7
Les mots savants ont une histoire... Author(s): Georges Drettas Source: La Linguistique, Vol. 22, Fasc. 1 (1986), pp. 137-142 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248517 . Accessed: 15/06/2014 00:13 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les mots savants ont une histoire

Embed Size (px)

Citation preview

Les mots savants ont une histoire...Author(s): Georges DrettasSource: La Linguistique, Vol. 22, Fasc. 1 (1986), pp. 137-142Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248517 .

Accessed: 15/06/2014 00:13

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to LaLinguistique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les mots savants ont une histoire...

RMflexions au sujet de l'article de Abderrahim Youssi : < La triglossie dans la typologie linguistique >>

(La Linguistique, vol. 19, fasc. 2/1983)

Georges DRETTAS

C.N.R.S., Paris

Le phenomene de l'emprunt, lexical ou autre, s'il est connu du linguiste, ne devrait pas lui &chapper lorsqu'il se manifeste dans un domaine aussi impor- tant pour lui que la terminologie de sa propre discipline. L'attention devrait 6tre d'autant plus critique que le terme emprunte apparait comme tres probl&- matique.

La << diglossie >>a tant indiscutablement de ces termes << problemes >>, on s'6tonne que dans son article Youssi se contente d'une appreciation laudative de Ferguson sans evoquer les debats que le terme de diglossie a suscitis.

Mon propos n'est certes pas de reprocher A Youssi des silences sans aucun doute involontaires, mais de constater qu'une certaine imprecision des sources affaiblit singulierement une argumentation qui contient dej& beaucoup trop d'implicite pour que la rigueur qu'on est en droit d'attendre m6me de la socio-

linguistique n'en souffre pas. Le flou thdorique apparait dans le titre meme qui fait allusion A la typologie

linguistique sans que, par ailleurs, les liens eventuels de cette demarche specifique avec la typologie des communautis ou des situations linguistiques soient explicites.

Or, il n'est plus possible, me semble-t-il, de rendre compte du projet fergu- sonien sans reconnaitre qu'il s'inscrit dans la problkmatique des limites entre

linguistique et sociolinguistique. Il suffirait, pour s'en convaincre, de considerer la thematique des numdros 6I de Langages et i8 de La Linguistique, parus A quelques mois d'intervalle'. L'identite des titres de ces numdros - Bilinguisme et diglossie - ne fait que souligner la persistance du probleme principal ouvert par l'article de Charles A. Ferguson (Diglossia, Word, 1959, p. 325-340). S'il peut paraitre banal de dire que ce problkme est essentiellement celui de la variation linguis- tique, on doit reconnaitre que son traitement dans une visee typologique est

caractdristique d'un moment historique de la discipline. Ce moment voit se

gendraliser un renouveau d'inter^t pour les typologies dans tous les aspects du fonctionnement du langage .

I. Bilinguisme et diglossie, Langages, 61, mars 198I; Bilinguisme et diglossie, La Linguistique, 18-1, 1982.

2. Cf. Georges Drettas, La diglossie : un pilerinage aux sources, B.S.L., 76-I, 1981, p. 61-98.

La Linguistique, vol. 22, fasc. /x1986

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

138 Georges Drettas

Les mises au point recentes les plus critiques de la << diglossie >>3 passent tres

rapidement sur cet aspect des problemes evoques, peut-6tre parce que celui-ci serait apparu plus nettement si l'histoire meme du terme ceit &t6 mieux connue.

Un retour sur ce que j'appelais en I98I4 la gendse du concept permet en effet de comprendre la faiblesse de la definition proposee par Ferguson - et, afortiori, par Fishman -, dans la mesure oh l'ensemble des faits empiriques constituant la situation premiere qui fonde la gdndralisation finale n'est pas connu de pre- miere main par Ferguson et que, par consequent, plusieurs elements attribues A la situation grecque dans l'article fondateur sont purement et simplement inexacts5.

On remarquera, dans la plupart des prises de position actuelles sur la diglossie, une absence d'information precise sur la situation sociolinguistique grecque qui, par rapport aux developpements des autres composantes de ce qu'on pourrait appeler le complexe diglossique - creoles, occitan, catalan, dialectes germaniques de France, etc. -, fait fonction de ref6rence postiche6. Cette situation, pour le moins curieuse, est peut-8tre imputable au fait que bien des textes importants pour la Question de la langue en Grace sont dcrits en grec. Mais ce n'est pas la seule explication d'une miconnaissance dont beaucoup se confortent et qui peut etre reprdsentee par lafixation A Psichari, dont temoigne encore l'article de Youssi.

A cet 6gard, il convient de relever l'exception notable que constitue l'effort tout A fait mdritoire de Filix Lambert Prudent dans son article << Diglossie et

interlecte>> (Langages, 61, mars 1981, p. 13-38). Or, cc n'est certes pas un hasard si la sensibilit6

. l'histoire s'accompagne, chez Prudent, d'une attention toute

particuliere portee au fonctionnement linguistique des varietes. Ce dernier element rappelle la position de Martinet formulhe des les premieres

'ditions des Eliments7 et maintes fois r'p tte

par la suite8. On remarquera ici

que l'argumentation martinetienne est singulierement << minoree >> par les

partisans du complexe diglossique, comme si, au fond, elle n'avait pas d'importance9.

Comme, d'aprbs ce que je viens d' voquer, nous nous trouvons devant un

jeu de miconnaissances, il est peut-8tre utile de rappeler certains faits.

a) En grec dhighlosia (t&ycoaaac) signifie << bilinguisme >>. C'est un mot ancien qui est A la disposition de tous ceux qui ont une maitrise des varietes ecrites de la langue. Ceci rend assez difficile de determiner avec exactitude

3. Cf., par exemple : Andree Tabouret-Keller, Entre bilinguisme et diglossie, du malaise des cloisonnements universitaires au malaise social, La Linguistique, 18-1, 1982, p. 17-43; Georg Kremnitz, Du << bilinguisme >a au << conflit linguistique >>, cheminement de termes et de concepts, Langages, 61, mars 1981, p. 63-74.

4. G. Drettas, A la genese du << concept >> : le cas grec, communication au Colloque international de Sociolinguistique sur la Diglossie, Montpellier, 3-5 d6cembre I981, docu- ments pr6publies, p. 29-34.

5. Cf. G. Drettas, La diglossie, mythe ou realiti ?, Actes du Ve Colloque international de Linguistiquefonctionnelle, Paris, Sorbonne, 1979, p. 148-153.

6. J'entends ici, bien stir, le groupe des linguistes qui ne s'occupent pas principale- ment des langues balkaniques ou des langues de l'U.R.S.S. Pour ces derniers, le complexe diglossique constitue une problkmatique traditionnelle qui n'a rien d'original.

7. Cf., par exemple, Andr6 Martinet, Eliments de linguistique g'nirale, Paris, A. Colin, 1965 (5e 6d.), a 5.4, P. 149.

8. Voir les bibliographies des articles pricit6s. 9. Cf. A. Martinet, Bilinguisme et diglossie, appel A une vision dynamique des faits,

La Linguistique, i8-I, 1982, p. 5-I6.

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

La triglossie '39

la date de son apparition. A titre d'information je signale qu'il figure dans le Dictionnaire de Garp6la (1839)10.

A partir de la, l'emploi du terme, transpose en frangais par Psichari", prend son sens dans le contexte d'une pollmique particuliere A la Grace, mais qui s'inscrit dans un cadre plus general qu'on peut &tiqueter ainsi : <<Le probleme de la langue nationale dans les Balkans >>.

Avant d'evoquer les principaux traits de ce problkme, il faut preciser que Psichari (1854-1929) n'a 6td, en Grace mfme, ni un chef d'6cole ni un leader

politique et encore moins un martyr de la cause demoticiste12.

b) Le contexte historique de la << Question de la langue >>. Tous les pays balkaniques inclus dans l'Empire ottoman se sont constituds

en Etats independants au cours de luttes d'independance nationale qui se deroulent sur une periode qui va du debut du xxxe siecle A la premiere guerre mondiale.

Ce mouvement historique fort complexe a engendre partout, dans l'Empire, un problkme de langue 6crite, A partir du moment oih il existait un mouvement

d'independance nationale politiquement constitu6. Le probleme s'est tout d'abord formuld en termes du rapport oral/ecrit.

Il s'agit d'une part du choix de la variete devant servir de base A la langue d'enseignement, et d'autre part de la variete (ou des vari&tes) devant servir de base A la langue officielle, dans les cas oh une region acquiert l'autonomie administrative ou meme l'independance totale.

Dans ce cadre socio-historique, on a d'une part des situations sociolinguis- tiques reelles, et d'autre part les versions ideologiques qu'en donnent les intelli-

gentsia locales.

Je ne peux pas detailler ici une histoire qui exigerait de longs developpements. Je me contenterai de signaler que la position demoticiste (= favorable A l'adop- tion de la langue populaire comme base de I'&crit) est illustree, dans les pays grecs, dbs avant l'independance, par exemple par l'Cpirote Vilaras'3.

Lorsque, A la fin du xxxe siecle, une partie de l'intelligentsia grecque propose comme un theme dominant le probleme du choix de la langue scolaire et de la langue officielle, elle caracterise sa position de la fagon suivante :

i. Il existe une langue parlee homoghne, la dhimotiki, langue du peuple tout entier. Ce caractere tres important - et qui fonctionne aujourd'hui encore

io. K. Garp6la tu Olimpiu, Leksikdn tis ellinikis ghldssis, epitomon, Athenes, 1839. Voir entree e8yhc),oog.

i1. Cf. Jean Psichari, Essais de grammaire historique nio-grecque, Paris, 1886, 299 p. (cit. p. 211 (n. I) et p. 267); deuxiime partie : Etudes sur la langue midihvale, 1889, 336 p.

12. I1 est absolument necessaire d'avoir conscience du contexte pol6mique des 6crits de Psichari pour apprecier A leurjuste valeur les donnees qu'a pu lui emprunter Ferguson. L'inexactitude de ce que Ferguson 6crit au sujet de la situation grecque - que ce soit sur les faits linguistiques eux-memes ou sur les repartitions fonctionnelles - semble provenir du texte de Psichari (Un pays qui ne veut pas de sa langue, Mercure de France, Ier octobre 1928, p. 63-121) qui est un tissu d'exagerations.

13. Ioannis Vilaras, Apanta, Zakynthos, 1871, 256 p. (en grec) (2e 'd. par G. A. Vava- retos, Athenes, Ed. Dimitraku, 1936, 352 P.). Cf. aussi Aristos Kampanis, Istoria tis neas ellinikis loghotexnias, Athbnes, Ed. Kollaros, 1948, 433 P. (en grec).

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

140 Georges Drettas

dans l'ideologie linguistique de l'intelligentsia grecque - vise A ignorer la variet6 linguistique reelle de la soci&te grecque, tant en ce qui concerne les dialectes grecs qu'en ce qui concerne des langues locales (aroumain, arvanit, turc, bulgare, etc.)14.

2. Le probleme linguistique est un problkme essentiellement scolaire. Le fonctionnement de l'ecrit, ois sont presentes plusieurs varietes - dhimotiki litteraire, grec ecclksiastique, katharivusa (= langue puriste) - est, sur le plan linguistique, equivalent au bilinguisme (8tyXoaalc), en depit de la parent6 de ces vari6tes. Or, l'id6al p6dagogique est monolingue ([tov6ylcoaao).

Il faut bien voir que, dans ce sch6ma, les d6moticistes ont fait de la typologie sans le savoir. Dans leur fagon d'6valuer les diff6rences entre ce qu'ils appellent dhimotiki (= langue du peuple) et kathare'vusa (= grec puriste), ils selectionnent de faqon plus ou moins consciente un ensemble de criteres linguistiques (Psichari, par exemple, privil6gie explicitement les traits morphologiques) qui montrent qu'en diachronie il y a eu des processus de divergence. Cette probl6matique peut sembler 6trangement moderne. II n'en reste pas moins vrai qu'en ce qui concerne la Grece, les typologies (linguistiques, bien entendu) du XIxe siecle n'ont et6 mises h contribution que de fagon tout A fait marginale, parce que la diachronie est sollicit6e pour souligner uniquement le principe d'une continuit6 profonde de la langue grecque dont la << langue parl6e commune )> actuelle repr6sente un aboutissement historique normal. Ce << changement dans la continuit6 >>

correspond a la n6cessite ideologique de maintenir une identit6 linguistique profonde, correlative de l'identite nationale.

Il est bien certain que, pour une ideologie nationaliste qui opere avec un

module g6nealogique selon lequel les Grecs actuels sont les descendants directs des Grecs anciens, les consequences, typologiquement diff6renciatrices, de l'6vo- lution sont generatrices d'inconfortl5.

Voici, esquiss6 & grands traits, le cadre g6neral qui &taie le jeu de mots de Psichari et d'autres : le bilinguisme grec, la diglossie, c'est le type le plus n6gatif de bilinguisme que l'on puisse imaginer'.

Durant cette meme periode de l'entre-deux-guerres, Skok, dans un article sans titrel7 publik en 1936 dans la Revue des Etudes balkaniques, reconnait de fagon tout A fait claire la parente qu'il y avait entre les peuples balkaniques (albanais, grecs, serbes et croates, roumains, turcs) par rapport au problkme de la langue ecrite, et il forge tout naturellement le terme triglossie, applique & la situation ottomane existant jusqu'aux r6formes k6malistes (qui commencent, rappelons-le, aprbs I924). Par la suite, le terme triglossie a 6te employe en 1974 par House-

14. Cf. G. Drettas, La diglossie : un pelerinage aux sources, B.S.L., 76-I, 1981, p. 61-98.

15. On devra remarquer ici que les probl6mes de typologie linguistique poses par le complexe diglossique des son apparition sont mis de c6to dans la pr6sentation de Youssi sans que le motif de ce refoulement apparaisse clairement. Le Maroc rappelle un peu la Gr&ce...

16. Cf. L. Prudent, Diglossie et interlecte, Langages, 61, mars 1981, p. 13-38; G. Drettas, La diglossie : un pelerinage aux sources, B.S.L., 76-1, 1981, p. 61-98.

17. Commentaire sans titre de P. Skok, a la suite de l'article de Kr. Sandfeld, Les langues balkaniques (p. 465-473) dans la Revue internationale des Etudes balkaniques, Beo- grad, 1936, t. I (3) : II, P. Skok, p. 473-48I.

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

La triglossie 141

holder'8 pour qualifier la situation grecque, reprenant par-la l'usage qu'en fait, en

grec, le linguiste Manolis Triandafilidhis dans son Introduction historique de I93819.

Les ref6rences theoriques contenues dans l'article de Youssi et en particulier sa conclusion (p. 8o) m'ont incit6 a proposer ce bref parcours dans l'histoire d'un mot grec, parce que le lexique d'une pratique scientifique, quelle qu'elle soit, est un aspect important de l'univers discursif que la pratique engendre. Il me semble tout aussi necessaire, a cet 6gard, de s'interroger sur les conditions dans

lesquelles un ensemble terminologique donne se constitue. Cette interrogation exige un effort certain, mais la possibilit6 d'une demarche critique est A ce prix.

Dans le present cas, il faut bien 6tre conscient du fait que l'on emprunte une

gtiquette descriptive a une manipulation ideologique qui entretient, par sa fonction m6me, des rapports contradictoires avec une demarche scientifique. Les refec- tions ulterieures du << concept >> de diglossie20 sont comme autant de cicatrices ind6l1biles des premiers combats qui l'ont engendr6.

Dans cet ensemble, le trait le plus caracteristique, au fond, n'est pas la

pregnance d'une ideologie unilingue dans un segment de l'intelligentsia. Il s'agit 1A d'un trait qui accompagne frequemment les ideologies nationales en

Europe orientale. Ce qui est fondamental dans le cas grec, c'est que la << Question de la langue >> est absolument marquee par le micanisme qui consiste Aformuler en termes linguistiques des problames socio-6conomiques.

Ainsi, le bilinguisme grec, archetype de tout conflit linguistique, sert de substitut mythique aux conflits sociaux reels. Le recueil de Rena Stavridhi- Patrikiu (Dhimotikismos ke kinoniko provlima, Athenes, Nea Elliniki Vivliothiki, 1976, 339 p. (en grec)) montre tres clairement, A travers la vulgate du demoti- cisme, que la perspective des participants au debat - dont Psichari - est radicalement diff6rente de celle de Ferguson.

L'histoire du terme renvoie donc a un micanisme de miconnaissance qui, en tant que tel, constitue sans aucun doute un des objets de la sociolinguistique.

Il peut sembler 6tonnant de devoir rappeler ces quelques points de methode qui, s'il s'agissait de la description grammaticale pure, paraitraient relever d'une evidence banale. En realit6, force est de constater que la n6cessite d'6tablir une histoire critique de la demarche sociolinguistique est loin de recueillir l'unani- mite de ses praticiens. Il suffirait, pour se convaincre de ce que j'avance, de se reporter aux documents du Colloque international de Sociolinguistique (Montpellier, 3-4-5 decembre i981) qui, en depit d'interventions critiques dans les discussions, a temoigne, dans l'ensemble, d'une volonte majoritaire des participants de ne pas trop remettre en question la demarche typologique de la sociolinguistique americaine des annees 6o.

Alors, le moment est peut-6tre venu de s'interroger sur les causes de ce conservatisme theorique.

Afin de relancer une reflexion qui sera peut-6tre reprise par d'autres, je me contenterai d'esquisser un debut d'explication. Ce faisant, je reste volontairement

18. Fred W. Householder (with the assistance of K. Kazazis), Greek Triglossia, Indiana Univ. Linguist. Club, I974.

I9. Manolis Triandafillidhis, Nioelliniki ghrammatiki, Istoriki isaghoji, Ath~nes, 1938, 667 p. (en grec).

20. Cf. A. Tabouret-Keller, Entre bilinguisme et diglossie..., La Linguistique, 18-1, 1982, p. 17-43-

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

142 Georges Drettas

dans le vague pour eviter d'6ventuelles meprises sur mon propos. Je ne cherche

pas la pol mique sterile, mais j'essaie de cerner les causes et les formes d'un

complexe ideologique qui, dans notre domaine, est intimement lie A la mecon- naissance 6voqute plus haut.

Tout se passe comme si le fait de mettre en lumiere l'aspect politique des fonc- tionnements langagiers &tait tellement anxiogene qu'il ddt, en contrepartie, offrir un catalogue impressionnant de phantasmes reparateurs A ses victimes.

Les 6lements d'appreciation que, dans son article de 1981 (Du<< bilinguisme>> au << conflit linguistique >..., Langages, 6I, p. 63-74), Kremnitz apporte sur ces

problemes montrent qu'en tout etat de cause il n'est pas simple de repondre A ces questions.

Si l'on considere que les tenants de la diglossie (tri-, tetra-, ...-glossie) se

repartissent actuellement selon deux p6les qu'on peut, symboliquement, &ti- queter des noms de Ferguson et Lafont, polarit6 qui schematiquement s'organise comme suit :

P61e Ferguson (arabe) P61e Lafont (occitan)

Diglossie = quilibre, Diglossie = conflit, duree, oppression, stabilitc lutte, etc. etc.

on constatera que le noyau dominant autour duquel s'organisent les constellations factuelles de l'un et de l'autre p6le est le rapport oral/ecrit. Ce rapport revet, dans le complexe diglossique, les formes les plus diverses.

Il est remarquable qu'A travers la diversit6 de ces formes, le rapport oral/ecrit cristallise de fagon particulierement efficace des derives ideologiques qui laissent

supposer que, quand on le formule ainsi, on produit un prototype de ces dicho- tomies simplistes que vise Martinet dans sa mise en garde de 1982 (Bilinguisme et diglossie..., La Linguistique, I8-I, p. 5-I6).

A titre d'hypothese qui conclura ces remarques mais certes pas la probl6- matique abordee, j'avancerai l'idte que le passage a l'6crit sous des formes aussi diverses que la notation phonologique, la reforme d'une orthogarphe tradition- nelle ou la creation litttraire dans un << dialecte > de <<tradition orale >>, dessine un lieu privilkgie oui s'affrontent - autour des manipulations linguistiques - les specialistes issus de I'intelligentsia dans une

societt donnee.

L'inconfort que suscite la pratique sociolinguistique dans les soci6tts A

linguistes n'est pas sans lien avec le fait que, dans tous les cas, I'tcrit evoque avec insistance (en particulier A travers le problkme de la norme en linguistique) le

phenomene d'un groupe qui, en tant que tel, est lie pour sa reproduction aux

appareils ideologiques d'Etat dans un contexte o0i,

parfois, les hasards de l'histoire lui imposeront de se choisir une place parmi les acteurs de la lutte des classes.

Le discours peut offrir le refuge de ses metaphores pour retarder ce choix de classe oAh la realit6 s'impose comme un destin dtchirant.

7, rue Monticelli 75or4 Paris

This content downloaded from 188.72.126.182 on Sun, 15 Jun 2014 00:13:18 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions