’endosser plusieurs personnalités.À la tête d’un cheptel de 150 sujets, Thierry Castagna,fondateur du site Internet La cote des montres,l’avoue humblement : « La montre fait partie d’unepanoplie, je peux en changer plusieurs fois par jour, c’estparfois comme un déguisement. Par exemple, si jeregarde un Grand Prix de F1, cela m’amuse de mettrema Richard Mille Felipe Massa. Quand je participe à unrallye de voitures anciennes, je porte une AudemarsPiguet» Des joujoux qui ne seraient autres que desavatars de ceux de l’enfance. « Contrairement auxfemmes, les hommes ont besoin d’avoir des jouets pourvivre, observe Jean-Claude Biver, PDG de Hublot.Ils passent des petites aux grandes voitures. La montreest un condensé subtil de tous les jeux mécaniquesde leur jeunesse. » À l’instar de ce modèle quel’horloger présente aujourd’hui à Bâle. Cette Clefdu temps nouvelle version, vendue aux alentoursde 200 000 euros, permet à son propriétaired’accélérer ou de ralentir le défilement des heurestout en pouvant revenir à tout moment au tempsréel. (Im) mortel…

Fabienne Reybaud

Montre UR-110 Torpedo, mouvementautomatique, calibre UR 9.01, affichagede l’heure par satellites, boîtieren titane, bracelet en alligator,Urwerk (chez Chronopassion.Tél. : 01 42 60 50 72).

Montre en céramique high-tech*noire et or blanc 18 carats, éditée à 10 exemplaires. Calibre CHANEL RMT-10 à remontage manuelconçu pour CHANEL en exclusivité par la Manufacture Renaud et Papi (APRP SA). Platine en céramique high-tech*.

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Ci-contre.Chronographe Plastic Chrono,mouvement à quartz, boîtier et braceleten plastique, Swatch(tél. : 01 53 81 22 00).

Ci-dessous, de gauche à droite.Chronographe Villeret 1858 ExoTourbillon, mouvement à remontagemanuel, calibre MBM 16.60, tourbillon,boîtier en or rouge, bracelet en alligator,série limitée à 8 exemplaires, Montblanc(tél. : 01 53 43 48 00).Montre Square Sixties, mouvementautomatique, calibre 94 12, tourbillon,boîtier en or rose, bracelet en alligator,Glashütte (tél. : 01 53 43 08 80).Montre Christophe Colomb, mouvementmécanique à remontage manuel, calibreAcademy 8804, cage gyroscopiqueà 6 heures, boîtier en or rose,bracelet en crocodile, série limitéeà 75 exemplaires, Zenith(www.zenith-watches.com).


« C’est un doudou quirassure les hommes »Fin psychologue et grand connaisseur de l’univers de l’horlogerie, Marc Hayek dirige Breguet,

Blancpain et Jaquet-Droz, trois fleurons du Swatch Group.

Les montres de luxe sont-elles les nouveaux jouetsdes hommes ?Oui, peut-être plus que jamais. D’abord parceque nous avons une fascination pour la mécanique.Un calibre horloger est comme un moteur de voitureen miniature avec un nombre de piècesincroyablement important au vu de la tailledes boîtiers. Son attrait majeur est, bien sûr,son fonctionnement : la montre est en perpétuelmouvement, on voit son cœur battre, ses rouagesfonctionner. Ce n’est pas statique. Et certainsmodèles offrent en plus des fonctions qui amusentbeaucoup les garçons. À l’instar d’une montre réveilqui va sonner à l’envi ou d’une répétition minutesdans laquelle on va voir et entendre les marteauxfrapper les heures. Les hommes adorent égalementjouer avec les chronographes dont l’image reste

attachée à la mesure des temps dans le sport. Dans lescomplications horlogères, le tourbillon suscitetoujours une forte attraction. Quand je porte unmodèle de Breguet, même si je le connais par cœur,mon œil se perd dans ses rotations.

L’horlogerie est-elle plus ludiqueaujourd’hui qu’autrefois ?Bien sûr. Il y a trente ans, on avait une montre pourla vie. Dans les années 1980-1990, le phénomèneSwatch a transformé cet objet en accessoire demode, favorisant la multipossession. Dans le mêmetemps, le redéploiement de l’horlogerie de luxe acontribué à l’essor de ce marché. La multiplicationde l’offre a multiplié les tentations. Ces dernièresannées, certains sont allés très loin dans le conceptde la montre jouet, au risque d’ailleurs de tomber

dans le gadget. Et cela, c’est, selon moi,incompatible avec une marque haut de gamme.

Pourquoi ?Parce que l’on ne doit jamais perdre de vuela fonctionnalité première de la montre, qui estde donner l’heure. Les valeurs de base d’un modèlemécanique sont la précision, la lisibilité, la fiabilitédans le temps. Après entrent en jeu les fonctionsadditionnelles et le niveau de finition des calibres,l’esthétique du modèle. Bien que l’heure soitpartout, si les marques se mettent à produiredes montres qui ne la donnent plus, l’horlogerieperd son sens et notre industrie sa substance.

Qu’est-ce qu’un homme demande aujourd’huià une montre mécanique ?

Qu’elle soit un sujet d’émotion et non plusseulement un signe extérieur de richesse.La montre mécanique donne plus : elle se transmetde génération en génération, rythme lesévénements importants de la vie humaine. Elle estsentimentale. C’est sans doute l’objet le plus intimeque l’homme possède et le plus pérenne aussipuisque ces minuscules rouages lui survivront aprèssa mort. Je me sens nu quand je n’en porte pas. Jene l’enlève que pour dormir et, si je me réveilledans la nuit, je me demande où elle est. J’ai unevraie relation avec elle.

On dirait que vous parlez d’une maîtresse…Oui ! Il y a de cela. Mais c’est aussi un doudouqui rassure les hommes.

Propos recueillis par Fabienne Reybaud

De gauche à droite.Carrousel Le Brassus, mouvementmécanique à remontage manuel,calibre 1736, répétition minutes, timbrecathédrale, carrousel à 6heures,boîtier en or rouge, bracelet en alligator,série limitée à 10 exemplaires, Blancpain(tél. : 01 42 92 08 88).Montre Emperador Coussin, mouvementautomatique extraplat de 2,8 mmd’épaisseur, calibre 1270P, tourbillon,boîtier en or blanc, bracelet en alligator,Piaget (tél. : 01 58 18 1415).


Montre Chiffre Rouge, mouvementautomatique, boîtier et bracelet en orjaune, index en diamants,série limitée à 15 exemplaires,Dior Horlogerie (tél. : 01 40 73 73 73).

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Manufacturé en Suisse dans les Ateliers Horlogers Louis Vuitton de La Chaux-de-Fonds


Le tourbillonde leur vie

Aujourd’hui, plus que jamais, cette complication fait tourner la tête des hommes.Et celle des marques horlogères. Analyse d’un attachement quasi passionnel.

Après des mois de sobriété mécanique, de cadransà trois aiguilles, fins comme du papier à cigarette,voilà que le marché renoue avec des ouvragesplus exubérants. Enfin, le tourbillon revientsur le devant de la scène, pour le plus grand plaisirdes amateurs de complications.Fort à propos, comme un pont entre ces deuxcourants opposés, Piaget a dévoilé, au moisde janvier, à Genève, un tourbillon… extraplat.L’Emperador Coussin présente une taille de guêpeavec son épaisseur de 10,4 mm et un visage originalgrâce à son microrotor en or rose visiblesur le cadran à 9 heures (et non caché sousle mécanisme comme dans la plupart des cas).L’horloger joaillier n’est pas le seul à s’y intéresser.Parmi les nombreux spécimens qui fleurissentdans les collections, citons, entre autres,la Christophe Colomb de Zenith, elle arboreun globe en verre qui recouvre une cage montéesur un cardan qui maintient le mécanismeà l’horizontal ; la Master Grande Traditionà Tourbillon de Jaeger-LeCoultre, déjà primée en2009 par le Concours international de chronométriedu Musée de l’horlogerie du Locle, qui sortcette année dans une version plus grande (43 mm) ;l’Astrorégulateur de Cartier, dont l’ambition estni plus ni moins de réinventer le principedu tourbillon grâce à un rotor qui stabilisel’échappement et l’oscillateur ; l’Histoirede Tourbillon no 2 de Harry Winston, sujet équipéd’un mécanisme biaxial qui semble flotter danssa cage. Ou encore le modèle de Jaquet Droz. Alorsque, depuis quelque temps, cette marque du SwatchGroup ne proposait plus cette complication,elle présentera à Bâle un beau tourbillon situé dans

la grande seconde, en haut d’un cadran émaillé…Sans oublier Breguet, inventeur de ce systèmeau XIXe siècle, ou, plus récemment, Greubel Forsey,qui ne fabrique que des tourbillons depuis lacréation de la marque en 2004.

Fatale attractionD’où vient un tel pouvoir de séduction ?Le tourbillon ne manque pas d’atouts poursubjuguer les toqués d’horlogerie. Le premier estla précision. Imaginée en 1801 par Abraham-LouisBreguet afin d’annuler les effets de l’attractionterrestre sur les composants de la montreet de compenser les erreurs de marche,cette invention géniale n’a pas vraiment étédétrônée depuis plus de deux siècles – sauf bienévidemment par les mécanismes à quartz, maisc’est une autre histoire. Son concept ensuitea de quoi séduire. « Le tourbillon captive carson ambition est fascinante : défier les loisde la gravité…, rappelle Carole Forestier,responsable de la création des mouvementschez Cartier. En outre, il s’agit d’une complicationà part car elle ne vise pas à ajouter une fonctionà la montre (comme une répétition minute, une phasede lune ou un quantième) mais uniquement à améliorersa performance. » En d’autres termes, le tourbillonne fait pas plus mais mieux, ce qui le placeroyalement au-dessus du lot. Enfin, son physiqueest pour le moins avantageux puisqu’il est le seulmécanisme horloger qui se donne à voir. Alors queles rouages d’une montre sont généralement cachéssous le cadran, cette cage rotative dans laquelletourne le balancier s’exhibe au premier plan.Ce cœur qui bat aimante l’œil et son mouvement

n’est pas sans rappeler celui des planètes, et doncde l’origine du temps. « Quand on le regardeau microscope, le tourbillon ressemble à un cœurhumain, c’est l’alliance entre une haute technologieet l’émotion la plus extrême. Que l’on soit passionnéou non, on ne peut pas ne pas être ému », résumeFlorence Ollivier, directrice générale de SwatchGroup France. Pourtant, le tourbillon n’a pastoujours déchaîné les passions. Stephen Forseyet Robert Greubel, cofondateurs de la marqueGreubel Forsey, se sont penchés sur l’histoirede cette complication. « Il a longtemps étéune prouesse technique jalousement gardée.Dans les montres de poche, il n’était pas visible,raconte Stephen Forsey. Pendant plus d’un siècleet demi, il n’a pas intéressé grand monde. Au débutdes années 1980, seuls les manufactures, les marquesprestigieuses et avant-gardistes et quelques horlogersindépendants en proposaient des déclinaisons. »

La crise a remis les pendules à l’heureDans les années 1990, l’industrie suisse se relevantdoucement de la crise du quartz des années 1970,grâce à son savoir-faire mécanique,les complications ont eu le vent en poupe. Considérécomme le summum de l’art horloger, le tourbillonn’est alors plus l’apanage des manufactures suisses,il devient un faire-valoir pour les acteursde ce secteur qui se l’approprient sans vergogne.« En 1999, lorsque nous avons commencé à examinerle marché, trente-cinq marques proposaientun tourbillon. Cinq ans plus tard, en 2004, annéede notre lancement, elles étaient plus de cent… »,se souvient Stephen Forsey.Un constat qui fait dire à bon nombre d’observateurs

que beaucoup d’abus ont été commis. À l’époque,la majorité des mécanismes étaient achetés à dessous-traitants suisses, voire chinois. Mais la récessionest passée par là et a remis les pendules à l’heure.« La crise a opéré comme une détox », indiqueMounia Mechbal, vice-présidente marketing etcommunication chez Harry Winston. Ce queconfirme Jean-Frédéric Dufour, président de Zenith :« Aujourd’hui, plus qu’avant, les clients recherchent lalégitimité et veulent savoir ce qu’ils achètent. »Il n’en reste pas moins que la demande ne s’est pastarie. Ces pièces s’adressent à des connaisseurs,exigeants, avertis, aisés (puisqu’il faut compterau moins 70 000 € pour acquérir une telle pièce),et souvent collectionneurs. « Il s’agit d’un petitgroupe, de plus en plus global, qui ne se cantonne pasau Moyen-Orient, au Japon et aux États-Unis. Il y adésormais des amateurs partout, de l’Amérique du Sudà l’Asie en passant par l’Europe », fait remarquerMounia Mechbal. Ce public, de l’avis des marques,crée une émulation qui les encourage à allertoujours plus loin. Or, les horlogers ne demandentque cela. Et les entreprises y trouvent souvent leurcompte. Produits en petite quantité, tourbillonset néotourbillons sont néanmoins générateursde chiffre d’affaires, apportent de la crédibilitéaux marques et parfois décrochent des prixd’horlogerie. Sans compter que ces photogéniquesbêtes à concours font couler beaucoup d’encre dansles médias et sur les blogs. Il n’empêche que CaroleForestier, qui compte de très nombreuxdéveloppements de haute horlogerie à son actif,relativise les choses : « Le secteur vit une époquepassionnante, mais qu’en retiendra l’histoire ? »

Élodie Baërd

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Ci-dessus, de gauche à droite.Montre Richard Lange TourbillonPour Le Mérite, mouvement mécaniqueà remontage manuel, calibre L072.1,boîtier en or rose, bracelet en crocodile,A. Lange & Söhne(www.alange-soehne.com).Montre Master Grande Tradition,mouvement automatique,calibre JLC 978, tourbillon, boîtieren or rose, bracelet en alligator,Jaeger-LeCoultre (tél. : 01 58 1818 33).Montre Octa UTC, mouvementautomatique, calibre FPJ 1300-3,indication des fuseaux horaireset de l’heure d’été/heure d’hiver, boîtieren platine, bracelet en crocodile, sérielimitée à 342 exemplaires, F.P.Journe(tél. : 01 42 68 08 00).

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Langage muscléLa tradition, le sport, des égéries charismatiques… Les marques horlogères misent

sur une communication qui conforte la gent masculine dans ses valeurs.

Les maisons horlogères suivent avecla plus grande attentionle développement des nouveaux médias,elles imaginent des sites à la pointe,utilisent régulièrement des outils commeFacebook et YouTube, et surveillentde près le marketing viral sur Internet…Mais lorsqu’il s’agit de communicationtraditionnelle, la modernité n’est pastoujours au rendez-vous et les mêmesthèmes éculés sont repris régulièrement.Les visuels célèbrent la performance,le pouvoir, l’efficacité, le contrôle,soit une caricature de la masculinité.Contrairement à d’autres secteursqui utilisent volontiers l’humour dansleur campagne, la publicité horlogèreuse rarement du second degré, préférant« le sérieux, le conventionnel,le solennel », note Lucie Courvoisier,un des auteurs de La Communicationhorlogère, édité récemment par l’Institutdu marketing horloger de Neuchâtel(créé il y a dix-huit mois). « On ne prendpas à la légère des siècles de traditionet un travail artisanal de haute précisionet de haute qualité », ajoute-t-elle.D’un point de vue philosophique,« la montre est une incarnation matérielled’une angoisse de nos sociétés modernes :la fuite du temps. On ne plaisante pasavec les peurs sociales », poursuitla spécialiste.Les quelques tentatives hors des sentiersbattus n’ont pas été couronnéesde succès. Le public adhère malà l’originalité, la publicité des marquesde luxe se doit de rassurer le client dansson intention d’achat et nonle déstabiliser. En outre, compte tenude ce que coûte une campagne, il fautqu’elle soit fédératrice. Autantde raisons qui expliquent que l’onrecourt toujours aux mêmes procédéset qu’on exploite les mêmes thèmes.

Le sportEn rendant hommage à cet univers,les marques vantent la performance,la discipline, le travail, la forcephysique, autant de valeurstraditionnelles liées à une représentationsociale de l’homme, qui collent assezbien à l’horlogerie. Le sport permet

« une simplification facile du lien entrele client et la marque », explique KalustZorik, un des fondateurs de l’Institutdu marketing horloger. Qu’ils suiventles compétitions, qu’ils pratiquentou rêvent de pratiquer telle ou tellediscipline, le public y consacreune partie de son temps, ce qui le rendréceptif. Foot (Ebel), tennis (Rolex etRichard Mille), golf (Rolex), le mondehorloger adhère à toutes les activités,de la plus populaire à la plus élitiste,mais il affectionne particulièrementcelles qui flirtent avec l’extrême oul’aventure, comme la voile (Panerai,Audemars Piguet), l’automobile (TAGHeuer), l’aviation (Breitling, Bell& Ross), le polo (Jaeger-LeCoultre,Piaget)…

L’histoire« La haute horlogerie est d’autant plussensible à la thématique du passé qu’ellea une histoire », note Lucie Courvoisier.On ne compte plus le nombre demarques qui font figurer à côté de leurlogo leur date de fondation : Breguet(« depuis 1775 »), Zenith (« since1865 »), Audemars Piguet (le maîtrede l’horlogerie depuis 1875), TAG Heuer(« Swiss avant-garde since 1860 »)…En mettant en avant son passé et sesracines, une marque s’extrait des modeset célèbre du même coupson intemporalité. Et, implicitement,sa légitimité. Cela rassure les hommes.

Les ambassadeursRolex et TAG Heuer ont été les premiers,dans les années 1970, à faire appelà des égéries. Depuis une dizained’années, la quasi-totalité des marquesde haute horlogerie s’associent aux starsde Hollywood, aux champions sportifset aux mannequins en vogue. « L’hommeaura toujours besoin d’un reflet idéaliséde lui-même dans lequel il pourra projeterses besoins inassouvis », commenteLucie Courvoisier. À l’instarde George Cloney, chez Omegaet Nespresso, ou Maria Sharapovachez TAG Heuer et Nike,les personnalités les plus bankablesignent des contrats avec plusieurs

griffes. Cela brouille le message mais,surtout, cela fait monter les enchères,comme l’explique Ladislav Kladny,directeur d’une agence decommunication : « L’industrie horlogèreest une toute petite industrie qui doits’aligner sur les géants. Le “prix”de Maria Sharapova, par exemple, est biensûr comparable à ce que lui offre Nike. »Aujourd’hui, les marques s’offrentplusieurs ambassadeurs. Cela permetd’ajuster la communication en fonctionde l’actualité des uns et des autres(un champion qui trompe sa femme,un autre qui remporte un trophée),mais également en fonction des zonesgéographiques.

Le produit est roi« Les tendances publicitaires alternententre des campagnes de produit etdes campagnes de marque », expliqueun professionnel. Quand le contexte est

florissant, que les montres se vendenttoutes seules, les marques se mettenten scène. Mais quand l’activité ralentit,il faut remettre le produit au cœurdu message. Depuis quelque temps,beaucoup de marques poussentleurs valeurs sûres qui confortentles clients dans leurs choix et serecentrent sur leurs modèles icônes.

Les exceptionsqui confirment la règlePatek Philippe a choisi, depuis quelquesannées, de ne pas s’adresser directementaux hommes, mais à la famille(sémantique généralement réservéeaux femmes), en insistant surla dimension patrimoniale de leursmodèles. Avec son slogan « Jamais vousne posséderez complètement une PatekPhilippe. Vous en serez juste le gardien,pour les générations futures », la marqueexplore un nouveau discours. Le thème

de la tribu et d’un certain lifestyle serad’ailleurs bientôt décliné par Baume& Mercier qui a travaillé sur un nouveaumessage publicitaire et met finà ses campagnes avec des ambassadeurs.Dans un tout autre registre, Piageta proposé entre 2004 et 2010 unecommunication originale à l’esthétiquekitsch et inattendue, signée des artistesPierre et Gilles. « L’idée était de réaliserune campagne commune pour tousnos produits (joaillerie et horlogerie)et pour tous les pays grâce à des imagesaudacieuses qui se distinguent des autres,mais nous nous sommes aperçusque le résultat était trop segmentant »,analyse Philippe Léopold-Metzger,le président de Piaget. La marque estrevenue à un visuel plus classique,célébrant la finesse de son modèleiconique, l’Altiplano. L’originalitéest difficile à imposer.

É. B.



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