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U ne bonne improvisation de jazz, dit-on souvent, se doit de « raconter une histoire » 1 . Si cette expression peut certainement s’interpréter de façon littérale, étant donné le fort pouvoir que possède la musique pour exprimer une signification, elle est aussi souvent comprise comme une métaphore structurelle impliquant qu’un solo devrait s’organiser de façon logique 2 . Cette métaphore soulève naturellement une autre question : quel genre d’histoire raconte un bon solo ? Certaines histoires, au sens littéraire, trouvent leur unité dans une narration globale et continue, du début à la fin ; d’autres consistent plutôt en une suite d’épisodes dont l’ordre n’est pas nécessairement crucial. Dans un contexte musical, Karol Berger a nommé ces deux types de forme « temporelle » et « cyclique » 3 . LES IMPROVISATIONS SUR LE BLUES DE MICHEL PETRUCCIANI : CYCLIQUES OU TEMPORELLES ? Benjamin Givan 1 Voir par exemple Berliner 1994, p. 201-202, 262. 2 Harker 1999, p. 46-51. Voir aussi Harker 2011, p. 40-42. 3 Berger 2008. 18 Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 193

les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

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Page 1: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

Une bonne improvisation de jazz, dit-on souvent, se doit de « raconter une histoire » 1. Si cette expression peut certainement s’interpréter de façon littérale, étant donné le fort pouvoir que

possède la musique pour exprimer une signification, elle est aussi souvent comprise comme une métaphore structurelle impliquant qu’un solo devrait s’organiser de façon logique 2. Cette métaphoresoulève naturellement une autre question : quel genre d’histoire raconte un bon solo ? Certaines histoires, au sens littéraire, trouvent leur unité dans une narration globale et continue, du début à lafin ; d’autres consistent plutôt en une suite d’épisodes dont l’ordre n’est pas nécessairement crucial. Dansun contexte musical, Karol Berger a nommé ces deux types de forme « temporelle » et « cyclique » 3.

LES IMPROVISATIONS SURLE BLUES DE MICHEL

PETRUCCIANI : CYCLIQUESOU TEMPORELLES ?

Benjamin Givan

1 Voir par exemple Berliner 1994, p. 201-202, 262.2 Harker 1999, p. 46-51. Voir aussi Harker 2011, p. 40-42.3 Berger 2008.

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La forme « temporelle », au cours de laquelle les événements musicaux adviennent selon leurseul ordre plausible, caractérise selon Berger l’architecture générale des musiques classiques de la findu XVIIIe et du XIXe siècles 4. Dans certaines improvisations de jazz, les figures mélodiques ouphrases, mais également les chorus dessinent clairement une trajectoire à grande échelle : David Akeentend, dans beaucoup des solos du saxophoniste John Coltrane du début des années 1960, une progression caractérisée par un départ, une transformation et une résolution, Lawrence Gushee percevant quant à lui un schème rhétorique similaire dans le solo de Lester Young sur « Shoe ShineBoy » en 1936 5. La forme « cyclique », dans laquelle l’ordre des événements musicaux n’est pas crucial est, de l’avis de Berger, typique des idiomes musicaux de la musique classique occidentale précédant les Lumières, telle que la musique baroque 6. Cette sorte de structure narrative non linéaireest commune à de nombreuses cultures orales 7 ; dans la musique traditionnelle d’Afrique de l’Ouest,elle se manifeste à travers des modèles interactifs répétés de façon cyclique, soutenant le plus souventl’improvisation d’un maître tambourinaire. Ce principe organisationnel perdure dans de nombreusesmusiques de la diaspora africaine, y compris dans le jazz, où une section rythmique exécute de façonconventionnelle une forme récurrente en accompagnement d’un soliste instrumental 8.

L’unité formelle récurrente dans le jazz mainstream consiste le plus souvent en un chorus de 12ou 32 mesures, et la succession des chorus dans un solo peut être qualifiée de cyclique au sens où leconçoit Berger. Dans les out-takes 9 des séances studio de son célèbre album Giant Steps de 1959, l’onentend Coltrane expliquant à ses partenaires qu’il veut raconter musicalement une histoire 10. Ce qui n’empêche pas Ake de prétendre, à juste titre, que le solo de Coltrane sur « Giant Steps » « n’endeviendrait pas moins compréhensible… si l’on redistribuait l’ordre de ses chorus » et qu’on pourraitdire la même chose de la légendaire performance de « Ko Ko » par Charlie Parker en 1945 11.L’histoire racontée par ces improvisations n’est pas linéaire, aucun des chorus ne fonctionnant néces-sairement comme un début, un milieu ou une fin, et aucun fil conducteur ne venant relier chaque chorusau suivant. Le format thème et variations coutumier au jazz prédispose tout particulièrement à ce typede forme cyclique : les thèmes étant généralement des pièces musicales indépendantes, leurs variationspeuvent facilement être tout aussi autonomes, sans qu’aucune trajectoire globale vienne déterminerleur ordonnancement séquentiel 12.

Il existe naturellement de nombreux moyens grâce auxquels les musiciens de jazz peuvent conférerà leurs solos une téléologie globale, soit par l’amplification ou la diminution d’un paramètre musicaltel que la hauteur de sons, la densité du débit ou le degré de dissonance harmonique au fil de chaquechorus, soit par un recours soutenu au développement motivique. Mais tant qu’elle se présente sousla forme de chorus individuels se démarquant les uns des autres à la surface de la musique, une performance apparaîtra toujours comme l’assemblage d’éléments indépendants. S’ils souhaitent éviterde donner cette impression, les musiciens peuvent relier entre eux des chorus adjacents et donner une

4 Voir aussi Agawu 1991, p. 51-72. La théorie la plus influente concernant la forme à grande échelle dans la musique « classique » savante est celle d’Heinrich Schenker. Voir Schenker 1979,p. 3-21.5 Ake 2010, p. 26-30 ; Gushee 1991, p. 250.6 Berger 2008, p. 8. Pour une critique de la position de Berger, voir Levin 2010.7 Ong 1982, p. 143.8 Brothers 1994, p. 488.9 Prises non sélectionnées mais néanmoins conservées (NdT).10 Voir Iyer 2004, p. 394-395.11 Ake 2010, p. 18-23. 12 De la même façon selon Charles Rosen, des formes thème et variations baroques telles que les Variations Goldberg de J.S. Bach peuvent être dénuées de trajectoire globale unifiée, malgréla progression mathématique régissant l’ordre des canons dans cette œuvre particulière (Rosen 1971, p. 93).

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forme de nécessité à leur enchaînement simplement par une phrase traversant le premier temps dunouveau chorus ; Gushee remarque que Young pratique ainsi de temps en temps 13. Que la narration globale exprimée par le solo soit ou non temporelle, ces phrases de liaison, au moment où elles adviennent, infléchissent de façon subtile le modèle formel du cyclique vers le temporel en présentantles chorus voisins comme des constituants étroitement liés au sein d’un tout plutôt que comme desunités discrètes.

Les improvisations du brillant pianiste français Michel Petrucciani (1962-1999), lesquelles n’ontreçu jusqu’à présent que trop peu d’analyses minutieuses, se prêtent d’une façon tout particulièrement féconde à l’exploration de ces questions parce qu’elles illustrent à la fois le mode cyclique et le mode temporel d’organisation formelle, successivement (parfois de façon rapide) voire simultanément 14.À tout moment, la forme prise par les solos de Petrucciani peut être fortement influencée par lesstructures de ses phrases, lesquelles répondent aussi à différentes intentions expressives. Les solos surle blues en douze mesures enregistrés depuis la fin des années 1980 en sont des exemples particuliè-rement frappants car ils contiennent généralement plus de répétitions de chorus que les performancessur tempo (et de durée) similaire construites sur des thèmes plus longs.

« Mr. K.J. »

La terminologie suivante servira à décrire la relation entre les structures de phrase d’un improvi-sateur de jazz et la forme cyclique sous-jacente à la musique :• Phrase d’ouverture (abréviation O). Une figure musicale commençant sur ou peu après le premiertemps d’un nouveau chorus 15. Ces phrases propulsent la musique en avant vers un nouveau territoireen introduisant un nouveau matériau distinctif, dissemblable du chorus précédent mais souvent déve-loppé durant celui qui va suivre. Dans son solo de 1987 sur « Mr. K.J. », transcrit dans l’exemple u 1,Petrucciani place des phrases d’ouverture sur le premier temps du cinquième chorus (mes. 50), à laseconde mesure du sixième chorus (mes. 63) puis à la troisième mesure du septième (mes. 76) 16. Ledébut de chacune est mis en évidence par un crochet sur la transcription 17.• Phrase d’ouverture en avance (EO pour Early Opening). Un geste qui débute peu avant la fin d’unchorus et se poursuit au-delà du premier temps hypermétrique jusqu’au chorus suivant 18. De la mêmefaçon que dans les autres phrases d’ouverture, ce geste repose en règle générale sur un contour qui diffèresensiblement de celui (ou ceux) du chorus précédent. Ces phrases peuvent varier en longueur depuisune simple note prise au vol jusqu’à un passage plus élaboré qui installe le matériau motivique du nouveauchorus bien avant son premier temps initial, offrant une continuité substantielle entre les deux chorusconsécutifs. Même si cette connexion inter-chorus n’est pas suffisante pour assurer la cohérence à la

13 Gushee 1991, p. 252. Roger Pryor Dodge a attiré l’attention sur de telles techniques de phrasé dans le jazz dans un article initialement publié au milieu des années 1940 (Dodge 1995,p. 169). La tendance à « éviter un sectionnement excessif » est aussi, selon Steve Larson, un aspect fondamental de la démarche esthétique d’improvisateurs de jazz de l’après-guerre commeOscar Peterson et Bill Evans (Larson 2009, p. 51, 105).14 Il existe une biographie détaillée récente de Petrucciani (Halay 2011). Parmi les rares études analytiques de sa musique, voir Krieger 2004.15 Pour être plus précis, une phrase d’ouverture devrait aussi se définir comme la première phrase arrivant après le premier temps d’un chorus.16 Michel Petrucciani, « Mr. K.J. », Michel Plays Petrucciani (Blue Note CDP 7 48679 2), enregistré le 24 septembre 1987, avec Gary Peacock (b) et Roy Haynes (d).17 Pour l’essentiel, seules les lignes mélodiques jouées par la main droite ont été transcrites, et non les accords d’accompagnement joués à la main gauche.18 L’auteur évoque ici le « premier temps hypermétrique », soit celui de la nouvelle structure elle-même (constituée de 12 mesures), qui est aussi celui de sa première mesure (NdT).

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19 Pour le bassiste Chuck Israels, « Il est souvent beau de démarrer une phrase juste avant la fin d’un chorus et de la prolonger jusqu’à après le début du chorus suivant. Car cette ligne dedémarcation est si évidente dans la forme, que vous voulez souder cette articulation » (cité dans Berliner 1994, p. 246).20 Le terme évitement de cadence a été proposé par Steve Larson (Larson 1993, p. 293-94).

succession, elle unit les deux chorus plus fermement qu’en l‘absence d’une phrase de lien comme celle-ci. Une telle pratique éloigne au moins temporairement le modèle narratif (storytelling) de la musiquede celui d‘une narration cyclique, où chaque chorus individuel est un épisode à part, vers un modèleplus temporel, où chaque chorus progresse logiquement vers celui qui lui succède. Dans « Mr. K.J. »,un geste d’ouverture en avance inaugure d’une façon presque rhétorique le huitième chorus, troismesures avant la fin de la forme (mes. 83), et le neuvième chorus commence par une anacrouse longued’une mesure (mes. 97).• Phrase de clôture (C). La phrase finale d’un chorus, se terminant avant le premier temps du chorussuivant, le plus souvent avec une sensation claire de résolution rythmique et harmonique. Ces phrasesprésentent généralement un lien motivique avec le matériau exposé précédemment dans le chorus etauquel elles répondent ou qu’elles complètent. Petrucciani exécute un geste de clôture à la fin de sonsecond chorus dans « Mr. K.J. » (mes. 23-24), suivi directement par une ouverture du chorus suivantlégèrement en avance.• Phrase de clôture retardée (LC pour Late Closing). Une phrase commençant vers la fin d’un choruset se poursuivant jusqu’à la tête ou au-delà de la tête du suivant. Ces gestes se concluent souvent exac-tement sur le premier temps du nouveau chorus, ainsi à la fin du cinquième chorus de Petrucciani sur« Mr. K.J. » (mes. 61-62) (cette figure est assez similaire au geste de clôture de la fin du secondchorus) 19. Les phrases de clôture retardée et d’ouverture en avance sont toutes deux reliées aux chorusadjacents par le fait qu’elles enjambent le premier temps hypermétrique ; ce qui permet de les distinguerdépend de leur connexion motivique plus ou moins étroite avec ce qui les précède ou, au contraire, avecce qui les suit. Quand les gestes de clôture retardée se poursuivent au-delà du premier temps du nouveauchorus, ils procurent une sensation d’expansivité sans précipitation tout en maintenant la dynamiquemusicale jusqu’au chorus suivant. La fin du sixième chorus en est une illustration (mes. 73-74).• Évitement de cadence (CA pour Cadence Avoidance). Une phrase intervenant à la fin d’un choruset qui, comme certains gestes de clôture retardée, empêche une perte de dynamique, mais qui se termine avant le nouveau premier temps hypermétrique 20. À la différence des gestes de clôture usuels,ils se distinguent le plus souvent, au plan motivique, à la fois de ce qui les précède et de ce qui les suit ;leur fonction principale est de neutraliser toute sensation de résolution ou caractère conclusif à la findu chorus. Petrucciani utilise des évitements de cadence dans « Mr. K.J. » à la fin du premier chorus(mes. 10-13), grâce à un intervalle de septième majeure réitéré tous les trois temps, ainsi qu’à la findu quatrième (mes. 48-49) où, dans la tonalité de Do majeur, il joue plusieurs arpèges descendantssur des triades de Mib et Réb majeur sur des harmonies de tonique et de dominante. Ces gestes donnentun caractère musicalement inévitable au commencement d’un nouveau chorus sans relier les deux chorussuccessifs par une mélodie ou un motif.• Phrase d’enjambement ou phrase de pont (S pour Spanning). Une phrase assez longue qui commencebien avant la fin d’un chorus pour se prolonger jusqu’au cœur du chorus suivant, dissimulant le débutde la forme de telle manière que les deux chorus se trouvent irrévocablement reliés ensemble. En detels moments, le mode formel de la musique devient clairement temporel, transcendant du même coupla segmentation cyclique qui la sous-tend. Petrucciani joue une phrase d’enjambement entre les neuvième et dixième chorus de « Mr. K.J. » (mes. 106-112).

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« Mr. K.J. » est à certains égards une improvisation fortement cyclique et segmentée : Petruccianitend à y développer une idée musicale différente au cours de chacun des chorus. Mais le solo a aussides qualités temporelles, telle que la densité croissante du débit de notes durant ses sept premiers chorus.L’intensité musicale atteint son apogée entre les huitième et quinzième chorus, dominés par des répé-titions de riffs et des passages d’une virtuosité démonstrative ; les douze mesures finales s’achèvent parune référence au thème. À mesure que la performance progresse, son caractère cyclique ou temporeldépend fortement des phrases jouées par Petrucciani vers le début de chaque chorus. Le seul endroitoù deux chorus consécutifs ne sont reliés par aucune phrase est à la fin du chorus 4, où un évitementde cadence (mes. 48-49) précède une phrase d’ouverture placée sur le premier temps du chorus 5(mes. 50). À cet endroit, la musique est plus cyclique que nulle part ailleurs – le cinquième choruspourrait commencer d’une façon complètement différente ou advenir ailleurs, sans perdre beaucoupen cohérence dans un cas comme dans l’autre. Les premiers chorus sont de même plutôt cycliques,avec seulement de courtes phrases d’ouverture en avance au début de chacun des trois premiers (mes.1, 13 et 25) et une phrase de clôture retardée reliant le troisième au quatrième (mes. 37-38).

Par comparaison, la seconde partie du solo apparaît plus temporelle, Petrucciani débutant plusieursphrases d’ouverture bien en avance sur les chorus auxquels elles appartiennent par leur matériau moti-vique. En même temps qu’ils donnent une cohérence de surface à la succession d’un chorus à l’autre,ces gestes amplifient le dynamisme propulsif de la musique – chaque anticipation d’un chorus à venir suggère ardeur, impétuosité et exubérance. Les chorus 8, 13 et 15 sont chacun introduits par desphrases d’ouverture qui commencent au moins deux mesures en avance sur le premier temps hyper-métrique (mes. 84, 142 et 168).

À travers une série de longues lignes mélodiques balayant tout le registre du clavier et rythmiquementtrès élaborées, le solo atteint son climax de virtuosité au cours des neuvième et dixième chorus (mes.98-121). Comme il a été dit, ces deux chorus sont aussi réunis par une phrase de pont de six mesuresdont le mouvement pentatonique en cascade dissimule le début du dixième chorus (mes. 110). En effet,l’entrée dans le nouveau chorus est rendue totalement imperceptible par une série de patterns descendantssur trois temps, venant déstabiliser la mesure binaire sous-jacente (mes. 109-112). L’orientation formelle de la musique à cet endroit est clairement temporelle plutôt que cyclique, tant au niveau local– les deux chorus étant fondus ensemble et non articulés en unités indépendantes – qu’au niveau global,par le fait que les phrases de connexion entre les chorus n’ont cessé de gagner en importance depuisle début du solo.

« Happy Birthday Mr. K. »

Dans l’improvisation de Petrucciani sur le blues « Happy Birthday Mr. K. » (1989), transcritdans l’exemple u 2, ces mêmes techniques de phrasé dessinent une courbe générale quelque peu différente dans sa rhétorique 21. Les phrases de clôture retardée y prédominent, suggérant une sensation

21 Michel Petrucciani, « Happy Birthday Mr. K. », Music (Blue Note CDP 7 92563 2), enregistré en 1989 avec Andy McKee (d), Victor Jones (d) et Frank Colon (perc).

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?202 |

Page 11: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

permanente de décalage (d’autant qu’on ne trouve pas la moindre phrase d’ouverture en avance). Pardeux fois, le solo atteint de hauts sommets d’intensité par des phrases de pont, le tout semblant dessiner deux parties. Une première section, composée des chorus 1 à 4, présente des phrases de clôture retardées en tête des trois premiers chorus (mes. 1-4, 14-16, et 23-28) et une phrase d’enjambement entre les troisième et quatrième (mes. 40). Une phrase de clôture, se terminant sur lepremier temps (mes. 51), referme le quatrième chorus avec une forte sensation de résolution. Petruccianidébute le cinquième chorus par une phrase d’ouverture, peu après le premier temps hypermétrique(mes. 52), phrase qui donne le sentiment d’un nouveau départ – en effet, les formules mélodiques unpeu brusques de ce chorus pourraient parfaitement convenir au démarrage d’un solo 22. La secondepartie de l’improvisation qui s’ensuit conduit, comme la première, à une phrase de pont – il y en a deux,en réalité, entre les chorus 8-9 et 9-10 (mes. 100 et 112). Celles-ci apparaissent au milieu d’une chaîneflamboyante et ininterrompue de 29 mesures en croches, une effusion torrentielle qui transcendeconstamment le découpage, propre à la forme blues, en unités hypermétriques de quatre mesures.Alors que ces liens entre chorus suggèrent un mode formel temporel, les quatre chorus restants sontrésolument cycliques, segmentés de façon nette par des phrases de clôture et d’ouverture, à mesure quediminue progressivement le niveau d’intensité de la musique.

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u 2 « Happy Birthday Mr. K. »

22 Pierre Fargeton remarque qu’aux mes. 55-58, Petrucciani cite la chanson de Serge Rezvani « Ma Ligne de Chance », tirée du film Pierrot Le Fou de Jean-Luc Godard (1965).

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 203

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?204 |

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 205

Page 14: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

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Bb7

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F Am D7

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Gm C7 F

Dm

Dm

GmC7

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?206 |

Page 15: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

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Bb7

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156

Gm C7Gm C7 F Dm LC

148

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152

Bb7 FAm D7

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 207

Page 16: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

« My Bebop Tune »

Le solo de Petrucciani daté de 1989 sur « My Bebop Tune », transcrit dans l’exemple u 3, commence sur un mode cyclique comparable : ses quatre premiers chorus pourraient sans doute s’enchaîner de façon tout aussi cohérente, quel que soit l’ordre dans lequel ils seraient placés 23. Lesseules connexions mélodiques entre l’un de ces chorus consécutifs se présentent sous la forme de deuxphrases d’ouverture en avance placées en anacrouse (mes. 12 et 48) et une seule formule de clôture,légèrement retardée (mes. 37), chacune d’elles étant trop brève pour installer une sensation forte decontinuité temporelle par-delà les premiers temps hypermétriques. Mais à mesure que la performancese déploie, le pianiste se met à relier les chorus en unités structurelles plus larges, commençant parune période de 48 mesures entre les cinquième et huitième chorus (mes. 49-96). À partir du milieudu cinquième jusqu’à la seconde mesure du septième, Petrucciani produit un courant ininterrompude croches (mes. 55-74) ; la phrase située en tête du sixième chorus (mes. 61) peut s’entendre commele tuilage entre une phrase de clôture retardée et une phrase d’ouverture placée exactement sur le premier temps 24. Il y a encore davantage de continuité entre les deux chorus suivants – une phrasede pont masquant le début du septième chorus (mes. 73) – et Petrucciani réutilise par la suite laphrase de clôture retardée du chorus 7 (mes. 83) comme motif initial pour le chorus 8 (mes. 85)(cette phrase échappe à mes distinctions terminologiques puisqu’elle fonctionne tout aussi biencomme un geste d’ouverture en avance).

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23 Michel Petrucciani, « My Bebop Tune », Music (cf. note 21), Andy McKee (b), Victor Jones (d).24 Bien que le profil mélodique du pattern, régulier et rythmiquement homogène, puisse suggérer une phrase de pont, le passage qui se produit sur le premier temps d’un simple contourmélodique de gamme à une séquence prolongée d’arpègements suggère qu’une nouvelle phrase commence.

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?208 |

Page 17: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

L’unique autre phrase de césure sans équivoque entre deux chorus successifs, au cours de ce solo,apparaît au début du neuvième chorus (mes. 97), où Petrucciani commence un mouvement d’oscil-lation prolongé sur une tierce mineure (d’abord en croches puis en trémolo), mouvement qui persistede façon ininterrompue jusqu’à l’avant-dernière mesure du dixième chorus (mes. 119), provoquantpar la même occasion un glissement de l’intérêt musical vers sa main gauche. Par ce biais, les neuvièmeet dixième chorus se trouvent unis de façon plus décisive qu’aucun couple de chorus adjacents. Leschorus suivants sont tout de même tous reliés mélodiquement. En résumé, non seulement chacunedes phrases de connexion utilisées par Petrucciani entre les chorus suggère en elle-même un déroulementtemporel au moment où elle surgit, mais dans leur ensemble, en raison de leur fréquence croissante,ces phrases confèrent aussi au solo entier une trajectoire formelle temporelle.

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u 3 « My Bebop Tune »

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 209

Page 18: les improvisations sur le blues de michel petrucciani : cycliques ou

Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?210 |

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 211

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Eb7Eb7

F7Ab

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?212 |

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ? | 213

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Conclusion

Ces types de structures mélodiques et ces modes d’organisation formelle sont à l’œuvre dans d’innombrables autres improvisations du jazz mainstream en dehors de celles de Michel Petrucciani,pour ne rien dire de la musique appartenant à divers autres idiomes. L’usage qu’en fait Petrucciani estparticulièrement remarquable, pourtant, en raison de la synthèse fascinante qu’il réalise entre larigueur intellectuelle d’un côté, et une évidence auditive communicative. « Quand je joue, je le faisavec mon cœur et ma tête et mon esprit » a déclaré une fois le pianiste 25. Son art expressif, observéici au niveau superficiel de la rhétorique de son phrasé, soulève de profonds problèmes philosophiquesde temps, de forme et de continuité : une improvisation de jazz est-elle atemporelle ou téléologique ?Épisodique ou linéaire ? Fragmentée ou unifiée de façon homogène ? De telles questions esthétiques,aussi cérébrales et éloignées de l’expérience musicale directe qu’elles puissent paraître, sont pourPetrucciani une matière inépuisable à raconter des histoires en musique et une source irrépressible devitalité, de légèreté et de joie 26.

Traduction de l’anglais (États-Unis) par Vincent Cotro

BENJAMIN GIVAN est Professeur Associé de musique au Skidmore College (Saratoga Springs, États-Unis). Il est l'auteurde The Music of Django Reinhardt (University of Michigan Press).

25 Cité dans Hajdu 2009, p. 262.26 Dans une chronique de plusieurs rééditions récentes d’enregistrements du pianiste, David Hajdu évoque « le pouvoir extatique de la musique de Petrucciani. Je ne connais pas de pianistedepuis Petrucciani qui joue avec une telle exubérance et une telle joie non déguisée » (Hajdu 2009, p. 262).

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Les improvisations sur le blues de Michel Petrucciani : cycliques ou temporelles ?214 |

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