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Cours du GOLF 2007 6S10 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Les nouveautés épidémiologiques du cancer bronchique : les non-fumeurs, les femmes, les fumeurs de cannabis É. Quoix Département de pneumologie, Hôpitaux Uni- versitaires. Correspondance : É. Quoix Département de pneumologie, Hôpitaux Universitaires, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France. [email protected] Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S10-6S15 Doi : 10.1019/200720123 Résumé Le tabagisme actif représente la cause principale du cancer bron- chique. L’augmentation du tabagisme féminin en France depuis la fin des années soixante explique en partie l’augmentation de l’incidence du cancer bronchique chez ces dernières, mais la part attribuable au tabagisme actif est nettement inférieure chez les femmes chez qui interviennent d’autres facteurs étiologiques. Par ailleurs, il existe des arguments pour penser que les femmes sont davantage susceptibles aux effets carcinogènes de la fumée de tabac, même si, intrinsèque- ment, le risque de développer un cancer bronchique est globalement plus faible chez elles. L’incidence du cancer bronchique chez les non- fumeurs semble avoir augmenté en partie en raison du vieillissement de la population. Elle est variable géographiquement : les non- fumeurs sont plus représentés chez les Asiatiques que dans les popu- lations européennes ou nord-américaines avec une différence plus marquée chez les femmes. La distribution histologique varie selon le sexe et les habitudes taba- giques : ainsi, l’adénocarcinome est le type histologique le plus fréquent chez la femme et le non-fumeur mais aussi, d’une façon générale, dans les cohortes masculines les plus jeunes. Les études épidémiologiques récentes permettent de dire que le cannabis n’est pas un facteur de risque de développement d’un cancer bronchique. Mots-clés : Cancer bronchique primitif • Sexe • Non-fumeurs • Tabac • Cannabis. Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S10-6S15

Les nouveautés épidémiologiques du cancer bronchique : les non-fumeurs, les femmes, les fumeurs de cannabis

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Page 1: Les nouveautés épidémiologiques du cancer bronchique : les non-fumeurs, les femmes, les fumeurs de cannabis

Cours du GOLF 2007

6S10 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Les nouveautés épidémiologiques ducancer bronchique : les non-fumeurs,les femmes, les fumeurs de cannabis

É. Quoix

Département de pneumologie, Hôpitaux Uni-versitaires.

Correspondance : É. QuoixDépartement de pneumologie, HôpitauxUniversitaires, 1, place de l’Hôpital, 67091Strasbourg cedex, [email protected]

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S10-6S15Doi : 10.1019/200720123

Résumé

Le tabagisme actif représente la cause principale du cancer bron-chique. L’augmentation du tabagisme féminin en France depuis la findes années soixante explique en partie l’augmentation de l’incidencedu cancer bronchique chez ces dernières, mais la part attribuable autabagisme actif est nettement inférieure chez les femmes chez quiinterviennent d’autres facteurs étiologiques. Par ailleurs, il existe desarguments pour penser que les femmes sont davantage susceptiblesaux effets carcinogènes de la fumée de tabac, même si, intrinsèque-ment, le risque de développer un cancer bronchique est globalementplus faible chez elles. L’incidence du cancer bronchique chez les non-fumeurs semble avoir augmenté en partie en raison du vieillissementde la population. Elle est variable géographiquement : les non-fumeurs sont plus représentés chez les Asiatiques que dans les popu-lations européennes ou nord-américaines avec une différence plusmarquée chez les femmes.La distribution histologique varie selon le sexe et les habitudes taba-giques : ainsi, l’adénocarcinome est le type histologique le plusfréquent chez la femme et le non-fumeur mais aussi, d’une façongénérale, dans les cohortes masculines les plus jeunes.Les études épidémiologiques récentes permettent de dire que lecannabis n’est pas un facteur de risque de développement d’uncancer bronchique.

Mots-clés : Cancer bronchique primitif • Sexe • Non-fumeurs •Tabac • Cannabis.

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S10-6S15

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Novel epidemiology in lung cancer - non-smokers,women and cannabisÉ. Quoix

Summary

Active tobacco-smoking is the main risk factor of developing a lungcancer and the increase in smoking since the end of the sixtiesamong French women partly explains the increase in lung cancer thathas been observed in this group recently. However the part of the riskattributable to active tobacco-smoking is less in women than men andother aetiological factors need to be considered. There are some sug-gestions that females have a higher susceptibility to the carcinogeniceffects of tobacco smoke even if the intrinsic risk of developing lungcancer is lower than in males. The incidence of lung cancer in non-smokers seems to be increasing and this may be partly due to theageing of the general population. This incidence is variable accordingto continents, non-smokers with lung cancer being more frequent inAsia compared to Europe or North-America with the difference beingeven more pronounced in females. Histological subtype also differs according to sex and smoking habits.Adenocarcinoma is the most important histological subtype infemales but also in the youngest cohorts of lung cancer patients pro-bably linked to the modification of smoking habits (use of filters andblond tobacco). The role of cannabis as a risk factor of lung cancer isdifficult to assess as most cannabis smokers are also tobacco-smokersbut recent epidemiological studies suggest that cannabis is notcarcinogenic.

Key-words: Lung cancer • Sex • Non-smokers • Tobacco • Cannabis.

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 6S10-6S15

[email protected]

Le cancer bronchique est le cancer le plus fréquent dansle monde et, en 2002, on dénombrait 1,35 millions de nou-veaux cas représentant 12,4 % de l’ensemble des nouveaux casde cancers [1]. C’est aussi la cause la plus fréquente de décèspar cancer avec 1,18 million de décès la même année [1]. Si letabagisme est reconnu comme la cause principale du cancerbronchique depuis les années 50, il est apparu que son rôle estdifférent chez les hommes et les femmes, et il existe par ailleursaussi d’autres facteurs de risque tant professionnels que liés àl’environnement et notamment à la pollution, facteurs quivont différer selon le sexe. C’est ainsi qu’en matière d’épidé-miologie du cancer bronchique les années récentes sontmarquées par un intérêt tout particulier concernant le cancerbronchique des non-fumeurs et des femmes, d’autant qu’avec

l’avènement des thérapeutiques ciblées, il pourrait y avoir desindications et/ou des résultats différents selon le sexe et/ou lestatut tabagique des patients.

Le cancer bronchique chez les non-fumeurs

L’observation clinique quotidienne semble indiquerune augmentation de l’incidence des cancers bronchiqueschez les non-fumeurs. Cette augmentation pourrait être soitréelle, soit refléter à la fois l’augmentation du pourcentagede non-fumeurs dans la population générale et le vieillisse-ment de cette dernière avec pour conséquence une augmen-tation de l’incidence des cancers bronchiques chez les non-fumeurs [2].

Même si l’incidence du cancer bronchique chez leshommes non fumeurs est de façon constante plus impor-tante que chez les femmes non fumeuses (et d’ailleurs d’unefaçon générale chez les hommes que chez les femmes) [3],la proportion de non-fumeurs chez les femmes ayant uncancer bronchique est plus importante que celle deshommes et ce, dans toutes les études [4]. Dans une revuerécente des cas de cancers bronchiques diagnostiqués dansle Bas-Rhin sur une période de 16 ans, nous avons noté1,4 % de non-fumeurs chez les hommes et 28,9 % chez lesfemmes [5].

Il existe également une variabilité géographique et, defait, toutes les études s’accordent pour trouver un pourcen-tage de non-fumeurs plus élevés chez les femmes que chezles hommes et chez les patients japonais que chez les patientsaméricains ou d’Europe. En effet, dans une revue de 12études cas-cas et cas-témoins menées en Amérique, enEurope de l’Ouest et au Japon, on note un pourcentageglobal de 3,9 % de non-fumeurs parmi les patients de sexemasculin ayant un cancer bronchique, tandis que cette pro-portion est de 33 % chez les femmes. Chez les Japonais, lespourcentages sont respectivement de 7,8 % et 76,7 % etchez les Américains ou les Européens de 2,9 % et 22 %.Dans une étude rétrospective japonaise, portant sur 4 600cas de cancer bronchique et menée entre 1984 et 1998,87 % des femmes étaient non-fumeuses contre 8,6 % deshommes [6].

La proportion de non-fumeurs est probablement éga-lement plus élevée dans la population âgée atteinte de cancerbronchique. Ainsi, dans une enquête du collège des hôpi-taux généraux, la proportion de non-fumeurs à partir de70 ans était de 11,2 % versus 5,3 % avant 70 ans [7]. Dansl’enquête menée par l’IFCT sur la prise en charge des per-sonnes âgées de 70 ans et plus en France, la proportion denon-fumeurs est similaire à 11,1 % [8] et concerne 46,7 %des femmes et 3,3 % des hommes. Cette proportion passeégalement de 7,2 % entre 70 ans et 74 ans à 17,2 % au-delàde 80 ans.

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É. Quoix

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Le cancer bronchique chez les femmes

Aux États-Unis, la mortalité due au cancer bronchique adépassé celle liée au cancer du sein depuis 1987 (même si enincidence le cancer du sein reste bien sûr le plus fréquent descancers chez la femme). Les taux d’incidence et de mortalitéstandardisés sont en l’an 2000 respectivement de 58,6 et 53,2chez les hommes et 34 et 27,2 chez les femmes avec un sex-ratio de 1,7. En Europe, le sex-ratio varie beaucoup suivant lespays reflétant les différences d’habitudes tabagiques. C’est ainsique le plus bas se situe au Danemark où il s’établit à 1,7, tan-dis qu’il est le plus élevé en Espagne où il s’établit à 13,4. EnFrance, le cancer bronchique qui était au 6e rang des causes demortalité par cancer chez la femme en 1985 est passé au 3e rangen 1995. Alors qu’une stabilisation de l’incidence, voire unedécroissance est observée chez l’homme en Europe comme auxÉtats-Unis, on constate une augmentation de la mortalité parcancer du poumon chez les femmes.

En Asie de l’Ouest, l’incidence standardisée sur l’âge estde 33,1 pour les hommes et 5,5 chez les femmes, soit un sex-ratio de 6.

Le cancer bronchique attribuable au tabagisme

actif chez la femme

Même si le tabagisme actif est la cause principale ducancer bronchique primitif chez la femme, la fraction attri-buable est inférieure à celle des hommes. En 2000, on estimedans le monde que 85 % des cancers bronchiques chezl’homme sont attribuables au tabac contre seulement 47 %chez les femmes [1]. Là encore, il y a des variations géogra-phiques. Ainsi, aux États-Unis, la proportion de cancers bron-chiques attribuables au tabagisme actif est pratiquement lamême que chez les hommes. De plus, on observe une conver-gence des incidences du cancer bronchique chez les hommeset les femmes dans les cohortes les plus jeunes reflétant laconvergence des habitudes tabagiques [9]. En Europe, environ70 % des cancers bronchiques survenant chez les femmes sontattribuables au tabagisme actif contre 85 % chez les hommes,alors qu’en Asie, peu de cancers bronchiques des femmes sontimputables aux habitudes tabagiques.

Existe-t-il une susceptibilité plus grande

des femmes à la fumée de tabac ?

Certaines études cas-témoins laissent supposer une plusgrande susceptibilité féminine à la fumée de tabac. C’est ainsique Risch met en évidence un odds-ratio à 27,9 (IC 95 % :14,9-52) chez les femmes ayant fumé au moins 40 paquets/années par rapport aux non-fumeuses contre 9,6 (IC 95 % :5,64-16,3) chez les hommes [10]. De la même façon, dansl’étude cas-témoin de l’American Health Foundation, l’odds-ratio des femmes fumeuses était 1,5 fois celui des hommes

fumeurs [11]. En revanche, les grandes études de cohorte(Nurse’s Health Study, Health Professionals Follow-up study etdeux études de l’American Cancer Society Cancer PreventionStudies, CPS-I et II) ont démontré soit l’absence de différenceen termes de risque lié à la fumée de cigarettes entre sexes [12],soit, à l’inverse, un risque plus important chez les hommes [13].

Il y a bien sûr des facteurs de confusion non pris encompte dans ces études qui peuvent expliquer certaines discor-dances comme l’exposition au tabagisme passif des non-fumeurs, de même que certaines expositions professionnelleset/ou environnementales spécifiques à l’un ou l’autre sexe. Tousces facteurs de confusion peuvent jouer sur le risque de base [2].

Cependant, il y a plusieurs arguments en faveur d’uneplus forte susceptibilité féminine aux carcinogènes de la fuméede tabac. La capacité de réparation de l’ADN est inférieurechez les femmes [14]. D’un autre côté, cette capacité inférieureà réparer l’ADN expliquerait une plus grande sensibilité desfemmes au traitement à base de sels de platine. La formationd’adduits avec l’ADN due à la fumée de cigarette est plusfréquente chez les femmes que chez les hommes, quelle quesoit l’importance du tabagisme. Le gène CYP1A1 impliquédans la phase I du métabolisme des hydrocarbures aromatiquespolycycliques a une expression augmentée chez les femmes[15]. La mutation par transversion (G : C ➝ T : A) de P53 esttrès fréquente dans le tissu tumoral bronchique et résulte pro-bablement des dommages occasionnés à l’ADN par la fuméede tabac. Dans le tissu non tumoral, la transversion et lesadduits d’ADN sont plus fréquents chez les femmes, même sil’exposition au tabac est plus faible [16].

Des polymorphismes génétiques peuvent expliquer cer-taines variations individuelles dans le risque lié aux habitudestabagiques. Parmi les glutathion S-transférases, l’iso-enzyme �(GST M1) a été particulièrement étudié. L’absence d’activitéde cet enzyme est associée à un risque accru chez les fumeurs[17]. La délétion du gène entraîne une plus grande augmenta-tion du risque chez les femmes fumeuses que chez les hommesfumeurs [18].

Les gastrin-releasing peptides (GRPs) sont impliqués dansle développement du poumon normal et la prolifération cellu-laire. Ils agissent par l’intermédiaire de récepteurs GRP-R. Cesrécepteurs sont essentiellement localisés dans les cellules épi-théliales et les fibroblastes et ont une haute affinité pour lanicotine. Il a été démontré que ce récepteur est exprimé chez55 % des femmes non fumeuses contre 0 % des hommes nonfumeurs et chez les fumeuses à moins de 25 paquets/années, ilest exprimé dans 75 % des cas contre 20 % des fumeurs àmoins de 25 paquets/années [19]. L’hyperexpression chez lesfemmes pourrait être due à la situation du gène du récepteursur une région du chromosome X qui échappe à l’inactivationd’où la possibilité de double expression.

Des facteurs hormonaux et tout particulièrement lesœstrogènes jouent un rôle dans le développement d’un cancerbronchique, notamment les adénocarcinomes. Le récepteur

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aux œstrogènes exprimé dans les cellules tumorales bron-chiques est ER-β‚ alors que dans les cancers du sein, il s’agitd’Er-α. Le poumon est l’organe exprimant le plus ER-β‚ endehors du tractus génital. Il n’y a pas de différence entre lesdeux sexes dans le degré d’expression d’ER-β dans le cancerbronchique. Les œstrogènes pourraient jouer un rôle dans lacarcinogenèse, soit par l’intermédiaire de leurs récepteurs, soitcomme un carcinogène direct après activation en catéchols-œstrogènes qui peuvent former des adduits d’ADN, mais aussiinduire l’expression de CYP1A1.

Le traitement hormonal substitutif a des effets contro-versés sur le risque de développement d’un cancer bronchique,certaines études montrant un excès de risque, d’autres nemontrant aucune influence, voire même un effet protecteur[20]. Toutes ces études sont des études cas-témoins et desétudes prospectives sont nécessaires pour permettre desconclusions claires. Certaines différences entre sexes sont plusen rapport avec le pronostic qu’avec la susceptibilité. Parexemple, les mutations du codon 12 de K-ras dans l’adéno-carcinome sont plus fréquentes chez les femmes fumeuses quechez les hommes fumeurs. Le récepteur à EGF est devenu unecible thérapeutique importante dans le cancer bronchique nonà petites cellules et a un rôle dans le développement d’un can-cer bronchique particulièrement chez le non-fumeur. Lesmutations, principalement des exons 18, 19 et 21, entraînentune grande sensibilité aux inhibiteurs de tyrosine-kinase etsont plus fréquentes chez les Asiatiques et en cas d’adénocar-cinomes [21]. Une plus grande fréquence avait également étéinvoquée au départ chez les femmes, mais ne semble pas seconfirmer.

Bien qu’il y ait donc plusieurs différences biologiquesselon le sexe en ce qui concerne la susceptibilité aux carcino-gènes de la fumée de tabac, il persiste une controverse sur lesrisques potentiellement plus grands de développer un cancerbronchique en rapport avec la fumée de tabac chez les femmes.Il y a plusieurs biais potentiels et, notamment, celui d’uneconfusion entre le risque absolu (qui n’est accessible que dansles études de cohorte et pas dans les études cas-témoins) et lerisque relatif qui est le seul qu’on puisse approcher dans lesétudes cas-témoins. D’autres biais potentiels sont l’hésitationdes femmes, notamment dans les études les plus anciennes, àrapporter leur tabagisme, mais aussi le rôle du tabagisme passif.

Autres facteurs de risque

Parmi eux, le tabagisme passif a été étudié de longuedate avec des résultats longtemps controversés probablementen rapport avec les difficultés de mesure de l’exposition. Cinqméta-analyses ont conclu à l’augmentation du risque de déve-loppement d’un cancer bronchique chez les femmes exposéesà la fumée de tabac de leur mari [22]. Des études plusrécentes confirment l’augmentation du risque lié au taba-gisme passif [23].

Un antécédent familial de cancer bronchique constitueégalement un facteur de risque [24] de même qu’un antécé-dent de maladie respiratoire [25]. L’exposition professionnelleest, bien entendu, moins fréquente que chez les hommes. Lerôle de l’exposition domestique au radon est maintenantreconnu avec un petit risque additionnel. Ce risque addition-nel a été estimé au Canada à 10 % de l’ensemble des cancersbronchiques [26], mais il est probablement variable avec larichesse du sous-sol en granit et le degré d’aération des mai-sons. Dans les pays en voie de développement, le rôle descombustibles fossiles est bien établi. Ainsi, en Chine l’usaged’un four avec du charbon dont la combustion dégage beau-coup de benzo-a-pyrène (le Kang) a été rendu responsabled’une incidence particulièrement élevée du cancer bronchiquechez les femmes qui sont par ailleurs non-fumeuses [27]. Celuides vapeurs de cuisine en Asie est également bien connu et a étéconfirmé à nouveau dans une étude cas-témoin effectuée àHong Kong avec une relation dose-réponse [28].

La consommation de fruits et légumes exerce un effetprotecteur, mais il n’est pas établi s’il est différent chez leshommes et les femmes [29].

Âge et distribution des types histologiques

chez l’homme et la femme

Dans certaines études, l’âge au diagnostic est plus élevéchez les femmes que chez les hommes [30], alors que dansd’autres études, c’est l’inverse [4]. Ces discordances peuventêtre liées à la proportion de non-fumeurs dans ces séries. Lesnon-fumeurs ont un âge au diagnostic plus élevé que lesfumeurs [31].

L’adénocarcinome est le type histologique le plus fréquentchez la femme qu’elle soit ou non fumeuse. Le deuxième enfréquence est le cancer bronchique à petites cellules. Même sil’adénocarcinome est en augmentation de fréquence chezl’homme en France (avec un retard de plusieurs années par rap-port à l’Amérique du Nord), le cancer bronchique épidermoïdereste le type histologique le plus fréquent chez l’homme enEurope [7]. L’augmentation, récente en France, de l’incidencede l’adénocarcinome chez l’homme pourrait être liée à unchangement des habitudes tabagiques avec l’usage croissant descigarettes avec filtre et de tabac blond induisant une inhalationplus profonde et une distribution plus périphérique de lafumée de cigarettes... là où prennent naissance les adénocarci-nomes [32].

Cancer bronchique et fumée de cannabis

La fumée de tabac et la fumée de cannabis ont des pro-priétés chimiques voisines. Certains ont même estimé que lateneur en goudrons de la fumée de cannabis était plus élevéeque celle de la fumée de tabac. En revanche, les conséquences

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sur le développement de cancers diffèrent grandement. Ainsipar exemple, le tétrahydrocannabinol (THC), contrairementà la nicotine, inhibe l’enzyme clé (à savoir le CYP1A1) dumétabolisme des goudrons transformant le benzo-a-pyrène endiol-époxyde, substance carcinogénique. De même, il n’y a pasde récepteurs au THC dans l’arbre respiratoire, alors qu’il y ena à la nicotine, lesquels vont induire un signal anti-apopto-tique. De plus, le cannabis inhibe l’angiogenèse, alors que lanicotine active l’angiogenèse tumorale. De fait, les études épi-démiologiques semblent montrer qu’il n’y a pas de lien entrele fait de fumer du cannabis et le développement d’un cancerbronchique [33].

Conclusion

L’épidémiologie du cancer bronchique, près de 60 ansaprès la mise en évidence du rôle majeur du tabac commefacteur de risque, évolue avec une stabilisation voire une dimi-nution de l’incidence chez les hommes, une augmentation del’incidence chez les femmes qui n’est qu’en partie liée à l’aug-mentation du tabagisme féminin. Le cancer bronchique dunon-fumeur, plus fréquent chez les femmes et dont la propor-tion augmente avec l’âge, représente une entité à part avec descaractéristiques biologiques et moléculaires ayant probable-ment un impact majeur sur la prise en charge thérapeutique,notamment en ce qui concerne les inhibiteurs de tyrosine-kinase de l’EGFR.

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Les nouveautés épidémiologiques du cancer bronchique : les non-fumeurs, les femmes, les fumeurs de cannabis

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