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102 Lanzéni YEO et al : Les jardins familiaux : un apport à la sécurité alimentaire des ménages... LES JARDINS FAMILIAUX : UN APPORT À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DES MÉNAGES DANS LA VILLE DE FERKESSÉDOUGOU (NORD DE LA CÔTE D’IVOIRE) Lanzéni YEO Attaché de Recherches [email protected] Zana Souleymane OUATTARA Docteur [email protected] Mamadou KONE Docteur [email protected] Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire RÉSUMÉ L’étalement de la ville de Ferkessédougou est caractérisé par une forte déprise agricole. La densité du bâti sur les espaces de cultures entraîne une reconversion des producteurs dans le jardinage familial. Cet article vise à évaluer l’apport des jardins familiaux à la sécurité alimentaire des ménages à Ferkessédougou. Pour ce faire, la méthodologie a été principalement basée sur l’analyse documentaire et l’enquête de terrain. Les résultats montrent que dans la ville de Ferkessédougou, il existe deux grands sites de jardins familiaux localisés aux alentours des deux barrages de la ville. Ces jardins sont destinés à l’épanouissement des ménages et aux membres qui la composent. Environ 90 % des ménages de la ville pratiquent le jardinage surtout pendant la saison sèche. Celui-ci contribue à la sécurité alimentaire des ménages de manière directe par la disponibilité et l’accessibilité des produits maraîchers. Mais aussi de manière indirecte par les revenus générés qui permettent l’achat de denrées alimentaires et la variation du régime alimentaire des ménages. Mots-clés : Côte d’Ivoire, Ferkessédougou, jardins familiaux, sécurité alimentaire, ménages. ABSTRACT The spread of the city of Ferkessédougou is characterized by a serious agricultural abandonment. The density of the building on farmable spaces leads to a conversion of the producers in the family gardening. This article aims to evaluate the contribution of family gardens to household food security in Ferkessédougou. Thus, our methodology was mainly based on the literature review and the field survey. The results show that in the city of Ferkessédougou, there are two large family gardens sites located around the two dams of the city. These gardens are intended for the development of the households and the members that compose it. About 90 % of households in the city practice gardening especially during the dry season. It contributes to household food security directly through the availability and accessibility of market garden products. But also indirectly through the income generated that allows the purchase of foodstuffs and the variation of the household diet. Keywords: Côte d’Ivoire, Ferkessédougou, family gardens, food security, households.

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LES JARDINS FAMILIAUX : UN APPORT À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DES MÉNAGES DANS LA VILLE DE FERKESSÉDOUGOU (NORD DE LA

CÔTE D’IVOIRE)

Lanzéni YEOAttaché de [email protected]

Zana Souleymane OUATTARA Docteur

[email protected]

Mamadou KONE Docteur

[email protected]

Université Félix Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

RÉSUMÉL’étalement de la ville de Ferkessédougou est caractérisé par une forte déprise agricole. La densité du bâti sur les espaces de

cultures entraîne une reconversion des producteurs dans le jardinage familial. Cet article vise à évaluer l’apport des jardins familiaux à la sécurité alimentaire des ménages à Ferkessédougou. Pour ce faire, la méthodologie a été principalement basée sur l’analyse documentaire et l’enquête de terrain. Les résultats montrent que dans la ville de Ferkessédougou, il existe deux grands sites de jardins familiaux localisés aux alentours des deux barrages de la ville. Ces jardins sont destinés à l’épanouissement des ménages et aux membres qui la composent. Environ 90 % des ménages de la ville pratiquent le jardinage surtout pendant la saison sèche. Celui-ci contribue à la sécurité alimentaire des ménages de manière directe par la disponibilité et l’accessibilité des produits maraîchers. Mais aussi de manière indirecte par les revenus générés qui permettent l’achat de denrées alimentaires et la variation du régime alimentaire des ménages.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Ferkessédougou, jardins familiaux, sécurité alimentaire, ménages.

ABSTRACTThe spread of the city of Ferkessédougou is characterized by a serious agricultural abandonment. The density of the building

on farmable spaces leads to a conversion of the producers in the family gardening. This article aims to evaluate the contribution of family gardens to household food security in Ferkessédougou. Thus, our methodology was mainly based on the literature review and the field survey. The results show that in the city of Ferkessédougou, there are two large family gardens sites located around the two dams of the city. These gardens are intended for the development of the households and the members that compose it. About 90 % of households in the city practice gardening especially during the dry season. It contributes to household food security directly through the availability and accessibility of market garden products. But also indirectly through the income generated that allows the purchase of foodstuffs and the variation of the household diet.

Keywords: Côte d’Ivoire, Ferkessédougou, family gardens, food security, households.

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© (EDUCI) 2018 Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°1, 2018 103

INTRODUCTION

L’urbanisation est une tendance majeure des dernières décennies (Véron, 2007, p. 3) qui se poursuivra encore dans les prochaines années, accompagnant l’accroissement démographique mondial. Elle se caractérise par la consommation des espaces agricoles proches des villes pour l’extension urbaine. Pour que l’offre agricole parvienne à suivre l’accroissement de la demande alimentaire urbaine, cela suppose une augmentation de la productivité agricole. Cependant, dans les pays en développement l’urbanisation s’effectue dans un contexte de pauvreté d’une large part de la population. La Côte d’Ivoire n’est pas soustraite de cette réalité. La ville de Ferkessédougou compte 120150 habitants et enregistre un taux d’urbanisation de 47 % (RGPH, 2014, p. 33). Elle est caractérisée par une forte déprise agricole. La densification du bâti sur les espaces de cultures entraîne une reconversion des producteurs dans la production maraîchère et la relocalisation des sites de production autour des sites habités. Cette production agricole de proximité est considérée par la FAO (2009, p. 4) comme l’une des approches les plus efficaces pour combattre l’insé-curité alimentaire. Or, selon le MINADER (2014, p. 7), la ville de Ferkessédougou enregistre un score de consommation alimentaire pauvre et une faible diversité alimentaire. Aussi, depuis 2015, le FIDA (Fonds International pour le Développement Agricole) a-t-il réalisé un projet d’appui à la production agricole consacré aux jardins familiaux afin d’améliorer la sécurité alimentaire des ménages de la ville. Cette étude a pour but d’évaluer l’apport des jardins familiaux à la sécurité alimentaire des ménages à Ferkessédougou. La ville de Ferkessédougou est située à 9°32 de latitude nord et 6°29 de longitude ouest dans le district des savanes au nord de la Côte d’Ivoire. (Figure n°1).

Figure n°1 : Localisation de la ville de Ferkessédougou

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I. MÉTHODOLOGIE

Dans le but d’atteindre l’objectif fixé dans cette étude, la méthodologie adoptée repose, en grande partie sur des enquêtes de terrain. Cette phase a été précédée et suivie de recherches bibliographiques, pour approfondir et clarifier certains aspects de la thématique, mais aussi pour confirmer certaines observations faites sur le terrain. Ces informations sont complétées par celles fournies par les différentes structures d’encadrement affiliées à l’agriculture telles que l’Agence Nationale d’Appui au Développement rural (ANA-DER) et le Centre National de Recherche Agronomique (CNRA). Mais surtout par les responsables du FIDA à travers le Projet d’Appui à la Production Agricole et à la Commercialisation (PROPACOM). Il s’agit des informations sur le fonctionnement des jardins familiaux dans la ville de Ferkessédougou.

Ensuite, une enquête de terrain s’est effectuée pendant la période de la saison sèche au cours des mois de novembre et de décembre 2017. Puis à l’aide d’un questionnaire, les deux grands sites abritant les jardins familiaux ont été parcourus. L’objectif étant d’interroger les responsables des deux grandes asso-ciations de femmes. En plus des différentes présidentes, ce questionnaire a également été adressé à 100 jardinières en raison de 50 par site. Des entretiens ont également été menés avec les autorités municipales et les responsables du PROPACOM. Le but de ces rencontres était de voir comment les jardins familiaux contribuaient à la sécurité alimentaire des ménages dans la ville de Ferkessédougou et aussi de déceler les difficultés liées à leur vulgarisation.

II. ANALYSE DES RÉSULTATS

Les résultats obtenus sont regroupés en trois parties à savoir l’état des lieux de la pratique du jardinage familial dans la ville de Ferkessédougou, la contribution des jardins familiaux a la sécurité alimentaire des ménages de la ville et les difficultés liées au développement de ces jardins familiaux.

II.1. ÉTAT DES LIEUX DE LA PRATIQUE DU JARDINAGE FAMILIAL DANS LA VILLE DE FERKESSEDOUGOU

L’état des lieux de la pratique du jardinage familial dans la ville de Ferkessédougou a consisté à faire la localisation des sites et types de produits cultivés dans les jardins familiaux de la ville. Ensuite le profil sociodémographique des producteurs de ces jardins a fait l’objet d’étude. En fin l’organisation et l’encadre-ment des femmes pratiquant le jardinage familial a été analysé.

II.1.1. Localisation des sites et types de produits cultivés dans les jardins familiaux de Ferkessédougou

Depuis 2015, plusieurs projets visant à améliorer la situation économique et la sécurité alimentaire des ménages du nord de la Côte d’Ivoire ont vu le jour. Le Projet d’Appui à la Production Agricole et à la Commercialisation financé par le Fonds International pour le Développement Agricole, fait partie desdits projets. Il a consisté en la création de jardins familiaux au profit des ménages regroupés au sein de deux associations. Ces jardins sont destinés à l’épanouissement des ménages. Il y existe deux grands sites localisés aux alentours des deux barrages de la ville. Il s’agit du barrage dans le quartier Lanviara et de celui dans le quartier Gare. Ces deux sites ont chacun 10 hectares de superficies. Ces espaces sont mis à la disposition du projet par les autorités municipales au profit des associations communautaires. Le projet prend en compte 5 hectares occupés par les produits maraîchers bénéficiant du système d’irrigation goutte à goutte. Cette eau est tirée du barrage grâce à des gros tuyaux qui sont relayés par des petits tuyaux au niveau des cultures (Photo 1).

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Photo 1 : Champ d’oignon aménagé au système d’irrigation goute à goute (Source : Zana, 2017)

Par ailleurs, en dehors des jardins collectifs, il existe également dans la ville de Ferkessédougou, des techniques de micro-jardinage appropriées. Même avec un espace restreint, une famille peut par exemple produire une grande variété de légumes aux alentours de son habitation. Ces micro-jardins sont basés sur des matériaux facilement disponibles et très bon marché. Ils conviennent particulièrement aux variétés qui se développent rapidement et continuent de croître sur une longue période. Environ 90 % des ménages de Ferkessédougou pratiquent le micro-jardinage surtout pendant la saison sèche au cours de laquelle, tous les espaces en avant des concessions sont occupées par ces micro-jardins (Photo 2). L’objectif étant de s’assurer une disponibilité de produits maraîchers pour la cuisine.

Photo 2 : Micro-jardin autour d’une habitation à Ferkessédougou (Source : Zana, 2017)

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Dans le choix des produits cultivés pour la consommation familiale, l’on tient compte des besoins nutri-tionnels ainsi que des préférences culturelles et traditionnelles. Les jardins familiaux répondent donc à des besoins nutritionnels variés et fournissent la plupart des plantes aromatiques, des épices et des saveurs. Le jardinage familial pratiqué dans la ville de Ferkessédougou ne prend en compte que les produits vivriers destinés à la consommation directe de la population à savoir : la tomate, le chou, le piment, la laitue, l’auber-gine, le gombo, le maïs, le riz, le manioc, l’igname et l’oignon et le surplus est vendu.

II.1.2. Profil sociodémographique des producteurs dans les jardins familiaux

La population sur laquelle s’est portée l’étude est uniquement constituée de femmes. Celles-ci travaillent en association avec leurs enfants. En effet, ce sont les femmes qui pratiquent le jardinage familial dans la ville de Ferkessédougou. Cela s’explique par le fait que traditionnellement responsables de la gestion des activités domestiques, les femmes sont les principales actrices de ce type de projets. L’étude réalisée par Boulianne (2001, p. 27) sur les jardins collectifs québécois (Canada) aboutit aux mêmes conclusions et montre que 90 % des jardinières collectives sont des femmes, ce qui traduit leur forte implication dans ce domaine au Québec. Les jardins familiaux de Ferkessédougou visent aussi à soutenir les femmes dans leur rôle en augmentant leurs connaissances en matière de production alimentaire. En outre, l’âge des jardinières varie entre 18 et 60 ans. Le jardinage est pratiqué aussi bien par des jeunes filles que par des femmes âgées de 60 ans.

Par ailleurs, les femmes qui pratiquent le jardinage à travers le Projet d’Appui à la Production Agricole et à la Commercialisation dans la ville sont toutes de nationalité ivoirienne. Cependant, il existe des femmes non ivoiriennes dans le micro-jardinage qui occupent les espaces aux alentours des habitations. Ce sont essentiel-lement des Burkinabées et des Maliennes qui représentent 10 % des ménages de la ville de Ferkessédougou. Pour ce qui est du statut matrimonial, 90 % des femmes sont mariées et elles sont toutes analphabètes.

II.1.3. Organisation et encadrement des femmes pratiquant le jardinage familial

Il existe deux grands groupements de femmes ayant bénéficié du PROPACOM dans la ville de Ferkes-sédougou. Il s’agit du groupement dénommé WOPLEINWOGNON qui signifie en langue sénoufo “mettons-nous ensemble pour réussir’’ et de celui dénommé WOBIN qui signifie “entendons-nous’’. Ces groupements enregistrent respectivement 8172 et 5725 femmes qui ont bénéficié du PROPACOM financé par le FIDA en partenariat avec le ministère de l’agriculture et du développement rural. Selon le RGPH (2014, p. 33), la ville de Ferkessédougou enregistre 20741 ménages. Ainsi, plus de 67 % des ménages de la ville pratiquent le jardinage collectif à caractère familial.

L’ensemble des femmes du jardinage collectif et des micro-jardins bénéficient régulièrement de l’enca-drement des agents de l’ANADER. En plus de cela, les responsables du PROPACOM mettent à la disposi-tion des groupements des techniciens qui se rendent régulièrement dans ces sites collectifs pour assister et former les jardinières aux techniques agricoles. Mais comment ces jardins familiaux contribuent-ils à la sécurité alimentaire des ménages de la ville de Ferkessédougou ?

II.2. CONTRIBUTION DES JARDINS FAMILIAUX A LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DES MÉNAGES DE LA VILLE DE FERKESSEDOUGOU

La contribution des jardins familiaux à la sécurité alimentaire des ménages dans la ville de Ferkessé-dougou a été appréhendée à trois niveaux : la disponibilité des aliments, leur accessibilité et leur utilisation.

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II.2.1. Contribution des jardins familiaux à la disponibilité alimentaire pour les ménages

La contribution du jardinage familial à la disponibilité alimentaire dans la ville de Ferkessédougou, est traduite par l’approvisionnement des ménages en légumes frais. Ces légumes assurent l’autosuffisance et améliorent la qualité nutritionnelle des ménages. Les jardins familiaux leur offrent une gamme variée de produits alimentaires entrant pour la plupart dans la composition des sauces. Ces produits accompagnent les aliments de base qui peuvent être des céréales ou des tubercules. Dans la ville de Ferkessédougou, il s’agit en ce qui concerne les céréales, du maïs et du riz et les tubercules sont composés de l’igname, du manioc et de la banane plantain. Hamelin et Bolduc (2003, p. 75), abordent dans le même sens, ils constatent que les jardins familiaux ont contribué à accroître l’autonomie alimentaire préexistante des jardiniers du Québec en leur permettant d’acquérir de nouvelles habitudes alimentaires et en leur facilitant l’accès à des aliments de qualité produits localement.

En plus des 5 hectares aménagés au système d’irrigation goute à goute par le PROPACOM au profit des groupements, chaque jardinière dispose d’environ 50 m2 de parcelle qu’elle gère à titre privé sur le site. Elles y cultivent les produits selon leurs besoins. En effet, il n’est pas rare de trouver des céréales sur les parcelles privées de ces femmes, comme sur cette photo 3 qui présente une parcelle de riz. Cette multitude de jardins garantit une stabilité au niveau de la disponibilité des produits vivriers sur toute l’année.

Photo 3 : Parcelle privée de riz sur un site de jardin collectif (Source : Zana, 2017)

II.2.2. Contribution des jardins familiaux à l’accessibilité physique et économique aux autres aliments

La proximité des jardins familiaux rend un accès aisé des populations aux denrées alimentaires. De plus, les revenus générés par le jardinage ont pour objectif la satisfaction des besoins socioéconomiques du ménage dont les besoins alimentaires. L’activité du jardinage familial à Ferkessédougou génère des revenus importants qui allègent le budget consacré à l’alimentation des ménages. Ces revenus varient entre 150000 F CFA et 100000 F CFA par campagne de récolte. Ils assurent aussi une épargne pour l’achat d’aliments pendant la période de soudure ; période comprise entre les périodes de germination et de maturation des récoltes. Dans ces conditions, les jardins familiaux garantissent l’accessibilité économique des ménages aux denrées alimentaires ; ce qui est une des préoccupations de la FAO en vue dans sa lutte pour l’éradication de l’insécurité alimentaire.

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II.2.3. Contribution des jardins familiaux au changement des habitudes alimentaires des ménages de Ferkessédougou

Les produits vivriers issus des jardins familiaux de Ferkessédougou permettent une diversification ali-mentaire au niveau des ménages. Ainsi, 80 % des jardinières enquêtées ont inclus les légumes dans la préparation de leurs mets traditionnels grâce aux produits vivriers de leurs jardins. Les cultures de plein champ fournissent la majeure partie de l’énergie nécessaire aux ménages, tandis que ces produits complètent le régime alimentaire avec des légumes riches en vitamines et des végétaux de base énergétiques. Ces aliments peuvent même, selon Marsh (1998, p. 10) devenir la source principale de nourriture du ménage durant les périodes difficiles.

II.3. DIFFICULTÉS LIÉES AU DÉVELOPPEMENT DES JARDINS FAMILIAUX DANS LA VILLE DE FERKESSEDOUGOU

À côté des nombreux avantages qui accompagnent les jardins familiaux de la ville de Ferkessédougou, le travail sur le terrain a permis de constater l’existence d’un certain nombre de difficultés sur les plans socioéconomique et technique.

II.3.1. Difficultés sur le plan socioéconomique

Il n’existe pas une véritable chaine de commercialisation des produits vivriers issus du jardinage familial de la ville de Ferkessédougou. Les jardinières se plaignent de la mévente des produits vivriers issus des jardins familiaux. En effet, bien que l’on assiste à la naissance d’une demande pour des produits alimen-taires de qualité, les consommateurs de Ferkessédougou semblent accorder plus d’importance à la quantité qu’à la qualité, à cause de leur faible pouvoir d’achat. De ce fait, la concurrence des produits provenant du micro-jardinage oblige les productrices des jardins collectifs à vendre leurs légumes à de bas prix, alors qu’ils ne sont pas comparables en termes de qualité et de coûts de production.

Par ailleurs, les prix du matériel et des intrants qui sont souvent hors de portée sont aussi largement évoqués par les jardinières. Or, ces produits phytosanitaires sont nécessaires à la protection, la croissance et la qualité des produits maraîchers. Certaines d’entre elles utilisent des fonds propres pour l’achat des produits phytosanitaires surtout pour les parcelles privées et les micro-jardins. Pour celles dont les époux possèdent des champs de coton, les intrants destinés à cette culture sont utilisés pour le jardinage, alors que ceux-ci ne sont pas adaptés aux produits vivriers. D’ailleurs selon Yeo (2016, p. 122), ces produits phy-tosanitaires obtenus sans achat direct sont abusivement utilisés et cela joue non seulement sur la qualité des sols, mais surtout sur la qualité nutritionnelle des aliments.

II.3.2. Difficultés sur le plan technique

La contrainte majeure reste le problème d’encadrement technique. Les jardinières ne sont pas suffisamment suivies après la formation du fait de l’insuffisance du personnel de l’ANADER. Les ravageurs sont aussi une menace pour l’activité. En effet, les jardinières se trouvent parfois impuissantes face aux attaques de certains parasites ou autres maladies, ce qui joue négativement sur les rendements. Aussi, le problème de la conservation et du stockage des vivriers se pose-t-il avec acuité en raison de la nature très périssable de ces produits. Il n’existe pas d’infrastructures de conservations telles que les magasins de stockage, ce qui oblige souvent les jardinières à brader les productions et ce, à perte. Ce même constat a également été fait par Ouattara (2017, p. 279) dans le district d’Abidjan, où faute de magasin de stockage, les producteurs sont obligés de vendre à vil prix leurs produits vivriers d’éviter les pertes.

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© (EDUCI) 2018 Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°1, 2018 109

En outre, le problème d’eau pour l’arrosage des produits vivriers se pose dans cette ville. Les deux bar-rages constituent les principales sources d’approvisionnement en eau pour l’arrosage. Avec le tarissement des barrages hydroagricoles qui accompagne la saison sèche, les jardinières se trouvent le plus souvent sans eau pour l’arrosage des plantes. Le micro-jardinage souffre également du problème d’eau, car l’eau des puits qui sert à l’arrosage sert également d’eau de boisson

CONCLUSION

Les jardins familiaux peuvent être considérés comme l’une des approches les plus efficaces pour combattre l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans la ville de Ferkessédougou en améliorant la dis-ponibilité et l’accès à la nourriture. Le premier objectif de ces jardins est d’augmenter la disponibilité d’une alimentation diversifiée et riche. Ils visent aussi à soutenir les femmes dans leur rôle en augmentant leurs connaissances en matière de production alimentaire et de génération de revenus par la vente des excédents de production. Ces revenus ont pour objectif la satisfaction des besoins alimentaires et non alimentaires des ménages. Cependant, à côté des nombreux avantages qui accompagnent les jardins familiaux dans la ville de Ferkessédougou, le travail sur le terrain a permis de constater l’existence d’un certain nombre de difficultés sur les plans économique et technique.

Une meilleure organisation de la filière pourrait rendre le jardinage familial une activité beaucoup plus rentable, et à terme devenir même une activité pourvoyeuse d’emploi pour les jeunes. Bien que ce parcours d’amélioration soit encore long, les impacts positifs des jardins familiaux sont déjà évidents pour les couches les plus défavorisées de la population.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUESBoulianne, M. 2001, L’agriculture urbaine au sein des jardins collectifs québécois : Empowerment des femmes ou «

domestication de l’espace public » ?1. Anthropologie et Sociétés, 25 (1), pp63–80. FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) (2009), Déclaration de Rome sur la sécurité

alimentaire mondiale, Sommet mondial sur la sécurité alimentaire. www.fao.org/...Declaration/K6050F_Rev10_WSFS_OEWG_FINAL_17_11.pdf, consulté le 10 janvier 2018Hamelin A. M. et Bolduc N. 2003, La sécurité alimentaire à l’agenda politique québécois. Service social 50 (1): pp57-80.Marsh R. 1998, Améliorer la sécurité alimentaire des ménages grâce au jardinage traditionnel Publié dans Alimentation,

Nutrition et Agriculture, no. 22, pp.4-14. http://www.fao.org/ag/agn/publications/fna/article.jsp?lang=fr&myURI=id486 (consulté le 08 janvier 2018)

MINADER, 2014 ; Rapport du 2ème Cycle de l’analyse du cadre harmonisé de classification de la sécurité alimentaire du 03 au 07 mars à Abidjan (Côte d’Ivoire), situation courante janvier à mars 2014, situation projetée avril 2014 », Avec le soutien Technique et Financier du CILSS et du Ministère de l’Agriculture de Côte d’Ivoire. 9 p

Ouattara Z. S. 2017, Abidjan, zone vivrière, Thèse de Doctorat, Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, IGT, 380 pRGPH, 2014, Institut National de la Statistique (INS), 2014, Synthèse des résultats définitifs du Recensement Général

de la Population et de l’Habitat (RGPH-2014), Institut National de la statistique de CI, 49 p. Véron J. 2007. La moitié de la population mondiale vit en ville. Population & Sociétés, 435 : pp 1-4.Yeo L. 2016, L’impact du vivrier marchand sur la sécurité alimentaire dans la région du Poro, Thèse de Doctorat, Uni-

versité Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, IGT, 271 p