9
This article was downloaded by: [University of Auckland Library] On: 08 October 2014, At: 14:47 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Studia Neophilologica Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/snec20 Les larmes de Brünhilt D. R. McLintock a a Oxford Published online: 21 Jul 2008. To cite this article: D. R. McLintock (1961) Les larmes de Brünhilt, Studia Neophilologica, 33:2, 307-313, DOI: 10.1080/00393276108587246 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/00393276108587246 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly forbidden. Terms & Conditions of access

Les larmes de Brünhilt

  • Upload
    d-r

  • View
    220

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les larmes de Brünhilt

This article was downloaded by: [University of Auckland Library]On: 08 October 2014, At: 14:47Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number:1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street,London W1T 3JH, UK

Studia NeophilologicaPublication details, including instructions forauthors and subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/snec20

Les larmes de BrünhiltD. R. McLintock aa OxfordPublished online: 21 Jul 2008.

To cite this article: D. R. McLintock (1961) Les larmes de Brünhilt, StudiaNeophilologica, 33:2, 307-313, DOI: 10.1080/00393276108587246

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/00393276108587246

PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE

Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of allthe information (the “Content”) contained in the publications on ourplatform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensorsmake no representations or warranties whatsoever as to the accuracy,completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinionsand views expressed in this publication are the opinions and views ofthe authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis.The accuracy of the Content should not be relied upon and should beindependently verified with primary sources of information. Taylor andFrancis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings,demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoeveror howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, inrelation to or arising out of the use of the Content.

This article may be used for research, teaching, and private studypurposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution,reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in anyform to anyone is expressly forbidden. Terms & Conditions of access

Page 2: Les larmes de Brünhilt

and use can be found at http://www.tandfonline.com/page/terms-and-conditions

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 3: Les larmes de Brünhilt

Les larmes de Brünhilt

Lors du banquet de noces dans la Xe aventure du NibelungenliedBrünhilt voit Sivrit assis auprès de Kriemhilt, à qui il vient d'être uni.Les voyant ensemble elle ressent une douleur telle qu'elle n'en ajamáiséprouvée avant et se met à pleurer.1 Pour expliquer ses larmes on aproposé trois solutions.2 D'après la première Briinhilt commence àentrevoir la ruse par laquelle Günther l'avait obtenue. D'après la deuxièmeil faut rapporter sa conduite aux mentions fréquentes du fait que Sivritconnaissait l'Islande avant d'y accompagner Günther et ses preux. Briin-hilt aurait voulu épouser Sivrit elle-même; maintenant, se voyant trompée,elle se livre à la jalousie. On a parfois expliqué cette préférence de Briin-hilt en supposant qu'elle avait été la fiancée de Sivrit à une époqueantérieure (ainsi que la Brynhildr de la Vçlsunga Saga est la fiancée deSigurör), mais certains critiques croient qu'il s'agit tout simplement de lapréférence de la femme la plus forte pour le guerrier le plus vaillant;ceux-ci rejettent l'idée des fiançailles préalables comme une inventionuniquement Scandinave. La troisième solution se base sur les paroles deBriinhilt elle-même; d'après cette solution elle pleure de honte parcequ'elle voit une princesse du sang donnée à un vassal, ou, comme ellel'appelle, à un serf. Selon la plupart des critiques le motif de l'orgueil decaste est venu se superposer à celui de la jalousie, mais sans en effacertoutes les traces.3

Avant de discuter ces théories il convient peut-être de poser unequestion générale. Jusqu'à quel point est-il permis de chercher la réponseà une question posée par le texte en dehors de celui-ci ? Il est fort

1 Str. 618 (ed. Bartsch-de Boor).2 Andreas Heusler, Nibelungensage und Nibelungenlied3 (Dortmund, 1929), pp.

188-91.3 P.e. MM. Colleville et Tonnelat, Le Nibelungenlied, édit, partielle (Paris,

1944) p. 20. D'autres, comme M. de Boor (édition, note sur 620.4) trouvent lenouveau motif convaincant, tandis que W. Fechter, Sigfrids Schuld und dasWeltbild des Nibelungenliedes (Hamburg, 1948) considère la jalousie comme lemotif principal. Ce savant essaie en effet de dégager le sens de la légende en tantque légende et ne tient aucun compte des intentions du poète.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 4: Les larmes de Brünhilt

D. R. MCLINTOCK

probable, certes, que le poète connaissait plusieurs versions de la légendeet qu'il s'en servit sans en donner les détails d'une manière précise, car illes savait familiers aux auditeurs. Il ne raconte par exemple que fortsommairement la préhistoire du trésor et de la tarnkappe. La plupart descritiques croient que ces motifs faisaient partie d'une œuvre indépendanteet que le public était mieux renseigné sur les « enfances Sivrit » que nousne le sommes. Il ne s'agissait donc que de lui rafraîchir la mémoire enfaisant allusion à des incidents antérieurs. Il faut toutefois insister sur unpoint très important : quoique le récit du Nibelungenlied n'éclaircisse pastous les détails de ces incidents antérieurs, il suffit parfaitement pourmotiver l'action du poème. Le poète ne satisfait pas notre curiosité àtous égards, mais il nous dit tout ce qu'il faut savoir pour comprendreson œuvre. Par ce trait le poème diffère radicalement des chants del'Edda, qui sont pleins d'allusions subtiles et dont la compréhensiondépend en grande partie d'une connaissance préalable de la légende.1

C'est donc à tort qu'on s'en rapporte à la notion d'un attachementamoureux de Briinhilt pour Sivrit, car le poète n'en fait nulle mention.Que le héros ait déjà visité l'Islande avant la VIIe aventure, cela estindiqué à plusieurs reprises dans le texte.2 En effet le poète abandonned'assez bonne heure l'image du jeune héros inexpérimenté qui vient derecevoir l'accolade et le présente ici comme un homme qui a beaucoupvoyagé. Voire, on apprend plus tard3 qu'il séjourné même à la cour desHuns, ce que M. de Boor appelle « une invention subite du poète ».4 Maisde même qu'on hésitera, malgré le témoignage des versions nordiques, ày voir la preuve d'un lien de parenté entre Briinhilt et Etzel, de mêmeil faut se garder, malgré le témoignage des mêmes versions nordiques, desupposer un rapport amoureux entre Sivrit et la reine d'Islande. Briinhiltdit elle-même qu'elle ne le craint pas assez pour devenir sa femme5, etpour expliquer pourquoi elle parle ainsi de celui qu'elle est censée aimeril faut recourir à la notion peu vraisemblable d'une affinité secrète, affinitéqui ne se révèle qu'au moment où, au banquet de noces, elle comprendqu'elle a perdu Sivrit à tout jamais. Selon cette interprétation il s'agirait

1 Hans Kuhn, «Heldensage vor und ausserhalb der Dichtung» dans Edda,Skalden, Saga: Festschrift zum 70. Geburtstag von Felix Genzmer (Heidelberg,1952), pp. 262-78.2 Str. 331, 340, 378, 382, 393,406,407,411. Cette question est discutée par King dans son édition da Lied vom hürnen Seyfrid(Manchester, 1958), pp. 91-96.

3 Str. 1157.4 Edition Bartsch-de Boor, note sur 1157.3.5 Str. 416.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 5: Les larmes de Brünhilt

LES LARMES DE BRÜNHILT 309

d'une feinte quand elle dit à Günther qu'elle déplore le sort de Kriemhilt.En insistant sur la Briinhilt amoureuse on attribue à l'épopée autrichienneun trait qui se rencontre dans la littérature nordique mais qu'on chercheen vain dans la tradition allemande. Or ce trait se retrouve dans laPiârekssaga1, et celle-ci aurait pu l'emprunter à un chant de l'Allemagneseptentrionale; il faut donc admettre qu'il aurait pu exister dans la tradi-tion allemande à une époque plus reculée. Cependant, une telle concep-tion ne s'accorde nullement avec les intentions de notre poète.

Avant la VIe aventure il n'existe aucun rapport entre le pays de Briin-hilt et la cour de Worms. Après le mariage de Briinhilt sa situation estcelle d'une étrangère qui se trouve au centre d'événements dont elle necomprend pas le sens. L'essentiel de cette situation — ce qui en estégalement le tragique — est son isolement. Comparons la scène de laquerelle2 avec la scène correspondante de la Piôrekssaga*, qui représentesans doute une étape plus ancienne de la légende. On remarque tout desuite une différence fondamentale. Dans l'œuvre norvégienne touts'éclaircit dès que Grimhildr montre à Brynhildr l'anneau que Sigurör luiavait enlevé.4 Dans le Nibelungenlied par contre on sait que le rôle deSivrit dans la chambre nuptiale s'était borné à dompter Briinhilt, aprèsquoi il avait cédé sa place à Günther; Günther est donc vraiment « lepremier époux » de la reine. En lui montrant l'anneau et la ceinture et enla traitant de mannes kebse Kriemhilt vise à écraser sa rivale non par lavérité de l'accusation mais par l'énormité de l'insulte et le scandale qui enrésultera. Les assistants croient sans doute à la vérité de l'insulte, mais enréalité seuls Günther, Sivrit et (probablement) Kriemhilt en sont in-struits. Hagene, qui ne s'intéresse pas à la vie sentimentale de son roi,n'en voit que l'aspect politique. Briinhilt est tout ébahie et, voyantl'anneau, accuse Kriemhilt de vol. On a parfois reproché au poète d'avoirdétruit la clarté de la vieille légende en y introduisant des élémentséquivoques et en brouillant les anciens motifs. Mais, comme l'a démontréM. Beyschlag5, le poète essaie de transformer la vieille histoire personnelleen un drame politique qui s'accorde avec les réalités sociales du XIIIe

1 Ch. 225, éd. Bertelsen (Copenhague, 1905-11), II, pp. 37-43.2 XIVe aventure.3 Ch. 343, éd. Bertelsen, II, pp. 259-62.4 Oc nu er brynilldr ser pætta gull pa kennir hon at hon hœfir dtt oc nu kemr

hænni i hug hverso farit hæfir . . . (éd. Bertelsen, II261).5 S. Beyschlag, « Das Motiv der Macht bei Siegfrieds Tod » dans Germ.-Roman.

Monatsschrift, 33 (1952), p. 95 sqq. et « Ueberlieferung und Neuschöpfung imNibelungenlied » dans Wirkendes Wort, 8 (1958), p. 205 sqq.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 6: Les larmes de Brünhilt

310 D. R. MCLINTOCK

siècle. Ce ne sont plus les passions seules qui l'intéressent, mais les situa-tions qu'elles engendrent et les malentendus qui font partie de ces situa-tions. La première partie du Nibelungenlied est un drame d'intrigue danslequel chacun des personnages joue un rôle mais aucun d'entre eux n'estau courant de tous les événements. Il en est de même pour le mariage deGünther. Dans la Piârekssaga il n'y a aucune tromperie, mais dans leNibelungenlied Günther obtient sa femme par ruse. Le poète emploie lamême méthode dans la XVe aventure où Kriemhilt, ignorant les inten-tions de Hagene, lui révèle le secret de la vulnérabilité de Sivrit; et dansla XIXe aventure on ne sait pas si Hagene enlève le trésor de Kriemhiltà l'insu de ses maîtres ou avec leur assentiment.1

Revenons maintenant au banquet de noces. Brünhilt vient d'épouser àcontre cœur un roi dont elle n'avait même pas entendu parler; il avaitfallu que Sivrit le lui présentât comme un roi puissant né en Rhénanie.2

Elle a dû quitter son propre royaume pour aller vivre à une cour étrangère.Cette cour est pourtant d'une splendeur incomparable, et même le grandSivrit, qu'elle paraît connaître — de réputation du moins — y joue unrôle subalterne. On se rappellera qu'à Isenstein, tandis que les autresavaient gardé un ton courtois envers Brünhilt, Sivrit lui avait parlé d'unefaçon peu polie, pour ne pas dire brutale; il l'avait tutoyée, ce qui étaitau XIIIe siècle un signe non seulement de familiarité, mais aussi demépris et d'hostilité. Elle lui avait répondu sur le même ton.3 Maintenantce vassal insolent entre dans la famille royale, après avoir rappelé à

1 Str. 1131-42. C'est ici peut-être le seul passage où même les auditeurs nesavent pas à quoi s'en tenir!

2 Str. 421-22.3 G. Ehrismann, Zeitschrift für deutsche Wortforschung 4 (1903), pp. 210-27

traite de l'emploi des pronoms personnels dans le Nibelungenlied et démontre quel'alternance de du et de ir correspond à des changements dans la disposition despersonnages principaux, mais dans ce passage (str. 419-423) il trouve l'alternanceincompréhensible si on regarde ces strophes comme l'œuvre d'un seul poète. Ilconclut donc (p. 215) que les strophes 421 et 422 ne sont pas « authentiques ».Tout en admettant qu'il pourrait avoir raison, nous doutons que les auditeurs,n'étant pas philologues comme Ehrismann, aient vu le problème sous ce jour.Nous nous en tenons à ses conclusions générales et considérons le passage duvoussoiement au tutoiement tout simplement comme un signe d'hostilité qui en-freint les convenances de la conversation courtoise. Quand plus tard (str. 620-22)Brünhilt passe du tutoiement au voussoiement dans sa conversation avec Güntherau banquet de noces, cela montre qu'elle a maîtrisé sa colère et redevient polie.Lorsque Sivrit l'a domptée elle perd de nouveau la maîtrise d'elle-même et letutoie (678); auparavant (666, 670), tant qu'elle croyait pouvoir se défendre, ellel'avait voussoyé. Le tutoiement signifie donc une suspension temporaire desrelations courtoises existant normalement entre personnages de rang élevé, mêmeentre époux.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 7: Les larmes de Brünhilt

LES LARMES DE BRÜNHILT 3II

Günther la promesse qu'il lui avait donnée; celui-ci prie sa sœur del'aider à accomplir cette promesse et la donne en mariage à son ami.Ensuite beaucoup de vassaux font hommage au roi de Niderlant. Lepoète n'omet pas de nous signaler la présence de Briinhilt pendant toutecette scène.1 A cette époque un tel mariage ne pouvait qu'être une occasionde scandale, et on se rappellera que dans le Kudrunlied c'est pour éviterun pareil scandale que Hétele et Hilde refusent à Hartmuot la main deleur fille Kudrun.2 Quant à l'union de Sivrit et de Kriemhilt, Briinhiltconstate que personne hormis elle ne s'en inquiète. Dire avec M. de Boorque Briinhilt partage la honte de la famille entière, c'est méconnaîtrel'essentiel de sa situation. A cause de son ignorance totale à l'égard duvrai rang de Sivrit elle se trouve isolée dès le premier moment de sonséjour à Worms et ne comprend rien à ce qui se passe autour d'elle. Ellene peut pas s'expliquer comment Günther, qu'elle avait cru si puissant,pourrait permettre ce mariage indigne. La voyant pleurer le roi lui de-mande fort poliment pourquoi elle est malheureuse et ajoute : « Vous avezsujet à vous réjouir, car mes terres, mes châteaux et maint beau vassalvous sont soumis. »3 Les deux mots man (vassal) et undertân (soumis),soulignés par la rime, ne font qu'aviver la douleur de Briinhilt, car envoici un qui n'a l'air d'être soumis à personne. Elle s'en prend au roi etle tutoie pour la première fois.4 Elle répond qu'au contraire elle a sujetà pleurer puisqu'elle voit Kriemhilt assise à côté de son serf;5 cette uniondéshonorera la beauté et la courtoisie de la princesse. Günther cherche àéviter ses questions et promet de lui dire une autre fois pourquoi il consentà ce mariage. C'est à ce moment que Briinhilt commence à prendre ledessus. Si elle savait où elle pourrait se réfugier, dit-elle, elle fuirait afinde ne devoir jamais coucher avec Günther, à moins, ajoute-t-elle, qu'ilne lui dise à quel titre Kriemhilt est la bien-aimée de Sivrit. Güntherrépond que Sivrit a autant de châteaux que lui et des terres étendues :voilà la raison. Mais quoi que le roi lui dise, elle a l'âme troublée. Main-tenant c'est Günther qui ignore ce qui se trame contre lui; s'ennuyant des

1 Str. 611.2 Kudrun (ed. Bartsch), str. 608-12.3 Str. 619.4 A l'exception de 461.2, ou elle avait été frappée par le javelot de Günther.5 MM. Colleville et Tonnelat, op. cit., p. 50, disent: « Le mot eigen, que

l'auteur du NL applique à Sigfrid, ne signifie pas 'vassal' . . . Le terme est doncimpropre dans le présent cas et c'est à tort que le poète le met dans la bouche deBrünhilt. » Mais Briinhilt est ici en colère et l'emploi de ce mot pourrait s'expliquercomme une exagération. On n'est pas tenu de supposer que le poète fût ignorant.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 8: Les larmes de Brünhilt

312 D. R. M°LINTOCK

jeux chevaleresques, il commence à jeter des regards amoureux à la reineet il lui tarde de gagner la chambre nuptiale. Nouvelle ironie, car lesauditeurs viennent d'apprendre le dessein qui se forme dans la tête deBriinhilt.

Nous avons essayé de montrer que la conduite de Briinhilt s'expliquecomme la réaction d'une femme orgueilleuse contre l'isolement etl'humiliation qu'elle éprouve dès son arrivée à la cour des Burgondes.Rien ne nous donne lieu de croire qu'elle commence à se douter de latromperie dont elle a été la victime. L'expédition en Islande avait été unsuccès incontestable; elle n'y reviendra jamais et ne saura jamais lerôle que Sivrit y avait joué. Ses larmes n'ont nul rapport non plus avecl'ancien motif de jalousie. Il se peut, comme nous l'avons dit, que cemotif ait existé dans un chant allemand perdu, mais il s'en faut de beau-coup que tout lecteur raisonnable, comme le prétend M. Schneider,doive le reconnaître.1 Il ne suffit pas pourtant de souligner l'importancequ'on donnait au XIIIe siècle à la question du rang. L'orgueil de casteest quelque chose qu'on partage avec les autres; Briinhilt est affligée d'unchagrin qu'elle ne partage avec personne. Qu'elle déplore un scandalepublic dont le public ne s'inquiète pas et tandis que tout le monde seréjouit, cela n'est guère vraisemblable; qu'elle déplore son propre destin,son isolement et son mariage avec un roi qui ne sait pas comment ilfaut traiter ses vassaux, cela est bien compréhensible. La raison qu'elledonne à Günther n'est pas très convaincante en elle-même, il fautl'admettre, mais vue dans la totalité de la scène elle devient parfaitementvraisemblable.

Pour conclure nous voudrions signaler une différence de constructionentre le Nibelungenlied et les autres versions de la légende. C'est en effetla seule où Briinhilt se voit vaincue plus d'une fois. Dans SigurÔarkviÔain skamma et dans la Vçhunga Saga (donc probablement dans Sigurôar-kviÔa in meira) Sigurör franchit le rempart de feu après avoir changéde forme avec Gunnarr; il n'est jamais question d'une seconde conquête.Dans la Piârekssaga le mariage s'arrange après une discussion assezamicale, mais plus tard il faut que Sigurör dompte Brynhildr dans le litde Gunnarr. Dans le Nibelungenlied par contre il la vainc à deux reprises,d'abord aux jeux athlétiques et puis dans le lit nuptial. Il est probableque notre poète fut le premier à amplifier la légende à ce point, mais ce

1 H. Schneider, Die deutschen Lieder von Siegfrieds Tod (Weimar, 1947), p. 27.

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014

Page 9: Les larmes de Brünhilt

LES LARMES DE BRÜNHILT 3I3

n'est pas certain.1 Or, afin de motiver la deuxième conquête il fallait queBriinhilt se refusât de nouveau. Pour résoudre cette difficulté de con-struction le poète recourut au motif qu'il avait introduit pour expliquerla présence de Sivrit à Isenstein dans l'entourage de Günther. Sivrit yavait joué le rôle de vassal afin d'éviter les questions de Briinhilt et degagner la main de Kriemhilt. Ce n'était pas un nouveau motif; bien aucontraire, l'équivoque du rang du héros apparaît dans toutes les versions,mais dans les autres il n'en est question que lors de la querelle. SelonM. Schneider8 il n'était pas besoin d'une cause particulière pour motiverle second refus de Briinhilt, mais le poète autrichien en fournit une. Ellene cesse jamais de croire sans réserve au rang subalterne de Sivrit (ce quiest sans doute le point le plus faible du récit). Le poète développe cetancien motif et en fait la cause principale non seulement de la ruptureentre les reines, mais aussi de la brouille entre les époux. Puisque c'estpour mériter Kriemhilt que Sivrit consent à jouer le vassal3 on peut direavec justice que l'action entière de l'épopée se rapporte à son amour pourelle. En Scandinavie la légende eut une évolution différente : au moyende la Erweckungssage et du philtre d'oubli on en fit l'histoire tragique del'amour de Brynhildr et de Sigurör. Il y eut pourtant une divergenceencore plus frappante : tandis qu'en Scandinavie la légende se déve-loppa dans le cadre personnel de la saga, le poète autrichien du Nibelungen-lied la transforma en une histoire d'intrigue dans laquelle les personnagesne dirigent l'action qu'en partie et à tour de rôle et dont la complexité nese révèle complètement qu'aux auditeurs.

1 M. Schneider, ibid. p. 26, se range contre cette supposition.2 ibid. p. 23, «Natürlich: die Brünhild, die als Schildmaid, als Berufskämp-

ferin unterlegen war, verteidigte mit der letzten ihr gebliebenen Kraft ihr Magd-tum. Eines besonderen Anlasses, einer Verstimmung bedurfte es nicht erst, sieihrem Freier gegenüber halsstarrig zu machen. »

3 Str. 388.

D. R. MCLINTOCKOxford

Dow

nloa

ded

by [

Uni

vers

ity o

f A

uckl

and

Lib

rary

] at

14:

47 0

8 O

ctob

er 2

014