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Communication Les me ´ thodologies de recommandations de bonne pratique The development process for clinical guidelines Jacques Glikman Poˆle 94G05 (St-Maur-Joinville), centre hospitalier Les Murets, 94510, La Queue en Brie, France 1. De ´ finition et origine Les recommandations de bonne pratique (RBP) dans le domaine de la sante ´ sont « des propositions de ´ veloppe ´ es me ´ thodiquement pour aider le praticien et le patient a ` rechercher les soins les plus approprie ´ s dans des circonstances cliniques donne ´es », selon la de ´ finition de l’Institute of Medecine. Elles sont a ` distinguer d’autres types de recommandations, comme les auditions publiques ou les guides pour les affections de longue dure ´ e, dont les finalite ´ s sont diffe ´ rentes. Elles s’inspirent de l’evidence-based medecine (EBM) [2], en franc ¸ais, « me ´ decine fonde ´ e sur les preuves » ou me ´ decine factuelle. Ce mouvement a pris sa source en pe ´ dagogie me ´ dicale a ` la faculte ´ McMaster dans l’Ontario dans les anne ´ es 1980. Il visait a ` enseigner a ` des petits groupes d’e ´ tudiants la lecture critique des publications scientifiques et son utilisation pour re ´ soudre les proble ` mes cliniques. Cette de ´ marche a ensuite e ´te ´e ´ tendue aux professionnels de sante ´ dans les domaines de l’aide a ` la de ´ cision, la formation continue et l’e ´ valuation des pratiques professionnelles. L’analyse critique de la litte ´ rature professionnelle permet de hie ´ rarchiser les conclusions des publications selon la me ´ thodolo- gie des e ´ tudes en leur attribuant un niveau de preuve scientifique. Des grilles [1,3,5,6], ge ´ne ´ riques ou propres a ` une discipline, permettent d’e ´ tablir une correspondance entre le niveau de preuve scientifique des e ´ tudes analyse ´ es et le grade des recommandations qui en sont issues (Haute Autorite ´ de sante ´ [HAS], World Federation of Societies of Biological Psychiatry [WFSBP]...). La de ´ marche EBM se de ´ compose ainsi en quatre e ´ tapes : formuler clairement un proble ` me clinique pour un patient donne ´; re ´ aliser une revue me ´ thodique de la litte ´ rature sur le sujet ; hie ´ rarchiser les conclusions selon des niveaux de preuve ; les mettre en œuvre dans la prise en charge du patient. La me ´ decine factuelle a progressivement e ´ volue ´ pour prendre en compte des sources diverses : les donne ´es actuelles de la science a ` partir de l’analyse syste ´ matique et structure ´e de la litte ´ rature ; l’e ´ tat de l’art a ` travers l’expe ´ rience et l’expertise des professionnels ; Annales Me ´ dico-Psychologiques 171 (2013) 25–27 INFO ARTICLE Mots cle ´s : Haute Autorite ´ de sante ´ (HAS) Recommandation de bonne pratique Keywords: Clinical Guidelines Haute Autorite ´ de sante ´ (HAS) RE ´ SUME ´ Les recommandations de bonne pratique, issues de l’evidence-based medicine, visent a ` l’ame ´ lioration de la qualite ´ et de la se ´ curite ´ des soins. La Haute Autorite ´ de sante ´ (HAS) a de ´ veloppe ´ deux me ´ thodes pour les e ´ laborer, la recommandation pour la pratique clinique, me ´ thode pre ´fe ´ rentielle, et la recommandation par consensus formalise ´ . Au travers d’un processus structure ´ et rigoureux, chaque recommandation est assortie d’un grade correspondant a ` un niveau de preuve fonde ´ sur les donne ´ es de la litte ´ rature me ´ dicale, le consensus et l’expe ´ rience des professionnels et la pre ´ fe ´ rence des patients. Les recommandations de bonne pratique sont destine ´es a `e ˆtre inte ´ gre ´ es dans des programmes de bonne pratique. ß 2012 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. ABSTRACT Clinical Guidelines are developed to improve the quality and security of healthcare. They are based on the best available scientific evidence and expert consensus, taking into account the views of patients and their careers. Their development process uses precise methods. They are then used to develop standards for assessing and improving clinical practices. ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Adresse e-mail : [email protected] Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0003-4487/$ – see front matter ß 2012 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.003

Les méthodologies de recommandations de bonne pratique

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Page 1: Les méthodologies de recommandations de bonne pratique

Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 25–27

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Communication

Les methodologies de recommandations de bonne pratique

The development process for clinical guidelines

Jacques Glikman

Pole 94G05 (St-Maur-Joinville), centre hospitalier Les Murets, 94510, La Queue en Brie, France

I N F O A R T I C L E

Mots cles :

Haute Autorite de sante (HAS)

Recommandation de bonne pratique

Keywords:

Clinical Guidelines

Haute Autorite de sante (HAS)

R E S U M E

Les recommandations de bonne pratique, issues de l’evidence-based medicine, visent a l’amelioration de

la qualite et de la securite des soins. La Haute Autorite de sante (HAS) a developpe deux methodes pour

les elaborer, la recommandation pour la pratique clinique, methode preferentielle, et la recommandation

par consensus formalise. Au travers d’un processus structure et rigoureux, chaque recommandation est

assortie d’un grade correspondant a un niveau de preuve fonde sur les donnees de la litterature medicale,

le consensus et l’experience des professionnels et la preference des patients. Les recommandations de

bonne pratique sont destinees a etre integrees dans des programmes de bonne pratique.

� 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

Clinical Guidelines are developed to improve the quality and security of healthcare. They are based on

the best available scientific evidence and expert consensus, taking into account the views of patients and

their careers. Their development process uses precise methods. They are then used to develop standards

for assessing and improving clinical practices.

� 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Definition et origine

Les recommandations de bonne pratique (RBP) dans le domainede la sante sont « des propositions developpees methodiquementpour aider le praticien et le patient a rechercher les soins les plusappropries dans des circonstances cliniques donnees », selon ladefinition de l’Institute of Medecine.

Elles sont a distinguer d’autres types de recommandations,comme les auditions publiques ou les guides pour les affections delongue duree, dont les finalites sont differentes.

Elles s’inspirent de l’evidence-based medecine (EBM) [2], enfrancais, « medecine fondee sur les preuves » ou medecine factuelle.Ce mouvement a pris sa source en pedagogie medicale a la faculteMcMaster dans l’Ontario dans les annees 1980. Il visait a enseignera des petits groupes d’etudiants la lecture critique des publicationsscientifiques et son utilisation pour resoudre les problemescliniques. Cette demarche a ensuite ete etendue aux professionnelsde sante dans les domaines de l’aide a la decision, la formationcontinue et l’evaluation des pratiques professionnelles.

Adresse e-mail : [email protected]

0003-4487/$ – see front matter � 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.11.003

L’analyse critique de la litterature professionnelle permet dehierarchiser les conclusions des publications selon la methodolo-gie des etudes en leur attribuant un niveau de preuve scientifique.Des grilles [1,3,5,6], generiques ou propres a une discipline,permettent d’etablir une correspondance entre le niveau de preuvescientifique des etudes analysees et le grade des recommandationsqui en sont issues (Haute Autorite de sante [HAS], WorldFederation of Societies of Biological Psychiatry [WFSBP]. . .).

La demarche EBM se decompose ainsi en quatre etapes :

� fo

rmuler clairement un probleme clinique pour un patientdonne ; � r ealiser une revue methodique de la litterature sur le sujet ; � h ierarchiser les conclusions selon des niveaux de preuve ; � le s mettre en œuvre dans la prise en charge du patient.

La medecine factuelle a progressivement evolue pour prendreen compte des sources diverses :

� le

s donnees actuelles de la science a partir de l’analysesystematique et structuree de la litterature ; � l’ etat de l’art a travers l’experience et l’expertise des

professionnels ;

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J. Glikman / Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 25–2726

� le

s preferences des patients et de leurs representants.

Les RBP ne constituent pas une fin en soi : leur objectif est decontribuer effectivement a l’amelioration de la qualite et de lasecurite des soins en s’integrant dans des programmes de bonnespratiques professionnelles.

Elles ne visent pas a decrire l’exhaustivite d’une prise en chargemais se limitent a des points d’amelioration ou de reduction desrisques identifies au prealable. Elles ne se substituent pas auxmanuels d’enseignements ou aux monographies professionnelles.

Elles peuvent etre utilisees pour :

� d

efinir des criteres d’evaluation des pratiques professionnelles ; � c ontribuer a l’information des professionnels de sante et des

patients ;

� fa ciliter la communication entre les patients et les

professionnels ;

� c ontribuer a la formation initiale et continue des professionnels

de sante.

2. Deroulement du processus

L’elaboration d’une RBP par un promoteur (HAS, conseilnational professionnel d’une discipline medicale ou autre) debutedans tous les cas par une phase de cadrage qui consiste a :

� p

reciser la problematique a l’origine de la demande : recueild’information sur les pratiques, les donnees scientifiques, les avisdes experts ; � p reciser les objectifs en termes d’amelioration ou de reduction

des risques ;

� d elimiter le theme et le traduire en un nombre limite de

questions concises ;

� c hoisir une methode d’elaboration parmi les deux possibles ; � p revoir la diffusion et la mise en œuvre effective des RBP.

On remarque que cette phase de cadrage est tres proche desetapes de la demarche EBM decrite precedemment.

Les methodes preconisees par la HAS pour elaborer des RBP sontau nombre de deux :

� la

methode « Recommandations pour la pratique clinique » (RPC)[4] est choisie preferentiellement. Elle permet de degageraisement un nombre limite de recommandations concises, nonambigues, gradees selon un niveau de preuve ; � la methode « Recommandations par consensus formalise » (RCF)

[5] est a la fois une methode de recommandations et unemethode de consensus. Elle permet de formaliser un degred’accord entre des experts et ainsi de rediger un petit nombre derecommandations concises et non ambigues. Son emploi estprivilegie lorsqu’au moins deux des conditions suivantes sontreunies :� si on ne dispose pas, sur le theme de la RBP, de donnees

scientifiques de fort niveau de preuve,� si le sujet de la RBP donne lieu a une controverse avec un choix

a argumenter entre plusieurs alternatives,� si le theme de la RBP peut etre decline en situations cliniques

aisement identifiables (listes d’indications, de criteres).

3. La methode « Recommandations pour la pratique clinique »

Un groupe de travail (15–20 membres) pluriprofessionnel,multidisciplinaire, incluant des representants des usagers, analyseun argumentaire scientifique prepare par un/des rapporteurs. Lesprofessionnels ont une bonne connaissance de la pratique etudiee,de la pertinence des etudes publiees et des contextes cliniques.

Ils redigent, apres discussion, une premiere version desrecommandations qui est adressee a un groupe de lecture.

Le groupe de lecture (30–50 membres) comporte des profes-sionnels, elargi aux specialites medicales et aux professions nonrepresentees dans le groupe de travail, des representants depatients, d’usagers, de la societe civile. Il donne un avis formalisesur le fond et la forme de la version initiale de la RPC.

Les relecteurs donnent un avis consultatif, a titre individuel, legroupe n’etant pas reuni.

A l’issue de cette phase de lecture, le groupe de travail analyse etdiscute les avis du groupe de lecture puis redige une version finalede l’argumentaire scientifique, de la recommandation et unesynthese. La validation de la recommandation est assuree par laHAS, soit directement soit dans le cadre d’une labellisation.

4. La methode « Recommandations par consensus formalise »

Un groupe de pilotage (6–8 membres) est compose deprofessionnels et representants d’usagers. Les professionnels ontune bonne connaissance de la pratique etudiee, de la pertinencedes etudes publiees et des contextes cliniques. Ils redigent, apresune analyse systematique et une synthese de la litterature et unediscussion sur les pratiques existantes, un argumentaire scienti-fique et des propositions qui sont transmis a un groupe de cotation.

Un groupe de cotation (9–15 membres) est compose deprofessionnels exercant directement dans le domaine etudie parla recommandation. Il porte un jugement structure, via une echellenumerique de 1 (totalement inapproprie) a 9 (totalementapproprie), sur chaque proposition soumise lors d’un vote endeux tours avec une reunion intermediaire au cours de laquelle lespoints de divergence ou d’indecision sont revus. Les propositionsqui font l’objet d’un consensus seront finalement retenues.

Le groupe de pilotage redige, a partir des resultats de la cotation,une version initiale des recommandations.

Un groupe de lecture, analogue a celui de la methode RPC,donne un avis formalise, pour chaque proposition.

Le groupe de pilotage et le groupe de cotation prennentconnaissance des commentaires du groupe de lecture, puisredigent la version finale de l’argumentaire scientifique, desrecommandations et de la fiche de synthese. La validation de larecommandation est assuree par la HAS, soit directement soit dansle cadre d’une labellisation.

5. Quelques points font l’objet d’une attention particulierepour elaborer les recommandations de bonne pratique

Il est important de choisir un theme en fonction de son utilite, apartir des besoins exprimes par les professionnels et observes surle terrain, apres une analyse rapide de la litterature medicale. Lechamp d’application sera bien delimite, centre sur les etapes clesd’une prise en charge pour lesquelles on a identifie un potentield’amelioration ou de reduction des risques.

On veillera a assurer une representation equilibree au sein desgroupes de travail ou de pilotage et de lecture : l’equilibre porte surles disciplines medicales et les differentes professions concernees,les modes d’exercice professionnel, la diversite geographique, lescourants de pensee notamment s’il existe une controverse depensee, les representants de patients et d’usagers.

Les conflits d’interets potentiels doivent etre declares et renduspublic et geres : ils peuvent etre de nature financiere, intellectuelleou lies a l’appartenance a une ecole de pensee particuliere.

Chaque recommandation est assortie d’un grade en accord avecun niveau de preuve.

La litterature a ses limites : ainsi, les patients inclus dans lesessais cliniques de haut niveau de preuve ne sont pas totalement

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J. Glikman / Annales Medico-Psychologiques 171 (2013) 25–27 27

representatifs des problemes et situations rencontres au quotidien.Les patients presentant des comorbidites ou un risque suicidaireeleve, rencontres frequemment dans la pratique, sont exclus desessais cliniques. Le probleme de la hierarchisation des strategiestherapeutiques selon la typologie des patients ou leur reponse a unpremier traitement n’est pas souvent tranche par des etudesprobantes.

Les recommandations doivent etre sobres : en petit nombre,parfaitement explicites et contributives dans un contexte deci-sionnel precis, accompagnees d’un grade et declinables en unnombre limite de criteres d’analyse de pratique pertinents sur leterrain. Elles sont datees et reactualisees regulierement, selon lesbesoins, grace a un processus de veille.

Il est souhaitable de diffuser egalement un document synthe-tique, destine aux patients.

Leur presentation sous une forme interactive, facile a consulter,et leur integration dans les logiciels professionnels facilitent leurconsultation et leur utilisation en temps reel.

6. Les recommandations de bonne pratique psychiatriquepubliees en France en 2011 et 2012

Trois RBP ont ete elaborees et diffusees en Franceen 2011 et 2012 et sont consultables sur le site internet dela HAS :

� a

utisme et autre troubles envahissants du developpement :interventions educatives et therapeutiques coordonnees chez

l’enfant et l’adolescent. Promoteur HAS. Methode RCF, mars2012 ;

� a utisme et autre troubles envahissants du developpement :

diagnostic et evaluation chez l’adulte. Promoteur : HAS, methodeRPC, juillet 2011 ;

� le s courriers echanges entre medecins generalistes et psychiatres

lors d’une demande de premiere consultation par le medecingeneraliste pour un patient adulte presentant un trouble mentalavere ou une souffrance psychique. Promoteur : College Nationalpour la Qualite des soins en Psychiatrie (CNQSP), methode RPC,label HAS fevrier 2011.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

[1] Bandelow B, Zohar J, Kasper S, Moller HJ. How to grade categories of evidence.World J Biol Psychiatry 2008;9:242–7.

[2] Chabot JM. Loi HPST, analyse et arguments. Neuilly-sur-Seine: Global mediasante, Pratique Medicale; 2009 p. 103–5.

[3] HAS, Guide methodologique, guide d’analyse de la litterature et gradation desrecommandations, 2000.

[4] HAS, Guide methodologique, Recommandations pour la pratique clinique (RPC),Methode d’elaboration de recommandations de bonne pratique, 2010.

[5] HAS, Guide methodologique, recommandations par consensus formalise (RCF),methode d’elaboration de recommandations de bonne pratique, 2010.

[6] National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). The GuidelinesManual, 2009, 266 p., www.nice.org.uk.