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1 Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse Dr. Jean-Marie Hyacinthe QUENUM 1 , S.J. Le vœu d’obéissance, pratiqué dans le dialogue, est un engagement délibéré, volontaire, irrévocable et public à rechercher dans l’abnégation la volonté de Dieu dans les médiations de l’histoire ecclésiale d’un institut religieux. Le vœu d’obéissance religieuse présuppose, un appel de Jésus à le suivre par amour dans sa mission, le charisme et le projet de vie de l’institut, le désir de se recevoir d’autrui, la responsabilité commune, le dialogue fraternel et l’exercice de la liberté avec l’autorité religieuse pour accéder dans la solidarité à une existence servante devant soi et devant Dieu. Comment le vœu d’obéissance conditionne t’elle la participation des instituts religieux 2 à la mission de l’Église ? Quel est le rôle de la liberté humaine dans la mystique 3 politique de l’obéissance ? Quelles sont les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse ? Dans les lignes qui vont suivre, l’obéissance des personnes consacrées sera envisagée comme un moyen spirituel de caractère juridique reliant les membres d’un institut religieux dans la finalité commune de leur projet de vie fraternelle pour la mission de l’Église. 1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun. 2 Nous envisageons les instituts religieux tels qu’ils sont définis au n° 607 du droit canonique de 1983. 3 La vie religieuse est une consécration à Dieu et au prochain dans l’union au Christ. Elle ouvre la possibilité d’une expérience mystique de l’obéissance gérée par l’autorité religieuse sous le mode unitif d’un accord du vouloir humain avec la volonté de Dieu. D’où la pertinence de l’expression « mystique politique ».

Les joies et les épreuves de l'obéissance religieuse

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Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

Dr. Jean-Marie Hyacinthe QUENUM1, S.J.

Le vœu d’obéissance, pratiqué dans le dialogue, est un engagement délibéré, volontaire, irrévocable et public à rechercher dans l’abnégation la volonté de Dieu dans les médiations de l’histoire ecclésiale d’un institut religieux.

Le vœu d’obéissance religieuse présuppose, un appel de Jésus à le suivre par amour dans sa mission, le charisme et le projet de vie de l’institut, le désir de se recevoir d’autrui, la responsabilité commune, le dialogue fraternel et l’exercice de la liberté avec l’autorité religieuse pour accéder dans la solidarité à une existence servante devant soi et devant Dieu.

Comment le vœu d’obéissance conditionne t’elle la participation des instituts religieux 2 à la mission de l’Église ?

Quel est le rôle de la liberté humaine dans la mystique3 politique de l’obéissance ?

Quelles sont les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse ?

Dans les lignes qui vont suivre, l’obéissance des personnes consacrées sera envisagée comme un moyen spirituel de caractère juridique reliant les membres d’un institut religieux dans la finalité commune de leur projet de vie fraternelle pour la mission de l’Église.

L’obéissance religieuse est basée sur la confiance réciproque et la solidarité des personnes consacrées dans un institut.

Elle contribue à l’union des cœurs dans l’unité et la cohésion de l’institut.

L’obéissance religieuse dispose les personnes consacrées à l’écoute de l’Esprit Saint à travers les réalités quotidiennes du « vivre ensemble » et de la mission.

L’obéissance des personnes consacrées est en étroite relation avec la dimension spirituelle de l’autorité reçue de Dieu pour le service de l’institut. L’autorité dans la vie religieuse est au service de la croissance spirituelle et humaine des personnes consacrées et du corps social et apostolique de l’institut.

Exercée à la manière aimante, discrète, attentive et respectueuse du Christ, l’autorité religieuse gère le paradoxe des intérêts particuliers des personnes consacrées et le bien commun du corps social et apostolique de l’institut à travers les entretiens personnels, les consultations et les concertations.

1 Jean-Marie Hyacinthe QUENUM est Docteur en théologie et maître des novices Jésuites à Bafoussam au Cameroun. 2 Nous envisageons les instituts religieux tels qu’ils sont définis au n° 607 du droit canonique de 1983. 3 La vie religieuse est une consécration à Dieu et au prochain dans l’union au Christ. Elle ouvre la possibilité d’une expérience mystique de l’obéissance gérée par l’autorité religieuse sous le mode unitif d’un accord du vouloir humain avec la volonté de Dieu. D’où la pertinence de l’expression « mystique politique ».

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L’autorité spirituelle n’est efficace que si elle se fonde sur l’écoute mutuelle, le présupposé favorable, la liberté de la parole dans la communication interpersonnelle, l’ouverture des échanges fraternels à un élargissement à la mission globale de l’Église, le discernement et les décisions appropriées pour les personnes et le choix des orientations apostoliques pour la mission de l’Église dans le monde.

1. Le vœu d’obéissance, condition pour une participation active des instituts religieux à la mission de l’Église

L’obéissance chrétienne n’est pas une soumission servile à Dieu comme à une autorité extérieure à soi. Elle ne consiste pas non plus à suivre des règles extérieures à soi ou à appliquer des normes d’une tradition religieuse bien établie au nom de Dieu.

L’obéissance chrétienne consiste pour le disciple de Jésus à consentir au réel de sa vie en y déchiffrant les appels de Dieu et en y répondant avec la grâce agissante de Dieu.

Ainsi l’obéissance est une manière authentique de vivre la foi en répondant à l’appel de Jésus à le suivre dans sa mission rédemptrice.

L’obéissance dans la perspective du Nouveau Testament est une réponse de foi à un appel de Jésus à le suivre dans sa mission d’amour. Comme corollaire, l’obéissance religieuse proprement dite est une ouverture du cœur à une parole de vie qui met en mouvement la liberté d’adhérer à Jésus et à sa mission dans une communauté dont le projet de vie est clairement défini dans ses Constitutions.

Pour le peuple d’Israël, l’obéissance était l’écoute attentive de la Parole du Dieu de l’alliance qui débouche sur la réalisation de ses promesses.

Dans le Nouveau Testament, l’obéissance est la condition de naissance et de croissance du nouveau peuple de Dieu.

Ce nouveau peuple de Dieu est engendré par le Père, à travers la proclamation du Royaume de Dieu par le Fils enseignant et guérissant. Le Fils en proclamant le Royaume de Dieu par son enseignement sur la nouvelle justice qui accomplit la Loi et les Prophètes suscite la foi de ses disciples qui le reconnaît comme le Christ. L’autorité de filiation de Jésus, serviteur de la nouvelle justice de Dieu dévoile le dessein bienveillant du Père à l’égard de son peuple.

En effet par l’obéissance, la Parole de Dieu s’est incarnée dans le nouvel Adam qui conduit à sa perfection la première alliance.

En Jésus de Nazareth brille l’obéissance du Fils éternel envoyé par le Père pour rassembler dans l’Esprit les fils d’adoption constituant le nouveau peuple de Dieu.

Le nouveau peuple de Dieu naît et croît à travers l’obéissance filiale, cette prise de conscience d’être aimé par le Père et d’être envoyé par le Père dans l’Esprit pour construire, l’Église, le nouveau peuple de Dieu.

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La vie religieuse est l’une des voies de participation à la mission de l’Église au titre de servante de la mission du Christ.

La personne consacrée dans la vie religieuse s’identifie au Christ envoyé par le Père dans la puissance de l’Esprit pour faire advenir le Royaume de Dieu.

En consacrant toutes leurs personnes à Dieu, les religieux sont un don total à Dieu pour répondre à l’amour de Dieu reçu dans le don de l’appel à suivre radicalement Jésus le Christ, Fils et Serviteur.

Détachés du monde, les religieux appartiennent totalement à Jésus le Christ et deviennent des signes visibles, publics et ecclésiaux de la présence de leur maître et Seigneur.

Les religieux obéissent au Christ comme des épouses en partageant l’amitié et l’intimité de leur maître et Seigneur. Ils s’unissent au mystère pascal de leur maître et Seigneur en devenant des cultes vivants pour la louange de la Sainte Trinité.

Les religieux par leur donation totale et complète à Dieu reflètent dans le monde l’amour trinitaire qui est l’amour donné et reçu dans la plénitude de l’Esprit qui déborde en œuvres d’amour.

En consacrant leur liberté à l’avènement du Royaume de Dieu, les religieux font vœu d’obéissance à Dieu selon les Constitutions de leurs instituts pour prendre une part active à la mission de l’Église selon le charisme de leurs fondateurs.

L’obéissance religieuse en perspective chrétienne est ainsi l’offrande libre de soi pour participer à la mission du Christ à travers les médiations ecclésiales d’un institut.

Les religieux par leur vœu d’obéissance vivent l’évangile d’une manière pertinente selon le charisme de leurs instituts approuvés par l’Église.

La manière chrétienne de vivre des religieux est déterminée par leur aptitude à vivre le charisme de leurs instituts à travers un service particulier de l’Église.

Les religieux vivent l’obéissance à Dieu avec les membres de leurs communautés et à travers eux.

Le responsable du corps social et apostolique de l’institut religieux reçoit de Dieu l’autorité d’écouter l’Esprit Saint à l’œuvre dans la vie des membres pour discerner la direction que prend la mission d’amour de l’Église dans le contexte du temps et des personnes consacrées à Dieu.

L’autorité religieuse, don de Dieu, tient la place du Christ au sein des instituts pour être à l’écoute de l’Esprit Saint à l’œuvre dans les cœurs et dans la vie fraternelle des personnes consacrées.

2. Le rôle de la liberté humaine dans la mystique politique de l’obéissance

La vie religieuse dans les instituts de vie consacrée est toujours la proposition d’une expérience d’union avec Jésus le Christ.

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La liberté humaine joue un rôle essentiel dans la mystique politique de l’obéissance.

La liberté humaine des religieux est sollicitée par la Parole de Dieu écoutée et accueillie comme une force de renouvellement de la vie d’amour avec le Dieu Trinitaire et le prochain.

L’appropriation de l’esprit des Constitutions des instituts religieux dans la vie quotidienne, dans le travail apostolique et dans les délibérations communautaires favorise l’écoute plus subtile de l’Esprit Saint à l’œuvre aujourd’hui dans le monde qui se fait.

La liberté humaine est au cœur de la croissance spirituelle de toutes vies d’amour avec le Dieu Trinitaire et le prochain. La liberté humaine est engagée dans le discernement des décisions personnelles et communautaires. Elle est mise en œuvre pour déterminer les options apostoliques.

Le bien commun d’un institut religieux est assuré par le service de l’autorité capitulaire, monarchique ou collégiale. Le gouvernement d’un institut religieux peut être paternel ou maternel, fraternel ou spirituel. Quel qu’il soit le gouvernement d’un institut religieux fait croître la personne consacrée afin qu’elle suive le Christ à l’écoute de sa Parole dans le contexte ecclésial et relationnel de son insertion contemplative et apostolique dans le monde.

La liberté de la personne consacrée est en permanence engagée dans un dialogue fraternel et confiant pour discerner avec l’autorité les décisions qui rendent possible la mission d’Église.

Les décisions de l’autorité se prennent à l’écoute de l’Esprit qui œuvre dans la personne consacrée en dialogue avec l’autorité et dans les instances de subsidiarité de l’institut religieux.

L’autorité religieuse aide à faire corps pour la mission de l’Église. Elle affermit la foi des personnes consacrées qui suivent Jésus le Christ à travers les ombres et les lumières d’un parcours aux modulations intérieures variées.

L’autorité religieuse trace les chemins de la mission en libérant les énergies généreuses de l’angoisse, des résistances et de l’indécision. Elle fait croître la liberté du corps social de l’institut dans une communion fraternelle plus grande pour la mission.

3. Les joies et les épreuves de l’obéissance religieuse

L’appel de Jésus à le suivre dans un institut religieux façonne une manière d’être et de vivre dans l’Église.

La vie religieuse restructure et socialise la personne consacrée en lui donnant la joie d’une autre identité reçue d’une tradition ecclésiale et réappropriée dans la liberté d’une fidélité créatrice.

La vie religieuse offre d’immenses possibilités de relation de confiance mutuelle et de collaboration étroite.

La vie religieuse donne la joie de mener une vie d’amour oblatif pour Dieu et pour le prochain dans une Église qui témoigne de la présence de Dieu dans le monde.

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La joie de se désapproprier de sa volonté individuelle au profit d’un projet commun de vie, la joie de l’évangile comme le nouveau fondement de vie dans la ligne particulière de l’institut, la joie d’aimer Jésus et de le faire aimer dans la prière comme dans l’action, la joie d’être un instrument modeste au service de la mission du Christ et de l’Église et la joie de la docilité à l’Esprit Saint sont autant de points de lumière dans le parcours d’une personne consacrée à Dieu et à l’humanité.

Les épreuves ne manquent pas dans la vie de la personne consacrée à Dieu dans l’obéissance religieuse.

Elles sont une participation au mystère pascal de Jésus. Elles adviennent dans les failles et fragilités de la personnalité et dans les traumatismes psychiques et les frustrations de la vie quotidienne.

Les épreuves ayant souvent des caractères passagers contribuent à la maturation religieuse et spirituelle. Elles sont les signes d’une vitalité qui se heurte à la réalité contingente de l’existence humaine.

Conclusion :

L’obéissance religieuse dans l’Église est un moyen spirituel d’union au Christ à travers une communauté vivant le charisme d’un fondateur d’institut de vie consacrée.

L’obéissance religieuse structure et socialise les personnes consacrées pour la mission du Christ dans l’Église.

L’exercice de l’autorité dans la vie religieuse permet d’obtenir sans contrainte des attitudes et des comportements qui disposent les personnes consacrées à la communion fraternelle et à la mission.

L’autorité religieuse s’exerce dans l’écoute mutuelle, la confiance et la soumission à l’Esprit Saint à l’œuvre dans la vie des personnes consacrées et dans une dynamique communautaire fidèle à l’esprit des Constitutions de l’institut.

Les joies du vivre ensemble, les joies de la croissance spirituelle et les joies de l’engagement dans la mission servante du Christ dans l’Église sont des actualisations constantes de l’alliance des personnes consacrées avec le Dieu Trinitaire révélé par Jésus le Christ pour une expansion de l’amour de Dieu dans le monde.

Si l’obéissance religieuse autorise les personnes consacrées à vivre dans l’amour à l’image du Dieu Trinitaire, les épreuves ne manquent pas dans la vie personnelle, communautaire et apostolique.

Les épreuves quand elles adviennent sont perçues par les personnes consacrées comme une participation au mystère pascal de Jésus le Christ.

Les épreuves ont noms : tentations, souffrance, fragilités, blessures, frustrations, rivalités mimétiques, manque de confiance à l’autorité religieuse, tiédeur, négligence, paresse, difficultés de santé, fatigue, désolation et découragement.

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Conduites par l’Esprit Saint et une autorité bienveillante et miséricordieuse dans une communauté fraternelle, les personnes consacrées ont plus de joies que d’épreuves.