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Les modalités d'orientation du procès en Berbère (Parler des Aït Seghrouchen d'Oum Jeniba) Author(s): Fernand Bentolila Source: La Linguistique, Vol. 5, Fasc. 1 (1969), pp. 85-96 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248823 . Accessed: 16/06/2014 11:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.174 on Mon, 16 Jun 2014 11:11:59 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les modalités d'orientation du procès en Berbère (Parler des Aït Seghrouchen d'Oum Jeniba)

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Les modalités d'orientation du procès en Berbère (Parler des Aït Seghrouchen d'Oum Jeniba)Author(s): Fernand BentolilaSource: La Linguistique, Vol. 5, Fasc. 1 (1969), pp. 85-96Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248823 .

Accessed: 16/06/2014 11:11

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LES MODALI TS D'ORIENTATION DU PROCES EN BERBERE

(parler des Ait Seghrouchen d'Oum Jeniba) par FERNAND BENTOLILA

Ii existe en berb're deux monemes D (ou iD, ou id) et N (ou iN) qu'on appelle traditionnellement (( particules d'ap- proche et d'6loignement >. Ii s'agit 1a de modalitis dont la (( distribution )) n'est pas rigoureusement symetrique. En effet, dans le parler berbere des Ait Seghrouchen d'Oum Jeniba, la modalit- D ne peut determiner qu'un verbe tandis que N peut determiner aussi bien un verbe qu'un nom (aryaz-iN (< cet homme-li )) par opposition a aryaz-u (( cet homme-ci ))) ou un moneme deictique (hat N lkamYu (( voilai li-bas le camion n, par opposition a hahYa lkamYu < voici le camion )).

Si l'on ne retient que les emplois de ces deux modalites comme dfterminants d'un verbe, il est l6gitime de les opposer l'une i l'autre, et ce pour des raisons d'ordre fonctionnel et syntagmatique; en effet elles fonctionnent toutes deux de la meme fa<on, donnant au procas telle ou telle orientation; d'autre part leur place dans la chaine parlee est determinde

par les memes regles. Comparez irah D gr i < il est venu chez moi ) et irah N gr i (( il est allk chez moi ; zGa D gr i irah << quand il est venu chez moi ) et zGa N gr i irah. < quand il est all chez moi ), etc.

La valeur semantique g6n-rale de l'opposition DIN a '6t definie par les berberisants : D indique un rapprochement, N un 6loignement. Mais ces signifies fondamentaux ne suffisent

pas pour expliquer le detail des emplois. II faut d'abord priciser que D indique presque exclusivement une direction (<< vers ici >) et que dans le corpus elle ne se trouve jamais avec des verbes d'6tat. Au contraire N peut indiquer soit une localisation

(< lI'-bas )), sans mouvement), soit une direction ((< vers lJ-bas n). D'autre part, dans le cas le plus general, D (qui est d'un emploi beaucoup plus fr6quent que N) ne s'oppose pas

' N mais A

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z6ro. Ainsi awy D < apporte ici )) s'oppose '

awy < emporte ld-bas, n'importe ohi, mais pas ici ). N dans awy N introduit une

pr6cision suppl6mentaire et le syntagme peut signifier selon le contexte (( emporte lJ-bas oih j'6tais (oh je serai), mais oh

je ne suis pas actuellement ) ou bien (( emporte lt-bas oh tu es

(oh tu 6tais) ). Pour bien d6crire les faits, il faut done non pas se contenter d'opposer DIN terme a terme, mais avoir recours aux oppositions D/z6ro et N/z6ro.

Dans notre corpus (environ 300 pages dactylographi6es) nous avons relev6 tous les 6nonc6s oh D ou N apparaissent; et dans chaque cas nous avons essay6 de faire alterner D et N, ou D et z6ro, ou N et z6ro. Il y a des cas oh aucune de ces

op6rations n'est grammaticalement possible : nous avons alors affaire a des syntagmes fig6s oh le verbe est obligatoirement suivi de l'une ou l'autre des deux modalitis d'orientation. Dans d'autres cas, il est possible de faire alterner D (ou N) avec z6ro; la modification s6mantique qui en resulte reste '

interpr6ter en fonction du contexte ou du signifi6 propre du verbe : il s'agit tant6t d'habitudes stylistiques qui appartien- nent au syst*me de la langue, tant6t de syntagmes semi-fig6s (le verbe presque toujours accompagn6 de la modalit6 peut aussi apparaitre seul). Dans quelques rares cas, il est possible de

remplacer D par N ou N par D : l'emploi de la modalit6 releve d'un choix stylistique laiss6

' l'enti re libert6 du locuteur. Enfin,

dans de nombreux exemples, il est possible de faire alterner D et N, mais a condition de changer contexte et situation.

La plupart du temps donc, ce n'est pas le libre choix du locuteur qui dicte l'emploi de D ou de N, mais bien un ensemble de contraintes objectives. Nous avons ainsi d6gag6 un certain nombre de facteurs pertinents : 1) l'endroit oh se trouve le locuteur au moment oh il articule son message; 2) la position respective des diff6rents protagonistes du proces de l'6v6nement; 3) l'orientation implicite ou explicite du procts vers le locuteur ou l'interlocuteur, ou vers un 616ment quelconque du contexte; 4) le contenu s6mantique du verbe que d6termine la modalit6.

Muni de ces instruments d'analyse, nous avons r6interpr6td les exemples du corpus en faisant varier tous les facteurs

pertinents l'un apres l'autre pour observer les changements qui interviennent alors dans la forme de l'6nonc6 (et en parti- culier au niveau de la modalite) et d6terminer dans chaque cas

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le facteur ou la combinaison de facteurs qui justifient la presence de D on de N a c6t" du verbe. Nous avons ainsi obtenu un clas- sement des valeurs et emplois de D et de N en fonction de ces facteurs pertinents. C'est ce classement que nous pr6sentons icil.

Valeur et emplois de D

I. - REFERENCE A UN ICI REEL

Deux cas peuvent se presenter : 10 il y a un point de d part implicite on explicite et un point d'ar-

riv6e (ou point vis6), ce dernier se confondant avec l'ici r el; 20 il y a un point de d6part C, un point d'arrivee B, et l'ici reel A.

La ragle (ragle des trois points) est la suivante : si B est situ" entre2 C et A, on emploie la particule d'approche D.

I.1. - Schema a deux points (201) adin as t-id waedtz a c'est pourquoi je suis venu chez lui ).

D oriente le trajet vers sa maison oui je me trouve actuelle- ment. I1 faut noter que, suivant le contexte, la situation et le contenu meme du message, cet ici reel pourra etre tres troit, limit"6 la petite portion d'espace qu'occupe le locuteur, ou Blargi jusqu'" la chambre, la maison, le quartier, la ville, le pays, la Terre.

(228) may D tnyid zi Imrs ? (( par quel moyen de transport es-tu venu depuis El-Mers jusqu'ici (a Rabat) ? ).

(194) Gwdbt ad Sa trahd, irah D SiNe je crains que tu t'en ailles d'ici, et que lui vienne de lI-bas jusqu'ici (a Oum Jeniba) ).

Notez le D de la seconde proposition contrastant avec zero dans la premiere.

1. Les numdros reproduits devant les exemples berb~res renvoient aux para- graphes de notre corpus. Les exemples sans numlro ont Wt6 donn6s par notre infor- mateur au cours de l'enqu~te. Nous avons utilis6 le syst6me de transcription suivant : voyelles : a, i, u ; consonnes : b, d, f, g, 4, gw, h,

.h, h, k, kw, 1, m, n, q, r, s, , t, w,

U9, z, , r; a et e notent les fricatives pharyngales sourde et sonore, h et g les fri- catives vWlaires sourde et sonore, h la laryngale (aspiration), q l'occlusive dorso- uvulaire, r, la vibrante apicale. Le point sous la lettre note l'emphase (ou vsla- risation) de la consonne. Comme M. Lionel GALAND (in La construction du nom de nombre dans les parlers berb6res, Revue de la Dialectologie, nouv. ssrie, no. 3 et 4) nous transcrivons les consonnes tendues par des majuscules.

2. Il n'y a rien 1I de linsaire. Cf. plus loin, dans l'analyse des exemples (42) et (278), les difficultbs que pr6senterait tune interpr6tation trop gsometrique de cette r6gle.

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(192) ur D Gurn; yinu d-ad rahn cc (les autres) ne viendront pas (de France jusqu'ici au Maroc); ceux-ci iront (l4-bas en France) D.

Meme contraste entre D et zero.

(165) aaadin d-ad-D adfn imndi zi Ibarifa attention, le bl6 de l'6tranger va entrer dans notre pays ).

Si quelqu'un se rend de France ' Agadir, le locuteur, meme

s'il parle a Rabat, dira :

irah D g-ugadir a il est venu ' Agadir ).

parce que dans ce cas le locuteur divise l'espace en deux : un ici (notre pays) et un lt-bas (le reste du monde).

(886) ieayd-D zGa-y-as tryq, idr-D, ur as i0ri walu ac (le cosmonaute) est revenu de Ia-bas jusqu'ici (sur Terre) quand il l'a voulu, il est descendu ici, il ne lui est rien arriv6 )).

La r"f6rence a un ici reel peut se combiner avec un moneme autonome de lieu de type deictique; on a alors l'opposition D... da/(N)... diN (= vers ici avec mouvement/kl-bas sans

mouvement). (299) ... mad ad-D gr da bDlb mad ad N diN Qimz i taza ? ac dois-je

d6m6nager jusqu'ici (a Rabat) ou bien rester di-bas '

Taza ? ).

D'autre part N peut tr*s bien se combiner avec da; on

designe alors un ici tout proche mais diff6rent de l'ici r"el oii se trouve le locuteur :

(238) iLa N da kr .rbT

Lwalunac il est ici tout pres chez des camarades).

1.2. - Schema a trois points

Soit trois points situes comme le montre la figure : A B C

XX X

On parle en A; si on accomplit le trajet CB, on oriente le

proces avec D (vers ici car on se rapproche de A, l'ici reel). N est exclu dans cette situation.

Si on accomplit le trajet BC, on n'oriente pas le proc s. L'em- ploi de N serait possible; il implique qu'on s'adresse a un interlo- cuteur qui se trouve en C, ou que le locuteur se trouvait en C au moment du proces de l'6v6nement. Si je parle a Rabat, je dirai:

irah-D zi fas kr mknas a il est venu de Fes a Meknbs en irah zi mknas kr fas ac il est all de Meknes h Fes )) / irah N zi mknas kr fas ac il est all' de Meknbs a Fes ) (je m'adresse a quelqu'un qui se trouve ' Fes).

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(117) Lih N i lmrs, La Talib D gMiniba, La aRzh has aid srzh, hWdh gLmrs, awdh Qimh aid yili unbdu, alih D gMiniba a je reside A E1-Mers, et je monte a Oum Jeniba, je cultive la terre, et quand j'ai fini je descends h El-Mers et puis je reste lt-bas jusqu'au moment de la moisson; je monte alors a Oum Jeniba ).

On retrouve ici le schema a trois points : on parle '

Rabat; Oum Jeniba est entre El-Mers et Rabat. El-Mers Oum Jeniba Rabat

(255) ma D irah zi Niil, iK D b-s, mi irah zi bulman iK l-scc s'il vient d'Anjil, il y passe (A Oum Jeniba), s'il part de Boulemane il y passe aussi)).

On parle '

Rabat; trajet accompli :

Anjil ma D irah Boulemane Rabat

iK D h-s Oum Jeniba

mS irah

iK h-s

Notez le contraste entre D dans les deux premieres propo- sitions et z6ro dans les deux propositions suivantes.

(560) iLa liD-Nh i mRak"W... naly D, nzdg D i zrhun... nward D fas cc notre ancetre 6tait a Marrakech ; nous sommes months, nous nous sommes installs au Zerhoun; puis nous sommes all6s a Fes ).

On parle a Oum Jeniba; trajets accomplis : Marrakech Zerhoun F s Oum Jeniba

(67) Kih D h bl hir; iNa-y-i ihtu ay Sa izry; waedh ayt umedur, Nan i ur Sa iKi ; La nTraea a--iD nasy, nuwd D al mani Imen ibrdan al nTria (cje suis all chez Belhir, il m'a ditc il vient de passer par icin ; nous cherchions a te prendre : nous sommes arrives A la croisee des chemins et nous avons attendu D.

On parle h Oum Jeniba; trajets accomplis : Boulemane Belhir Crois6e des chemins Oum Jeniba

Si on parlait '

Boulemane, on dirait : nuwd al mani Imen ibrdan (sans D). (213) aN nili dutSa Lhmis i miniba, Sbah Limea hLi aD nsBh. r bulman,

c nous serons demain jeudi a Oum Jeniba, vendredi matin il ne nous restera plus qu'a aller de bonne heure a Boulemane >.

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90 FERNAND BENTOLILA

On parle a Boulemane; trajet accompli : Oum Jeniba Boulemane Rabat

(39) ieql i-iD zi dFir a il t'a reconnu de derriere ).

On trouve realis' le schema suivant :

C B Oum Jeniba

On parle a Oum Jeniba; le regardant (lui) se trouve en C; le regard6 (toi) se trouve en B; le regard est assimil~ a un mouvement qui part de C et arrive en B.

Bien que cette regle des trois points soit simple, certains

exemples sont difficiles & interpr6ter parce que le locuteur s'y r6fare a une conception de l'espace qui nous est 6trangere. Nous analyserons successivement les exemples (42) et (278).

(42) aDay t-id wardh... ( quand je vais chez lui... ).

On parle & Oum Jeniba; le locuteur, 6leve d'une 6cole d'in-

g6nieurs de Rabat, se rend de son 6cole a la maison de X..., a Rabat. D (id) indique que le locuteur a en tate le sch6ma suivant:

Rabat

1cole X... Oum Jeniba

00 op- tvers

RABAT ~te v

go Jeniba Maison Ecole', O

Ma de X

% C Centre

/

La repr6sentation graphique lin6aire ne correspond a aucune

r6alit6 objective. Pour aller de l'ecole & Oum Jeniba je ne passe pas forc6ment par la maison de X... D'autre part, de l'Bcole A la maison de X... il y a quelques centaines de metres; tandis

que de Rabat & Oum Jeniba il y a environ 200 km. Peut-etre faut-il voir ici une repr6sentation particuli4re de l'espace :

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pour aller de son 6cole ' Oum Jeniba, le locuteur passe d'un

quartier periph6rique h un quartier residentiel (ohi se trouve la maison de X...), puis dans le centre de la ville, enfin il sort de la ville et se trouve sur la route qui mene a Oum Jeniba. Cela suffit pour que le locuteur oriente le procs avec la particule d'approche D. Cette interpretation nous parait trange, car

pour nous Rabat est une entit6 et Oum Jeniba une autre entit6; et quand nous allons de Rabat a Oum Jeniba, meme si nous savons qu'en chemin nous passerons devant la maison de tel ami, par tel et tel quartier, puis devant telle ambassade, tout cela reste ' l'6tat de connaissance vague et n'entraine aucune consequence sur le plan linguistique. Mais pour un Berbere, toutes ces perceptions vagues dont nous venons de parler se precisent du fait que la langue utilise constamment

I'opposition D/z6ro. Il y a lI une gymnastique linguistique qui affine le sens de l'espace reel, et qui en tout cas entraine les locuteurs a structurer cet espace, a le compartimenter, a y voir des en deqa et des au-delh; en outre il n'y a rien la de lineaire : le locuteur se cree un chapelet de portions d'espace englobant des unites plus petites.

(278) zGWis D trah... (C depuis qu'elle est alle chez toi... ).

Ali, le locuteur, parle a Rabat, s'adressant a son frere Said; I'agent du procas, la tante d'Ali, est allee d'Oum Jeniba a Taza chez Said. On a le schema suivant : Oum Jeniba Taza Rabat

Si le locuteur disait zGwis N trah, Said pourrait le corriger ainsi :

may tNid ? trah N mad trah D ? mah, taza awNi miniba ay tLa mad awrD as ?a qu'as-tu dit ? trah N ou trah D ? Pourquoi ? Taza est-elle au-del' d'Oum Jeniba ou en deqa ?

Si on regarde une carte geographique, on ne comprend pas tres bien cet au-dela et cet en deqt. Encore une fois il n'y a rien 1I de lineaire ; l'informateur a le sentiment - quand il va d'Oum Jeniba a Taza - de passer d'une region eloignee a une r6gion plus proche de Rabat.

Finalement, l'emploi de D nous renseigne sur la maniere dont le locuteur situe les lieux. Cette structuration est un conditionnement social et semble se faire A partir des chemins

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traditionnels, traces de pistes, itin6raires des cars. Le jeu de ces particules pourrait ainsi nous permettre de d6duire, des

representations mentales, une culture geographique tradition- nelle propre a la tribu : < c'est ce qu'on m'a appris ) dit l'infor- mateur en dernier ressort.

RABAT

Taza Fes

Meknes

Oum Jeniba

II. - L')NONCe NE COMPORTE PAS DE REFERENCE A UN ICI REEL

Tres souvent aussi l'emploi de D n'implique pas une r6f~rence S un ici reel; nous avons alors affaire a des tours qui relevent soit de la stylistique soit du lexique. D a sa valeur d'actualisant.

II.1.- D actualisant (stylistique) Dans beaucoup d'6noncis D sert simplement a << actualiser a

le proces, c'est-a-dire que le locuteur decrit l'action comme vue de face, il semble se placer au point d'aboutissement du mou- vement, du trajet exprim6 par le verbe. L'opposition du frangais (< aller )/(< venir ) peut nous aider a comprendre cette valeur. En berbhre, l'adjonction de D peut transformer n'importe quel verbe en un (( venir ) (+ son contenu s6mantique propre). Cette actualisation relive d'habitudes qui font partie du

systeme (stylistique de langue). De toute faqon elle ne peut se trouver que dans des 6noncis qui se donnent immediatement et sans ambiguit6 comme des r6cits et qui par consequent excluent la valeur d'orientation vers un ici riel.

II.1.1. - Quand le locuteur est en meme temps protago- niste du procs de l'6v6nement, I'actualisation par D est

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attendue, normale si le mouvement se fait dans la direction de ce protagoniste.

(544) aDay af D iTMat s-Nf4dc quand il nous bombardait A coups d'obusn.

Le bombardement s'effectue vers nous ; grace A D le locuteur actualise le proces, fait revivre la scone qu'il evoque.

Il y a des cas oih le locuteur a la possibilit6 de choisir entre D et N pour exprimer le meme 6v"nement. Par exemple, si je parle

' Rabat et que je rapporte une visite que mon pbre m'a rendue A Chaouen, je peux dire :

irah D gr i iBa i Sawn, ou (855) irah N gr i iBa i Sawn.

Avec D j'actualise le proces, je fais revivre la scene. Avec N

je prends de la distance par rapport a ce que je raconte; d'autre part j'insiste sur le lieu oi mon pere m'a rendu visite

(valeur deictique de N : I~-bas).

11.1.2. - Quelquefois cette actualisation est justifiee par le sens general de l'6nonc6 oih le locuteur semble se constituer comme observateur.

(599) La iTasy igS n i~t n Zifit al afNa, irzm as D baa ad iRz ad itW suSu din-di-s iLa cc il emporte dans les airs un os d'une carcasse de bete et le laisse tomber pour le briser et manger la moelle qui s'y trouve m.

D oriente le proces, vers ici, vers le sol oih se situe l'observateur.

(577) aDay tSufk ifra La tTar D ,-igrman, La Tasy igilawn (a quand l'6pervier a donn6 naissance a des petits, il descend vers les maisons, et prend les poussins )).

Le locuteur-observateur d6crit les moeurs de l'"pervier en general mais il oriente le proc s de descente vers lui, vers le sol

oht se situe l'observateur dans le cas le plus g6neral.

H1.1.3. - Dans les recits, le narrateur peut actualiser le proces avec D pour donner plus d'expressivit6, plus de vie a l'enonc6. Le point vers lequel est orient6 le proces peut varier d'une phrase A l'autre, a l'interieur d'un m8me paragraphe. Il y a 1a tout un jeu subtil, mais qui se laisse lire clairement

grace au seul contexte, grace au developpement organique du recit. D se comporte alors comme un anaphorique dont le r fWrent est a chercher dans le contexte precedent ou suivant : elle signifie (< vers cet ici en question >.

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94 FERNAND BENTOLILA

(277) Le narrateur vient de decrire un accident de voiture et il enchaine

zGa D rah n ibulisin sTrn, tin wiN o quand les gendarmes sont venus (sur les lieux de l'accident en question), ils ont trac6 des lignes, ils ont fait un cc machin n (constat) )).

(689) nTa iNa ad as irs h uqmu ; nTa iaNq t, irwl D ugyul d wiN Tfn t a il voulut fondre sur sa gueule; des qu'il y fut agripp6, l'ane et l'autre accoururent et l'attraperent )).

D oriente le proces vers le lieu ohi se diroule la lutte pr6c6- demment d6crite.

(382) iNas a.rah. Kint a-y-afQir awy-i-D alkm; zGa yuwCd ilkman ur iqD i ulm aT-id iZus.r a il lui dit :c( H6 toi vieillard, va me chercher un

cc chameau D (pour me l'apporter ici dans cette maison); quand il fut chez les chameaux, il ne put trainer le chameau (pour l'apporter dans la maison en question oi l'ordre avait 6t6 donn6) ).

Par exemple dans un r cit, le narrateur pose deux person- nages : ils occupent la scone. Si un troisieme personnage arrive, le narrateur oriente cette arrivee avec D.

(680) Le narrateur vient de nous parler de deux personnages; un autre survient :

idr D ,r

sn udin cc celui-la descendit vers eux ,.

(383) Un vieillard arrive a une source, renverse une outre et se met a creuser une rigole.

ink fad izm, yawd D kr-s a le lion qui mourait de soif arriva aupres de lui (aupres de ce vieillard qu'on vient de mentionner) ).

(646) izr tn-iD bu yi'r o le proprietaire du champ les vit m. Le regard du proprietaire vient percer comme un espace

imaginaire, fait irruption sur la sc*ne ohi le narrateur se situe avec les heros dont il a deja parle.

(950) irah udin dnin, iQim hz lin Wdin as iKsn tamTut Ns, iQim awi

izr i t n tsmgt; tuly D aTatm c l'autre s'en alla se poster pres de la source de celui qui lui avait enlev6 son 6pouse; au bout d'un moment il aperqut une n6gresse qui montait puiser de l'eau (vers cet endroit-ci oui s'est post6 le heros de l'histoire) ).

(986) aDay tili aMu aa n tmkra, tiWiRatin La Tiridnt D mlii, lwalun La Tiridn D mlih a quand par hasard il y a un mariage, les jeunes filles s'habillent bien pour la circonstance, les jeunes gens de meme n.

Les jeunes gens s'habillent bien pour venir (D) au mariage mentionn6 plus haut; le locuteur se place a I'endroit oih il y a le mariage et il voit venir vers lui les gens bien habilles.

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LES MODALITES D'ORIENTATION DU PROCES EN BERBARE 95

Si on inverse l'ordre des propositions cela ne change rien A l'emploi de D :

La Tiridnt D tSiRatin mlih aDay tili aMu Wa n tmgra.

(614) tiDa La Tili las Gwaman; nTat lhaist D irahn aTsw, La Traea aT tadf ( la sangsue ne se trouve que dans l'eau; dbs qu'un animal vient boire, elle cherche a p6n6trer en lui )).

D oriente le proces de la venue vers cette eau dont on vient de parler, vers cette eau oui se tient la sangsue.

(541) iSdur as tnt i tijikwt ; kuL Ifas aTT~at tanila Ns baa ad glbn, aD drn c l'ennemi a entour6 le Tichoukt de fortins ; chaque poste devait bom- barder de son c6t6 pour qu'ils (les ennemis) remportent la victoire et que les autres descendent (au pied de la montagne ofi l'ennemi les attend))).

Le choix de D est dict6 ici par le developpement organique du recit; D oriente le proces de descente vers l'ennemi dont le locuteur decrit la strat6gie, la vis6e, l'ennemi qui est le protagoniste principal du paragraphe.

H.1.4. - Parfois il n'y a pas dans le contexte pr6cedent de lieu precis vers lequel le narrateur orienterait le proces. Tout se passe comme si le locuteur se plagait devant son

personnage comme un cineaste devant les acteurs qu'il filme : le protagoniste est vu de face.

(673) iny D yis, iime d-udrgal, iSny t-id, al D Gum azGa t-id iSiw/ gLemartm il vient a cheval (D : vers le narrateur et les auditeurs qui assistent a la sc'ne imaginaire comme des spectateurs), il rencontre un aveagle, 1'emmene sur son cheval (id : pour venir vers le narrateur), et ils progressent (D : vers nous) pour l'amener

' un endroit habit6 (id : tout en venant vers nous) )).

(827) ayt ibamn La Twaeadn D igrman, ayt igrman La Twaeadn ibamn; La Gum D; aDay imen Gwbrid La Tmsblan; adin D uwin yin-u d-uydin D uwin yin-u, La Srusn t G id! umdan (c les gens des tentes viennent vers les maisons, les gens des maisons vont vers les tentes; ils s'avancent (les uns vers les autres); quand ils se rencontrent sur le chemin, ils se battent; ce que les uns et les autres ont apport6 ils le posent en un endroit ).

Le cas de La Gurn D est particulierement intdressant; le narrateur semble se placer entre les deux groupes qui pro- gressent I'un vers I'autre; on dirait qu'il les voit s'avancer de face vers lui.

(823) iwa, a sidi, imen D miDn qah a alors, mon vieux, tout le monde se reunit ).

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Page 13: Les modalités d'orientation du procès en Berbère (Parler des Aït Seghrouchen d'Oum Jeniba)

96 FERNAND BENTOLILA

Le locuteur se situe a l'endroit de la reunion et voit affluer les gens vers lui.

11.1.5. - Tres souvent D sert AN orienter un proces vers un point de depart, vers un 6tat anterieur.

(157) kuYas La Tinin a Ilmdrasa flan flaniya La hDmn dis s-egrin eam ; arba waHa gr-s tLa sTaegr eam La iTG egrin eam, irah ; n6D sTaegr eam, La iSnaqas D i i f-Ns cc autrefois, si on disait que telle 6cole ne recevait que des e61ves ag6s de 20 ans, le candidat, meme s'il avait 16 ans, mettait 20 ans et il y entrait; ou bien l'age requis 6tait 16 ans, alors il ramenait son age h 16 ans )).

(La iSnaqas : < il diminue, retranche >; D : " pour faire

revenir au niveau precedent .) Cf. La iTRa t id gr sTa <~1il ramene (litteralement il rend) son age

" 16 ans ). Mais si on change le contexte - par exemple l'age requis est 20 ans, il n'en a que 16, il se vieillit jusqu'a 20 ans - on n'emploiera pas D parce qu'il fait monter son age jusqu' un point par oi il n'est pas encore pass4.

(270) eaydh D ad waedtz lqila c je suis revenu pour regagner la caserne D.

D souligne le retour depuis le lieu de travail jusqu'au point de d6part, jusqu'au lieu de r6sidence.

(800) La tGur al D Teayad cc elle va et vient xi.

I1 s'agit de la tisseuse qui part d'un point X, va jusqu'a un point Y, et revient '

X, son point de d6part. On trouve aussi des tours fig6s :

(665) igar D igar Ncc il a galop6 de-ci, de-li'); irah D irah. Nc

il est all1 et venu ) (+ aspect it6ratif).

(685) La iTRa udin, iR t id c il emporte cette peau et il la rapporte (a son point de d6part )).

(838) $Sbah neayd-D c le lendemain matin nous revenons (a notre dortoir habituel) )).

Le samedi soir les internes qui ne sont pas sortis sont

regroup6s dans un seul dortoir; mais le lendemain, quand tout le monde est rentr6, chacun regagne son dortoir, sa place habituelle.

(544) mani tLam luQt din a daDa ? - igran; La nrGwl gr 5faQ, al SamDiT neayd-D ,-igran c( oil tiez-vous h ce moment-lh grand-pere ? - a Igrane; nous nous sauvions vers les sommets des montagnes; et le soir seulement nous revenions "

Igrane )). (950) icayd D gr lhayat cc il est revenu ' la vie )).

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