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Les opérations en Catalogne en 1808 à janvier 1810 et les
limites de la stratégie napoléonienne
Colonel Thierry Noulens
Cadre-professeur à l’école de Guerre
Après Tilsit, qui « avait causé en France une joie profonde »1, Napoléon cru que la
guerre sur terre était terminée et que le conflit qui ne l’opposait plus guère qu’à l’Angleterre,
ne trouverait d’issue que sur mer. Comme il ne pouvait pas affronter la marine de guerre
britannique, il décida d’appauvrir ce pays en coupant toutes ses relations commerciales avec
le continent européen et de répondre au blocus maritime par un blocus continental. Il était
maître de l’Europe dont il avait soumis tous les souverains à l’exception de celui d’Espagne,
qui était son allié, et du Prince Régent portugais qui était toujours inféodé à l’Angleterre
malgré sa défaite de 1801.
La stratégie de Napoléon se trouva dominée par la servitude économique. Or si
l’armée impériale avait pu lui permettre de dominer l’Europe militairement, la France n’était
pas en mesure de la dominer économiquement car les routes maritimes échappaient à son
contrôle. Vouloir bloquer le commerce britannique supposait donc de lui interdire tout accès à
l’Europe continentale et donc d’en contrôler militairement les côtes. Pour accomplir un tel
tour de force, Napoléon, parce qu’il était persuadé que la phase terrestre de la guerre était
terminée crut qu’il pouvait réarticuler ses armées sans compromettre pour autant leur
efficacité opérationnelle. Il pensait pouvoir former des troupes d’une valeur suffisante pour
contrôler la péninsule Ibérique sans dégarnir son dispositif d’occupation de l’Allemagne.
Pourtant, l’échec de Junot au Portugal et de Dupont en Espagne, semble bien montrer
que cette nouvelle armée créée au début de 1808, malgré ses effectifs importants, n’était pas
un outil adapté à la guerre économique qu’il voulait conduire. Et que d’autre part, en
dispersant ses efforts, il ne pouvait pas faire face très longtemps à la guerre terrestre qui allait
reprendre à partir de 1809.
1 THIERS M.A., Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1849, t. 8, 687 p., p. 3.
2
Le général Philibert-Guillaume Duhesme (1766 – 1815)
Les troupes envoyées en Catalogne en 1808, commandées par Duhesme2, avaient été
mises sur pied au moment de cette période charnière. Leur constitution, leur organisation et
leur emploi montrent bien que la stratégie napoléonienne avait atteint ses limites et que le
système militaire qu’il avait mis au point n’était pas adapté au nouveau type de conflit qu’il
devait mener dans un milieu géographique et humain inconnu jusqu’alors. Plus qu’au
caractère irréaliste et flou de sa mission, la division d’observation des Pyrénées orientales ne
2 Duhesme, (Philibert-Guillaume, comte), né à Bourgueneuf-Val-d’Or (Saône et Loire) le 7 juillet 1766, mort des suites de ses blessures à Ways près Genappe (Belgique) le 20 juin 1815) : Commanda la garde nationale de son canton en 1789 ; capitaine au 2e bataillon de volontaires de Saône-et-Loire le 29 septembre 1791.Capitaine d’une compagnie franche levée par lui l’année suivante. Servit à l’armée du Nord. Lieutenant-colonel en 1792. Blessé en 1793, il fut nommé général de brigade à titre provisoire la même année. Confirmé dans son grade en 1794. Combattit en Belgique sous Kléber. Il se signala à Fleurus le 26 juin 1794. Passa à l’armée de Sambre-et-Meuse. Général de division le 8 novembre 1794. Envoyé à l’armée des côtes de Brest avec 12 000 hommes en janvier 1795. Retourna en Allemagne en décembre. Arrêté pour lâcheté en août 1796 puis innocenté. Servit sous Desaix, se distingua à Khel en avril 1797, où blessé à la main à la main, il battit le tambour avec le pommeau de son épée. En Italie en 1798-1799 sous Championnet puis sous Grenier. Commandant le corps de réserve de l’armée d’Italie sous Masséna en juillet 1800. Combattit sous Augereau en Allemagne à partir de septembre. Repassa à l’armée d’Italie en septembre 1805, combattit sous Masséna. Chargé d’occuper l’Istrie en décembre. Commandant le IIIe corps d’armée de Naples en février 1806. Rentra en France en septembre 1807. Nommé à la tête de la division des Pyrénées orientales le 27 janvier 1807. Commandant en chef du 1er février au 31 décembre. Occupa la citadelle de Barcelone le 29 février. Vainqueur sur le Llobrégat le 10 juin, échoua devant Girone le 20, vainqueur sur le pont d’El Rey sur le Llobérgat, le 30. Gouverneur de Barcelone le 7 septembre, il fut bloqué dans la ville par Vivès puis délivré par Gouvion Saint-Cyr. Arrêté pour malversation et abus de pouvoir, il se rendit à Montpellier en février 1810 puis se retira à Bourgneuf. Commandant supérieur de Khel le 2 décembre 1813, il participa à la campagne de France de 1814. Il servit Louis XVIII et fut nommé Pair de France. Blessé mortellement à Waterloo, il mourut dans une auberge.
3
doit-elle pas son échec final à son organisation vicieuse qui en fit un outil inadapté à ses
conditions d’engagement ?
La péninsule Ibérique et le blocus continental
Ruiner le commerce de l’Angleterre signifiait également ruiner l’économie des pays
de la péninsule Ibérique qui ne vivaient essentiellement que grâce aux relations commerciales
qu’ils entretenaient ce pays. L’Espagne n’était de ce fait pas un allié sûr, comme le démontra
les clauses du traité de Badajoz qui mit fin à la guerre des Oranges en 1801 : cette campagne
éclair ne profita en fait qu’à l’Espagne. Par la suite l’attitude ambiguë de Godoy à la veille de
la campagne de 1806, montra à Napoléon que l’Espagne était prête à rejoindre le camp
anglais en cas de défaite française.
Cette attitude ambiguë de l’Espagne était d’autant plus préoccupante que ce pays
connaissait une crise politique grave qui le rendait instable. Or Napoléon avait absolument
besoin de l’alliance sans faille de ce pays, d’une part pour en interdire les côtes au commerce
anglais et d’autre part pour s’emparer du Portugal dont le Prince Régent avait toujours su
préserver ses liaisons commerciales avec l’Angleterre.
L’idée de répondre à un blocus maritime par un blocus continental, semblait réaliste
à Napoléon car il dominait toute l’Europe à l’exception du Portugal qui lui semblait facile à
conquérir militairement. Mais, grisé par les succès que son outil militaire d’une efficacité sans
précédent lui avait apporté, il semblait plus animé par ses passions que par son réalisme : « Il
y a dans les choses humaines un terme qu’il ne faut pas dépasser, et, d’après un sentiment
alors général, Napoléon touchait à ce terme, que l’esprit discerne plus facilement que les
passions ne l’accepte. »3
L’immense confiance que Napoléon avait en lui semblait être venue à bout des
réticences qu’il avait eu auparavant quant à un engagement militaire dans une presqu’île alors
que l’ennemi avait la supériorité maritime. Il avait rédigé en 1794 une note adressée à
Robespierre dans laquelle il condamnait avec la plus grande fermeté l’idée de s’engager en
Espagne : « Si les armées qui sont sur les frontières d’Espagne embrassaient le système
offensif, elles entreprendraient une guerre qui serait à elle seule une guerre séparée.
L’Autriche et les puissances d’Allemagne n’en ressentiraient rien… Cette guerre absolument
isolée n’obligerait la coalition à aucune diversion. L’Espagne est un grand Etat ; la mollesse
3 Ibid., p. 4.
4
et l’ineptie de la cour de Madrid, l’avilissement du peuple la rendent peu redoutable dans ses
attaques. Mais le caractère patient de cette nation, l’orgueil et la superstition qui y
prédominent, les ressources que donne une grande masse, la rendront redoutable lorsqu’elle
sera pressée chez elle. L’Espagne est une presqu’île ; elle aura de grandes ressources dans la
supériorité de la coalition sur mer… (…) Frapper l’Allemagne, jamais l’Espagne. »4
Mais l’idée de mettre un prince français sur le trône d’Espagne, semblait être assez
ancienne chez Napoléon. Il en était question dans des conversations et des écrits rapportés par
de nombreux documents, mais il semble bien que ce ne fut qu’en novembre 1807 que
Napoléon décida de mettre ce projet à exécution5.
Francisco Goya (1746–1828), La familia de Carlos IV, 1800-1801. Museo del Prado, Madrid
Sur ce tableau de Goya, qui s’est représenté en haut à gauche, toute la famille royale espagnole est représentée. De la gauche vers la droite : l’infant Carlos María Isidro, le futur Fernand VII alors prince des Asturies, la sœur du roi María Josefa, la fiancée de Fernand María Antonieta, l’infante María Isabel, la reine María Luisa, l’infant
4 COLIN (capitaine), L’Éducation militaire de Napoléon, Chapelot, 1900, pièce justificative n° 12. Cité par CASTEX Raoul (amiral), Théories stratégiques, Paris, Economica, 1997, t. V, 651 p., p. 227 et 239. 5 CASTEX, op. cit., p. 230.
5
Francisco de Paula, le roi Charles IV, le frère du roi Gabriel Antonio, la sœur du roi Carlota Joaquina, le duc Parme Luis (futur roi d’Etrurie) et son fils Carlos Luis dans les bras de sa femme l’infante María Luisa.
Jusqu’à cette période, Napoléon semblait sincèrement ne vouloir s’emparer que du
Portugal. Il considérait toujours l’Espagne comme un allié dont le concours lui était
indispensable pour mener à bien ses projets. L’arrestation du prince des Asturies lui fit
prendre conscience que les intrigues incessantes de la cour d’Espagne et l’instabilité politique
chronique de son allié pouvaient compromettre la réalisation de son blocus continental. Ce fut
sans doute la raison qui le poussa à trahir son allié espagnol malgré les traités de San
Ildefonse (1796 et 1800) et surtout celui de Fontainebleau qui venait à peine d’être signé (29
octobre 1807). Il pensait sans doute pouvoir se rendre facilement maître de l’Espagne comme
il l’avait fait pour les autres pays européens grâce à ses armées. Mais le nombre de kilomètres
de côte à interdire au commerce anglais dont l’Espagne avait un besoin vital et le contrôle de
la soumission du pays allait nécessiter un nombre incroyablement élevé de troupes. En outre
les armées françaises dont la supériorité se manifestait dans les guerres offensives, étaient peu
adaptées à ce genre de mission. En fait, Napoléon « va offrir soudain à la puissance de la mer
[l’Angleterre], de lui-même, un terrain où elle pourra mener contre la terre une attaque
parfaite, à haut rendement, infiniment plus fructueuse que toutes les caricatures d’offensives
auxquelles elle s’est livrée jusque là. Ce terrain sera la péninsule Ibérique. »6
L’Espagne, théâtre éloigné du centre de gravité des armées napoléonienne était un
pays aux caractéristiques géographiques et humaines très différentes de celles des autres pays
d’Europe qui avaient été jusqu’alors le théâtre des guerres. Le terrain y était montagneux et
d’autant plus difficile à parcourir que les routes y étaient rares et mal entretenues. Le climat
continental rendait l’hiver glacial et l’été torride. Les troupes napoléoniennes, dont la force
reposait, contre un ennemi classique, sur la mobilité et la concentration des efforts, allaient
donc être particulièrement peu adaptées à ce pays dans lequel elles durent faire face à une
insurrection d’une ampleur jamais égalée jusqu’alors.
L’armée napoléonienne, un outil militaire d’une efficacité sans précédent…
L’armée de Napoléon avait été imaginée et conçue par lui pour remporter rapidement
une bataille décisive contre son ennemi. La mise au point de son système était le fruit d’un
double héritage qu’il avait su mettre à profit pour constituer une armée d’une efficacité sans
6 Ibid., p. 227.
6
précédent. Napoléon a tout d’abord hérité des réformes et des innovations de la fin de la
Monarchie : l’adoption système divisionnaire, l’adoption du système d’artillerie Gribeauval
et, pour la tactique de l’infanterie, l’adoption du règlement d’emploi de 1791.
Le système divisionnaire qui apparut à la fin de la Guerre de Sept Ans, fut mis au
point par le Maréchal de Broglie en 1759. Les armées, avant cette date marchaient sur un seul
axe ce qui, d’une part épuisait le pays et d’autre part demandait énormément de délais pour le
déploiement en ordre de bataille. La capacité de manœuvre s’en trouvait considérablement
amoindrie. La bataille décisive était donc impossible à obtenir et les guerres traînaient en
longueur.
Le maréchal de Broglie décida de diviser sa colonne en unités interarmes et de les
faire marcher sur des axes différents relativement proches de façon à pouvoir les regrouper au
moment de la bataille. Chaque division comportait de l’infanterie, de la cavalerie et de
l’artillerie. En 1770 Guibert, conceptualisa le système divisionnaire qui fut adopté par
l’ordonnance de 1788. Les armées de la Révolution allaient, pour la première fois employer
ce système en campagne.
La deuxième amélioration, permettant une meilleure mobilité opérationnelle était
d’ordre technique. La tactique était bloquée sous l’Ancien Régime en partie parce que
l’artillerie ne pouvait pas accompagner l’infanterie. Les pièces du système Vallières de 1732
étaient d’un poids bien trop élevé pour pouvoir le faire. En outre, le système d’attelage « à
limon », c’est à dire avec les chevaux les uns derrière les autres, ne permettait de manœuvrer
ni au galop, ni même au trot. Lors d’une bataille, une fois que l’artillerie était en place, elle ne
bougeait pratiquement plus.
Le système mis au point par Gribeauval (1715 – 1789) permit de pallier ces
inconvénients. L’allègement des pièces et l’adoption d’un système d’attelage « au timon »
avec des chevaux deux par deux, permirent des déplacements au cours d’une bataille et une
mise en batterie au galop. L’artillerie pouvait désormais accompagner non seulement
l’infanterie mais également la cavalerie. La poursuite et l’anéantissement de l’ennemi étaient
rendus possibles.
7
Comparaison technique des systèmes Vallières et Gribeauval
Calibre Vallières 1732 Gribeauval 1765
12 livres
121 mm
1,6 t. 12 chx
pas
0,88 t. 6 chx
trot
8 livres
100 mm
1,05 t. 8 chx
pas
0,580 t. 4 chx
Galop
4 livres
84 mm
0,525 t. 4 chx 0,290 t. 4 chx
galop
Bricole à
pied
Obusier
6 pouces
166 mm
néant 0,330 t. 4 chx
galop
Pièce de 4 du système Gribeauval
La dernière amélioration apportée sous la Monarchie concernait le niveau tactique.
Les fusils à silex, adoptés au début du XVIIe s., n’étaient réellement efficaces qu’au tir par
salves. C’est pourquoi il fallait que la première ligne fût la plus étendue possible. Aussi, au
XVIII e s. un bataillon d’infanterie était-il disposé sur un front de 80 hommes alignés sur trois
rangs. Non seulement les dispositifs étaient très long à mettre en place, car il fallait passer de
la colonne à la ligne, mais en plus, une fois la ligne formée, elle était très difficile à
commander et à faire manœuvrer, ce qui empêchait la poursuite et l’exploitation en cas de
retraite de l’ennemi. En France, certains, comme le chevalier de Folard ou son disciple Meslin
Durand, pensaient qu’il ne fallait pas se mettre en ligne mais combattre en colonne. D’autres
étaient les partisans inconditionnels de la ligne, c’est ce qui est resté dans l’histoire sous le
8
nom de « la querelle de l’ordre mince et de l’ordre profond ». Frédéric II de Prusse pensa
avoir trouvé la solution avec le fameux « ordre oblique » mais la bataille de Künersdorf où il
fut battu par les Russes en 1759 montra que ce système atteignait rapidement ses limites.
Guibert eu alors l’idée de diviser les compagnies d’infanterie en deux pelotons. La
manœuvre se fit alors à ce niveau ce qui permit de passer très rapidement de la colonne à la
ligne et de pouvoir tout aussi rapidement disposer un bataillon en carré contre une charge de
cavalerie. Ces dispositions furent entérinées par le règlement d’infanterie de 1791.
Ces innovations organiques, tactiques et techniques allaient permettre le retour à la
manœuvre des armées sur les théâtres d’opérations et sur les champs de bataille. Les armées
de la Révolution surent en tirer profit en y apportant des modifications qui accrurent encore
l’efficacité des armées.
Sous l’Ancien Régime, la troupe était constituée en grande partie par le rebus de la
société. Les hommes coûtaient chers et combattaient plus pour celui qui les soldait que pour
leur Patrie. La Révolution bouleversa les rapports entre l’armée et la nation. Avec la
conscription, les soldats devinrent une ressource bon marché et quasiment inépuisable. Les
chefs militaires n’hésitèrent donc plus à les engager en rase campagne dans des batailles
meurtrières. La substitution du soldat-citoyen au soldat-mercenaire allait en outre changer
l’esprit des combattants et surtout de l’ensemble de la nation qui fut dès lors impliquée dans la
guerre.
Avec le décret d’août 1793, « tous les Français sont en réquisition permanente pour
le service des armées » pour défendre la Patrie, qui était en danger, et pour détrôner les
« tyrans » qui opprimaient les peuples européens. La guerre devint idéologique. C’est en
partie pour conserver les frontières héritées de la Révolution que Napoléon refusa tout
compromis avec l’Angleterre.
Ce soldat-citoyen, contrairement au soldat-mercenaire, devait vivre sur le pays qu’il
traversait. La rusticité était son lot quotidien. Cela permit d’alléger considérablement la
logistique : les hommes ne dormaient plus dans des camps de tentes, qui étaient très longs à
installer, mais chez l’habitant ou, tout simplement autours de feux de camp. Cet allégement de
la logistique permit de rendre les armées encore plus manœuvrières. Cependant il présentait le
fâcheux inconvénient qu’une troupe qui devait traverser des régions désertes se retrouvait
sans rien à manger parfois pendant des jours et surtout il poussait les soldats affamés à piller
l’habitant, ce qui rendit les armées françaises extrêmement impopulaires en Europe.
L’organisation divisionnaire fut grandement améliorée avec la création des corps
d’armée. L’organisation d’une armée en divisions interarmes identiques rendait impossible la
9
concentration des efforts car chaque division avait tendance à combattre de façon
pratiquement autonome. C’est pourquoi elles furent regroupées dans de plus grandes unités,
tout d’abord de façon provisoire puis de façon organique en 1803 quand elles prirent
l’appellation de corps d’armée. Les corps d’armée, qui étaient généralement commandés par
les maréchaux, étaient les unités de manœuvre de l’armée impériale au niveau opératif. Ce fut
cette articulation qui fit la force de l’armée française à cette époque. La manœuvre
napoléonienne n’était réellement efficace que lorsque l’Empereur pouvait mettre en œuvre
plusieurs corps d’armée afin d’obtenir un effet de surprise et une concentration des efforts sur
un champ de bataille choisi par lui et contre un ennemi qui lui était numériquement inférieur.
De même le schéma tactique appliqué par lui lors de bataille était fondé sur une manœuvre de
déception sur une aile qui contraignait l’ennemi à affaiblir une partie de son front pour faire
face à cette nouvelle menace. Napoléon lançait alors ses réserves à l’endroit du front que
l’ennemi avait dégarni. Mais pour que cette tactique fût efficace, il fallait un « coup d’œil » et
un sens de la bataille que seul Napoléon possédait.
Une autre force de l’armée napoléonienne tenait au fait qu’elle était commandée par
un seul homme qui s’appuyait sur un état-major très bien organisé dont le chef était Berthier.
Cet état-major menait des études et collectait le renseignement en vue des opérations futures.
Après que Berthier les avait mis en forme, il transmettait les ordres de l’Empereur. Mais cet
état-major ne s’occupait pas des unités engagées sur les autres théâtres. Napoléon les dirigeait
personnellement et comptait sur les états-majors de ses subordonnées pour concevoir et mettre
en œuvre la manœuvre opérative sur place. Si Napoléon était très directif au niveau
stratégique et avait même tendance à s’immiscer dans le commandement opératif de ses
subordonnés, il était en réalité peu au fait de la situation réelle des théâtres d’opérations
éloignés dont il n’avait les comptes-rendus qu’avec retard.
Ce système de commandement permettait à Napoléon de donner une très grande
cohérence à toutes les opérations qu’il menait en Europe au niveau stratégique mais avait
comme principal inconvénient de semer la confusion sur les théâtres éloignés dont les chefs
étaient en fait livrés à eux même pour exécuter des ordres envoyés à distance par l’Empereur.
Les chefs d’armée ou de corps d’armée étaient paralysés dans l’attente d’une décision
impériale qui arrivait généralement trop tard lorsque la situation avait changé.
Ce qui faisait la force principale des armées impériale était son infanterie. Elle
représentait environ 65 % des effectifs. En décembre1806, elle comptait 89 régiments de ligne
et 26 d’infanterie légère. Le régiment comprenait trois bataillons : deux de guerre et un de
10
dépôt (instruction)7. Un bataillon de guerre comptait 9 compagnies (une de grenadiers, une de
voltigeurs et 7 de fusiliers)8. D’un effectif théorique de 123, une compagnie en campagne
n’alignait, le plus souvent qu’environ 80 hommes.
Mais qui ne peut plus répondre aux ambitions stratégiques démesurées de Napoléon
Avec l’ampleur que prirent les opérations militaires, et étant donné la surface de
terrain de plus en plus élevé qui devait être tenue par les armées de l’Empire, Napoléon fit de
plus en plus appel à des soldats étrangers. En 1805, il disposait de 4 régiments suisses à 4
bataillons, chacun de 10 compagnies, de la Légion irlandaise, à 2 bataillons, du régiment
étranger de la Tour d’Auvergne, à 2 bataillons, de la Légion hanovrienne, à 2 bataillons9, de la
Légion du Midi, régiment de ligne à 2 bataillons d’origine piémontaise, des tirailleurs du Pô,
également piémontais, régiment d’infanterie légère à 2 bataillons, généralement associé au
bataillon léger des Tirailleurs Corses. A ces soldats de nationalité étrangère s’ajoutaient les
conscrits recrutés dans les territoires annexés. Ils avaient la nationalité française mais chez
eux le sentiment d’appartenance à la nation française était beaucoup moins forts que chez les
recrues issues de la France des frontières de 1789.
En 1808 ce système commença à être mis à mal. Le blocus continental nécessitait
non seulement des effectifs importants pour pouvoir garder toutes les côtes européennes mais
également une organisation militaire qui pût permettre de former rapidement des divisions
pour intervenir là où le besoin se faisait sentir sans pour autant dégarnir les dispositifs déjà en
place. Il s’agissait de pouvoir rapidement concentrer ses efforts. C’est pourquoi Napoléon se
lança dans une grande réforme militaire au début de 1808.
7 Une vingtaine de régiments comptaient trois bataillons de guerre. 8 Les grenadiers et les voltigeurs étaient des soldats d’élite. Dans l’infanterie légère les fusiliers étaient appelés « chasseurs » et les grenadiers « carabiniers ». 9 Constituée à l’origine lors de l’invasion du Hanovre par l’armée française en 1803, cette troupe servira plus tard en Espagne dans le VIe Corps,
11
L’Europe et le blocus continental 1807 -1812
Atlas historique, Paris, Stock, 1976.
Pour augmenter ses effectifs, Napoléon, après avoir demandé au printemps 1807
l’appel de classe 1808, fit appel en janvier 1808 à celle de 1809. Regnaud de Saint Jean
d’Angély, auteur du rapport présenté au Sénat, affirma que si la conscription 1808 avait été le
signal et le moyen de la paix continentale, la conscription 1809 serait le signal de la paix
maritime10. Cette classe permit d’augmenter les effectifs sous les armes de 80 000 hommes.
L’armée française atteignit 900 000 hommes, ce qui, ajouté aux 100 000 hommes de armées
alliées, portait l’effectif total des armées napoléoniennes à un million d’hommes. Avec de tels
12
effectifs, jamais atteints dans l’histoire, Napoléon se sentit invincible. Ce fut sur cette
puissance militaire extraordinaire qu’il s’appuya pour mener sa politique étrangère.
Mais pour faire face sur tous les fronts Napoléon voulut une organisation militaire
que l’on qualifierait de « modulaire » de nos jours : les régiments, et surtout les bataillons de
dépôt ne devinrent que des « réservoirs de force » dans lequel il pourrait puiser les effectifs
nécessaires à la constitution de forces envoyées en opérations là où le besoin se ferait sentir. A
cet effet il voulut convertir ces 120 régiments en 60 légions composées de 8 bataillons. Il
voulait des bataillons de 700 à 800 hommes car avec les moyens de commandement de
l’époque, c’était l’effectif maximum que pouvait commander un seul homme sur le terrain. Il
voulait mettre à la tête de chacune des légions un général de brigade assisté de deux colonels
et d’un major (lieutenant-colonel). Chaque légion n’aurait qu’un bataillon de dépôt, ce qui en
diminuerait le nombre. Mais cette organisation aurait trop dénaturé le régiment sur lequel
l’organisation de l’infanterie reposait. Face aux objections de Lacuée et de Clarke, son
ministre de la Guerre, Napoléon se contenta d’un projet moyen. Le décret signé le 18 février
1808 fixa à cinq le nombre de bataillons par régiment : quatre de guerre et un de dépôt. Le
nombre de compagnies pour les bataillons de guerre fut ramené à six dont une de grenadiers
et une de voltigeurs. Les compagnies devaient être à 140 hommes. Les bataillons de dépôt,
commandés par les majors, furent à quatre compagnies. Chaque régiment devait compter 3
970 hommes dont 108 officiers. Le régiment devenait un simple échelon administratif, il
pouvait avoir son dépôt sur le Rhin, deux bataillons en Espagne, un en Normandie et un en
Allemagne par exemple. Cette réforme, qui répondait à un besoin stratégique, affaiblissait
donc l’esprit de corps des régiments en en dispersant les unités au quatre coins de l’Europe.
Les autres armes furent moins touchées par cette réforme. La cavalerie (25 % des
effectifs) conservait son organisation régimentaire. En 1807, on comptait cinq subdivisions
dans cette arme : cuirassiers, carabiniers, dragons, chasseurs à cheval et hussards. Les
régiments de cavalerie étaient organisés à 4 escadrons de guerre de 2 compagnies,
généralement à 80 sabres et un escadron de dépôt (5e escadron). Les armes d’appui étaient
également organisées de façon être employées le plus souplement possible. Dans l’artillerie,
le régiment n’était qu’une unité administrative qui mettait ses batteries (unités élémentaires du
niveau de la compagnie) à la disposition des corps d’armée ou des divisions d’infanterie. Les
attelages des pièces étaient armés par des soldats des bataillons du train d’artillerie. Les
bataillons du train des équipages fournissaient, quant à eux, les moyens de transport
10 THIERS, op. cit., p. 398.
13
logistique. Les unités du génie étaient regroupées également en bataillons de sapeurs ou en
compagnies de mineurs. Ces unités, comme celles de l’artillerie étaient réparties dans les
corps d’armée en fonction des besoins. En fait en voulant appliquer les règles de gestion des
armes d’appui à son infanterie, Napoléon va la rendre moins efficace en amoindrissant sa
supériorité morale.
D’autre part la manœuvre napoléonienne n’était adaptée qu’à une guerre classique.
Elle reposait sur deux grands schémas : la manœuvre sur les derrières, qui consistait à couper
son adversaire de ses bases en tombant sur ses arrières (Ulm 1805, par exemple) et la
manœuvre en position centrale qui permettait de battre alternativement deux armées coalisées
en se positionnant entre elles (comme en Italie en 1796). Dans un conflit où l’ennemi était
partout et où le terrain était très compartimenté, ces deux manœuvres ne lui furent d’aucune
aide.
Napoléon avait donc su tirer un grand profit de l’héritage militaire qu’il avait reçu de
la Monarchie et de la Révolution. Mais cet outil militaire, très efficace dans une campagne
classique, allait être dénaturé pour les besoins du blocus continental. La mise en œuvre de
celui-ci poussa en effet Napoléon à disperser ses efforts non seulement au niveau stratégique
mais également au niveau opératif en ce qui concerne le théâtre de guerre ibérique. Une fois
Madrid prise, l’armée française ne fut pas en mesure de contrôler le pays, car la capitale de
l’Espagne, contrairement à d’autres pays européens n’en représentait pas le centre de gravité.
Un plan de campagne classique dont les objectifs sont la destruction de l’armée
adversaire et la conquête du terrain
Ce fut pendant le voyage qu’il effectua en Italie du 21 novembre 1807 au 1er janvier
1808 que Napoléon donna ses ordres pour organiser l’armée d’Espagne. Le plan de campagne
qu’il imagina pour conquérir l’Espagne, s’apparentait à une manœuvre sur les derrières.
C’était Madrid qui constituait son objectif principal. A cet effet, Napoléon avait préparé deux
corps qui feignant d’aller porter secours à Junot au Portugal devaient se rabattre sur la capitale
espagnole et s’en emparer.
Le 2e corps d’observation de la Gironde fut créé et mis sous les ordres du général
Dupont par décision du 16 octobre 1807. Sa mission était de soutenir Junot. Fort de 23 à
24 000 hommes, il comprenait les bataillons issus des cinq « légions de réserve » (6 bataillons
de 8 compagnies chacune), de 2 bataillons de la Garde Municipale de Paris, de 5 bataillons
d’infanterie légère et de 4 bataillons suisses. La majorité des hommes appartenait à la classe
14
de 1808. Leurs cadres laissaient beaucoup à désirer. Napoléon, qui semblait vouloir attirer les
Anglais au Portugal, pensait que pour affronter l’infanterie britannique et, plus encore les
armées méridionales, cela suffirait amplement.
Le corps d’observation des côtes de l’Océan sous Moncey fut créé à son tour le 5
novembre. Formé initialement pour assurer les liaisons de Junot et de Dupont avec la France,
il devait compter 34 000 hommes. Il fut créé à partir de la « division provisoire de réserve »
composée avec les dépôts de divers régiments d’Allemagne. Les effectifs furent complétés par
des troupes du camp de Boulogne et des troupes étrangères (Irlandais et Westphaliens).
Dupont se mit en marche, sur l’ordre de Napoléon et pénétra en Espagne le 22
novembre 1807. La frontière espagnole « était considérée comme une démarcation abolie. »11
La première division de Dupont était à Vitoria avant que Beauharnais12 eût donné avis de ce
mouvement au cabinet de Madrid. La ville était en pleine agitation après le pardon accordé
par Charles IV à son fils. Dans ce conflit qui les opposait, Napoléon se posait de plus en plus
en arbitre. Charles IV lui écrivit dans ce sens, mais la décision d’envahir l’Espagne et d’y
détrôner les Bourbons était déjà prise. Napoléon prit prétexte de son voyage en Italie pour
gagner du temps. Il fit dire au roi que les affaires de l’Italie l’accaparaient entièrement et qu’il
ne pouvait pas lui répondre avant son retour en France. En fait il pensait plus que jamais à
l’Espagne. Il donna des ordres pour compléter son dispositif d’invasion. Moncey suivit
Dupont le 9 janvier 1808. Mais ces deux corps d’armée ne semblèrent pas suffire à Napoléon.
Ils devaient se diriger par la route de Burgos et de Valladolid pour feindre un déplacement
vers le Portugal. « Cette expédition ayant été concertée avec le gouvernement espagnol, il
était plausible de masser dans les Basses-Pyrénées, avec l’assentiment de la Cour de Madrid,
de grandes ressources en hommes et en approvisionnements, puisque c’était par les Basses-
Pyrénées que passait la route plus directe du Portugal. »13 En plus de tromper les Espagnols
sur ses intentions réelles, cette route offrait de nombreux avantages à Napoléon. Elle lui
permettait de rabattre facilement ces corps vers Madrid et, de plus, elle était la route la plus
commode pour atteindre cette ville : faire passer sa masse principale par la Catalogne ne lui
aurait permis de l’atteindre qu’au prix d’efforts extraordinaires.
11 THIERS, op. cit., p. 347. 12 François de Beauharnais, oncle paternel d’Eugène. 13 GRASSET Alphonse-Louis (capitaine), La Guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1914, t. 1, 487 p., p. 292.
15
Duhesme en Catalogne, une expédition préparée négligemment avec des objectifs mal
définis
Cependant, Napoléon ne pouvait pas se permettre d’engager au cœur de l’Espagne
tous ses moyens sans s’être assuré de la sûreté de ses arrières. C’est pourquoi il lui fallait se
rendre maître de Pampelune et de Barcelone pour disposer ainsi de deux bases solides pour
s’avancer vers Madrid. Deux nouvelles divisions furent donc créées pour remplir ces
missions. Il était prévu que leur volume devait augmenter progressivement pour atteindre
celui d’un corps d’armée. Le corps d’observation des Pyrénées occidentales fut créé le 6
décembre à Saint-Jean-Pied-de-Port sous Mouton puis Merle. Constitué initialement avec cinq
bataillons tirés des dépôts de Junot14 et un bataillon suisse. Sa mission était de s’emparer de
Pampelune.
Pour s’emparer de Barcelone et contrôler la Catalogne, Napoléon décida de créer une
autre division appelée à devenir le corps d’observation des Pyrénées orientales. Il choisit de la
14 Ces bataillons appartenaient aux 15e, 47e, 70e et 86e régiments de ligne.
16
former de régiments italiens et napolitains, qui étaient organisés comme les régiments français
mais dont les hommes avaient peu d’expérience de la guerre.
Napoléon avait pour la Catalogne un intérêt particulier. Il caressait depuis longtemps
l’idée de faire de la Catalogne une « marche d’Espagne ». Dans ses conversations avec
Talleyrand il avait émis l’idée d’occuper cette province, « la moins espagnole de l’Espagne »,
au moins jusqu’à la paix avec l’Angleterre, et peut-être définitivement, en donnant une partie
du Portugal en compensation à la Cour de Madrid15. Napoléon avait bien conscience que la
Catalogne avait un esprit qui aurait pu la détacher de l’Espagne. Mais cette province ne vivait
que grâce à son commerce avec l’Angleterre, aussi le blocus continental en l’appauvrissant y
créa-t-il un fort sentiment anti-français.
Pour permettre à une expédition militaire française de s’emparer facilement de
Barcelone, le secret des préparatifs de l’invasion devait être bien gardé. La préservation de ce
secret et le souci de ne pas dégarnir ses garnisons en Allemagne, poussa Napoléon à
demander à Eugène, vice-roi d’Italie, de commencer à concentrer des troupes d’Italie,
françaises et italiennes, dans le nord du pays et dans le sud de la France, sans lui dévoiler ses
intentions. Il lui prescrivit le 29 octobre de tenir prêtes à Gênes, six compagnies du 3e
bataillon du 67e de ligne, et six autres du 16e à Toulon. Le 2 novembre, il lui demanda de faire
venir à Novare un bataillon du 5e régiment de ligne italien et d’y concentrer une division
italienne de 5 à 6 000 hommes, par la même lettre il lui demanda aussi de ramener à Milan la
division italienne de Stralsund16. Le 11 novembre, Clarke reçut l’ordre de hâter la marche
d’une division traversant le mont Cenis et de la diriger vers Avignon et de faire préparer 200
000 rations de biscuits à Perpignan. Napoléon lui recommanda le secret le plus absolu quant à
la destination de ces troupes, secret qui devait être gardé au moins jusqu’au 25 novembre. A
cette date, Dupont devait rentrer en Espagne et Napoléon pensait que la concentration d’une
division dans le Roussillon devrait passer inaperçue. Pour l’heure, les approvisionnements
envoyés sur la frontière espagnole étaient officiellement destinés aux troupes de Dupont.
La concentration des troupes se fit en Avignon à partir de novembre 1807. Le 24 de
ce mois, le général Lechi17 fut chargé de sa montée en puissance. Quatre bataillons italiens, 3
15 TALLEYRAND, Mémoires, t. 1, p. 329, cité par GRASSET op. cit., t. 1 p. 293. 16 Ville de Poméranie. 17 Lechi (Joseph) (1767 – 1836) : Général italien. Il avait d’abord servi dans l’armée autrichienne puis il s’occupa de la levée de la légion cisalpine de 1796 à 1797. Général de brigade au service de la France et chargé de réunir la légion italique à Dijon en 1799. Il se fit remarquer à Marengo et fut nommé général de division le 24 juin 1800. Membre du corps législatif italien le 26 janvier 1802. Il servit en Italie sous Gouvion-Saint-Cyr en 1803, puis sous Duhesmes en 1806. Il servit en Espagne de 1808 à 1809. Il fut arrêté en 1810 pour concussion et abus de pouvoir en Catalogne et écroué. Il fut renvoyé à la frontière de Naples en 1813 à la demande de Murat et
17
de Turin et un de Gênes et un régiment napolitain qui était à Grenoble pour s’aguerrir y furent
envoyés. Quatre compagnies et un escadron napolitains, formant 6 à 700 chevaux ainsi que la
11e compagnie d’artillerie à pied italienne les y rejoignirent. Cinq régiments français de
chasseurs à cheval18 et quatre de cuirassiers19 avaient été transportés en Pologne l’hiver
précédent mais avaient conservé leur dépôt en Piémont, bien fournis en hommes et en
chevaux. Napoléon en tira le volume d’une brigade de cavalerie à 1 400 chevaux qu’il réunit à
Turin sous Bessières20, avant de les diriger sur la France. Le 7 novembre, Napoléon ordonna
qu’un bataillon de 1 200 hommes, tirés des 3e et 4e bataillons du 2e régiment suisse partent de
Marseille pour Perpignan. Comme on ne put rassembler que 26 officiers et 430 sous-officiers
et soldats, Clarke décida qu’il serait complété à 1 200 plus tard. En fait le bataillon entra en
Catalogne avec 23 officiers et 320 soldats seulement. Ce bataillon se rendit directement à
Perpignan où il arriva le 7 décembre 1807, précédant de deux jours le 3e bataillon du 16e de
ligne (9 officiers et 847 sous-officiers et soldats)21.
Grenadiers des Vélites de la garde royale italienne L’uniforme est blanc à parements verts
repris du service dans l’armée du royaume des Deux Siciles. Il combattit contre la France en 1814 puis contre l’Autriche en 1815. Il rentra dans ses foyers après la convention de Casalanza le 20 mai 1815. 18 Il s’agissait des 14e, 15e, 19e, 23e et 24e régiments de chasseurs à cheval. 19 Il s’agissait des 4e, 6e, 7e et 8e régiments de cuirassiers. 20 Bessières (Bertrand) (1773 –1854) : général de cavalerie, frère du maréchal. 21 SHD/Terre : C8 351.
18
Le 6 décembre, le général Lechi fut nommé commandant provisoirement la division
d’observation des Pyrénées orientales et la division fut créée officiellement par décret le 23
décembre. Le même jour Napoléon écrivit à Clarke deux lettres. Dans la première il lui donna
la composition de la division : « la 1re brigade, formée des bataillons des 2e, 4e et 5e régiments
d’infanterie italienne, et du bataillon des vélites [de la garde royale italienne] ; la 2e brigade,
du bataillon suisse, du bataillon français du 16e [régiment d’infanterie de ligne] et du 1er
régiment d’infanterie napolitain. » Il lui demanda « de nommer, pour commander cette
brigade, un des généraux de brigade de la Grande armée. (…) La cavalerie serait composée
d’un régiment provisoire de chasseurs qui se [réunissait] à Milan, d’un régiment provisoire
de cavalerie italienne, auquel sera joint un escadron napolitain, et d’un régiment provisoire
de chasseurs et de cuirassiers que commande le général Bessières. » En ce qui concerne
l’artillerie il lui prescrivit de procurer à cette division douze pièces d’artillerie à pied et six
d’artillerie à cheval, avec la compagnie du train italien (de la garde royale) et la 6e compagnie
du 7e bataillon bis22 du train pour ses attelages. Dans la seconde lettre, il lui donna des ordres
pour Dupont, Moncey et Mouton, et ordonna que la division du général Lechi se réunisse à
Perpignan pour le 1er janvier avec trois généraux de brigade pour la commander. Il supposait
que la division était forte de 8 à 10 000 hommes.
Le général Joseph Lechi (1767 – 1836)
22 Napoléon se trompait, en fait il voulait parler du 6e bataillon bis du train, l’erreur fut rectifiée par Clarke.
19
Le 29 décembre, les 200 000 rations de biscuits furent transportés de Perpignan à
Bellegarde et, le 1er janvier 1808, les troupes entamèrent leur mouvement d’Avignon vers
Perpignan où elles commencèrent à arriver à partir du 17 janvier.
En fait la montée en puissance de la division Lechi rencontrait des problèmes que
l’Empereur ne soupçonnait pas. Le 9 janvier, le commandant de la 6e compagnie du 6e
bataillon bis du train quitta Avignon pour Perpignan avant d’avoir reçu ses chevaux qu’il
devait y recevoir à la fin du mois. Le 21 janvier le ministre fit part de son étonnement au
commandant du bataillon en lui écrivant : « Vous auriez dû observer que les compagnies du
train ne peuvent être employées qu’avec leurs chevaux. » Il fallut envoyer une autre
compagnie percevoir les chevaux à Avignon et les accompagner jusqu’à Narbonne où ils
devaient être perçus par la 6e compagnie, ce qui fit perdre un temps précieux23. En outre
Napoléon n’avait désigné qu’une compagnie d’artillerie à pied et aucune à cheval, or il avait
ordonné qu’il y ait à la division 12 bouches à feu servies par l’artillerie à pied et 6 par
l’artillerie à cheval. Les 18 canons étaient disponibles à Perpignan le 6 février avec leurs
attelages mais il n’y avait que la compagnie d’artillerie à pied italienne pour les servir.
Pourtant dès le 1er janvier Clarke avait proposé de désigner la 7e compagnie du 2e régiment
d’artillerie à cheval, qui tenait garnison à Valence (France), et une compagnie d’artillerie à
pied tenant garnison dans l’île d’Aix pour rejoindre la division. Cette proposition étant restée
sans réponse, il ne la renouvela que le 28 janvier. Ce ne fut que le 31 janvier que l’ordre fut
donner à la 7e compagnie de se rendre à Perpignan où elle devait être le 20 février, après
l’entrée en Catalogne de la division. Enfin, un escadron napolitain arrivant à pied de Mantoue
n’arriva à Avignon pour y être remonté que le 2 février. Il dut quitter cette ville aussitôt avec
ses jeunes chevaux pour rejoindre Perpignan où il était attendu le 15.
La division ne fut réunie à Perpignan que le 20 janvier et comptait à cette date 7 400
hommes et 1 750 chevaux. Le tableau d’effectifs du 9 février montre que les bataillons étaient
loin d’être à 1 000 hommes comme Napoléon l’avait souhaité. Entre outre ces troupes avaient
été formées à la hâte, les bataillons manquaient d’autant plus de cohérence qu’ils étaient
formés pour la plupart de jeunes conscrits qui n’avaient que 4 à 6 mois de service. Ils étaient
médiocrement équipés, l’artillerie italienne n’avaient pas de quoi entretenir ses matériels.
L’aspect général peu redoutable des conscrits aura des répercutions fâcheuses pour le prestige
militaire français vis-à-vis des populations espagnoles. Lechi était inquiet également de l’état
des chevaux qui étaient jeunes. Il dut les loger à l’extérieur de la ville car il avait peur qu’ils
23 SHD/Terre : C8 3.
20
dépérissent dans l’emplacement de l’église et des arcades où il était prévu initialement de les
loger.
Beaucoup laisser à désirer dans l’organisation opérationnelle de la division. A la fin
du mois de janvier deux généraux de brigade seulement avaient rejoint : Bessières et le
général italien Andrea Millossevitz. La structure de commandement de la division n’était
qu’ébauchée. Elle n’avait pas d’état-major, pas de commandant de l’artillerie ni du génie,
dont elle n’avait aucune unité. La division pêchait également dans le domaine de la logistique
(elle n’avait aucun moyen de transport) et de l’administration. Les services généraux
n’existaient pas, la division n’avait ni payeur, ni ordonnateur. Seul le commissaire des guerres
Gini faisait fonction de sous-inspecteur. Le général Dejean, ministre directeur de
l'administration de la guerre ne savait même pas si la division de troupes italiennes
actuellement en France devait être à la charge de la France. Napoléon lui répondit qu’elle
devait être à la charge de l’Italie jusqu’à son entrée dans un pays étranger où elle ne sera plus
à la charge ni de la France ni de l’Italie24. Cependant, comme l’Espagne était un pays allié, la
division ne pouvait pas vivre au frais de ce pays.
Mais Napoléon était pressé. Le 28 janvier il écrivit à Champigny, son ministre des
Relations extérieures de faire « connaître au sieur de Beauharnais qu’il est nécessaire que
des ordres soient donnés par la cour d’Espagne pour qu’une division de 15 000 hommes, qui
est à Perpignan soit reçue à Barcelone. »25 Officiellement la destination de cette division était
Cadix et elle devait attendre à Barcelone la décision de la cour de Madrid. Le même jour il
écrivit au général Clarke pour qu’il transmette à Duhesme l’ordre de se rendre à Perpignan où
il devra être le 4 février pour prendre le commandement de la division. Il devra rentreR en
Espagne le 9 du mois pour se rendre à Barcelone. L’Empereur insista sur le fait qu’il lui fallait
à tout prix ne pas s’aliéner la population : « Il fera fusiller le premier Italien qui manquerait à
la discipline, et la fera observer rigoureusement. »26 Dans le même temps, il mit en route
Moncey vers Burgos et Darmagnac, de la division Mouton, vers Pampelune.
Le même jour Clarke envoyait à Duhesme ses instructions personnelles et secrètes. Il
insista encore sur le fait que « la politique [était] d’accord sur ce point avec la nécessité de
bien vivre avec les Espagnols qu’il ne [fallait] point alarmer. »27 Clarke désigna le général
Pacthod pour prendre le commandement de la 2e brigade mais il fut aussitôt remplacer par le
24 GRASSET, op. cit., p. 297 et correspondance de Napoléon (t. XVI, n° 13501). 25 Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13495. 26 Ibid. n° 13 496. 27 SHD/Terre : C8 3.
21
général Goullus28. Le ministre recommanda à Duhesme de bien renseigner l’Empereur sur la
Catalogne et sur l’état d’esprit de ses habitants, et de rester en liaison avec Moncey. Il termina
sa lettre en le mettant en garde contre les soldats italiens qu’il jugeait « en général (…)
inexacts dans les situations qu’ils envoient », il lui conseilla de ne « leur permettre d’y
employer que ceux qui doivent y être portés. »29
Arrivé à Perpignan, Duhesme s’empressa de faire une proclamation, datée du 6
février, par laquelle il mettait ses hommes en garde sur les manquements à la discipline :
« Toutes les fois qu’un délit parviendra à la connaissance d’un général de division ou d’un
général de brigade, ils feront de suite former et rassembler une commission (…) qui entendra
les témoins, interrogera le prévenu, le condamnera s’il y a lieu à la peine encourue suivant
les lois militaires ou l’absoudra. »30 Déjà, deux jours plus tard, un soldat napolitain fut fusillé
pour coup de couteau. Pour éviter le pillage il s’assura que tous les hommes soient soldés pour
la première quinzaine de février, et que les officiers aient perçu leur solde de janvier. Il fit
faire une avance aux corps italiens pour leurs réparations urgentes et le ferrage des chevaux de
l’escadron napolitain car cet escadron n’avait encore rien reçu.
La revue qu’il passa de ses troupes le 8 février lui donna satisfaction, il trouva les
soldats bien tenus, bien habillés et manœuvrant avec « assez de rectitude ». Il regretta que le
bataillon de vélites et le bataillon suisse fussent d’un effectif aussi faible. Il proposa de
compléter ce dernier avec 200 hommes qui étaient à Marseille, ce qui lui fut accordé alors
qu’il était déjà à Barcelone. Il constata que le bataillon français du 16e de ligne n’était pas
complètement habillé, il lui manquait 300 habits mais tous les soldats avaient une capote. Le
régiment se mit en route ainsi, et ne reçut son complément d’habillement qu’en Espagne.
Duhesme confia le commandement de toutes les troupes italiennes au général Lechi
qu’il relevait afin de le consoler de la perte du commandement de la division. Lechi devait
continuer à correspondre avec le ministre de la Guerre du royaume d’Italie.
Duhesme nomma son aide de camp, le chef d’escadron Ordenneau, chef d’état-
major, puis il rendit compte au ministre en appelant son attention sur le fait qu’il lui fallait
rapidement trouver un payeur afin de continuer à solder la troupe qui aura tout dépenser à son
28 Goullus, François (1758 – 1814) : engagé en 1778 au régiment de la Couronne, il fut nommé sous-lieutenant puis lieutenant le même jour en 1791. Lieutenant-colonel l’année suivante, il combattit en Belgique. Il fut nommé général de brigade en 1797 et servit en Allemagne. Blessés de nombreuses fois, il fut mis en non-activité de 1801 à 1805. Il combattit ensuite en Italie sous Duhesme. Il était employé à la 10e division militaire depuis le 29 mai 1807 quand il fut nommé à la division des Pyrénées orientales. Il combattit en Catalogne jusqu’en 1808. Il fut mis à la retraite en 1814 peu avant sa mort. 29 SHD/Terre : C8 3. 30 Id.
22
arrivée à Barcelone31. L’absence de fonds allait obliger les Français à dépendre de la bonne
volonté des Espagnols pour survenir à leurs besoins32. Duhesme réclama également des
moyens de transport et un officier pour commander son artillerie. Enfin il informa Clarke
qu’il emmenait avec lui un officier du génie de la place de Perpignan en attendant que lui en
soit désigné un.
Une méconnaissance de la Catalogne qui compromet le succès de l’entreprise
Le 6 février, les troupes de Lechi quittèrent Perpignan, sous prétexte de soulager la
ville encombrée de troupes, elles bivouaquèrent à Boulon. Lechi emmenait avec lui les six
pièces d’artillerie qui constituaient toute l’artillerie de Duhesme33. Les brigades Bessières et
Goullus34 lui emboîtèrent le pas le 8. Le lendemain la frontière fut franchie. Duhesme, du fait
de son manque de moyens de transport, avait choisi de marcher en deux colonnes l’une
derrière l’autre en direction de Barcelone à un jour d’intervalle. La division italienne se
dirigea sur Figuières et la brigade franco-napolitaine sur Junquera.
L’accueil de la population fut cordial, le gouverneur de Figuières, surpris par
l’arrivée d’un détachement français fit son possible pour survenir à ses besoins. Partout
Duhesme constata que la Catalogne n’était pas en mesure d’assurer sa défense. On y trouvait
que très peu de troupes et, entre la France et Barcelone, les seuls forts à avoir une valeur
militaire était ceux de Figuières et de Rosas, mais ils ne comptaient que peu de pièces
d’artillerie montées sur affût et avaient une garnison très faible. Duhesme se félicitait des
bonnes dispositions de la population, mais le bon accueil réservé aux Français par les Catalans
était trompeur. Lui et ses troupes allaient rapidement se retrouver isolés au milieu de
l’hostilité générale. Pour l’heure, sa marche en Catalogne ressemblait à une promenade
31 Ce ne fut que le 20 février que Napoléon donna l’ordre à Mollien, ministre du trésor public, de nommer un payeur particulier pour la division des Pyrénées orientales étant donné son isolement. En attendant son arrivée, ce fut le payeur de la 10e division militaire qui continua à solder les troupes de Duhesme. (Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13585.) 32 Après avoir écrit le 14 février une lettre suppliant Clarke de lui envoyer un payeur, Duhesme dut se résoudre à emprunter l’argent nécessaire à ses dépenses à la ville de Barcelone. 33 La sixième compagnie du 7e bataillon bis du train n’était pas revenue avec ses chevaux et, de toute façon, il n’y avait toujours pas de canonniers pour servir les pièces restées à Perpignan. Comme aucune autre compagnie à pied ne fut désignée, les pièces furent partagées par la suite entre la compagnie à pied italienne (9 pièces) et la compagnie française à cheval (9 pièces). 34 Le général Goullus n’arriva à Barcelone que le 14 février. Pendant la marche, sa brigade était commandée par un colonel.
23
militaire et, malgré quelques réticences du comte de Ezpeleta, capitaine général de Catalogne,
il entra à Barcelone le 13 février35.
Plan de la ville de Barcelone, ca. 1725
La ville est encadrée au sud-ouest par le fort de Montjuih et eu nord-est par la citadelle.
L’attitude de la population vis-à-vis des Français devint progressivement hostile,
Ezpelata engageait Duhesme à reprendre sa route vers Cadix le plus rapidement possible pour
éviter une émeute36. Le but réellement poursuivi par les Français commença à être dévoilé
lorsque, le 29 février37, Duhesme s’empara facilement par ruse de la citadelle de Barcelone.
Mais la prise du fort de Montjuih commandé par le brigadier A. Mariano Alvarez, faillit
échouer à cause de la fermeté dont il fit preuve. Le général Milossewitz, qui commandait les
800 hommes chargés de l’opération se vit refuser l’accès à la forteresse. Une foule immense
armée de poignards et de bâtons, furieuse de la prise de la citadelle, se porta en masse vers
35 Le 12 février le comte de Ezpeleta avait écrit à Duhesme pour lui demander d’arrêter sa progression en attendant des instructions de Madrid. Duhesme n’en tint aucun compte. (SHD/Terre : C8 3) 36 Ezpeleta ne dissimulait plus son inquiétude mais les consignes qu’il recevait de Godoy était ambiguës. Ce dernier, tout en le poussant à la fermeté, lui demandait de ménager les Français.
24
Montjuih ce qui mit Milossewitz dans une situation extrêmement délicate. Duhesme arriva
avec des renforts et somma Alvarez de rendre la place sous peine d’assaut. Finalement, en fin
de journée, Ezpeleta qui voulait éviter à tout prix une grande effusion de sang consentit à
ordonner à Alvarez de rendre la place38.
Le général espagnol Mariano Alvarez de Castro (1749 - 1810)
Dans les semaines qui suivirent, les unités de Duhesme ne cessèrent de se renforcer.
Le corps d’observation des Pyrénées orientales acheva sa montée en puissance le 19 avril. A
cette date il était fort de 13 000 hommes répartis en deux divisions d’infanterie39 et deux
brigades de cavalerie. Mais malgré l’importance de ses effectifs, Duhesme échoua dans sa
mission de contrôler la Catalogne et se retrouva enfermé dans Barcelone par Vivés.
Alors que Napoléon était persuadé que la Catalogne était en son pouvoir, la position
de Duhesme était de plus en plus délicate : ses troupes devaient vivre au milieu de 160 000
Catalans qui, appelés à la révolte par le clergé notamment, devenaient de plus en plus hostiles.
La principale cause d’inquiétude des Catalans était que l’invasion française allait ruiner leur
commerce avec l’Angleterre. Napoléon, dans un premier temps, ne tint aucun compte des
37 Napoléon écrivait à Clarke le 20 février : « Je suppose qu’il est maître des forts et de la citadelle. » (Correspondance de Napoléon, t. XVI, n° 13586), mais Duhesme n’en reçut l’ordre que le 29 au matin. 38 Duhesme ne rendit pas justice à l’attitude ferme et honorable d’Alvarez en écrivant à Murat : « Montjuih avait fermé ses portes et le vieux soudard de brigadier espagnol qui le commandait ne voulait absolument pas entendre raison… », GRASSET, op. cit., t. 1, p. 407. 39 La division Chabran fut constituée à Barcelone le 8 avril. Elle fut formée de deux brigades, celle de Goullus qui passa aux ordre du général Nicolas (Goullus devint chef d’état-major) et une nouvelle sous les ordres du général Viala formée de bataillons de régiments français stationnés en Italie : les 1er et 2e bataillons du 7e de ligne et le 3e bataillon (6 compagnies de grenadiers et de voltigeurs) du 37e qui avait quitté Turin le 27 février, et 3e bataillon du 2e ligne, 4e bataillon du 56e de ligne et 3e bataillon du 93e qui avait quitté Alexandrie le 29.
25
avertissements de Duhesme qu’il traita de « commère » dans une lettre adressée à Murat le 7
mars40.
Pourtant il fallut rapidement se rendre à l’évidence que la Catalogne n’avait pas
l’intention de se voir dicter ses lois par les Français. Napoléon, tout en considérant
l’occupation de la Catalogne comme secondaire par rapport à celle de Madrid et de sa région,
ordonna une série de mesures destinées à prévenir un soulèvement, ou au moins à en limiter
les effets, il autorisa notamment l’importation du blé. Il hâta l’arriver des renforts tout en
incitant Duhesme à ne pas ménager ses efforts pour gagner le clergé à la cause française.
Cependant, Duhesme se sentait de plus en plus isolé. En outre, Murat, dont il était très
éloigné, ne lui donnait aucun ordre. Voulant conserver ses troupes concentrées, il renonça à
garder les côtes pour enrayer la contrebande qui continua à être très active.
Quand la division Chabran arriva à Barcelone le 8 avril, la ville était calme, malgré
quelques rixes surtout entre les Italiens et les Espagnols. Le même jour, on apprit à Barcelone
que Napoléon ne reconnaissait pas l’abdication de Charles IV et que Murat se refusait à traiter
avec Ferdinand. Une rixe sanglante éclata entre des soldats espagnols et des vélites italiens, et
Ezpeleta fut l’objet d’insultes et de menaces.
Début mai, un incident montra à quel point les Espagnols se sentaient de moins en
moins les alliés des Français. Un bâtiment marchand français poursuivi par la croisière
anglaise vint se réfugier sous les feux de la place de Rosas, mais la garnison espagnole
n’intervint pas pour la protéger41.
Trompé par le calme avec lequel la population de Barcelone reçut les nouvelles de
l’insurrection du 2 mai, Murat voulut se concilier les Catalans en les autorisant à s’armer,
privilège qui avait été aboli par Philippe IV. Mais le 24, quand la population apprit la
renonciation de Charles IV et de la famille royale à la couronne, de violentes bagarres
éclatèrent à Barcelone. Le 28 mai, faisant suite aux soulèvements populaires de Valence et de
Saragosse, une nouvelle émeute fit quelques morts parmi les Espagnols et les soldats français.
Les principaux meneurs quittèrent la ville pour semer le trouble dans les localités voisines.
Les soldats espagnols commencèrent à déserter en masse, imités par quelques Italiens et
quelques Suisses attirés par la solde que leur promettaient les insurgés, mais se furent surtout
les Napolitains qui furent touchés par ce phénomène comme le constata Duhesme avec
inquiétude : « Les Napolitains désertent par huit à dix avec armes et bagages. Je fais prendre
40 GRASSET, ibid., p. 409.
26
quelques embaucheurs, j’en ferai un exemple. » Le 4 juin trois paysans sont passés par les
armes mais cette sévérité n’eut comme effet que d’entraîner un exode plus grand des habitants
de Barcelone. On estime à 30 000 le nombre des habitants qui quittèrent la ville entre le 1er et
le 5 juin42. Duhesme, malgré ses déclarations rassurantes pour les « honnêtes gens », échoua
dans sa tentative de gagner la population. Dans toute la Catalogne l’autorisation de s’armer
avait été interprétait comme un appel aux armes et la population n’attendait plus que le signal
de l’insurrection43.
Des opérations hasardeuses au dessus des moyens de Duhesme
Dans la première semaine de juin, des foyers d’insurrection commencèrent à éclater
dans toute la province, partout s’organisèrent des juntes insurrectionnelles qui appelaient aux
armes. Ce fut à cette période que Duhesme se mit en campagne. Conformément aux ordres
reçus de Napoléon, il fait partir le 4 juin deux colonnes, l'une sous Chabran qui devait
marcher sur Tarragone puis sur Valence, et l’autre sous Schwartz (trois bataillons et un
escadron) qui devait fouiller le monastère de Montserrat, où existait un dépôt d’armes et de
munitions, puis continuer sa route sur Manresa en détruisant les moulin à poudre qui s’y
trouvaient.
Chabran arriva le 8 à Tarragone dont il reçut la soumission et où il incorpora le
régiment suisse de Wimpfen dont les officiers lui jurèrent de servir l’Empereur malgré la
réticence de la troupe qui voulait passer à l’insurrection.
Pour Schwartz, tout alla bien jusqu’au pied du Montserrat. Mais dans les défilés qui
devaient le mener à Bruch, il fut assailli par des masses de paysans qui avaient été appelés au
Somatén par les cloches des églises. Sous le nombre, craignant d’être attaqué par des troupes
régulières et coupé de sa ligne d’opération, abandonnant une de ses pièces d’artillerie tombée
dans un ravin44, il battit en retraite le 6 juin en évitant les villages. Il fut de retour le 8 à
Barcelone poursuivi par les insurgés qui se répandirent dans la banlieue de la ville. Ce recul
marqua fortement les esprits des Catalans qui voyaient les soldats français fuir devant eux.
41 Pour éviter de disperser les forces de Duhesme, Napoléon ordonna de ne pas occuper le fort de Rosas dont la garnison espagnole fut maintenue. Cependant sur les conseils du général Marescot, Chabran laissa un de ses bataillons en garnison dans la citadelle de Figueras lors de sa route sur Barcelone. 42 CONARD, op. cit., p. 74. 43 LAFAILLE, op. cit., p. 23 et sq.
27
Le monastère de Montserrat
La vallée du Llobregat vue depuis le massif de Montserrat
C’est dans ce terrain très accidenté que durent opérer les troupes françaises à la poursuite des insurgés. Ni leur organisation, ni leur instruction ne les avaient préparées à ce type de combat.
44 Un pont saboté s’était effondré sous le poids de ce canon lors de son passage.
28
Chabran, lors de son retour fut assailli à son tour le 9. Il eut beaucoup de mal à se
faire jour jusqu’au Llobregat au milieu d’assaillants qui avaient été rejoints par des Suisses et
un bataillon espagnol. A Abros, il fut attaqué par toute la population du village, il dut
combattre encore à Villafranca. Duhesme, pour faciliter sa rentrée à Barcelone, dut passer à
l’offensive avec les troupes de Schwartz, puis de Lechi, qui, excédées par les insurgés
commirent des pires exactions, ce qui fit dire à l’agent Champagny : « Si cette guerre devait
durer sous les auspices sous lesquelles elle a commencé, elle deviendrait bientôt un
enchaînement d’horreur et de forfaits particuliers. »45 Toute la Catalogne était aux mains des
insurgés à l’exception de la Cerdagne, de Figueras et de Barcelone. Duhesme était coupé de la
France et de Madrid.
Duhesme tenta de se dégager : le 14, Chabran attaqua la position de Bruch, mais il
renonça au premier contact, malgré son succès, et se retira en arrière de Molino del Rey. Ce
deuxième échec face au couvent de Montserrat eut une influence prodigieuse sur le moral des
insurgés qui y gagnèrent un grand prestige auprès de la population.
Avant de pouvoir entreprendre une action sur Girone, Duhesme devait « se donner de
l’air » dans la région de Barcelone où les insurgés, grisés par leur succès, voulaient
l’enfermer. Le 17, il fit attaquer la position de Mongat, dont il prit le fort et Moncada. Les
insurgés se retirèrent sur Mataro d’où ils furent chassés. Le 18, le défilé de Saint-Pol fut forcé
et, le 20, les Français arrivèrent devant Girone dont ils voulurent s’emparer immédiatement.
L’assaut, qui eut lieu dans le plus grand désordre, échoua46. Le 25, Duhesme rentra à
Barcelone d’où il dégagea la ligne du Llobregat le 30.
Son intention était de renouveler sa tentative sur Girone. Les quinze premiers jours
de juillet furent consacrés à la préparation de l’entreprise. Le 22 juillet, Girone fut investi.
Duhesme y reçut le renfort des 5 000 hommes de la division Reille qui arriva de Figueras le
24.
Le 9 août, en même temps que des renforts en artillerie venus de Perpignan,
Duhesme reçut l’ordre de rentrer à Barcelone que Napoléon croyait menacé à cause de
l’impact qu’avaient eu la défaite de Baylen et l’évacuation de Madrid sur le moral des
Espagnols. Duhesme voulut quand même tenter sa chance à Girone dont les travaux de siège
étaient très avancés et avait coûté un gros effort à ses troupes. Mais il savait qu’il ne pouvait
pas se permettre de rester très longtemps éloigné de Barcelone.
45 Cité par CONARD, op. cit., p. 79.
29
Or, malgré des succès initiaux, le siège devenait difficile à mener, non seulement
l’artillerie de siège se révéla peu efficace, mais en plus, les convois en provenance de
Barcelone subissaient les assauts des insurgés ce qui distrayait du siège un important effectif
d’hommes. Le 14 août, Duhesme décida de renoncer et commença à évacuer son artillerie. Il
estimait que Girone ne pourrait pas être pris suffisamment rapidement avec ses moyens et
qu’il risquait d’y user ses troupes alors que Barcelone était menacé par les insurgés et des
troupes régulières espagnoles47.
Les rangs de ces dernières ne cessaient de grossir avec l’arrivée des garnisons des
Baléares qui formèrent un noyau d’armée régulière sous le marquis del Palacio. Désirant
dégager Girone, le 16 août, il lança le comte de Caldaguès (officier émigré français) à
l’attaque sur le point faible du dispositif français. Ce succès espagnol poussa Duhesme à lever
le siège sans tarder. Reille rentra à Figueras et Duhesme à Barcelone. La retraite de Duhesme
s’effectua sur 80 kilomètres à travers les montagnes dans des conditions extrêmement
difficiles. Harcelé par les insurgés, parfois sous le feu de la flotte anglaise, il se résolut à
brûler ses voitures et à jeter ses canons dans des puits. Le 20 août il était à Barcelone. Dans
les mois suivants, il réussit à tenir en échec les insurgés et les troupes de lignes espagnoles en
leur interdisant de s’emparer de Barcelone dont il ne pouvait plus s’éloigner sans le secours de
renforts venus de France. Vivés, nommé le 28 octobre capitaine-général de Catalogne,
renforça les lignes des assiégeants, et en novembre le blocus devint un véritable siège.
La situation de Duhesme était d’autant plus préoccupante que dans le reste de
l’Espagne, après la défaite de Baylen et le départ de Madrid de Joseph, les affaires des
Français étaient au plus mal. Désireux de rétablir la situation, Napoléon entra en Espagne le 4
novembre à la tête de 120 000 hommes de renfort.
L’arrivée de Gouvion Saint-Cyr, des succès tactiques mais une situation générale qui se
détériore
Pour secourir Duhesme, deux divisions avaient été formées à Perpignan sitôt après
Baylen sous Souham (Français) et Pino (Italiens, Napolitains et Toscans) et envoyées au
secours de Reille. Le 17 août, Gouvion Saint-Cyr fut nommé à la tête de l’armée de Catalogne
46 Duhesme voulait prendre la ville d’assaut rapidement car il n’avait pas les moyens de mener un long siège, notamment en artillerie (certains affûts d’obusier qui avaient été stockés à Perpignan depuis 1794, se disloquèrent après quelques coups).
30
(devenue le 5e corps de l’armée d’Espagne en Catalogne le 7 septembre, puis 7e corps le 2
octobre). Avec les troupes de Duhesme, de Reille et de Morio, qui rejoignit en mai 1809 à la
tête de 6 000 Westphaliens, l’effectif du 7e corps d’armée fut porté à prés de 40 000 qui fut le
volume des forces présentes en Catalogne pendant toute l’année 1809.
Le général Gouvion Saint-Cyr (1764 - 1830), maréchal en 1812
Ces troupes n’étaient pas de très grande qualité, elles avaient été formées avec des
hommes tirés des dépôts du sud-est, de gendarmes, de gardes nationaux (qui désertèrent en
masse), de Suisses, de Valaisans, d’Italiens, de Napolitains et de Toscans. Par la suite, en
1809, on vit arriver des Allemands du grand-duché de Berg, de Westphalie et des pays de la
confédération de Rhin. Ils étaient généralement peu désireux de se battre pour Napoléon alors
que leur propre nation souffrait sous son joug. Ils désertèrent en masse sous Girone et
passèrent aux insurgés pour plus de 600 d’entre eux. Durant toute la campagne, leur moral
resta au plus bas et leur esprit fut très peu combatif. Mais les troupes napolitaines, composées
de la lie de la société, étaient sans doute les plus médiocres et les moins disciplinées. Parmi
47 Duhesme voulut quand même tenter sa chance à Girone dont les travaux de siège étaient très avancés et avait coûté un gros effort à ses troupes. Mais il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de rester très longtemps éloigné de Barcelone.
31
elles, on comptait énormément de pillards qui ravagèrent la Catalogne. Napoléon demanda
par la suite à Murat de prendre plus de soin dans le recrutement des Soldats napolitains dont
Augereau continua à se plaindre : « J’aurais préféré deux cents Français aux deux régiments
de cette nation que vous m’envoyez, car j’ai plus de peine avec ces sortes de gens qu’avec les
brigands que je bats journellement. »48
En fait, Gouvion Saint-Cyr manquait de tout, son « 7e corps [qui] étaient composé
en grande partie de soldats médiocres, pillards, brutaux et infidèles »49 était mal organisé,
mal payé et mal nourri. A partir de décembre 1808 Gouvion Saint-Cyr, qui ne recevait aucun
approvisionnement de France, dut vivre sur le pays en ruinant les plaines où il passait sans
que ses troupes ne fussent bien nourries, car la Catalogne étant un pays d’huile, de vins et de
fruits, les céréales et le bétail y faisaient cruellement défaut. Les réquisitions augmentaient
encore l’animosité des populations contre les soldats napoléoniens qui se procuraient leur
nourriture à coups de baïonnette. Le moral des officiers et des soldats, qui se sentaient livrés à
eux même, était au plus bas, et la discorde ne tarda pas à s’installer entre les généraux qui
menaient une guerre difficile loin des yeux de l’Empereur, sans aucune chance de gloire ou de
promotion.
Du fait de l’isolement de la Catalogne, les opérations qui y furent menées furent
déconnectées de celles qui se déroulèrent en Espagne en 1808 et en 1809. Gouvion Saint-Cyr
reçut de Napoléon les ordres suivants : « Votre direction générale doit avoir pour principes
les dispositions suivantes :
1. secourir le général Duhesme.
2. Faire à Figuierès des magasins considérables aux dépends de l’ennemi.
3. Soumettre les vallées et faire porter à l’ennemi tout le poids de la guerre. »50
Gouvion Saint-Cyr agit avec beaucoup de méthode. Il commença par s’emparer de
Rosas dont il prépara le siège pendant deux mois. Dès que la place capitula, le 6 décembre, il
se dépêcha de porter secours à Duhesme, qui lui avait fait savoir que ses réserves de vivre ne
lui permettraient de tenir que jusque fin décembre.51 Laissant Reille en observation devant
Girone, il partit vers Barcelone sans bagages ni artillerie afin d’éviter de passer devant
l’Hostalrich et Girone. Surpris par cette marche rapide, Vivés fut bousculé à Cardédeu le 16
et, le 17, Gouvion Saint-Cyr débloquait Barcelone. Napoléon pensa qu’il était à nouveau
48 Augereau à Clarke, Fornells le 12 janvier 1810, cité par CONARD, op. cit., p. 89. 49 CONARD, op, cit., p. 90. 50 Berhier à Gouvion Saint-Cyr, le 2 octobre 1808, SHD/Terre C8 15. 51 GOUVION SAINT-CYR, op. cit., p. 359.
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maître de la Catalogne, mais les soldats du 7e corps n’occupaient de la Catalogne que le sol
qui était sous leurs pieds.
Gouvion Saint-Cyr battit Vivès à Molino del Rey le 21 décembre, mais plutôt que de
se porter vers Tarragone, il voulut assurer ses arrières et perdit deux mois à battre les vallées
de l’Llobregat pour y trouver des vivres. Pendant ce temps, Reille était harcelé par les troupes
espagnoles réunies à Girone qui se réorganisaient sous le commandement de Reding52. Malgré
ses succès sans lendemain à Igualda et à Valls (18 et 25 février 1809) contre Reding, Gouvion
Saint-Cyr dut renoncer à prendre Tarragone après l’avoir bloqué pendant un mois. Il gagna la
plaine de Vich pour refaire ses forces puis, ayant rejoint Reille et laissé Duhesme avec la
division Chabran à Barcelone53. Il mit le siège devant Girone que le général Verdier,
remplaçant Reille, investit la 4 juin.
La place était défendue par Alvarez de Castro qui tint les Français en échec pendant
six mois en fixant le gros de leurs forces. Le général Sanson dirigea les travaux du siège et fit
ouvrir la tranchée devant le fort de Montjuich. Un premier assaut de ce fort mené par 4 000
Français et Allemands échoua le 7 juillet. Pris sous un bombardement intense, les Espagnols
l’abandonnèrent un mois plus tard. Le 19 septembre un assaut général fut donné mais il fut
repoussé par la population qui tenait les remparts. Gouvion Saint-Cyr décida alors de
transformer le siège en blocus pensant que la maladie et la famine auraient raison de la
résistance. Blake envoya des convois pour secourir la place. Le premier d’entre eux, profitant
du brouillard, réussit à amener 4 000 hommes et quelques vivres aux assiégés le 1er
septembre. Mais le 26 septembre, un deuxième convoi tomba entièrement aux mains des
Français. La situation d’Alvarez devint de plus en plus critique : le typhus, la famine, le
scorbut et la dysenterie faisaient des ravages, certains de ses hommes désertèrent malgré les
menaces de mort d’Alvarez.
52 Pour avoir été battu, Vives fut jeté en prison et remplacé par Reding, officier d’origine suisse. 53 De juin 1809 à janvier 1810, Duhesme, disposant de peu de troupes se trouva encore bloqué dans Barcelone mais moins étroitement toutefois qu’en 1808.
33
Le général espagnol Joaquín Blake y Joyes (1759 – 1827)
34
Entre temps, le 1er juin, Napoléon, mécontent de Gouvion Saint-Cyr qui, conscient de
sa faiblesse se refusait à exécuter l’ordre irréalisable de Berthier d’assiéger simultanément
Gérone, Tarragone et Tortosa, l’avait remplacé par Augereau. Le 28 septembre, Gouvion
Saint-Cyr quitta son commandement sans attendre l’arrivée de ce dernier qui était bloqué par
une crise de sciatique à Perpignan et n’avait toujours pas rejoint54.
Augereau finit par arriver devant Girone le 11 octobre. Le 9 décembre, Alvarez atteint
par le mal qui l’emporta en janvier, donna le commandement au général Bolivar qui livra la
ville à Augereau le lendemain.
Ramon Martí Alsina (1826–1894), El Gran dia de Girona, 1863 Musée d’art de Girone
La chute de Girone jeta la discorde parmi les insurgés. Blake dut abandonner la
Catalogne, pour ne pas partager le sort de Vives55. Le général Portazgo, nommé par la junte
pour le remplacer, ne fut pas reconnu par les Catalans qui lui préférèrent O’Donnel qui s’était
distingué lors du siège de Girone.
Après la prise de cette ville, Augereau resta inactif pendant plus d’un mois. A la fin du
mois de janvier, il réussit à approvisionner Barcelone et obtint le départ de Duhesme avec
lequel il ne s’entendait pas et qu’il accusa de malversation.
54 Pour avoir abandonné son poste, Gouvion Saint-Cyr fut suspendu de ses fonctions et ne fut réintégré qu’en 1811. 55 LAFAILLE, op. cit., p. 240.
35
Au début de 1810, la situation des Français en Espagne semblait plutôt bonne, Joseph
avait retrouvé son trône à Madrid et contrôlait la majorité du pays. Partout en Catalogne, où
son autorité ne se faisait que très peu sentir, les armées françaises avaient pris le dessus sur les
insurgés et contrôlaient une partie de plus en plus grande de la province. Mais la population
avait en grande partie déserté les villages pour se réfugier dans les montagnes. Le sentiment
anti-français déjà très élevé, allait en se renforçant à cause des exactions et des vols perpétués
par les troupes impériales abandonnées à elles-mêmes pour subvenir à leurs besoins.
La composition des troupes qui pénétrèrent les premières en Catalogne en 1808 étaient
typique des unités formées à cet époque par Napoléon. Ces unités provisoires et
multinationales manquaient de cohésion. Elles n’avaient plus du tout l’esprit offensif qui fit la
force des armées de la Révolution et du début de l’Empire. De nation agressée, la France était
devenu l’agresseur. La stratégie irréaliste du blocus continental de Napoléon l’avait poussé à
disperser ses efforts à sacrifier la cohésion de ses armées. Il pensait que les troupes engagées
en Espagne n’auraient pratiquement pas à combattre. La facilité avec laquelle Duhesme
s’empara de Barcelone semblait lui donner raison. Mais, une fois la ville prise, il fallait
gouverner la province ce que Duhesme n’avait ni le talent, ni les moyens de faire. A la tête de
ses troupes il se présenta rapidement comme un occupant et non comme un allié venu aider le
peuple catalan face à la grave crise politique que l’Espagne connaissait.
Duhesme avait échoué dans sa tâche de rallier la Catalogne à la cause du roi Joseph.
Engagé en Catalogne, sans argent ni ligne logistique, à la tête de troupes constituées à la hâte,
peu instruites et manquant cruellement de cohésion56, il ne put que se trouver bloqué, loin de
ses bases, une fois l’insurrection générale déclenchée. Mais au moins avait-il tenté de mettre
en place une administration, soin que n’eurent ni Gouvion Saint-Cyr, ni Augereau, absorbés
par les opérations et s’intéressant peu au sort de la population d’une province pauvre et semi-
désertique dont ils n’auraient pu pas tirer grand-chose. Délaissant l’administration aux
fonctionnaires de Joseph, ils ne s’occupèrent pas du contrôle de la population par une
administration judicieuse, ce qui pourtant était sans doute la clef principale du succès en
Catalogne.
Si Napoléon réglait les moindres détails de la constitution des troupes, sa pensée
générale concernant l’Espagne était floue et, partant, mal comprise par ses subordonnés. Il
56 Arrivés en Espagne, certains conscrits italiens et même français désertèrent pour s’engager dans des régiments au service de l’Espagne. Ce phénomène fut suffisamment important pour Duhesme en informe le ministre de la Guerre et réclame aux autorités espagnoles la restitution de ces hommes.
36
attendait sans doute des initiatives de ces derniers qui auraient éclairé la situation et lui aurait
montré la marche à suivre57. Il agissait selon sa formule célèbre : « s’engager et voir ».
Duhesme puis Gouvion Saint-Cyr en ont sans doute été les principales victimes.
Carte du théâtre des opérations de Catalogne
BOURDEAU E. (colonel), Campagnes modernes, Atlas.
57 GRASSET, op. cit., p. 306.
37
COMPOSITION DE LA DIVISION D’OBSERVATION DES PYRENE ES ORIENTALE
SITUATION DU 9 FEVRIER 1808 (SHD/Terre : C8 4)
Général de division DUHESME. ORDONNEAU, chef d’escadron, aide de camp faisant fonction de chef d’état-major Général de division LECCHI (sic.). LAFRRANCHY, chef d’escadron, aide de camp Généraux de brigade MILLOSSEVVITZ (sic.). ZORZETTO, capitaine idem BESSIERES, commandant la brigade de cuirassiers et chasseurs Adjudant commandant LECCHI58 Commissaire des guerres GINI, faisant fonctions de sous-inspecteur
TROUPES Soldats sous les armes Vélites royaux 1 bataillon 15 officiers / 387 2e de ligne italien IIe bataillon 29 / 589 4e - id. - IIIe bataillon 13 / 480
1re brigade
5e - id - IIe bataillon 27 / 681 16e de ligne français IIIe bataillon 12 / 708 2e régiment suisse IIIe bataillon 23 / 320
2e brigade
1er de ligne napolitain 2 bataillons 65 / 1 688
5 037 hommes d’infanterie
4e régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron 6e régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron 7e régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron
Régiment provisoire de cuirassiers59
8e régiment de cuirassiers 1 cie du 5e escadron
12 /405/ 431 chevaux
14e régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron 15e régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron 19e régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron 23e régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron
Régiment provisoire de chasseurs60
24e régiment de chasseurs à ch. 1 cie du 4e escadron
12 /473/ 500 chevaux
Chasseurs royaux napolitains 1 compagnie Dragons de la Reine (italiens) 1 compagnie Dragons Napoléon (italiens) 1 compagnie
Régiment provisoire de troupes à cheval italiennes et napolitaines
2e rgt de chasseurs napolitains Ier escadron61
25/525/562 chevaux
1452 h. / 1493 ch. de cavalerie
58 Frère du général Lechi. 59 Prend l’appellation de 3e régiment provisoire de grosse cavalerie le 23 janvier 1808. 60 Prend l’appellation de 3e régiment provisoire de chasseurs le 23 janvier 1808.
38
Artillerie – 12 bouches à feu Artillerie à pied italienne 11e compagnie 3 officiers / 70 Train Train de la garde italienne 2 off. / 57 / 104 chevaux 6e bataillon bis du train 6e compagnie 1 off. / 64 / 150
197 h. / 254 chx d’artillerie
TOTAL PREVU SOUS LES ARMES
6 686 hommes 1747 chevaux
Restés dans les hôpitaux
445
Le 2e escadron du 2e régiment de chasseurs napolitains devait arriver à Perpignan le 15 février avec 250 hommes montés62. Une partie du parc d’artillerie français était restée à Perpignan attendu que les chevaux n’étaient point encore arrivés de Narbonne. Note de l’auteur : En février 1808 la division était articulée de la façon suivante : Le général Lechi avait sous ses ordres la « division italienne » : - brigade italienne (général Millossevitz), - le régiment provisoire de troupes à cheval italiennes et napolitaines - la 11e compagnie d’artillerie à pied italienne (6 pièces). Le général Bessières commandait la brigade de cavalerie française Le général Goullus commanda la 2e brigade à son arrivée à Barcelone le 14 février 1808.
61 I.e. deux compagnies. 62 En fait cet escadron n’arriva à Perpignan que le 22 mars, il n’entra en Espagne que le 1er avril avec les renforts d’infanterie.
39
SITUATION DU CORPS D’OBSERVATION DES PYRENEES-ORIENTALES AU 30 AVRIL 1808 : 13 335 h., 2 035 chx. Général Duhesme, commandant en chef Général Goullus, chef d’état-major 1re division : général Chabran, nommé le 19 mars, à Barcelone, 6 466 hommes, 211 chevaux - 1re brigade : général Nicolas, nommé le 19 mars, à Barcelone
- 7e RI : 1er et 2e bataillons à Barcelone, 1 919 hommes - 16e RI : 3e bataillon à Barcelonnette, 814 hommes - 2e R suisse : 3e bataillon à Barcelonnette, 606 hommes
- 2e brigade : général Viala, nommé le 19 mars, à Mataro
- 2e RI : 3e bataillon à Figueras, 617 hommes - 37e RI : 3e bataillon à Mataro, 705 hommes - 56e RI : 4e bataillon à Mataro, 822 hommes - 93e RI : 3e bataillon à Mataro, 760 hommes
- Artillerie (9 canons) : - 2e RAC : 7e compagnie à Barcelone, 125 hommes, 92 chevaux - 6e bataillon bis du train : 6e compagnie à Barcelone, 90 hommes, 119 chevaux
2e division : général Lechi à Barcelone, 5 002 hommes, 104 chevaux - 1re brigade : général Millossevitz à Barcelone
- 1er RI napolitain : 1er et 2e bataillons dans la citadelle de Barcelone, 2 098 hommes - Vélites royaux italiens : 1er bataillon à Barcelone, 484 hommes - 2e RI italien : 2e bataillon à Barcelone, 775 hommes - 4e RI italien : 3e bataillon à Barcelone, 611 hommes - 5e RI italien : 2e bataillon à Barcelone, 880 hommes
- Artillerie italienne (9 canons) : Adjudant-commandant Lechi à Barcelone - 11e compagnie à pied italienne, à Barcelone, 76 hommes - Train de la garde royale italienne, à Barcelone, 68 hommes, 104 chevaux
40
1re brigade de cavalerie (française) : général Bessières à Barcelone, 947 hommes, 921 chevaux - 3e régiment provisoire de cuirassiers (composition sans changement), à Barcelone, 423 hommes, 435 chevaux - 3e régiment provisoire de chasseurs (composition sans changement), à Barcelone, 483 hommes, 486 chevaux - Détachement du 6e régiment de cuirassiers à Perpignan, 40 hommes, sans chevaux
2e brigade de cavalerie (italienne et napolitaine) : général Schwarz, nommé le 19 mars 1808, à Barcelone, 903 hommes, 799 chevaux
- Régiment de cavalerie du Prince royal, à l’Hospitalet - Chasseurs royaux italiens : une compagnie, 181 hommes, 155 chevaux - Dragons de la Reine : une compagnie, 166 hommes, 151 chevaux - Dragons Napoléon : une compagnie, 164 hommes, 145 chevaux
- 2e régiment de chasseurs napolitains : 1er et 2e escadrons à l’Hospitalet, 391 hommes, 348 chevaux
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BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES
Sources Service historique de la défense / département de l’armée de Terre : Archives de l’armée d’Espagne série C8 LAFAILLE G. (colonel du génie), Mémoire sur le corps d’armée des Pyrénées orientales
commandé par le général Duhesme (…), Paris, Ancelin,1826, 344 p. Publications BOURDEAU E. (colonel), Campagnes modernes, Paris, Charles Lavauzelle, s.d., t. II :
L’Epopée impériale (1804 – 1815), Ire partie, 585 p. CASTEX Raoul (amiral), Théories stratégiques, Paris, Economica,1997, t. V, 651 p., p. 227. CONARD Pierre, Napoléon et la Catalogne (1808 –1814) (…), Paris, F. Alcan, 1910, 473 p. GRASSET Alphonse-Louis (capitaine), La guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1914, t.
1, 487 p. THIERS M.A., Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1849, t.8, 687 p. SIX Georges, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux de la Révolution et de
l’Empire (1792 – 1814), Paris, Ed. Georges Jaffroy, 1934, 2 tomes.