Les Os, Les Flûtes, Les Morts - Chaumeil 1997

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  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

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    Jean-Pierre Chaumeil

    Les os, les fltes, les morts. Mmoire et traitement funraire en

    AmazonieIn: Journal de la Socit des Amricanistes. Tome 83, 1997. pp. 83-110.

    Citer ce document / Cite this document :

    Chaumeil Jean-Pierre. Les os, les fltes, les morts. Mmoire et traitement funraire en Amazonie. In: Journal de la Socit des

    Amricanistes. Tome 83, 1997. pp. 83-110.

    doi : 10.3406/jsa.1997.1672

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_jsa_491http://dx.doi.org/10.3406/jsa.1997.1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1997_num_83_1_1672http://dx.doi.org/10.3406/jsa.1997.1672http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_jsa_491
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    Resumen

    Os ossos, asflautas, os mortos. Memria e tratamento morturio na Amaznia exame cuidadoso dos

    dados empricos sobre as formas de luto na Amaznia evidencia duas modalidades de tratamento

    morturio. Se por uma parte, certos grupos esforcam-se em apagar as marcas e a memria dos

    defuntos, por outra, procura-se manter uma relao de continuidade com os mortos. A pesquisa

    invalida em parte a tese segundo a quai a forma arquetpica do luto nas terras baixas da Amrica do

    Sul passaria por uma separao radical com os mortos. A existncia de um vnculo entre a posse das

    flautas sagradas, encontradas em vrias sociedades amaznicas, a conservao dos ossos e a

    memorizao dos mortos sugerida. A ligao desses trs elementos convida a reflexo sobre a

    produo, nestas sociedades, de uma forma particular de memria histrica.

    Abstract

    Bones, flutes and the dead. Memory and funeral customs in the Amazon A close examination of

    empirical data related to funeral customs in the Amazon reveals that there are two distinct, contrasting

    ways of coping with dead. Some groups try to erase the memory of their dead, whereas others strive to

    keep contact with them. This research thus partly contradicts the common wisdom that the archetypal

    form of mourning in the Lowlands involves an abrupt break with spirits of the dead. We also suggest a

    possible link between the possession of sacred flutes found in several Amazonian societies , the

    conservation of bones, and the memorization of the defunct. The conjuncture of these three elements

    should encourage investigation regarding the very specific form of historical memory developed by

    these societies.

    Rsum

    Un examen attentif des donnes empiriques sur les formes du deuil en Amazonie fait apparatre deux

    sries contrastes de traitement funraire. Alors que, d'un ct, certains groupes s'efforcent de gommer

    les traces et la mmoire des dfunts, de l'autre, on cherche au contraire maintenir une relation de

    continuit avec les morts. La recherche invalide donc en partie la thse commune selon laquelle la

    forme archtypale du deuil dans les basses terres passerait par une coupure radicale avec les morts.L'existence d'un lien entre la possession des fltes sacres, prsentes dans plusieurs socits

    amazoniennes, la conservation des os et la mmorisation des morts est par ailleurs suggre. La

    liaison de ces trois lments invite rflchir sur la production, dans ces socits, d'une forme

    particulire de mmoire historique.

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    LES OS, LES FLUTES, LES MORTS.

    MMOIRE ET

    TRAITEMENT

    FUNRAIRE

    EN

    AMAZONIE 1

    Jean-Pierre

    CHAUMEIL

    *

    Un examen attentif

    des

    donnes

    empiriques sur

    les formes

    du

    deuil en

    Amazonie

    fait

    apparatre

    deux

    sries

    contrastes de

    traitement funraire.

    Alors

    que,

    d'un

    ct, certains

    groupes

    s'efforcent

    de gommer

    les

    traces et la mmoire des

    dfunts,

    de l'autre, on cherche

    au

    contraire

    maintenir une relation de

    continuit

    avec les morts. La recherche invalide donc en

    partie

    la

    thse

    commune selon laquelle

    la

    forme archtypale

    du

    deuil

    dans

    les basses terres passerait par une

    coupure radicale avec les

    morts.

    L'existence d'un lien entre la possession des fltes sacres,

    prsentes dans

    plusieurs socits

    amazoniennes,

    la

    conservation

    des os et la mmorisation des

    morts est

    par

    ailleurs suggre. La liaison de

    ces

    trois lments invite rflchir sur la product

    ion,ans ces socits, d'une forme particulire de mmoire historique.

    Mots

    cls : Amazonie,

    rites

    funraires, fltes

    sacres,

    ancestralit, mmoire.

    Bones, flutes

    and

    the

    dead.

    Memory

    and

    funeral

    customs

    in

    the

    Amazon

    A close examination

    of empirical

    data

    related to funeral

    customs

    in the

    Amazon reveals that

    there are two

    distinct,

    contrasting ways of coping with

    dead. Some groups

    try

    to

    erase

    the

    memory

    of their

    dead, whereas

    others

    strive

    to

    keep contact with them. This research thus partly

    contradicts

    the

    common wisdom that

    the

    archetypal form

    of

    mourning

    in the

    Lowlands

    involves

    an abrupt break

    with

    spirits of the

    dead. We

    also

    suggest

    a

    possible link

    between the possession

    of sacred flutes found

    in

    several Amazonian societies

    the

    conservation of bones, and

    the

    memorization of the defunct.

    The

    conjuncture of these three

    elements

    should encourage

    investigation regarding

    the very

    specific

    form

    of historical memory developed by

    these

    societies.

    Key

    words

    :

    Amazonia,

    funerary

    rituals,

    sacred

    flutes,

    ancestrality, memory.

    Os ossos, asflautas, os

    mortos.

    Memria e tratamento morturio na Amaznia

    exame

    cuidadoso dos

    dados

    empiricos

    sobre

    as

    formas de

    luto na

    Amaznia

    evidencia

    duas

    modalidades

    de tratamento morturio. Se

    por

    uma parte, certos

    grupos

    esforcam-se em

    apagar as

    marcas e a memria

    dos defuntos, por outra,

    procura-se

    manter uma

    relao de

    * quipe

    de

    recherche en ethnologie amrindienne, UPR

    324 (CNRS),

    B. P. n 8, 7, rue

    Guy-Mquet,

    F-94801

    Villejuif cdex

    Journal de la Socit des Amricanistes

    1997,

    83 : p. 83

    1 10. Copyright

    Socit des Am ricanistes.

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    84 JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,

    1997

    continuidade

    com os mortos. A pesquisa

    invalida

    em parte a

    tese

    segundo a quai a forma

    arquetipica

    do

    luto nas terras baixas

    da America do

    Sul

    passaria por

    uma

    separao

    radical com

    os mortos.

    A

    existncia de um vinculo entre a posse das flautas

    sagradas,

    encontradas em

    varias

    sociedades amaznicas, a conservao dos ossos e a memorizao dos mortos

    sugerida.

    A

    ligao

    desses

    trs

    elementos

    convida

    a

    reflexo

    sobre

    a

    produo,

    nestas

    sociedades,

    de

    uma

    forma

    particular de

    memria

    histrica.

    Palabras-caves : Amaznia, ritos morturios, flautas sagradas, ancestralidade, memria

    L'ethnologie

    amazoniste s'est beaucoup

    intresse

    ces derniers temps

    aux

    formes

    de deuil dans les socits des

    basses

    terres d'Amrique

    du

    Sud. L'aire en

    question

    offrirait

    en effet sur le sujet un curieux

    contraste :

    la

    trs grande

    complexit des

    reprsentations et

    des

    discours

    sur

    la

    mort ferait cho une relative simplicit, pour

    ne

    pas

    dire

    une franche

    pauvret,

    des pratiques mortuaires. On a souvent voqu

    l'absence

    de

    culte,

    de cimetire

    ou

    mme

    de

    lieu visible

    associ aux

    morts,

    la

    faible

    profondeur

    de

    la

    mmoire gnalogique des populations concernes, l'oubli frquent

    des morts ou le

    tabou

    sur leur nom,

    pour

    rfuter

    l'ide d'une

    quelconque prdisposi

    tion

    nvers

    les morts dans cette rgion.

    Cet

    apparent dsintrt pour les dfunts et le

    manque de visibilit au niveau des pratiques trouveraient ainsi compensation dans des

    constructions mtaphysiques sur la mort d'une rare complexit.

    Sans contester cette richesse symbolique bien

    relle, un

    examen

    attentif

    des

    donnes empiriques incite

    cependant

    s'interroger

    sur l'hypothse

    de

    la

    prtendue

    pauvret des

    pratiques

    mortuaires

    amazoniennes.

    Les travaux

    disponibles

    sur le

    thme

    font apparatre

    un

    panorama plus nuanc

    et diversifi, que l'on

    s'efforcera de

    mettre en

    valeur en s'attachant

    prcisment

    aux

    aspects

    matriels

    des

    rituels funraires

    et

    aux

    mcanismes de mmorisation

    des

    morts

    (traitement des

    reliques). Seront donc laisss

    de

    ct

    les conceptions

    et

    les discours

    indignes sur la mort

    (objet d'une

    tout autre

    tude),

    tout

    comme les pratiques

    rserves

    aux dpouilles d'ennemis

    ou d'trangers

    sous

    forme notamment de

    trophes,

    mme s'il s'avre parfois difficile de dissocier

    de

    faon

    catgorique

    les deux phnomnes. Certaines socits ont

    en

    effet tendance

    traiter leurs parents

    morts

    (ou certains d'entre eux)

    comme

    des

    trangers, ou

    l'inverse,

    et leur

    appliquent des rites

    funraires apparemment

    similaires. Si d'une faon gnrale

    les

    reliques

    sont

    censes

    perptuer

    la continuit

    du

    groupe, les trophes

    pris

    sur

    l'ennemi taient souvent investis

    de

    proprits analogues, au point d'apparatre tout

    aussi essentiels

    la

    reproduction

    sociale.

    Toutefois, un

    cart partout

    observ semble

    sparer

    la

    relique

    du

    trophe proprement

    dit.

    Celui-ci, souvent

    abandonn ou

    mme

    vendu

    aprs

    usage, fait rarement l'objet de doubles

    funrailles

    , la

    diffrence

    des

    reliques gnralement conserves chez soi

    ou

    r-inhumes.

    Cela peut d'ailleurs expli

    quer la relative

    facilit

    avec

    laquelle

    certains

    voyageurs du xixe sicle ont pu

    acqurir,

    par simple

    troc,

    des dpouilles d'ennemis et, beaucoup plus

    difficilement,

    celles de

    parents dfunts.

    Cela dit, quand on

    parle

    de traitement funraire

    il est bon

    de s envelopper de

    minimales

    prcautions. On trouve

    en effet rarement un

    traitement uniforme pour tous

    dans une culture

    donne ;

    les morts

    n'y

    sont pas

    tous logs

    la

    mme enseigne,

    leur

    destin varie grandement en fonction

    de

    l'ge,

    du

    sexe,

    du statut

    social,

    du

    lieu

    du dcs

    et

    de

    la

    manire

    de

    mourir (mort

    chez

    soi/ailleurs,

    lente/violente,

    etc.).

    Disposer

    d'un

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    Chaumeil, J.-P.] MMOIRE ET TRAITEMENT

    FUNRAIRE EN AMAZONIE 85

    corps

    entier

    ou d'une de

    ses

    parties modifie, on

    le

    sait,

    et la

    tenue du rituel funraire

    lui-mme, et le type

    de

    relation

    que l'on

    va tablir avec le mort. Certaines formes

    de

    mort violente

    accentuent

    la

    rupture de

    cette relation,

    d'autres

    au contraire l'attnuent.

    Dans

    l'impossibilit de rcuprer le corps, on s'escrimera

    en rapatrier une

    partie

    ou,

    dfaut,

    un

    substitut

    pour s'acquiter

    des

    funrailles

    .

    On

    mesure

    donc

    la

    difficult

    dans certains cas de faire

    prvaloir

    une

    forme

    sur une autre.

    Que

    nous apprennent cet gard les tudes comparatives ? La premire, consacre

    aux Guyanes (Roth,

    1924),

    fait

    tat d'un

    large

    ventail

    de modes funraires

    :

    endo-

    cannibalisme, inhumation directe ou

    en

    urne

    (primaire

    ou secondaire),

    crmation,

    certaines formes

    de

    momification, prservation des os

    soit conservs dans

    des

    paniers funraires ou dans des abris sous roche, soit distribus

    entre

    les

    parents

    du

    mort

    (rappelant

    les pratiques du partage

    de

    la chair ou des cendres dans

    l'exo

    et

    l'endocannibalisme). Quelques annes plus

    tard, Linn (1929) fournit une

    tude

    dtaille

    sur

    les pratiques d'endocannibalisme

    en Amrique

    du

    Sud. Ces travaux

    pionniers

    seront

    complts par

    Mtraux

    (1947)

    dans

    un

    essai

    devenu

    classique o

    il

    souligne

    la

    grande diffusion de l'enterrement

    secondaire

    en

    urnes

    en

    Amrique du

    Sud. Influenc par

    ses

    travaux sur les

    Guarani,

    l'auteur s'intresse tout

    particulir

    ementu

    traitement

    des ossements

    humains,

    mais

    il

    ne

    tire curieusement

    de

    son travail

    aucune implication

    ethnologique. D'inspiration

    plus

    sociologique,

    les tudes

    post

    rieures

    de

    Boglar

    (1958, 1959)

    et

    de

    Zerries (1960)

    s'interrogent

    en particulier sur les

    rapports entre

    les rituels

    funraires

    et certaines pratiques socio-culturelles.

    C'est

    ainsi

    que Boglar associe l'endocannibalisme la

    pratique

    du brlis dans l essartage (trait

    ement

    agricole

    du corps).

    Beaucoup

    d'essarteurs actuels

    dans

    les basses

    terres ne

    pratiquent

    cependant pas

    explicitement cette forme

    funraire.

    Zerries pousse plus

    loin

    l'analogie

    en

    connectant

    cette

    fois

    l'endocannibalisme

    avec

    le

    rituel

    du

    Yurupari

    bien

    connu

    des

    amazonistes. Selon

    une version

    rpandue dans les mythologies

    du

    nord-

    ouest amazonien,

    Yurupari

    est le

    nom

    d'un

    hros culturel sacrifi par le feu, puis

    ressuscit de ses cendres

    (os

    calcins) sous

    la forme

    de fltes sacres, elles-mmes

    appeles les

    os

    de Yurupari,

    et

    dans lesquelles on souffle lors

    des grands

    rituels

    d'initiation,

    d'change de nourriture ou dans les

    crmonies

    funraires.

    L'hypothse

    de Zerries

    suggre

    donc

    un

    lien

    entre un

    objet ( flte-os ) incarnant

    un

    mort ancien

    et la

    pratique funraire de rcupration des os, soit par les doubles

    funrailles (os

    entiers),

    soit

    par

    l'endocannibalisme

    (os

    piles

    et

    ingrs),

    formes

    funraires

    dont

    certains

    ethnologues ont montr le

    rapprochement sur le

    plan

    conceptuel (Thomas,

    1980).

    Nous

    aurons l'occasion

    de

    revenir sur le sujet.

    Stimulantes, ces

    contributions n'ont

    cependant

    pas

    nourri

    une

    vritable

    rflexion

    sur

    la question du deuil dans les basses

    terres

    ;

    elles

    se sont surtout

    efforces d'inven

    torier es

    procds funraires ou de suggrer

    des pistes

    de

    recherches,

    entreprises

    fort

    louables mais

    insuffisantes. Les

    observations les plus

    pntrantes dans le domaine

    viennent en

    fait

    d'tudes de

    cas

    plus rcentes

    partir desquelles s'est

    peu

    peumise en

    place une

    problmatique

    des funrailles dans les basses terres consistant considrer

    les morts comme des

    ennemis

    . C'est cette conclusion qu'aboutissent

    en

    tout cas

    plusieurs recherches,

    dont

    celle de

    H.

    Clastres

    (1968)

    sur les rituels funraires des

    Guayaki.

    Qu'ils

    mangent

    la chair

    (et non les

    os)

    des

    parents

    dfunts ou qu'ils les

    enterrent,

    les Guayaki adoptent

    une

    commune

    attitude vis--vis des

    morts ; celle de les

    traiter

    en

    ennemis.

    partir

    de

    l'analyse

    des

    matriaux krah,

    Carneiro

    da

    Cunha

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    6/30

    86 JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,

    1997

    (1977, 1978) confirme

    cette sparation

    entre

    vivants et morts et la

    pose comme

    prdominante dans

    le

    monde amazonien, l'oppos

    du

    modle africain ax

    sur

    le

    culte des anctres.

    Il

    convenait juste titre de s'affranchir des paradigmes africains.

    P.

    Clastres (1980) reprend

    son tour la notion

    d'ancestralit

    pour saisir l'cart qui

    spare

    la

    pense

    andine

    oriente

    vers

    le

    culte

    aux

    morts

    et

    la

    pense

    amazonienne

    cherchant surtout,

    selon lui,

    abolir les

    morts.

    Spcialiste

    des

    Guarani,

    l'auteur fera

    cependant une exception : les

    cadavres des

    anciens chefs tupi-guarani

    soumis aux

    doubles funrailles

    en

    urnes et, surtout, les

    ossements des grands

    chamanes, objets

    jadis d'un culte apparemment trs labor.

    Viveiros

    de Castro

    (1992)

    a de mme

    tempr l'quation

    du

    mort comme

    ennemi

    chez les

    anciens Tupinamba,

    en

    montrant

    qu'elle

    ne

    s'appliquait

    qu' une seule classe

    de

    mort :

    celle

    des

    morts

    chez soi

    (pars

    d'ailleurs

    des

    attributs rservs

    l'ennemi). Les morts ailleurs,

    chez les ennemis

    de

    ses

    propres ennemis

    selon

    l'expression de

    l'auteur, taient

    vnrs comme

    des hros

    puisque eux seuls avaient ralis

    la

    belle

    mort

    (dans

    le ventre des

    ennemis).

    L'interprtation du

    cannibalisme

    comme

    rite

    funraire

    chez

    les

    Tupi-Guarani

    ne

    fait

    plus gure

    de

    doute ; l'une et l'autre

    pratique

    ayant pour but d' allger le cadavre

    du

    poids

    de sa

    chair

    pour n'en

    conserver que le

    squelette, les

    os frais

    , condition pour

    atteindre

    la

    Terre sans Mal selon la pense eschatologique de ces peuples. La

    mise en

    parallle des pratiques cannibales et

    funraires

    comme altrit

    en

    devenir ne

    pouvait

    qu'inciter les analyser

    en

    termes

    non

    substantivistes,

    en

    termes de relations ou

    d'acquisition de positions

    et

    non de substances. Tmoin le

    dsir affich

    de ces peuples

    d'oublier ou d'effacer toute

    trace

    matrielle

    des

    morts,

    d'viter

    toute

    relation

    directe

    avec

    les cadavres pour privilgier les

    relations d'change avec le mort

    comme parte

    naire

    un

    peu spcial,

    puisque occupant thoriquement la

    position de

    l'ennemi.

    Taylor

    (1993)

    illustre

    bien

    cette

    ide

    dans

    une

    tude

    rcente

    consacre

    au

    deuil

    jivaro

    en tant que

    mcanisme d'oubli

    des

    morts

    rcents.

    Ici,

    le

    traitement physique du mort

    apparat

    secondaire

    par

    rapport

    sa

    matrialisation

    spirituelle

    sous

    forme aru-

    tam,

    comme

    destine ou trajectoire

    de

    vie individuelle.

    Selon

    Perrin (1979 : 119),

    les

    Guajiro pensent que les morts, dont les restes sont

    mls aux

    ossements anciens dans

    des urnes collectives faisant

    office de

    cimetire,

    perdent

    toute individualit pour

    revenir

    sous

    forme de pluie et de maladies.

    Pourtant la figure du mort-ennemi expuls hors

    de

    la

    mmoire des

    vivants

    comme

    paradigme gnral du

    deuil

    dans les

    basses

    terres ne

    cadre

    pas vraiment avec un certain

    nombre de pratiques funraires encore

    observables.

    L'interprtation globale

    que

    donne

    par exemple

    Erikson

    (1986)

    de

    l'endocannibalisme pano comme formule

    cherchant

    retenir

    les morts

    (seuls

    les

    parents proches mangent

    les

    os

    piles)

    semble

    contrarier

    la thse de l'altrit du mort. Erikson note d'ailleurs

    la

    place idologique

    non

    ngligeable

    accorde aux anctres chez

    certains groupes

    pano qui n'assignent

    pas

    forcment leurs morts

    un caractre

    dangereux. La question

    est

    nanmoins de

    savoir

    s'il faut

    traiter

    l'endocannibalisme comme

    un rite

    de

    destruction

    ou de conservation

    des

    restes (Thomas, 1980).

    Viveiros

    de Castro

    (1992)

    constate de son ct

    que

    les

    Arawet (d origine

    tupi),

    qui assimilent

    leurs

    morts rcents aux ennemis, n'prouvent

    cependant

    aucun

    dsir

    de les oublier, ni

    mme

    d'en

    effacer

    les

    traces matrielles

    (tombes

    et

    squelettes)

    qui pourraient les rappeler

    la mmoire des

    vivants. Leurs

    noms

    sont voqus et leurs biens nullement dtruits

    mais

    hrits. Dans ce

    cas,

    la

    mmorisation du

    mort,

    par

    la

    permanence

    du nom

    et

    les

    biens

    hrits,

    attnue

    la

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    7/30

    Chaumeil,

    J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 87

    coupure

    que lui

    confre sa condition

    d'tranger

    ou d'ennemi.

    Les

    Xavante (G) du

    Brsil

    central rcemment tudis par Graham

    (1995) incorporent

    carrment

    leurs

    morts (les

    immortels ) dans le systme de

    classes

    d'ge

    du

    cycle

    de

    vie.

    La

    socit

    xavante

    intgre

    donc

    en

    son

    sein

    les vivants et les morts,

    ces

    derniers n'tant

    d'ailleurs

    pas

    redouts

    contrairement

    ce

    qui

    se

    passe,

    semble-t-il,

    chez

    les

    autres

    groupes

    g. La

    mmoire individuelle

    de

    certains

    immortels

    minents (les grands

    leaders) trouve de

    surcrot

    une forme

    de perptuation

    dans

    les

    rcits xavante

    de

    la cration.

    Nous-mmes

    avions montr le double mouvement des morts

    vers l'affinit et

    l'ancestralit chez les

    Yagua

    du Prou

    en fonction des types

    de

    mort et

    de

    spulture

    (Chaumeil,

    1992). Il

    nous semblait

    pouvoir

    mettre

    en

    vidence un processus

    d'ancestralisation

    (transfo

    rmation

    'une catgorie de mort

    en anctre),

    rserv dans cette socit

    des

    person

    nages

    mportants, notamment les

    grands

    guerriers

    dont

    les noms

    taient immortaliss

    dans

    un

    genre particulier

    de

    rcits piques. Le

    traitement

    funraire de ces individus

    contrastait avec celui

    des

    gens

    du

    commun

    soumis

    un recyclage de leurs lments

    vitaux

    et

    vous

    une certaine

    forme

    d'anonymat.

    considrer ce qui

    vient d'tre dit,

    une rvision

    de

    la

    question funraire

    dans

    les

    basses

    terres

    s'impose. Plusieurs types de traitement funraire seront

    examins, cha

    cun

    pouvant

    ventuellement

    se combiner avec

    un

    ou plusieurs

    autres.

    L'abandon du

    cadavre

    comme mode funraire principal a

    t attribu

    de rares

    groupes

    ;

    il s'appli

    quelus gnralement

    aux

    individus accuss de sorcellerie. Les

    Matsiguenga du

    Prou, par exemple,

    abandonnent

    souvent leurs dfunts sur de frles esquifs

    livrs

    au

    courant

    des

    rivires,

    mais

    pratiquent

    aussi l'inhumation directe (Renard-Casevitz,

    communication personnelle). Quoi qu'il

    en soit,

    l'abandon du cadavre

    exprime

    sans

    doute la

    forme la

    plus radicale de rupture

    entre

    les

    vivants et

    les morts. L'immersion du

    corps,

    pratique

    aux

    termes

    de

    funrailles

    complexes

    par

    les

    Bororo

    et

    les

    anciens

    Saliva, est par ailleurs

    peu

    reprsente dans

    les basses terres.

    L'inhumation

    Procd

    funraire

    fort

    rpandu

    dans

    l'aire qui

    nous occupe, l'inhumation peut tre

    simple

    (en

    terre ou en urne) ou double

    (un laps

    de temps spare

    le

    premier enterrement

    du second

    considr comme dfinitif).

    L'inhumation

    directe

    en

    terre est reporte chez certains groupes

    tupi

    et

    carib.

    Elle

    a

    lieu

    dans

    la

    maison

    (souvent

    abandonne

    mais

    pas

    toujours),

    sur

    la

    place ou

    en

    fort

    (une

    hutte miniature

    marque

    parfois

    l emplacement de

    la

    tombe).

    Les

    anciens

    Tupi-

    namba

    combinaient

    deux

    modes

    d'ensevelissement

    ;

    l'un

    directe

    en

    terre,

    l'autre en

    urne.

    Dans

    le premier

    cas, une

    chambre funraire tait amnage pour empcher

    la

    terre

    de

    peser directement sur le cadavre, rappelant ainsi le principe

    de

    l'urne.

    Lorsqu'ils abandonnaient

    leurs

    villages, les Tupinamba avaient l'habitude de dposer

    des

    feuilles du

    palmier pindo sur les

    tombes pour

    que

    l emplacement

    en ft

    reconnais-

    sable

    et

    la

    mmoire des

    morts conserve

    (Mtraux

    1947, citant Jean de Lry).

    La

    coutume

    de l'enterrement direct

    en

    urne

    est

    commune aux

    Guarani

    dont on a

    souvent

    dit

    qu'ils

    taient

    l'origine de ce mode

    funraire.

    Cette coutume est

    galement

    frquente dans

    le Chaco

    et chez de nombreux groupes de l'Amazone (Nordenskild,

    1979 ;

    Boglr,

    1958).

    Les Chiriguano du Chaco enterrent de cette faon leurs morts

    l'intrieur

    des

    demeures

    qui

    continuent d'tre habites.

    On

    peut penser

    que

    les

    peuples

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    8/30

    88

    JOURNAL

    DE

    LA

    SOCIT

    DES AMRICANISTES [83, 1997

    qui

    enterrent

    les morts dans

    la maison habite cultivent

    leur gard un tout autre

    rapport que

    ceux qui dtruisent ou abandonnent

    leurs demeures

    aprs l'inhumation.

    D'aprs Nimuendaju (1952), les

    Ticuna

    de l'Amazone pratiquaient

    jusqu'

    la fin du

    sicle

    dernier

    l'enterrement

    primaire

    dans des urnes parfois

    ornes

    de

    colliers

    de dents

    humaines

    (trophes

    pris sur

    l ennemi)

    qu'ils

    visitaient

    rgulirement.

    De

    nombreuses

    urnes funraires ont

    galement

    t dcouvertes

    sur le

    fleuve

    Japur,

    restes peut-tre

    d'anciens cimetires (Mtraux, 1930).

    Les

    Cocama du

    haut Amazone combinaient

    l'ensevelissement direct

    en

    urnes avec les funrailles secondaires

    en

    urnes plus

    petites

    dans lesquelles

    reposaient

    les os de certains morts (Figueroa, 1986, Maroni, 1988).

    D'autres, tels les Cubeo du nord-ouest

    amazonien,

    ont

    progressivement abandonn

    les urnes au

    profit de

    cercueils confectionns avec

    d'anciennes

    pirogues. Si la

    nature

    du

    contenant change,

    le

    principe de

    protection

    du

    cadavre demeure le mme.

    Les

    doubles funrailles

    L'inhumation double

    en

    urnes est surtout caractristique des groupes

    arawak

    (Antilles, Ornoque, nord et sud

    de

    l'Amazone, Jurua-Purus,

    Mojo), mais

    se retrouve

    aussi

    avec

    de multiples

    variantes ailleurs. Les os (entiers

    ou rduits

    en

    cendres) sont

    soit r-inhums, soit dposs dans des urnes ou dans des paniers funraires. Dans ces

    deux

    derniers cas,

    ils sont

    gnralement

    conservs

    dans la

    maison du dfunt ou placs

    dans des cimetires communs. Comme beaucoup

    d'autres

    pratiques ancestrales, la

    conservation domicile des os des dfunts s'est rarfie, remplace par l'enterrement

    chrtien

    en

    spultures individuelles.

    Les

    paniers funraires ont t signals chez les

    Warau

    du delta de

    l'Ornoque et

    les anciens

    Carib (Gumilla,

    1758). Certains Arawak

    et

    Carib

    des

    Guyanes

    prfraient distribuer les

    os

    aux

    parents

    des

    dfunts

    qui

    les

    gardaient ainsi sparment. La conservation des os

    en

    urnes ou

    en

    paquets tait

    galement trs rpandue, notamment les os longs

    et le

    crne souvent peints au roucou

    (comme chez les Guahibo des llanos de

    Colombie). Les Yuko (Carib

    de la

    Sierra

    de

    Perij) ont

    un rituel

    funraire complexe (Reichel-Dolmatoff, 1945). Le

    cadavre est

    d'abord

    momifi au feu,

    inhum dans

    sa

    maison

    qui

    est abandonne

    puis

    exhum

    deux

    ans

    aprs. La momie est alors nettoye,

    enveloppe

    dans de

    nouvelles

    nattes et

    transporte

    en

    grande

    pompe

    au

    village

    o

    un bal

    est clbr

    en

    son honneur (les

    parents

    dansent avec le cadavre momifi). Le lendemain, un proche parent garde la

    momie suspendue au toit

    de

    la demeure

    pendant

    plusieurs

    semaines ; puis

    c'est au

    tour

    d'un

    autre membre de

    la

    famille

    et

    ainsi de suite. Au terme de ce voyage familial,

    la

    momie

    est

    dpose

    dans

    une

    grotte-cimetire

    o

    des

    centaines d'autres momies

    reposent. La prsence

    de ncropoles sous

    roche

    dans cette partie

    septentrionale

    de

    l'Amrique

    du

    Sud a

    d'ailleurs

    trs tt suscit l'intrt des voyageurs (mais aussi des

    pilleurs de tombe).

    Les

    cimetires

    Contrairement

    l'ide

    commune,

    l'existence de

    cimetires indignes (antrieurs

    la

    priode

    coloniale) est moins

    rare qu'on l'a

    prtendu, et

    le deviendra probablement

    encore moins lorsque

    les nombreux sites archologiques,

    notamment en

    Guyane,

    auront

    fait

    l'objet

    de

    fouilles

    systmatiques, ce

    qui

    est

    loin

    d'tre

    le

    cas.

    Des

    ncropoles

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    9/30

    Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 89

    anciennes

    ont

    t

    rpertories, outre le cas mentionn plus haut, le long du littoral

    guyanais et

    de

    l'Amapa, dans l'le de Maraj, dans les rgions de Manaos,

    du

    Japura

    et

    de

    l'Atures,

    dans

    le haut-Xingu, le

    long de

    l'Ucayali central, chez

    les Guajiro, les

    Karaj

    de

    Araguaia

    et, plus au

    sud,

    chez les

    Kaingang,

    les Mbay

    et

    les

    Guaicuru

    du

    Chaco.

    Lors

    d'une exploration reste clbre,

    Humboldt visita en 1800 la

    caverne

    d'Ata-

    ruipe, prs

    d'Atures,

    o il

    dnombra plus de 600

    squelettes

    peints au

    roucou

    ou

    enduits

    de

    rsine et dposs dans des paniers et des urnes.

    Crevaux

    puis Chaffanjon

    (1889)

    examinrent plus

    tard

    d'autres ncropoles dans

    la

    mme rgion, uvre

    selon

    eux des anciens Atures. Non loin de l, les Piaroa auraient galement

    respect jusqu'

    rcemment la coutume

    de

    conserver leurs morts

    pralablement

    inhums dans des

    cavernes profondes servant d ossuaires.

    Outre la prsence

    de

    cimetires dcouverts dans la

    rgion

    de Counany et dans

    l'le

    de Maraj (Roosevelt, 1994), plusieurs groupes arawak connaissaient ce

    mode

    d'enterrement

    collectif.

    Au

    milieu du

    xixe sicle,

    Marcoy

    (1869)

    dcrit

    l emplacement

    d'antiques spultures ouvertes prs de Manaos qui auraient appartenu aux anciens

    Manao et

    Bar.

    Ces mmes cimetires furent visits quelques

    annes

    plus tard par

    Keller-Leuzinger

    qui dnombra plusieurs

    centaines d'urnes alignes

    les

    unes

    ct des

    autres

    faible

    profondeur et contenant des squelettes entiers placs en

    position

    accroupie (Keller-leuzinger, 1874). Mtraux

    (1930)

    pense

    que

    tous ces vestiges

    fun

    raires

    du

    moyen

    Amazone sont

    l'uvre

    de populations arawak.

    Le chanon des

    urnes

    s'tend vers le

    haut

    Amazone avec

    les Tupi

    (Omagua,

    Cocama)

    tandis qu'il s inte

    rrompt

    en direction

    du bas

    Amazone

    la hauteur de

    Santarem

    o, malgr les fouilles

    de

    Nimuendaju, aucune prsence d'urnes

    n'est

    atteste (on pense que les Tapaj

    prati

    quaient

    l'endocannibalisme

    comme mode

    funraire

    principal).

    Plus

    au

    nord, les

    Palikur de l'Oyapock

    entretenaient jusqu'

    une

    date

    rcente des cimetires claniques.

    Les ossements taient

    prpars soit

    par ebullition ou

    boucanage, soit

    par

    putrfaction

    dans une premire

    spulture,

    puis taient dposs dans une

    seconde urne

    aprs une

    priode de conservation dans la famille du

    dfunt

    (Grenand Grenand,

    1987).

    Comme beaucoup de

    leurs

    voisins de la famille

    g,

    les Bororo du

    Brsil

    central

    pratiquaient

    la

    double inhumation mais, ce qu'il semble, selon deux modalits

    diffrentes : les reliques

    taient

    soit

    immerges

    au fond d'une

    rivire

    ou d'un

    lac,

    soit

    dposes dans des grottes

    flanc

    de

    rocher.

    Lvi-Strauss

    (1964)

    a surtout

    retenu la

    premire technique,

    les salsiens

    la seconde, qui

    serait plus

    ancienne (Albisetti

    Venturelli, 1962).

    Les

    missionnaires dcouvrirent

    en effet

    dans

    des grottes

    plusieurs

    paniers

    funraires

    contenant

    des

    ossements

    dcors

    d'origine

    bororo. Ils en conclurent

    que

    les Bororo

    durent

    modifier

    un moment

    donn

    leur systme

    d'inhumation

    dfinitive des os, peut-tre

    cause des

    pillages

    des

    reliques

    dans les grottes-cimetires.

    Quoi

    qu'il en soit, les funrailles bororo se droulent selon un rituel trs labor.

    Inhum sur la place

    centrale

    du

    village, le cadavre, copieusement arros, est

    soumis

    une putrfaction acclre.

    Les

    os sont ensuite exhums, nettoys, peints, orns de

    plumes

    et

    placs dans des paniers funraires exposs puis immergs conformment

    l'usage

    actuel.

    La fin du cycle funraire

    est

    marque par la destruction par

    le feu

    de

    tous les

    biens

    ayant appartenu au

    dfunt.

    En

    revanche,

    ce dernier

    ne

    disparat

    nullement

    de

    la

    mmoire des

    vivants

    puisqu'il fait l'objet d'une substitution rituelle

    sous

    les

    traits

    d'un compagnon

    ou

    ami

    formel

    qui,

    aprs

    les

    funrailles

    et

    durant toute

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    10/30

    Illustration non autorise la diffusion

    90

    JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83, 1997

    Fig. 1. Ossements dcors

    bororo

    (d'aprs la

    Enciclopedia

    Bororo,

    vol.l,

    1962) ;

    momie coroado

    conserve en urne (gravure du

    xixe

    sicle)

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    11/30

    Chaumeil,

    J.-R]

    MMOIRE ET

    TRAITEMENT

    FUNRAIRE

    EN AMAZONIE 9

    1

    sa vie, le reprsentera ici bas. Appartenant la

    moiti oppose

    du

    dfunt, il

    doit

    entre

    autres

    tuer

    un

    jaguar, quivalent mtaphorique du

    mort (Crocker, 1977 : 174-175).

    Toujours

    pour

    le Brsil,

    les

    Karaj

    de

    l'Araguaia

    accomplissaient, avant

    le

    Contact,

    la

    totalit

    de leur

    cycle funraire

    dans des cimetires

    situs

    en dehors des

    villages (Ptesch, 1992).

    Les

    funrailles

    s'effectuaient

    en

    deux

    temps

    sous

    la

    responsab

    ilit

    es affins du mort (procdure aujourd'hui abandonne). Selon Ptesch, la

    relation entre

    les

    vivants et

    les morts

    n'est

    pas ici rompue

    puisque

    ces

    derniers

    maintiennent

    une prsence

    constante

    dans la vie

    quotidienne

    des Karaj, notamment

    dans la

    chasse.

    L'auteur s'exerce sur ce thme

    une comparaison entre

    les

    funrailles

    g, bororo et karaj.

    Alors

    que

    certains G (pas tous) ont tendance rintroduire dans

    l'espace social des ossements

    de morts

    inhums

    l'extrieur du village, les Bororo

    pratiquent plutt l'inverse (les

    os circulent de la place du

    village vers

    les rivires ou les

    abris rocheux). Les Karaj

    entretiennent, quant

    eux, un troit paralllisme

    entre

    l'espace socialis des morts (cimetire) et celui des vivants (village). Dans le premier

    cas, on pourrait avancer

    que

    le

    principe

    de

    rupture

    avec

    la

    communaut

    des

    morts

    est

    attnu par le

    retour

    des

    os, dans

    le

    second

    par la reprsentation

    rituelle du mort

    par

    un

    membre vivant de l'autre moiti, dans le troisime par les

    changes

    avec les

    esprits des morts.

    Les Kaingang (G)

    du

    Brsil

    mridional

    enterraient galement leurs dfunts dans

    des

    sortes

    de cimetires comprenant plusieurs

    tumulus

    dans lesquels taient

    amnag

    es

    es chambres funraires.

    De tels

    tumulus

    ont

    t

    signals

    ds le xvine sicle

    chez

    les anctres de ce mme groupe. Le soin extrme avec lequel ils

    rigeaient

    ces tombes

    coniques tmoigne

    de l'importance accorde aux morts dans

    leur

    socit.

    L'incinration

    En dehors de l'incinration partielle associe

    l'endocannibalisme,

    la crmation

    simple tait surtout

    pratique

    au nord

    de

    l'Amazone,

    chez

    les Carib des Guyanes

    en

    particulier. Procd funraire devenu exceptionnel

    de

    nos jours.

    Il

    tait autrefois

    courant

    chez les

    Wayana,

    sauf

    pour

    les chamanes que l'on

    enterrait.

    D'autres socits

    procdaient exactement l'inverse ; les Aparai, par exemple, pour qui la crmation

    tait le privilge

    exclusif

    des chamanes et des

    chefs

    (Linn,

    1929). Les cendres taient

    le plus souvent

    enterres,

    rassembles

    au

    sol

    ou dans une petite hutte spciale sur le

    lieu

    de crmation, ou encore places avec les restes d'os calcins dans des

    poteries

    ou des

    paniers conservs dans les maisons

    et que l'on

    pouvait

    ventuellement transporter lors

    des

    dplacements.

    On

    le

    voit,

    la

    crmation,

    comme d'ailleurs l'endocannibalisme,

    est

    un

    procd

    parfaitement congruent avec la

    thorie

    des

    doubles

    obsques.

    Il

    s'agit

    avant tout d'un

    traitement

    anti-putrfaction,

    l'oppos du corps

    expos ou aban

    donn.

    Pour Thomas (1980 : 179) l'ignition est moins axe sur la destruction que sur

    la conservation, car le feu ne fait que hter la dissolution des parties molles pour

    arriver aux

    restes .

    La momification

    Trs importante dans les cultures andines, elle

    l'tait

    galement dans les basses

    terres

    (essentiellement

    sur

    l'Amazone

    et

    au

    nord

    jusqu'au

    Darien)

    une

    poque

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    12/30

    92 JOURNAL

    DE

    LA

    SOCIT

    DES

    AMRICANISTES

    [83,

    1997

    antrieure

    la

    Conqute. Plus

    que

    tout autre

    mode

    funraire,

    il s'agit

    d'un

    procd

    slectif appliqu en priorit

    aux

    personnages minents (chefs, grands

    guerriers

    et

    chamanes). La momification

    pouvait

    tre ralise par

    dessication

    au soleil, au feu ou

    par

    embaumement

    l'aide

    de

    rsines vgtales.

    Elle tait

    souvent

    couple avec

    l'enterrement

    en

    urne

    ou

    avec

    la

    surlvation.

    La

    dessication

    des

    cadavres

    au

    moyen

    de

    la fume est

    pratique

    ou a t

    observe

    jusqu' une date relativement rcente par

    plusieurs socits indignes du Venezuela

    (voir

    plus

    haut

    les Yuko)

    et

    du Brsil, parmi

    ces dernires les Maus, les Apiaca, les Mundurucu, les Puri-Coroado ou les anciens

    Tapaj.

    propos de ces

    derniers,

    Nimuendaju

    (1949) emprunte

    aux

    missionnaires

    J. Betendorf et J.

    Daniel

    des faits relevs dans la

    seconde

    moiti

    du xvne sicle

    concernant

    un

    prsum culte des cadavres schs . Ces pratiques de momification

    rserves aux personnages

    importants

    auraient t couples avec l'endocannibalisme

    funraire, hypothse tout du moins avance pour

    expliquer l'absence

    de traces de

    tombes dans la rgion

    (Nordenskild,

    1930). Les anciens Puri-Coroado

    du

    Brsil

    dposaient

    les

    dpouilles

    momifies de

    leurs

    chefs

    dans d'imposantes

    urnes

    enterres

    au pied de certains

    grands

    arbres. Ces momies pares des plus beaux ornements,

    dont

    on trouvait encore de charmants spcimens au dbut du

    xixe

    sicle, prsentaient des

    ressemblances frappantes avec celles des

    anciens

    Pruviens. Le desschement au

    feu

    des

    cadavres

    tait

    galement pratiqu

    par les Mau de l'Amazone jusqu' une date

    relativement rcente (Nunes Pereira, 1954). Les Mundurucu conservaient

    de

    la mme

    manire

    (pendant cinq

    et quatre ans), et les

    ttes

    momifies des

    ennemis,

    et celles de

    leurs

    parents

    morts au

    champ

    de bataille ( dfaut de la tte,

    on

    rapatriait

    un

    bras ou

    une jambe),

    tandis que

    les morts domicile recevaient

    un

    traitement

    en

    urnes

    (Tocantins,

    1877, Ihering, 1907, Menget, 1993).

    Nanmoins,

    une fois les annes

    coules,

    les

    ttes

    prises

    sur

    l'ennemi

    taient

    abandonnes,

    les

    autres

    enterres

    chez

    soi.

    L'analogie de traitement

    entre

    le

    parent

    tu

    chez l'ennemi et l'ennemi n 'est

    donc pas

    totale. L'inhumation finale rintroduit

    le premier dans la sphre des

    parents,

    l aban

    don

    lace le second

    hors

    de

    la parent. Le mouvement

    du

    mort est inverse. Si la figure

    du

    mort comme

    ennemi

    ne

    peut donc s'appliquer intgralement au cas Mundur

    ucu

    n

    observe cependant une

    correspondance

    entre la

    phase active des reliques

    rapatries et celle des trophes ennemis. Le lecteur aura repr certains mcanismes

    funraires des anciens Tupinamba, la

    diffrence que

    ce sont ici les morts

    en

    guerre,

    et

    non les

    dfunts

    domicile,

    qui sont pars

    des

    attributs rservs aux ennemis.

    La surlvation

    L'exposition des cadavres

    sur des plates-formes surleves est une

    pratique trs

    voisine

    de

    la momification naturelle (maximum de

    putrfaction).

    Gnralement comb

    ines

    avec

    d'autres modes

    funraires,

    les spultures ariennes ont

    t

    releves,

    entre

    autres, chez les Warao, les

    Yukpa,

    les Siriono, plusieurs groupes

    du Chaco

    (les

    Mataco

    par

    exemple)

    et les Jivaro. Chez ces derniers, la

    surlvation

    des

    cadavres

    se ralisait

    soit l'aide de plate-forme, soit dans des troncs creux

    suspendus

    au

    toit

    des

    maisons

    ou sous

    un

    abri quelque distance du

    lieu

    d'habitation. Aujourd'hui les morts sont le

    plus souvent enterrs dans

    la demeure

    qui

    n'est

    abandonne

    qu'au

    dcs du matre de

    maison. L utilisation d'urnes

    est

    rserve aux cadavres

    d'enfants,

    mais

    il n'est

    pas

    exclu

    que

    ce

    mode

    funraire

    ait

    joui

    d'une

    plus grande

    diffusion

    dans

    le

    pass

    (surtout

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    13/30

    Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 93

    si

    l'on considre

    l'association

    tronc creux/urne). Les grands

    guerriers recevaient

    un

    traitement funraire particulier proche de

    la

    momification

    naturelle

    : orns de

    leurs

    plus belles

    parures

    et

    de

    leurs armes, ils taient laisss sur leur propre banc, le dos

    appuy au pilier

    central

    de la case,

    protgs des

    prdateurs

    par

    deux

    palissades.

    Si les

    donnes

    sont exactes,

    les

    Jivaro

    connaissaient

    au

    moins

    deux

    modes

    funraires

    :

    l'inhumation simple (en terre ou en urne)

    et

    la surlvation

    (sorte

    de

    momification

    naturelle

    dans laquelle entraient les obsques des

    grands

    guerriers), cette dernire

    parfois

    couple

    avec l'enterrement double si l'on en

    croit

    Stirling (1938) et

    Eichenber-

    ger

    (1961, propos des

    Aguaruna).

    Harner

    (1977)

    signale

    encore la

    possibilit pour

    un

    grand

    guerrier jivaro de communiquer

    ses fils

    sa

    volont

    de transmettre chacun

    d'eux l'une de

    ses

    mes

    arutam

    qui se formeront son

    dcs.

    Autant d'lments qui

    n'accrditent pas vraiment

    l'ide

    d'une rupture radicale avec les morts et contrastent

    avec les

    rcents

    travaux de Taylor (1993).

    Si

    la surlvation

    tait

    le mode

    funraire

    principal

    des

    Jivaro avant l'influence missionnaire, elle n 'tait

    sans

    doute pas le moyen

    le

    plus

    efficace

    d'attnuer

    la

    prsence physique

    des

    morts.

    L endocannibalisme

    Parfois

    coupl avec le cannibalisme de chair, ce mode funraire a fait l'objet de

    plusieurs

    tudes

    compares qui

    ont dmontr son

    anciennet

    et

    sa

    grande diffusion sur

    le

    continent

    (Linn,

    1929

    ;

    Boglr, 1958

    ;

    Zerries, 1960). L'aire d'extension

    couvre

    le

    nord

    du

    littoral atlantique, le haut Ornoque, le

    nord-ouest

    et le

    haut Amazone,

    l'Ucayali.

    l'exception des Guarani,

    spcialistes des ossements en urnes,

    on

    le trouve

    rparti dans la plupart

    des

    socits des basses terres,

    en

    association ou

    non

    avec

    d'autres

    pratiques

    funraires.

    Le

    rite

    consiste

    rduire

    en

    poudre

    les

    os

    calcins

    (parfois les cheveux) du mort, poudre qui

    sera

    absorbe ensuite sous

    forme

    de boisson

    par les parents plus ou moins proches du dfunt.

    Les

    os sont

    gnralement

    obtenus par

    crmation

    partielle encore qu'ils puissent

    l'tre par

    dcomposition

    des

    chairs

    sur

    plate-forme ou

    par

    inhumation simple (principe

    des

    doubles funrailles). L'ingestion

    des cendres peut tre

    immdiate

    ou se prolonger sur plusieurs annes ;

    la

    poudre d'os

    est

    alors conserve dans

    des calebasses

    ou

    des

    paniers funraires.

    Les

    Wari

    (Pakaa

    Nova)

    du rio

    Mamor

    cumulent

    endo-

    et

    exo-cannibalisme

    (Vilaa, 1992,

    Conklin, 1995).

    Les chairs cuites des dfunts

    sont consommes

    par

    petits morceaux, les

    os

    calcins

    inhums ou

    mlangs

    du miel

    pour

    tre ingrs par

    les

    parents

    distants. Les biens du mort sont dtruits

    mais

    le nom

    reste.

    Une crmonie

    de

    fin

    de

    deuil

    marque

    le

    passage

    du

    mort

    de

    l'tat

    d'humain

    celui

    d'animal

    (gibier

    des humains).

    L'extriorisation

    du mort comme proie ou

    ennemi

    est assez explic

    ite,

    e travail

    de

    mmorisation rduit apparemment la seule perptuation du

    nom.

    Les

    Yanomami s'emploient galement effacer toute trace matrielle pouvant rappel

    er

    la communaut la prsence physique des morts

    (Clastres Lizot,

    1978 ;

    Albert, 1985). Pourtant la mmoire individuelle du

    dfunt

    survit

    la

    disparition

    du

    corps, surtout

    s'il s'agit

    d'une personne talentueuse ou d'un guerrier courageux tu au

    combat. Les os pulvriss

    sont conservs dans

    des

    gourdes funraires

    et

    absorbs

    progressivement par

    les

    parents (afns

    inclus)

    sur des

    priodes pouvant exder

    10-

    15 ans selon la dure des prparatifs

    de vengeance.

    Le travail sur

    les

    os

    apparat ici

    comme

    l'ultime

    refuge

    de

    la

    mmoire du

    mort

    (Albert,

    communication

    personnelle).

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    14/30

    94

    JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83, 1997

    Loin

    de

    tout

    effacer, ce

    que tente donc

    de

    raliser

    le rite

    endocannibale est un quilibre

    difficile

    d'oubli

    et

    de mmoire (Clastres Lizot, op. cit.).

    La

    substitution

    funraire

    II

    arrive

    parfois que

    les morts soient reprsents par des parties du corps (mches

    de cheveux, dents ou ongles), par des objets

    (poteaux,

    tronons de bois), voire par une

    personne vivante

    comme

    dans le

    cas

    bororo chez

    qui

    l'ami formel

    appartenant

    l'autre moiti

    uvre durant sa

    vie en

    qualit de

    substitut

    rituel du dfunt (Crocker,

    1977). L'existence de

    statues

    qu'il fallait nourrir ou de figurines anthropomorphes

    contenant des restes

    mortuaires

    (reliquaires) tait

    commune,

    semble-t-il, aux Arawak

    des les et de terre ferme

    l'poque de la

    Conqute. De tels

    objets ont

    galement

    t

    relevs diffrentes

    poques dans

    plusieurs rgions des basses terres. On

    peut suppos

    er

    ue leur

    tude, si

    elle

    avait eu lieu, aurait notablement enrichi nos connaissances

    sur

    les

    reprsentations

    et

    les

    rapports

    aux

    morts

    dans

    cette

    rgion.

    Rares

    sont

    aujourd'hui les situations o

    il

    est permis d'observer ces formes de substitutions

    funraires. Les Uni (Cashibo) du

    Prou

    confectionnent encore des statues

    de

    bois

    reprsentant

    des

    morts,

    l'occasion d'une crmonie de leve de

    deuil clbre

    lorsque

    le

    souvenir

    prouv

    par certaines

    personnes l'gard

    des dfunts

    se rvle

    trop intense

    (Frank, 1994).

    Des paquets

    de mches de cheveux

    leur

    ayant appartenu,

    gards

    habituellement

    en pendentif autour

    du

    cou des

    parents,

    sont alors

    accrochs

    la

    statue porte

    en

    procession au village, puis

    dtruits.

    Le

    retour

    du ou des morts

    (selon le nombre de paquets accrochs) peut donc s'interprter comme une

    forme

    de

    doubles obsques :

    une fois

    les substituts funraires

    dtruits,

    le

    souvenir des

    morts

    est

    cens

    perdre

    en

    intensit.

    Les Guahibo

    recouraient galement

    ce

    genre

    de

    substitu

    tionunraire

    : ongles et

    mches de cheveux prcieusement gards,

    non pas cette fois

    par les

    parents, mais

    par

    le chamane qui

    consultait

    rgulirement

    les paquets

    de

    reliques

    pour connatre l'origine du

    dcs, prlude indispensable

    la ralisation,

    l'anne suivante, des secondes obsques

    en urnes

    (Chaffanjon, 1889).

    Enfin,

    l'hypo

    thse 'une

    reprsentation

    des

    morts par

    des

    troncs

    de

    bois lors

    des

    fameuses courses

    aux

    troncs lies

    aux

    funrailles chez les

    G a

    t suggre

    (Stahle,

    1971-72

    ;

    Ptesch

    1983). On voquera encore le

    complexe funraire

    kuarup du

    haut-Xingu

    (notamment

    le rituel egitsu des

    Kalapalo),

    dans

    lequel

    des tronons

    de

    bois fichs en

    terre

    incarnent

    des

    chefs

    morts rcemment.

    Les

    mythes racontent comment ces morts illustres repr

    sents par des poteaux se transforment au cours du rituel

    en

    personnes vivantes

    que

    les

    chamanes

    doivent contenir

    par

    d'abondantes

    fumigations

    de

    tabac

    (Basso,

    1 973).

    Ces reprsentations

    de

    morts par des

    objets rituels se retrouvent

    galement

    dans

    le complexe des fltes sacres

    que nous

    examinerons plus

    loin.

    Les os

    et

    la

    mmoire des morts

    L exercice auquel

    nous venons de nous livrer

    fait apparatre

    deux

    sries

    de trait

    ement funraire.

    Alors

    que d'un ct certains groupes s'efforcent de gommer les traces

    et la mmoire des morts,

    de

    l'autre,

    on

    cherche au contraire maintenir une continuit

    entre

    les

    vivants

    et

    les morts

    (travail

    sur

    les

    os).

    Peu

    traite

    par

    l'ethnologie

    amazoniste,

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    15/30

    Chaumeil,

    J.-R]

    MMOIRE ET

    TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 95

    cette seconde srie retiendra notre attention. La coutume de

    prserver

    les

    os des

    morts

    durant des

    priodes

    plus ou moins

    longues

    est

    en

    effet atteste dans plusieurs socits

    d'Amazonie, des

    Guyanes

    et

    du

    Chaco. Parmi elles, les Guarani ont manifest un

    intrt tout particulier pour les

    reliques qu'ils

    transportaient

    parfois, rassembls

    en

    paquets,

    lors

    des

    dplacements

    saisonniers

    (Vignati,

    1941-46).

    Dobrizhoffer

    (1822)

    dit

    avoir vu des

    Guarani

    non

    christianiss convoyer

    dans

    leurs

    dplacements des

    petites

    botes contenant les os

    de

    leurs chamanes dans lesquels ils plaaient

    beaucoup

    d'esprances.

    Les

    Mby prservaient galement

    pendant

    plusieurs

    annes

    les os des

    morts (pas seulement des chamanes) et ne les

    jetaient

    que

    lorsqu'un

    message des

    dieux

    avait fait savoir qu'ils

    ne revivraient pas.

    (Cadogan, 1950,

    Clastres,

    1975).

    Ces

    diff

    rents

    rituels voquent

    celui que

    Ruiz de Montoya observa chez les

    Guarani

    du

    Paraguay. Le missionnaire dcouvrit dans

    la

    fort

    profonde

    des sortes de temples o

    reposaient

    les os

    desschs

    des grands chamanes que l'on consultait comme des

    oracles

    :

    les

    reliques, parfois fort

    anciennes

    et

    richement

    pares,

    se mettaient

    alors

    parler

    et

    l'on accordait

    le

    plus grand

    crdit

    leurs

    prophties

    :

    elles

    taient

    censes

    assurer de bonnes

    semences, des

    annes fertiles

    et prospres. Rfutant

    l'ide d'une

    quelconque influence chrtienne, Combes

    (1992)

    place ce culte dans

    la

    tradition

    tupi-guarani

    de

    rsurrection des chairs

    partir des

    os frais

    ,

    pratique assimile

    un

    kandire.

    Comme le rappelle

    Mtraux

    (1928) :

    Ces morts illustres ressuscitaient et

    vivaient en chair

    et en

    os

    en certaines

    occasions .

    Dans

    d'autres

    socits (chez les

    Yuruna

    et les Apiaka, ou encore

    chez

    certains Arawak

    du

    Punis), l'usage

    de

    conserver

    les os s'appliquait la plupart des dfunts.

    Loin d'tre rserv aux chamanes et aux leaders, le travail sur les os concernait

    galement une autre classe de morts : celle des guerriers tus au champ de

    bataille,

    voire

    quiconque

    mourait

    loin

    de

    sa

    demeure.

    Procd

    trs

    rpandu

    dans

    les

    basses

    terres,

    l'obligation de

    rapatrier une

    partie du corps dfunt souligne l'importance

    accorde au

    territoire

    natal comme

    lieu

    de

    retour des

    morts tombs

    en terre

    tran

    gre.On aurait

    quelques

    difficults voir dans cette pratique

    la manifestation d'une

    rupture

    avec les morts. Le pre Fauque

    a laiss

    un

    tmoignage

    important

    (milieu

    du

    xvne sicle) sur les modalits de rapatriement des

    reliques chez

    les Palikur

    de Guyane.

    On

    retrouve un

    usage identique

    l'autre

    extrmit du

    sous-continent,

    chez les Abipo-

    nes

    du

    Paraguay qui

    convoyaient

    dos

    de

    cheval, sur

    de

    grandes distances, les os des

    morts

    pour

    les

    dposer

    sur les tombes familiales. Les Mundurucu, auxquels nous nous

    sommes dj rfrs, rendaient

    de

    mme un

    hommage funbre

    aux guerriers tus

    chez

    l'ennemi

    en

    rapportant

    la

    tte ou

    l'humrus

    comme substitut

    du corps.

    La responsab

    ilit

    e

    l'opration

    incombait

    un

    compatriote

    appartenant

    l'autre moiti

    qui

    prenait grand soin des reliques,

    dormait

    avec

    comme s'il s'agissait d'un

    enfant

    (Murphy,

    1958).

    Traites par momification naturelle, elles faisaient

    l'objet, pendant

    quatre

    annes

    conscutives,

    de crmonies

    d'hommage aux morts. Durant

    ces manif

    estations o

    l'on

    jouait des fltes sacres,

    la veuve, la

    mre ou

    la

    sur du dfunt

    arboraient autour du cou les restes qui

    taient finalement

    enterrs dans

    la maison

    du

    dfunt,

    ce qui les

    diffrenciait

    des trophes de guerre, gnralement abandonns au

    bout de cinq

    ans.

    Ainsi les reliques

    des

    guerriers

    taient conserves dans la moiti

    oppose, puis

    enterres

    chez

    soi, les trophes

    de

    guerre gards

    chez soi, puis

    extrior

    iss.

    l s'agissait,

    dans le premier cas,

    de re-consanguiniser

    un mort temporairement

    afnis

    ,

    dans

    le

    second,

    d'affiniser

    un

    mort

    pralablement

    consanguinis

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    16/30

    Illustration non autorise la diffusion

    96

    JOURNAL DE LA SOCIT DES AMRICANISTES [83,

    1997

    Fig.

    2.

    Reliques

    siriono

    transportes

    dans

    les

    dplacements

    (d'aprs A. Fernandez

    Distel, 1984-1985)

    ;

    paquet funraire guarani (d'aprs Vignati,

    1941-1946)

    Les

    Ipurina du Purus

    avaient coutume

    de

    clbrer en

    grande pompe

    une crmonie

    durant laquelle un

    parent

    rappelait les exploits

    guerriers du

    mort en brandissant un de

    ses os. Le

    cas

    des Siriono de l'Orient bolivien illustre

    mieux

    encore ce

    rapport

    de quasi

    intimit

    entre

    vivants et morts par ossements humains interposs. Selon Fernandez

    Distel (1984-1985), les Siriono auraient

    connu

    successivement trois modes

    funraires

    :

    1)

    transport du

    squelette dans

    le

    nomadisme saisonnier (procd

    le

    plus

    ancien),

    2)

    doubles

    funrailles

    en

    terre,

    3)

    enterrement

    direct

    (d'introduction

    rcente).

    Dans

    le

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    17/30

    Chaumeil,

    J.-R]

    MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE

    EN AMAZONIE

    97

    premier cas, qui nous intresse au premier chef,

    le corps tait

    trait

    feu doux sur une

    plate-forme funraire

    selon des modalits qui

    pouvaient

    varier

    en

    fonction

    du statut

    du

    mort. Le

    campement tait dsert, mais

    la

    plate-forme rgulirement

    visite

    pour

    l'entretien du

    feu.

    On plaait alors

    le

    squelette dessch dans

    un grand

    panier.

    Ds

    lors,

    les

    ossements partageaient,

    pour

    ainsi

    dire,

    la vie

    des

    membres du groupe

    qui

    leur

    parlaient

    et

    les

    transportaient

    avec eux dans les dplacements saisonniers. C'est

    que

    les

    os des morts portaient chance

    la chasse et les

    crnes (ceux

    des personnages

    import

    ants urtout, hrits

    par

    le fils an)

    gurissaient

    les maladies les plus graves. En

    un

    mot, les morts assuraient

    protection

    aux vivants, qui

    leur rendaient en

    retour des

    marques

    de respect et de confiance. Avec l'introduction

    de

    la

    pratique

    des

    doubles

    funrailles en terre, seul le

    crne

    tait conserv pour ses vertus thrapeutiques, les

    autres restes brls et enterrs.

    Si

    les

    donnes

    sont exactes, les Siriono avaient donc

    mis

    au

    point un

    systme

    original

    de

    relation

    aux morts

    bas sur

    la

    protection

    rciproque,

    et

    non

    sur

    l'ide de

    rupture.

    Le complexe des fltes sacres

    On s'est interrog

    en

    dbut de texte, le lecteur s'en souviendra, sur une possible

    connexion

    entre

    le

    traitement

    des os et le

    complexe

    des fltes sacres dont le souffle, la

    musique

    ou tout simplement la vue

    a parfois, comme les crnes

    siriono, le

    pouvoir

    d'attirer

    le gibier

    ou de gurir les maladies graves

    {cf.

    les anciennes chroniques

    missionnaires

    de la fin

    du

    xvne sicle sur l'Amazone). On cherchera donc expliciter

    dans cette

    seconde

    partie le lien entre la

    possession

    des

    instruments,

    la

    conservation

    des

    os et

    la

    mmorisation

    des

    morts.

    La littrature amazoniste dsigne par

    fltes

    sacres

    (appeles

    Yurupari

    dans le

    nord-ouest amazonien) plusieurs

    instruments

    de musique jous exclusivement

    dans

    un contexte rituel

    (initiation

    masculine,

    rituels

    saisonniers d'change

    de nourriture,

    crmonie

    thrapeutique

    ou funraire) et reprsentant des entits

    ancestrales (mythi

    ques

    u claniques) ou non-humaines

    (esprit-oiseau

    par

    exemple)

    dont ils incarnent la

    voix et les os, parfois une partie du

    corps.

    Chez la plupart des groupes tucano et

    arawak du

    nord-ouest,

    les fltes reprsentent les ossements des anctres ponymes des

    clans qui, cette occasion, sont traits comme

    s'il

    s'agissait de personnes vivantes.

    Dans

    d'autres

    cas, elles

    abritent ou

    symbolisent

    la voix

    et

    les os de

    certaines

    catgories

    d'esprits

    ancestraux associs au

    gibier (Yagua, Mundurucu). Sans

    tre

    la rgle

    gnr

    ale,

    la

    frquence

    de

    telles

    associations

    permet,

    selon

    nous,

    de

    postuler l'existence

    d'une

    relation entre

    les fltes sacres

    et

    les

    os.

    Cet ensemble instrumental

    est en

    outre

    soumis

    un lourd interdit visuel

    de la

    part des

    femmes

    et des non-initis,

    sous peine de

    mort

    ou de

    maladie

    grave.

    L'interdit peut

    tre total ou

    partiel selon

    les

    cas, certains

    dtails

    par

    exemple de

    la construction des

    fltes

    ne

    pouvant

    tre vus.

    Ainsi

    dfinies,

    les

    fltes sacres

    se rapprochent d'un autre

    instrument

    fort

    ancien

    en Amazonie, le

    rhombe (prsent

    surtout

    dans l'est

    du

    Brsil

    et dans la rgion

    subandine du

    Prou).

    L'aire de distribution

    de

    ce

    complexe

    musical se

    concentre

    aujourd'hui dans

    l'ouest

    amazonien,

    le

    moyen Ornoque et

    le

    Brsil central (rgion

    du haut-Xingu

    notamment).

    Elle

    s'tendait autrefois le

    long de

    l'Amazone, dans les llanos

    de Colomb

    i

    t

    dans

    la vaste rgion

    allant du

    Purus

    aux

    savanes

    de

    Mojos

    (voir

    carte).

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    18/30

    Illustrationnon

    autoriseladiffusion

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    19/30

    Chaumeil, J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN

    AMAZONIE

    99

    Parmi les groupes arawak, auxquels

    on

    attribue gnralement l'origine de ce

    complexe,

    on trouve les instruments chez les

    Curripaco (associs

    l'initiation mascul

    ine

    t

    aux

    rites

    de

    cueillette), les Yukuna (initiation

    masculine)

    et les

    Achagua

    de

    Colombie

    (crmonies

    funraires). Ct vnzulien et

    brsilien, ils sont prsents chez

    les

    Warekena,

    les

    Wakuenai,

    les

    Baniwa

    et

    les

    Bar

    du

    haut

    rio

    Negro,

    associs

    l'initiation et

    aux

    rituels d'change de

    nourriture.

    Dans la rgion

    du haut-Xingu,

    les

    Mehinaku et les Yawalapiti gardent les fltes sacres avec les rhombes dans la maison

    des hommes.

    Selon

    des documents

    plus

    anciens,

    les Mojo, Baur, Maasi

    et Paressi,

    socits arawak

    autrefois

    puissantes

    et

    hirarchises, conservaient les instruments

    sacrs dans des temples2.

    Le

    complexe

    des fltes sacres occupe galement une place

    centrale

    dans

    la religion

    des Tucano

    du

    Vaups

    (Desana,

    Barasana, Makuna, Cubeo, ...),

    mais

    il est totalement

    absent

    chez

    les Tucano

    occidentaux.

    Les paires

    d'instruments

    sont ici places

    en

    correspondance avec

    les

    diffrents niveaux

    de

    segmentation

    sociale, de sorte

    que prise

    individuellement,

    chaque

    paire

    reprsente le segment

    clanique,

    prises

    collectivement

    elles incarnent

    la totalit

    sociale. Il

    semble que

    les Maku, chasseurs-cueilleurs

    nomad

    es ient

    emprunt

    aux Tucano sdentaires les fltes ainsi

    que leur

    systme de

    segmentation

    sociale.

    Les fltes sacres ont encore t

    signales

    par les premiers

    chroniqueurs chez les anciens Tupi (Tupinamba, Yurimagua, Omagua)

    et

    sont tou

    jours en

    usage chez

    les Mundurucu

    du Tapajos

    qui les utilisent dans la chasse

    pour

    sduire les esprits

    du

    gibier, un

    peu

    la manire des ttes-trophes. Les Piaroa

    du

    Venezuela (famille linguistique saliva) possdent quant

    eux l'une

    des panoplies les

    plus compltes

    d'instruments

    sacrs

    joue

    l'occasion des grands rituels

    sari

    ou

    warime, ensemble instrumental qui rappelle celui des anciens

    Saliva

    dcrits par le pre

    Gumilla au

    milieu du

    xvine sicle.

    Sur

    l'Amazone,

    les

    Ticuna

    et

    les

    Yagua

    fabriquent

    aussi de tels instruments

    en rapport

    avec les

    initiations et

    les grandes chasses collecti

    ves.

    a

    construction des

    grandes maisons communautaires chez les

    Witoto,

    Bora

    et

    Ocaina, pouvait galement

    donner lieu

    la

    clbration d'un rituel du mme type. En

    revanche,

    le complexe

    des

    fltes sacres

    est

    fort

    peu dvelopp

    chez les

    Carib,

    l exception

    des Carijona

    qui connurent

    une

    double influence (tucano

    et

    huitoto)

    et des

    Kalapalo

    qui, eux, appartiennent

    l'ensemble culturel du haut-Xingu

    Sur le

    plan organologique,

    cet

    ensemble

    musical

    comprend

    plusieurs classes

    d'instruments

    vent (trompes, tubes et fltes--bloc) gnralement jous par paires

    selon diffrentes formules : an/cadet,

    mle/femelle, long/court,

    et mis parfois

    en

    rapport

    hirarchique

    (trompes suprieures aux fltes, ou l'inverse) selon

    l'importance

    des

    entits reprsentes.

    Leur

    fabrication

    incombe

    aux

    hommes

    initis, en

    fonction

    des

    appartenances claniques, encore qu'elle puisse tre l'uvre de spcialistes comme chez

    les

    Mehinaku

    (Gregor,

    1979

    : 255).

    Les

    fltes prennent alors

    un

    prix lev

    et demand

    ent,

    our les

    acqurir, la fourniture

    de

    biens d'change

    de grande

    valeur. Dans

    ce

    cas,

    les

    instruments

    sont conservs

    dans la

    maison des

    fltes ou placs sous

    la

    respons

    abilit d'un gardien. Ailleurs, les instruments sont dtruits ou abandonns une fois les

    rituels achevs, except

    une

    partie (habituellement l'embout

    en

    bois

    imputrescible des

    trompes ou le corps des

    fltes)

    qui est prcieusement garde d'un rituel sur l'autre,

    enveloppe

    dans des corces et

    dissimule

    dans la fort profonde ou

    aux sources

    des

    ruisseaux, un

    peu comme

    s'il s'agissait

    d'une

    relique. Le gardien,

    celui qui prend

    soin

    des

    fltes

    selon

    l'expression

    des

    Desana

    du Brsil

    (D.

    Buchillet,

    communication

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    20/30

    Illustration non autorise la diffusion

    100

    JOURNAL DE

    LA SOCIT

    DES AMRICANISTES [83,

    1997

    Fig. 4. Trompes

    sacres

    (a, trompe d'corce du rio Tiqui b,

    tube en

    bois de Bactrsi du rio Aiary

    c

    trompe

    d'corce

    du

    Vaups). (d'aprs

    W.

    Roth, 1924).

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    21/30

    Chaumeil,

    J.-R] MMOIRE ET TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 101

    personnelle), sortira alors

    priodiquement de l'eau

    ou

    du

    sol le

    corps

    de l instr

    ument

    our s'assurer de sa

    parfaite conservation, jusqu'au jour

    o

    il sera

    rutilis pour

    confectionner de

    nouvelles fltes

    lors des prochains

    rituels.

    Cette

    pratique

    voque le

    principe des doubles

    funrailles

    successives (rappelons

    que

    les fltes incarnent les os de

    morts

    anciens).

    La

    coutume

    assez

    rpandue

    consistant

    nourrir

    les

    fltes

    avec

    des

    boissons ou

    du

    tabac pourrait s'interprter dans ce contexte comme une faon

    de

    redonner

    chair aux

    os

    des

    anctres, de les rendre en somme vivants, de chair

    et d'os,

    comme

    si l'on

    voulait marquer

    par cette

    rsurrection

    priodique un lien entre

    les

    vivants et

    les morts,

    une

    continuit

    entre

    les

    gnrations.

    Or beaucoup de socits

    ayant les fltes sacres

    pratiquaient

    les doubles funrailles

    en

    urnes

    (os

    entiers) ou

    l'endocannibalisme

    (os piles),

    deux modes funraires

    parfaitement en

    accord,

    pensons-nous, avec la thorie de la

    conservation

    des restes. Les mythes

    de l'ouest

    amazonien sur l'origine

    des fltes font d'ailleurs

    cho

    ces

    deux

    formes funraires.

    Selon la

    version la

    plus

    commune,

    ce sont les os calcins du hros

    mythique

    qui

    donnent

    naissance

    au

    palmier

    paxiuba

    {Iriartea sp.)

    partir

    duquel

    sont

    fabriques

    les

    fltes sacres, ses reliques ici-bas (Hugh-

    Jones,

    1979).

    Cet pisode de la rsurrection

    par les cendres se retrouve plus ou moins transform dans

    de

    nombreux mythes

    d'origine

    des fltes

    et suggre une

    association avec

    la

    pratique de l'endocannibalisme.

    Selon d'autres versions cependant, comme

    chez

    les Yagua, l'pisode des cendres

    manque : le hros

    gagne

    le ciel

    en

    sortant de son nombril une liane

    et

    renvoie sans

    dtour

    ses

    os

    sur

    terre pour

    qu'on

    en

    fabrique

    des fltes.

    Les

    Yagua content d'ailleurs

    qu'autrefois

    les instruments taient

    en

    os,

    et

    non

    en

    bois comme aujourd'hui (de fait,

    ils

    ne

    pratiquaient pas l'endocannibalisme mais les doubles funrailles

    en

    urnes, au

    moins pour les personnages

    importants).

    On

    pourrait

    ainsi

    risquer l'hypothse

    d'une

    double

    correspondance

    entre,

    d'un

    ct,

    la

    version

    os

    du

    mythe

    et

    les

    doubles

    funrailles, de

    l'autre, la version

    cendres

    et l'endocannibalisme.

    Lien entre les gnrations, les

    fltes sacres le

    sont

    aussi

    entre les vivants et les

    morts,

    relation

    renforce

    par

    le matriau entrant dans

    leur

    fabrication ; plusieurs

    espces

    de palmier au bois trs

    dur {Iriartea

    sp., Bactris sp.),

    tant

    pour le corps des

    fltes

    que

    pour

    l'embout des trompes. Ces mmes

    espces servaient galement

    la

    confection

    des armes

    chez beaucoup de

    peuples

    amazoniens.

    Or

    le

    Bactris

    en

    particul

    ieromestiqu

    par les indignes (rsultat

    du

    croisement de deux

    espces sauvages), a

    une croissance trs lente et se reproduit sur place

    pendant

    plusieurs

    gnrations

    (thme

    de

    la

    vie longue). Pour rcolter ses fruits ou exploiter son bois, les socits qui le

    cultivent doivent donc

    revenir

    priodiquement sur les anciens abattis proximit des

    emplacements

    des

    dfunts.

    Certains

    groupes,

    comme

    les

    Yagua

    ou

    les

    Mayoruna,

    associent

    d'ailleurs

    explicitement

    le

    palmier

    Bactris aux anctres. Erikson

    (1996)

    a

    soulign le

    lien

    quasi consubstantiel qui unit

    ce palmier

    aux

    esprits

    ancestraux

    des

    Mayoruna, gardiens des jachres o le Bactris crot. Cette observation lui

    permet

    d'avancer

    l'hypothse

    selon laquelle les groupes qui

    cultivent le palmier

    Bactris ou

    des

    espces

    voisines,

    auraient

    un rapport

    l'ancestralit

    trs

    diffrent

    de celui

    des

    groupes,

    majoritaires

    en Amazonie,

    pour qui

    la mort aline, faisant

    basculer

    dans

    l'altrit

    (p.

    188-189). Rival

    (1993) dveloppe un argument voisin

    propos

    des

    Huaorani d'Equateur pour

    qui

    les colonies de

    Bactris

    expriment la croissance lente, la

    continuit gnrationnelle et la mmoire des morts. Loin d'tre un don de la fort, les

    racmes du palmier

    sont

    en

    effet

    vus

    par

    les

    indignes

    comme

    le

    rsultat

    du labeur

    des

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    22/30

    102 JOURNAL DE

    LA SOCIT

    DES AMRICANISTES [83,

    1997

    1

    Principales

    socits des

    basses terres

    possdant

    ou

    ayant

    possd

    des fltes sacres

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    23/30

    Chaumeil,

    J.-R]

    MMOIRE ET

    TRAITEMENT FUNRAIRE EN AMAZONIE 103

    2.

    Aire

    des fltes

    sacres. Rpartition

    par rgions

  • 7/21/2019 Les Os, Les Fltes, Les Morts - Chaumeil 1997

    24/30

    104

    JOURNAL DE

    LA

    SOCIT DES

    AMRICANISTES [83,

    1997

    gnrations

    passes. Lorsqu'ils traversent

    des

    zones peuples de Bactris, les Huaorani

    se

    remmorent

    certains morts apparents aux membres du groupe qui exploitent ces

    palmiers en

    particulier.

    Il

    semble

    donc

    que

    les fltes sacres participent d'un grand

    complexe

    culturel ouest-amazonien, associant les palmiers, les

    anciens

    abattis et les

    anctres.

    On remarquera

    en

    outre

    que la

    plupart des groupes de l'ouest amazonien poss

    dant es fltes sacres possdent aussi

    un

    systme de

    segmentation

    sociale de

    type

    lignager, clanique ou proche, avec une forte

    emphase

    sur

    la filiation

    patrilinaire,

    en

    contraste avec la parent cognatique qui prvaut ailleurs en Amazonie.

    l'exception

    de Reichel-Dolmatoff (1989), les auteurs qui se sont

    penchs sur la

    question ont

    unanimement

    associ les fltes

    un culte masculin,

    allant

    jusqu' parler d'un

    culte des

    anctres. Il ne faudrait cependant pas conclure

    que

    les rituels

    yurupari

    se dterminent

    exclusivement par

    rapport

    la filiation ; ils produisent aussi de l'alliance travers les

    changes

    crmoniels.

    En

    ce sens,

    les fltes sacres

    ralisent sans

    doute

    assez bien

    l'articulation

    des

    principes

    de

    filiation

    et

    d'alliance,

    mme

    si

    elles

    sont

    plus explicit

    ementarques du ct de la filiation

    (Arhem,

    1981).

    cet

    gard, Hugh-

    Jones (1993)

    propose

    d'introduire

    la notion de socit maison pour

    caractriser

    ce type

    d'organisation

    sociale, plus proche selon lui

    des conceptions

    indignes que la notion

    d'unifiliation.

    Soit,

    mais

    que faire alors des Piaroa et des socits du

    haut-Xingu

    qui

    n'ont aucune

    forme

    de

    segmentation

    sociale

    dfinie en terme

    de

    filiation ou

    de

    maison

    ,

    et

    qui

    ont pourtant les

    fltes ?. Dans le cas

    des

    Piaroa,

    il

    serait intressant

    de

    reprendre l'ide

    dveloppe par

    Overing

    (1993) de l'existence de

    clans

    mortuaires,

    peu oprationnels

    il

    est vrai dans la vie de tous les jours,

    mais

    regroupant, chacun, les

    membres dcds d'un mme clan dans l'au-del. L'association possible des fltes

    et

    des

    morts

    apparat

    ici

    d'autant

    plus

    fascinante

    que

    les

    anciens

    Saliva

    associaient

    les

    instruments sacrs

    leurs crmonies funraires. Dans le cas du haut-Xingu, l inst

    itution, commune

    cette

    aire,

    des

    maisons des

    hommes

    (dans lesquelles

    taient

    dposes les

    fltes), pourrait

    galement

    fournir

    une piste intressante explorer.

    Schaden

    (1959)

    avait

    dj

    soulign l'intrt qu'il

    y aurait

    tudier conjointement

    la

    religion

    du Yurupari

    et l'institution

    de

    la maison des hommes

    en

    Amrique

    du

    Sud. Des

    recherches

    futures

    diront si

    ces

    remarques sont pertinentes. En attendant,

    tout

    se

    passe

    comme

    s'il existait un lien entre la

    possession des

    instruments, la

    conservation

    des os, la

    mmorisation

    des morts et une

    conception

    disons

    unili-

    naire

    de la socit.

    L'expression

    d'une continuit, d'une permanence au del des

    gnrations

    qui se

    succdent,

    travers

    les

    restes

    mortuaires

    et

    les fltes

    sacres

    (avec

    leurs

    doubles

    funrailles successives aprs chaque rituel) invite

    rflchir

    sur la production, dans

    ces socits, d'une

    certaine

    forme

    de

    mmoire que l'on peut imaginer quelque

    peu

    diffrente

    de

    celle prsente dans les socits

    cognatiques,

    plus soucieuses de

    gommer

    de

    leur

    mmoire toute rfrence aux morts. Peut-tre pourrait-on voir dans ces formes

    diverses

    de

    relation

    aux morts l'indice du

    passage

    d'une conception cyclique du temps

    une

    conception, non

    pas vraiment

    historique, mais cumulative d'un temps qui

    s ajoute, comme

    des lments

    qui s'empileraient les

    uns sur

    les

    autres : une

    chronolog

    i ndigne en somme. Cette ide

    a

    t

    fouille

    par

    Wright

    (1