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LES PRATIQUES SPORTIVES Daniel Dufourt, Professeur de Sciences Economiques, SCIENCES PO-LYON Programme égalité des chances Séance du 18 janvier 2012

Les pratiques sportives

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LES PRATIQUES SPORTIVESDaniel Dufourt, Professeur de Sciences Economiques, SCIENCES PO-LYON

Programme égalité des chancesSéance du 18 janvier 2012

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Plan

Introduction Du sport aux pratiques sportives : à la recherche de l’identité

d’un lien social 1ère PartieLes pratiques sportives en France aujourd’hui: état des lieux 2ème Partie Les représentations des pratiques sportives: de la littérature

aux sciences sociales 3ème PartieL’instrumentalisation des pratiques sportives au bénéfices

des intérêts des acteurs.Conclusion

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Introduction

Afin de comprendre comment une activité physique résultant d’un choix personnel devient une pratique collective, mobilisant des institutions, des ressources, des équipements, il y a lieu de poser à titre liminaire 3 questions:

- quelle est la place du sport dans la société? Ici, ce qui est en jeu c’est le passage d’une activité physique à une pratique sportive reconnue comme pratique sociale.

- quel sens les pratiques sportives revêtent-elles tant pour les individus qui s’y adonnent que pour la société à laquelle ils appartiennent? Ici, c’est la capacité des pratiques sportives à participer à la construction d’un vivre ensemble qui est interrogée.

- comment et pourquoi les sciences sociales se sont-elles emparées du sport pour en proposer des analyses et interprétations au motif que, au même titre que les pratiques religieuses, les pratiques sportives sont la manifestation d’un « fait social total »*

* « Le sport apparaît aujourd'hui comme un « fait social total » (Marcel Mauss), en ce qu'il peut mettre en branle la totalité de la société et de ses institutions, qu'il engage toutes ses dimensions (politiques, économiques, culturelles, sociales, technologiques, etc.) et qu'il façonne, en même temps, les diverses formes de la vie quotidienne des agents qui la composent (pratiques, représentations, styles de vie, esthétiques, éthiques).» Christian POCIELLO, article Sport - Histoire et Société, Encyclopédia Universalis.

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Introduction1) La place du sport dans la société a) le sport dans la société industrielle doit être distingué des jeux,

souvent associés à des rites, dans les sociétés traditionnelles: « Les analyses relatives aux jeux ou compétitions dans les civilisations dites traditionnelles s’accordent à souligner leur origine sacrée, dans la mesure où, au-delà de l’occasion qu’ils offrent de se mesurer à l’autre, ils sont un appel à la manifestation de forces surnaturelles et demeurent attachés à un culte (Caillois R., 1963 ; Cazeneuve J., 1967) »

A l’inverse, dans la société victorienne du milieu du XIXème siècle « les exercices physiques désignés sous le nom de sport sont les courses hippiques, les courses à pied et la boxe. Ces épreuves servent de support à des paris (« to sport ») dont les montants peuvent être très élevés. Ces compétitions sont organisées par des aristocrates. Des « écuries » de professionnels issus du peuple et sévèrement entraînés sont formées, les affrontements codifiés et l’égalisation des chances recherchée afin d’assurer au pari tout son intérêt. » C’est pourtant à partir de cette période que s’affirment l’idée et la réalité selon lesquelles «le sport est autre chose que la pratique d’une activité physique, que le simple désir de jouer. Comme le rappelle Michel Caillat «  le sport est du domaine de la convention et de l’institué; le jeu appartient au monde de la transgression et de l’instituant ».

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Introduction1) La place du sport dans la société

b) En France le sport depuis les années 1880 et jusqu’au Front populaire, sert à discipliner la violence, à concourir à une formation militaire et à encadrer les classes populaires:

Ce qui apparaît clairement en France, à la fin des années 1880, c'est l’existence d’une double orientation qui met d'un côté le sport, activité plutôt ludique organisée à l’initiative de notables à l’image du Yacht club de France (1867) et du Tennis Club de Lyon (1900) et de l'autre l'éducation physique, circonscrite à l’apprentissage de la gymnastique..

Les dirigeants de la 3ème République choisissent la gymnastique, rendue obligatoire à l’école (loi du 27 janvier 1880) contre le sport. Médecins et militaires auront pendant longtemps la même vision des choses, il faut éviter les excès pour conduire le plus grand nombre au plus grand rendement utile, qu'il s'agisse de la vie militaire ou de la vie civile. Ce choix est celui de rassembler les Français autour des valeurs de l’école laïque, gratuite et obligatoire au travers des « bataillons scolaires ».*

* tout établissement public d’instruction primaire ou secondaire, ou toute réunion d’écoles publiques comptant de 200 à 600 élèves âgés de de douze ans et au-dessus pourra, sous le nom de bataillon scolaire, rassembler ses élèves pour des exercices gymnastiques et militaires pendant toute la durée de leur séjour dans les établissements d’instruction (...) Décret du 6 juillet 1882 sur la création des bataillons scolaires

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Introduction1) La place du sport dans la société

c) Dès le début deux types de pratiques sportives, opposant celles qui concernent l’aristocratie et lui confèrent un sentiment de distinction et celles qui visent à rassembler les classes populaires :

Si l'invention du sport se trouve du côté des collèges britanniques*, le rôle des entreprises, des patronages, des syndicats et des partis politiques dans la diffusion du sport est ensuite décisif. Le FC Sochaux à Montbéliard (Peugeot), la Juventus de Turin (Fiat), le Bayer Leverkusen (Bayer), le PSV Eindhoven (Phlllips) constituent autant d'exemples ou la genèse d'un club de football dépend localement d'entreprises puissantes.

D'autres institutions se sont mobilisées pour diffuser la pratique sportive et en tirer un bénéfice. On observe ainsi, sous la 3ème République, durablement une rivalité entre la FGSPF (Fédération gymnastique et sportive des patronages de France), un patronage catholique, qui s'évertue à créer des clubs de football (et de basket-ball) et I'USFSA (Union des sociétés françaises de sports athlétiques) créée en 1906 et qui interdit à ses clubs de rencontrer leurs concurrents de la FGSPF. Le problème n'est que progressivement résolu par la création de la Coupe de France (1919) puis d'une Fédération Française de Football (1932).

* « la genèse du sport moderne se situe au collège de Rugby, ou le directeur Thomas Arnold de 1828 à 1840 participe à la codification des règles sportives au sein de son établissement. La naissance du sport est donc intimement liée à la révolution industrielle, dans la mesure ou son institutionnalisation dans les écoles de l élite constitue une réponse pour discipliner les désordres de la société victorienne. Le sport se définit alors comme «  la violence maîtrisée ».

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Introduction1) La place du sport dans la société

d) les pratiques sportives exigent des équipements dont la disponibilité nécessite de coûteux efforts financiers:

Si aujourd'hui, la pratique du football est si aisée en France, c'est parce que les municipalités (d'abord communistes dans l'entre -deux-guerres puis les autres ..) ont consenti des efforts financiers considérables pour bâtir des stades municipaux. Les États-Unis, qui ne disposent pas de telles infrastructures pour le football (soccer), ont en revanche aménagé de nombreux golfs, facilement accessibles (l'aire urbaine de Chicago comprend plus de deux cents golfs, dont beaucoup dans des zones déshéritées, et pour un prix d'accès modique), alors qu'en France ces parcours sont peu nombreux et réservés à une élite.

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Encadré: différences entre jeux des sociétés traditionnelles et sport contemporain

ENCADREEn se référant aux travaux sur les jeux des Indiens Fox et des Algonkin,

Claude Levi-Strauss note comment les fêtes d’adoption du mort s’accompagnent de compétitions sportives faites de jeux d’adresse

ou de hasard. Les cérémonies d’adoption visent à remplacer un parent mort par un vivant afin de permettre le départ sûr et rapide de l’âme du défunt en nourrissant envers lui les mêmes sentiments qu’à l’égard du parent mort et en étant ainsi dans le même rapport de parenté vis-à-vis

de l’adopté. Les rites funéraires visent à se débarrasser des morts afin qu’ils ne se vengent pas sur les vivants des regrets qu’ils ressentent

de ne plus être avec eux. Lors des jeux, les camps, divisés en deux moitiés, opposent les vivants et les morts, comme si les vivants offraient

aux morts leur dernière partie avant de s’en séparer. Cette « asymétrie principielle » des deux camps conduit à une issue du

match fixée à l’avance : le vainqueur est le camp des morts, pour leur donner l’illusion qu’ils sont les vrais vivants et que leurs adversaires

sont morts puisque tués symboliquement (Levi-Strauss C., 1962 : 45-46)

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Introduction2) Quel sens les pratiques sportives revêtent-elles?

a) les vertus traditionnelles reconnues aux pratiques sportives:

- le culte de l’effort [« Le sport c’est le culte volontaire et habituel de l’effort musculaire intensif, appuyé sur le désir de progrès et pouvant aller jusqu’au risque » Baron de  Coubertin (1905)]

- un substitut à l’oisiveté, au dévergondage, à la délinquance- un antidote à l’alcoolisme, au tabagisme, à la drogue- une école de courage, de persévérance, de dépassement de soi- un apprentissage de la vie de groupe, du respect de l’autre et de la

hiérarchie

b) les valeurs du sport

C’est dans l’œuvre des grands écrivains qu’il convient de (re)trouver la signification des pratiques sportives au plan des choix personnels:

Ainsi les sports professionnels (la lutte et la boxe) réservés aux pratiquants pauvres sont illustrés par les œuvres de Jules Vallès et Victor Hugo (l’homme qui rit).

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Introduction2) Quel sens les pratiques sportives revêtent-elles?

Mais seule une analyse ethnographique rend compte de l’identité du boxeur et des liens étroits qui le font appartenir à un groupe solidaire.

L'observation « participante » de L. Wacquant dans la vie d'un club de boxe d'un quartier très défavorisé de Chicago, permet de montrer dans le détail que « la boxe est un sport individuel, sans doute même l'un des plus individuels qui soit puisqu'il met physiquement en jeu - et en danger - le corps du seul combattant, dont l'apprentissage adéquat est cependant essentiellement collectif, notamment parce qu'il suppose la croyance dans un jeu qui ne naît et ne perdure que dans et par le groupe qu'elle définit à son tour selon un processus circulaire. Autrement dit, les dispositions qui font le pugiliste accompli sont, comme toute technique du corps, l'ouvrage de la raison pratique collective et individuelle" (Mauss, 1950)... Devenir boxeur, c’est s’approprier par imprégnation progressive un ensemble de mécanismes corporels et de dispositions mentales si étroitement imbriquées qu'ils effacent la distinction entre le physique et le spirituel, entre ce qui relève des capacités athlétiques et ce qui tient des facultés morales et de la volonté » (Actes de la recherche en sciences sociales, 1989, p. 35-36).

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Introduction2) Quel sens les pratiques sportives revêtent-elles?

Les qualités morales: la recherche de la perfection, la maîtrise de ses émotions pour éviter les interférences nuisibles à la réalisation de l’exploit

« Etre parfait, c’est partir vite, courir vite et juste, avoir dès le début le projet de la fin que l’on voit clairement à l’extrémité de la ligne droite, garder son couloir et vaincre son adversaire par la seule force de son esprit.

Etre sous les ordres du starter pour un coureur de fond c’est un moment béni (…)Pour les sprinters c’est un moment à gommer. Son esprit s’est vidé au point que le coup de pistolet y résonnera jusqu’aux applaudissements. Il a pourtant déjà fait l’essentiel: le plus harassant pour un sprinter, ce sont les cinquante mètres qu’il faut courir à fond dans sa tête pour être à pleine vitesse dès l’instant du départ »

Source: Paul Fournel « Les Athlètes dans leur tête » Editions du Seuil, 1994.

Les qualités morales: le choix du partage et l’acceptation de l’autre et de ses différences.

« Looking for Eric » ne cherche pas à démontrer comment l'ultralibéralisme fait prospérer le grand banditisme : il se contente de le montrer, et c'est bien plus efficace. La description du football comme lien social menacé par l'argent roi est tout aussi réussie. Comme Eric et ses copains-collègues du centre de tri postal, Loach fait part de sa nostalgie d'une époque où les ouvriers pouvaient encore s'offrir une place au stade pour applaudir Cantona. Avant que les milliardaires du monde entier ne rachètent les clubs anglais et ne transforment le sport du peuple en loisir de luxe.

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Introduction3) le sport sous le regard des sciences sociales

Point de départ commun de la réflexion des différentes disciplines: Les pratiques sportives partagent avec les pratiques religieuses des

éléments communs: l’existence de rites voire de rituels, la référence à des valeurs, la constitution d’un lien social qui confère une identité à la communauté que forment respectivement les croyants et les sportifs pratiquants, le fait que ce lien social qui englobe et dépasse les intéressés exerce des effets sur les autres groupements sociaux et soit à son tour influencé par la société.

Ensuite les problématiques se particularisent: L’anthropologie: le sacré et le profane, les tabous relatifs au corps L’histoire: le poids de la culture, des idéologies et des stratégies d’acteurs La sociologie: l’argent, le pouvoir, le langage La psychanalyse: la place du sport dans l’imaginaire collectif L’économie: mondialisation et progrès scientifiques et techniques

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1ère Partie: Les pratiques sportives des Français: état des lieux

1) Une pratique sportive comparable à celle des autres pays de l’Union Européenne

En 2009, 48 % des Français âgés de 15 ans et plus déclaraient faire du sport “régulièrement” ou “assez régulièrement” (au moins une fois par semaine). Un pourcentage plus élevé que la moyenne européenne (40 %) mais très en deçà de celui des pays du Nord (Suède : 72 %, Danemark : 64 %, Pays-Bas : 56 %)

Les Français sont 52 % à pratiquer le sport principalement hors des infrastructures spécifiques – dans un parc, une forêt ou dans la rue – contre une moyenne européenne de 48 % . Ils sont seulement 23 % à le faire dans un club ou un centre sportif (moyenne européenne : 19 %, les Pays-Bas se distinguant avec 35 %). En outre, 2 % des Français fréquentent un club de fitness, ce qui constituait en 2009 le pourcentage le plus bas d’Europe, la moyenne étant de 11 %, avec des pointes de 19 % à 31 % pour les pays du Nord.

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1ère Partie 1) Une pratique sportive comparable à celle des autres pays de l’Union Européenne

Enfin, la pratique d’un sport sur le lieu professionnel demeure faible en France (13 %) et plus encore au niveau européen (8 %), avec certes un taux de 15 % au Danemark mais de seulement 7 % en Allemagne et en Suède ou de 9 % aux Pays-Bas. Certains observateurs voient dans le choix croissant en faveur d’une pratique individuelle, en dehors de tout cadre institutionnel, le reflet d’une évolution sociale occidentale qui valorise les idéaux d’autonomie et d’hédonisme.

Le sport “[enracine] les valeurs politiques de la démocratie (…) dans la quotidienneté la plus banale”(1) : il s’agit de se détacher des contraintes, d’adapter les règles (2), de s’épanouir avant tout. Le pratiquant peut lui-même créer ses propres normes (en se fixant des objectifs) et jouir des valeurs attribuées aux pratiques ludiques(3).

En 2009, 15,5 millions de licences sportives ont été délivrées en France, tous âges confondus. Ce nombre, en augmentation constante depuis 1990 – quoique moindre ces dernières années –, doit cependant être relativisé. Tout d’abord, un individu peut posséder plusieurs licences(4). Ensuite, cela masque de fortes inégalités territoriales, socio-économiques et culturelles, d’âge et de genre.

Les trois principales fédérations sont celles de football (2,1 millions de licenciés en 2004), de tennis (1 million), de judo-jujitsu (540000).

(1) Ehrenberg A. (2004), “Sport, égalité et individualisme”, in Tronquoy P. (dir.), “Sport et société”, Cahiers français, n° 320, Paris, La Documentation française, p. 46.

(2) Travert M. (2003), L’envers du stade. Le football, la cité et l’école, Paris, L’Harmattan. (3) Pégard O. (2004), “Du stade à la rue : pour une anthropologie des signes publicitaires”, Communication

et langages, n° 142. (4) Centre national pour le développement du sport (CNDS), Institut national du sport, de l’expertise et de la

performance (INSEP), Mission des études, de l’observation et des statistiques (MÉOS), Enquête sur la pratique physique et sportive, 2010. Étude réalisée auprès des Français âgés de 15 à 75 ans. NB : l’enquête ne distingue pas l’activité physique du sport de masse.

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1ère Partie2) La diffusion des pratiques sportives, effet de la moyennisation de la société française

Si la pratique sportive est massive, elle est aussi récente: en 1985, 75 % des Français de 12 à 75 ans déclaraient avoir une activité physique et sportive, ils n'étaient que 25 % en 1967. En témoigne aussi la croissance du nombre de licenciés : 1 ,8 million en 1949, 10 millions en 1991, 16,1 millions en 2004.

La croissance la plus forte a d'ailleurs eu lieu entre 1957 et 1986 (5,9 % par an en moyenne), ce qui correspond à la moyennisation accélérée de la société française caractéristique de cette période dite de Seconde Révolution française (1965-84) selon H. Mendras. Pour lui, la moyennisation de la société française correspond à la manière dont les classes movennes deviennent prescriptrices d'un certain nombre d'activités sociales (le barbecue, les associations), dont la pratique sportive constitue un élément.

La plupart des sports ont été élaborés par un petit groupe, appartenant le plus souvent à l'élite (exemple de l'alpinisme et du tour effectué par les jeunes aristocrates anglais en Europe au XIXème siècle, d'où vient le mot «  tourisme » ), ou à certains groupes culturels (sports californiens dans les années 1950: surf, roller-skate, parapente). Dans les deux cas, une élite sociale innove d'abord en inventant une activité sportive, institutionnalisée ensuite au travers d'une fédération généralement contrôlée par un personnel appartenant aux classes supérieures, diffusée enfin en direction de toute la population. Ce schéma général explique bien les cycles sportifs: par exemple, en Europe, le golf qui remplace, en partie, dans les années 1980 le tennis dans la distinction des classes supérieures.

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1ère Partie2) La diffusion des pratiques sportives, effet de la moyennisation de la société française

Enfin, d’une manière générale, la régularité de la pratique augmente avec le niveau social, le diplôme ou les revenus(1). Ainsi, le taux d’adhésion à un club sportif s’avère beaucoup plus fort pour les catégories socioprofessionnelles intermédiaires et supérieures que pour les autres (cf. tableau ci-dessous, colonne sport).

(1) Source: Muller L. (2006), “La pratique sportive en France, reflet du milieu social”, Données sociales : la société française, INSEE, p. 657-663.

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1ère Partie3) Coincées entre l’ Etat et le marché, l’organisation des activités sportives souffre d’un véritable déni démocratique.

Les quatre piliers de l’organisation sportive en FranceL’Etat, par le ministère de la Jeunesse et des Sports, confère aux

fédérations leurs mandats et leur légitimité. L’unicité de l’organisation sportive, une fédération par sport, un empilement de niveaux de l’échelon local amateur au plus haut niveau professionnel, en détermine l’identité française. Le sport se fonde sur l’éducation, l’encadrement de l’effort physique selon les règles et la compétition officielle.

Le second pilier, non gouvernemental, repose sur le mouvement olympique, ses comités nationaux et son comité international.

le troisième, le mouvement sportif, amateur et professionnel, subit des modifications qui affectent son identité.

Le quatrième et dernier pilier « repose sur le réseau national de bénévoles en nombre considérable et décisif »

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Extraits de:JACQUES GLEYSE « Le système sportif : une re-ligion pour la modernité ? » Corps et culture, Numéro 3 | 1998 : Sport et lien social

« Si la plupart des clubs fonctionnent sur le mode d’association « loi de mille neuf cent un », c’est-à-dire relevant d’une logique démocratique (assemblée générale, bureau élu, président élu...) l’ensemble de l’institution sportive de la base au sommet n’est que très peu influencée par ces lieux de démocratie. En outre aujourd’hui de nombreux clubs sont constitués comme des entreprises commerciales ou comme des entreprises d’économie mixte. Dans les deux cas se pose de problème d’un possible contre pouvoir des usagers et des pratiquants.

Le constat est atterrant. Il n’existe aucun lieu où peuvent être discutés réellement les règles de fonctionnement du système, les règles des jeux, les choix des options financières (par exemple doit-on subventionner la masse ou l’élite, doit-on financer une coupe du monde ou des jeux pour tous...). Le système sportif fonctionne exactement comme le capitalisme du début du XXe siècle, aucun contre pouvoir n’existe permettant au peuple (démocratie) d’exprimer ce qu’il pense sur l’orientation du système.

Aucun état face au marché (sauf peut-être un minuscule Ministère de la Jeunesse et des Sports en France). La logique, aussi bien des règles de jeu que de la diffusion télévisuelle, que celle,du financement, de l’affectation des dotations budgétaires... aucun de ces points ne peut être discuté par le peuple sportif. C’est la loi du capitalisme le plus sauvage qui règne, c’est surtout le pouvoir d’une oligarchie (les comités nationaux et internationaux, olympiques et fédéraux) qui prescrit toutes les orientations (assez immobiles) du système. »

On peut néanmoins accepter l’idée que ce lien social d’un type très particulier et très paradoxal, dans nos sociétés démocratiques, est celui qui constitue l’un des piliers de la religion sportive.

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2ème Partie:Les représentations des sciences sociales

1 - Anthropologie, histoire et herméneutique: peut-on désacraliser le corps sans le profaner?

Pratiques sportives et pratiques religieuses ont pour effet de donner corps à une identité collective, la société, qui transcende les adeptes de ces pratiques, que rassemblent leurs croyances: en proposant une sociologie de la religion fondée sur l’opposition entre sacré et profane, Durkheim énonce des vérités qui conduisent à assimiler les pratiques sportives à une religion séculière ayant perdu les références aux rituels sacrés des sociétés traditionnelles mais conservant l’essentiel des interdits et des tabous concernant les attributs symboliques du corps dans la société.

Les croyances religieuses sont des représentations qui expriment la nature des choses sacrées et les rapports qu’elles soutiennent soit les unes avec les autres, soit avec les choses profanes. Enfin, les rites sont des règles de conduite qui prescrivent comment l’homme doit se comporter avec les choses sacrées. (…)

Les croyances proprement religieuses sont toujours communes à une collectivité déterminée qui fait profession d’y adhérer et de pratiquer les rites qui en sont solidaires. Elles ne sont pas seulement admises, à titre individuel, par tous les membres de cette collectivité ; mais elles sont la chose du groupe et elles en font l’unité. Les individus qui la composent se sentent liés les uns aux autres, par cela seul qu’ils ont une foi commune. Une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane, et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques, c’est ce qu’on appelle une Eglise. Or, nous ne rencontrons pas, dans l’histoire, de religion sans Église.

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2ème Partie:1 -Anthropologie, histoire et herméneutique: peut-on désacraliser le corps sans le profaner?

« S’intéresser au sport contemporain, c’est l’occasion d’examiner les manifestations du corps, les nouveaux rituels, et de réintroduire le vertige et le sacré dans nos sociétés d’ordre et de raison » Martine Segalen

Rituels et corps sacré Dans le cas des Zoulous de Durban, le football moderne pratiqué par cette

ethnie, [qui respecte les règles du football moderne], n’efface pas toute trace de tradition, car il fait encore appel au magico-religieux, à une série de comportements marquant un attachement à leur culture ancestrale, comme le fait de sacrifier une chèvre à l’ouverture et la fermeture de la saison, de réunir lors d’une veillée autour d’un immense feu de camp, les joueurs, les entraîneurs et des supporters sélectionnés, nus, de faire pratiquer par le guérisseur anti-sorcier considéré plus que l’entraîneur comme le responsable de la défaite, des incisions aux genoux, aux coudes et aux autres articulations (Augé M., 1982 : 100). En ce sens, il paraît plus intéressant pour l’auteur, de savoir en quoi le football européen évoque la conception zoulou et non l’inverse, car le modèle zoulou est influencé par une autre référence : les préparations à l’entraînement sportif évoquent ce à quoi étaient soumis les guerriers du roi Shaka, organisateur de la nation zoulou au début du XIXe siècle : « veillées autour du feu, absorption de “médecines” susceptibles de communiquer force et vaillance, l’administration de ces mêmes “médecines” aux armes du combat (dans le cas des footballeurs aux chaussures et aux maillots), l’absorption d’émétiques censées purifier le corps le matin du combat (dans le cas des footballeurs le matin du match), la formation en mille-pattes pour gagner le champ de bataille (dans le cas des footballeurs le terrain de la rencontre, ce qui pose quelques problèmes dans les autobus), l’abstinence sexuelle avant le combat ou la rencontre, manifestent très précisément l’organisation guerrière et l’organisation sportive » (Augé Marc, 1982 : 102)

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2ème Partie2 – Sociologie et histoire: le sport, une pratique culturelle?

Historiquement, car depuis les années 80 les choses ont beaucoup évolué, les différents groupes sociaux n'envisagent pas la pratique sportive de la même façon. ll existe tout d'abord des sports de classe, à savoir des sports pratiqués presque exclusivement par certaines classes sociales. Par exemple le golf, le tennis, l’équitation (classes supérieures), la plongée, le parachutisme (classes moyennes), la lutte, la boxe anglaise (classes populaires).

Des sports comme le hockey ou le football ne sont pas réservés exclusivement à un seul groupe social. Par ailleurs, un même sport peut correspondre à des pratiques différentes selon les classes sociales. Le vélo peut ainsi donner lieu à des pratiques ascétiques, consistant en des entraînements longs et harassants sur des vélos de compétition (classes populaires), comme à des pratiques de découverte à VTT dans le cadre de randonnées (le cyclotourisme des classes supérieures). L'exemple du rugby illustre ce genre d'analyse. Christian Pociello analyse ainsi la pratique du rugby comme un champ socioculturel où les postes occupés sur le terrain découlent de la hiérarchie sociale. Les ouvriers sont ainsi sur-représentés parmi les avants et développent un rugby de « tranchée » au service de l'équipe, s'acquittant des tâches les plus viriles, jusque dans leurs débordements délinquants (coups en mêlée, bagarres). Les techniciens et contremaîtres sont quant à eux essentiellement présents aux postes de « demis », mettant ainsi à profit leurs qualités de réflexion stratégique et d'exécution des passes, pratiquant un «  rugby de décision » Ouant aux intellectuels (instituteurs, professeurs d'EPS, étudiants), ils sont avant tout des ailiers, adeptes des débordements et des décalages, ils pratiquent un « rugby-Champagne ». Ce type d'analyse en termes d'appropriation différentielle selon les classes sociales d'une même pratique sportive est redevable du cadre bourdieusien de La Distinction.

Page 22: Les pratiques sportives

2ème PartieB – Sociologie et histoire: le sport, une pratique culturelle?Source: Alexis Trémoulinas, Ecoflash, n°213, décembre 2006

Inégalités liées au genre ou pratiques culturelles?

ll existe des sports masculins (football, rugby) et des sports féminins (danse, gymnastique), comme le montre l'inégale distribution des genres dans les pratiques sportives. ll existe également quelques sports mixtes, où femmes et hommes sont représentés à la mesure de leur participation moyenne aux activités physiques et sportives.

La domination masculine procède via la socialisation différentielle: les filles sont moins sportives que les garçons, notamment après 15 ans .

Cette socialisation différentielle selon le genre est accentuée par l'appartenance de classe: 57 % des filles de 12 à 17 ans dont les parents n'ont aucun diplôme font du sport au moins une fois par semaine, contre 98 % des garçons dans la même situation. Au contraire, quand les parents ont un diplôme supérieur au bac, 87 % des filles et 88 % des garçons font du sport. Le genre de l'enfant, le fait que le père soit sportif ou non, le diplôme des parents et le fait que la mère soit sportive ou non déterminent, dans cet ordre, la probabilité d'un jeune de 12 à 17 ans de faire du sport.

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2ème Partie:2 – Sociologie et histoire: le sport, une pratique culturelle?Source: Alexis Trémoulinas, Ecoflash, n°213, décembre 2006

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2ème Partie:Conclusion : les interprétations cardinales

« Le thème du sport-capitaliste occupe en France une place non négligeable en raison des travaux d'un groupe de militants chercheurs dont le plus représentatif est sans conteste J.-M. Brohm [BROHM, 1977]. Pour ce courant, la genèse du sport contemporain et son développement sont déterminés par le dynamisme du capitalisme. Le sport est un appareil idéologique d'État qui fonctionne dans tous les systèmes politiques, qu'ils soient libéraux ou bureaucratiques, développés ou sous-développés ; l'association structurelle entre l'appareil d'État et les appareils sportifs prend des formes variées : dans les pays totalitaires, le sport est directement intégré dans les rouages de l'État alors que dans les pays d'économie libérale, sa mercantilisation, illustrée par la progression de la sponsorisation correspond à la stratégie de développement des entreprises et à la logique du profit qui reste le principal moteur de l'évolution du sport aujourd'hui.(...)

L'approche en terme de sport-distinction est fortement influencée par les travaux de Pierre Bourdieu qui, considère le sport comme un champ d'analyse où la situation des acteurs dans l'espace des positions sociales est déterminante [BOURDIEU, 1984]. Partant du rapport entre l'offre et la demande sociales, il pose la question des motivations à la pratique sportive et insiste sur le fait que le sport participe aux compétitions entre les fractions de classe ; l'imposition de nouvelles valeurs et de nouvelles pratiques permet en particulier la valorisation des fractions de la classe dominante. Chaque acteur social s'inscrit dans le champ des pratiques organisées en fonction d'un rapport au corps qui est déterminé par la position sociale [POCIELLO, 1999].

À côté de ces interprétations cardinales, d'autres analyses, proposent une approche du sport, en termes de conjoncture [CLEMENT, DEFRANCE, 1983]. Elles prennent des formes diverses que l'on peut schématiser autour de deux pôles. Dans le premier, les auteurs cherchent à montrer la dépendance de l'organisation et des pratiques avec les stades d'évolution de la société et plus particulièrement de la société industrielle. Dans le second, l'accent est mis sur un mouvement dialectique où le développement des activités physiques et sportives évolue, selon des conjonctures liées aux accidents historiques ou aux crises économiques, entre la dépendance et l'autonomie ».

Page 25: Les pratiques sportives

3ème Partiel’instrumentalisation des pratiques sportives au service de stratégies d’acteurs

INTRODUCTION : les pratiques sportives réfractent les effets de l’argent, du pouvoir

Présentes dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale [ la famille (principale activité partagée entre parents et enfants), la santé (cf. la médecine du sport), l’école (cf. l’éducation physique et sportive), les sciences (cf. les progrès dans les équipements sportifs tant au niveau des matériaux que de leur conception, voir la controverse sur les combinaisons des nageurs), l’économie (cf. par exemple, les industriels des sports automobiles, les groupes multimédias et les droits de retransmission des matchs télévisés, les caravanes publicitaires pour les courses cyclistes, les pelouses synthétiques etc..), le domaine des loisirs, la création littéraire ( cf des œuvres exceptionnelles telles que Courir ) et artistique (cinéma, peinture, théâtre)] les activités physiques et sportives ne peuvent échapper à l’influence de facteurs qui scandent l’évolution de la société dans son ensemble, à savoir les inégalités sociales et culturelles et aux agents qui en sont la cause: les luttes de pouvoir, l’argent, les idéologies politiques.

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3ème Partiel’instrumentalisation des pratiques sportives au service de stratégies d’acteurs

A- Sport, spectacle et argent La télévision ne manque pas de façonner les sports qu'elle exploite en fonction de ses

contraintes, intérêts et enjeux propres. Par exemple, le « jeu décisif » (tie-break) fut exigé par les télévisions américaines afin que la durée des matchs de tennis n'excède pas l'horaire alloué du programme. Les finales d'épreuves, très éprouvantes, aux jeux Olympiques, peuvent se dérouler sous la canicule, d'autres à un horaire incongru (finales de natation le matin aux Jeux de Pékin en 2008) afin de compenser le décalage horaire des pays où émettent les télévisions les plus exigeantes.

Le média dominant fait subir un traitement proprement « télévisuel » aux images et aux rencontres sportives afin de les rendre plus aisément lisibles, attrayantes ou stimulantes pour le grand public, de les inclure savamment dans ses programmes, de les encadrer par des spots publicitaires lucratifs.

En exploitant les grandes rencontres sportives internationales périodiques, la télévision s'assure un fond permanent d'audience. Apparaissent ainsi de nouvelles émissions de découvertes d'espaces géographiques, de milieux ou de paysages (« Ushuaïa Nature », « Thalassa », etc.), puis des chaînes thématiques (Planète, Planète Thalassa, Voyage, Ushuaïa T.V., etc.). Les émissions sont conçues comme des produits composites où se mêlent aventures sportives, cultures savantes ou professionnelles des milieux, notations ethnographiques et attendrissements animaliers. Dans leur recherche de nouveaux décors, exploits et figures héroïques, les grands médias s'efforcent d'exploiter, en outre, d'autres produits jouant sur l'aventure dangereuse et le « dépassement des limites ». La traversée du Pacifique à la rame par Maud Fontenoy (2005), le tour du monde à la voile en solitaire, les escalades alpines confinant à l'épreuve de survie, comme certains exploits « extrêmes », sont autant d'exemples de ces sports « alternatifs »...

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3ème Partie1) Sport, spectacle et argent

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Le sport, enjeu de pouvoirs d’après Chenez, L’équipe, 20 mai 2005

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3ème Partie1) Sport, spectacle et argent

Le sport rapporte de l’argent à plusieurs niveaux : directement par les gains des spectacles qu’il propose, indirectement par les surfaces publicitaires qu’il offre et les consommations qu’il génère lorsqu’il impose un style vestimentaire ou qu’une pratique sportive amateur se répand dans la société. En 2000, les recettes engendrées dans le monde par le sponsoring ont été évaluées à 15 milliards de dollars, celles des droits de retransmissions télévisées à 42 milliards, et celles des tickets vendus dans les stades à 50 milliards. La conséquence sur la pratique sportive professionnelle est bien connue : « Les enjeux économiques sont tels que le nombre des compétitions continue d’augmenter dans bien des disciplines entraînant une lourdeur du calendrier (…). Le nombre de rencontres disputées par l’élite sportive n’a plus rien de commun avec ce qu’ont connu leurs prédécesseurs » Henri Pélissier, en vingt-quatre ans de carrière cycliste, a couvert 52 000 kilomètres à 25 km/h de moyenne, Eddy Merckx, lui, en a parcouru 400 000 en treize ans à 37 de moyenne, et un coureur moyen contemporain en revendique plus de 30 000 par an à plus de 45 de moyenne. Dès lors, les blessures musculaires ou ligamentaires et les fractures de fatigue se multiplient, les fins de saison tournant parfois à la débâcle. Le tournoi de tennis de Bercy, dernier tournoi de la série des Masters, pourtant très richement doté, a dû se passer cette année des stars du tennis mondial : Roger Federer, Rafael Nadal et leurs principaux concurrents se sont abstenus en invoquant leur épuisement.

Extraits de Vincent Troger Sport et dopage : perversion marchande ou reve de surhumanite ? Revue Sciences Humaines, n°180, mars 2007 [rubrique Comprendre]

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3ème Partie 2) Sport et politique: l’exemple du footballExtraits de « Le football dans nos sociétés, une culture populaire 1914-1998 », Yvan Gastaut, Stéphane Mourlane, Autrement n°120, Janvier 2006.

Politique intérieure« Les instances du pouvoir n'ont pas tardé à saisir les bénéfices qu'ils pouvaient tirer, tant du

point de vue de la politique intérieure que de la politique extérieure, en associant leur image à celle du ballon rond. En France, le président de la République ne manque aucune finale de Coupe : l'image du général de Gaulle renvoyant le ballon sur le terrain lors de l'édition 1967 reste gravée dans toutes les mémoires, de même que l'accolade chaleureuse entre François Mitterrand et Jean-Pierre Papin, capitaine victorieux en 1989. Entretemps, Valéry Giscard d'Estaing n'a pas hésité à chausser les crampons lors d'une rencontre amicale, donnant à voir un président plus dynamique et plus proche des réalités populaires que ses prédécesseurs. Quant à Jacques Chirac, il a endossé le maillot bleu durant tout e Mondial 1998 pour apporter son soutien à la sélection nationale, à tel point qu'on parle de lui comme du « vingt-troisième homme », après les vingt-deux sélectionnés.

Les dictatures totalitaires sont allées plus loin encore dans l'instrumentalisation politique du football, à l'instar de Mussolini qui a fait de la Coupe du monde organisée en 1934 en Italie une véritable vitrine de la vitalité du régime fasciste. »

Relations internationales« Sur la scène internationale, le football accompagne les crises les plus graves : on y joue

parfois sous les bombes contre son ennemi ou contre ses amis. L'épisode des fraternisations survenues au front dans le nord de la France lors de la trêve de Noël en 1914 entre soldats alliés et allemands, marquées notamment par des matchs de football qui se sont disputés sur le no man's land entre les tranchées, en constitue sans doute le cas le plus significatif.

Même chose pendant la Seconde Guerre mondiale : bien que ralentie et perturbée, la pratique du ballon rond ne s'éteint pas, les championnats se poursuivent et même les rencontres internationales. On lui confère parfois un rôle de précurseur dans les processus de rapprochement. Ainsi, la Coupe d'Europe des clubs champions lancée en 1955 par le quotidien L'Équipe aurait constitué une étape non négligeable de la construction européenne concrétisée deux ans plus tard par la signature du traité de Rome. »

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3ème Partie 2) Sport et politique

Football et identités régionales

« En Europe, les identités régionales et les discours autonomistes trouvent également dans le football un terrain d'expression. Jusqu'aux années 1960, la constitution d'équipes régionales favorisait cet attachement, à l'image de cette rencontre inédite entre l'équipe de France et une sélection corse au parc des Princes en 1967.

En Espagne, le club catalan du Fc Barcelone s'opposait au Real de Madrid, club du Caudillo. Le Barça, avec ses 110 000 socios, a été le vecteur de la revendication catalane durant la dictature de Primo de Rivera, puis pendant celle de Franco, l'étendard bleu et grenat du Barça brandi à la place de la Senyera se substituant au drapeau catalan qui était interdit. De même, le club de Bilbao, l'Athletic, a été et demeure l'emblème des revendications basques.

Pendant la guerre froide, en Tchécoslovaquie, les rencontres entre le Slovan de Bratislava, soutenu par les Slovaques, et le Sparta de Prague, symbole de l'identité tchèque, donnaient lieu à des affrontements brutaux entre supporteurs, tout comme, en URSS, les rencontres entre le Spartak de Moscou et le Dynamo de Kiev.. »

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3ème Partie3) Sport et idéologiesExtraits de TETARD P. (2007). Histoire du sport en France de la Libération à nos jours. Paris, Vuibert, 442 pages.

La brutalité de la défaite de mai-juin 1940, inimaginable quelques mois plus tôt, laisse le pays atterré, coupé en deux par la ligne de démarcation et privé de ses soldats morts au combat (100 000) ou prisonniers (1,5 million). C'est dans le contexte de ce véritable séisme intellectuel et moral que naît le commissariat général à l'Éducation générale et sportive. Sa mission est précise. « Il y avait, explique Philippe Pétain, à la base de notre système éducatif une illusion profonde : c'était de croire qu'il suffit d'instruire les esprits pour former les coeurs et pour tremper les caractères. [ ... ] La formation d'une jeunesse sportive répond à une partie de ce problème ».

… L’occupation de la France n’est bien sûr pas sans conséquences dans le domaine du sport comme en témoignent, dès le premier commissariat, les interrogations allemandes face à ce soudain intérêt des responsables français pour l'activité physique de la jeunesse.

Le poids de l'occupant conduit à des interdictions totales : le tir, la chasse, mais également la voile en zone côtière et le vol à voile (2 décembre 1942). Au total, d'activités aériennes autorisées, il ne demeure plus que le modélisme. On se demande avec quels yeux il faut lire ces quelques lignes publiées dans la revue officielle du CGEGS Stades16 : « Les sports aériens sont la sauvegarde de l'avenir aéronautique de notre pays. Aussi, le Commissaire Général s'est-il attaché à développer la pratique du modèle réduit d'avion... ».

Mais par ailleurs, Vichy se trouve pris au piège de la collaboration : face aux demandes allemandes, le régime n'a le choix qu'entre le refus frontal — non souhaité — et la reprise à son compte des demandes formulées, comme s'il en était l'auteur, préservant ainsi son image de décideur. Les mesures antisémites de Vichy et l'affaire Nakache en sont la meilleure illustration. Les Allemands interdisent à Alfred Nakache de participer au Championnat de France organisé à Toulouse le 15 août 1943, puis déportent le nageur détenteur de records du monde. Le colonel Pascot, de son côté, suspend les sportifs solidaires d'Alfred Nakache et radie à vie le président du TOEC (Toulouse), club organisateur. C'est ainsi que le piège s'est dramatiquement refermé sur nombre d'exclus.

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Sport et idéologies

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3èmePartie3) Sport et idéologiesExtraits de : Jean Damien Lesay Football .Théâtre de vies Calmann Lévy, 2007.

LE HONVED BUDAPEST FAIT LE MUR 1956 Le 7 octobre 1956 est une date à marquer d'une pierre noire dans l’histoire

du football mondial ... Ce jour-là, à Colombes, la Hongrie battit la France 2-1. Ce fut le dernier match des « Magyars magiques », surnom de la sélection hongroise, championne olympique en 1952 et finaliste de la Coupe du monde en 1954. La meilleure équipe du monde à l'époque.

En octobre 1956, (…) l'opposition hongroise s'était insurgée.Le président du Conseil, Nagy, demanda et obtint des concessions de la part des Soviétiques. Ces avancées furent cependant jugées insuffisantes par le peuple et la révolte s'amplifia.

Alors que la colère grondait dans les rues de Budapest, le club de football du Honved – joyau de l'armée hongroise et ossature de l'équipe nationale – était en tournée entre Belgrade, Moscou, Paris et Vienne. (…)

Le 29 octobre 1956, ils quittèrent à nouveau le pays plongé dans un climat insurrectionnel et gagnèrent Vienne pour une nouvelle tournée. Leur planning prévoyait leur retour en Hongrie pour y disputer un huitième de finale de Coupe d'Europe le 22 novembre, face aux Basques de Bilbao. C'est en arrivant en Autriche que les joueurs hongrois apprirent l'invasion des chars soviétiques, venus réprimer la révolte populaire. Budapest était occupée. On parla alors d'annuler le match européen mais l’UEFA menaça le club d'une suspension en cas de forfait. Le Honved s'arrangea donc pour gagner du temps en renversant l'ordre des matchs et obtint d'affronter l'équipe de Bilbao au Pays basque avant de la recevoir en Hongrie

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3èmePartie3) Sport et idéologiesExtraits de : Jean Damien Lesay Football .Théâtre de vies Calmann Lévy, 2007.

En attendant cette confrontation européenne, les joueurs discutèrent entre eux de l'opportunité de retourner au pays alors que des combats de rue s'y déroulaient. Tous n'étaient pas d'accord sur l'attitude à adopter. Finalement, l’équipe décida de ne pas rentrer à Budapest après le match de Bilbao. Une longue errance allait commencer pour les dix-neuf joueurs de l'effectif Une errance de vingt-cinq années pour certains d'entre eux.

Le 22 novembre 1956, à Bilbao, le Honved, qui n'avait pas la tête au football, perdit 3-2. Pour le match retour, que personne ne souhaitait disputer dans le climat insurrectionnel de Budapest, l'UEFA autorisa les Hongrois à recevoir leurs rivaux au stade du Heysel de Bruxelles. Ce fut la seule preuve d'empathie de la confédération durant toute la crise. En attendant ce match retour, programmé fin décembre, l'équipe multiplia les matchs amicaux alors que sa fédération la sommait de rentrer. Fin novembre, à Madrid, les joueurs de Budapest donnèrent un récital offensif (5-5) face au Real, champion d'Europe, devant cent mille spectateurs. Peu après, ils gagnèrent 4-3 face au FC Barcelone devant une foule aussi nombreuse. De son côté, la fédération hongroise se faisait de plus en plus pressante pour exiger que l'équipe rentrât au pays. Deux jours plus tard, deux joueurs se résignèrent à regagner Budapest. Puis vint le jour du match retour contre Bilbao. Le Honved résista courageusement mais dut partager les points : 3-3, score final. Les Hongrois étaient élimines de la Coupe d'Europe et Gyula Grosics, le gardien banni, fut rappelé d'urgence par Emil Oesterreicher, manager du club, pour assurer... pour assurer quoi, au fait?

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CONCLUSION 1) Les contradictions entre le sport amateur et le sport professionnel Voir « L’Etat et les fédérations sportives face aux mutations du sport » Rapport de la Cour des

Comptes. Le législateur a consacré le principe de solidarité entre sport professionnel et sport amateur, mais la réalité est souvent tout autre: ainsi, dans le cas du rugby professionnel, seulement 5 % des recettes commerciales nettes de la ligue professionnelle (soit 1,2 M€ en 2005-2006) sont reversées à la fédération.

2) Les idéologies du corps, matrice des dérives du sport " Des conseillers conjugaux aux vendeurs de produits diététiques, ceux qui font aujourd’hui

profession d’offrir les moyens de combler l’écart entre l’être et le devoir-être pour tout ce qui touche à l’image ou l’usage du corps, ne pourraient rien sans la collusion inconsciente de ceux qui contribuent à produire un marché inépuisable pour les produits qu’ils offrent en imposant de nouveaux usages du corps et une nouvelle hexis corporelle, celle que la nouvelle bourgeoisie du sauna, de la salle de gymnastique et du ski a découverte pour elle-même, et en produisant du même coup autant de besoins, d’attentes et d’insatisfactions : médecins et diététiciens qui imposent avec l’autorité de la science leur définition de la normalité, "tables des rapports du poids et de la taille chez l’homme normal", régimes alimentaires équilibrés ou modèles de l’accomplissement sexuel, couturiers qui confèrent la sanction du bon goût aux mensurations impossibles des mannequins, publicitaires qui trouvent dans les nouveaux usages obligés du corps l’occasion de rappels à l’ordre innombrables ("surveillez votre poids", etc.), journalistes qui font voir et font valoir leur propre art de vivre dans les hebdomadaires féminins et les magazines pour cadres dorés qu’ils produisent et où ils se produisent " ( Pierre Bourdieu La Distinction, p. 171).

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Conclusion

3) Des politiques publiques sans boussole : des balbutiements d’une stratégie nationale de développement durable aux emballements mercantiles des compétitions réputées prestigieuses.

Le 3 mai 2011, le Ministre des Sports présente officiellement la Stratégie Nationale du Développement Durable du Sport (SNDDS).

« La question primordiale réside dans les modes de pratiques adaptés à un épanouissement personnel, à tous les âges de la vie, dans le cadre d’une qualité de vie collective.

Chaque activité, chaque mode de pratique (loisir, organisé, auto-organisé, compétition, scolaire…), chaque niveau, chaque site, chaque territoire, chaque intervenant dans la réalisation et la gestion des lieux de pratique et chaque fabricant de matériel sportif est concerné, et porte la responsabilité et le pouvoir de faire mieux, et de contribuer ainsi à l’effort collectif. La présente stratégie prend en compte l’ensemble de ces différentes dimensions du sport ».

Le coût total de réalisation du Stade de France, financé à 53% par le Consortium privé et à 47% par l'État, est de 745 millions € HT répartis en: 500 millions € de gros oeuvre; 45 millions € de toiture; 200 millions € de corps d'états secondaires (équipements, éclairage, ventilation, sonorisation, habillage, sièges, pelouse, etc.).