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GEO MARIA LIONZA Au Venezuela, l’extraordinaire popularité du culte à «Les pèlerins pénètrent un territoire enchanté, d’une richesse et d’une sensualité débordantes» Au pied des rochers, à moitié immergés, un homme et une femme invoquent l’un des esprits du panthéon de María Lionza, la déesse aux yeux d’eau. Cristina Garcia Rodero / Magnum Photos TEXTE DE FRANCISCO FERRÁNDIZ - PHOTOS DE CRISTINA GARCÍA RODERO Sur la montagne de Sorte, dans l’ouest du pays, d’innombrables fidèles viennent vénérer cette princesse née d’une légende. Possessions et tran- ses sont au centre du rite qui mêle racines indiennes, européennes et africaines, mais se nourrit aussi des bouleversements contemporains.

«Les pèlerins pénètrent un territoire enchanté, d ... · texte de francisco ferrándiz - Photos de cristina garcía rodero ... d’innombrables fidèles ... une multitude de

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Maria Lionzaau Venezuela, l’extraordinaire popularité du culte à

«Les pèlerins pénètrent un territoire enchanté, d’une richesse et d’une sensualité débordantes»

au pied des rochers, à moitié immergés, un homme et une femme invoquent l’un des esprits du panthéon de María Lionza, la déesse aux yeux d’eau.Cr

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Sur la montagne de Sorte, dans l’ouest du pays, d’innombrables fidèles viennent vénérer cette princesse née d’une légende. Possessions et tran-ses sont au centre du rite qui mêle racines indiennes, européennes et africaines, mais se nourrit aussi des bouleversements contemporains.

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Allongés entre les bougies et les lignes tracées à la farine ou au talc pour symboliser le lieu des «transactions sacrées» et des rites thérapeutiques, les fidèles sont aussi des «patients». Des esprits viennent les soigner par l’intermédiaire des médiums.

Les fLAmmes créent L’espAce sAcré Autour Des fiDèLes

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un jeune médium entre en transe sous une cascade. Le corps se contorsionne pour «s’ajuster» aux entités spirituelles qui le possèdent et agiront à travers lui.

L’«indien de la paix»,

un esprit du panthéon, offre

sa protection à un enfant. Le culte se nourrit

de cultures populaires. en

témoignent les plumes, chères

aux westerns.

LA trAnse est L’Axe centrAL De cette Dévotion

reLigieuse

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entourés des signes ésotériques tracés au

sol, trois médiums apprennent les secrets

de la possession qui précède la transe. ils

sont couverts d’alcool, de fruits, de

fleurs, qui les purifient et facilitent la venue

des «forces spirituelles».

pArfums et ALcooLs

fAvorisent L’expérience

intime Du sAcré

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un médium en transe brandit un couteau pour

extirper le «mal», la peine ou la douleur d’une

jeune fille. il s’agit d’un acte symbolique sans

dommage, preuve de la confiance accordée à la

bienveillance des esprits.

Les croyAnts Doivent une

confiAnce AveugLe

Aux esprits

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La princesse et l’anacondaJadis, alors que la tribu des Jirajira célébrait la fête de la récolte, le Grand Piache,

son sorcier, livra une prophétie tragique : une princesse devait naître, fille d’un

chef local, avec des yeux d’un vert étrange, couleur de l’eau de la lagune sacrée de Nirgua.

Si cette fillette aux yeux d’eau voyait un jour son reflet, une terrible catastrophe s’abattrait

sur son peuple. Il serait anéanti par une immense inondation. Ces paroles terrifièrent les

Indiens. Des années durant, ils mirent le plus grand soin à surveiller les yeux des filles nées

des chefs. Or, peu de temps avant que les Espagnols n’arrivent sur leurs terres, naquit une

jolie gamine, fille du chef Nivar : elle avait de grandes pupilles, vertes comme l’eau de la

lagune. Nivar comprit aussitôt qu’il s’agissait de l’enfant annoncée par la prophétie. Mais,

au lieu de suivre la tradition et de la sacrifier à l’énorme anaconda, gardien de la lagune

de Nirgua, il mit sa fille à l’abri dans un lieu secret gardé par vingt-deux jeunes gens. Elle

n’avait que sa mère et ses fidèles surveillants devant les yeux et on lui interdit de contempler

sa propre image dans les miroirs, l’eau courante ou même dans les flaques de pluie.

Un jour, le serpent qui, chaque année, réclamait le sacrifice d’une jeune fille désignée

par la tribu, exhala un nuage de vapeur qui endormit les vingt-deux gardiens de la

princesse aux yeux d’eau. La fillette s’échappa de sa prison et s’approcha de la lagune. Pour

la première fois, elle contempla son reflet dans les ondes. Mais, dans le visage aquatique,

ses yeux n’étaient que deux trous vides ouvrant sur le mystérieux royaume des morts. Elle fut

hypnotisée par cette vision. Un tourbillon de plus en plus violent jaillit de ses yeux, les pois-

sons de la lagune s’écartèrent et le visage de la fillette se métamorphosa en une grotesque tête

d’anaconda. La prophétie se réalisait. Après avoir lancé un cri déchirant, la fillette plongea

dans l’abîme, à travers le trou béant de ses propres yeux. Le cri réveilla les vingt-deux gar-

diens, ils coururent à la lagune, fous d’inquiétude. Mais au lieu de la fillette, ils virent le terri-

ble anaconda qui battait furieusement les eaux avec sa queue, provoquant une gigantesque

inondation. Paniqués, les Nivar s’enfuirent devant l’inexorable avancée des eaux qui détrui-

sait tout sur son passage. À mesure que la catastrophe s’amplifiait, le serpent ne cessait d’en-

fler jusqu’à éclater, victime de sa propre fureur destructrice. Désormais, il gît inerte, la queue

posée sur la montagne de Sorte, dans l’Etat de Yaracuy, et la tête à Tacarigua, dans l’Etat de

Carabobo. Là même où, aujourd’hui, se dresse le grand autel de la cathédrale de Valencia.

(D’après la version de Gilberto Antonilez,

publiée dans le journal El Universal en 1945)

photographiée lors du pèleri­nage au bord

du río yaracuy, cette jeune fille couronnée de fleurs semble

être l’incarnation de maría Lionza.

L A L é G E N D E f O N D A T r I C E

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Au crépuscule, la montagne de sorte, dans l’état de YaracuY, se couvre d’un grouillement hypno­tique. En voitures, en autobus ou camionnettes, une multitude de pèlerins arrivent de tout le pays à Chivacoa, le village voisin. Des centaines de fi­dèles, organisés en caravanes, déchargent la bim­

beloterie, chantent, rient, s’interpellent, tremblent à l’approche du royaume sacré. Ils rejoignent l’effrayant sanctuaire du culte de María Lionza. En chemin, ils se sont arrêtés pour manger un bout dans l’un des kiosques qui pullulent à la sortie des parkings. Dans l’une des «parfumeries ésotériques», ils ont aussi acheté les objets rituels dont ils auront besoin. Vêtus d’habits rouges, ils portent des rubans multicolores dans les cheveux et des col­liers bigarrés qui trahissent leur engagement avec les esprits. Certains allument déjà les cigares consacrés dont ils utiliseront les cendres pour lire les présages. De l’autre côté du río Yaracuy, que l’on traverse sur un pont suspendu, les pèlerins pénètrent au cœur de la forêt tropicale, dans un territoire enchanté, un mon­de religieux d’une richesse et d’une sensualité débordantes.

Ce rassemblement de Sorte, dans l’ouest du Venezuela, n’est en rien celui d’une société secrète ou d’une secte retirée du mon­de pour quelques rites obscurs. Le 12 octobre, durant les fêtes de Noël et pour la semaine sainte, les dates emblématiques du culte de María Lionza, ce sont des milliers de Vénézuéliens qui célè­brent la princesse de légende et tous les esprits qui l’entourent. Partout dans le pays, y compris à Caracas, femmes de ménage, étudiants, commerçants, employés, gens du peuple mais aussi des classes moyennes invoquent son pouvoir et vénèrent les es­prits ancestraux issus des racines mélangées – indiennes, euro­

que coloniale, de soldats et de généraux de la guerre d’indé­pendance, d’hommes politiques, de médecins, de paysans, de rebouteux, de prostituées, de chanteurs, de délinquants, d’esprits de la nature… Ce panthéon, divisé en «cours royales», est pré­sidé par trois puissances qui soulignent son caractère syncréti­que : María Lionza, la reine dont les représentations sont tantôt indienne, tantôt créole, exprime l’élément européen. Le caci­que Guaicaipuro, résistant à la conquête espagnole, symbolise la partie indienne précolombienne. Et le Negro Felipe, l’escla­ve combattant pour l’indépendance, représente les Africains.

sous la protection des trois puissances, apparais­sent les «cours classiques», que de nombreux fidèles considèrent comme «celles de toute la vie» : la «india» (indienne), la «chamarrera» (paysanne), la «libertadora» (libératrice), la «médica» (médi­cale), la «celestial» (céleste) ou celle des «encan­

tados» (enchantés). D’autres cours moins prestigieuses sont sou­vent éphémères : l’«española», la «cubana», celle des «nenés» (les enfants), etc. Dans ce panthéon très dynamique, des nou­veaux esprits peuvent, avec le temps, devenir stables ou même dominants. C’est le cas actuellement des «africanos», où l’on retrouve Changó, Ochún et d’autres divinités de la santería cu­baine, des «vikingos», voire des «malandros» (les délinquants), dont l’émergence est clairement liée à l’augmentation de la vio­lence urbaine dans le Venezuela contemporain.

Comme d’autres types de possessions spirites, le culte de María Lionza se base sur la croyance que certaines présences sacrées (forces) possèdent des pouvoirs extraordinaires et peuvent s’incar­

péennes et africaines – du pays. Le culte de María Lionza est l’une des formes de religiosité syncrétique que l’on trouve dans les Caraïbes, santería cubaine ou vaudou haïtien, par exemple.

La forêt de Sorte est le royaume de María Lionza, le lieu où se déroulent les rituels les plus importants. D’innombrables voi­les multicolores sont disséminées entre les arbres. La montagne est sillonnée d’un labyrinthe de sentiers qui relient les petits sanctuaires, les «portales», posés au pied des troncs, dans des abris rocheux, à proximité des mares ou dans les clairières. À mesure que les pentes se font plus escarpées et que la forêt s’épaissit, les portales sont moins nombreux, mais leur caractè­re sacré augmente. Les autels sont couverts de bougies, de sta­tuettes, de bouteilles d’alcool, de fleurs et de fruits. Des cordes tendues entre les arbres dessinent autant d’espaces rituels. Au sol, on a tracé avec du talc ou de la farine les symboles ésotéri­ques sur lesquels s’organiseront les transactions sacrées, les ri­tes thérapeutiques et les possessions initiatiques qui marqueront la «veillée», la plus courante des cérémonies spirites.

Dans la pénombre chaude des bougies, on entend les «descar­gas» (roulements de tambour), la litanie des chants et les gémis­sements des fidèles qui invoquent les forces, les voix assourdies ou bruyantes des médiums en transe, les explosions de pétards. Les parfums mêlés des fleurs et d’alcool, l’arôme du tabac en­veloppent les corps des médiums pour l’expérience intime du sacré. Toute la sensualité du rite s’intensifie afin d’ouvrir les corps à la possession des esprits.

Sur la montagne sacrée, les cérémonies dureront quelques heures ou plusieurs jours. Le panthéon du culte de María Lion­za abrite une multitude d’esprits d’Indiens et d’esclaves de l’épo­

ner au moyen de la transe, dans les fidèles qui ont des qualités de médium. Les autels ornés de statues et de représentations des es­prits sont les portails sacrés où les forces s’accumulent et devant lesquels se produisent les principaux échanges entre les corps des médiums et les entités spirituelles. Pour demeurer actives et puis­santes, ces présences doivent être nourries de prières, de parfums, d’alcool, de couleurs, de tabac, de fleurs, de fruits, de rythmes, mais aussi d’histoires et de chansons. Elles ne se sentent à l’aise que dans ces atmosphères à la sensualité marquée, lorsque les corps et les esprits sont purifiés par les rites et le dépouillement. Durant les cérémonies, les esprits discutent, conseillent, se réjouis­sent et, surtout, soignent en utilisant des thérapies populaires qui vont des herbes médicinales et des manipulations corporelles à la cure mystique basée sur l’usage des symboles. En protégeant et en soignant les vivants, les ancêtres accroissent leur aura et ex­pient les péchés qu’ils ont pu commettre pendant leur vie.

Les médiums, eux, prêtent leur corps aux esprits pour facili­ter ces guérisons. Ils peuvent être possédés par plusieurs d’en­tre eux, y compris au cours d’une même cérémonie. Aux pre­mières étapes de l’initiation, les présences pénètrent dans les corps de façon diffuse, chaotique, sans être porteuses d’une iden­tité claire. Ces expériences sont souvent interprétées comme des possessions multiples, où plusieurs entités se battent pour s’in­carner dans l’apprenti médium. Avec le temps, cette connais­sance profondément somatique du monde spirituel finit par se donner des règles corporelles plus claires. Les spirites développent leurs affinités et leurs phobies vis­à­vis des membres du panthéon, choisissent les forces qui vont les habiter, modulent leurs sen­sations de façon à recevoir ou bloquer tel ou tel fluide.

Au cours d’une cérémonie «curative» avec les bougies, le blanc représente la pureté et les énergies positives mais reproduit aussi les symboles hos­pitaliers. À droite, l’em­preinte parfaite montre que la cérémonie fut belle et bien menée.

AujourD’hui encore, Le pAnthéon De mAríA LionzA intègre De nouveLLes Divinités

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Chaque cour des esprits possède ses caractéristiques corpo­relles, qui évoluent avec le temps et que les médiums doivent absorber peu à peu. Les spirites expriment souvent les différentes sortes de transes en termes d’«unités» : les transes complètes, qui s’accompagnent d’une perte de conscience ; les transes de trois quarts d’unité, où les forces restent bloquées dans la zone supérieure de la poitrine sans atteindre la tête ; celles de demi­unité, où les fluides ne vont pas au­delà de l’estomac ; ou encore celles d’un quart d’unité, où ils ne dépassent pas les genoux. Les sensations vont des douces caresses, des frissons ou des légers tremblements, jusqu’à des transes violentes, comme celles des «africanos» et des «vikingos», qui peuvent blesser les médiums, capables de se mutiler avec des poignards ou des rasoirs.

parmi ces rituels, les «bailes de candela» (dan­ses du feu) sont très prisés par les touristes – de plus en plus nombreux ces dernières années. Au rythme des tambours, des médiums en transe avec des ancêtres de la cour indienne dansent sur d’énormes tas de braises jusqu’à les éteindre. Ces

démonstrations sont désormais l’objet de concours où un jury désigne les plus ambitieux à partir d’éléments tels que «l’authen­ticité» de la transe, la beauté et la «pureté» de la danse, l’inten­sité de l’exposition du corps aux braises.

Car être médium est un moyen d’acquérir un prestige social. C’est souvent aussi une manière d’augmenter ses ressources dans un pays où la précarité est importante. Certains pratiquent le spiritisme à temps partiel ou occasionnel, les week­ends et les jours de fête, et reçoivent en échange de la nourriture, un tra­

vail temporaire ou tout autre don. Beaucoup en font un mode de vie à temps plein et sont «rémunérés» de manière informelle, parfois en argent. D’où la popularité acquise ces dernières an­nées par le culte de María Lionza dans les zones urbaines margi­nalisées. Bien que toutes les classes sociales l’aient pratiqué au long de leur histoire, c’est désormais dans les bidonvilles qu’il recrute le plus d’adeptes. Bon nombre de Vénézuéliens n’y voient qu’une curiosité folklorique ou un incompréhensible délire de masse dû au supposé manque de «culture» et à la faiblesse des convictions chrétiennes des adeptes. Mais pour beaucoup d’autres, particulièrement parmi les laissés­pour­compte, c’est un phéno­mène authentique, exubérant et intégrateur.

Cela fait longtemps que María Lionza a quitté sa forêt origi­nelle pour aller en ville. En fait, on sait très peu de chose quant à son origine historique. Les références les plus anciennes figu­rent dans des témoignages oraux du début du XXe siècle, où des paysans de la région de Yaracuy mentionnent un culte aux com­posantes indiennes et afro­vénézuéliennes dédié à la reine María Lionza. En ce temps­là, basé sur la dévotion envers les ancêtres, chefs indiens ou héros de l’indépendance, il se serait limité à cette petite région. Même si les liens entre ces pratiques et le culte contemporain ne sont pas établis, l’opinion la plus répan­due voit la dévotion à María Lionza comme le vestige d’une tra­dition archaïque qui remonte à la nuit des temps, dans le mys­tère des mythes locaux et le vieux métissage des ethnies. Selon cette vision nostalgique, le culte d’aujourd’hui aurait perdu sa «pureté», serait «contaminé» par la santería cubaine et d’autres pratiques religieuses, «dévoyé» par le mercantilisme ou les multi­ples jeunes médiums sans formation.

pour cette céré­monie collective,

les initiés, rassem­blés sous les fils tendus qui mar­

quent l’espace rituel, tournent les

paumes vers le ciel pour mieux

recevoir les éner­gies spirituelles.

Mais de nombreux chercheurs considèrent le monde des adep­tes de María Lionza du point de vue de sa relative nouveauté, de sa capacité syncrétique, de son caractère urbain et contemporain. Marqué par le vertige de la modernité, l’un des caractères du spi­ritisme vénézuélien ne serait pas tant sa capacité à conserver les vestiges du passé que sa surprenante force d’innovation et d’adap­tation, ce dont témoigne clairement l’apparition dans le panthéon des africanos, vikingos et autres délinquants urbains.

Le spiritisme de maría lionza tel que nous le connaissons s’est implanté dans les quartiers populaires à partir des années 1940, en réponse aux profonds changements sociaux, politiques, éco­nomiques et culturels qu’entraîna l’exode rural mas­sif né avec le boom pétrolier. C’est dans ce boule­

versement que le culte changea de nature et devint peu à peu un référent religieux pour les secteurs urbains populaires, mais aus­si, comme cela fut le cas sous la dictature de Marcos Pérez Jimé­nez (1948­1958), pour une certaine partie de l’élite. Depuis, très présent dans les villes, il se pratique quotidiennement dans de nombreux centres spirites. Parallèlement, les «marialionceros» ont colonisé des espaces verts, nécessaires à la bonne communi­cation avec les esprits de la nature et à la réalisation de certaines cérémonies qui ne peuvent être efficacement menées sur les autels domestiques. On trouve aussi des endroits aménagés dans les cimetières ou sur des plages, à quelques mètres seulement des routes ou des agglomérations. Par ailleurs, il existe tout un réseau de centres de pèlerinages très connus qui attirent les fidèles et les catholiques des milieux populaires. C’est le cas du sanctuaire

d’Agua Blanca, dans l’Etat de Portuguesa, dédié à l’esprit «cha­marrero» (paysan) Don Toribio ; ou de celui d’Isnotú (dans l’Etat de Trujillo), lieu de naissance du docteur José Gregorio Hernán­dez, qui fut un grand médecin avant de devenir l’un des plus effi­caces esprits guérisseurs du panthéon de María Lionza.

La modernité et la flexibilité du culte tel qu’il se manifeste dans ses espaces sacrés, ses pratiques et ses objets rituels sont un excep­tionnel observatoire pour déchiffrer les transformations et les conflits qui traversent la société vénézuélienne. Et parfois de façon surprenante : dans les années 1950, Alejandro Colina, un sculp­teur connu lié au pouvoir, réalisa une statue de María Lionza sur commande de Pérez Jiménez, le Président d’alors. Cette sculp­ture demeura longtemps sur le terre­plein de l’une des autoroutes menant à Caracas. Le 6 juin 2004, peu après la convocation par l’opposition d’un référendum pour destituer le président Hugo Chávez, la statue sensuelle, qui devait être déplacée et restaurée, se renversa et se brisa en deux au niveau de la taille. Beaucoup de Vénézuéliens y virent, comme dans le vieux mythe fondateur de l’anaconda, une nouvelle et tragique prémonition. Mais les avis divergeaient quant à sa signification. Pour les opposants à Chávez, cela ne pouvait qu’annoncer le début de la fin de son gou­vernement néfaste. Pour les partisans du «Comandante», le mes­sage était inverse : María Lionza montrait son refus de l’antichavisme, susceptible de fracturer la nation vénézuélienne. Si l’on en croit les résultats du vote, il semble bien que María Lionza appuyât le maintien de Chávez au pouvoir. Pour le moment. L

Francisco Ferrándiz (anthropologue, chercheur au Conseil supérieur de recherches scientifiques, CCHS-CSIC, Espagne)

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La fumée de la poudre qui brûle chasse les mauvais esprits et «ouvre les chemins» aux dévots. il est indispensable d’être pieds nus pour l’ensemble des cérémonies.

Les «portales» (autels) avec

leurs nombreu­ses statues,

sont les lieux où les forces s’ac­

cumulent et devant lesquels

se produisent les principaux

«échanges».

quAnD LA stAtue De LA Déesse se brise, pro ou Antichávez se Disputent ses présAges

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