Les politiques amstellodamois des années quatre-vingt dix : image de soi, image des autres

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Le fait que des politiques issus de l'immigration soient actifs au sein des partis politiques existants dénote d'une stratégie visant l'intégration politique dans la société néerlandaise. Le fait qu'ils estiment leurs origines ethniques pertinentes pour leurs activités politiques signifie aussi qu'ils tentent de réaliser leur intégration à partir d'une forme d'action collective basée sur l'ethnicité. Il existe bien sûr d'autres voies d'intégration dans une société d'accueil. Les migrants peuvent aspirer à une intégration basée sur l'action collective extérieure à la scène politique. Ils peuvent également tendre à une assimilation individuelle, s'épargnant ainsi l'action collective basée sur des choix ethniques Traduit du néérlandais par Laure Michon Paru en 1998 dans la Revue Européenne des Migrations Internatonales, 2 (14), 97-121.

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Politiques Amstellodamois

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Les politiques amstellodamois des annes quatre-vingt dix : image de soi, image des autres. Brieuc-Yves Cadat et Meindert Fennema

1. Introduction

Le fait que des politiques issus de l'immigration soient actifs au sein des partis politiques existants dnote d'une stratgie visant l'intgration politique dans la socit nerlandaise. Le fait qu'ils estiment leurs origines ethniques pertinentes pour leurs activits politiques signifie aussi qu'ils tentent de raliser leur intgration partir d'une forme d'action collective base sur l'ethnicit. Il existe bien sr d'autres voies d'intgration dans une socit d'accueil. Les migrants peuvent aspirer une intgration base sur l'action collective extrieure la scne politique. Ils peuvent galement tendre une assimilation individuelle, s'pargnant ainsi l'action collective base sur des choix ethniques (van Amersfoort 1982: 39-43).

Les thories sur la migration et la formation de minorits ethniques aux Pays-Bas ont jusqu'ici prt peu d'attention aux politiques issus de l'immigration. Dans son tude classique sur la migration et la formation de minorits ethniques, van Amersfoort (1982) ne mentionne pas le domaine politique comme un champ pertinent. Depuis cette date de nombreux travaux se sont intresss aux comportements lectoraux des migrants et une des conclusions que l'on peut en tirer est que dans leur majorit, les migrants votent pour le PvdA [parti travailliste, NdlT] (Bovenkerk, Ruland & Rath 1982; Buijs & Rath 1986; Pennings 1987; Rath 1988; Tillie 1994). La rvision de la loi lectorale attribuant aux trangers le droit de voter et d'tre lu au niveau local a eu dans ce domaine des consquences importantes. En outre un grand nombre de personnes ont pris part aux lections municipales de 1986 en tant que "candidats migrants" - ce fut le cas aussi pour des Nerlandais surinamiens, antillais et indonsiens qui possdaient le droit de vote depuis dj plusieurs dcennies (Goudt 1989; Gilsing 1991; Hegeman & Bronk 1994). Le sentiment largement partag de l'intrt et la ncessit de voir les migrants reprsents par des candidats issus de leurs rangs s'est rpandu, principalement au sein des partis de gauche. Le temps des "grants" politiques autochtones est apparu dpass. Cette situation a d'une part offert de nouvelles possibilits aux lites des populations issues de l'immigration et les a plac d'autre part face un problme de stratgie : soit s'organiser politiquement au sein de partis de migrants caractre spcifique, soit s'intgrer aux partis politiques existants. Jusqu' prsent pratiquement tous les politiques issus de l'immigration ont choisi cette deuxime option. Pour diverses raisons - que nous n'aborderons pas en dtail ici - les initiatives visant la constitution de partis politiques de migrants ont t peu ou prou voues l'chec. Reste que tant la politique mene par l'tat que la nouvelle loi lectorale, mais aussi et surtout les mesures d'intgration adoptes par les partis politiques, ont offert aux migrants de larges possibilits de participation au sein des structures existantes. De ce fait, l'alternative de la fondation de partis reposant sur le communautarisme a rencontr peu d'cho. Les migrants ont largement utilis les possibilits politiques traditionnelles. Ce choix, en grande partie dtermin par la structure du champ politique, a limit de deux manires l'identit politique des migrants : en premier lieu il leur a fallu s'insrer au sein des partis tels qu'ils sont et se conformer - plus ou moins - aux programmes existants. En second lieu, les attentes existant quant leur fonctionnement au sein des partis a fig leur identit politique. Ils ont t "labelliss" migrants; leur identit politique leur a t en quelque sorte "prescrite" Nombre des personnes auprs desquelles nous avons men des entretiens se plaignent de cette identit "prescrite"..

La structure des opportunits politiques (Kriesi et. al. 1995) est au moins aussi importante pour la formation des identits politiques que les souhaits "autonomes" propres aux migrants. La politique de recrutement des partis politiques et celle de l'tat sont de ce point de vue de grande importance, comme l'a dmontr Pennings (1987). L'influence des autorits et des partis politiques se manifeste dans les identits politiques des candidats migrants qui voluent au sein des structures politiques existantes. Il est clair que dans le cadre d'une telle tude, le vocabulaire des auteurs est presque automatiquement teint politiquement. Nous utilisons le terme de migrants de faon neutre, c'est--dire sans vouloir dire implicitement par l que les personnes dont il est question auraient choisi une stratgie de mobilisation "anti-raciste" ou inter-ethnique.

Bien qu'il faille constater que, d'un point de vue thorique, les identits politiques se construisent aussi bien "d'en-haut" que "d'en-bas", il est quasiment impossible d'tablir empiriquement dans quelle mesure une identit (ethnique) existante a t forme "d'en-haut" ou "d'en-bas". Dans le prsent article nous nous intressons plus particulirement un groupe de migrants qui prconise une forme d'action collective en tant que migrants dans le champ politique. Il est issu d'une recherche Nous tenons ici remercier les personnes ayant particip aux travaux dirigs de recherche "Migrants et conseil municipal", Roland Ast, Jeroen Boelhouwer, Harry van Bommel, Frank Elbers, Lex Veldboer. Nous teons galement exprimer notre reconnaissance Jan Willem Duyvendak, Jean Tillie, Kitty Verrips et Nico Wilterdink pour leurs commentaires critiques des versions antrieures de cet article. La recherche a t effectue dans la premire moiti des annes quatre-vingt-dix dans le cadre d'une tude comparative consacre aux politiques issus de l'immigration d'Amsterdam et de Paris. sur l'image politique qu'ont d'eux-mmes les migrants qui se sont profils au sein des partis politiques amstellodamois comme "candidats migrants" lors d'lections municipales et d'arrondissement Les candidats migrants d'Amsterdam s'tant prsents aux lections des conseillers municipaux et des conseillers municipaux d'arrondissement ont t pressentis en tant que tels pour un entretien. Personne n'a refus de collaborer. Les questions qui ont t exploites dans cet article sont prsentes dans l'Annexe 1. . Nous nous limitons ici l'image de soi lie "l'ethnicit" des politiques interrogs, en supposant que cette identit est l'enjeu d'un combat et d'interventions stratgiques. Nous sommes conscients du fait que prcisment pour les politiques migrants, les rsultats de cette enqute sont une affaire dlicate. C'est que la plupart des politiciens issus de l'immigration ne souhaitent pas, pour des raisons de stratgie, que les dissensions entre migrants soient tales sur la place publique. Lors de la prsentation des rsultats (cf. Fennema, Cadat & Tillie 1995) lors d'une rencontre organise par des institutions d'aide sociale surinamiennes, antillaises et moluquoises, le 10 avril 1995, l'un des auteurs a t interpell de manire trs agressive par un certain nombre des allochtones prsents.

2. Formation des identits et stratgies

Identit ethnique et identit nationale sont des notions qui se recoupent, mais elles ne sont pas interchangeables. Une identit ethnique est une identit nationale en dehors du contexte national. Un migrant revendiquant une identit ethnique se sent en premier lieu Surinamien, Marocain, Turc ou Antillais aux Pays-Bas Il existe des sousgroupes ethniques au sein des groupes ethniques. Certains Surinamiens se sentent par exemple Hindoustanis, ou Croles, etc. Ces subidentits sortent du cadre de notre enqute.. Identits ethniques et nationales peuvent galement tre combines. On est alors Nerlandais-surinamien, Nerlandais-marocain, etc. Les identits ethniques sont aussi lies des contextes particuliers et sont souvent utilises stratgiquement.

Les politiques issus de l'immigration ne se revendiquent pas ncessairement d'une identit ethnique; leur appartenance politique peut galement se fonder sur une exprience d'exclusion vcue dans la socit d'accueil et sur un sentiment partag d'injustice et de discrimination raciale. Dans ce cas, l'identit collective ne se limite pas au groupe national, mais s'tend en principe tous les groupes qui, d'une faon ou d'une autre, sont victimes de discrimination. Elle peut se dfinir, avec de tels principes, comme "identit noire", catgorie construite englobant toutes les victimes potentielles du racisme: les femmes, les homosexuels, les handicaps, mais galement des groupes ethniques autochtones, tels que les Frisons. La notion de "noir" a uniquement un sens social et est utilise par ceux qui se trouvent dans la mme situation et dveloppent la mme stratgie anti-raciste. Cette identit politique a t thorise aux Pays-Bas part Loewenthal et Kempadoo (1984), Mullard (1985) et Essed (1991). Si une telle politique identitaire reste sans succs, le concept de "noir" se vide de son sens et disparat ou change de signification. Aprs la Seconde Guerre Mondiale, par exemple, le terme de "Negro" a t remplac par celui de "Black" parce que les Noirs Amricains l'utilisaient de plus en plus pour se dfinir eux-mmes. Le concept racial de "Black" a ensuite fait place ces dernires annes au concept "ethnique" d' "African American". L'tiquette que se donne un groupe n'est donc pas seulement le rsultat d'une lutte mais est en mme temps l'enjeu de cette lutte. Une identit noire renvoie ainsi des formes historiques spcifiques d'oppression et d'exclusion : en gnral celles qui prvalaient dans une situation coloniale.

Puisque le concept de "noir" vient d'Amrique et qu'il renvoie la lutte des Afro-Amricains, le terme "d'identit noire" peut facilement prter confusion. C'est pourquoi nous utilisons ici le concept "d'identit anti-raciste". Une stratgie utilise par des migrants base sur une identit anti-raciste prsente deux caractristiques spcifiques. D'abord, la discrimination vcue collectivement est plus importante que les diffrences ethniques et ensuite la stratgie "anti-raciste" est abandonne ds lors que le but est atteint. Elle implique une utopie: celle d'une socit galitaire et sans prjugs. Les migrants anti-racistes cessent d'tre anti-racistes ds lors que le racisme est banni de la socit. Il en va diffremment de la stratgie ethnique. Il s'agit l essentiellement d'accder une reconnaissance des diffrences. Alors que l'identit ethnique se dfinit de manire positive ( quoiqu'elle ne soit pas toujours formule concrtement ainsi), l'identit anti-raciste se dfinit de faon ngative: elle n'est que par la grce de l'existence du racisme.

3. Images de soi

3.1 Le cadre de l'enquteLa problmatique de notre enqute peut tre formule ainsi: comment peut-on comprendre la gense d'identits ethniques et anti-racistes chez les politiques amstellodamois issus de l'immigration d'Amsterdam? Quel lien existe-t-il entre ces identits et certaines stratgies politiques?

Entre 1990 et 1994, des entretiens ont t men avec 29 migrants amstellodamois candidats et lus au conseil municipal ou aux conseils de mairies d'arrondissement. Tous les conseillers municipaux migrants sauf un ont t interviews entre 1990 et 1994. Au niveau des mairies d'arrondissement, nous avons demand 24 personnes de nous accorder un entretien, c'estdire peu prs tous les migrants lus. 24 d'entre eux taient de sexe masculin et 5 de sexe fminin. 12 taient originaires des anciennes colonies, dont 8 du Surinam, 3 des Antilles nerlandaises et 1 de l'Indonsie. 17 des personnes interroges taient originaires des sud-mditerranennes, dont 11 de la Turquie et 6 du Maroc. Les Turcs et Surinamiens composaient la majorit du groupe. Nous avons considrs les 8 Surinamiens, les 3 Antillais et le Moluquois comme faisant partie d'une mme catgorie.

Parmi ces 29 politiques issus de l'immigration, 19 taient candidats pour un parti de gauche (11 pour GroenLinks [parti cologiste, Le parti GroenLinks (littralement: Gauche Verte) est issu de la fusion en 1989 des partis communiste, vangliste, radical et socialistepacifiste. Une orientation cologiste a t choisie pour donner une identit clairement dfinie au parti ainsi cr. (NdlT) NdlT], 8 pour le PvdA). 7 d'entre eux se prsentaient pour le CDA [parti chrtien-dmocrate], 2 d'entre eux pour D'66 [parti libral de gauche], et 1 pour le VVD [parti libral de droite]. On voit donc que de gauche droite du spectre politique le nombre de candidats allochtones diminue. Amsterdam ne forme pas sur ce plan une exception par rapport au reste des Pays-Bas; le plus grand nombre des candidats allochtones y apparaissent sur les listes lectorales de GroenLinks et du PvdA, et le moins grand nombre sur celles de D'66 et du VVD (Hegeman et Bronk 1994, 13). Tant la stratgie au sein de leur parti politique des personnes interroges, que les possibilits politiques que le parti en question offrait aux migrants ont t abordes au cours des entretiens (Annexe 1).

A partir des donnes personnelles rassembles lors des entretiens, on a pu esquisser le profil type du politique issu de l'immigration: il s'agit d'un homme g de 40 45 ans au moment de l'enqute. Dans son pays d'origine, il a rsid dans un centre urbain. Lorsqu'il migre aux Pays-Bas, vers 1973, il est g d'environ 25 ans. Aprs son arrive en Holland, il a acquis la nationalit nerlandaise, mme s'il continue se dfinir expressment comme un tranger. Ses parents sont soit musulmans, soit chrtiens. Il a suivi aux Pays-Bas une formation de travailleur social et est employ dans le secteur public. Une dcennie spare le moment de son arrive au pays batave de celui de son entre dans la politique nerlandaise. Dans son pays d'origine il a t lev dans un milieu politis. Ses parents taient activistes, engags dans des mouvements sociaux, religieux ou nationalistes. Son pre en particulier appartenait souvent l'lite politique de son pays: on trouve parmi les pres de nos informateurs, des fondateurs de partis politiques, des reprsentants parlementaires et des ministres. Le politique issu de l'immigration tait lui-mme, adolescent ou jeune adulte, engag politiquement dans son pays d'origine. Dans la plupart des cas, il tait actif dans des organisations politiques de jeunesse ou des mouvements (indpendantistes) rvolutionnaires. Entre le moment de son arrive aux Pays-Bas et celui de son entre en politique, il a t actif au sein de sa communaut dans le secteur associatif.

Nous avons choisi d'aborder indirectement la question de l'identit par l'intermdiaire de questions portant sur les autres migrants. L'interviewer, en mettant l'accent sur les diffrences (possibles) entre les migrants, cherchait a provoqu des rponses qui soient en premier lieu analytiques. Par exemple: la personne interroge voyait-elle des diffrences entre originaires des Antilles nerlandaises et originaires de la rgion sud-mditerranenne? La majorit des personnes interroges ont rpondu par l'affirmative. Un tiers d'entre elles a rattach cette perception la diversit des formes de discrimination des Nerlandais de souche l'gard des diffrentes populations issues de l'immigration. L'ensemble des personnes interroges a estim que racisme et de discrimination sont prsents aux Pays-Bas.

Le fait de mettre en avant les diffrences entre groupes de migrants a amen subrepticement l'tablissement d'une distinction entre "nous" et "les autres". Or, c'est justement partir de la description des "autres" que se projette, souvent implicitement, mais parfois aussi explicitement, une image de soi. On se dvoile en parlant des autres. Et la faon dont on le fait projette une image de soi. Nous n'avons rien dduit: nous ne nous sommes fis qu' ce que les personnes interroges nous ont dit. Ainsi, nous avons analys dans quelle mesure les termes "nous" et "notre" renvoyaient soit un groupe ethnique spcifique soit l'ensemble des migrants. Nous avons utilis une mthode a t de type linguistique (Bonnafous 1991). Au sein du corpus de chaque entretien, nous avons isol tous les termes faisant rfrence un groupe ethnique. Puis nous avons isol ceux se rapportant au groupe des "allochtones" ou des "migrants". Ensuite nous avons fait le relev de toutes les formulations collectives ("nous"). Les utilisations caractre indtermin (comme "faisons") ainsi que celles se rfrant au contexte de l'entretien - le cas de figure "nous, l'interviewer et l'informateur"- ont t laisses de ct. Dans le cas o "nous" tait rpt sans que cela ne soit pertinent, nous n'en avons tenu compte qu'une fois. On peut conclure d'une telle analyse lexico-statistique que lorsque des politiques Turcs utilisent le terme "nous", ils font rfrence dans un peu plus de deux tiers des cas leur propre groupe ethnique. A l'inverse, les politiques originaires des anciennes colonies l'emploient dans un peu plus de deux tiers des cas pour voquer l'ensemble des migrants. Les Marocains occupent une position intermdiaire : dans un peu plus de la moiti des situations, "nous" renvoie au propre groupe ethnique, et dans lgrement moins de la moiti des cas, l'ensemble des migrants. Ces diffrentiations se font indpendamment de l'affiliation politique des candidats migrants. On peut noter toutefois que les migrants originaires des anciennes colonies et politiquement proches du CDA ont tendance faire une utilisation plus ethnique du terme "nous" en comparaison des migrants originaires des anciennes colonies se reconnaissant dans le PvdA et GroenLinks.

3.2 Images de soi des politiques originaires des anciennes colonies

"En principe nous avons toujours t Nerlandais, simplement nous l'avons t Outre-mer."

Le groupe de migrants issus des anciennes colonies est compos pour deux tiers de Surinamiens. Pour autant qu'ils soient arrivs aux Pays-Bas avant 1975, ils possdaient dj la nationalit nerlandaise dans leur pays d'origine. Quant ceux qui ont migr entre 1975 et 1980, ils pouvaient, au Surinam, encore opter pour la nationalit nerlandaise. Les habitants du Surinam ayant une couleur de peau fonce sont victimes de ce que nous dfinissons comme une variante coloniale du racisme : les victimes sont inclues historiquement dans la nation colonialiste mais places en permanence dans une situation d'infriorit. Les Surinamiens sont reconnus comme des membres de la nation nerlandaise, mais en tant que junior partner. Eclairant cet gard est l'examen des diffrentes thories colonialistes et civilisatrices existant depuis les Lumires : elles se rejoignent sur le point de donner aux Europens la tche d'lever le niveau de civilisation des peuples de couleur jusqu' celui des peuples europens. La question de l'examen critique de l'opportunit d'une telle entreprise est au mieux passe sous silence, sinon relgue un futur lointain. Une indpendance rapide et complte tait donc impensable dans le cadre du discours colonialiste, et n'tait pas mme envisage au sein des milieux progressistes parce qu'on estimait que la population n'tait pas encore assez "mature" pour cela (cf. Fennema 1994).

Le fardeau auquel sont confronts les victimes du racisme colonial est insurmontable. Elles doivent prouver que leur niveau de civilisation est aussi lev que celui de leurs oppresseurs, mais le certificat de cette "preuve de civilisation" ne peut tre dlivr que par ces mmes oppresseurs. Le racisme colonial est cependant de nature universaliste. Il part du principe d'un modle gnral humain et d'une civilisation universelle accessible - en principe - tous, mme si les non-Europens sont profondment arrirs. L'exprience de la discrimination qui est encore actuellement aux Pays-Bas celle des gens de couleur renvoie au fond l'universalisme colonial.

Cinq des douze personnes interroges dans le groupe des politiques issus des anciennes colonies estiment qu'il n'y a pas de diffrence de discrimination entre d'un ct les Sud-Mediterranens et de l'autre ct les personnes originaires des anciennes colonies."Quand on regarde l'approche des Nerlandais vis--vis de l'ensemble des noirs et des migrants, il n'y a pas de diffrence. Les Nerlandais traitent les Marocains ou les Surinamiens de faon..., aussi aimable ou dsagrable // Il s'agit de la mme forme de discrimination".

Un autre politique surinamien le formule ainsi: "Ils continuent ne voir en nous que de petits ngrillons". Une informante Surinamienne semble nuancer cette opinion: "Les femmes d'origine turque et marocaine et les autres femmes migrantes sont dpendantes d'un titre de sjour, et a, c'est..., c'est la nuit et le jour parce que les femmes surinamiennes et antillaises n'en sont pas dpendantes, encore que, quand elles arrivent sur le march du travail, elles retrouvent les mmes problmes".

Aux yeux des politiques originaires des anciennes colonies, la discrimination s'inscrit dans la logique d'une idologie raciste coloniale et n'a donc rien voir avec la problmatique de la migration. La description de la discrimination est formule en termes d'infriorisation plutt qu'en termes d'arriration.

Le politique originaire des anciennes colonies dsireux d'chapper son statut permanent de junior partner au sein de la nation peut opter pour un discours dans lequel il se dfinit comme un tranger. Il quitte sa position d' "enfant noir" dfavoris de la famille pour renatre comme migrant parmi les migrants. Mais dans ce cas aussi, il est victime de discrimination. Il perd alors son statut idologique de citoyen Nerlandais de deuxime classe pour se retrouver dans celui d'tranger.

"Tu vois, pour moi il n'y a pas de diffrence (entre allochtones originaires des colonies nerlandaises et allochtones originaires de la rgion mditerranenne, BYC/MF). Et je ne regarde que notre position aux Pays-Bas. Et je pense qu'elle est la mme pour tous. Que l'on vienne du Surinam, du Maroc, de Turquie ou de je ne sais o, cela ne change rien. La position est tout simplement la mme. Nous avons tous une position dsavantage. Tu vois, au Surinam il y a aussi des musulmans. Les gens du Maroc sont aussi musulmans. De ce point de vue il y a tout de mme encore des similitudes. Je ne vois pas de diffrences".

Dans cette opration discursive d'indiffrenciation, l'antiracisme universel chappe au contexte colonial et s'applique la situation de l'ensemble des immigrs dans la nation moderne. Le problme du racisme tend en mme temps a tre implicitement remplac par celui de l'adaptation la socit post-industrielle. La position dfavorise des migrants sur le march du travail renvoie alors leur manque de qualifications et disqualifie la discrimination comme facteur explicatif principal.

Une telle dfinition du problme a cependant des consquences: elle justifie dans la pratique la position de fait relativement meilleure des politiques surinamiens au sein des partis. Surinamiens, Antillais et Moluquois tirent relativement mieux avantage par exemple, des politiques de quotas que les Marocains ou les Turcs. C'est que les politiques surinamiens ont une longueur d'avance sur leurs collgues Sud-Mditerranens. Ils sont mieux intgrs dans la socit nerlandaise, parlent la langue. Ils sont dj Nerlandais: ils n'ont pas le devenir.

Un politique surinamien ne pense pas que l'appartenance la nation Surinamienne constitue un facteur de poids dans la question de l'identit. Il rgle la question de la nationalit de faon stratgique: "En soi, les Surinamiens pensent de manire fonctionnelle: comment puis-je m'en sortir le mieux ici? Et ils se disent alors: un passeport Surinamien ne me servira pas vraiment dans la socit nerlandaise".

Dans ce cadre, la diffrence avec les migrants Sud-Mditerranens est exprim clairement: "Beaucoup de gens originaires de la rgion mditerranenne ont encore leur nationalit d'origine...//... le fait d'avoir une nationalit est une partie de l'hritage culturel. Cela avoir avec un dbut de prise de conscience ...//... Les Surinamiens ont une approche plus rationnelle" (du fait de garder ou non sa nationalit d'origine, BYC, MF).

Les consquences sociales de cette diffrence avec les migrants Sud-Mediterranens sont claires:

"En ce qui concerne la position juridique, les Marocains et les Turcs sont plus loigns de la socit Nerlandaise. Les Nerlandais considrent cela comme moins intgr. Ces groupes courent le risque d'tre discrimins plus rapidement que les Surinamiens et les Antillais, bien qu'ils ne soient pas noirs".

La discrimination n'est ici plus place dans la perspective du racisme colonial, mais est lie l'exclusion des trangers. Ce qui est encore constat comme un "matter of fact" dans la citation ci-dessus, peut facilement se retourner en une perspective "nerlandaise" sur la question de la nationalit: le politique originaire des (anciennes) colonies a tendance s'approprier la perspective nerlandaise ( Cadat 1993a). Aux yeux des Surinamiens, les Sud-Mditerranens sont mal duqus, ne sont pas porteurs des valeurs, du "know How" indispensables l'adaptation dans une socit occidentale.

Une minorit substantielle des informateurs issus des anciennes colonies a tendance percevoir les Sud-Mditerranens dans une perspective nerlandaise:

"tant musulman on doit tenir compte, et les gens le font donc souvent, des histoires de Ramadan, d'interruptions de travail les plus tranges pour pouvoir prier ou jener, de jours fris. Et en tant qu'employeur, on peut en tre plus gn qu'on ne le serait avec un Surinamien".Il est vrai que certains Surinamiens sont aussi musulmans, mais selon un interview, cette identit religieuse est alors moins prononce:

"Quand on regarde au Surinam: il y avait moins de mosques qu'en ont les Turcs et les Marocains Amsterdam. Dans chaque quartier Amsterdam on trouve au moins une mosque turque ou marocaine. Dans le Bijlmermeer, nous n'avons mme pas une mosque Hindoustani. Nous n'avons pas de vrai temple dans tous les Pays-Bas. Oui, les Mditerranens observent bien plus les rgles et les valeurs religieuses strictes".

Les politiques surinamiens ont de leurs collgues Sud-Mditerranens l'image suivante : ils sont encore beaucoup trop Turcs ou Marocains pour pouvoir faire carrire dans leurs partis. La position juridique des groupes aux Pays-Bas est galement importante: les Sud-Mediterranens sont en gnral encore des trangers et la participation politique des trangers implique une double loyalit. Les allochtones originaires des (anciennes) colonies par contre ne sont pas seulement Nerlandais d'un point de vue culturel, mais le sont en plus d'un point de vue juridique. Cela justifie leur position avantage : quel que soit l'angle d'approche, ils sont plus proches des Nerlandais de souche.

3.3. Images de soi des politiques Turcs

L'histoire des Turcs ne connat pas d'pisode de colonisation. Au contraire, la Turquie a t une puissance imprialiste. Nous nous attendions donc ce que les Turcs portent un autre regard sur le racisme et la discrimination l'gard des migrants. Et en effet, nos informateurs turcs considrent le pass colonial des migrants originaires des (anciennes) colonies comme une source importante des diffrences entre les deux groupes. Les onze Turcs interrogs considrent les migrants issus des (anciennes) colonies comme tant 'presque' des Nerlandais. Ils voient l un facteur explicatif de leur position sociale et politique relativement meilleure au regard de celle des Turcs.

"En ce qui concerne la langue - et la connaissance de la culture et des traditions - les Mditerranens sont moins la hauteur et peuvent donc moins bien influencer le processus politique, question dveloppement, mise en oeuvre etc., etc".

"Pour ce qui est de l'acceptation... la socit nerlandaise a accept les Surinamiens et les Nerlandais indonsiens. Dans les annes soixante-dix, il y avait un problme avec les Surinamiens, mais ils ont pass le cap maintenant. Les migrants originaires des anciennes colonies sont bien plus accepts".

"Les Turcs et les Marocains sont plus discrimins parce que les Surinamiens sont plus proches".

"Les Marocains et les Turcs sont venus ici comme travailleurs immigres. Le CD et le CP'86 [partis d'extrme droite, NdlT] disent : nous n'avons pas de travail, nous n'avons plus besoin de main-d'oeuvre. Ils doivent partir. Pour les Surinamiens, la situation est diffrente : la religion joue aussi l-dedans. Les Surinamiens sont chrtiens ou hindoustanis. Peu de Surinamiens sont musulmans".

"Tu vois, le terme de Turc est utilis comme une injure Amsterdam. Les jeunes l'utilisent. Ce n'est pas le cas pour les Surinamiens, je crois".

Aux yeux d'un certain nombre de politiques Turcs, les migrants originaires des (anciennes) colonies sont des Nerlandais coloniss, pas des migrants. Parmi les onze Turcs interrogs, il y en a trois - un de GroenLinks, et deux du CDA - qui expriment cette ide clairement. Et trois autres - un de GroenLinks, un du PvdA, un du CDA - tirent un trait dgalit entre Surinamiens et Nerlandais sur la base de leur culture et de leur statut juridique.

"Ils possdent tous les droits civiques et politiques. Le nerlandais est leur langue maternelle. Ils ne sont donc pas des trangers !"

"La seule diffrence entre les Surinamiens et les Nerlandais, c'est la couleur de peau".

Ils ne sont en fait pas des migrants, et ne devraient donc pas pouvoir bnficier de traitements prfrentiels:

"Les Surinamiens et les Antillais sont qualifis de migrants, alors qu'ils devraient tre considrs comme l'gal des Nerlandais. Pour les Surinamiens qui sont arrivs aprs 1975, on peut parler de migrants, mais pas pour ceux qui sont arrivs avant".

Le politique Turc se dfinit comme un "vrai" migrant et vit son histoire sous un angle positif. Il faut noter l'accent mis sur le pass imprial. Deux - appartenant GroenLinks - des onze interrogs le disent explicitement. Six sicles de gloire sont voqus. Grandeur passe, certes, mais splendeur, tout de mme, d'une nation n'ayant jamais t domine. Dans ce sens, les Turcs partagent un terrain idologique commun avec les Nerlandais autochtones. Ils se considrent comme les descendants d'une nation de souverains, A propos du mythe ethniconational des Turcs (le panturanisme d'aprs Turania, pays natal des Turcs ou panturquisme) voir Snyder (1939, 270 et s.). tout comme les Nerlandais:

"Bien sr que nous sommes, je ne veux pas dire meilleurs, mais plus conscients que les Surinamiens, les Antillais ou les Marocains...//... Nous sommes beaucoup plus conscients. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas vcu la colonisation, la domination par un autre peuple. Nous sommes plus assertifs".

"Le Turcs... et les Kurdes aussi sont tout simplement ttus et ils... ils ont le sentiment... et bien de avoir dj fait quelque chose, dans le pass. Ils marchent, comme on dit, la tte haute".

"Nous sommes un peuple arrogant ...//... Voil la base, ensuite viennent d'autres facteurs qui expliquent pourquoi en fin de compte les Turcs ragissent moins... en cas de discrimination ou quoi que ce soit".

"Jusqu' prsent, les Turcs se comportent comme les autres pays coloniaux. Les Grecs, les Bulgares et les Roumains... pensent que les Turcs savent tout mieux qu'eux parce qu'ils ont t domins pendant des annes par les Turcs. Lorsque nous sommes en contact avec ces gens, nous sommes trs fiers!".

" (Les Surinamiens)ne sont jamais srs d'eux-mmes, ils manquent de confiance en soi. Pour nous, c'est diffrent. En Turquie nous sommes fiers d'tre Turcs, nous sommes aussi levs avec cette fiert, parce que la Turquie aussi a colonis d'autres pays. C'est le cas aussi pour les gens de gauche. J'ai remarqu que si on est Turc, on a confiance en soi, o que l'on soit".

Ce portrait d'un Turc altier s'oppose diamtralement celui qui est trac des politiques originaires des (anciennes) colonies, Aux yeux de nos informateurs turcs, les Surinamiens, Antillais et Moluquois prsentent des caractristiques propres aux peuples domins. Selon trois des Turcs interrogs, c'est le cas galement pour les Marocains.

"Il faut aussi compter les Marocains avec les Surinamiens et les Antillais ...//... [le Maroc] est aussi une (ancienne) colonie. Que le souverain soit Nerlandais ou Franais ou Anglais, la diffrence n'est pas trs grande. Ce qui importe, c'est la question de souverain et domin ...//... En 1986 le roi Hassan a appel ne pas voter, et en masse, les gens ne vont pas voter. Et bien je trouve cela malsain".

"Ils (les Marocains) n'essaient pas de rgler leurs problmes en paix ou par la discussion. Tu vois, lorsque les Turcs et les Nerlandais discutent, ils essaient de se runir, nous essaions de faire quelque chose. Nous travaillons ensemble la rsolution de nos problmes mais je pense ...//... qu'eux non, il y a un peu un manque de confiance ...//... C'est d leur pass colonial je crois ...//... Ils (les Marocains) ont vcu la colonisation par les Franais, nous n'avons pas cette exprience ...//... En Turquie, l'enseignement nous rend fiers. Nous sommes levs comme cela. C'est pour cela que je crois que les Turcs ont moins de problmes avec la discrimination. Je dois l'avouer".

Cela ne signifie cependant pas que les politiques Turcs se placent du ct des Nerlandais. Ils sont souvent solidaires des migrants des migrants originaires des anciennes colonies Nerlandaises:

"J'ai remarqu que les autres allochtones (les gens originaires des anciennes colonies) sont souvent plus virulents l'gard des Nerlandais parce que les Nerlandais ont toujours des rflexes paternalistes. Nous le remarquons aussi, mais eux plus nettement ...//... Je leur donne raison parce qu'ils ont t domins pendant toute leur vie et ils en portent une haine plus profonde, je crois".

Malgr la volont de solidarit, ils soulignent l'existence de dissensions ethniques, par exemple l'intrieur de GroenLinks:

"Nous sommes disposs soutenir le Bloc Progressiste Migrant - BMP [commission migrante au sein du parti], mais pas sous toutes les conditions. Nous sommes prts tre actifs au sein du BMP, mais pas "juste comme a". Nous ne le ferons pas "juste comme a". Nous ne voulons pas laisser les Surinamiens faire tout et marcher derrire eux. Nous voulons collaborer sur la base de l'galit".

"Je ne sais pas si c'est intressant - et vous le savez aussi- mais il y a bien sr aussi..., non pas de l'hostilit, mais... des histoires entre Turcs et Marocains et... Surinamiens; pour nous Turcs par exemple, les Surinamiens sont au plus bas, l'inverse est vrai aussi bien sr. Ce genre de choses, c'est galement de la politique".

Un autre des Turcs interrogs ajoute une analyse psychologique cette observation. La virulence des Surinamiens l'gard des Nerlandais n'est en fait rien d'autre que l'expression d'une dpendance motionnelle:

"Cette attitude des Surinamiens et des Antillais par exemple, je la perois en fait comme celle d'un enfant... au sein d'une famille, l'gard de son pre, de sa mre, etc. ...//...Les Surinamiens sont tout simplement beaucoup plus tolrants l'gard des Nerlandais, bien qu'ils aient la langue bien pendue".

"Les Surinamiens parlent mieux Nerlandais que nous et les Antillais aussi, mais ils ne sont pas vraiment srs d'eux-mmes parce qu'entre eux et les Nerlandais, il y a toujours un grand mur. Qu'il n'est pas facile de briser cause de ces annes de rapports coloniaux".

Aux yeux des politiques Turcs, la position dfavorise dans laquelle se trouvent les "Nerlandais coloniss" est due un manque de dignit et de valeurs qui leur seraient propres. En mme temps, les politiques Turcs ont tendance nier l'importance actuelle du pass colonial. Ils veulent priver les Surinamiens de leur statut de migrant et relativisent leur exclusion base sur le racisme colonial. Que reste-t-il alors? L'ide selon laquelle la mauvaise situation des Nerlandais coloniss est la consquence d'une structure de personnalit dficiente. Cette structure de personnalit s'est forme au cours de sicles d'esclavage et de colonisation, et subsiste encore de nos jours. En clair: les Surinamiens, les Antillais ou les Moluquois sont des Nerlandais avec un sentiment d'infriorit. Et ce sentiment d'infriorit est conserv en l'tat par le racisme colonial des Nerlandais autochtones. En effet, lorsque les personnes originaires des anciennes colonies sont confrontes des rflexions racistes, cela confirme ce qu'on leur a toujours dit ( savoir qu'ils sont infrieurs aux Nerlandais) et renforce ainsi leur sentiment d'infriorit. Parmi les onze Turcs interrogs, deux membres de GroenLinks qui appartiennent au GroenLinks formulent cette pense explicitement. Par ailleurs, la raction face au racisme diffre d'un groupe l'autre. Les migrants mditerranens sont moins sensibles au racisme, parce qu'ils n'ont pas eu faire a la domination coloniale dans leur pays d'origine. L'un des Turcs interrogs indique que le lien historique entre les Pays-Bas et le Surinam forme un dsavantage spcifique pour les Surinamiens. Inversement, la grande distance culturelle entre Turcs et Nerlandais formerait un avantage psychologique pour les Nerlandais turcs.

"Ils (les Nerlandais) savent tout d'eux ( savoir les gens des anciennes colonies). Il leur est donc plus facile de les dominer que nous. Parce que nous disons "Nous sommes Turcs" et eux ne comprennent rien non plus notre culture et notre tat d'esprit".

Tous les Turcs interrogs raisonnent fortement en termes de culture. Les dirigeants turcs sont cependant aussi conscients du rle que joue la couleur de peau dans les relations entre autochtones et allochtones. Trois des onze personnes interroges (deux du CDA et une du PvdA) le disent explicitement. Implicitement ils partent du principe que les migrants turcs ne se diffrencient pas beaucoup des Nerlandais autochtones en ce qui concerne la couleur de peau, mais apportent tout de mme des nuances."Les Indonsiens ne sont pas tellement noirs, ils sont un peu comme nous. Ce sont aussi des gens dont la peau est fonce, mais ce ne sont pas de vrais noirs. Cela joue aussi. Quand on regarde l'Histoire : partout au monde les noirs sont opprims depuis des sicles et ils ne sont pas considrs comme des hommes. Cela joue un peu, mais le colonialisme joue un plus grand rle, parce que les Nerlandais ont toujours t les matres et jouent encore aux matres".

L'aspect psychologique du colonialisme est cependant beaucoup plus important:

"Chez les Surinamiens il y a un ct qui les pousse ... s'identifier en tout avec les Nerlandais, tu vois. Surtout chez les Moluquois, c'est un peu inquitant je trouve. Et les Indonsiens, alors, mon Dieu, a c'est un peuple servile, je trouve. Ils sont toujours extrmement gentils, ne sont jamais au chmage, ont toujours du travail, ils gagnent bien, vivent bien, ils sont vraiment... civil, ou non, comment dire? Civiliss! Mais ils m'irritent vraiment normment. Ils estiment vraiment faire partie des Pays-Bas".

Les politiques turcs ont une image ngative des peuples coloniss. Mais en mme temps ils sont trs ambivalents. D'un ct ils se placent du ct des opprims, de l'autre ils sont agacs par l'attitude servile des populations colonises. D'un ct ils considrent leurs collgues Surinamiens comme des victimes du racisme colonial, de l'autre ils estiment qu'il n'y a pas de raison pour qu'ils bnficient de la discrimination positive. Ils s'estiment suprieurs grce leur identit politique qu'ils partagent, d'un point de vue historique, avec celle de tous les colonisateurs. C'est pourquoi ils pensent tre l'gal des Nerlandais. En mme temps, ils rclament le droit la discrimination positive du fait de leur position dfavorise.

3.4 Images de soi des politiques marocainsEn tant que politiques Sud-Mediterranens, les Marocains, tout comme les Turcs, n'ont pas de pass colonial commun avec les Pays-Bas. Cela ne signifie pas qu'ils ne connaissent pas le discours colonial. Le Maroc tait en effet une protectorat franais jusqu'en 1956. Les Marocains appartiennent donc d'un certain point de vue au groupe des coloniss mais aux Pays-Bas ils sont des trangers au mme titre que les Turcs. Nous nous attendions donc ce que les Marocains prennent une place intermdiaire entre les politiques turcs et les politiques originaires des (anciennes) colonies.

Comme les Turcs, les Marocains pensent que les politiques originaires des (anciennes) colonies traversent une crise d'identit vis--vis des Nerlandais autochtones. L'un des Marocains interrogs estime que le sentiment d'infriorit des Surinamiens, des Antillais ou des Moluquois est li cette crise d'identit:

"Le pass colonial joue l-dedans, on est plus prudent avec les Surinamiens lorsque l'on fait des rflexions, dans les discussions, l'expression ides, et dans la religion aussi. Les Turcs, les Marocains d'ailleurs aussi, sont en gnral vus comme des travailleurs immigrs venus ici pour travailler. La discrimination l'gard des Surinamiens se traduit dans la ralit autrement, parce que l'on pensait ou pense (malheureusement parfois encore) que les Surinamiens ne sont pas encore vraiment des Nerlandais. Alors que les Surinamiens, les Antillais ou les Moluquois sont convaincus du fait qu'ils sont des Nerlandais".

Un autre Marocain remarque qu'il existe diffrents strotypes selon les groupes ethniques:

"Il existe des strotypes particuliers sous l'influence des media... et ces crations d'images diffrent selon les groupes. Donc pour les Marocains par exemple, il vient l'esprit la criminalit des jeunes, l'agressivit, et... l'attitude des pres l'gard des femmes. S'il est question de la communaut musulmane, on parle de "l'oppression des femmes", de "la polygamie"... ces images influencent les ides des Nerlandais (...). Les problmes de langue ne jouent pas pour les Surinamiens (...) et encore moins le ramadan et les autres pratiques religieuses comme d'gorger un mouton sur son balcon (...) mais d'autres ides jouent un rle, par exemple le problme de la drogue... le fait qu'ils ne veuillent pas travailler... qu'ils sont paresseux et inactifs. Ce genre de choses".

A l'inverse, le racisme nerlandais a des consquences diffrentes selon les groupes. D'un ct, les migrants marocains sont moins sensibles au racisme parce qu'ils n'ont plus faire avec une culture coloniale raciste dans leur pays d'origine. Mais d'un autre ct, ils insistent sur le fait qu'aprs un certain temps, on y devient de nouveau sensible.

"Je pense que les gens originaires de la rgion mditerranenne prennent le racisme moins au srieux parce qu'ils ne se sentent pas concerns. Il s'agit d'un processus, je crois, d'une prise de conscience qui se met seulement maintenant en marche, du fait que les racistes s'adressent eux aussi. tant quelqu'un qui n'y est pas habitu, on le ressent plus fortement. Quelqu'un qui est originaire des rgions colonises est d'une faon ou d'une autre intgr dans le cadre de pense des gens et est habitu au racisme".

Ce qui est frappant, c'est que la diffrence d'approche est aussi vcue au travers d'une ressemblance relle ou suppose avec les gens des (anciennes) colonies. Ainsi l'une des personnes interroges dclare:

"De ma propre exprience: en gnral les gens croient que je suis Indonsien et j'ai remarqu parfois que quand les gens apprennent aprs que je suis Marocain, leur attitude change (...) Ngativement (...) tre Indonsien, c'est faire partie du groupe, mais Marocain, oh l c'est autre chose".

Les politiques marocains n'ont jamais l'assurance des Turcs vis--vis de leur ethnicit. Ils n'ont pas de sentiment de supriorit bas sur un pass imprial et glorieux. Les politiques marocains ne nient pas non plus le droit de leurs collgues surinamiens aux politiques de discrimination positive, parce qu'ils ont fait l'exprience leurs dpens du colonialisme. Ils tmoignent donc de plus de comprhension pour la position des Surinamiens aux Pays-Bas. En mme temps, ils estiment que leur position est plus proche de celle des Turcs que de celle des Surinamiens. Leur position est ambivalente, c'est pourquoi ils se le plus ouverts la rconciliation. 3.5 Images de soi et dissensions ethniques

Il existe donc deux discours avec une logique interne diffrente : dans le premier, la discrimination s'insre dans le cadre d'une idologie coloniale raciste universaliste. Dans le second, la discrimination s'explique par le nationalisme ethnique (cf. Fennema 1993). Mais dans le cadre d'une perspective ethno-nationaliste, il peut tre question de variation de distances sociales entre la majorit ethnique dominante et les diffrentes minorits ethniques. Aux yeux des politiques turcs, les Surinamiens se situent entre eux et les Nerlandais. Ils s'estiment exclus de la rpartition des emplois et des responsabilits politiques. La politique mene en matire de minorits ethniques serait biaise par la solidarit des Nerlandais blancs vis--vis des migrants originaires des anciennes colonies. De nombreux Turcs considrent que ces derniers sont avantags. Une partie des politiques turcs pense que les Antillais, les Surinamiens et les Moluquois profitent ingalement de la discrimination positive. Certains sont mme d'avis que ces groupes ne devraient pas du tout profiter de ces mesures prfrentielles. On peut observer des dissenssions ethniques analogues en Angleterre. Cf. Jeffers (1991, 6383). Mais la majorit des politiques turcs est tente par un compromis: les gens originaires des colonies doivent pouvoir profiter de la discrimination positive, mais les gens originaires de la rgion sud-mditerranenne ont droit un "traitement prfrentiel dans le cadre de la discrimination positive". Les politiques turcs dfendent les intrts de leur propre groupe ethnique, mais reconnaissent la position infrieure des Surinamiens et des Antillais. En tant que migrants, il sont solidaires, condition que l'accent soit mis sur le problme de l'arriration sociale. Le problme de l'infriorisation enracine dans l'exprience coloniale joue aussi un rle, mais selon la plupart des politiques turcs, l'importance du racisme colonial a diminu dans la socit nerlandaise des annes quatre-vingt dix.

Les politiques originaires des anciennes colonies connaissent et reconnaissent les revendications des migrants turcs et marocains en matire de discrimination positive. Parmi les douze personnes interroges, six vont dans le sens de ce qu'ils peroivent tre les revendications des Sud-Mediterranens.

Un homme politique antillais dclare:

"Ce qui nous unit est le fait que nous sommes dans une position difficile et c'est pourquoi une politique en matire de minorits doit se mettre en place avec diffrentiation. Je veux dire, si l'on constate que pour certaines raisons, les Turcs et les Marocains n'utilisent pas toutes les possibilits prsentes, il faut y faire quelque chose. Mais on ne doit pas prfrer faire quelque chose pour les Turcs et les Marocains sous prtexte que l'on fait dj depuis longtemps quelque chose pour les Surinamiens et les Antillais. Et je le dis parce qu'tant Antillais, je remarque, et ce n'est pas un reproche, je le constate simplement, que de plus en plus, Amsterdam, je parle donc de cette ville, les Antillais font petit petit les frais de la politique actuelle. L'on dit "on a toujours fait quelque chose pour un groupe en particulier (les Surinamiens et les Antillais), on va donc uniquement s'occuper des Turcs et des Marocains (...)". A ct du "Plan social" local pour les Marocains, qui est ncessaire, il faut galement un "Plan social" pour les Antillais, parce que l'on constate dj des problmes dans ce groupe en particulier. Je plaide donc pour une politique en matire de minorits qui soit diffrencie. Il faut regarder ce dont a besoin un groupe spcifique un certain moment et y faire quelque chose".

Le mme politique antillais reconnat qu'il y a des diffrences, mais estiment qu'elles disparaissent grce l'ducation idologique. Il est ncessaire de disposer d'une certaine facult analytique pour pouvoir contre argumenter face aux diffrences. Cette mme personne rpond aprs une longue hsitation la question de savoir si les diffrents groupes de migrants ragissent diifremment face au racisme existant aux Pays-Bas:

" Oui, c'est une question difficile a... si l'on ne rflchit pas et si l'on n'a pas d'ducation idologique, et l'on ne peut pas faire d'analyse... alors oui... on la voit (la diffrence)."

Cette citation illsutre quel point l'laboration d'une identit anti-raciste est ardue, en partie parce qu'elle nie des diffrences ethniques apparamment videntes. Les diffrences ethniques sont - si l'on part d'une perspective anti-raciste - cres par les racistes (blancs). L'intrt commun est soulign par une femme politique Surinamienne 'noire'. Il ne faut pas "se laisser monter les uns contre les autres par les blancs" (Carton et Massaro 1990b).

"Lorsqu'on parle ensemble, on se rend compte du fait que la diffrence est uniquement cre, artificiellement".

Pour donner un exemple de ces diffrences cres artificiellement, elle renvoie une discussion au sein de son propre parti au sujet du choix des candidats:

"(...) Cette discussion... ici dans le quartier en est vraiment un bon exemple. La question tait de savoir si ce serait un Surinamien ou un Marocain qui viendrait sur la liste. Et les Nerlandais prfraient voir un Marocain sur la liste. Et ce Marocain, aprs concertation, dit ne pas vouloir tre en position ligible, et demande tre plac en position inligible. Donc les Nerlandais n'ont plus que le choix de le placer... de placer le Surinamien en position ligible. Voil comment cela c'est pass".

Une telle stratgie est labore en concertation, ce qui permet finalement que non seulement un Surinamien mais aussi un Marocain soient placs en position ligible. Les Surinamiens et les Antillais ont tendance ne pas pousser les conflits entre candidats migrants outrance. Leur regard sur les relations entre populations issues de l'immigration est proche de la situation du "prisonner's dilemma". La collaboration entre populations issues de l'immigration est en fin de compte avantageuse pour tous, mme si une alliance avec "les blancs" profiterait chacun d'eux temporairement. Temporairement, parce que leur avantage n'existerait que tant qu'un autre groupe de migrants ne s'allie pas lui aussi avec "les blancs", contre les autres: dans ce cas l'avantage disparat pour tous.

4. Conclusions

Il existe une nette diffrence entre les expriences et les opinions des politiques turcs et celles des politiques originaires des anciennes colonies. Les politiques turcs portent un regard positif sur leur arrire-ban ethnique. Ils se dfinissent en premier lieu comme tant des trangers. Le racisme auquel ils sont confronts est vcu comme une forme de xnophobie. Ils dfinissent leur identit ethnique partir de la socit nerlandaise. Ils se sentent "Turcs aux Pays-Bas", et aspirent l'acceptation de leur communaut ethnique au sein de la socit d'accueil. L'objectif politique de nombreux politiques turcs est d'amliorer la position de leur communaut d'appartenance aux Pays-Bas. Ils insistent sur leur droit la diffrence.

Les politiques originaires des anciennes colonies, par contre, ont tendance se prsenter comme des sujets racialement dfinis. Eux placent les diffrentes formes de discrimination dans la perspective du racisme colonial. Ils se sentent exclus de la communaut nerlandaise, mais se disent Nerlandais. Ils rejettent l'identit ngative de Surinamien parce que ce terme renvoie une infriorit raciale, celle du Ngre du Surinam, et non une nationalit spcifique. Et pour autant que le terme de Surinamien renvoie une nationalit, il fait rfrence au cruel "Lendemain des Indpendances": non pas au rve surinamien du "Wan Pipel" "One People" = "Un peuple", titre d'un film nationaliste du cinaste surinamien Pim de la Parra. mais des drames politiques et au chaos socio-conomique. Les politiques issus de l'immigration surinamienne se peroivent comme des Nerlandais entirement part et aspirent devenir des Nerlandais part entire.

On parlera de conscience anti-raciste dans le cas d'une identit politique base sur le partage d'un sentiment d'injustice et de discrimination s'tendant potentiellement toutes les victimes du racisme. La solidarit est alors base sur le partage de la condition de victime. Si on entre dans la problmatique des diffrences entre les populations issues de l'immigration, on fait le jeu "des blancs". Cette diffrence est quantitativement mesurable dans nos entretiens. Lorsque les turcs utilisent le terme "nous" ils font rfrence leur propre groupe ethnique dans deux tiers des cas, et l'ensemble des migrants dans un tiers des cas. C'est exactement l'inverse pour les politiques originaires des anciennes colonies : dans deux tiers des cas le "nous" renvoie l'ensemble des migrants, et dans un tiers des cas au propre groupe ethnique. Les politiques marocains utilisent 'nous" pour faire allusion l'ensemble des migrants dans 45 % des cas et pour renvoyer au groupe ethnique propre dans 55 % des cas.

La diffrence existant entre expriences et opinions des diffrents groupes doit tre mise en relation avec les relations historiques entretenues entre pays d'origine et pays d'accueil. Une identit anti-raciste peut certes se dvelopper sur la base des expriences de discrimination faites actuellement aux Pays-Bas, mais une telle identit dpend aussi de la stratification raciale existant dans les (anciennes) colonies. Voil pourquoi une identit anti-raciste se dveloppera plutt chez les Nerlandais originaires de l'une des colonies nerlandaises que chez les Turcs, originaires d'un pays ayant lui-mme un pass imprialiste. Les Marocains paraissent prendre une position intermdiaire.

Presque tous nos interviews estiment qu'il y a des diffrences entre les immigrs originaires des colonies nerlandaises et les immigrs originaires de la rgion sud-mditerranenne. Tous affirment galement la ralit du racisme et de la xnophobie aux Pays-Bas. Partant de l, nos informants plaident tous pour une forme de discrimination positive. Il est question ici d' "advocacy coalition" (Sabatier & Jenkins-Smith 1993). L'unit idologique d'une telle "advocacy coalition" est cependant trop faible pour pouvoir conduire la formation d'un parti de migrants.

Les identits ethniques et anti-racistes se rattachent malgr tout une stratgie commune. La tendance au dpassement des divergences internes est forte, partant de l'ide que l'union fait la force. Pour les politiques surinamiens et antillais, l'unit s'inscrit idologiquement dans le concept de la lutte anti-raciste. Les politiques turcs par contre, sont souvent tents par une analyse marxiste. L'internationalisme bas sur une analyse de classe constitue pour eux frquemment la base de la solidarit interethnique.Une analyse plus approfondie des entretiens raliss fait cependant apparatre des divergences voire des oppositions de points de vue. Les politiques d'origine Surinamienne estiment parfois que les Turcs ne s'adaptent pas suffisamment la socit nerlandaise; l'inverse, les politiques Sud-Mditerranens estiment que les Surinamiens sont par trop assimils. Ces opinions (ou prjugs) ne sont pas exprims publiquement, mais forment une source de conflits et de tensions potentiels entre les personnes appartenant aux groupes ethniques en prsence. Dans le dbat sur la discrimination positive par exemple, certains politiques turcs sont d'avis -partant de leur perspective "d'trangers" - que les Surinamiens ne peuvent en fait tre dfinis comme 'trangers' et ne devraient stricto sensu donc pas avoir accs aux programmes de discrimination positive.

Que les tensions ne cristallisent pas est d d'un ct aux opportunits politiques, de l'autre la conscience du fait que le racisme colonial cre ses propres victimes. Les Sud-Mditerranens - en particulier les Marocains - ne nient pas l'importance du racisme colonial mais ne le considrent pas comme tant "leur problme". A l'inverse, les politiques originaires des anciennes colonies font du front uni "contre les blancs" leur premire priorit. En dpit de cet unitarisme inconditionnel, ils sont parfois bien conscients du fait que leur appel ne pas se laisser diviser procure un avantage aux Surinamiens et aux Antillais sur leurs collgues Sud-Mditerranens dans l'application de politiques publiques de discrimination positive.

On conclura en disant que les politiques turcs tiennent un discours particulariste nuanc par des principes universalistes (immigrs de tous pays mme combat). Les politiques originaires des anciennes colonies par contre, tiennent un discours universaliste, qu'ils teintent d'lments ethnico-particularistes: "all human beings who are discriminated against are equal, but some are more equal than others" (tous les tres humains victimes de discrimination sont gaux, mais certains sont plus gaux que d'autres).

Cette contradiction ne transparat presque pas dans la lutte mene pour l'amlioration de la position de leur arrire-bans respectifs. Dans l'arne publique, l'unit des diffrents leaders migrants est remarquable. Les plates-formes de migrants en sont une preuve. Les politiques issus de l'immigration semblent s'tre appropri les "politics of accomodation" dans leurs relations alors que ce style politique typiquement nerlandais se perd chez les politiques autochtones. Il est difficile de dire si les dissensions latentes entre les diffrents groupes ethniques vont ou non conduire des conflits patents. On peut ici proposer une illustration concrte, hors des partis proprement dits, mais dans un champ minemment politique : celui du secteur associatif. En 1996, la fusion (impulse par L'tat) d'un grand nombre de commissions paritaires et d'associations migrants a abouti la mise en place d'un Institut de Dveloppement Multiculturel connu sous le nom de FORUM. Forum est dot d'un conseil d'administration o les principaux groupes issus de l'immigration sont reprsents. Lors du processus d'unification sont dj apparues les dissensions significatives que nous avons esquiss dans cet article. clairante cet gard est l'attitude du Centre Nerlandais des Etrangers (NCB), l'une des principales organisations concernes par la fusion. Le NCB, point de passage important dans la carrire de nombre de politiques issus de l'immigration, a t fond dans les annes soixante-dix l'poque o l'tat faisait de la reconnaissance des spcificits communautaires la base de sa politique publique d'mancipation des minorits. Le NCB a publiquement dfendu en 1996 le point de vue selon lequel FORUM, contrl par les 'noirs' ne serait pas en mesure de reprsenter quitablement les populations issues de l'immigration Sud-Mditerranenne. A l'inverse, le NCB s'est alors vu reprocher de s'intresser surtout aux immigrs d'origine turque. Le NCB a finalement dcid de ne pas participer la fusion et de continuer sa mission d'intgration sur une base commerciale. C'est aujourd'hui un bureau de conseils privatis de plus gr par des migrants et spcialis dans l'interculturel. Au sein de ce type de rseaux commerciaux issus des immigrations et dont le march est prcisment l'enjeu de l'intgration des immigrations, la loyaut ethnique joue un rle important. De plus, les organisations commerciales sont moins proccupes de leur image de marque unitaire que les organisations subventionnes. Pour ces raisons, n'est-on pas en prsence de l'amorce d'un nouveau processus de diffrenciation ethnique? Les bureaux de conseils ethniques et les organisations similaires pourraient alors former la base du dveloppement de nouveaux groupes d'intrts politiques le long de lignes de division communautaires.Traduit du nrlandais par Laure Michon

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Annexe 1: Questionnaire utilis.

* Voyez-vous une diffrence entre allochtones originaires des anciennes colonies et allochtones originaires des rgions sud-mditerranennes ? :* Qu'est ce qui forme selon vous l'essentiel de cette diffrence?- la culture: la langue; la religion.- le statut juridique.- la classe (niveau d'education).- la couleur de peau (diffrentes formes de racisme).- le nombre.* La discrimination raciale laquelle les allochtones se trouvent confronts diffre-t-elle en fonction de ces caractristiques ?* Les diffrentes populations issues de l'immigration adoptent-elles des attitudes diffrentes vis--vis du racisme aux Pays-Bas ?* Les politiques publiques menes lgard de limmigration doivent-elles tenir compte des diffrences de situations? De quelle manire ?* Votre opinion sur ces questions diffre-t-elle des positions de votre parti ?* Existe-til un rseau formel ou informel d'allochtones au sein de votre parti dans le cadre duquel les questions que nous soulevs peuvent tre discutes ?* Les allochtones russissent-ils surmonter les diffrences qui les sparent ?* Si non, dans quels cas ?* Avez-vous des contacts avec des allochtones d'autres partis ?* Comment ce contact a-t-il t tabli ? (par lintermdiaire des rseaux internes votre groupe de migrants ou autrement ?).