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LES MARXISTES ET LE MALTHUSIANISME Author(s): Alfred Sauvy Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 41 (Juillet-décembre 1966), pp. 1-14 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689364 . Accessed: 17/06/2014 13:46 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.79.149 on Tue, 17 Jun 2014 13:46:39 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES MARXISTES ET LE MALTHUSIANISME

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LES MARXISTES ET LE MALTHUSIANISMEAuthor(s): Alfred SauvySource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 41 (Juillet-décembre1966), pp. 1-14Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689364 .

Accessed: 17/06/2014 13:46

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LES MARXISTES ET LE MALTHUSIANISME par Alfred Sauvy

En dépit d'efforts continus, cette querelle, plus que cente- naire, semble s'obscurcir encore avec le temps. Au Congrès mon- dial de la population à Belgrade, en septembre dernier, les décla- rations des Soviétiques ont semblé empreintes d'un dogmatisme qui ne veut ni désarmer, ni s'adapter convenablement à la nouvelle situation.

Un récent article de B. Smoulevitch (1) va plus loin encore, dans sa critique de divers ouvrages considérés comme malthu- siens classiques, notamment La faim du monde de Vogt, déjà vieux de 17 ans, ceux de Ph. Hauser et plus directement encore Malthus et les deux Marx que j'ai écrit, il y a trois ans ; je m'excuse auprès des lecteurs d'apparaître ainsi personnellement, au cours de cet article, dans un conflit qui devrait rester sur le plan des idées ; mais il faut saisir l'occasion qui se présente de bien situer le désaccord ou la mésentente.

A ces auteurs, qu'il voudrait bien englober dans le même anathème, Smoulevitch oppose volontiers le Français Garaudy, l'Anglais Fife, sans citer René Dumont, ni, semble-t-il, G. Fré- ville, auteur de L'épouvantait malthusien écrit il y a quelques années, en réponse au Des enfants malgré nous de J. Derogy, qui divisa en deux camps les communistes français.

Le banquet de la nature. - Tant de méprise- se manifeste, parmi les contemporains occidentaux, sur Malthus, qu'il me faut bien rappeler les raisons de l'animosité unanime contre lui des socialistes du xixe ou du moins de la première moitié de ce siècle. Elles ont pour source le fameux apologue du banquet de la nature, paru dans la première édition de Y Essai sur la loi (2) de population : « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s'il ne lui est pas possible d'obtenir de ses parents les

(1 ) Le malthusianisme contemporain (Sovremenve maltousianstvo), Vesinik Statistiki, Moscou, 1966, n° 2, pp. 22-31.

(2) Et non « sur le principe de population » comme le traduisent couram- ment ceux qui respectent peu la langue française.

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subsistances qu'il peut justement leur demander, et si la société n'a nul besoin de son travail, n'a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture, et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n'y a point de couvert vacant pour lui ; elle lui ordonne de s'en aller, et elle ne lardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s'il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet (1). Si ceux-ci se serrent pour lui faire place, d'autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu'il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L'ordre et l'harmonie du festin sont troublés, l'abondance qui régnait précé- demment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunes de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu'on leur avait fait espérer. »

Cette phrase provoqua un tel émoi et fut jugée si insolente que Malthus la retira des éditions suivantes ; mais le fond du débat n'en a pas été changé pour autant.

Une question de classe sociale. - Ce que reprochent tous les socialistes du temps à Malthus et à ses disciples, c'est leur égoïsme social. Pour ne pas modifier l'ordre existant et le régime de propriété, ils préfèrent réduire le nombre des pauvres. Ainsi la culpabilité est retournée contre ceux-ci. Ce ne sont plus les riches qui sont responsables de la misère, mais les pauvres eux-mêmes.

Les économistes classiques, J.-B. Say notamment, suivent volontiers Malthus. Leur défense pourrait se résumer ainsi : « A quoi bon partager les richesses avec les pauvres, puisque la montée continue de nouveaux venus laissera la misère en état. ? » Seulement ils se gardent d'ajouter qu'ils seraient prêts à une « nouvelle donne », dans le cas où la croissance de la population s'arrêterait, comme ils le souhaitent.

Dès lors, l'argument démographique est jugé par les socia- listes de toutes nuances comme un alibi, un faux-fuyant, un moyen d'éviter le débat social. C'est une attitude de classe.

La position des socialistes est ici fort solide ; mais elle le serait bien davantage si leurs démonstrations s'appuyaient sur des données de base justes. Seulement, pour justifier leur position affective, ils en viennent à prendre des bases différentes de la réalité, ce qui est grave pour une doctrine qui se voudrait positive.

C'est ainsi que, soucieux de montrer que la population

(1) C'est nous qui soulignons. 2

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n'augmente que très lentement, Proudhon se livre à un effarant calcul (1), constellé de fautes arithmétiques. Fourier, lui, crée la gastrosophie, doctrine commode qui resurgira de temps à autre, dans la suite, la dernière remise en vie étant le fait de Josué de Castro.

La meilleure position est celle de Owen ; au lieu de contester l'accroissement de la population, il propose l'expansion écono- mique : « Tant que la terre ne sera pas cultivée comme un jardin, je me refuserai à parler de surpopulation. »

Marx et Engels. - Marx est bien trop prudent pour risquer un calcul démographique, comme cet étourdi de Proudhon. Mais il n'en est pas moins violent contre ce détournement de la ques- tion sociale. Le chômage ne vient pas, dit-il, du nombre des hommes, mais du mécanisme d'accumulation du capital et du remplacement des hommes par la machine. La propriété privée les a longtemps exploités ; aujourd'hui, elle les élimine.

Si forte est, dans l'esprit de l'opinion, cette idée de la réduc- tion du nombre total des emplois sous l'effet de la machine qu'elle subsiste encore largement en 1966, et cela parmi des non-socialistes, en dépit d'une accumulation sans précédents de démentis successifs. Ce dogme viscéral, fait de vue superficielle et d'angoisse naturelle, ne peut être profondément atteint par l'expérience ; il subsiste au fond de chacun de nous, même les plus expérimentaux.

Dans l'esprit de Marx et d'Engels, le terme malthusianisme doit-il s'entendre dans le seul sens démographique (limiter les naissances et par là la population), ou bien vise-t-il aussi le malthusianisme économique, celui des richesses ?

Bien qu'il s'agisse, en propre, de la prévention des naissances, l'idée économique est sous-jacente. Le malthusianisme écono- mique, tel que le voit Marx, n'est pas identique aux manifes- tations que nous voyons tous les jours dans notre économie nationale, mais il est peut-être plus virulent encore dans ses résultats. Le capitalisme est incapable de produire suffisam- ment, ne serait-ce que parce qu'il manque fatalement de débouchés.

Les marxistes sont avant tout des optimistes ; c'est leur caractère essentiel. Voici d'ailleurs comment s'exprime Engels le 15 février 1845 : « Dans la société communiste, il sera facile de connaître la production et la consommation. Gomme l'on sait ce dont chacun a besoin en moyenne, il est facile de calculer ce dont un certain nombre d'individus a besoin et comme alors

(1) A propos d'un calcul démographique de Proudhon, Population, avril- juin 1959.

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la production ne sera plus entre les mains de quelques produc- teurs privés, mais dans les mains de la Commune et de son administration, ce sera un rien de régler la production sur les besoins » (1).

Cette idée d'abondance reste très forte, alimentée par l'optique trompeuse du marché, de l'étalage, de la publicité, de l'incitation à consommer. Mais, depuis un siècle, règne une grande obscurité sur le concept de besoin.

Le besoin. - Chargé d'une vaste gamme de sens, ce mot redoutable a été longtemps ignoré des économistes classiques ou négligé par eux, alors que tous les socialistes entendent, au contraire, asseoir l'économie sur la satisfaction des besoins. « De chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins. »

Encore faut-il les définir, ces besoins. Du temps de Marx et d'Engels et encore du temps de Jaurès, la notion s'apparentait étroitement au vital. La distinction entre riches et pauvres était alors vraiment frappante : au-delà des besoins, réputés vitaux, en nourriture, chauffage, vêtement, logement, les consomma- tions des riches avaient un caractère accusé de « superflu » : domestiques, carrosse, parures, etc., luxe en un mot.

Si l'objectif aujourd'hui était de donner à chacun selon les besoins, tels que pouvait les définir un contemporain de Marx ou même de Kautsky, la tâche serait facile ; mais, depuis, s'est produite une étrange transformation, qui appartient au domaine que la société, même capitaliste, ne veut pas voir, car son évoca- tion semble contenir une idée de reproche moral : la montée des besoins signifie : vous êtes devenu plus exigeants.

Peut-être la société a-t-elle eu le tort de s'engager dans cette course éperdue ; peut-être une société socialiste, créée dès 1880, serait-elle parvenue à canaliser à la fois le progrès technique et l'homme, vers la poursuite du raisonnable.

Le fait n'en est pas moins là : non seulement des consomma- tions considérées comme ressortissant classiquement au luxe (carrosse, voyages à l'étranger, etc.) sont devenues courantes et jugées nécessaires, mais le progrès technique lui-même a engendré de nombreux besoins nouveaux, résultat logique, spontané, de l'existence même de produits ou d'appareils propres à assurer quelque plaisir, quelque économie de peine. Parfois même, il s'agit de satisfaire des besoins néo-vitaux, tels que l'éloignement du lieu de travail. Enfin, débordant constamment les connaissances du plus grand nombre, le progrès propose un effort d'instruction gigantesque, devant lequel tous les pays peinent et s'inquiètent.

(1) Mega, 1" division, t. IV, p. 372.

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La pomme, avec ou sans serpent. - Rappelons d'abord un épisode significatif, parmi tant d'autres : à la fin du xixe siècle, le frère de l'industriel Siemens va au Caucase exploiter des gise- ments de cuivre. Malheureusement pour lui, les hommes ne tiennent pas à descendre à la mine. Qui ne les comprend ?

Un ingénieur a alors l'idée d'ouvrir une boutique d'articles pour dames où il faut payer en espèces monétaires, le troc n'étant pas admis.

Au bout de peu de temps, les femmes ont décidé les hommes à descendre dans la mine (1).

Cet exemple a une valeur de symbole pour toute notre société. Alors même qu'il ne s'agit pas de satisfaire seulement les femmes, le rôle du serpent est important. Le plus souvent il s'appelle agent publicitaire, étalagiste ou simplement marchand ; mais, comme cet animal sait aussi changer non seulement de peau, mais de forme, nous le retrouvons aussi dans l'exemple du voisin, la contagion, etc.

Encore faut-il que la pomme existe ; sans elle, on ne peut créer que des tensions provisoires, mais du seul fait de son existence, une force d'attraction existe, sans même faire appel à Newton.

Les communistes et le besoin. - Et cependant, sur cette question, si importante dans une société assise sur la couverture des besoins, les idées sont restées quelque peu obscures.

Peut-être en 1917, dans son wagon plombé, Lénine pressen- tait-il les difficultés qu'éprouverait la société qu'il allait créer à couvrir les besoins même vitaux. Mais, à coup sûr, la majorité de ses disciples n'avait pas réfléchi profondément à la question, et, fascinée par le train de vie somptueux de la cour, des boïards et des grands bourgeois, se laissait-elle bercer par le rêve multi- millénaire, désormais pourvu de parures scientifiques ou du moins jugées telles.

La formule « le communisme, c'est les Soviets... plus l'élec- tricité » n'a visiblement subi son adjonction qu'à l'expérience. Cet ordre qui peut paraître illogique répond au contraire à un étonnant souci d'efficacité : si l'électricité et tout ce qui l'entoure avaient proposé auparavant leurs énormes problèmes, sans doute la force révolutionnaire n'eût-elle pas été suffisante. Il y a moins d'élan à briser une porte, si l'on sait qu'une autre, plus solide, se trouve derrière.

Quoi qu'il en soit, de plan quinquennal en plan quinquennal, la satisfaction des besoins privés a été constamment reportée, en raison de la priorité de « l'industrie lourde », terme archaïque

(1) Cité par D. Gabor, Inventons le futur.

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auquel il vaut mieux préférer « les investissements ». Si les besoins vitaux sont quantitativement assurés, en matière de nourriture, chauffage, vêtement, soins de santé, il reste beaucoup à faire encore du point de vue du logement, du point de vue qualitatif aussi et plus encore... du reste.

Du reste, qu'est-ce à dire ?

Le pain et les voitures. - Dans la masse des néobesoins occi- dentaux figure la voiture privée, individuelle ou familiale. Les Soviétiques ont longtemps hésité devant elle, se souvenant sans doute du « dard empoisonné » que constitue, selon Engels, la quête incessante de l'objet nouveau. Réprouvant l'engin indi- viduel, Khrouchtchev a annoncé, il y a une dizaine d'années, que le besoin de transport serait couvert par la location et par les transports publics. Le transport individuel est peu à peu promu au rang de besoin impérieux. Déjà le Français dépense autant pour cet objet que pour son logement, besoin vital s'il en est, et cela bien qu'un ménage sur deux n'ait pas accès à cet empyrée.

Ce même Khrouchtchev, qui voyait d'un mauvais œil la voiture privée, au relent bourgeois, a promulgué un plan de vingt ans, qui ne s'achevait pas encore en terre premise, dans l'abondance souhaitée. Cependant, peur donner une satisfaction au dogme (ou du moins aux dogmatiques), à la doctrine (ou du moins aux doctrinaires), il annonçait qu'un pas serait fait vers la gratuité du pain. Ainsi, ce rêve naïf, fort louable en son temps, prenait une forme concrète, au moment même où il ne présente plus d'intérêt.

Distribuer le pain est une chose ; mais que dire de la distri- bution de voitures ? En détruisant la barrière de Khrouchtchev, les dirigeants soviétiques ont ouvert un champ immense aux besoins nouveaux. Ils sont entrés dans un cycle, nullement infernal, mais fort onéreux. Dans une société sans classes, il n'y a aucune raison de limiter l'accès à la voiture à une catégorie sociale déterminée ; il faudra donc, peu à peu, prévoir la géné- ralisation aux adultes des deux sexes, ce qui suppose déjà plu- sieurs plans quinquennaux, bien étudiés et bien appliqués.

Comme il est beaucoup plus facile de pousser les moteurs à faire 25 km de plus dans l'heure que construire toute l'infra- structure propre à satisfaire cette nouvelle exigence de vitesse (c'est le grand sujet d'incompréhension, en France), les construc- teurs de routes seront constamment débordés, dépassés et criti- qués pour leurs vues mesquines et inadaptées.

Retour au malthusianisme démographique. - Après cette parenthèse sur l'étrange aventure du besoin, revenons à l'opposi-

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tion entre conservateurs malthusiens et socialistes antimalthu- siens, qui se projette si curieusement, de nos jours, sur l'ensemble du monde.

Au Congrès de Berlin en août 1913, les femmes communistes, Rosa Luxembourg et Clara Zetkine en tête, se sont violemment opposées aux femmes socio-démocrates qui, soucieuses de ne pas donner aux capitalistes de la « chair à canon » ou de la « chair à travail », préconisaient la « grève des ventres ». Il fallait, au contraire, objectaient les communistes, se garder de diminuer la vitalité de la classe ouvrière. Réduire les naissances, c'était singer la bourgeoisie. Le nombre est un facteur décisif dans la lutte pour la liberté. « Le peuple a besoin de nouveaux combattants, dit Rosa Luxembourg dans le journal Die Gleichheit (L'Égalité) du 27 novembre 1914. Les enfants qui grandissent montent vers la lumière. »

En somme, limiter les naissances, c'était capituler, renoncer à la lutte des classes. Prêcher la limitation de la famille, c'était du réformisme, c'est-à-dire, en somme, de la collaboration.

Le malthusianisme est donc mal vu, en tant qu'il prétend résoudre plus ou moins bien le problème social, sans, pour autant, attaquer le mal à la racine, la propriété privée. Seule la lutte de classes est décisive, tout ce qui est susceptible de l'atténuer doit être combattu.

Aux Nations-Unies. - Dès la création de la Commission de la population en 1947, la position soviétique sur le problème de la population a été exposée sans ambiguïté. Aux premières escar- mouches, à la suite de quelque vague allusion verbale peut-être, le délégué de l'Ukraine, M. Rabichko, fit une violente sortie : « Nous n'admettrons pas que, dans cette enceinte, quiconque puisse parler de limiter les mariages ou les naissances dans le mariage. Toute proposition en ce sens devra être considérée comme barbare. »

Le délégué de la Yougoslavie, alors obediente, s'exprima dans des termes analogues : « Vous, capitalistes, désirez ajuster la population à l'économie ; nous, au contraire, nous voulons adapter l'économie à la population. »

Cette position fut maintenue, dans la suite, avec plus ou moins de force. Cependant, en 1962, à l'Assemblée générale, à l'occasion du vote essentiel sur la prévention des naissances, le représentant de l'Union Soviétique s'est abstenu, sans doute du fait de la prise de position de l'Extrême-Orient et surtout des pays arabes, Egypte en tête, et des pays noirs avancés (Ghana, Mali, Guinée).

Mais, depuis, la position orthodoxe a été reprise, sur un ton, il est vrai, beaucoup moins vif que pendant l'ère stalinienne et même poststalinienne.

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La position marxiste. - Essayons maintenant de comprendre la position marxiste ou plus exactement soviétique. Voici comment elle pourrait s'exprimer, en style occidental : « Vous vous trompez largement sur nos idées. Nous ne voulons en rien que Ton interdise les méthodes de prévention des naissances en un point quelconque du globe. Nous-mêmes les autorisons plei- nement chez nous, y compris l'avortement, de façon que chaque famille puisse choisir son destin et que la femme ne soit pas épuisée par des maternités successives.

« Ce que nous dénions, c'est la motivation économique. Dans le régime socialiste, tout le monde a son couvert mis, « au banquet de la nature ». Si les capitalistes préconisent la limitation des naissances, c'est dans le but essentiel de détourner le prolétariat de la lutte de classes ou de la lutte contre l'impérialisme. »

Attardement. - Cette position a beaucoup de fondement et surtout de profondes racines, nous l'avons vu. Mais elle est dangereusement attardée, car les données biologiques du pro- blème sont bien différentes de celles du temps de Marx. La vie moyenne ne dépassait guère 40 ans de son temps, ce qui corres- pondrait, pour une population stationnaire, à une mortalité de 25 °/oo- Sans aller aux extravagances de Proudhon, l'excédent de natalité ne pouvait être très important. Aux temps de l'essor démographique le plus vif de l'Europe, l'accroissement de la population n'a guère dépassé 1 %.

Il nous paraît illégitime de prendre une position doctrinale sans savoir que, du fait de la baisse de la mortalité, l'accroisse- ment dépasse souvent 3 % de nos jours et cela dans des pays qui sont loin de disposer du niveau de vie des pays d'Europe du siècle dernier. Une question proprement vitale est ainsi posée.

Le régime socialiste est-il capable de permettre à l'économie de suivre ce train d'enfer ? Il ne suffit pas, en effet, de mettre le couvert, encore faut-il remplir les assiettes. Là aussi c'est sur l'expérience qu'il faut juger :

Lorsque les Polonais ont décidé d'activer la prévention des naissances en 1960, ils ont répondu à des préoccupations écono- miques et, en particulier, à la difficulté de trouver des emplois à toute la population, ce qui entraînait un chômage plus ou moins caché. « Les entreprises d'organes économiques se sont transformées en institutions de charité » dit M. Mieczyslaw Kalaj (1), en dénonçant le sous-emploi volontaire. Autrement dit, chacun a bien son couvert, mais les assiettes ne sont pas pleines. C'est assurément un progrès social ; mais cet objectif,

(1) Zycie Gospodarcze (La vie économique), 18 janvier 1958.

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qu'on pourrait, sans ironie, appeler « le plein sous-emploi », n'est lui-même pas toujours atteint. Le même auteur s'est, en effet, exprimé, quelques mois plus tard, d'une façon plus claire encore : « En Occident, il y a chômage forcé, parce que le point de vue économique prédomine. En Pologne, où les considérations sociales l'emportent, il y a chômage caché. Le plein-emploi dans une économie socialiste est atteint, quand il n'y a pas de chômage caché et que le chômage forcé ne dépasse pas 3 % de la popu- lation active. Un chômage de 2 ou 3 % est un phénomène naturel à tous les types de société, y compris le monde socialiste » (1).

Un chômage de 2 ou 3 % porterait en France sur 400 000 à 600 000 travailleurs. Nous sommes, depuis longtemps, au-dessous de cette norme. D'ailleurs, en 1957, il fut envisagé, toujours en Pologne, d'organiser une émigration (palliatif contre le chômage capitaliste, ont dit maintes fois les Soviétiques aux Nations- Unies) non seulement vers l'Allemagne de l'Est et la Tchécoslo- vaquie, mais vers les pays occidentaux. Ce projet n'a pas abouti, mais a été réalisé en Yougoslavie, un traité ayant été signé l'an dernier, dans ce sens, avec la France.

Sur le plan proprement technique, l'attardement des marxistes (et d'ailleurs aussi de nombreux non-marxistes) est d'être resté sur une conception statique, au lieu de traiter le problème en termes de flux dans le temps. Il ne s'agit pas tant de savoir combien tel pays pourrait nourrir d'habitants, avec une parfaite technique et un régime excellent, mais combien de temps il faudra ; nous allons revenir sur ce plan essentiel.

Y a-t-il une loi socialiste de la population ? - Autant Marx a été violent à combattre la doctrine malthusienne ou plus exac- tement l'attitude malthusienne capitaliste, autant il a été prudent en matière de prévisions ou de construction de doctrine. La clarté est, pour un grand prophète, le pire des ennemis. Il faut, autour d'une idée générale féconde, laisser se multiplier les inter- prétations, quitte à redresser de temps à autre la situation.

Gomme sur d'autres points, Engels a, sans doute, été un peu plus précis que Marx, du moins si nous en jugeons par la lettre écrite à Kautsky en 1881, dont nous donnons ici un extrait (2) :

« Bien que les socialistes théoriciens nous demandent, à nous

(1) Zycie Gospodarcze (La vie économique), 29 juin 1958. (2) Ce texte est tiré de : Karl Marx, Friedrich Engels, Lettres à A. Bebel,

W. Liebknecht, K. Kaulsky et autres, Partie I, 1870-1886. Ouvrage publié par r Institut de Moscou Marx-Engels-Lénine, sous la direction de von W. Adoretski, 1933. Cette lettre, traduite par les soins de Mme A. Cailar, paraît intégra- lement dans le n° 4 de Population de cette année. Ainsi que nous le signale obligeamment M. L. Lavallée, une autre traduction française figure dans l'ouvrage Lettres sur le capital (p. 299-300), recueil de correspondances Marx- Engels, publié par les Editions sociales à Paris.

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autres, socialistes prolétaires, de leur expliquer comment nous pourrions éviter la surpopulation et le risque qui en résulterait de voir s'effondrer le nouvel ordre social, je ne vois, d'ici long- temps, aucune raison de donner satisfaction à ces gens. Je consi- dérerais comme une perte de temps pure et simple de leur enlever les scrupules et les doutes qu'ils doivent à leur supersagesse confuse... Je ne considère pas cette question comme étant d'une extrême urgence, en ce moment où la production en série, qui vient de faire son apparition en Amérique, et le remarquable développement de l'agriculture menacent de nous étouffer posi- tivement sous le poids des subsistances produites et à la veille d'un bouleversement qui, entre autres conséquences, doit avoir celle de peupler toute la terre... et qui, même en Europe, aura certainement besoin que la population s'accroisse fortement. »

Nous retrouvons l'idée de surabondance, suggérée par l'éco- nomie de marché et l'optimisme qui en résulte. Nous retrouvons aussi les illusions sur la nature des besoins. Poursuivons la lecture de la lettre d'Engels : « Théoriquement, il est déjà possible que le nombre des hommes devienne tel qu'il faille limiter son accrois- sement. Mais, si la société communiste se voyait, un jour, contrainte de contrôler la production des hommes, comme elle contrôle déjà celle des biens, il lui appartiendrait de le réaliser et elle sera seule à pouvoir le faire sans difficultés. Il me semble qu'il ne doit pas être tellement difficile d'obtenir, dans une telle société, et conformément à un plan, un résultat qui a déjà été obtenu, naturellement et sans aucun plan, en France et aux Pays-Bas. De toute façon, ce sera l'affaire de ces hommes de savoir si, quand et comment ils le désireront et quels moyens il s'agira d'employer. »

Ainsi, en régime socialiste la question pourra un jour se poser. Mais elle ne se posera vraiment que lorsque l'humanité sera en régime socialiste. Voici enfin, toujours dans cette lettre, une phrase curieuse, qui traduit l'insuffisance des notions de ce temps (il s'agit cette fois de 1844) (1) : « Même si Malthus avait abso- lument raison, il faudrait immédiatement entreprendre cette réforme (socialiste), car seule une telle société et l'éducation qu'on ne peut que, grâce à elle, conférer aux masses, permettent d'opposer à l'instinct de reproduction les freins moraux que Mal- thus lui-même considérait comme le remède le plus efficace et le plus facile à appliquer à la surpopulation. »

En dehors de cet « instinct de reproduction » qu'il convien- drait d'expliciter, tout cela est clair et, disons-le, logique. Les

(1) Engels reprend ici le texte d'un article de lui, paru en 1844, dans Umrisse zu einer Kritik der Nationalökonomie.

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marxistes du milieu et de la fin du xixe siècle redoutent fortement un effort malthusien des capitalistes, qui risque de réduire la vigueur de la lutte de classes. Nous retrouvons bien l'antago- nisme fondamental avec les socio-démocrates, qui apparaît, vers cette époque, pour éclater un peu plus tard.

C'est le Tiers Monde qui est en question. - II serait puéril, dans les populations occidentales, de ramener le problème de la prévention des naissances à une simple question de lutte de classes ou même de l'envisager sous cet angle. Les débats qui ont lieu actuellement sont d'une tout autre nature. Les propagandistes de la prévention des naissances en France se gardent de mettre l'accent sur la natalité, affirmant que les changements n'auront d'effet que sur l'avortement. Mais une grande partie de l'opinion est malthusienne, dans le sens le plus général du mot, ainsi que l'attestent les résultats consternants de la dernière enquête de ri.N.E.D. (1) sur les attitudes de la population et cela en dehors de toute question de classe. Il est toujours permis de dire qu'un autre régime ferait mieux. Mais cette affirmation ne supprime pas les problèmes pour autant.

L'alimentation des pays du Tiers Monde a pris ces dernières années une tournure plus dramatique. René Dumont signale la forte menace d'une famine, en divers points du monde, vers 1980. Il montre aussi que le Viêt-nam Nord est loin d'avoir résolu le problème alimentaire et que l'avenir de la Chine se présente sous la forme « Deux milliards de Chinois, chastes et austères ». Même celui qui réagit contre une vue aussi sombre ou qui veut se limiter aux constatations actuelles doit bien reconnaître que la production d'aliments éprouve de sérieuses difficultés à suivre celle de la population, de sorte que la voie suivie actuellement est celle de la multiplication dans la misère.

La solution économique, c'est-à-dire le développement général, doit, de toute évidence, avoir la priorité. La grande faute des propagandistes de la prévention des naissances est d'avoir, sinon dit, du moins laissé entendre à un grand nombre de personnes (qui ne demandent qu'à croire dans cette direction) que la solu- tion malthusienne permettrait de réduire largement, sinon de supprimer, l'aide extérieure accordée ou envisagée. Nous retrou- vons, transposée, l'attitude de classe des patriciens du xixe siècle.

Classes et nations. - On peut toutefois contester la similitude des liens de solidarité qui unissent d'une part patrons et ouvriers d'un même pays (au xixe siècle), d'autre part nations dévelop-

(1) Henri Bastide et Alain Girard, Les tendances démographiques en France et les attitudes de la population, Population, janvier-février 1966.

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pées et non développées actuellement. La thèse largement accré- ditée, dans des milieux très avancés, selon laquelle l'impérialisme occidental reprend, et au-delà, au Tiers Monde l'aide extérieure qu'il lui accorde, ne tient pas devant un examen comptable quelque peu sérieux. La possession de mines, de plantations par des capitalistes est moralement et politiquement fort contes- table, mais son volume est beaucoup moins important qu'il n'est dit. Quant au marché des matières premières, qu'on dit défavo- rable aux pays du Tiers Monde (que de naïvetés, de contresens, de contrefaits et d'illusions, on rencontre dans ce domaine !), cette défaveur bénéficie aux nations entières, y compris les nations socialistes.

Que la position malthusienne des Occidentaux soit intéressée, égoïste, qu'ils répugnent à assurer une aide suffisante n'est que trop évident. Mais l'égoïsme est malheureusement le sentiment qui fait à peu près corps avec l'économie. La science économique, c'est la science du sordide.

Mourir selon les règles. - Les Soviétiques et les marxistes en général ne militent pas en faveur de plans importants d'aide au Tiers Monde. Dans cette attitude, il ne s'agit pas seulement d'égoïsme, mais aussi de répulsion à aider des pays dont le régime leur semble impropre à résoudre les problèmes. C'est donc une question de lutte de classes à l'intérieur de ces pays.

Bien des arguments peuvent être produits à l'appui de leur thèse ; on en retrouve une bonne part, d'ailleurs, dans les ouvrages et pamphlets cartiéristes. Mais plaçons-nous en totalité dans l'optique des Soviétiques ; admettons tous leurs jugements et convertissons-nous à leur doctrine fondamentale :

II reste une question de fait, une question de parti à prendre. Voilà des hommes qui risquent de mourir de faim, d'endurer des épreuves extrêmement sévères. La question est de savoir si on va les tirer d'affaire par les moyens les plus à portée, les plus immédiats ou si l'on va attendre qu'ils se trouvent en meilleure condition socio-politique. Il y a, sur ce sujet, diverses fables et apologues : « Tu feras après ta harangue », dit un homme en train de se noyer.

Ce conflit entre deux attitudes, nous le retrouvons fort sou- vent. Savoir s'il vaut mieux mourir selon les règles ou en réchap- per contre les règles occupe une large place dans les préoccupations de notre société mouvante. Le formalisme et l'idéalisme étroits donnent alors aux conservateurs, voire aux réactionnaires, la partie belle pour faire triompher leurs vues.

La condamnation du réformisme, c'est parfois la condam- nation d'hommes que l'on pourrait sauver. Il meurt, par exemple,

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en France, de 15 000 à 20 000 personnes d'un fléau social qui a nom l'alcoolisme et qui est non seulement déplorablement meur- trier, mais largement archaïque. Autrement dit, nous serions en état de le vaincre si les diverses forces de la nation s'unissaient en ce but, sans pour autant, bien entendu, collaborer de façon plus générale.

Le parti communiste s'est opposé, la plupart du temps, aux mesures spécifiques que les uns ou les autres proposent pour vaincre ou du moins réduire l'étendue du mal. Ils objectent que, dans un régime d'économie marchande, il est vain de tenter un effort et qu'ils attendent le moment où le triomphe de leur système permettra de mettre en action des mesures profondes. Celui qui admet strictement ces promesses et ces prévisions peut se ranger à leur avis, si l'avènement du communisme est une affaire de 3 ans ou de 5. Mais si la date est constamment retardée et ne se profile pas à notre horizon, cette attitude consiste à condamner, toujours au nom des règles, les hommes victimes de ce mal social et les femmes ou enfants qui en supportent les tragiques conséquences. Mourir selon les règles.

Un son nouveau. - Cependant une voix vient de s'élever, rompant heureusement avec le dogmatisme étroit. Dans un remarquable article (1), le Pr Pokchichevski, de l'Institut de Géographie de l'Académie des Sciences de Moscou, donne ses impressions, empreintes d'une vive sincérité, au retour du Congrès de Belgrade.

Regrettant que la démographie soit si négligée en Union Soviétique et qu'elle ne soit pas représentée à l'Académie des Sciences par un institut spécial, il décrit, avec un désir très vif de savoir, les débats du Congrès de Belgrade et particulièrement la situation du Tiers Monde.

Redoutant cependant quelque peu cette lumière éblouissante et choquante, il conclut d'une façon assez affective, en manifes- tant sa vive foi dans le génie créateur de l'homme et en opposant malthusianisme et optimisme. Encore faut-il qu'il s'agisse d'un optimisme actif créateur, car la forme passive de ce sentiment aide les catastrophes plus qu'elle ne les combat. La question reste posée, mais un pas a été fait.

Un changement de situation. - Que M. Smoulevitch m'attri- bue, dans son article sur Malthus et les deux Marx, des paroles, des attitudes qui n'y sont pas, qu'il n'ait pas lu le livre ou ne

(1) Novy Myr, n° 1, 1966; une traduction résumée a paru en anglais et peut-être en d'autres langues par les soins de Novosti Press Agency et a été publiée le 11 mars 1966.

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l'ait fait que dans une traduction défectueuse n'a pas grande importance, dès l'instant que nous nous proposons comme but fondamental non de trouver la meilleure doctrine, mais de sauver des hommes en danger par les moyens les plus rapides.

Ce qui importe, c'est de connaître la situation de fait et de la suivre pas à pas, car elle évolue et vient, depuis un an ou deux, de se transformer profondément. Il y a trois ans encore, on pouvait estimer que, dans l'état des techniques contraceptives, la condition préalable à toute action de masse en faveur de la prévention des naissances était le relèvement du niveau écono- mique et culturel. Tous les procédés contraceptifs existant, y compris la pilule, exigeaient en effet une action positive et continue de la part de la femme ou du couple, à peu près illu- soire dans des conditions de vie trop précaires.

Aujourd'hui, du fait de la mise au point du stérilet, il suffit, comme pour l'avortement (et même pour une durée beaucoup plus longue), d'une seule décision. Autrement dit, au lieu de dire non tous les jours, il suffit de dire oui un jour, ce qui est beaucoup plus facile.

Dès lors le goulot d'étranglement, l'obstacle essentiel, a changé du tout au tout : au lieu d'être le niveau économique et culturel (dont le relèvement reste, bien entendu, un objectif essentiel), il réside dans le nombre de médecins et le personnel para-médical. Devant le danger de voir les médecins détournés de leur tâche sanitaire, il apparaît impérieux d'en augmenter le nombre de façon considérable.

Quelle que soit la doctrine socio-politique que l'on professe, il n'est pas possible de trouver la solution sans une observation scientifique.

Et, bien entendu, les reproches formulés ainsi visent aussi bien d'autres personnes que les marxistes, ou de façon plus générale, les socialistes.

Collège de France.

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