1

Click here to load reader

Les obligations de l'epoux survivant, usufruitier de son conjoint predecede (mars 2010)

  • Upload
    aproton

  • View
    767

  • Download
    1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

La plupart des donations dites au dernier vivant (donations entre époux) prevoit une dispense expresse pour le beneficiaire de ... fournir caution … de faire emploi ou faire dresser inventaire… . L’idee etant d’assurer ici au conjoint survivant une jouissance libre et paisible des biens ainsi laissés en sa possession, sans avoir a rendre des comptes. Il a ete cependant mis judiciairement a la charge de ce dernier une obligation d'information dont il a ete juge qu'elle etait le corollaire des droits de l'usufruitier de gerer un portefeuiliie de valeurs en cedant les titres...

Citation preview

Page 1: Les obligations de l'epoux survivant, usufruitier de son conjoint predecede (mars 2010)

N° 21 - Mars 20104

Lorsque les décisions judiciairesse suivent et ne se ressemblent pas (du tout)…

Les obligations de l’époux survivant, usu-fruitier de la succession de son conjoint prédécédé.

La plupart des «donations au dernier vi-vant » (donations entre époux) prévoient une dispense expresse pour le bénéficiaire de « fournir caution … de faire emploi ou faire dresser inventaire… ». L’idée étant d’assurer ici au conjoint survivant une jouissance libre et paisible des biens ainsi laissés en sa possession, sans avoir à rendre de comptes. Aujourd’hui les familles se recomposent et se décomposent à un rythme accéléré et, malheureusement à terme, les sources de conflits successoraux s’en trouvent multipliées. Ainsi dans une espèce hélas devenue très classique de conflit-type « conjoint survivant de deuxièmes-troi-sièmes-etc. noces c/ enfant de premières-précédentes noces du défunt », les faits étaient les suivants :La demanderesse poursuivait en référé devant notre juridiction grassoise le se-cond mari de sa mère, usufruitier de la succession de cette dernière, pour qu’il lui remettre les extraits des comptes ban-caires dont il avait la jouissance, étant précisé qu’aux termes de la donation dont il était bénéficiaire le conjoint survivant avait comme il est d’usage, été dispensé de « fournir caution ». Le juge des référés déboutait intégrale-ment la demanderesse au motif, parfaite-ment cohérent avec les textes en vigueur applicables « que la loi ne met pas à la charge de l’usufruitier une obligation d’informations et de rendre des comptes au nu-propriétaire, seul un contrôle a posteriori étant possible en cas de preu-ves de ce que l’usufruitier n’a pas res-pecté ses obligations de conservation de la substance de la chose et de respect de la destination de celle-ci, preuves qui font défaut en l’espèce ». (cf. Ordonnance de référé TGI Grasse du 28 janvier 2009).Pour mémoire, les deux obligations à charge de l’usufruitier dans de telles cir-constances sont effectivement la conser-vation de la substance de la chose d’une part, et le respect de la destination de la chose d’autre part : articles 600 et sui-vants du Code Civil. Au soutien de son

argumentation, l’usufruitier invoquait qu’en l’espèce il n’était donc nullement tenu d’une obligation d’informations ou de rendre compte à la nue-propriétaire.Il ajoutait qu’en décider autrement serait créer arbitrairement et abusivement à sa charge une obligation qui n’était ni pré-vue par les textes ou la jurisprudence, ni stipulée aux termes de la donation entre époux ci-dessus évoquée.En pareil cas, il apparaît qu’effectivement le Juge du fond ne peut qu’effectuer un contrôle « a posteriori » pour le cas où le nu-propriétaire rapporterait la preuve que l’usufruitier n’a pas respecté l’une ou l’autre des deux obligations ci-dessus rappelées (conservation de la substance de la chose et respect de sa destination).Or, et comme le confirmait le Juge des référés grassois, cette preuve n’était pas rapportée en l’espèce. Il eût fallu que la nue-propriétaire allègue d’un péril ou d’un préjudice en arguant de faits ou même de soupçons étayés, portant par exemple sur une hypothétique dilapidation ou tout au moins une mauvaise gestion des avoirs bancaires… Il n’en n’était rien en l’espè-ce; ce premier litige judiciaire se révélait en fait n’être que la face émergée de l’ice-berg et le reflet d’un conflit familial né d’une mésentente chronique entre la fille de la défunte et le second mari de cette dernière… La crainte de l’usufruitier était ici que cette première demande de comp-tes ne soit suivie de nombreuses autres et ne tourne au harcèlement : aurait-il à se justifier ainsi de tout et tout le temps dans le cadre de l’exercice de son quasi-usu-fruit sur ces avoirs ?... S’il obtempérait à cette première sommation (la demande avait été initialement présentée sous cette forme…) jusqu’où iraient les intrusions et la surveillance ? Et dans ces conditions, quid du respect la volonté affirmée des époux d’assurer au survivant d’entre eux une jouissance libre et paisible de la succession du pré-mou-rant ?La demanderesse a fait appel.A cette occasion, notre Cour aixoise va illustrer le talent créatif et innovant qui caractérise la construction prétorienne... Contre toute attente, les Conseillers vont

prendre ici le contre-pied total de la po-sition du premier Juge. Un tel virage à 180° est édifiant, car les magistrats ne l’étayeront d’aucun texte ni aucune réfé-rence à un éventuel précédent judiciaire ou un quelconque commentaire doctrinal. Une nouvelle jurisprudence verrait-elle le jour ? En effet, par arrêt du 10 décembre 2009, la Cour décide de faire droit aux deman-des de l’appelante au motif que : « le nu-propriétaire dispose d’un droit général de surveillance sur la chose indivise pendant toute la durée de l’usufruit ; il doit pouvoir obtenir de l’usufruitier des renseignements que lui seul possède, sur l’évolution de la consistance du bien ; le droit d’information du nu-propriétaire est le corollaire des droits de l’usufrui-tier de gérer un portefeuille de valeurs en cédant les titres ; il lui permet de vé-rifier que l’usufruitier remplit bien ses obligations et le cas échéant, d’exercer des actions immédiates à l’encontre de ce dernier si la pérennité du bien lui semble compromise. Quant aux autres comptes, la demande d’information de la nue-pro-priétaire est également légitime pour les mêmes motifs, pour lui permettre de sol-liciter, le cas échéant, des mesures pour garantir ses intérêts, dès lors qu’elle n’est pas de nature à porter atteinte aux droits de l’usufruitier ». C’est à un ren-versement spectaculaire de la charge de la preuve qu’aboutit cette décision aixoise, laquelle ne pourra certes que réjouir les nus-propriétaires si elle devait ne pas res-ter isolée. Les parties en étant restées là, nous ne saurons pas - et c’est dommage ! - ce qu’aurait tranché la Cour de Cassation entre ces deux positions de juridictions du fond aussi radicalement opposées... Il ne restera plus alors à notre usufruitier qu’à plaider l’abus de droit (d’information…) si effectivement les demandes de comp-tes réitérées de la nue-propriétaire s’avé-raient, comme il le redoute, constitutives de harcèlement. Mais ceci est une autre histoire (et un autre litige !)…

Agnès PROTONAvocat au Barreau de Grasse