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- 1 - NOËL J. GUEUNIER Les poèmes de Maulidi Manganja Poèmes swahili recueillis à Nosy Be * Avertissement. Ce texte est paru initialement dans le Bulletin des Etudes Africaines de l'INALCO [Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris], III (6), 1983, pp. 7-75. La présente version révisée (2012) corrige les assez nombreuses fautes d'impression, dont certaines altéraient parfois le sens du texte - dans un cas au moins il s'agissait en fait d'une censure exercée par la rédaction de la revue, qui avait jugé le texte trop indécent et avait cherché à l'édulcorer (v. texte 3). Les numéros des pages de la publication originale figurent dans la marge. Quelques références qui renvoyaient à des travaux en cours ont été mises à jour et renvoient maintenant à la publication définitive. Enfin, l'illustration a été revue, en particulier pour insérer les portraits du poète, qui n'avaient pu être publiés dans la présentation originale. Le trait le plus notable de la situation linguistique à Mada- gascar est l'unité de la langue malgache : on a souvent noté à juste titre qu'à travers toutes les provinces de ce vaste pays sont parlés des dialectes tous très proches les uns des autres et en intercompréhension facile les uns avec les autres. Il n'en a pas toujours été ainsi, et les voyageurs anciens témoignent que sur une partie de la côte Ouest du pays on a parlé autrefois des langues « cafres », c'est-à-dire des langues bantu apparentées à celles qui sont toujours pratiquées sur la côte est d'Afrique, de l'autre côté du canal de Mozambique. « Sur toute la côte entre Mazalagem et Sadia, qui a environ une longueur de 130 lieues, on parle, sur le bord même de la mer, une langue analogue à celle des Cafres, c'est-à-dire des pays de Mozambique et de Malindi, et les habitants ressemblent, sous le rapport de la couleur et des usages, aux nègres d'Afrique dont, paraît-il, ils descendent. Mais à une petite distance de cette côte, de * Les matériaux publiés ici ont été recueillis au cours de plusieurs missions financées par le Centre Universitaire de Tuléar, Université de Madagascar. Je remercie Monsieur J.-L. Sibertin, qui m'a fourni la plupart des éléments de référence concernant l'Afrique de l'Est.

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NOËL J. GUEUNIER

Les poèmes de Maulidi Manganja

Poèmes swahili recueillis à Nosy Be *

Avertissement. Ce texte est paru initialement dans le Bulletin des Etudes Africaines de l'INALCO [Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris], III (6), 1983, pp. 7-75. La présente version révisée (2012) corrige les assez nombreuses fautes d'impression, dont certaines altéraient parfois le sens du texte - dans un cas au moins il s'agissait en fait d'une censure exercée par la rédaction de la revue, qui avait jugé le texte trop indécent et avait cherché à l'édulcorer (v. texte 3). Les numéros des pages de la publication originale figurent dans la marge. Quelques références qui renvoyaient à des travaux en cours ont été mises à jour et renvoient maintenant à la publication définitive. Enfin, l'illustration a été revue, en particulier pour insérer les portraits du poète, qui n'avaient pu être publiés dans la présentation originale.

Le trait le plus notable de la situation linguistique à Mada-gascar est l'unité de la langue malgache : on a souvent noté à juste titre qu'à travers toutes les provinces de ce vaste pays sont parlés des dialectes tous très proches les uns des autres et en intercompréhension facile les uns avec les autres. Il n'en a pas toujours été ainsi, et les voyageurs anciens témoignent que sur une partie de la côte Ouest du pays on a parlé autrefois des langues « cafres », c'est-à-dire des langues bantu apparentées à celles qui sont toujours pratiquées sur la côte est d'Afrique, de l'autre côté du canal de Mozambique.

« Sur toute la côte entre Mazalagem et Sadia, qui a environ une longueur de 130 lieues, on parle, sur le bord même de la mer, une langue analogue à celle des Cafres, c'est-à-dire des pays de Mozambique et de Malindi, et les habitants ressemblent, sous le rapport de la couleur et des usages, aux nègres d'Afrique dont, paraît-il, ils descendent. Mais à une petite distance de cette côte, de

* Les matériaux publiés ici ont été recueillis au cours de plusieurs missions financées par le Centre Universitaire de Tuléar, Université de Madagascar. Je remercie Monsieur J.-L. Sibertin, qui m'a fourni la plupart des éléments de référence concernant l'Afrique de l'Est.

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même que dans tout l'intérieur de l'île et sur le reste des côtes, on ne parle que la langue bouque, qui est particulière aux indigènes et diffère totalement de la langue cafre, mais qui est très semblable au malais (…) ». (L. Mariano, « Relation du voyage de découverte fait à l'île Saint-Laurent dans les années 1613-1614… », in : Collection des ouvrages anciens, t. 2, 1904, pp. 21-22.)

[8] Cette région fait aujourd'hui partie du vaste ensemble appelé sakalava, nom qui renvoie à une ancienne dynastie qui avait établi entre le XVIIe et le XIXe siècle toute une série de royaumes le long de cette côte, et les dialectes qui y sont parlés aujourd'hui relèvent de la langue malgache.

Pourtant, de petites communautés ont conservé jusqu'à une époque récente, et conservent encore, l'usage de langues bantu. Il s'agit d'abord des Makhuwa (qu'on écrira en malgache Makoa), dont la plupart ont été amenés comme esclaves ; la traite n'a cessé que dans les toutes dernières années du XIXe siècle (à Nosy Be, possession française depuis 1840, l'esclavage était officiellement aboli dès 1848, mais la traite se poursuivait en fait sous la forme du recrutement d'« engagés »). Jusque dans les années 1920 au moins, les Makoa formaient des villages séparés, et donc conservaient l'usage de leur langue dans la vie quotidienne, le malgache étant utilisé pour les relations avec les villages voisins. C'est ainsi qu'en 1923, lorsque l'Académie Malgache prend l'initiative d'une enquête sur les dialectes, l'administration d'Analalava fournit un questionnaire rempli en cette langue1. Mais, depuis, un retournement très net s'est produit, l'habitat n'est généralement plus séparé, et les Makoa ont cessé d'enseigner la langue à leurs enfants. On ne trouve donc guère plus que quelques vieux pour la parler, dans les régions où la population makoa est la plus dense (région de Tambohorano, île de Nosy Be, notamment).

Un deuxième cas, assez différent, est celui du swahili. Cette langue était, jusqu'au début du XXe siècle, la langue du commerce, de la politique et du prestige dans toute la région du nord du canal de Mozambique. J'ai pu par exemple recueillir encore en 1981 près de Maintirano un chant en swahili à la gloire d'un prince malgache des années 1890 : 1 Je remercie ici R. Kent qui m'a signalé l'existence de ce questionnaire dans les collections de l'Académie malgache, et J.-P. Domenichini qui a bien voulu l'y rechercher. Des données linguistiques sur le makhuwa parlé à Madagascar, y compris d'après ce questionnaire de 1923, ont été publiées dans Gueunier 2003-2004. Sur la question des « engagés », cf. Gueunier 2007.

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[9] Barera laelo Barera e ! Iyo Barera : namsifu mfaume mzuri, Mtazame macho yake kana bilauri, Nywele zake kana hariri, Walishika kinanda walimtengeneza sauti yake Kama nzumari ! Barera laelo Barera, leo Barera, Namsifu mfaume mzuri.

« Barera, oh là, Barera ! C'est lui Barera ; faites la louange d'un prince si beau, Voyez ses yeux, ils sont comme le verre, Ses cheveux, comme une soierie, Les faiseurs de flûtes lui ont forgé une voix Comme celle du hautbois ! Barera, oh là, Barera, c'est Barera aujourd'hui, Faites la louange d'un prince si beau. »

Barera, aussi appelé Tsimetra, était le fils de Bareravony, reine sakalava de l'Ambongo. Il fit soumission en son nom et en celui de sa mère, devant le capitaine Bouvié, le 9 mai 1899 2. Qu'un hymne en son honneur ait été composé en swahili montre l'importance de cette langue dans l'Ouest malgache à la fin du siècle dernier. Certains groupes - les Musulmans, qui étaient commerçants, marins, ou conseillers politiques des princes malgaches, et qui étaient en relations directes avec la côte d'Afrique - avaient même le swahili pour langue maternelle. C'est ainsi qu'en 1900, l'architecte A. Jully qui était chargé de conduire à Paris une délégation d'« indigènes de Madagascar » pour l'exposition universelle, et qui avait eu l'idée d'exploiter leurs loisirs forcés sur le bateau pour mener une enquête linguistique, jugea intéressant d'inclure le swahili dans son travail. Il en résulta un Manuel des dialectes malgaches comprenant sept dialectes : hova, betsiléo, tankarana, betsimisaraka, taimorona, tanosy, sakalava, (Mahafaly), et le soahély. Il justifie très clairement ce choix :

2 Cet événement est rapporté par J. Rasoanasy dans son livre sur les résistances à la conquête coloniale (1976, p. 183) ; la source indiquée est le Journal Officiel de Madagascar du 9 juin 1900, mais cette référence semble inexacte. Barera est habituellement un nom de femme, et il est assez surprenant de le voir attribué à un homme. Dans son livre sur les cultes de possession, Rusillon a signalé (1912, p. 154) un chant qui est entonné au cours de la séance au moment où une femme entre en transe, possédée par un esprit masculin : E e e saiketra, E saiketra Barera… ce qui veut dire : « Eh eh eh c'est un efféminé, Eh Barera est un efféminé… ». Ceci explique peut-être cela.

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[10] « La langue du Soahel, en effet, parlée sur toute la côte orientale d'Afrique (…) sert actuellement de trait d'union entre Mascate, Zanzibar, les Comores, Nosy-Bé et Majunga, ces épaves de l'énorme Empire que les Arabes du golfe Persique ont possédé pendant plusieurs siècles. C'était la langue commerciale de l'Océan Indien : sur certains points de la côte de Madagascar elle est parlée couramment encore, bien que déformée par les indigènes (…). »

(A. Jully, 1901, p. VI)

Dans son rôle de langue internationale, le swahili a rapidement cédé la place au français à Madagascar aussi bien qu'aux Comores. Mais, alors que le makoa était lié aux souvenirs de l'esclavage, il a gardé quelque chose de son ancien prestige, ce qui explique qu'il soit resté plus vivant. Un village musulman de l'île de Nosy Be (l'ancien port de Marodoka, détrôné par la ville coloniale de Hell-Ville), et sans doute quelques autres petits groupes analogues (notamment à Soalala) l'ont gardé comme langue maternelle, à côté du malgache, qui est aujourd'hui parlé par tous. A vrai dire, là aussi, la langue minoritaire qu'est le swahili est en voie de disparition : seuls les adultes la parlent couramment, et les enfants, qui la comprennent, répondent de préférence en malgache. On ne saurait d'ailleurs trop insister sur la complexité des phénomènes de multilinguisme dans ces anciennes communautés : au swahili, langue des relations internationales et langue maternelle des citadins de statut libre, venaient se superposer le makoa, langue servile, et le malgache sakalava, langue des familles royales, mais aussi de la masse des pasteurs, paysans et pêcheurs, sans parler des langues « étrangères » : arabe, comorien, langues de l'Inde… Aujourd'hui, où l'ancien comptoir de Marodoka a perdu toute importance commerciale, la plupart des familles dominantes qui y étaient établies l'ont abandonné, et les habitants à qui on peut demander des textes en swahili sont en fait pour la plupart classés dans la catégorie des Makoa, c'est-à-dire des descendants d'esclaves. Ils maintiennent ainsi la tradition d'une langue qui était celle de leurs anciens maîtres, de préférence à la leur propre.

[11] Ces indications sur la situation linguistique m'ont paru néces-saires pour expliquer comment on peut encore actuellement recueillir à Madagascar des textes de littérature orale en swahili. J'ai déjà publié un petit recueil de contes dans ce swahili de Madagascar, provenant tous du village de Marodoka (N. J. Gueunier, 1980). Depuis, j'ai eu la bonne fortune de rencontrer, toujours dans le même village, un vieux poète, dont je voudrais présenter ici les œuvres, des poèmes connus sous le nom de manganja.

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Carte 1. Le monde swahili de Maulidi Manganja.

[12] LE GENRE MANGANJA Manganja est le nom d'une ethnie, et d'une langue du Mozambique et du Malawi qui figure sur la carte linguistique de Guthrie dans le groupe N 31 des langues bantu. Le nom de notre genre poétique est certainement lié étymologiquement avec celui de l'ethnie.

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Les informateurs malgaches semblent cependant ignorer cette acception du terme ; pour eux c'est le nom d'une « danse », ou plutôt d'un style de « jeux » ou « festivités », ces mots tentant de traduire le swahili ngoma, malgache sakalava hazolahy, littéralement « tambour », qui désigne en fait toute espèce de manifestation publique avec danse, même si comme c'est le cas ici, on n'y fait pas usage de tambours3.

Le jeu de manganja, qui n'est plus pratiqué aujourd'hui à Nosy Be, se jouait, d'après les gens de Marodoka, le soir sur la place du village : les jeunes gens chantaient des morceaux improvisés en dansant sur un rythme marqué par un instrument caractéristique, des sonnailles ou grelots attachés aux mollets, et résonnant à chaque mouvement de la jambe des danseurs. Ces grelots, appelés masheve étaient fabriqués avec les feuilles sèches d'une espèce de palmier4, dans lesquelles étaient enfermées de petites graines. Tout cela est attesté aussi en Afrique de l'Est, où le mot désigne aussi une danse : « Manganja : Jeu (ngoma) pratiqué par les Manganja, les Nyanja et les Yao », dit un dictionnaire swahili récent5.

[13] Le mot manganja peut désigner aussi les grelots eux-mêmes ; les danseurs les portent aux mollets pour une danse des hommes, originaire de Pemba, bien connue et très appréciée à Zanzibar, où elle s'appelle ngoma ya msewe, nom dans lequel on peut sans doute reconnaître le terme masheve utilisé à Madagascar. Mais il s'agit là avant tout d'une danse d'improvisation rythmique, les grelots faisant percussion selon les pas des danseurs : la part verbale est très réduite6. Or, l'essentiel du manganja, pour les informateurs malgaches, est la joute poétique. Un joueur lance à quelqu'un un couplet, généralement à double sens, où le message réel n'a pas de rapport apparent avec la métaphore utilisée. Il s'agit souvent d'une attaque personnelle, parfois carrément injurieuse, à laquelle l'adversaire doit essayer de répondre lui aussi par des allusions plus ou moins voilées. C'est ce style que les informateurs appellent kufanya kinyme, litt. « faire à la nyume, en manière de nyume », nyume désignant « le derrière, la partie arrière, le

3 Remarquons l'usage tout à fait parallèle en français régional aux Comores du mot tam-tam : le tam-tam bœuf y est une danse du taureau ; le tam-tam des diables y est une danse des esprits dans les cultes de possession. 4 Hyphaene coriacea Gaertner (autrefois H. shatan), appelé en malgache sakalava satra, en swahili miaa. 5 Kamusi ya kiswahili sanifu, 1981, art. Manganja. 6 J.-L. Sibertin, communication personnelle.

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contraire » d'une chose, ici simplement « s'exprimer en paroles détournées ».

Il semble bien que les acteurs de ces réjouissances se recru-taient uniquement parmi les descendants des esclaves ou engagés, les « Makoa » (issus en fait de diverses ethnies du Mozambique - on verra par exemple cités dans un de nos textes les Yao). Mais la langue utilisée était le swahili, certainement en raison de son prestige.

Tous les témoignages insistent d'ailleurs sur l'importance des fêtes et de la vie cérémonielle dans la société servile. Sans doute les maîtres trouvaient-ils intérêt à permettre à leurs dépendants ces sortes de loisirs, qui avaient en outre souvent l'avantage de maintenir les divisions ethniques à l'intérieur de la société servile : certains vieux, dans la région de Maintirano, peuvent encore chanter des morceaux qu'ils identifient comme chants de tel ou tel groupe du Mozambique, comme Mucawa, etc. Or ces morceaux chantés sont en swahili eux aussi, parfois mêlés de malgache. On a donc là la trace d'un folklore ethnique qui s'était développé à l'intérieur de la société servile à Madagascar même, et non importé directement du continent africain.

[14] Peu de témoignages écrits subsistent de ces danses et jeux des Makoa, auxquels pourtant beaucoup d'étrangers ont dû assister. Cependant, on trouve dans le récit du voyage à Madagascar d'un marin autrichien, L. von Jedina, en 1873-1875, une description d'une danse dans un « village de Cafres ». Le village est situé avec assez de précision, à Nosy Be, sur le chemin de Hell-Ville à Marodoka, c'est-à-dire à quelques kilomètres seulement de l'endroit où nos textes ont été recueillis7. Le voyageur autrichien ne nous dit rien d'éventuelles joutes verbales, auxquelles de toute façon il n'aurait rien pu comprendre dans son ignorance de la langue. Il mentionne un tambour, ce qui semble montrer qu'il ne s'agit pas exactement du manganja tel que le décrivent aujourd'hui les gens de Marodoka. En effet dans le manganja, comme nous l'avons vu, le tambour n'intervenait pas et les seuls instruments utilisés étaient les grelots. Mais il devait s'agir de quelque genre très voisin.

« Voici en quoi consiste cette danse, à laquelle les hommes seuls prennent part, les femmes demeurant spectatrices ; les danseurs en rond se dandinant au son du tambour, et le premier danseur, qui se trouve au milieu, engage l'un d'eux à sortir du cercle pour exécuter seul une danse, et accomplit en cadence avec lui les mouvements de

7 Marodoka y est appelé de son ancien non d'Ambanoro, écrit par erreur Ambarunu, mais la localisation ne laisse aucun doute.

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corps les plus incroyables. S'il est capable d'imiter le premier danseur, l'engagé est récompensé par les cris d'approbation des spectatrices; dans le cas contraire, le premier danseur le chasse du cercle de la façon la plus énergique, et alors les tibias de l'infortuné peuvent bien ne pas s'en tirer sans porter quelque témoignage éloquent de sa maladresse. » (L. von Jedina, 1877, pp. 132-133, traduct. 1878, pp. 150-151).

[15] Sur la gravure qui illustre cette description on peut d'ailleurs voir un « Cafre » portant ce qui semble bien être des grelots, mais en collier, et non à la jambe.

Fig. 1. « Cafre en costume de danse. » Gravure publiée dans L. von Jedina, 1877, p. 135.

A une époque bien plus récente, un administrateur français a assisté à une autre danse d'origine africaine, le piripiti, chez des

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Makoa du pays tsimihety (au nord-est du pays sakalava). Sa description est d'une grande indigence :

« Une danse d'Afrique a été conservée : le Piripit. Autrefois, pour l'exécuter on s'ornait la tête de plumes, on attachait des grelots à son cou, et une sagaie à la main on sautait le soit autour du feu ; le danseur ne s'arrâtait qu'ivre d'alcool et mort de fatigue. Aujourd'hui le Piripit se danse sans plumes, les grelots sont remplacés par des sachets recouvrant les jambes et dans lesquels sautent des graines. » (P. Gentil, 1953, p. 56).

Mais elle est illustrée d'une photographie sur laquelle on distingue bien les grelots masheve sur les mollets des danseurs.

Fig. 2. Danseur makoa avec les grelots de mollets. Photographie publiée dans P. Gentil, 1953, p. 56.

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MAULIDI MANGANJA, POETE MALGACHE DE LANGUE SWAHILI Le poète auprès de qui j'ai recueilli les textes qu'on trouvera plus loin est un très vieil homme, qui était dans sa jeunesse un champion à ce jeu de manganja. De cette renommée il a gardé le surnom de Manganja sous lequel il est encore connu aujourd'hui. Mais personne à Nosy Be ne danse plus le manganja, et si Maulidi est très fier de réciter les textes de ses anciens succès - dans les deux sens d'ailleurs car beaucoup de ces succès étaient aussi des succès amoureux - il se refuse à les chanter.

Fig. 3. Maulidi Manganja se remémorant ses poèmes (1981).

[16] C'est qu'il est maintenant un homme pieux, qui va cinq fois par jour à la prière, ne boit plus d'alcool, et occupe la fonction de muezzin de l'antique mosquée du Vendredi de Marodoka. Le contexte dans lequel les poèmes ont été recueillis est donc bien différent de celui dans lequel ils devaient être produits lorsque le « jeu » était encore vivant. Beaucoup d'allusions demeurent inexpliquées, qui étaient

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certainement claires pour le public. Parfois certaines pièces qui exigeaient sans doute une réponse restent aujourd'hui isolées, et la mémoire de Maulidi elle-même n'est pas toujours nécessairement fidèle. Dans trois cas (les pièces 1, 2 et 59), les manganja m'ont été présentés insérés dans une petite histoire qui prétend expliquer dans quelles circonstances les vers ont été improvisés. Mais alors, l'explication peut paraître au contraire trop précise : le poème est susceptible d'autres interprétations tout aussi séduisantes, et on peut soupçonner l'historiette qui l'accompagne d'avoir été fabriquée après coup.

Enfin, on peut se demander quelle est la part d'originalité de toutes ces productions. Si l'on interroge Maulidi, c'est lui, bien sûr, qui est l'auteur de tout : toutes ces inventions sont les siennes, comme aussi toutes les conquêtes féminines et tous les exploits érotiques dont il est question. Et cela est bien vrai en un sens, mais il faut comprendre que l'improvisation qui caractérisait la joute poétique du manganja s'appuyait sur des formules traditionnelles toujours disponibles, sur des associations que le champion devait garder présentes à l'esprit. Aussi ne faut-il pas s'étonner si nos manganja rappellent d'assez près les mafumbo, ou défis, qu'on se lance aujourd'hui encore en pays swahili, de manière plus ou moins informelle, par exemple à l'occasion des danses, mariages ou autres réjouissances, pour le plus grand plaisir des spectateurs8. On peut même retrouver presque littéralement tel de nos couplets dans les poèmes de circonstance qu'avait recueillis au Tanganyika l'Allemand R. Zache (1897) auprès d'un jeune poète irrespectueux, Merere bin Kawamba de Vikindo, qui n'est pas sans traits communs avec notre Maulidi de Madagascar.

[17] A Madagascar même, le procédé caractéristique des poèmes de Maulidi, le kufanya kinyume « s'exprimer en paroles détournées », est attesté dans de nombreuses formes de poésie orale à travers tout le pays. C'est ce qu'à Nosy Be on appelle en sakalava man̈ankolatra « tenir un discours détourné, ironique, allusif » - et qui est également inséparable des genres pratiqués sous différents noms en pays Menabe (saimbola), en Imerina (hain-teny), au Betsileo (rija), etc. Partout on trouve la même structure : des poèmes juxtaposant un premier élément décrivant des objets prosaïques, des lieux ou des êtres indifférents,

8 J.-L. Sibertin, communication personnelle.

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Fig. 4. Maulidi Manganja à la mosquée du Vendredi de Marodoka (1982).

avec un deuxième élément qui enferme le sens profond du morceau, les deux parties étant reliées par une relation métaphorique plus ou moins subtile. Ainsi dans un rija (chanson galante) betsileo :

Ny kolokolo maitso ro maniry tsa ho vary , Ny zanak'olo-maitso ro mandà tsa ho vady. « C'est le regain verdoyant qui pousse mais ne donne pas de riz, C'est la fille au teint noir qui ne veut pas de mari. [litt. : qui refuse de devenir épouse] » (N. J. Gueunier, 1973, pp. 153-155)

En betsileo, un teint très foncé s'appelle littéralement un teint « vert ». Cela suffit à mettre en parallèle le regain verdoyant mais décevant puisqu'il ne porte pas de grain, avec la fille jolie, mais

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dédaigneuse, qui refuse de se marier9. Encore est-ce ici la figure la plus simple. Souvent, au contraire, l'allusion ne sera pas éclaircie du tout. Dans les genres dialogués, comme les énigmes tapaton̈o ou les propos galants filan'ampela, c'est au partenaire de montrer par sa répartie qu'il a saisi l'allusion et qu'il est capable de relancer l'échange10, qui porte le plus souvent sur un thème érotique.

Carte 2. Nosy Be et environs.

Les lieux cités dans les poèmes de Maulidi Manganja.

9 Pour une analyse du rija betsileo, v. P. Beaujard, 1976. 10 Sur les tapaton̈o masikoro (Sud-Ouest de Madagascar), v. L. Raharinjanahary, 1996 ; sur les filan'ampela sakalava, J.-C. Hébert, 1964. C'est de cette manière aussi que fonctionnaient les séances de hain-teny merina telles que J. Paulhan les décrit (1913), alors que le genre était encore vivant comme genre oral.

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[18] Malgré l'usage de la langue swahili et l'insistance continuelle sur le contexte islamisé particulier au village « swahili » de Marodoka (rites, costumes, spécialités culinaires, etc.), les poèmes de Maulidi Manganja ne sont donc pas le moins du monde étrangers à la culture malgache. C'est ce que j'ai voulu marquer par l'expression employée plus haut : « poète malgache de langue swahili ». D'ailleurs, à l'occasion, Maudi produit aussi en malgache, et cela tout à fait dans le même style (cf. texte 41), bien qu'il préfère ne pas insister beaucoup sur ce côté de son talent.

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[19] TEXTES, TRADUCTIONS, NOTES ET COMMENTAIRES J'ai essayé de me conformer le plus étroitement possible aux conventions orthographiques en usage pour l'écriture du swahili standard. Mais j'ai aussi respecté fidèlement les particularités linguistiques - d'ailleurs assez peu nombreuses - qui distinguent le dialecte de Marodoka du kiunguja ou swahili de Zanzibar. On trouvera quelques indications à ce sujet dans l'introduction du recueil de contes cité plus haut (N. J. Gueunier, 1980). Les traductions et interprétations proposées sont le plus souvent fondées sur les paraphrases ou explications fournies, en malgache, par le poète lui-même.

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[20] 1

Kuna watu tumbo moja hupata watu kumi, basi wote amawatongoza, wote amawatongoza, amabaki mmoja, mmoja amabaki. Wote wale tisia amekwisha kulala nao, baki mmoja. Sasi mmoja ule hakuwa hapo, alikuwa ng'ambo1. Kuja kwake pale akasema nae, akasema : « A, wewe unataka kutimaliza sote, aha, mimi sitaki ! - Hutaki ? - Ewa. » Basi akanyamaza. Akisha pale hata asubuhi ikasimama manganja. Wamesoma manganja, akasema :

« Milima zote nimepanda, Amebaki Mkia-wa-Paka, Ninadhiri suku ya kupanda Nina kombe ya sadaka2. »

Ha ! Alovyosikia ule mama ule alokataa ule, akasema : « A mtu ule anajua kuimba ! » Akakubali. Akakubali akalala nae. Haya, alovyolala nae, ikesha amalala nae pale hata usubuhi akasema :

« Basi sasa : Mtu husalia nyuma nyuma Kama misili ya paka. Msakalava akiondoka usubuhi, Shurti atakwenda akafanya ‘kwezi Ampanjaka’. »

NOTES 1. Ng'ambo est litt. « de l'autre côté, sur la rive opposée ». A Zanzibar, c'est le nom d'un quartier de la ville, situé de l'autre côté de la lagune, par rapport au centre. À Nosy Be, l'expression équivaut au malgache an-Tanibe « à La Grande Terre », par opposition à l'île de Nosy Be et aux petites îles environnantes. 2. Nina kombe ya sadaka, litt. « j'ai le grand plat de l'offrande, ou du sacrifice ». Allusion à la coutume d'offrir un festin à la mosquée, pour acquérir des mérites, ou remercier d'une grâce reçue. L'expression a été glosée en malgache par mbo handoky hanin̂y be zaho, hataoko haravoan̈a « je préparerai un grand repas, pour faire une réjouissance », et encore : hanin̂y sadàka, hanin̂y atao masikiriny in̂y « un repas d'offrande, un de ces repas qu'on fait à la mosquée ». 3. Ampanjaka « roi », en malgache dans le texte. Variante : Shurti atakwenda kwezi Ampanjaka. « Il faut qu'il aille saluer le Roi ». Kwezi (malgache koezy) signifie « faire la salutation rituelle réservée au roi », un cérémonial quotidien auquel, en effet, les Sakalava attachent une grande importance.

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[21] 1

Il était une fois des sœurs, au nombre de dix. Et toutes il les avait séduites, il les avait toutes séduites, sauf une, une seule.Il avait couché avec les neuf premières, il en restait une. Or celle-là, elle n'était pas là, elle était partie sur la Grande Terre. Quand elle revint, il lui parla, et elle lui dit : « Non, tu veux nous avoir toutes les unes après les autres ! Ah non, je ne veux pas. - Tu ne veux pas ? - Non. » Alors il resta sans rien dire. Et le lendemain matin il y avait une séance de manganja. Pendant qu'on dansait le manganja, il chanta :

« J'ai escaladé toutes les montagnes, Sauf la Queue-du-Chat, Et je fais vœu que le jour où je l'escaladerai, Je ferai un grand festin. »

Ho ! Quand elle entendit cela, la femme qui l'avait repoussé, elle se dit : « Ah, que cet homme chante bien ! » Et elle accepta : elle accepta de coucher avec lui. Alors, une fois qu'elle eut couché avec lui, le lendemain matin, il dit :

« Eh bien maintenant voilà : Si on reste toujours en arrière C'est comme semblance de chat. Le Sakalava quand il sort de chez lui le matin, Il faut qu'il aille dire ‘salut, ô Roi’. »

COMMENTAIRE Nous avons ici un manganja présenté « en situation » dans une petite histoire censée expliquer dans quelles circonstances il a été prononcé. C'est l'histoire d'un homme (certainement notre poète lui-même) qui collectionne les succès amoureux, et en tient comptabilité ; il, a eu neuf conquêtes, La dixième jeune fille qui se refuse à lui, doit lui céder à son tour ; d'où le poème improvisé pour la convaincre. C'est là à vrai dire un lieu commun dans les « propos galants » sakalava : J.-C. Hébert (1964, p. 245-248) en a relevé quelques exemples. « Il ne comprend jamais moins de dix vaches, le parc de l'éleveur »… Si nous considérons le poème lui-même, dans la première partie les montagnes sont les femmes, que le poète a « escaladées ». La Queue-du-Chat est le nom de la dernière montagne, la seule qu'il n'ait pas escaladée : c'est celle qui lui résiste encore. Le jour où elle cèdera, il pourra triompher. Dans la deuxième partie, une fois son triomphe acquis, le poète ridiculise celle qui croyait pouvoir lui résister : elle a cédé comme les autres... Si on considère le poème isolément, Mkia-wa-Paka « La Queue-du-Chat » peut être compris comme faisant référence non à la dernière femme, mais à la dernière façon de faire (la sodomie). Le salut au roi correspondrait à la proclamation demandant pardon à Dieu pour l'acte commis, proclamation assimilée à l'appel à la prière (adhini).

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[22] 2

Kuna mtu alimwoa…, amamwoa mwanamke. Mwanamke ule amamwoa akazaa nae, akazaa nae mtoto mwanamme. Baba ule akakaa pale akamlea mtoto, baba ule akafariki. Alivyofariki mama ule akakaa na ujani1, ule mtoto amepata makamu. Alivyopata makamu, mtoto anamukimu mamake. Atafuta chakula, atafuta kitu yoyote, akampa mamake, wanapika pale, wanakula. Walivyokula akisha ule mama akamwona mwana..., akaja mwanamme akamwona mama ule, akenda akamtongoza. Mtongozo kwake mama ule akakubali (ule mtoto hana habari), mama ule wakaibana2 ye na ule baba ule. Wakaibana, wakaibana, wakaibana hata khalafu baba ule akamkolea mshindo, akamwambia : « Nataka nikuoe. » Akasema : « Kweli mimi nilikuwa na mme wangu hapa alakini amafariki. Basi sasa unataka kunioa mimi nina mtoto wangu hapa ananitazama. Basi sitopata kufanya mimi na wewe, sharti nimshauri mtoto wangu. » Akasema : « Basi mshauri nikuoe. » Haya, baba ule akenda zake. Mama akamshauri mtoto : « Mwanangu e, kuna baba hapa ninaibana nae, basi shauri nini, wewe unanitazama kwa chakula, kwa mambo yote. Basi sasa ninataka..., baba ule anataka nioe, basi utakubali au hutokubali ? » Mtoto akasema : « Mimi ninakutosheleza kwa chakula lakini kuna mengine siwezi kukutosheleza ! » Mama akasema : « Yakini naam ! » Basi akaenda pale akasema : « Saburi mwite mtoto ».

[24] Wakamwita mtoto akamwambia : « A, habari ? - Njema. - Zaidi ? - Amani. - Baba huyu anataa kunioa, anasema, nimemwambia ya kuwa wewe unanitosheleza kwa chakula mtoto wangu, unanitosheleza kwa kula habari, walakini, nini..., kuna mengine utoweza kunitosheleza, nini... ? mme wangu. Basi shauri nini mwanangu ? » Amasema : « Kweli, kama anataa kukuoa, nakuoe. » NOTES 1. Akakaa na ujani « elle resta célibataire » : il s'agit ici, ce que l'expression française ne rend pas exactement, de la situation des femmes qui ont été mariées, et qui, divorcées, répudiées ou veuves, ont acquis ainsi la possibilité d'une certaine liberté sexuelle, interdite en principe à la fois aux filles vierges et aux femmes en puissance de mari. L'expression swahili kukaa na ujani correspond donc au malgache tôvo ; La femme célibataire man̈angy tôvo est celle que tout homme peut entreprendre sans scrupule. 2. Wakaibana « ils avaient des relations en se cachant », litt . « ils se volaient mutuellement ».

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[23] 2

Il était une fois un homme, qui avait épousé..., qui avait épousé une femme. Et il avait eu un enfant, un garçon. Ils vécurent ensemble et ils élevèrent cet enfant, puis le père mourut. Une fois le père mort, la mère resta célibataire, et le garçon était grand. Et comme le garçon était grand, il s'occupait de sa mère. Il se procurait des provisions et tout ce qu'il fallait, il les donnait à sa mère, et ils préparaient à manger et ils mangeaient. Et un jour sa mère vit un..., il vint un homme qui vit sa mère et qui lui fit la cour. Elle accepta ses avances (et le garçon n'était au courant de rien), et ils eurent des relations en se cachant. Ils continuèrent ainsi et à la fin, l'homme se prit de passion pour cette femme. Il lui dit : « Je voudrais t'épouser. » Elle répondit : « Il est vrai que je vivais ici avec mon mari, mais il est mort. Alors, maintenant, si tu veux m'épouser, j'ai un fils ici qui s'occupe de moi. Alors je ne peux pas décider toute seule avec toi, il faut que je demande l'avis de mon fils. » Il lui répondit : « Eh bien, demande-lui son avis, que je puisse t'épouser. » Et l'homme s'en alla. La mère demanda l'avis de son fils : « Mon enfant, il y a ici un homme avec qui j'ai des relations en secret, alors, que faire ? Toi, tu t'occupes de moi pour les provisions et tout ce qu'il faut. Mais maintenant, je voudrais..., cet homme voudrait que je l'épouse. Alors vas-tu accepter ou refuser ? » L'enfant répondit : « Moi, je peux te satisfaire pour tes besoins alimentaires, mais il y a une autre chose pour laquelle je ne peux te satisfaire ! » La mère dit : « C'est vrai, tu as raison ! » Alors, elle alla trouver l'homme et lui dit : « Tu peux appeler le garçon. »

[25] Ils appelèrent le garçon, et l'homme lui dit : « Quelles sont les nouvelles ? - Elles sont bonnes. - Et quoi d'autre ? - Tout est bien. - Cet homme, reprit la mère, dit qu'il veut m'épouser, et je lui ai dit que c'est toi, mon enfant, qui t'occupes de moi pour la nourriture, qui t'occupes de moi pour tout, mais…, comment dire ? il y a une autre chose pour laquelle tu ne peux pas me satisfaire, c'est..., comment dire ? un mari pour moi. Alors, quel est ton avis, mon enfant ? » Il répondit : « C'est vrai, s'il veut t'épouser, épouse-le. »

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Haya, akakaa pale wakafanya ile ndoa, ikesha. Wakakaa pale, wakakaa nyumba moja wote mtoto na mama na baba ule. Wakakaa pale, wanapika chakula, wanakula hata suku moja akasema mtoto « Twende tikafue mtoni. » Wakenda zao wakafua mtoni kule, wamekwisha kufua wamaanika nguo zao, wamekwisha wakasema : « Basi, ha, tufanya tutakoge maji ya chumvi halafu tutajishuza kwa maji ya baridi3. » Akasema : « Vyema, basi. » Wakavua vua nguo zao pale, wakaingia ndani ya maji ya chumvi, wakakoga. Walivyokoga pale, wakoga, na baba ule ana mshibuli, ana pumbu ndogo namna hivi ya kadiri... Basi mtoto anatazama... « Baba ule ana pumbu, baba ule ana pumbu, ana mshibuli... » Wakakoga, wakesha wakenda pale wakajishuka katika maji ya baridi, wakesha wakavaa vaa nguo zao, wamakunja kunja nguo, wakarudi mjini wakafika pale. Haya, hata jioni wamefika kule nyumbani wameweka nguo zile, wamepika chakula wamakula, jioni ikasimama manganja, wakacheza manganja watu. Basi mtoto ule amafanya kinyume, man̈ankolatra4 :

« Hapana ugonjwa mbaya wa kushinda mshipa : Japokuwa kutafutia debwani ukaufunika, Haikosi na kupiringika ! Basi sasa tifanye shauri tipeleka kwa Bwana Mganga,

[26] Akaupije picha5 tipumzike uzia kabisa. » Ha, baba (ule alosikia mwimbo ule) akasema :« Mtoto ule ananifumba. Ha, mtoto huyu mbaya, ananiimba mshipa wangu ! »

Basi akajibu : « Msipa haukwanza kwangu, umewanza kwa Mzee Ndimu, Mmako anousitahi na kuhishimu,

NOTES 3. Maji ya baridi, litt. « eau froide », signifie ici « eau douce ». On choisit habi-tuellement pour se baigner dans la mer un endroit proche de l'embouchure d'une petite rivière, pour pouvoir ensuite se tremper dans l'eau douce pour ne pas garder de sel sur la peau. 4. Amafanya kinyume « il dit en paroles détournées » est précisé par le malgache man̈ankolatra « parler par allusions ». C'est la définition même du style propre au genre manganja. 5. Kupija picha « prendre une image » : il s'agit ici de la radiographie des médecins. Picha « image, photographie » est un emprunt à l'anglais picture.

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Alors il demeura là, ils firent les noces, et une fois les noces faites, ils demeurèrent tous les trois dans la même maison. Ils demeuraient là, ils se préparaient à manger, et ils mangeaient, et un jour le garçon dit : « Allons laver à la rivière ». Ils partirent (le garçon et son beau-père), ils lavèrent à la rivière, et quand ils eurent fini de laver, ils étendirent le linge, puis ils se dirent : « Eh bien, nous devrions nous baigner dans la mer, et ensuite nous laver à l'eau douce pour faire partir le sel ». Le beau-père répondit : « Très bien, allons-y. » Ils enlevèrent leurs habits, et ils descendirent dans la mer pour se baigner. Et comme ils se baignaient..., le beau-père avait l'hydrocèle, il avait les testicules un peu enflés, comme ça... Et le garçon regardait, regardait... « Mon beau-père a les gros testicules, il a l'hydrocèle... », se disait-il. Ils se baignèrent donc, puis ils allèrent se laver à l'eau douce pour faire partir le sel, puis ils remirent leurs habits, ils plièrent leur linge, et ils revinrent au village. Or, le soir, en arrivant à la maison, ils mangèrent, et, ce soir-là, il y avait une séance de manganja, on dansait le manganja. Alors le garçon dit, en paroles détournées :

« Il n'est pas de maladie pire que l'hydrocèle : Quelque pagne splendide que tu cherches pour la dissimuler, Elle ne manque jamais de se balancer ! Alors maintenant il faut l'amener chez Monsieur le Docteur,

[27] Pour qu'il la passe à la radio, que nous puissions respirer bien [en paix. »

Ho ! Quand le beau-père entendit ce chant, il se dit : « Cet enfant se moque de moi. Ah, cet enfant est méchant, il met mon hydrocèle en chanson ! » Alors, il répondit :

« L'hydrocèle n'a pas commencé chez moi, mais chez [l'Honorable Citron

Ta mère lui rendait gloire et honneur,

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Na mimi ndo nilomtongoza nimetoa pesa mkononi tasilimu6, Nilovyokunja mguu7 wangu kwenda kumkimu, Alimkuna kuna mapajani kichwani akafanya wazimu. »

NOTES 6. Tasilimu « argent comptant » : selon l'usage malgache, l'homme qui a couché avec une amante d'occasion ne part pas sans laisser un cadeau. Dans un port, comme Marodoka, on passe facilement à la prostitution pure et simple, cf. les textes 50 et 51 par exemple. 7. Kukunja mguu « plier la jambe », glosé en malgache par man̈olon̈o vity « tourner la jambe », est une métaphore pour « bander », voir au numéro 21.

[28] 3

Mwanamke mkahaba1 Mtazame macho yake. Kula dume lipitao2 Kutamani kuwa wake. Ana mitungi mitatu Ya kuosha kuma yake.

NOTES 1. Mkahaba, litt. « prostituée », glosé en malgache par patia « dévergondée ». 2. L'emploi de dume « mâle d'un animal, particulièrement quand il s'agit des plus gros et des plus forts, comme dume la punda âne, dume la farasi étalon », au lieu de mwanamume « homme », permet d'insister sur les appétits sexuels de la femme. La paraphrase en malgache n'a pas permis de rendre cette nuance : izay lehilahy mandalo, tiany fo « chaque homme qui passe, elle l'aime toujours ».

4

Kunguru amwambia mwewe : Ngoma ya manganja Maulidi ndiyo mwenyewe1.

NOTES 1. Une variante plus développée du même poème a été recueillie d'un autre infor-mateur de Nosy Be : Kuimba wewe, kuimba wewe, / Mwenye sawiti ya mwewe, / Haya manganja Maulidi ni mwennyewe.

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Et c'est moi qui l'ai séduite en lui donnant argent comptant, Quand je pliais ma jambe pour aller m'occuper d'elle, A force de la lui frotter entre les cuisses il lui montait une folie

[à la tête. » COMMENTAIRE Dans le premier couplet, le jeune homme se moque de son beau-père, atteint de l'hydrocèle. Cette maladie fait gonfler petit à petit les bourses jusqu'à ce qu'elles deviennent une masse monstrueuse se balançant à chaque pas entre les jambes du malheureux malade. Le malade, atteint dans sa virilité, est souvent tourné en ridicule. Le deuxième couplet est la réponse du beau-père. Oui, il est bien atteint de cette infirmité, mais il n'est pas le seul. Et la mère du jeune homme, femme de mœurs légères, en a vu bien d'autres... D'ailleurs tout infirme qu'il soit, il est capable de rendre sa mère folle de plaisir. « L'Honorable Citron » (nom d'un des amants de la mère ?) renferme certaine-ment quelque allusion qui m'échappe encore.

[29] 3

La femme dévergondée Regardez ses yeux. Chaque mâle qui passe Elle espère qu'il est pour elle. Elle a trois cruches D'eau pour se laver le con.

COMMENTAIRE Contre les femmes trop faciles. C'est l'homme qui doit garder l'initiative en amour. Dans l'édition imprimée de 1983, la rédaction de la revue avait cru bon de modifier le dernier vers, en écrivant : … pour se laver le cul.

4

Le corbeau dit au milan : Au jeu de manganja c'est Maulidi qui est le maître.

COMMENTAIRE Le poète se vante de ses succès aux joutes de manganja, succès auxquels il a dû son surnom Maulidi Manganja. Les formules du type « Tel animal dit… » sont classiques aux Comores pour introduire des proverbes. Cf. aussi le texte 38. La variante se traduirait : « Chante donc, chante donc, / Toi qui as une voix de milan, / Allons, au manganja c'est Maulidi qui est le maître. » Le cri du milan est aussi vilain que les chants de Maulidi sont harmonieux.

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5

Nalikwenda Analalava : Nikaambiwa kuna mtu jina lake Ajali, Analilia kuitwa Bwana, Na meno yake mbali mbali kama mitego za panya1.

NOTE 1. On attendait pour l'accord mitego ya panya.

[30] 6

Cheka mara moja upate kutoa mwanya1, Wacha uchafu wewe, mwana, Pija mswaki2 utoe za jana, Usije ukaniharibia huo mwanya. Nilivyoona dodo3 kifuani kwako ilivyokusimama Jasho yaliniporomoka mimi kitwana4.

NOTES 1. Mwanya, en malgache savaka, est la « brèche » ou l'« intervalle » que certaines personnes ont entre les dents. Pour les femmes, avoir ce mwanya à la mâchoire supérieure est beau : c'est un signe d'ardeur amoureuse, excitant pour les hommes. Par contre si le mwanya est en bas, il serait signe de lubricité excessive. 2. Mswaki, en malgache mosoaky, est le nom de plusieurs espèces d'arbres et arbustes, dont les rameaux mâchouillés à un bout, sont utilisés comme brosses à dents. L'usage de ces brosses à dents n'est pas seulement une affaire d'hygiène, toutes sortes de connotations y sont attachées. C. Poirier explique, à propos des Musulmans de Nosy Be et de Mayotte : « avant les prières, avant la lecture, en marche ou en station, du Koran, ils entretiennent leur état de pureté par l'usage du miçouaki (sic), petite brosse en bois de mouranda (palmier sauvage) avec laquelle ils se frottent les dents ; ses vertus en conseillent l'emploi ; en effet le miçouaki éclaircit la vue, raffermit les gencives, parfume la bouche, éclaircit le teint, fait pousser les cheveux, assainit le corps, réjouit les anges, rend Allah propice et augmente les bienfaits de la prière. » (C. Poirier, 1942, pp. 231-232). A ces connotations spirituelles peuvent s'en ajouter d'autres dans l'ordre érotique, le mswaki étant une métaphore de l'organe mâle allant et venant entre les lèvres de l'organe féminin. Cf. dans les Mille et Une Nuits ces vers : « De même que les belles dents ne paraissent bien belles que frottées par la tige aromatique, / de même le zebb est aux belles vulves ce que la tige frotteuse est aux belles dents ! » (trad. Mardrus, édit. 1980, t. II, p. 53). 3. Dodo est l'une des variétés de mangues les plus appréciées. C'est aussi une métaphore banale pour les seins fermes des jeunes filles. 4. Kitwana, souvent employé avec une nuance de mépris, signifie « jeune esclave mâle ». Ici, il ne semble pas péjoratif : Maulidi insiste plutôt sur son ardeur virile de jouvenceau. Variante : […] Usije ukaharibu huo mwanya / Nilivyoona dodo kusimama, / Jasho imeniporomoka mi kitwana.

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5

Je suis allée à Analalava : On m'a dit qu'il y a un homme du nom de Ajali, Il n'aime rien tant que d'être appelé Monsieur, Mais ses dents sont écartées comme celles d'un piège à rats.

COMMENTAIRE Analalava est une petite ville sur la côte à quelque 200 km au sud de Nosy Be, autrefois port important en relation avec Marodoka. Avoir les dents écartées peut être considéré comme ridicule, comme ici, ou au contraire comme une élégance, cf. le texte suivant.

[31] 6

Ris donc un peu pour montrer la brèche que tu as entre les [dents,

Renonce à la saleté, toi, mon enfant, Brosse-toi les dents pour enlever la crasse d'hier, De peur que tu ne m'abîmes cette brèche. Quand j'ai vu tes seins dressés sur ta poitrine La sueur s'est mise à me couler du corps, à moi le jouvenceau.

COMMENTAIRE Compliments à une jeune fille. Il est impossible de rendre en français les idées poétiques et érotiques qui sont attachées en swahili à ces histoires de dents écartées et de brosses à dents... On a essayé d'en donner une idée dans les notes 1 et 2. Il faut nous représenter qu'il n'y a là rien de rebutant, mais au contraire quelque chose d'excitant, de même que les seins dressés sur la poitrine. La variante se distingue surtout par sa brièveté ; elle se traduirait : « […] De peur que tu n'abîmes cette brèche. / Quand j'ai vu tes seins dressés, / La sueur s'est mise à me couler du corps, à moi le jouvenceau.

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[32] 7 Sahani mbili za tambi, ya tatu ni kitumbua1 Kama hunitaki usikaye kinisumbua. Ukenda Nziabe, shurti upite Kivonje2 Kama hunitaki nipe kidogo nionje.

NOTES 1. Les tambi sont de fines pâtes qu'on fait cuire avec du caramel et de l'huile ; elles sont souvent remplacées aujourd'hui par le vermicelle, qu'on prépare de la même manière ; les kitumbua sont des beignets préparés avec de la farine de riz. Ces deux préparations appartiennent à la catégorie des mkate, malgache mokary, « pâtisseries », qui tiennent une grande place dans la cuisine des jours de fête chez les islamisés du nord de Madagascar. Le kitumbua, dont le nom évoque le verbe kutumbua « creuser, percer, perforer », peut en outre être une métaphore du sexe féminin. 2. Nziabe, Kivonje, sont les formes swahilisées des noms de lieux Anjiabe, village de la Grande Terre au sud-ouest de Nosy Be, et Kivôjy, ou Ankivônjy, îlot devant lequel il faut passer pour aller par mer de Nosy Be à Anjiabe ; la navigation est réputée dangereuse aux environs de cet îlot.

8

Ukinipenda usinitie moyoni, Usije ukajikondea Kama wanja1 wa machoni.

NOTES 1. Wanja, « le kohol », avec lequel les femmes se fardent les yeux, est le symbole de la maigreur, parce que les femmes se tracent sur le bord inférieur de l'œil un trait de kohol extrêmement fin, qui est la chose la plus maigre qu'on puisse imaginer.

[34] 9 Ukitaka kuoa usioe korombembal : Akiona pesa zako, Anataka kukuremba2.

NOTES 1. Korombemba est, en malgache, « libertine », que le poète a glosé par : fanenty nany maro « elle a beaucoup d'yeux, ou de regards ». 2. Kuremba : « dépouiller » a été glosé par le malgache mikatramo « s'emparer du bien d'autrui par fraude, imposture, ne pas payer ses dettes, voler effrontément ».

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[33] 7

Deux assiettes de pâtes sucrées, la troisième de beignets, Si tu ne m'aimes pas, ne continue pas à me faire souffrir. Pour aller à Anjiabe, il te faut passer au Kivônjy, Si tu ne m'aimes pas, donne-m'en un peu que je goûte.

COMMENTAIRE Maulidi lui-même a suggéré l'interprétation de ce texte : Olo nandeha nila man̈angy bôko izy io, ke man̈angy in̂y nampijaly izy, ataony : Avia amaray, avia afaka amaray, avia... « C'est quelqu'un qui était allé faire la cour à une femme, et la femme le tourmentait, elle lui disait : Viens demain, viens après-demain, viens... » Il s'agit donc d'un homme qui essaie de persuader une femme. Celle-ci ne se refuse pas carrément, mais elle remet toujours le rendez-vous au lendemain, au surlendemain, etc. L'homme la supplie de ne pas le faire languir après l'avoir mis en appétit (d'où le vers sur les pâtisseries ?). Il est d'ailleurs courant qu'un homme à qui une femme se refuse lui dise : Je sais que tu ne m'aimes pas, mais qu'importe, couche avec moi un peu, juste une fois. (Kupa « donner » est précisément le terme utilisé.) L'ilot de Kivônjy, redouté des marins, sur la route d'Anjiabe, peut donc être une image de la femme qui invente sans cesse de nouveaux obstacles.

8

Si tu m'aimes, ne me porte pas trop dans ton cœur, De peur que tu ne deviennes aussi maigre Que le kohol sur les yeux.

COMMENTAIRE L'idée de ce poème est le contraire de celle du poème précédent, auquel il pourrait peut-être servir de réplique.

[35] 9 Si tu veux te marier, n'épouse pas une libertine : Si elle voit ton argent, Elle ne cherche qu'à te dépouiller.

COMMENTAIRE Mise en garde contre la perfidie des femmes. Autant la galanterie offre de satisfactions aux hommes, autant le mariage est souvent un marché de dupes : l'homme dépense beaucoup pour n'acquérir en fait aucune garantie de fidélité ou de stabilité. Cf. dans un texte recueilli précisément à Marodoka, cette réflexion : Nikichukua pesa nikenda kuoa, siku tatu nitafukuzwa « Si j'utilise mon argent pour me marier, au bout de trois jours on me renverra », allusion à l'instabilité des mariages souvent rompus du fait de l'épouse (N. J. Geunier, 1980, pp. 134-135).

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Mwamba mkuu haukawi kutitia : Maulidi kupenda wanawake, Mwisho amawonga1 kofia2.

NOTES 1. Amawonga est une forme contractée (on attendrait amewahonga) du verbe kuhonga : « faire un cadeau pour obtenir quelque chose, comme donner un pot de vin, ou donner de l'argent pour séduire une femme ». 2. Le kofia est le bonnet généralement blanc et finement brodé que portent les musulmans.

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Ya nini kumwoa mwanamke mvuta habutwa Na mwanamke mwembamba mwingi wa mafupa ? Akipanda vitandani unamtafuta. - Nimeunda chombo mbao za mnemba1, Nikitweka hairudi mwambani kenda, Na mwanamke mwembamba anovyojua kwenda : Husinda joho ilopata kilemba.

NOTES 1. Mnemba serait le nom d'un arbre, ou d'une qualité de bois, utilisé en charpenterie de marine, particulièrement solide. Mais le poète l'a expliqué comme le nom d'une pièce de la coque du voilier fafan̈a miota ty amin'ny lohany arỳ […] alain-dreo fafan̈a in̂y, asian-dreo famonty, boaka ao asian-dreo môtro arỳ […] mahazo famonty in̂y izy malemy ndraiky milefitry manjary mnemba « une planche recourbée comme ça, vers la proue […] on prend la planche, on y met de l'huile puis on la met sur le feu […] et sous l'effet de l'huile, elle devient souple et se courbe pour devenir un mnemba ».

[36] 12 Binti Fulani anokutaka ni nani ? Umetoka kalafati paka taruma la ndani Uko chepechepe kana maji ya ngamani.

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Le grand récif ne laisse pas d'être recouvert [par la marée] : Maulidi et l'amour des femmes, A la fin il leur abandonne son bonnet.

COMMENTAIRE Le poète se vante de ses succès auprès des femmes : il en a tant eu que, quand il n'avait plus d'argent pour leur faire les cadeaux d'usage, il leur laissait son kofia ou bonnet brodé en gage. Comme le grand récif lui-même finit par être recouvert par la marée, ainsi Maulidi est submergé par ses propres succès.

11

Pourquoi épouser une femme haleuse de cordages Et une femme maigre pleine d'os ? Quand elle monte dans le lit tu la cherches. - J'ai construit un bateau en bois de belle venue, Quand je hisse la voile il ne retourne jamais, même au récif

[il va de l'avant, Et la femme maigre, comme elle sait marcher : Elle est plus belle qu'un habit brodé assorti avec un turban.

COMMENTAIRE Controverse sur l'esthétique du corps féminin. Le premier couplet se moque d'un homme qui a épousé une femme maigre. Pour le goût traditionnel, une belle femme doit être bien en chair. Le deuxième couplet est une réponse qui défend la femme maigre : elle a grande allure, comme un bon voilier, comme un habit bien coupé.

[37] 12 Hé Fille d'Untel, qui est-ce qui peut t'aimer ? Tu perds ton étoupe jusque dans tes membrures internes Tu prends l'eau de partout comme un puisard à fond de cale.

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(Basi akasema1 :) - Watoto wa pwani Majumba mwapangiani ? Usubuhi na mapema Mbio mbio mashuwani Unaleta pesa mbili Itatosha kitu gani ? Engeza vibaba viwili Iwafaye na majirani2.

NOTES 1. Basi akasema « alors, elle a dit » introduit la réponse de la personne prise à partie dans le premier couplet (Binti Fulani, la « Fille d'Untel », pour ne pas dire son nom). 2. Variante : [...] Anga tiwape na majirani.

13

Mimi na Mamake Asumini1 Tumewapishana ya amini2, Tunatanga tanga kama samaki ya majini Umenipendeza kicheko kama wingu wa kusini.

NOTES 1. Mamake Asumini, « Mère de Asumini » ou « Mère de Jasmin » : il n'est pas rare qu'on courtise une jeune femme qui a déjà un ou plusieurs enfants. C'est une manière à la fois gentille et déférente de l'appeler que de lui donner le nom de « Mère de » son premier enfant. 2. Litt. « Nous nous sommes fait serment sur la foi. »

[38] 14 Bwana mkubwa1 hawezi homa Mpeni dawa, apate kupona Ende barazani akatazama ngoma2.

NOTES 1. Bwana mkubwa, litt.« le grand Monsieur », signifie le chef ; il a été glosé en malgache par aombilahibe, litt.« le grand taureau ». Ces expressions sont souvent employées ironiquement. 2. Ngoma, litt. « tambour », signifie « jeux, danses, réjouissances », il peut être compris comme une allusion aux « jeux » de l'amour.

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(Réponse :) - Vous êtes des enfants sur la plage Pourquoi louez-vous des maisons ? Dès le petit matin Vous courez aux bateaux Tu as apporté deux sous Qu'est-ce que tu auras avec ça ? Rajoute deux mesures de riz Qu'il y ait à manger pour nous et nos voisins.

COMMENTAIRE Il semble qu'il y ait ici aussi un rapport entre cette pièce et la précédente, où nous avions une belle femme comparée à un splendide voilier. Ici au contraire un homme insulte une femme (une prostituée ?) en la comparant à une épave lamentable : elle perd l'étoupe de son calfatage, elle fait eau de toute part, métaphores obscènes de ses charmes fatigués. En réponse, la femme cherche à humilier le garçon qui l'a insultée : il n'est qu'un matelot sans le sou, incapable de lui faire les cadeaux auxquels ses amants l'ont accoutumée. La variante se traduirait : « […] Qu'au moins nous en donnions aussi aux voisins. »

13

Moi et Mère-de-Asumini Nous nous sommes jurés fidélité, Nous nous promenons comme poissons dans l'eau Et ton rire me délecte comme un petit nuage poussé par le vent

[du sud. COMMENTAIRE Evocation romantique de l'amour parfait.

[39] 14 Le grand chef souffre de la fièvre Donnez-lui un remède, qu'il guérisse Et qu'il sorte sur la véranda pour assister aux danses.

COMMENTAIRE Peut-être s'agit-il d'une satire de l'impuissant. Le « grand chef » est l'organe mâle, qui, malade, ne peut plus prendre part aux jeux. Il reste à la maison, ne sortant plus sur sa véranda.

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15

Kuna mtu jina lake Sumaili mcheza kwa akili, Amezoea kwao Unguja kula za zahiri1. Kazi ya kuiba anaona usiri, Akisha kuingia nyumbani kwake amesha kughairi, Hatoki nje paka suku ya pili.

NOTE 1. Zahiri, ou plutôt en prononciation soignée dhahiri, a le sens de « clair, évident, qu'on fait au su et au vu de tous », et il s'oppose à siri (au vers suivant) « secret », qu'on cache, qu'on ne veut pas laisser connaître.

16

Sema maneno mazuri roho yangu iwe makini, Sasa vibovu nitazifanya nini ? Mimi kijana nilozaliwa mjini, Nitanunua kekee1 nipeleke mjini2.

NOTES 1. Kekee peut être un bracelet, que 1e galant offre à sa belle. C'est le sens qui a été retenu par le poète dans sa paraphrase en malgache (raha atao amin'ny tan̈ana ren̂y « de ces choses qu'on se met au bras »). Mais le mot peut signifier aussi « tarière, vilebrequin », et s'appliquer par métaphore au pénis. C'est sans doute ce deuxième sens qui a attiré dans la variante suivante le mot mpini « manche (d'outil) », qui peut aussi être pris dans un sens obscène. 2. Variante : Manemo unoyasema yote ya nini, / Niambie maneno mazuri roho yangu iwe makini, / Vibovu mimi nitazifanya nini ? / Nitanunua kekee nitie mpini, / Nikuchukue nipeleke mjini.

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15

Il est un homme du nom de Sumaili : son jeu c'est [l'intelligence,

Il a été habitué chez eux à Zanzibar à vivre de ressources [honorables.

Le métier de voleur est pour lui chose obscure, Dès qu'il est entré chez lui il a changé d'idée, Il n'en sort plus jusqu'au lendemain.

COMMENTAIRE On a à première vue ici une description de l'idéal de l'« honnête homme » swahili : de bonne extraction (Zanzibar), instruit et intelligent (akili), pourvu de ressources avouables (dhahiri), il mène une vie discrète et posée. Mais il y a probablement quelque allusion érotique (les « ressources honorables » pourraient être les femmes qu'il « consomme »).

16

Dis-moi de belles paroles, que mon cœur soit en repos, Maintenant les méchantes [paroles] qu'en ferais-je ? Je suis un jeune homme natif de la cité, J'achèterai un bracelet que j'enverrai à la cité.

COMMENTAIRE Un jeune galant se vante pour obtenir les faveurs de sa belle. La variante est plus difficile à comprendre, à moins d'accepter l'interprétation kekee = « tarière, instrument perforant », qui n'a pas été confirmée par le poète : « Qu'est-ce que toutes ces paroles que tu dis ? / Dis-moi de belles paroles, que mon cœur soit en repos, / Les méchantes, moi, qu'en ferais-je ? / J'achèterai une tarière et j'y mettrai un manche, / Et je te prendrai pour t'envoyer à la ville. » On a alors un sens très clairement érotique : avec sa « tarière » et son « manche », le galant va « prendre » sa belle.

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[40] 17

Wewe kijana kiungwana1, Maongo ya mbinu yalovyonyokeana. Wewe si mrefu sana wala si mpana, Hapo ulovyoketi umetangamana2.

NOTES 1. Kiungwana, litt. « d'extraction libre, non servile, personne de qualité » a été glosé en malgache par : tsaikim-banton̈o ou : tsaiky manton̈o « jeune homme convenable ». 2. Variante : Maulidi kijana kiungwana, / Maongo yake ya mbinu yamenyokeana. / Yeye si mrefu sana wala si mpana, / Hufurahi yeye akacheka akatoa mwanya.

18

Wewe mtoto unatoka Amu1, Umesoma Kurwani yote umeifahamu, Univyokaa juu ya kiti ukashika kalamu, Roho yako furaha ukaona utamu2.

NOTES 1. Amu, la ville de Lamu, au Kenya. Comme Zanzibar cité plus haut (texte 15), c'est un endroit aristocratique. D'ailleurs le poète ne semble pas avoir une idée très nette de la géographie de l'Afrique : pour lui, misy tany an̂y an-dafy an̂y, Amu anaran'ny tany io, olo Zanzibary mipetraka an̂y… « Il y a un endroit, là-bas, outre-mer, qui s'appelle Lamu, les gens qui y habitent sont des gens de Zanzibar… » 2. Variante : Maulidi anatoka Amu, / Amesoma Kurwani yote ameifahamu, / Akikaa juu ya kiti akashika kalamu, / Roho yake hufurahi akaona utamu.

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[41] 17

Tu es un jeune homme de bonne famille, Ton corps bien découplé marche droit. Tu n'es ni trop grand ni trop gros, Et là où tu te tiens tu es parfaitement bien.

COMMENTAIRE Un beau jeune homme séduisant : c'est d'ailleurs le poète lui-même, comme le montre la variante : « Maulidi est un jeune homme de bonne famille, / Son corps bien découplé marche droit. / Il n'est ni trop grand ni trop gros, / Il est plein de joie, il rit en montrant la brèche qu'il a entre les dents. » Ce dernier trait est une élégance qui le rend encore plus désirable. Cf. le texte 6.

18

Tu es un jeune homme venu de Lamu, Tu as étudié le Coran et tu le sais entièrement, Quand tu es assis sur ton siège le calame à la main, Ton cœur est plein de joie et tu ressens le bonheur.

COMMENTAIRE Evocation de l'idéal de l'éducation swahili traditionnelle. L'intelligence s'acquiert par l'instruction religieuse, et l'honnête homme est celui qui reste oisif, assis sur son siège. Ici encore, le poète prend pour lui ces flatteuses descriptions comme le montre la variante : « Maulidi vient de Lamu, / Il a étudié le Coran et il le sait entièrement, / Quand il est assis sur son siège le calame à la main, / Son cœur est plein de joie et il ressent le bonheur. »

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[42] 19

Kufa kwa Suwedi watu watakula bimba1. Alikuwa Suwedi alikuwa fundi wa kuimba, Amabaki sasa ndugu yake Machavu2 Hanashindi hata kuku kumchinja.

NOTES 1. Bimba a été compris par des informateurs de Tanzanie comme « repas funéraire ». Mais le poète l'a expliqué comme le nom swahili d'une igname sauvage Dioscorea sansibarensis Pax, qui fournit des tubercules amers et toxiques qu'on consommait cependant en période de disette (olo mosary tsisy hanin̂y) après leur avoir fait subir une préparation complexe (rouissage puis séchage). En malgache sakalava la plante s'appelle aranaran̈ ̈ a (Cf. P. Boiteau, article Haranara). Cette internrétation donnerait un sens très acceptable : la mort de Suwedi sera un temps de catastrophe, comparable aux pires disettes. Malheureusement le poète lui-même ne semble pas très sûr de cette interprétation puisqu'il a ajouté : mila raha fanandrify bôko… « il faut quelque chose qui rime, que voulez-vous… » 2. Suwedi et Machavu seraient les noms de gens ayant réellement vécu à Marodoka (olo teto « des gens qui étaient ici »).

20

Kuna bibi yangu, bibi wa maisha, Yeye sasa amehama mjini anaketi Mbatukirinsa1, Na mi nikifika kwake usingizi ujilalia kabisa2.

NOTES 1. Mbatukirinsa forme swahilisée du nom du village d'Ambatokirintsa, près de Marodoka. 2. Explication du poète : Misy man̈angy nakahy, tsy mety vôly zahay ‘maisha’, ke izy nifindra an-tanàna be atỳ nipetraka an̂y, mariny pont an̂y, an̂y bôko Ambatokirintsa an̈aran'ny tany… Zaho koa nandeha aminany an̂y, amin'ny andra zaho mandeha aminany an̂y zaho mandry hatà tsisy raha azoko jery. Fôtony zaho navy nandeha tan̂y zaho nandry, ry havako teto nitadia zaho : Maolidy roso aia ? Maolidy roso aia ? Basy reo navy nan̈ontany zaho : Anao moa boaka aia ? Nambariko : ‘Mimi nilikuwa kwa bibi yangu wa maisha.’ « J'avais une maîtresse dont je ne pouvais me séparer ‘pour la vie’, et elle quitta la ville ici pour aller habiter là-bas près du pont, là-bas, tu sais, il y a un endroit qu'on appelle Ambatokirintsa… Quand j'allais chez elle, les jours où j'allais chez elle, je dormais si bien que je ne me souvenais plus de rien. Parce que, une fois où j'étais allé là-bas, je dormais, et mes camarades ici me cherchaient : Mais où est donc Maulidi ? Mais où est donc Maulidi ? (Et quand je suis rentré ) ils m'ont demandé : Mais d'où viens-tu donc ? Je leur ai dit : ‘J'étais chez la dame de ma vie.’ »

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[43] 19

À la mort de Suwedi on fera un festin funéraire. (Ou : À la mort de Suwedi ce sera la famine.) Il était une fois Suwedi, c'était un grand chanteur, Maintenant il n'y a plus que son frère Machavu Qui n'est même pas capable d'égorger un poulet.

20

J'ai une dame, la dame de ma vie, Elle a quitté la ville, elle habite Ambatokirintsa, Et quand je vais chez elle, je dors d'un sommeil formidable.

COMMENTAIRE Le poète se vante de ses aventures galantes : il a suivi dans un village voisin sa maîtresse, et il est rentré de chez elle si tard dans la matinée que tous ses amis se demandent où il peut bien être : il est seulement chez « la dame de sa vie », et il y est fort bien…

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[44] 21

Haikeshi ngoma ya kitoto, Nami nimetoka jana sijala chakula cha moto, Nifanyaje sasa mamaye mtoto1 ? Nilovyojaribu kukunja mguu wangu wa shoto2, Nguvu zote zimenitoka poroto3.

NOTES 1. Mamaye mtoto « la mère de l'enfant » est une expression normale en parlant de sa maîtresse, cf. texte 13, note 1 , j'ai traduit par « la dame ». 2. « Plier la jambe gauche » semble une expression usuelle pour « bander » ou « faire l'amour ». Cf. texte 2, note 7. 3. Explication du poète : Io olo ampila man̈angy bôko, mila man̈angy izy, ke an-dalan̈a arỳ misy lolo, ke izikoa izy mandeha maton̈alin̂y mavozo ampamoriky. Ke nandeha mbo harivariva navy tarỳ man̈angy nany in̂y nandoky hanin̂y nahaniny an-tolan̈a an̂y tsy namiany laolo lehilahy nany, ke tsy mety kiaka andra, hô izy, sôman'ny tsaiky, ‘haikeshi ngoma ya kitoto’, rango nimoaly zaho tsendriky nihinan̈a raha may, hanin̂y naloky, basy akôry ataoko njarin-tsaiky ? Ke zaho te-han̂eran̈a han̈olon̈o vity nakahy - hisôngo baka in̂y - zaho tsisy ngôvo amin'ny tsy fihinanako in̂y, ngôvo nakahy jiaby ‘poroto’. « C'est l'histoire d'un homme qui va faire la cour à une femme, il va faire la cour à cette femme, et sur le chemin il y a des tombeaux, alors s'il y va la nuit il a peur des sorcières. Alors il y est allé l'après-midi, et quand il est arrivé, la femme a préparé à manger et a mangé à la cuisine, sans en donner à son amant. Alors, il se dit, ‘elle ne peut pas durer jusqu'au matin, la danse des enfants’, depuis hier je n'ai rien pris de chaud, rien de cuit, qu'est-ce que je peux lui faire à la dame ? J'essaie bien de tourner ma jambe - c'est-à-dire de la baiser - mais je n'ai pas de forces parce que je n'ai rien mangé, toutes mes forces ‘m'ont abandonné’. »

22

Ali Tuwili mrefu kama shetwani, Tumacheza manganja wanjani, Ameonikana Diwani1.

NOTES 1. Diwani, en malgache Doany, signifie « la Cour », ou « la Résidence », « la capitale » du roi sakalava. C'est le nom d'un quartier de Hell-Ville, chef-lieu moderne de Nosy Be, à quelques kilomètres de Marodoka. Variante : […] Alikuwa wanjani alicheza manganja, / Ameonikana Diwani.

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[45] 21

Elle ne peut pas durer jusqu'au matin, la danse des enfants, Et moi depuis hier que je suis parti, je n'ai rien mangé de

[chaud, Qu'est-ce que je peux lui faire maintenant, à la dame ? J'essaie bien de plier ma jambe gauche, Mais toutes mes forces m'ont abandonné.

COMMENTAIRE Echec d'une aventure galante : le poète est arrivé trop tôt dans l'après-midi chez sa belle, sans avoir pu manger avant. Celle-ci, maligne, ne lui donne pas à manger, et lui n'ose pas non plus réclamer : c'est là un lieu commun des histoires de galanterie, le garçon qui a obtenu la promesse d'avoir les faveurs d'une fille ne doit pas demander en plus à manger ; il s'exposerait à ce qu'elle lui réponde : « Est-ce pour moi que tu es venu, ou pour te faire nourrir ? » Il subit donc la faim stoïquement. Mais, la nuit venue, il n'a plus alors aucune énergie pour les jeux de l'amour. C'est comme une séance de jeux ou de danses organisée par de petits enfants : au lieu de durer toute la nuit comme la fête des grands, elle s'arrête au bout de quelques instants. Le premier vers est une expression proverbiale : Ngoma ya kitoto haikeshi « La danse des enfants ne dure pas toute la nuit », ou Ngoma ya vijana haikeshi « À la danse des jeunes on ne veille pas » (C. Sacleux, 1939, p. 342), c'est-à-dire « les choses enfantines ne durent pas bien longtemps ».

22

Ali Tuwili est grand comme un diable, Nous jouions au manganja sur la place, Et on le voyait depuis la Capitale.

COMMENTAIRE Poème satirique sur un garçon qui aurait effectivement été très grand (?). Traduction de la variante : « […] Il était sur la place à jouer au manganja, / Et on le voyait depuis la Capitale. »

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[46] 23

Nilikuwa na mchele, Bwana Harusi ningemzungua, Niandike Ya Sin katikati niandike dua1, Mkate wa Maruduka jelebe na kitumbua2.

NOTES 1. La sourate Ya Sin est l'un des textes du Coran le plus souvent copiés à des fins magiques. Les dua sont des formules de prières ou invocations spéciales pour obtenir telle ou telle grâce. 2. Le riz (cité au premier vers) et les pâtisseries (mikate) sont des choses qu'on offre en offrande votive pour certains esprits ; il y a donc un rapport (métonymique) avec les formules magiques dont il est question au vers 2. Les jelebe et kitumbua sont des sortes de beignets, et le gudugudu (malgache godrogodro) cité dans la variante une sorte de flan cuit au bain marie. Variante : […] Mkate wa Maruduka ni gudugudu na kitumbua.

24

Trongay man̈ondevo1 tumba langu halipandi. Nipeni pesa mbili nikanunua barandi2, Nipate wajakazi ninowapenda niwavaze mavitambi Niwatie msikitini wasali wapunguze dhambi.

NOTES 1. Trongay man̈ondevo, « Le Prince Boiteux » est le nom d'un esprit qui intervient dans les cultes de possession tumba (malgache tromba). 2. Barandi, qui a été glosé par le poète à l'aide de l'expression française coup de sec, doit être un emprunt à l'anglais brandy, « eau de vie ». Les esprits des cultes de possession tromba sont friands d'alcools et de liqueurs diverses.

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[47] 23

Si j'avais du riz, je pourrais exorciser le marié, Je vais copier la sourate Ya Sin et au milieu je copierai une

[invocation, Nos gâteaux de Marodoka sont le jelebe et les kitumbua.

[ou : … les gudugudu et les kitumbua.]

24

Le Prince Boiteux, l'esprit qui me possède, ne veut pas se [manifester.

Donnez-moi deux sous que j'achète de l'eau-de-vie, Je vais chercher des filles qui me plaisent, je leur mettrai des

[pagnes d'homme Et je les amènerai à la mosquée qu'elles fassent la prière et

[diminuent leurs péchés. COMMENTAIRE Les femmes n'entrent pas dans les mosquées à Nosy Be (en 1981-1982, et sûrement pas du temps de la jeunesse du poète). Les filles ne peuvent donc pas plus aller à la prière que porter des pagnes d'homme.

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[48] 25

Wanawake wabinati1 usiwahonge pesa bora domo, Wacha watwae wenyewe kwa mkono, Wakipanda kitandani usingizi mwingi sana kana pono2.

NOTES 1. Wabinati, construit sur le mot arabe « fille », signifie ici plutôt « belle fille, fille distinguée ». 2. Pono est le nom d'un poisson, le perroquet, malgache tabàka, proverbial pour son sommeil profond. Les filles ont le sommeil aussi profond que ce poisson : Tôromaso nany be loatra, tsy mahatsiaro : lehilahy telo, efatra, avia fo, mamango, fo, izy mandry fo ! « Elles dorment trop, elles ne se réveillent pas : il peut venir trois hommes, quatre hommes, vas-y toujours, baise toujours, elles dorment toujours ! » Variante : […] Wakaingia majumbani usingizi wao mwingi sana kana pono.

26

Punda si ma1i, hawezi kazi isipokuwa kukokota gari, Hafanyi kazi shurti ahiyari. Kuna barua yangu inatoka Maka kwa Sheikhi Ambari, Maneno yake bado sijazibiti ndani ya daftari.

27

Umeniita nimekuja, Nambie maneno yako. Maneno ikiwa mema moyo ukaye kitako, Nitamuza mama na baba, Nilipe mahari yako.

[50] 28

Nalikwenda kudondoza maji ya kuona, Nikatupa mshipi nguru akauona. Kukuru kukuru mpaka kwa Mzee Mdahoma, Kila mwenye akili amekwenda kusoma, Kila mwenda wazimu kazi ni kucheza ngoma.

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[49] 25

Les belles filles, ne leur donne pas d'argent, seulement des [paroles,

Laisse-les prendre de leur main ce qu'elles veulent, Quand elles montent au lit, elles ont un sommeil formidable

[comme le poisson-perroquet. (Ou : Elles entrent à la maison, elles ont un sommeil

[formidable comme le poisson-perroquet.) COMMENTAIRE Les femmes effrontées et impudiques.

26

Un âne n'est pas une richesse, il n'est capable d'aucun travail [sauf tirer une charrette,

Il ne travaille pas, à moins qu'il n'en ait envie. J'ai une lettre qui vient de La Mecque, de chez le cheikh

[Ambari, Je n'en ai pas encore transcrit la teneur dans mon registre.

27

Tu m'as appelé, je suis venu, Dis-moi les paroles que tu as à me dire. Si ce sont de bonnes paroles, mon cœur sera en repos, Je vendrai mon père et ma mère, Pour pouvoir payer ta dot.

[51] 28

Je suis allé à la pêche là où l'eau est claire, J'ai jeté la ligne, un tassard y a mordu. Vite à la course jusque chez le vieux Mdahoma, Quiconque est sage est allé étudier, Et quiconque est fou fait métier de danser.

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Wewe Mzungu usinitolee makali, Maana umevaa sumizi na suruali, Na chombo unopakia msonobari1, Tumbo na mgongo mbali2.

NOTE 1. Msonobari « bois de sapin », c'était autrefois un bois importé, donc un luxe. Variante : […] Ukaunda chombo mbao zake za msonobari. / Tumbo na mgongo mbali.

29bis

Bwana Mkubwa usinitolee makali, Mana mimi kijana nilotoka mbali, Na wewe unavaa koti na suruali.

[52] 30

Binti Fulani anasifiwa ya kupika, Nikampa robo yangu sumuni akaifutika, Nikamchagia mwisho akairudisha1.

NOTE 1. Variante : […] Nilovyomchagia sumuni akairudisha.

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29

Toi, le Blanc, ne sois pas méchant avec moi, Parce que tu portes chemise et pantalon, Et que le bateau où tu as embarqué est en bois de sapin. Le ventre est bien loin du dos.

COMMENTAIRE Le Blanc (Mzungu, malgache Vazaha) ne doit pas s'enorgueillir de ses biens ; de toute façon on ne le confondra pas plus avec le Noir que le dos avec le ventre… La variante se traduirait : « […] Tu as construit un bateau en planches de sapin. / Le ventre est bien loin du dos. »

29bis

Grand Chef, ne sois pas méchant avec moi, Car moi je suis un jeune venu de loin, Et toi tu portes veste et pantalon.

[53] 30

La fille d'Untel est célèbre comme cuisinière, Je lui ai donné un franc, elle en a dissimulé dix sous, Je l'ai grondée et à la fin elle les a rendus. (Ou : Quand je l'ai grondée, elle a rendu les dix sous.)

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31

Mwanamke mmoja wanaume thalatha mia Walio mashamba kuna mpunda na ngamia1.

NOTE 1. Ce vers a été glosé en malgache comme suit : Ke sanamany laolo an̈aty ala an̂y, misy boriky, ndraiky… ino… ? matsôraka vozon̈ony ? angamia « Et certains de ces gens, ils sont dans la brousse, il y a les ânes, et… comment déjà… ? avec un long cou ? les chameaux ».

32

Ukitaka haja nenda kwa mtakiwa, Ukienda kwa mchunga mpunda mara moja utaiziwa1, Na heri kwa mchunga ng'ombe utatumai maziwa.

NOTE 1. Glose en malgache : Anao koa mandeha amin'ny tsiman̈ajan'ny boriky, a, anao salatra e ! hangitôrany fo, salatra e ! « Si tu vas chez le berger d'ânes, ah, tu seras déçu ! ils te pèteront au nez, tu seras déçu ! »

[54] 33

Harusi imekwisha, sasa shauri gani ? Natichange mapesa1 tukampe Baniani2, Na Mshimu binti Maembe amekwiba nambauani3.

NOTES 1. Kuchanga mapesa « se cotiser » a été expliqué en malgache par man̈ano marike isak'olo dingiradingira « faire cotisation d'argent auprès de chaque personne ». 2. Baniani est le nom donné aux Indiens hindouistes, commerçants ou artisans. 3. Nambauani, en malgache lambaoany, « pagne en cotonnade imprimée ». Variante : […] Na ule Binti Fulani amekwiba nambauani.

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31

Une femme, trois cents hommes Et ceux qui sont dans la brousse, il y a les ânes et les

[chameaux. COMMENTAIRE La femme dévergondée : tous les hommes sont bons pour elle, même les ânes et les chameaux (les plus laids des animaux). Cf. dans R. Zache, 1897, pp. 263-264 un texte très proche : Khabari ya mama ule « L'histoire de cette dame Waume thelatha mia, Elle a trois cents maris, Wengine kaweka shamba. Elle en a mis quelques-uns aux champs. Matako kama ngamia. Elle a les fesses comme un chameau. » On notera cependant que dans notre texte, ce sont les hommes qui sont comparés aux chameaux, et non la femme comme dans le texte recueilli par R. Zache. La même idée est encore exprimée — à l'aide d'une autre métaphore — dans un chant de fidila (« air de violon »), que j'ai recueilli d'un autre informateur originaire de Marodoka : Nimepika chai ndani ya birika, « J'avais préparé du thé dans la bouilloire, Nikizani yangu, kumbe la shirika ! Je croyais que c'était pour moi seul, hélas

[c'était pour toute la compagnie ! »

32

Si tu as besoin de quelque chose, va chez celui qui peut te [satisfaire,

Si tu vas chez l'éleveur d'ânes tu seras déçu pour cette fois, Mieux vaut que tu ailles chez l'éleveur de vaches, tu peux en

[espérer du lait. COMMENTAIRE Tout ce que l'âne peut te fournir, ce sont des pets. L'éleveur d'ânes pourrait signifier une femme peu désirable, qu'il faut se garder de courtiser.

[55] 33

La noce est finie, maintenant qu'allons-nous faire ? Cotisons-nous pour payer le Banian, Car Mshimu fille de Maembe a volé un pagne. (Ou : Car la Fille d'Untel a volé un pagne.) S

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Kuna ndugu zetu wanataka mkononi, Wanapita wakijitembeza Kama nyama ya sokoni1.

NOTE 1. Glose en malgache : Misy anabavitsika reto, mila vôla an-tan̈antan̈ana fo, ireo tavela mandriorio ten̈a karaha hena am-bazary […], ariorio boaka ireo koa tsy lafo : Hena e ! Menaka e ! Menaka e ! Alafo ! « Nous avons des sœurs ici, elles veulent toujours avoir de l'argent en mains, finalement elles se vendent à la criée comme de la viande au marché […], on vend à la criée tu sais, quand il n'y a pas assez de clients : De la viande ! De l'huile ! De l'huile ! À vendre ! » Dans l'ancien système de vente à la criée, c'était le vendeur qui parcourait le marché en portant sa marchandise.

35

Kuna Baniani1, Baniani wa sokoni, Jua likitua daftari mkononi2.

NOTES 1. V. texte 33, note 2. 2. Variante : Kuna Baniani, Baniani wa sokoni, / Jua likisha kutua daftari mkononi, / Na hawa wanajitembeza kama nyama ya sokoni.

[56] 36

Bako Bimbi ukimwona mwogope, Ukiwa na neno yako usikudondoke, Maana anauma kama nje : Anauma kotekote.

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34

Nous avons des sœurs qui aiment tant avoir (de l'argent) en [mains,

Qu'elles en viennent à se vendre à la criée Comme la viande sur les marchés.

COMMENTAIRE La métaphore de la viande sur le marché s'applique bien aux filles vénales sans pudeur. Mais la même image m'a été expliquée différemment dans un chant satirique en swahili contre les gens de la ville de Tambohorano, recueilli en 1981 près de Maintirano : Mwalisifu Tamburanu, « Vous faisiez la louange de Tambohorano, Humbi makokoni : Hélas, ce n'est que mangrove ! Makokoni, mama ! La mangrove, hé ma mère ! Nyama ya sokoni, [Ils sont nus] comme chair à l'étal Wamalala, we, mekoni. Et ils dorment, ô toi, dans la cendre du foyer. » Les gens de Tambohorano sont si pauvres qu'ils vont nus comme la viande à l'étal du boucher, et couchent dans la cendre du foyer.

35

Il est certain Banian, Banian qui demeure au marché, Au coucher du soleil il a son registre en mains.

COMMENTAIRE La variante ramène ce texte au thème du précédent : « Il est certain Banian, Banian qui demeure au marché, / Quand le soleil est tout à fait couché il a son registre en mains, / Et celles-là se vendent à la criée comme viande au marché. »

[57] 36

Si tu vois le vieux Bimbi, aies-en crainte, Si tu as paroles à dire, ne les laisse pas échapper, Parce qu'il mord comme le scorpion : Il mord par les deux bouts.

COMMENTAIRE Le scorpion mord par la gueule et pique par la queue.

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37

Kofia nyeupe tete, Nyekundu zinanyoa nywele. Kama umefukuzwa usipije makelele1.

NOTE 1. Variantes : […] Mwisho wako utapija makelele. Ou encore : […] Utaona uchungu utapija makelele.

38

Pweza kamwambia angisi1 : natifanye urafiki, Maji yakiwacha mwamba tinatafutwa ndiyo sisi.

NOTE 1. Angisi « calamar » est une forme malgachisée du swahili ngisi.

39

Mwanamke mmoja wanaume ishirini, Nikisukuma jembe1 linapasua mpini, Nitakuimba nitakavyo, wewe utanifanya nini ?

NOTE 1. Jembe « la houe » est un instrument pratiquement inconnu à Madagascar, où le travail de la terre se fait à l'aide de la bêche lancée, angady. Seuls les groupes d'origine africaine, les Makoa, l'ont utilisée, et d'ailleurs aujourd'hui abandonnée. Le poète a d'ailleurs été embarrassé pour traduire le mot en malgache, et il a paraphrasé par raha kapàko in̂y « l'outil avec lequel je travaille la terre ».

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37

Les calottes blanches sont les plus nombreuses, Mais les rouges font tomber les cheveux. Si on t'a mis dehors ne fais pas de tapage.

COMMENTAIRE Les kofia, calottes ou bonnets que portent les musulmans, sont en effet généralement en toile blanche, finement brodée. Les kofia rouges (fez), sont plus rares, et plutôt portés par les vieux (peut-être est-ce pour cela qu'ils sont dits faire tomber les cheveux). On retrouve l'association entre calvitie et chapeaux rouges dans un proverbe merina : Maro ny sola / Fa ny an-tsatro-mena no izy « Les chauves sont certes nombreux / Mais seuls comptent ceux qui sont coiffés de rouge » (B. Domenichini-Ramiaramanana, n° 356). Les deux espèces de bonnets représentent peut-être aussi deux espèces de femmes. Et l'expérience du poète en ce domaine est plutôt malheureuse : « Si on t'a mis dehors… », c'est-à-dire si ta femme t'a chassé, reste digne, comme le vieillard au kofia rouge… Les variantes se traduisent : « […] À la fin tu en viendras à faire du tapage. » Ou : « […] Tu connaîtras la souffrance et tu feras du tapage. »

38

Le poulpe a dit au calamar : faisons amitié, Quand la marée découvre le récif, c'est nous qu'on persécute.

COMMENTAIRE On a là un proverbe dont voici la forme entendue à Zanzibar : Usinidadasi, « Ne me tracasse pas, Tufanye urafiki : Faisons amitié : Maji yakikupwa, Quand la marée est passée, Tutafutwao ndo sisi. C'est nous qu'on persécute. » Poulpe et calamar sont en effet tous deux menacés du même danger : les pêcheurs au harpon qui parcourent le récif à marée basse.

39

Une femme, vingt hommes, Quand j'ai poussé ma houe, le manche en a cassé, Je chanterai ce qui me plaira, et que pourras-tu y faire ?

COMMENTAIRE Pousser la houe, c'est faire l'amour ; le manche qui casse peut être l'éjaculation précoce. La femme a abusé et n'est plus capable de donner du plaisir à son partenaire.

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[58] 40

Kuna wagonjwa nyumbani, wanatafuta waganga, Mume akisafiri, mke nyuma kujipamba. Ukitaka mpunga mwema, nenda kule Urusanga1.

NOTE 1. Urusanga est la prononciation swahilie du nom d'An̈orotsangana, village de la Grande Terre au sud-ouest de Nosy Be, autrefois un port important en relations avec Marodoka. Les approvisionnements en riz de Nosy Be ont toujours dépendu de la Grande Terre.

41

Ampindrama famaky zaho, hanapahako bonara1. Zaho koa miteraka tsaiky, mbo ataoko an̈arany Mananjara. Zaho betibetiky tsy mila olo matôy, zaho mila somondrara2.

NOTES 1. Le bonara ou « bois-noir » est un arbre, Albizia lebbeck Benth, Fabacées (autrefois Mimosacées). 2. La somondrara est la toute jeune fille, dont les seins ne sont pas encore complètement formés.

42

Maneno ya juzi Najionea upuzi, Wengine wanachunga ng'ombe, Wengine wanachunga mbuzi.

43

Mwanamke mpenda mapesa, Mtazameni usoni. Mimi nimeona taabu, Nilivyotoka makokoni.

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[59] 40

Il y a des malades à la maison, on cherche des guérisseurs, Quand le mari s'en va, la femme se pare. Si tu veux du bon riz, il te faut aller à An̈orotsangana.

COMMENTAIRE Sur la traîtrise des femmes : elles font les malades, et dès que le mari a tourné les talons, elles sont guéries subitement pour aguicher leurs amants. On peut comprendre l'invitation à aller chercher le « bon riz » à An̈orotsangana comme : « c'est là-bas que tu trouveras l'endroit où les femmes agissent comme cela ».

41

Prête-moi une hache, que je coupe le bois-noir, Si j'ai un enfant je veux l'appeler Fortuné, Moi, à présent, je ne veux plus de vieilles, je veux une

[adolescente. COMMENTAIRE Ce texte est, exceptionnellement, entièrement en malgache.

42

Paroles d'avant-hier Je les considère comme balivernes, Les unes gardent les vaches, Les autres gardent les chèvres.

43

Une femme qui aime l'argent, Regardez son visage. Moi j'ai pris de la peine, Quand je revenais de la mangrove.

COMMENTAIRE C'est dans la mangrove qu'on coupe le bois de palétuvier qui se vend à Nosy Be comme combustible pour la cuisine. Aller couper et vendre du bois est un travail pénible : le jeune homme renâcle à gaspiller avec les femmes l'argent si durement gagné.

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[60] 44

Kifungo cha Maote1, Isilamu asiombe ina taabu, Alovyofungwa Muhamadi si ajabu Aliombwa na Wahindi2 na Waarabu.

NOTES 1. Maote, en comorien Maore, est le nom de l'île de Mayotte, aux Comores. 2. Les Wahindi sont les Indiens musulmans, appartenant à des sectes chiites.

45

Kuna maneno mazuri Nataka kukuambia. Sasa sina mapesa, Nitakuhonga kofia.

46

Ukipija ngoma kubwa, pija na chapua, Tourne-disques Maulidi amanunua, Na mimbo1 zake zote yeye anazijua, Mwenye niya mbovu amesha kumtambua Alama yake kuma yake ina magua2.

NOTES 1. On attendrait plutôt nyimbo, mais les accords de classes sont toujours incertains dans le swahili de Madagascar. 2. Magua est une maladie des femmes : descente de la matrice (?).

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[61] 44

Les prisons de Mayotte, Un musulman ne peut les désirer : on y souffre trop, Quand on y emprisonna Mohammed : nulle merveille, Ce furent les Indiens et les Arabes qui le réclamèrent.

COMMENTAIRE Il semble qu'il y ait ici une allusion à l'utilisation de Mayotte comme lieu de détention et de déportation à certaines périodes de la colonisation. Le Prophète de l'islam lui-même y aurait été enfermé par les Blancs…

45

J'ai de belles paroles Que je veux te dire. Mais voilà je n'ai pas d'argent, Je te ferai cadeau de mon bonnet.

COMMENTAIRE Le poète n'a pas d'argent à donner aux filles. Il leur laissera son kofia ou bonnet brodé. C'est une variante sur le thème du texte 10.

46

Si tu frappes le grand tambour, frappe aussi le petit, Un tourne-disques, Maulidi en a acheté un, Et tous ses disques il les sait par cœur, Celle qui lui en veut, il la connaît À ce signe : au con elle a la matrice qui descend.

COMMENTAIRE Le grand et le petit tambour ngoma et chapua sont inséparables dans la batterie traditionnelle. Maulidi se rappelle le temps où il était un jeune homme à la mode, possesseur d'un phono, comble du luxe à l'époque, et qui devait séduire bien des beautés. Et aussi vrai que tout cela est vrai, la fille qui lui en veut a une maladie honteuse !

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[62] 47

Mkufu wa saa huitwa ‘lasheli’1, Kuna mtoto mmoja mjini kwetu ‘lekoli ofisieli’, Amamaliza wanaume (kwa kisakalava)2 Amin'ny fatiavany milely !

NOTES 1. Lasheli est un emprunt au français « la chaîne ». 2. Kwa kisakalava, « pour le dire en malgache » : le poète semble s'excuser d'introduire l'expression malgache qui va suivre. Variante : Mkufu wa saa jina lake‘ lasheli’, / Kuna mtoto mmoja ‘lekoli ofisieli’, / Amemaliza wanaume amin'ny fatiavany milely !

48

Niondoshe, jamaa, niondoshe, Na nyota ya alifajiri, niondoshe, Ukiona inapanda, niondoshe, Maana nataa kucheza ngoma, nisikose.

49

Dada nipe ukindu nisuke kilenge1, Njia ya Pasindava haina miembe, Kina dada wa Nkarakeli2 wamekwiba pembe3.

NOTES 1. Kilenge, malgache kilengy, est une sorte de couvercle en vannerie qu'on met sur les plats pour les empêcher de refroidir (swahili standard kawa). 2. Pasindava, Nkarakeli : formes swahilisées des noms de deux villages de Nosy Be, Ampasindava et Ankarakely. 3. Pembe « les cornes » : il s'agit d'un instrument de musique, cornes frappées qui accompagnaient la danse dite shangwe.

[64] 50

Mwambie Papu ajishukurie Mungu : Halima wake anazini na Wazungu.

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[63] 47

Une chaîne de montre, cela s'appelle ‘lasheli’ Il y a une enfant dans notre cité : c'est ‘lekoli ofisieli’, Elle n'a oublié aucun homme (pour le dire en malgache) Amin'ny fatiavany milely ! (= Dans son amour de la baise.)

COMMENTAIRE Le poète s'est amusé à construire ce morceau sur des rimes toutes empruntées à des mots étrangers au swahili : lasheli (« chaîne de montre », du français), lekoli ofisieli (« école officielle », nom des écoles publiques de la colonie de Madagascar) ; et milely (« baiser, faire l'amour », en malgache). La fille est appelée « l'école officielle » parce que, comme à l'école publique, tout un chacun peut y entrer : et tous y sont passés ! La variante supprime les incises « dans notre cité » et « pour le dire en malgache ».

48

Réveille-moi, mon ami, réveille-moi, A l'étoile du matin, réveille-moi, Quand tu la verras s'élever, réveille-moi, Parce que je veux aller à la danse, que je ne la manque pas.

COMMENTAIRE La « danse » est susceptible d'une interprétation érotique ; cf. textes 14 et 21.

49

Mon amie, donne-moi des feuilles de palmier, que je tresse un [couvre-plat,

Sur la route d'Ampasindava, il n'y a pas de manguiers, Toutes nos amies d'Ankarakely, elles nous ont volé nos cornes.

[65] 50

Dites à Papu qu'il rende grâces à Dieu : Sa fille Halima fornique avec les Blancs.

COMMENTAIRE Ce morceau, comme les deux suivants, fait allusion à la légèreté des mœurs à Marodoka, autrefois grand port fréquenté par des bateaux de toutes origines… La formule « rendre grâces à Dieu » peut être prise au sens littéral, mais plus souvent elle signifie « se résigner à la volonté de Dieu » (en cas de malheur).

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Natiombe Mungu manuwari zende kwao, Masikini wa Mungu wakaye na wake wao.

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Nalikwenda Ndofial, Kuna komba2 analia, Msakalava akasema : ‘San̈atria Zaho tsy mety misôngo baharia’

NOTES 1. Ndofia, forme swahili du nom de village Andrafia. 2. Komba, qui désigne sur la côte d'Afrique le galago, est appliqué à Madagascar au lémur (malgache ankômba).

53

Jina la nyumba yangu jina lake ‘Regeza mwendo’, Wanawake wa Maruduka wengi wa vitendo, Hawavai nguo shurti iwe na marembo1, Basi mwisho wao nitawafanye ukiwendo2.

NOTES 1. Marembo a été expliqué en malgache par misokisokitry « avec des petites gravures » et misy folifolera « avec des petites fleurs ». 2. Ukiwendo ou ukewenza est la « condition de co-épouse, condition des femmes d'un même homme, vie en commun d'une femme avec sa co-épouse ».

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Prions Dieu que les navires de guerre rentrent chez eux, Pour que les pauvres de Dieu puissent demeurer avec leurs

[femmes. COMMENTAIRE Les marins des bateaux de guerre sont des rivaux redoutables pour les hommes du village. Plainte des hommes à qui les marins prennent leurs femmes.

52

Je suis allé à Andrafia, Il y a là un lémur qui crie, La Sakalava dit : « À Dieu ne plaise Que je couche avec un marin. »

COMMENTAIRE Réponse (en malgache) d'une femme qui se refuse à un marin.

53

Ma maison s'appelle ‘Ralentis ta marche’, Les femmes de Marodoka font bien des manières, Elles ne portent pas un tissu qui n'a pas de dessins, Mais à la fin j'en ferai toutes des rivales.

COMMENTAIRE Réponse d'un homme lassé par les exigences de sa maîtresse. Les femmes du village sont trop exigeantes : les tissus unis ne sont pas assez bien pour elles ; elles veulent des cotonnades imprimées aux jolis dessins. Mais finalement il les possédera toutes ; elles seront comme des rivales, co-épouses d'un mari polygame.

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[66] 54

Si Mzungu Mzungu Mngereza : Akija mjini kwako anakuja kupeleleza, Naye hali chakula shurti juu ya meza, Mambo yake yote amesha kutengeneza1.

NOTE 1. Variante : […] Mambo yake yote hatitoweza.

55

Kanchuchuri, uzinzi ukireka, Mume mkurungwa1, mwanangu, kupoteka.

NOTE 1. Mume mkurungwa a été glosé en malgache : lehilahy koa be raha andesiny… « un homme, quand la chose qu'il porte est trop grosse… » d'où ma traduction « un mâle trop membru ». Mkurungwa semble être formé sur mkuru, mkuu « grand, gros ».

56

Samaki wa changuchole1 mwingi wa magamba, Nilivyoona ushungi naliranda randa, Waona taabu juu ya kitanda.

NOTE 1. Changuchole : nom d'un poisson excellent (malgache kotrokotro).

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[67] 54

Le Blanc Anglais, ce n'est pas un vrai Blanc, Quand il vient à la ville il vient pour espionner, Et il ne mange pas autrement que sur une table, Toutes ses affaires, il les a bien arrangées.

COMMENTAIRE L'idée de Mzungu (malgache Vazaha) est très imparfaitement rendue par « le Blanc ». Le Mzungu, c'est l'Européen, mais il s'y associe naturellement l'idée de pouvoir : dans le système colonial à Madagascar, le seul vrai Mzungu était donc le Français. L'Anglais qui est un Blanc, mais n'appartient pas au pouvoir colonial français est donc inquiétant. Il ne peut être qu'un espion. Sans doute peut-on voir ici une trace de la propagande coloniale à certaines époques de tension franco-britannique (administration pétainiste de Madagascar en 1940-1942 ?). La variante manifeste encore plus clairement l'hostilité à l'Anglais : « […] Toutes ses manières nous ne pouvons les supporter. »

55

Kanchuchuri, laisse donc la fornication, Un mâle trop membru, mon enfant, te meurtrira.

COMMENTAIRE Kanchuchuri est le nom (qui rappelle le verbe kuchuachua « râper, limer, frottouiller, émoustiller ») d'une femme, à qui s'adresse ce conseil ironique.

56

Le poisson lethrin a beaucoup d'écailles, En voyant un voile (de femme) je me suis mis à danser de joie, Elles connaissent la douleur sur le lit.

COMMENTAIRE C'est le thème de « l'amour qui fait mal », qui relie ce texte au précédent.

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[68] 57

Kumtwara Mgunya mchinja buriti, Ukifika Pemba utasema lipi ? Wanawake wa Bukini, Ijapokuwahonga pesa hawaswarifiki1.

NOTE 1. Variante : Nikifika Pemba mimi nitasema lipi ? / Wanawake wa Bukini, / Hata uwape mapesa hawaswarifiki.

58

Asili ya kingazija asili yao Wayao, Nateremusheni pwani titazame mwendo wao, Usiwacheke ndorora, ndiyo uzuri wa kwao.

NOTE 1. Les vieux de Nosy Be se souviennent encore que certains esclaves ou engagés amenés d'Afrique (les Yao ?) avaient la lèvre supérieure perforée (ndorora) , coutume qui prêtait à rire pour les autres ethnies.

[70] 59 Nisy olo, olo io nan̈ano baharia amin'ny botry. Nan̈ano baharia amin'ny botry izy nandeha hatà misy fanjava firy tan̂y tan-drano, tan-dafy tan̂y. Izy navy boaka tao, tôjiny vadiny mavesatra. Tôjiny vadiny mavesatra, ke izy vadiny mavesatra in̂y, hatà navy izy… tsendriky nan̈ontaniany izy, nandry reo.

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[69] 57

Prendre une Mgunya coupeuse de soliveaux, Quand tu arriveras à Pemba, que diras-tu ? Les femmes de Madagascar, Même si tu leur laisses de l'argent en cadeau, elles ne sont

[bonnes à rien. COMMENTAIRE « Prendre une Mgunya » : j'ai compris « prendre comme femme », mais c'est seulement une interprétation, car le swahili ne marque pas le genre : ce pourrait aussi bien être « un Mgunya ». Les Wagunya, habitants de l'île de Pate et de la côte voisine du Kenya, auraient eu pour spécialité, peu honorable, de couper les bois utilisés pour les constructions navales. Par opposition au pays des Wagunya, Pemba, proche de Zanzibar, doit signifier une ville cultivée et raffinée. Les femmes de Madagascar dont il est question ensuite ne valent guère mieux que les grossières Wagunya… Variante : « […] Quand j'arriverai à Pemba, moi, que dirai-je ? / Les femmes de Madagascar, / Même si on leur donne de l'argent, elles ne sont bonnes à rien. »

58

La race comorienne, c'est la race des Wayao, Faisons-les descendre sur la plage pour voir leur démarche, Ne ris pas de leurs lèvres percées, c'est une élégance chez eux.

COMMENTAIRE Si la « race » ou l'« origine » (asili) des Comoriens est assimilée à celle des Yao ou Wayao, c'est certainement pour déprécier les premiers. La traite des esclaves du Mozambique à Madagascar comportait souvent une étape intermédiaire aux Comores, si bien que les Yao, les Makhuwa, etc., pouvaient en effet être présentés comme des Comoriens, engagés libres par un contrat passé sous l'autorité d'un sultan comorien. L'allusion à la démarche s'explique par le fait qu'aujourd'hui encore on prétend à Nosy Be qu'on peut reconnaître un Grand-Comorien (swahili Mngazija) à sa seule démarche bien caractéristique.

[71] 59 Il y avait un homme, qui était marin sur un boutre. Il était marin sur un boutre, et il partit et il resta en mer, outre-mer, je ne sais combien de mois. Quand il revint, il trouva sa femme enceinte, en arrivant…, il ne l'interrogea pas, ils se couchèrent.

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Nandry, avy… hitany kibo be, ke reo mandry karaha ty kotrokotroiny karaha ty kibo, kotrokotroiny, kotrokotroiny. Navy man̈angy in̂y nivolaha :

« Tunga langu ndani ina vindu zangu. » Basy, lehilahy in̂y nivolan̈a :

« Nambie nami tunga ilo akakupa nani ? » Fôtony izy fa nandeha zova maro, izy nipody boaka tao, tôjiny navesatra vadiny. Navy man̈angy in̂y nivolan̈a :

« Ukitwara twarani, hautaki rekani ! » Nambarany, basy :

« Anao mbo tsy tindriko, Usiende mchana wajinga wakajua maanal. »

(- Tsy nitosany ? - Tsy nitosany vadiny, tsy tindriny vadiny, na vadiny mavesatra, mavesatra amin'olo hafa.) NOTE 1. Ce dernier vers a été expliqué en malgache : Anao kaza mandeha matsàn̈a fôtony reo korokoroko jiaby reo mbo hahay anao mavesatra. Tsy tiako anao hain'olo jiaby anao mavesatra. Kaza mandeha matsàn̈a anao, maton̈alin̂y fo anao miboaka an-tany, fa matsàn̈a anao mipitraha an-tran̈o. « Ne sors pas en plein jour, parce que tous les imbéciles sauraient que tu es enceinte. Je ne veux pas que les gens sachent que tu es enceinte. Ne sors pas en plein jour, ne sors dehors que la nuit, et le jour reste à la maison. »

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Zamani nalikuwa tanga1 : Nikitweka na kutua. Sasa nimekuwa dema2 : Nipatapo huchuachua tu.

NOTEs 1. Tanga « la voile (du bateau) ». 2. Dema « la nasse (à poissons) ». Le rapprochement des deux mots est tout naturel : il s'agit de deux objets qui appartiennent à l'attirail du marin ; de plus les voiles traditionnelles étaient non en tissu, mais en vannerie, comme les nasses.

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Ils se couchèrent, et… il voyait son gros ventre, et comme ils étaient couchés comme ça, il lui tapotait le ventre, il le lui tapotait, il le lui tapotait. Alors la femme lui dit :

« Dans ma corbeille j'ai quelque chose qui est à moi. » Alors, l'homme lui dit :

« Dis-moi, cette corbeille, qui te l'a donnée ? » Parce qu'il était parti si longtemps, et quand il était revenu, il avait trouvé sa femme enceinte. La femme lui dit :

« Si tu le veux prends-le, si tu n'en veux pas, laisse-le ! » Alors, il lui dit :

« Je tiens encore à toi, Ne sors pas en plein jour, que tous les imbéciles ne sachent

[le secret.» (– Et il ne la répudia pas ? – Il ne répudia pas sa femme, il tenait à sa femme, même si était enceinte, enceinte d'un autre.) COMMENTAIRE Le mari trompé et content. Comme dans les textes 1 et 2, le poème est inséré dans une anecdote explicative. Mais ici, l'anecdote est contée en malgache.

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Autrefois j'étais voile : Je me hissais et je descendais. Maintenant je suis nasse : N'importe où je râcle le fond.

COMMENTAIRE C'est la vieillesse qui commence. Images des capacités amoureuses de l'homme jeune et de l'homme mûr (?).

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[72] 61

Kwa heri ninawaga, Ninakwenda Mbatuloka1, Nimaona mijuza : Nimaona jiwe ilotoboka.

NOTE 1. Forme swahilisée du nom de lieu Ambatoloaka « à la Pierre-Percée ». C'est un grand rocher s'avançant dans la mer et percé de deux arches naturelles ; c'est un lieu sacré (tany masin̂y) où on va faire des vœux.

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Kwa heri ninawaga, Ninakwenda Matsinza1, Nimaona marikabu, Ilovyoingia imepijiwa mizinga.

NOTE 1. Forme swahilisée du nom de la colline de Mahatsinja ou Mahatsinjo, « La Vigie », colline qui domine le mouillage de Nosy Be.

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Kulukulu ana mimba, Dume lake linaranda vanjani, Kazi yake kupija mizinga.

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[73] 61

Adieu, je vous salue, Je vais à la Pierre-Percée, J'y ai vu des merveilles : J'y ai vu un rocher troué.

COMMENTAIRE Ce texte, et le suivant, ne se trouvent pas par hasard à la fin de la série de poèmes récités par Maulidi : il me signifie par là que la séance est terminée pour ce jour. Les deux poèmes sont bâtis sur la description de lieux remarquables de Nosy Be.

62 Adieu, je vous salue, Je vais à La Vigie, J'y ai vu un bateau, Dès qu'il s'est approché on a tiré dessus au canon.

63 La dinde est enceinte, Son dindon arpente la place, Il ne fait que tirer du canon. COMMENTAIRE Description amusante du dindon : le gloussement de cette volaille est pour les Swahili un « tir de canon ». Cf. autre nom du dindon : bata mzinga, littéralement « le canard-canon ».

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Fig. 5. Ninakwenda Mbatuloka, Nimaona mijuza « Je vais à la Pierre-Percée, J'y ai vu des merveilles »

Le rocher d'Ambatoloaka en 1982.

[74] BIBLIOGRAPHIE BEAUJARD, P., “A propos de quelques chants populaires betsileo”, Asie du Sud-Est

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[75] JULLY, A., Manuel des dialectes malgaches, comprenant sept dialectes : hova, betsiléo, tankarana, betsimisaraka, taimorona, tanosy, sakalava, (Maha-faly) et le soahély. Paris : J. André, 1901, XXI-90 p.

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