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Les petites et moyennes entreprises Et les réformes du droit des sociétés dans l’Union européenne Madrid - 4 et 5 février 2004 LES PME DANS LES RÉFORMES DES LÉGISLATIONS EUROPÉENNES L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée en droit français : une structure adaptée aux PME ? M. Arnaud REYGROBELLET, Juriste au CREDA, Maître de conférence à l’Université Paris X-Nanterre 1.- La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, désormais codifiée aux articles L. 223-1 et suivants du Code de commerce, a introduit en droit français une nouvelle catégorie de société : l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dite EURL. EURL qui, à l’époque, faisait figure sinon de monstruosité juridique, du moins marquait incontestablement une rupture dans l’histoire du droit français des sociétés. En réalité, la portée de l’innovation était plus limitée qu’il y paraît au premier abord dans la mesure où, comme on va le voir, l’EURL n’est qu’une SARL – forme juridique bien connue – à une seule personne. Autrement dit, le législateur français n’avait pas, ce faisant, créé une nouvelle forme sociale, comme il le fera quelques années plus tard avec la société par actions simplifiée dont Monsieur Couret nous a lumineusement exposé le régime. Simplement, le régime de la SARL se trouvait enrichi d’une dimension nouvelle. Malgré tout, cette réforme très discutée, très controversée n’en constituait pas moins une petite révolution dans notre droit. 2.- Avec le recul des presque vingt années dont nous disposons maintenant depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985, cette petite révolution a-t-elle répondu aux désirs de ses promoteurs ? Plus exactement, pour inscrire précisément le propos dans le thème de ce colloque, l’EURL telle que réglementée par le droit français est-elle une structure pertinente, adéquate pour les PME ? 3.- À la vérité, il s’agit là, pour un juriste, d’une question particulièrement redoutable. Car il n’est pas certain qu’un juriste sache avec les outils conceptuels qui sont les siens ce qu’est une PME, ni même qu’il soit véritablement compétent pour décider ce qu’est une structure juridique adéquate pour une entreprise. Quelques observations doivent être présentées, à titre liminaire, sur ces deux points. D’abord, il faut convenir que la notion de PME n’est pas directement juridique. Du moins, elle ne ressortit pas directement au droit des sociétés. En revanche, le droit fiscal et le droit social notamment prennent en compte la réalité économique de l’entreprise afin d’ajuster la norme applicable () 1 . Par exemple, en permettant, pour les plus petites d’entre elles, l’adoption (1) Ou encore, le droit de l’insolvabilité, art. L. 620-2. Ce document provient du site internet du CREDA, http://www.creda.ccip.fr. Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités. 1

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Les petites et moyennes entreprises Et les réformes du droit des sociétés dans l’Union européenne Madrid - 4 et 5 février 2004

LES PME DANS LES RÉFORMES DES LÉGISLATIONS EUROPÉENNES

L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée en droit français : une structure adaptée aux PME ?

M. Arnaud REYGROBELLET, Juriste au CREDA, Maître de conférence à l’Université Paris X-Nanterre

1.- La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, désormais codifiée aux articles L. 223-1 et suivants du Code de commerce, a introduit en droit français une nouvelle catégorie de société : l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dite EURL. EURL qui, à l’époque, faisait figure sinon de monstruosité juridique, du moins marquait incontestablement une rupture dans l’histoire du droit français des sociétés.

En réalité, la portée de l’innovation était plus limitée qu’il y paraît au premier abord dans la mesure où, comme on va le voir, l’EURL n’est qu’une SARL – forme juridique bien connue – à une seule personne. Autrement dit, le législateur français n’avait pas, ce faisant, créé une nouvelle forme sociale, comme il le fera quelques années plus tard avec la société par actions simplifiée dont Monsieur Couret nous a lumineusement exposé le régime. Simplement, le régime de la SARL se trouvait enrichi d’une dimension nouvelle.

Malgré tout, cette réforme très discutée, très controversée n’en constituait pas moins une petite révolution dans notre droit.

2.- Avec le recul des presque vingt années dont nous disposons maintenant depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1985, cette petite révolution a-t-elle répondu aux désirs de ses promoteurs ?

Plus exactement, pour inscrire précisément le propos dans le thème de ce colloque, l’EURL telle que réglementée par le droit français est-elle une structure pertinente, adéquate pour les PME ?

3.- À la vérité, il s’agit là, pour un juriste, d’une question particulièrement redoutable. Car il n’est pas certain qu’un juriste sache avec les outils conceptuels qui sont les siens ce qu’est une PME, ni même qu’il soit véritablement compétent pour décider ce qu’est une structure juridique adéquate pour une entreprise. Quelques observations doivent être présentées, à titre liminaire, sur ces deux points.

D’abord, il faut convenir que la notion de PME n’est pas directement juridique. Du moins, elle ne ressortit pas directement au droit des sociétés. En revanche, le droit fiscal et le droit social notamment prennent en compte la réalité économique de l’entreprise afin d’ajuster la norme applicable ( )1 . Par exemple, en permettant, pour les plus petites d’entre elles, l’adoption

(1) Ou encore, le droit de l’insolvabilité, art. L. 620-2.

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d’un régime comptable simplifié, voire « super-simplifié » (C. com., art. L. 123-16 et L. 123-28 ; CGI, art. 302 septies A ter A). Assez curieusement, le droit des sociétés ne procède pas ainsi. Lorsqu’il vise la dimension de l’entreprise ( )2 c’est presque toujours pour imposer aux plus importantes d’entre elles, dépassant certains seuils (définis le plus souvent à partir de trois critères : le total du bilan, le montant net du chiffre d’affaires, le nombre moyen de salariés permanents) ( )3 , certaines contraintes supplémentaires ou – ce qui procède de la même logique – interdire à celles qui ne les atteignent pas de réaliser telle ou telle opération. Très symptomatique à cet égard est la réforme intervenue avec l’ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 « portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises » qui a, entre autres, autorisé les SARL « importantes » ( )4 à émettre, mais sans faire appel public à l'épargne, des obligations nominatives (C. com., art. L. 223-11).

Tout au plus, s’agissant précisément de la SARL dont procède – rappelons le – l’EURL, pouvait-on invoquer la règle traditionnelle qui interdisait que la collectivité des associés dépassât le seuil de cinquante ; ce qui réservait implicitement la forme aux structures petites et moyennes. Encore convient-il d’observer d’une part qu’il ne s’agissait pas d’un critère de dimension économique. D’autre part, qu’elle n’avait évidemment aucun sens en présence d’une EURL. Au surplus, cette règle malthusienne a été substantiellement assouplie en 2004, le plafond passant de 50 à 100 associés maximum (C. com., art. L. 223-3, mod., Ord. n° 2004-274 du 25 mars 2004) et l’on peut penser que ce saut quantitatif interdit désormais d’identifier la SARL à une petite structure où l’intuitu personae joue un rôle décisif.

Il faut donc conclure, à propos de l’EURL, que son accès n’est pas réservé aux seules PME. Notamment, il n’existe aucune contrainte en terme de capital social ou de niveau de fonds propre maximum. C’est si vrai que l’EURL peut avoir pour associé unique une personne morale et servir de structure pour une filiale à 100 % dans un groupe. Nous raisonnerons ici bien sûr, dans les développements qui suivent, à partir de l’hypothèse de l’associé unique, personne physique. Pour autant, il faut se garder de conclure prématurément que, parce qu’elle n’a pas été conçue spécifiquement pour les PME, l’EURL n’est pas une structure adaptée aux besoins de ce type d’entreprises.

Reste alors à aborder le deuxième point : qu’est-ce qu’une structure juridique adaptée ? Le juriste, alors précisément que le droit des sociétés n’appréhende pas spécifiquement cette catégorie d’entreprises, a-t-il compétence pour se prononcer ? Sans doute pas ! Mais il peut tenter, intuitivement, de suggérer des pistes de réflexion.

Sans trop s’avancer, il semble que la structure idéale serait celle qui permettrait tout à la fois de protéger le chef d’entreprise et l’entreprise elle-même, sans sacrifier l’intérêt des tiers amenés à contracter avec l’entreprise. Plus précisément encore une structure juridique

(2) Sur cette problématique, v. CREDA ? Seuils légaux et dimensions de l’entreprise. Droit commercial, fiscal, social

et économique, Litec, 1990, spéc. p. 313 sq., sur les difficultés de l’appréhension juridique de la dimension des entreprises.

(3) Nomination d’un commissaire aux comptes : C. com., art. L. 221-9, L. 223-35, L. 612-1 ; informations financières : art. L. 232-2 (compte de résultat prévisionnel, tableau de financement en même temps que le bilan annuel et un plan de financement prévisionnel), L. 232-7, L. 612-2 ;

(4) Celles qui dépassent, à la clôture d'un exercice social, deux des trois critères suivants : un bilan excédant 1 500 000 € ; un chiffre d'affaires hors taxes de plus de 3 100 000 € ; un nombre moyen de leurs salariés au cours d'un exercice supérieur à 50. Ces SARL sont, en toute hypothèse, tenues de désigner un commissaire aux comptes.

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adéquate de l’entreprise serait celle qui permet de concilier deux séries d’exigences a priori contradictoires. D’abord, le cadre juridique doit être suffisamment souple pour que le chef d’entreprise puisse l’adapter aux spécificités de son activité et de ses besoins ; mais ce cadre doit également, dans le même temps, être suffisamment consistant, capable notamment d’assurer la pérennité de l’entreprise, indépendamment des changements pouvant intervenir dans la personne de son dirigeant, que celui-ci décide de céder son entreprise ou qu’il décède.

Ensuite, seconde contradiction à surmonter, la structure servant de support à la PME doit permettre tout à la fois de limiter la responsabilité du chef d’entreprise sans altérer le crédit de l’entreprise. L’antinomie est encore plus marquée, dès lors que, selon un phénomène bien connu, toute mesure législative ayant pour effet de limiter la responsabilité de l’entrepreneur – c’est-à-dire de protéger ses biens personnels des poursuites diligentées par ses créanciers professionnels – se traduit, en l’état actuel du droit positif, par une réduction de la faculté de crédit de l’entreprise. Mais comme le besoin de crédit est impérieux, la pratique recourt à d’autres techniques, principalement articulées sur les garanties personnelles (cautionnement, garantie à première demande, etc.) qui réintroduisent subrepticement un principe de responsabilité illimitée sur le patrimoine du chef d’entreprise.

4.- Ici comme ailleurs, l’idéal n’existe pas. Mais c’est à travers ce prisme qu’il convient d’examiner la figure de l’EURL. Mon propos s’articulera alors autour de trois axes. En premier lieu, j’essaierais de brosser le portrait de l’EURL tel que l’a voulu le législateur français (I). En contrepoint, je présenterai, à la lumière de l’étude réalisée par le CREDA et à laquelle M. Le Président Franck a fait allusion dans son intervention ( )5 , la façon dont l’EURL a été reçue, adoptée ou rejetée, par la pratique des affaires (II). Enfin, j’envisagerais les réformes possibles susceptibles d’améliorer encore la structure juridique des PME au regard des contingences exposées plus haut (III).

I – L’EURL, telle que l’a voulue le législateur

5.- Pour bien comprendre les choix opérés par le législateur en 1985, il n’est sans doute pas inutile de rappeler la situation des PME françaises, au regard des structures juridiques disponibles, avant qu’intervienne cette avancée. Autrement dit, quelle a été la genèse du texte ? Quels ont été, sur cette base, les choix opérés par le législateur français ?

A) Genèse de la réforme

6.- Toute la difficulté vient de ce que la notion d’entreprise, plus encore on l’a vu, celle de PME n’est pas clairement appréhendée par le droit français. Aussi bien, le chef d’entreprise se trouvait-il confronté aux deux branches de l’alternative suivante. Il pouvait, en premier lieu, décider de donner une structure véritable à son entreprise, impliquant la constitution d’une société. Solution qui offrait certes la possibilité d’une limitation, au moins théorique, de responsabilité, pour les formes sociales offrant cette limitation de responsabilité mais qui induisait un certain nombre de contraintes, rédhibitoires pour un grand nombre d’entrepreneurs, surtout si la dimension de l’entreprise demeurait modeste : formalités de constitution, nécessité de trouver d’autres partenaires, donc de partager le pouvoir de direction, obligation de constituer un capital social minimum, dans les sociétés à responsabilité limitée.

(5) CREDA, L’EURL. Droit pratique et perspectives, Litec, 2003.

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7.- Aussi bien nombre d’entrepreneurs se détournaient de cette solution préférant le statut de l’entrepreneur individuel – qui est le statut en quelque sorte primaire ou supplétif applicable à ceux qui n’en ont choisi aucun autre. Ce statut a pour conséquence que la structure de l’entreprise est réduite à la figure du fonds de commerce, donnant une image bien déformée de celle-ci et ne permettant évidemment aucune limitation de responsabilité. En effet, la notion de fonds de commerce, construite par la pratique commerciale au cours du XIXe siècle et systématisée par le législateur au siècle dernier, désigne un agrégat de biens nécessaires à l’activité du commerçant. Mais un agrégat ou, pour mieux dire, une universalité de fait qui n’a aucune autonomie au sein du patrimoine de son titulaire. Surtout, une construction qui exclut de son périmètre un certain nombre d’éléments essentiels de l’activité économique : les immeubles d’exploitation ainsi que, sauf exception, les contrats quand bien même s’agirait-il des contrats sur lesquels repose l’activité (par exemple, les contrats d’intégration dans les réseaux de distribution) ( )6 .

8.- Au résultat, ceux pour qui le principe de limitation de responsabilité était essentiel constituaient néanmoins des sociétés, mais des sociétés qui n’étaient pluripersonnelles qu’en apparence : des sociétés, pour la constitution desquelles le maître de l’affaire faisait appel à un ou deux prête-noms facilement choisis parmi ses amis ou les membres de sa famille.

C’est dans ce contexte que se sont inscrits les travaux préparatoires à ce qui allait devenir la loi du 11 juillet 1985. L’objectif était donc double : permettre à un entrepreneur individuel de bénéficier d’une limitation de responsabilité, sans utiliser le masque déformant des prêtes noms. Il s’agissait donc de faire cesser ce divorce malsain entre le droit et le fait, tout en répondant à l’insistante aspiration du monde des affaires vers l’entreprise à responsabilité limitée.

B) Les choix législatifs

9.- Deux techniques juridiques étaient en concurrence pour aboutir à ce résultat : d’un côté, le patrimoine d’affectation ; de l’autre, la société unipersonnelle. Ces deux techniques qui visaient à offrir à l'entrepreneur individuel la possibilité de limiter ses risques avaient toutefois en commun que l’une et l’autre imposaient de sacrifier un principe juridique traditionnel de notre droit : soit celui de l'unité du patrimoine, soit celui qui présente la société comme un contrat classique, postulant donc l’existence de plusieurs cocontactants.

10.- Le législateur a tranché en faveur de la technique sociétaire, mais en recourant à la figure éprouvée de la SARL. Ce faisant, l’EURL est une société ; mais une société, qui est simplement une SARL à un seul associé.

1- L’EURL est une société unipersonnelle

11.- Le recours au patrimoine d’affectation a donc été écarté. Voyons comment et pourquoi ?

(6) Sur cette notion et les difficultés qu’elle suscite en droit français, v. CREDA, La clientèle appropriée ? Du fonds de

commerce à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité illimitée, à paraître, 2004.

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a) rejet de la théorie du patrimoine d’affectation

12.- La théorie du patrimoine d'affectation est issue, on le sait, de la doctrine allemande du Zweckvermögen (affectation à un but). Elle part de l'idée qu'un ensemble de biens peut être affecté à des destinations particulières, en l’espèce à une activité professionnelle. C’est pourquoi une même personne peut être à la tête de plusieurs patrimoines, chacun constituant une universalité de droit avec un actif et un passif, l'actif répondant seul du passif attaché à tel compartiment du patrimoine. À partir du moment où le chef d'entreprise identifie un patrimoine d'affectation, dans lequel se trouvent les biens de l'entreprise, seuls ces biens répondent des dettes nées de l'activité économique ; son patrimoine personnel est à l'abri.

La société unipersonnelle conduit à un résultat voisin, par un autre cheminement. L'entrepreneur individuel conserve un patrimoine, qui est unique. Mais il va pouvoir, seul, constituer une société à risques limités, dotée de la personnalité morale. C'est la société qui va exercer l'activité et qui va être tenue des dettes nées de cette activité. Dans le patrimoine de l'entrepreneur individuel, il est possible qu'il y ait encore des actifs professionnels s'ils sont simplement mis à la disposition de la société, mais il n'y a plus les dettes professionnelles. Le patrimoine personnel de l'entrepreneur se trouve ainsi à l'abri, car la personne morale qu'il contrôle est seule tenue du passif professionnel.

13.- Si l'on se remémore les débats qui ont agité la doctrine avant le vote de la loi du 11 juillet 1985, il ne fait aucun doute que la préférence allait très majoritairement au patrimoine d'affectation ( )7 . Pourquoi la balance a-t-elle penché du côté de la société ? Essentiellement pour des raisons pratiques.

De prime abord, la technique du patrimoine d’affectation paraît plus souple et plus simple d’utilisation, car elle semble épargner au chef d’entreprise d’avoir à procéder aux formalités de constitution. Alors pourtant qu’elle permet comme la constitution d’une personne morale, mais avec les mêmes imperfections, de bénéficier d’une limitation de responsabilité.

14.- Pourtant, la réalité pratique est autre que cette impression première. La mise en place d’un véritable patrimoine d'affectation impose, tout autant que la société mais de façon plus complexe, de respecter un strict formalisme constitutif. Car si l'on veut permettre à un entrepreneur individuel de limiter ses risques, encore faut-il que les tiers qui vont traiter avec lui sachent quels sont les biens qui vont constituer leur gage. La création d'un patrimoine d'affectation réclame donc, elle aussi, des formalités pour que soit précisé ce qui constitue son contenu. Or, pour que le patrimoine d'affectation soit efficace, il faut qu'il soit séparé du patrimoine personnel et que les transferts éventuels des biens du premier au second ne soient pas trop faciles. Par exemple, si l'entrepreneur est propriétaire de l'immeuble dans lequel il exerce son activité, on ne peut pas laisser dans le flou la question de savoir si cet immeuble est ou non à l'actif du patrimoine d'affectation. Il faut donc assurer une stricte séparation des patrimoines avec contrôle et publicité des apports ainsi qu’une surveillance des mutations du patrimoine personnel au patrimoine d’entreprise (et inversement).

(7) V., notamment, Rapport du groupe d’étude chargé d’étudier la possibilité d’introduire l’entreprise personnelle à

responsabilité limitée dans le droit français, par C. Champaud : RTD com. 1979, p. 579 sq ; CREDA, L’entreprise personnelle, t. 2 : Critique et prospective, sous la direction de A. Sayag, Litec, 1981.

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En somme, la solution du patrimoine d’affectation aurait imposé de lourdes sujétions que le commerçant, travaillant seul ou dans un contexte familial, aurait mal supportées ( )8 .

15.- En outre, le patrimoine d'affectation s’avère plus délicat que la société au regard de la situation matrimoniale de l'entrepreneur, notamment s'il est marié sous un régime de communauté. Aux trois masses du régime, il faudrait ajouter et articuler les masses d'un ou plusieurs patrimoines d'affectation.

Le recours à la société présentait l’avantage de solutions éprouvées. Mais le fossé est plus net encore, au détriment du patrimoine d’affectation, lorsque sont envisagées les questions de la transmission et de la croissance de l'entreprise.

b) Les avantages de la société

16.- Céder un patrimoine d'affectation suppose la cession d'éléments d'actifs et d'éléments de passif. Céder les dettes soulève, c'est certain, des difficultés juridiques, même si elles ne sont pas insurmontables. Alors qu'avec la société unipersonnelle ce ne sont pas les actifs et le passif qui sont cédés, mais beaucoup plus simplement des droits sociaux. Il faut certes concéder que, comme les parts sociales ainsi cédées « représentent » un ensemble actif et passif, il importe de se prémunir contre des surprises relatives à la consistance du passif ; ce qui impose d’insérer dans l’acte de cession une clause de garantie de passif à l’efficacité inégale. Au total toutefois, le dispositif est plus simple et plus efficace qu’une convention organisant une cession de dette.

L’existence d’une société présente un autre avantage. Il est plus facile d'aménager une transmission progressive de l’entreprise à un éventuel repreneur en organisant une cession échelonnée des parts ; avantage qui se confirme en cas de pluralité d'héritiers, les droits sociaux se partageant plus facilement qu'un patrimoine.

Si l'entreprise croît, la société montre aussi sa supériorité. L'hypothèse banale et fréquente est qu'il faut faire appel à des capitaux extérieurs. Puisque la société existe, il suffit d'augmenter le capital pour faire entrer le partenaire, ce qui sera d'autant plus simple que la société unipersonnelle n'est pas une forme particulière de société mais simplement un état particulier d'une forme plus générale. Avec le patrimoine d'affectation, il aurait fallu créer une société, ce qui veut dire qu'il aurait fallu passer deux fois par des formalités : au moment de la création du patrimoine, au moment de la création de société. Ce qui veut également dire qu'il aurait fallu affronter les difficultés, notamment fiscales, qui se présentent lorsqu'on veut mettre en société une entreprise individuelle qui a acquis une certaine taille.

Ces exemples ont emporté la conviction : la société unipersonnelle est plus simple et plus adaptée, notamment pour les PME. Au fond, la supériorité de la société unipersonnelle tient au fait que la société est une technique d'organisation de l'entreprise ( )9 et qu'ainsi, dès le départ, on donne à celle-ci la forme la plus adéquate, qui va pouvoir subsister aussi longtemps que l’entreprise dont elle est le support. Si besoin est, la société peut éventuellement se transformer ; mais c'est la même personne morale qui va continuer.

(8) V. en ce sens également, J. Derruppé, L’avenir du fonds de commerce et de la propriété commerciale, in L’avenir

du droit, Mélanges François Terré, Dalloz, PUF, éd. du Jurisclasseur 1999, p. 585. (9) J. Paillusseau, La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise, Sirey, 1967.

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17.- D’un point de vue théorique, admettre que la société puisse procéder de la volonté unilatérale d’une seule personne n’était, au fond, pas aussi incongru qu’il pouvait y paraître à première vue. En effet, l'idée selon laquelle la société est un contrat n'est vraie que pour la société qui n'est pas dotée de la personnalité morale. À partir du moment où une personne morale est créée, un aspect institutionnel est introduit, qui permet de séparer la personne morale du contrat. S'il faut un acte pour que des particuliers puissent créer une personne, rien n'impose que cet acte soit synallagmatique. Il peut très bien être unilatéral. La société contrat n'est pas la même chose que la société personne morale. Il est inconcevable que la société contrat soit unipersonnelle ; il est admissible que la société personne morale ait à son origine l'acte d'une seule personne ( )10 .

Depuis, la formule de la société unipersonnelle s’est largement diffusée tant en droit communautaire à travers la douzième directive 89/667/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, en matière de droit des sociétés concernant les sociétés à responsabilité limitée à un seul associé ( )11 qu’en droit français s’agissant notamment de la société par actions simplifiée (SAS). Tout au plus peut-on se demander s’il ne conviendrait pas de généraliser la règle et d’admettre que toute société, quelle qu’en soit la forme, peut être unipersonnelle.

18.- Enfin un argument supplémentaire, non négligeable, a joué en faveur de la structure sociétaire : il résulte du droit comparé ( )12 . La solution de la société unipersonnelle avait déjà été adoptée par d’autres pays européens, notamment l’Allemagne avec, depuis une loi du 4 juillet 1980, la formule de la Einman GmbH ; exemple d’autant plus éclairant que le droit allemand admet, comme on l’a vu, le patrimoine d'affectation ( )13 .

Comme en Allemagne, le législateur a opportunément choisi de rattacher l’EURL à la forme éprouvée de la SARL.

2- L’EURL est une SARL

19.- Rattacher l’EURL au régime de la SARL s’imposait pour trois raisons. D’abord, parce qu’il s’agit là d’une forme juridique éprouvée, connue en droit français depuis 1925 et largement plébiscitée par la pratique ; et de fait, il s’agit toujours du type de société le plus répandu en France. Ensuite, d’un point de vue théorique, le rattachement se justifiait également en raison de la nature même de la SARL : nature hybride, à mi-chemin entre sociétés de personnes et sociétés de capitaux, offrant aux associés la protection d’une responsabilité limitée dans un cadre sociétaire relativement souple. Enfin, faire de l’EURL une simple modalité de SARL facilitait grandement sa mise en place législative.

Quelques modifications, de bon sens, ont suffi aux dispositions gouvernant les SARL. Après avoir précisé que, désormais, « la SARL est instituée par une ou plusieurs personnes », trois articles seulement ont été ajoutés au texte préexistant (et deux légèrement modifiés) pour tenir compte de l’influence de l’unicité d’associé sur l’organisation sociale. Notamment le

(10) J.-J. Daigre et J.-C. Hallouin, in CREDA, L’EURL. Droit pratique et perspectives, préc., p. 14, n° 22. (11) JOCE n° L 395 du 30 déc. 1989 p. 40. (12) V. N. Ezran-Charrière, L’entreprise unipersonnelle dans les pays de l’Union européenne, bibl. dr. privé, t. 373,

LGDJ, 2002. (13) Ce qui a permis à M. Badinter, lors des débats au Sénat, de dire que le patrimoine d'affectation ne marchait pas

ainsi que le prouvait le droit allemand : JO déb. Sénat, 23-24 mai 1985.

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législateur a intégré le fait que les décisions, dites collectives, ne peuvent être prises par l’assemblée générale des associés. Par exemple, l’article L. 223-31 du Code de commerce écarte, pour les « sociétés ne comprenant qu’un seul associé », les règles régissant les assemblées générales : le texte prévoit que, dans cette hypothèse, le rapport de gestion, l’inventaire et les comptes annuels établis par le gérant sont soumis par ce dernier à l’associé unique. Il a été également prévu qu’une SARL « ne peut avoir pour associé unique une autre société à responsabilité limitée composée d’une seule personne » ( )14 . Les modifications législatives ainsi apportées ont, en définitive, été relativement mineures.

20.- Par voie de conséquence, on applique, pour l’essentiel, à l’EURL les règles gouvernant la SARL. Et les PME ayant adopté le statut d’EURL vont bénéficier ou, selon les cas, être pénalisées par ricochet de toutes les réformes affectant le régime de la SARL.

Pour la PME, l’EURL présente toute une série d’avantages, qu’il convient maintenant d’examiner en envisageant successivement la création et le fonctionnement de la société.

a) les avantages de l’EURL au stade de la création

21.- On insistera, dans le cadre de cet exposé, sur deux points en particulier, pour préciser à quelle activité l’EURL peut servir de support juridique, puis quelles sont les exigences en termes de capital social minimum.

22.- Comme on vient de le dire l’EURL a les mêmes utilités que la SARL et peut donc permettre l’exploitation d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale. Mais la forme unipersonnelle peut également être utilisée dans d’autres secteurs professionnels, même dotés d’un statut spécifique. Ainsi, lors du vote de la loi du 11 juillet 1985, le législateur a-t-il créé à côté de l’EURL, l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). Il s’agit là d’un nouveau type de société civile, particulière parce que son objet est limité à l’exercice d’une activité agricole, spéciale parce qu’il s’agit d’une société civile à responsabilité limitée. La loi ajoute qu’elle peut être composée d’un ou plusieurs associés.

Plus récemment, l’EURL a été ouverte aux professionnels libéraux dans le cadre des « sociétés d’exercice libéral » régies par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. Parmi les divers types de SEL proposés par ce texte, l’un est une SARL, la SELARL. Comme l’article 1er de cette loi renvoie au Code de commerce pour tout ce qu’elle ne réglemente pas expressément, les SELARL peuvent être unipersonnelles.

23.- Un autre aspect important du régime de l’EURL qui concerne sa création a trait au montant du capital social nécessaire à la constitution de la société. Pendant très longtemps, le législateur a imposé un capital social minimum. Ce qui était cohérent avec l’existence d’une responsabilité limitée inhérente à la SARL et se trouvait justifié par la fiction juridique suivant laquelle le capital social est le gage des créanciers. Ainsi, tout créateur d’EURL devait doter la société d’apports d’un montant équivalent à au-moins 7 500 € ( )15 . Il ne s’agissait certes pas d’une contrainte insurmontable, d’autant qu’elle avait considérablement été assouplie lorsque le

(14) Art. L. 223-5 du Code de commerce ; ce qui ne semble pas écarter la possibilité, pour une EURL, d’avoir pour

associé unique une SAS unipersonnelle. (15) Les analyses statistiques réalisées par le CREDA montrent que, pour 75 % des EURL, le montant du capital est

égal au minimum légal.

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législateur a autorisé une libération du capital d’un cinquième seulement lors de la constitution de la société. En somme, l’EURL pouvait être créée avec 1 500 euros, les 6 000 euros restants devant, tout de même, être libérés dans les cinq ans.

Pour autant, le législateur a franchi en 2003 un pas supplémentaire. Reconnaissant – enfin – que le capital social ne jouait aucun rôle décisif dans la protection des créanciers, considérant que, dans les plus petites entreprises (dites TPE) singulièrement dans le secteur des services à la personne ou des services intellectuels, l'utilité d'un capital minimum de départ n'est pas économiquement justifié, le législateur a apporté, dans une loi du 1er août 2003, un nouvel aménagement au régime de la SARL, donc à celui de l’EURL. ( )16 Désormais, il revient à l’associé unique le soin de fixer lui-même, dans les statuts, le montant pertinent du capital social de sa société au regard de ses besoins de financement et de la nature de son activité. L’article L. 223-2 est libellé ainsi : « Le montant du capital de la société est fixé par les statuts… ». En pratique, l’EURL peut donc être constituée avec un capital d’un euro, voire moins ( ) 17 !

24.- Au-delà du simple processus de création – moment stratégique pour la réussite du projet d’entreprise –, les règles de fonctionnement de l’EURL offrent à l’associé unique une série d’autres avantages appréciables.

b) les avantages de l’EURL pour le fonctionnement de la PME

25.- L’EURL, parce qu’elle revêt la forme d’une société impose au chef d’entreprise, associé unique, d’avoir à respecter un certain nombre de règles impératives. Leur raison d’être est double. Il s’agit d’informer les tiers sur la situation de l’entreprise (par exemple, à travers l’obligation de publication des comptes annuels par dépôt au greffe du tribunal de commerce), donc de les protéger ; il s’agit aussi de protéger l’entreprise elle-même, dotée d’une personnalité juridique propre et, à ce titre, autonome de celle du chef d’entreprise. Le droit français reconnaît ainsi que l’EURL dispose d’un intérêt propre, que l’associé unique doit respecter sous peine de sanctions pénales (délit d’abus de biens sociaux notamment ( )18 ).

Les obligations inhérentes au fonctionnement de la société n’existent pas, pour la plupart d’entre elles, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme individuelle. Néanmoins, ces règles impératives outre qu’elles ne s’avèrent pas – loin s’en faut ainsi qu’on va le voir – insurmontables doivent sans doute être regardées moins comme des contraintes pour le chef d’entreprise mais plutôt comme des supports impératifs qui encadrent et structurent son action. Au surplus le législateur s’est attaché à limiter le rituel social au strict nécessaire.

(16) Réforme très largement critiquée par la doctrine comme dangereuse, v. notamment, A. Martin-Serf, La loi pour

l'initiative économique : Des fausses pistes pavées de bonnes intentions, Rev. jurisp. com. mars 2004, p. 75 ; C. Champaud et D. Danet, chr., RTD com. 2004, p. 333-334 ; S. Reifegerste, La société à responsabilité limitée après la loi du 1er août 2003 pour l'initiative économique : quelles innovations pour quel avenir ?, Les Petites Affiches 29 déc. 2003, p. 10.

(17) Il semble que la limite plancher (théorique) est de deux centimes car le texte de l’article L. 223-2 exige que le capital soit divisé « en parts sociales égales » (au pluriel), de sorte que, même dans l’EURL, doivent être créées au moins deux parts, d’un centime chacune.

(18) Cass. crim. 14 juin 1993, Bull. Joly 1993, p. 1139, note B. Saintourens ; Cass. crim. 20 fév. 2002, JCP éd. E 2002, 618 : détective privé chargé de surveiller l’épouse du gérant, payé par l’EURL !

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26.- Ainsi, toutes les décisions sociales (approbation des comptes annuels, distribution des bénéfices, conventions réglementées, a fortiori modification des statuts, le cas échéant intervention d’un commissaire aux comptes lorsque sa présence est obligatoire en raison de la taille de l’entreprise) doivent, à peine de nullité, être consignées sur un « registre des décisions ».

27.- Autre contrainte, certes non spécifique à l’EURL, le fait qu’en application de l’article L. 223-21 du Code de commerce, l’EURL ne pourra consentir un prêt ou garantir un engagement de l’associé unique, du moins lorsque l’associé est une personne physique.

Plus généralement va s’appliquer le dispositif de contrôle prévu pour les conventions réglementées, au prix certes de quelques adaptations. Il n’est pas interdit à l'associé unique gérant de conclure une convention avec la société. Ce peut être opportun, par exemple s'il veut louer à la société un immeuble ou un fonds de commerce qui lui appartient. La convention doit être inscrite sur le registre des délibérations. La prudence est de conclure la convention à des conditions normales. Sinon le risque est que, en cas de procédure collective, le tribunal constate l'existence de flux financiers anormaux et qu'il prononce la confusion des patrimoines ou la fictivité de l’EURL.

28.- On voit bien que ces règles impératives, au-delà de leur valeur contraignante, s’avèrent finalement protectrices du chef d’entreprise, associé unique. Mais la structure sociétaire offre, en outre, bien d’autres avantages que n’offre pas l’entreprise exploitée sous forme individuelle. On évoquera ci-après quelques-unes unes d’entre elles.

29.- S’agissant d’abord de la gérance, celle-ci peut être organisée de deux façons. Elle peut bien sûr être confiée à l’associé unique ; ce qui sera sans doute la formule la plus fréquente. En tant que gérant, le chef d'entreprise a alors les pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (C. com., art. L. 223-18, al. 5).

Mais le législateur n’a pas exclu que la gérance puisse être confiée à un tiers et qu’il existe ainsi une dissociation entre associé unique et direction de l’entreprise. Cette formule peut avoir plusieurs intérêts pratiques. Elle offre d’abord une intéressante souplesse pour organiser rationnellement la gestion de l’entreprise dans un cadre familial. À titre d’exemple, l’associé unique peut être le conjoint (ou le compagnon) du gérant de droit. La formule peut également être utilisée à la suite d'une succession ou encore être choisie par une personne qui a plusieurs entreprises puisqu’une même personne physique peut être associé unique dans plusieurs EURL. Enfin, en dehors des relations interfamiliales, confier la gérance à une autre personne que l’associé unique peut être une alternative technique à la conclusion d’un contrat de location-gérance, permettant de faire gérer son entreprise par un tiers.

30.- D’un point de vue fiscal et social, le recours à l’EURL présente aussi quelque intérêt. En principe, EURL créée par une personne physique relève de l’IR. Les bénéfices réalisés sont donc imposables entre les mains de l’associé unique, qu’ils aient ou non été distribués. Si l’EURL adhère à un centre de gestion agréé, l’associé bénéficie d’un abattement de 20 %.

L’EURL peut également opter pour l’IS, l’option étant alors irrévocable. Ce peut être une solution avantageuse permettant de limiter le poids de l’impôt lorsque les bénéfices ne sont pas distribués ; et permettant même d’échapper aux cotisations sociales lorsque le gérant ne

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s’octroie pas de rémunération. Seuls les dividendes distribués sont, en ce cas de figure, imposés chez l’associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (BIC).

31.- D'un point de vue social, l'associé unique gérant est traité comme un gérant majoritaire de SARL, c'est-à-dire qu'il est affilié au régime des commerçants et travailleurs indépendants

L'associé unique non gérant, quant à lui, parce qu’il n’exerce aucune fonction dans la société dont il a confié la gérance à un tiers, n’est pas tenu au paiement des cotisations d’assurance-vieillesse.

32.- On rappellera aussi que la cession de l’entreprise exploitée sous forme d’EURL est facilitée et fiscalement moins coûteuse qu’une cession de fonds de commerce, que celle-ci s’opère à titre gratuit ou à titre onéreux. Il est possible d'étaler la cession des droits sociaux, soit par ouverture du capital à plusieurs personnes jusqu’à désengagement total de l’associé initial, soit par cession de l’ensemble des parts à un seul associé par cessions successives, permettant un échelonnement du paiement. Dans le premier cas de figure, la société deviendra pluripersonnelle sans inconvénient majeur puisque le passage de l’EURL à la SARL ne s’analyse pas techniquement comme une transformation. La transmission du pouvoir peut aussi être progressive. Comme rien n'interdit qu'une EURL ait plusieurs co-gérants, celui qui doit prendre la suite devient dans un premier temps co-gérant, puis le premier se retire et le second devient seul gérant.

33.- Enfin, mais seulement lorsque l’associé unique est une personne physique – ce qui est l’hypothèse qui a été retenue ici –, le principe de limitation de responsabilité demeure même lorsque la dissolution de la société a été décidée. Concrètement cela signifie que l’associé unique personne physique d’une EURL reste assuré, sauf faute ou confusion des patrimoines, de ne pas avoir à régler sur son patrimoine personnel les dettes.

Ainsi, la formule paraît revêtue de solides avantages qui auraient dû conduire de nombreuses PME à adopter la forme EURL. Du moins qui auraient dû inciter de nombreux chefs d’entreprises exploitant leur activité en nom personnel à constituer une telle société. Qu’en est-il exactement ? C’est aborder la question de la réception de l’EURL par la pratique.

II – La réception de l’EURL par la pratique

34.- Je vais rendre compte ici plus précisément des résultats de l’étude conduite par le CREDA sur l’EURL, dont il a déjà été question. La problématique de la réception d’une institution nouvelle peut être envisagée sous deux angles. D’abord sous l’angle pratique et il s’agira alors de savoir comment le monde des affaires s’est emparé de la structure que lui proposait le législateur (A). Mais évaluer la réception de l’EURL c’est aussi évoquer la façon dont le système juridique, notamment mais pas seulement la jurisprudence, a traité positivement ou négativement l’institution (B).

A) Données pratiques

35.- Là encore, on peut distinguer entre l’approche purement quantitative et statistique, qui mesure le nombre de sociétés créées, et l’approche qualitative, qui insiste sur le vécu sociologique en recueillant le point de vue des utilisateurs de l’EURL.

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1- Approche quantitative

36.- La création législative a-t-elle été un succès ou au contraire un échec ? À la vérité, ni l’un ni l’autre. Sans être un franc succès, l’EURL n’est pas un échec. Explicitons cette affirmation à partir d’un certain nombre de chiffres, tout en précisant que les données doivent être considérées avec une certaine circonspection dans la mesure où le comptage est difficile au sein de la catégorie des SARL entre celles devenues ou restées unipersonnelles et celles devenues ou restées pluripersonnelles.

37.- À l’heure actuelle, c’est-à-dire au 1er janvier 2004, on recense un plus de 100 000 EURL (107 253), soit environ 10 % du nombre total de SARL (920 000) contre près de 2 000 000 d’entreprises individuelles. 100 000 EURL, ce n’est sans doute pas négligeable. Pour en saisir la portée, il faut citer encore deux autres données : en 2000, on ne comptait encore que 70 000 EURL. Néanmoins, 55 % des entreprises sont, aujourd’hui encore, créées sous forme d'entreprise individuelle. À cet égard, on serait tenté de conclure que l’EURL n’a répondu aux attentes du législateur ni comme forme alternative à l’entreprise individuelle, ni comme moyen prophylactique pour lutter contre les sociétés pluripersonnelles de façade.

38.- La critique doit toutefois être relativisée par plusieurs considérations.

D’abord, la croissance du nombre des EURL est très sensiblement supérieure à la croissance du nombre des entreprises individuelles ou du nombre de sociétés, toutes formes confondues (à l’exception toutefois des SAS). L’augmentation lente mais constante du nombre d’EURL démontre que, corrélativement, les SARL faussement pluripersonnelles sont en voie de diminution. Cela tient au fait que, dans nombre de cas, la SARL pluripersonnelle, en particulier la SARL composée de deux associés, reste conforme à la réalité. Il suffit de penser aux SARL constituées par deux époux. Qu’ils travaillent en commun ou non, le choix de la SARL pluripersonnelle est justifié pour maintenir une communauté patrimoniale familiale.

Un tel phénomène de fond ne doit donc pas être négligé.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que l’entreprise individuelle bénéficie, et bénéficiera toujours, en termes statistiques, d’un avantage considérable, dès lors qu’elle constitue, par la force des choses, la forme juridique par défaut des entreprises françaises – en quelque sorte, le régime primaire, pour reprendre une terminologie empruntée au droit des régimes matrimoniaux. Le recours à l’EURL, comme d’ailleurs à toute autre forme sociale, suppose au contraire de faire un choix.

Enfin, il reste que le nombre des EURL – en tout cas, celui qui apparaît dans les statistiques de l’INSEE – est certainement très sous-évalué. En effet, les chiffres sont établis à partir des éléments fournis par les CFE, au moment de la constitution des dossiers d’immatriculation : or, ceux-ci peuvent fort bien se borner à mentionner qu’il s’agit d’une SARL. En conséquence, seul le dépouillement d’un stock significatif de statuts de « SARL » permettrait d’avoir une image précise de la proportion exacte d’EURL créées.

39.- Quels sont alors les reproches adressés par les utilisateurs à la construction législative ? Le CREDA a tenté de les synthétiser à travers une enquête qualitative par entretien auprès d’un échantillon de dirigeants d’EURL.

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2- Approche qualitative

40.- Si les personnes qui ont répondu à l’enquête ont choisi de constituer une EURL, c’est bien qu’elles lui prêtaient quelque vertu ; ce qui, bien sûr, n’exclut pas les griefs.

a) les avantages

41.- Au terme de l’investigation menée par le CREDA, il est apparu que les raisons qui ont présidé au choix de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée sont avant tout d’ordre patrimonial. On décide d’abord d’exercer une activité dans le cadre d’une société à risques limités plutôt qu’en tant qu’entrepreneur individuel. Dans une très grande majorité de cas, la forme sociale est choisie pour protéger le patrimoine personnel et familial de l’entrepreneur. De façon plus étonnante, le choix du caractère unipersonnel ne vient qu’après : la possibilité d’être « seul maître à bord », de pouvoir décider seul n’est pas absente des motivations qui conduisent à adopter l’EURL, mais elle est, relativement, secondaire. Sans doute parce que, de ce seul point de vue, il n’existe pas grande différence entre la SARL dont on détient la quasi-totalité des parts et une EURL. Quant aux motivations d’ordre fiscal, dont on sait la prégnance qu’on leur prête habituellement, elles sont apparues ici quasiment absentes.

En fait, la détermination du régime fiscal applicable à la société intervient postérieurement ou, en tous cas, indépendamment du choix de la forme. Il s’agit en général d’un choix de gestion financière, souvent d’ailleurs « imposé » par le conseil et peu discuté.

b) les griefs

42.- Quels sont, alors, les principaux reproches adressés à la forme ? L’enquête réalisée par le CREDA est, à cet égard, très éclairante, car les critiques formulées spontanément concernaient moins la réglementation propre à l’EURL qu’elles ne traduisaient les préoccupations des dirigeants de PME sur l’environnement juridique dans son ensemble auquel ils se trouvent confrontés (pression fiscale trop élevée, lourdeur des relations avec les administrations, réglementation trop tatillonne dans tel ou tel secteur d’activité, etc).

S’agissant des inconvénients directement liés à la forme EURL, les griefs concernaient d’abord l’obligation d’avoir à réunir un capital de 7 500 euros, dont plusieurs des personnes interrogées se sont plaintes. On a vu que le législateur avait, sur ce point, répondu à leur attente en supprimant l’exigence d’un capital légal minimum. Etait également critiqué le formalisme social imposé par le législateur. Des formalités telles que la tenue de registres des conventions conclues entre l’associé ou le gérant et la société, la consignation des décisions prises par l’associé unique aux lieu et place de l’assemblée générale, semblent tout à fait absurdes à la plupart des personnes rencontrées. Sur ce point particulier, il est permis de ne partager leur point de vue, dès lors qu’il s’agit là, on l’a vu, de règles destinées à protéger tant les tiers que l’entreprise et, indirectement, l’entrepreneur lui-même.

43.- Comme toujours dans ces enquêtes, le non-dit est tout aussi important que ce qui est dit. Assez symptomatique est à cet égard le fait que quasiment aucune des personnes interrogées ne fût capable de formuler clairement des propositions quant à l’évolution souhaitable du régime de l’EURL et, au-delà, de celui de la PME. Plus important encore, contrairement à ce que redoutaient les détracteurs de l’EURL, aucune des personnes interrogées ne s’est plainte d’avoir eu à concéder des garanties sur ses biens personnels pour obtenir le financement nécessaire au lancement de l’activité.

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Globalement toutefois, l’image de l’EURL est positive pour ceux qui y ont eu recours. Plusieurs des interlocuteurs ont même jugé que l’EURL convenait parfaitement au fonctionnement de leur entreprise.

44.- Comment alors expliquer, de façon objective, ce succès mitigé de l’EURL ? On pourrait penser à invoquer la concurrence de la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU), dont le nombre croît plus rapidement encore que celui des EURL (38 000 au 1er janvier 2003).

Mais l’argument n’est pas décisif. D’abord parce que la SASU est de création relativement récente, instaurée par une loi du 12 janvier 1999. Ensuite et surtout, parce que la SASU ne s’adresse pas aux mêmes types d’entreprise que les EURL. La SAS, donc la SASU, est à l’évidence destinée aux entreprises de croissance, moyennes ou grandes, ne souhaitant pas, du moins pas à brève échéance, solliciter l’épargne publique. En revanche, la cible de l’EURL est incontestablement la PME. Ce qui explique que le capital minimal d’une SASU demeure fixé à 37 000 euros, alors que le législateur n’a pas hésité à supprimer cette exigence pour les EURL ( )19 . En outre, les coûts de fonctionnement de l’EURL apparaissent sensiblement plus faibles que ceux induits par une SASU. Ainsi, par exemple, la présence d’un commissaire aux comptes est en toute occurrence obligatoire dans la SASU ; en revanche, elle ne le sera qu’optionnellement ou conditionnellement dans l’EURL (lorsque celle-ci dépasse certains seuils ; ce qui est rare).

45.- La seule explication cohérente de la relative désaffection ( ?) pourrait tenir à un défaut de notoriété. En effet, dans les entretiens menés par le CREDA, on relève que le choix de l’EURL a presque toujours été prescrit aux fondateurs par les professionnels que ceux-ci ont été amenés à consulter. Or, les entrepreneurs individuels ont plutôt moins recours à des conseils, lors de la création de leur entreprise, que les créateurs de sociétés en général, et d’EURL en particulier. Alors que 7 créateurs d’EURL sur 10 ont fait appel à des conseils extérieurs, moins d’un créateur d’entreprise individuelle sur deux affirme avoir suivi la même démarche. Ces derniers apparaissent donc nettement moins informés que ceux qui décident de créer une société ; ce qui peut expliquer, en partie, le fait qu’il n’y ait pas eu davantage d’entreprises individuelles qui se soient ralliées à l’EURL.

46.- Reste qu’il existe sans doute des raisons plus objectives, susceptibles d’expliquer cette situation.

B) Données juridiques

47.- Les données juridiques procèdent logiquement de deux sources. Car se dessine une image de l’EURL à travers la jurisprudence que, selon un processus bien connu, le législateur a cherché à faire évoluer.

1- L’EURL dans la jurisprudence

48.- Une des critiques le plus souvent formulées à l’encontre de l’EURL consiste à dire que la protection qu’elle est censée offrir en termes de limitation de responsabilité à l’associé unique est une pure fiction, un mirage.

(19) V. supra, n° 22.

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En effet, d’une part, les créanciers sociaux, spécialement les établissements de crédit, continuent d’exiger le cautionnement de l’associé unique et ne se contentent pas de la seule garantie offerte par le capital social – qui peut être d’un euro, voire moins – ni même de celle offerte par l’actif net de l’EURL. D’autre part, en cas de cessation des paiements, la responsabilité de l’associé unique sera souvent recherchée. Ce dernier, lorsqu’il est aussi gérant, peut être condamné au comblement du passif pour faute de gestion (C. com., art. L. 624-3), voire être déclaré lui-même en redressement ou en liquidation judiciaires pour avoir disposé des biens de la personne morale comme de ses biens propres (C. com., art. L. 624-5).

49.- Sur le plan doctrinal, on pourrait faire remarquer que personne n’a jamais parlé d’absence de responsabilité – seulement de responsabilité limitée – et que ces risques pèsent sur tout dirigeant de sociétés, pas seulement sur les gérants d’EURL.

Qu’en est-il en réalité ? S’agit-il de risques théoriques ou peut-on repérer une sur-représentation des EURL dans ce type de litiges ?

50.- Une analyse exhaustive ( )20 de la jurisprudence publiée invite à nuancer l’analyse, tout en concédant, d’une part, que la jurisprudence publiée ne constitue qu’un faible échantillon de l’ensemble du contentieux et, d’autre part, que le contentieux lui-même ne reflète que très imparfaitement la réalité.

Si on exclut le contentieux concernant le statut social ou fiscal du dirigeant d’EURL (associé unique et/ ou gérant), l’essentiel des décisions rendues a trait sans surprise à la mise en œuvre du principe de limitation de responsabilité. Qu’en ressort-il ? Au fond, l’idée qui émerge est que les difficultés éventuelles de l’associé unique ne tiennent pas tant au choix juridique qu’il a fait en créant une EURL, mais plutôt à la dimension réduite de l’entreprise, donc à la qualité médiocre des garanties qu’il peut offrir à ses créanciers. Comparativement aux autres formes sociales induisant pareillement une responsabilité limitée aux apports, le choix de l’EURL ne l’avantage ni ne le pénalise : il y a ici une parfaite neutralité juridique.

En revanche, on constate que le principe de limitation de responsabilité joue à plein : au vu des espèces analysées, il ne s’agit pas d’une pure abstraction juridique. Plusieurs décisions rappellent aux créanciers personnels de l’associé qu’ils ne sauraient prétendre avoir des droits sur le patrimoine de l’EURL ou, à l’inverse, aux créanciers de la société qu’ils n’ont pas, sauf aménagement contractuel, la possibilité de se désintéresser sur les biens personnels de l’associé.

51.- Quant aux hypothèses dans lesquelles la responsabilité limitée de l’associé unique est mise à néant, soit en raison d’un cautionnement personnel, soit dans le cadre d’un redressement judiciaire, on en trouve trace certes, dans le contentieux analysé, mais la fréquence des litiges n’est pas spécifique de l’EURL. C’est le cas notamment des actions en comblement de passif, d’extension de procédure ou en confusion des patrimoines qui demeurent somme toute assez rares.

(20) Elle porte sur 71 décisions rendues entre 1985 et 2000.

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52.- Autrement dit, lorsque l’associé unique respecte convenablement les règles légales, il ne risque pas plus, ni moins, que dans les autres sociétés de voir sa responsabilité personnelle mise en jeu.

Reste alors à savoir si et dans quelle mesure le législateur a tenté de réagir pour amender les règles gouvernant les EURL afin de les rendre plus attractives pour les PME.

2- L’EURL objet de réformes législatives

53.- Un autre aspect de la réception dont l’EURL a fait l’objet doit en effet être cherché à travers la législation elle-même. À la vérité jusqu’en 2003, les modifications apportées au texte de 1985 sont demeurées fort limitées. La réforme la plus notable sans doute a résulté de la loi du 15 mai 2001 dite « nouvelles régulations économiques ». Cette loi est venue confirmer, ou plutôt préciser, que la dissolution d’une EURL, dont l’associé unique est une personne physique, suit les règles classiques de liquidation (C. civ., art. 1844-5, al. 4), alors qu’elle emporte dévolution universelle du patrimoine à l’associé unique personne morale. Ce faisant, le législateur renforçait incontestablement l’attrait de l’EURL pour les PME en maintenant la limitation de responsabilité…

Néanmoins, la loi « Initiative économique » du 1er août 2003 est venue quelque peu renouveler le débat. Le texte procède du constat que, en France, le rythme de création d’entreprises s’est ralenti au cours des cinq dernières années et qu’il en est résulté un retard important par rapport à ses principaux voisins européens. L’Espagne notamment crée chaque année deux fois plus d'entreprises que la France, à population active comparable ( )21 . L’objet du texte est donc d’encourager et de faciliter la création d’entreprise. Le gouvernement s’est même fixé un objectif chiffré : la perspective est de créer au moins 1 000 000 entreprises en cinq ans. Avec cette précision que, depuis les années 1990, on compte moins de 180 000 créations par an (contre 200 000 dans les années 80 !).

54.- Techniquement, la démarche présente quelque ambiguïté. Alors même que le législateur marquait nettement sa préférence pour les créations d’entreprises sous forme sociétaire, ne serait-ce que parce que, dans la décennie à venir, plus de 500 000 entreprises vont changer de dirigeants, les règles nouvelles introduites par le texte du 1er août 2003, auront un effet paradoxal sur l’attractivité de l’EURL auprès des PME. Car si certaines de ces règles sont incontestablement de nature à renforcer l’intérêt pour le chef d’entreprise, notamment un créateur d’entreprise, de constituer une EURL, d’autres pourraient au contraire avoir pour conséquence de l’inciter à préférer le statut d’entrepreneur individuel.

a) mesures encourageant le recours à l’EURL

55.- Outre la disposition déjà évoquée concernant le capital social minimum de l’EURL, le législateur a cherché à assouplir et à accélérer les mécanismes de constitution de la société. Un objectif chiffré a, là encore, été évoqué : qu’il soit possible de créer une société en un jour et en un lieu unique, avec un capital fixé librement, pour un coût inférieur à 100 €. Trois séries de mesures se combinent au soutien de cet objectif et ont certainement pour effet de renforcer l’intérêt de recourir à l’EURL.

(21) C. Vautrin, Doc. Ass. Nat. Rapport N° 572 sur le projet de loi pour l'initiative économique, 3 fév. 2003 t. 1,

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56.- D’une part, le législateur a assoupli les conditions de domiciliation de la société, notamment en autorisant plus largement que par le passé la fixation du siège social au domicile du mandataire légal (C. com., art. L. 123-11 et L. 123-11-1). Sans entrer dans le détail d’une réglementation très technique, on ne peut manquer de relever que, si le texte réforme également dans un sens favorable, les conditions de domiciliation des entreprises individuelles, l’assouplissement apporté va sensiblement plus loin au bénéfice de l’entreprise sociétaire, notamment, à s’en tenir à une lecture stricte des textes, la possibilité de domiciliation collective n’existe que pour les sociétés, non au cas de l’entreprise individuelle.

D’autre part, le législateur accélère la procédure de constitution par la création d’un récépissé de création d'entreprise, censé permettre un démarrage plus rapide de l’activité alors même que la société est encore en formation (C. com., art. L. 123-9-1).

Enfin, le texte pose le principe que l’ensemble des formalités pourront désormais être réalisées par voie électronique. Toutefois, le texte renvoie à un décret d’application, non encore promulgué en juillet 2004, le soin de préciser les modalités pratiques d’une telle déclaration dématérialisée (L. n° 94-126, 11 févr. 1994. art. 4, III, modifié par L. n° 2003-721, art. 4).

57.- Cette dernière mesure vaut toutefois autant pour les créations d’entreprises sociétaires que d’entreprises individuelles, de sorte que le bilan de la loi du 1er août 2003 s’avère finalement assez décevant. Hormis la réforme concernant le capital social, l’incitation législative en faveur de l’EURL demeure modeste. Surtout, certaines des règles nouvelles portées par la loi sont susceptibles de rendre plus avantageux le choix de l’entreprise individuelle.

b) mesures incitant à adopter ou à conserver le statut d’entrepreneur individuel

58.- Une des mesures phares de la loi du 1er août 2003 concerne la possibilité donnée à une personne physique ayant une activité professionnelle de rendre, par une déclaration unilatérale, insaisissables les droits dont elle est titulaire « sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale » (C. com., art. L. 526-1 sq.). Sont visées les personnes physiques immatriculées à « un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante ». C’est-à-dire les commerçants et les artisans bien sûr, mais aussi les agriculteurs, les agents commerciaux et l’ensemble des professions indépendantes.

Cette insaisissabilité qui, formellement, nécessite d’une part la rédaction d’un acte notarié, d’autre part des publicités en direction des tiers (à la conservation des hypothèques notamment) développe ses effets relativement au paiement des créances professionnelles nées postérieurement aux mesures de publicités légales.

59.- Ainsi présenté, ce nouveau mécanisme est potentiellement de nature à rendre sans objet la constitution d’une EURL. En effet, parce qu’il a pour effet de soustraire le logement principal – souvent l’élément le plus important en valeur du patrimoine – aux poursuites des créanciers professionnels, il aboutit, certes par d’autres voies, au même résultat que si le chef d’entreprise avait constitué une EURL. Mais il paraît placer l’entrepreneur individuel dans une situation préférable à celle de l’associé unique car l’insaisissabilité instaurée par le texte est totale, dès lors que les formalités constitutives ont été respectées. Alors que l’associé unique gérant de la société peut voir son patrimoine propre engagé, on l’a vu, à raison d’une action en comblement d’actif, voire en extension de redressement ou de liquidation judiciaires.

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60.- La loi du 1er août 2003 a-t-elle porté un coup d’arrêt décisif à l’EURL comme l’ont écrit plusieurs auteurs ? Sans doute pas. Pas plus que l’EURL, le mécanisme de l’insaisissabilité n’est capable de dépasser l’antinomie classique entre protection légale de l’entrepreneur et crédit de l’entreprise. Bien au contraire, la règle nouvelle amenuise considérablement les garanties qu’un créateur d’entreprises pourra présenter à ses créanciers, principalement aux banques. Comme certains parlementaires l’ont relevé au cours des débats ayant conduit à l’adoption du texte, l’option en faveur de l’insaisissabilité pourra être considérée comme l’envoi d’« signal négatif aux établissements de crédit, qui pourront se dire que l’entrepreneur ne croit pas totalement à son projet » ( )22 .

Plus encore, on peut craindre un contournement du texte. D’une part, le risque est grand que les créanciers fassent pression sur l’entrepreneur pour qu’il engage son logement, nonobstant la possibilité qui lui est offerte de le rendre insaisissable. D’autre part, au vu de la pratique bancaire, il est à prévoir qu’un engagement des proches soit, davantage encore qu’aujourd’hui, sollicité en tant que caution ou codébiteur solidaire.

61.- Sans doute, si le texte apporte certaines améliorations, il n’a pas été assez loin. Quelles sont alors les réformes envisageables pour donner à la PME une structure juridique véritablement adaptée à ses spécificités ?

III – Les réformes envisageables

62.- Les réformes d’ordre juridique susceptibles d’améliorer la situation des PME ne sauraient concerner les seules EURL. Elles doivent aussi s’opérer en explorant d’autres voies.

A) Les réformes concernant spécifiquement l’EURL

63.- Le CREDA, dans l’ouvrage cité à plusieurs reprises, a suggéré un certain nombre d’adaptations du droit de l’EURL, propres à la rendre plus attractive, spécialement pour les PME. On insistera sur deux d’entre elles.

64.- La première a trait au statut du conjoint de l’entrepreneur, associé unique. En effet, il existe en droit français une protection spécifique du conjoint du commerçant. Mais cette protection, qui se traduit notamment sur le plan fiscal et social, n’est prévue que dans le cadre de l’entreprise individuelle (C. com., art. L. 121-6). La protection peut aussi résulter de l’application des règles du droit des sociétés ; ce qui suppose que le conjoint ait la qualité d’associé, donc impose la constitution d’une société pluripersonnelle.

Ainsi, en l’état du droit actuel positif, lorsqu’une EURL a été créée, le conjoint de l’associé ne bénéficie d’aucune protection particulière pour cette raison peu contestable qu’on ne saurait être le conjoint d’une EURL ! Si le raisonnement est imparable, le résultat auquel il conduit est profondément regrettable. Aussi avait-il été suggéré de permettre au conjoint de l’associé unique gérant d’accéder à la même protection que le conjoint de l’entrepreneur individuel ( )23 .

(22) E. Besson, JO déb. Ass. Nat. 5 fév. 2003, p. 922. (23) CREDA, op. cit., n° 138. Cette réforme avait d’ailleurs été envisagée par le législateur lui-même dans un projet

de loi voté en première lecture le 21 février 2002, mais qui n’a finalement pas abouti. Le texte subordonnait toutefois la protection à l’exigence que l’entreprise, exploitée sous forme d’EURL, n’emploie pas plus de dix salariés.

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65.- Une seconde modification opportune concerne la délicate question du financement de l’EURL. Toutefois, le CREDA n’avait pas préconisé la suppression, finalement entérinée par la loi du 1er août 2003, de l’obligation d’avoir à souscrire un capital social minimum de 7 500 €. Si, en effet, cette contrainte légale n’était pas de nature à protéger les tiers, la règle avait néanmoins une vertu pédagogique en direction du créateur d’entreprise, surtout du créateur inexpérimenté : celle de lui rappeler d’avoir à mobiliser un minimum de ressources – et 7 500 € étaient vraiment un minimum – au soutien de son activité. En outre, une telle mesure aurait dû s’accompagner, à l’instar de ce qui existe en droit anglais, d’une pratique de disclosure, c’est-à-dire de mise à disposition du public de données financières afin que les tiers amenés à contracter avec la société le fassent en connaissance des risques encourus ; ce qui n’a pas été le cas.

66.- Ainsi, il semble bien que la solution à la sous-capitalisation des PME ne passe pas par une suppression pure et simple de l’exigence d’un capital minimum. C’est plutôt sur le terrain du droit du crédit et des modes de financement que des réponses adaptées pourraient être trouvées. Le législateur lui-même en est conscient qui, à l’occasion de la loi du 1er août 2003, a développé plusieurs mesures propres à réduire les difficultés rencontrées par les PME, surtout celles récemment créées, pour financer leur développement. Dans ce but ont notamment été créés des fonds d’investissement de proximité permettant de drainer l’épargne locale vers les créations d’entreprises (Code monétaire et financier, art. L. 214-41-1) ( )24 . Par ailleurs, s’agissant toujours de faciliter l’accès à des sources de financement non bancaires, on rappellera que le législateur a admis, avec l’ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 « portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises », que certaines SARL pourraient émettre des obligations nominatives ( )25 . Comme les exigences légales conditionnant une telle émission n’ont pas trait au nombre d’associés, il faut admettre, semble-t-il, qu’une EURL pourra émettre de tels titres, quoique, de toute évidence, cette mesure intéressera plutôt les SARL pluripersonnelles ( )26 .

Le CREDA quant à lui a plutôt suggéré l’extension du dispositif de cautionnement mutuel et proposé de faciliter l’intervention de mécanismes de garantie du type « garantie SOFARIS ». Mais c’est bien la preuve que, au-delà des adaptations nécessairement limitées apportées au régime de l’EURL, d’autres voies pourraient être explorées pour améliorer l’environnement juridique des PME.

B) Explorer d’autres voies ?

67.- Deux solutions, symétriques mais nullement exclusives l’une de l’autre, pourraient être envisagées. L’une s’attachant à rendre effectif le principe de limitation de responsabilité par la mise en place d’un véritable patrimoine d’affectation. L’autre consistant à personnaliser

(24) Ont également été réformés le régime de l’usure à l’égard des personnes morales (C. consom., art. L. 313-3 ;

Code monétaire et financier, art. L. 313-4) et les conditions de révocation ou de réduction des concours consentis par les banques aux entreprises (Code monétaire et financier, art. L. 313-12).

(25) V. supra, n° 3. (26) Une des justifications données à cette mesure se réfère au risque que le capital constitué excède, à un moment

de la vie sociale, les besoins de financement de l'entreprise, l'obligation de partager le pouvoir avec les nouveaux bailleurs de fonds expliquant alors le recours au crédit. Pour une analyse détaillée, v. H. Lécuyer, Commentaire de l'ordonnance du 25 mars 2004 dans ses dispositions relatives aux SARL, Petites Affiches 16 avril 2004, n° 77, p. 4.

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l’entreprise individuelle pour élaborer une « entreprise individuelle à responsabilité illimitée » (EURI).

1- Le patrimoine d’affectation

68.- La première des solutions à explorer serait sans doute celle du patrimoine d’affectation dont le CREDA, avec d’autres, avait prôné l’adoption lors des réflexions qui ont précédé la loi du 11 juillet 1985 ( )27 .

Sans revenir sur les avantages invoqués à l’époque, on pourrait ajouter que rien ne paraît s’opposer à la coexistence de deux techniques de protection du patrimoine de l’entrepreneur : l’EURL d’un côté, le patrimoine d’affectation d’un autre côté. À chacun de choisir, en fonction de sa situation et de ses besoins propres, la structure qui lui paraît la mieux adaptée. C’est, du reste, la solution qui prévaut dans un certain nombre de pays européens, par exemple en Allemagne. Cette coexistence est même entérinée par le droit communautaire, puisque la directive 89/767/CEE du 21 décembre 1989 reconnaît, à la demande du Portugal, outre la société unipersonnelle, la formule du patrimoine d’affectation.

Plus encore, le mécanisme de l’affectation a été explicitement envisagé comme possible support de la protection du logement familial lors des travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de la loi du 1er août 2003 ( )28 . Certes, la solution a été finalement écartée au profit de celle de l’insaisissabilité, en raison de « l’extrême difficulté de sa mise en œuvre » ( )29 . L’affirmation est excessive. Si la mise en place d’un patrimoine d’affectation requiert de se conformer strictement à certaines exigences formelles, leur agencement est d’autant moins insurmontable que des constructions juridiques très abouties avaient été élaborées dans les années quatre-vingt ( )30 . Le moment est venu, sans doute, de réactiver cette structure soit sous la forme envisagée à l’époque d’un patrimoine d’affectation spécifique, c’est-à-dire dédié à l’entreprise individuelle, soit sous la forme d’un patrimoine d’affectation générique, par la mise en place de l’institution du trust ou de la fiducie.

69.- Mais, il faut avoir conscience que, là encore, se posera une difficulté de financement de l’entreprise logée dans un tel patrimoine d’affectation. Cette affectation des biens professionnels dans une masse patrimoniale distincte de celle des biens familiaux – quelle que soit la forme juridique qu’on donne à cette affectation – n’a de sens que si elle se prolonge par l’impossibilité corrélative, également énoncée par la loi, d’un contournement contractuel par les créanciers, par exemple par le biais d’un cautionnement exigé du chef d’entreprise. Aussi peut-on utilement reprendre une des propositions formulées en son temps par les partisans du patrimoine d’affectation ( )31 . La loi devrait déclarer nulle et de nul effet toute garantie directement ou indirectement donnée en faveur de dettes de l’entreprise sur la partie familiale du patrimoine. Bien entendu, cette interdiction relative de cautionnement ou d’hypothèque ne concernerait que les dettes nées de l’activité de l’entreprise ; non celles contractées pour des besoins purement personnels.

(27) CREDA, L’entreprise personnelle, t. 2, Litec, 1981, (sous la dir. d’A. Sayag). (28) R. Dutreil, Propos introductif, in La problématique de la PME, JCP éd. E 2002, Suppl. n° 6, p. 1. (29) C. Vautrin, Rapport n° 572, Doc. Ass. Nat., T. 1, p. 102. (30) V. notamment, le projet élaboré par le groupe de travail présidé par C. Champaud, L’entreprise personnelle à

responsabilité limitée, RTD com. 1979, p. 579. (31) C. Champaud, op. cit., p. 603-604.

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Elle s’accompagnerait de la création d’une caisse de garantie, fonctionnant sur le modèle de l’assurance. Chaque chef d’entreprise, ayant décidé de dissocier patrimoine personnel et patrimoine professionnel, serait tenu d’adhérer (donc d’y cotiser) à cette caisse. Celle-ci aurait alors pour fonction de dédommager les créanciers jusqu’à hauteur de la valeur des biens rendus insaisissables du fait de l’affectation patrimoniale. Autrement dit, les créanciers professionnels ne pourraient obtenir de la caisse plus qu’ils n’auraient recouvré si une partie du patrimoine de l’entrepreneur n’avait pas été soustraite à leur gage. Ce faisant, les créanciers, eux aussi, trouveraient un avantage à la formule. Certes, l’intégralité de leurs créances ne leur sera pas nécessairement remboursée par l’intervention de la caisse de garantie. Mais, grâce à elle, ils obtiendraient, pour la fraction couverte, un paiement plus simple et plus rapide qu’en présence d’une entreprise individuelle, puisqu’ils n’auraient pas à réaliser les biens en cause. Il leur suffirait d’établir que les autres masses patrimoniales n’ont pas été en mesure d’éteindre les créances qu’ils font valoir.

70.- Le dispositif, on le constate, a sa propre cohérence. Le seul inconvénient est qu’il ne peut être mis en place immédiatement. À tout le moins, il requiert une implication directe des pouvoirs publics, sans le soutien desquels une telle caisse pourrait difficilement être mise en place.

Aussi, dans cette attente, une autre solution, plus légère et d’une mise en place plus simple, pourrait être élaborée.

2- Créer l’entreprise individuelle à responsabilité illimitée

71.- L’hypothèse de l’entreprise individuelle à responsabilité illimitée (EURI) a été initialement imaginée par le Professeur Paul Didier ( )32 . Il s’agit d’imposer au commerçant non plus seulement de s’immatriculer à titre personnel (C. com., art. L. 123-1, I ; D. n° 84-406, art. 7), mais d’immatriculer son activité. Ce faisant, la formalité d’immatriculation donnerait naissance à une véritable société dotée, à l’instar de l’EURL, d’une personnalité morale. Cette EURI qui juridiquement s’analyserait comme une SNC n’ayant qu’un seul associé serait soumise, pour l’essentiel, aux règles gouvernant ce type de société.

72.- Quels seraient les avantages de la formule ? Pour schématiser, on pourrait dire que, contrairement à l’EURL qui privilégie la protection de l’entrepreneur plutôt que le crédit de l’entreprise, l’EURI aurait pour vertu originale de favoriser le crédit de l’entreprise ou, de façon plus neutre, de protéger la cohérence du patrimoine affecté à la personne morale, sans pour autant sacrifier la situation de l’associé unique sur l’autel de la responsabilité illimitée. En effet, le principe de responsabilité illimitée inhérent à la société en nom peut présenter paradoxalement plusieurs avantages, dont l’associé unique comme l’entreprise pourraient tirer profit.

a) Intérêt de l’EURI pour l’entrepreneur

73.- Certes en pareille hypothèse, le chef d’entreprise ne bénéficierait pas du principe de limitation de responsabilité, puisque la qualité d’associé d’une société en nom collectif postule la responsabilité illimitée. Néanmoins, l’associé unique de l’EURI, du fait de l’existence d’une personne morale, serait dans une situation préférable à celle de l’entrepreneur individuel,

(32) P. Didier, Droit commercial, t. 1, Les sources. L’entreprise individuelle, PUF, 1992, p. 363 sq.

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protégé par le bénéfice de discussion qui oblige le créancier social à demander d’abord paiement à la société avant de pouvoir se retourner contre l’associé. Concrètement, le créancier ne saurait engager des poursuites contre l’associé, faute d’avoir préalablement, par acte extrajudiciaire, mis en demeure la personne morale de payer (C. com., art. L. 221-1, al. 2).

À cela s’ajoute que l’engagement d’un associé en nom ne saurait être assimilé à celui d’un codébiteur solidaire. En particulier, le créancier devra détenir un titre exécutoire contre l’associé et non pas seulement contre la société avant de pouvoir procéder à une mesure d’exécution forcée à son endroit ( )33 , de sorte que, à ce titre également, il se trouve dans une situation préférable à l’entrepreneur individuel.

b) Intérêts de l’EURI pour l’entreprise

74.- L’intérêt de L’EURI apparaît plus nettement encore si on envisage les choses du point de vue de l’entreprise logée au sein de la personne morale.

D’abord, la création d’une société personnalisée oblige l’associé unique à gérer l’entreprise en respectant non plus seulement son propre intérêt, mais l’intérêt social. Et si, l’incrimination d’abus des biens sociaux ne s’applique pas à la SNC, donc pas à l’EURI, le droit pénal commun est susceptible de sanctionner, à travers l’abus de confiance, celui qui aurait utilisé les actifs sociaux comme les siens propres. D’autre part, les créanciers personnels de l’associé unique n’auront aucun droit sur les actifs de la société. Enfin, de même que l’EURL permet de « sauver » des SARL n’ayant plus qu’un seul associé, l’EURI permettrait d’assurer la pérennité des sociétés en nom collectif pluripersonnelles devenues unipersonnelles par accident.

Plus techniquement, l’EURI offrira, pour l’essentiel, les mêmes avantages que l’EURL : faciliter la croissance de l’entreprise en permettant aisément l’association ultérieure de partenaires ; assurer la transmission de celle-ci, tant par cession en plusieurs fois des droits sociaux de l’associé unique, que par leur partage à l’occasion d’une liquidation successorale ou communautaire avec toutefois ici l’inconvénient de conférer la qualité de commerçant aux porteurs de parts.

75.- Mais il y a plus. L’EURI présenterait la particularité d’être, pour les PME et même pour les très petites entreprises, aussi accessible que l’EURL tout en leur offrant la souplesse de la SAS (ou de la SASU).

En effet, il existe très peu de dispositions impératives gouvernant le régime juridique des SNC. Et l’une des rares règles impératives, qui concerne l’exigence d’unanimité lors de toute cession de parts sociales (C. com. art. L. 221-13), ne risque pas de soulever de difficultés dans l’hypothèse d’une EURI ! Elle permet au contraire à l’associé unique de maîtriser totalement le devenir de la société, lorsque celle-ci deviendra pluripersonnelle.

76.- Enfin, l’EURI présenterait des avantages en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Elle permettrait, non sans quelque paradoxe, d’isoler un patrimoine professionnel – doté d’un intérêt propre, et distinct de celui l’associé unique, gérant de l’EURI. Ceci non seulement

(33) Cass. 2e civ. 19 mai 1998, D. 1998, jur., p. 405, concl. P. Tatu.

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parce que les créanciers individuels de l’associé unique n’auraient aucune action contre la société – ce qui est de nature à renforcer le crédit de l’entreprise constituée sous forme de SNC –, mais aussi plus subtilement en raison de la règle énoncée à l’article L. 221-16, alinéa 1er, du Code de commerce. Le texte prévoit que, lorsqu’un jugement de liquidation judiciaire ou arrêtant un plan de cession est prononcé à l’égard de l’un des associés d’une SNC, la société est dissoute, sauf clause contraire des statuts. En admettant que l’associé unique prenne la précaution d’introduire une telle clause, l’entreprise isolée au sein de l’EURI pourrait ainsi être cédée, donc préservée des difficultés de son animateur.

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