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Finance & Finance Internationale N°10 janvier 2018 http://revues.imist.ma/?journal=FFI ISSN: 2489-1290 1 LES PROBLEMES D’AGENCE DANS LE FINANCEMENT DE LA BANQUE ISLAMIQUE : UNE ETUDE EXPLORATOIRE POUR LE CAS DU MAROC Par Omar AKHSAS Professeur à la FSJES d’Agadir, Université Ibn Zohr. Résumé : L’objectif de ce travail est d’explorer la question des problèmes d’agence dans l’industrie de la finance islamique au Maroc. Particulièrement dans les formules de financement basées sur le principe du partage des profits et des pertes. Pour ceci, nous avons mené un raisonnement par analogie qui nous a permis de tirer des enseignements relatifs aux problèmes d’agence dans la banque islamique, à partir de l’observation de la relation du crédit liant une banque marocaine et les jeunes promoteurs bénéficiant du programme « Moukawalati ». Nos résultats prédisent l’existence d’un haut degré d’aléa moral dans le comportement des emprunteurs de la banque islamique, alors que la question de la sélection adverse reste mitigée. Par conséquent, nous insistons sur la nécessité de trouver des remèdes aux problèmes d’agence en réduisant leurs effets sur l’allocation optimale des ressources. Faute de ceci, on risque de voir les efforts des banques islamiques concentrés sur les contrats de dettes non risqués, telles la « Mourabaha » et la « Ijira », au détriment des formules de financement à risque, telles la « Moudhraba » et la « Moucharaka ». Mots clés : Asymétrie d’information, sélection adverse, aléa moral, banque participative, Maroc. Abstract: The objective of this work is to explore the issue of agency problems in the Islamic finance industry in Morocco. Particularly in the financing formulas based on the principle of sharing profits and losses. Thus, we have conducted an analogous reasoning that allowed us to draw lessons about the agency problems in Islamic banking, based on the observation of the credit relationship between a Moroccan bank and the young promoters benefiting from "Moukawalati"program. Our results predict a high degree of moral hazard in the behavior of the borrowers, while the issue of adverse selection remains uncertain. Therefore, we insist on the need to find solutions for agency problems by reducing their effects on the optimal allocation of resources. Other wise, there is a risk that the efforts of Islamic banks

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LES PROBLEMES D’AGENCE DANS LE FINANCEMENT DE LA BANQUE

ISLAMIQUE :

UNE ETUDE EXPLORATOIRE POUR LE CAS DU MAROC

Par

Omar AKHSAS

Professeur à la FSJES d’Agadir, Université Ibn Zohr.

Résumé :

L’objectif de ce travail est d’explorer la question des problèmes d’agence dans l’industrie de

la finance islamique au Maroc. Particulièrement dans les formules de financement basées sur

le principe du partage des profits et des pertes. Pour ceci, nous avons mené un raisonnement

par analogie qui nous a permis de tirer des enseignements relatifs aux problèmes d’agence

dans la banque islamique, à partir de l’observation de la relation du crédit liant une banque

marocaine et les jeunes promoteurs bénéficiant du programme « Moukawalati ». Nos résultats

prédisent l’existence d’un haut degré d’aléa moral dans le comportement des emprunteurs de

la banque islamique, alors que la question de la sélection adverse reste mitigée. Par

conséquent, nous insistons sur la nécessité de trouver des remèdes aux problèmes d’agence en

réduisant leurs effets sur l’allocation optimale des ressources. Faute de ceci, on risque de voir

les efforts des banques islamiques concentrés sur les contrats de dettes non risqués, telles la

« Mourabaha » et la « Ijira », au détriment des formules de financement à risque, telles la «

Moudhraba » et la « Moucharaka ».

Mots clés : Asymétrie d’information, sélection adverse, aléa moral, banque participative,

Maroc.

Abstract:

The objective of this work is to explore the issue of agency problems in the Islamic finance

industry in Morocco. Particularly in the financing formulas based on the principle of sharing

profits and losses. Thus, we have conducted an analogous reasoning that allowed us to draw

lessons about the agency problems in Islamic banking, based on the observation of the credit

relationship between a Moroccan bank and the young promoters benefiting

from "Moukawalati"program. Our results predict a high degree of moral hazard in the

behavior of the borrowers, while the issue of adverse selection remains uncertain. Therefore,

we insist on the need to find solutions for agency problems by reducing their effects on the

optimal allocation of resources. Other wise, there is a risk that the efforts of Islamic banks

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will concentrate on non-risky debt contracts, such as "Mourabaha" and "Ijira", to the

detriment of risky financing formulas such as "Moudhraba" and " Moucharaka ".

Key words: Asymmetry of information, adverse selection, moral hazard, participative bank,

Morocco.

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Introduction

La dernière décennie a été marquée par une instabilité financière de grande ampleur

qui s’est soldée par une crise économique internationale. Le système financier en place est

marqué par certains maux et failles, qui ont été présentés en tant que provocateurs et

catalyseurs des déséquilibres conduisant à l’impasse économique. Des insuffisances, qui se

résument dans la déresponsabilisation des banques de leur distribution irrationnelle du crédit,

et la faiblesse de la réglementation prudentielle qui n’a pas suivi les innovations financières

mises en place dans la finance moderne.

Dans ce contexte, certains auteurs ont appelé à un renforcement de l’arsenal

réglementaire (Aglietta, 2008). D’autres ont réitéré leurs recommandations pour le

développement de la finance islamique, cette fois ci par l’amélioration de la formation dans

ses différents métiers ( El kettani, 2016).

Loin du monde académique, l’opinion publique dans le monde arabo-musulman et

dans certains pays occidentaux continue à revendiquer l’introduction et le développement des

banques islamiques, et à les considérer comme un modèle alternatif à la finance classique. Les

défenseurs de cette approche bâtissent leur raisonnement sur la situation de l’économie

mondiale marquée par la résistance des banques islamiques aux effets de la dernière crise

économique. Un argument fort, mais qui n’empêche pas de poser certains questionnements

relatifs à la solidité de ce type de financement, notamment sur le plan moral qui est supposé

constituer l’un des principes fondamentaux de l’économie islamique. A cet effet, on doit

préciser que parmi les éléments qui ont conduit au déclanchement et à la propagation de la

dernière crise mondiale, on trouve qu’il y avait une prise de risque excessive et une allocation

non optimale des ressources par l’octroi du crédit à des emprunteurs à haut risque.

L’insuffisance des règles morales chez les banquiers et les emprunteurs est à l’origine de la

mauvaise allocation des ressources pendant la période précédant la crise financière.

Le problème de l’allocation des ressources est un problème de la morale. Aussi, il a

une dimension informationnelle. La nouvelle microéconomie baptisée « économie de

l’information » nous renseigne sur l’existence de certains problèmes d’agence qui résultent

des situations d’asymétrie de l’information entre les parties liées par un contrat. Des

problèmes de « la sélection adverse » et de « l’aléa moral » sont souvent présents dans les

relations économiques et notamment en finance. Ils ont été appliqués à la finance classique

pour expliquer des situations de rationnement du crédit et de prise de risque conduisant à des

défauts de paiement (Stiglitz et Weiss, 1981). Autrement dit, les phénomènes de sélection

adverse et d’aléa moral ont une part de responsabilité importante dans le déclanchement des

crises financières.

Dans ces conditions, la finance islamique doit mettre en place des solutions pour

éliminer les problèmes d’agence ou d’en atténuer les effets sur l’allocation des ressources.

Alors que faute d’une bonne maitrise de ces maux, et compte tenu du principe « les mêmes

causes produisent les mêmes effets », on risque de voir les banques islamiques submergées,à

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leur tour, par une instabilité qui pourrait résulter d’une prise de risque importante et donc

d’une mauvaise allocation des ressources.

Pour cette raison, ce travail s’interroge sur la question des problèmes d’agence dans

l’industrie de la finance islamique au Maroc. Plus précisément, on cherche à préciser dans

quelle mesure les produits de la finance islamique poussent à la reproduction des

problèmes de sélection adverse et d’aléa moral, et quelle est l’intensité de ces problèmes

comparativement avec ceux observés sur les produits de la finance classique.

La première partie de cette recherche sera consacrée au cadre conceptuel par la

définition des concepts de sélection adverse et d’aléa moral. Quant à la seconde sera focalisée

sur notre choix méthodologique, alors qu’on présentera les résultats de l’étude dans la

troisième partie.

I - Les problèmes d’agence : un cadre conceptuel.

Les problèmes d’agence sont étudiés dans le cadre de la théorie de l’agence. Il s’agit

de mettre en évidence un certain nombre de difficultés qui entravent le bon fonctionnement de

la relation entre deux entités économiques, appelées « principal » et « agent ».

La formule la plus classique de cette théorie est due à Jensen et Meckling (1776) qui

ont étudié les conflits d’intérêts existants entre l’actionnaire (le principal) et le manager

(l’agent) dans un contexte d’asymétrie d’information. Cependant les problèmes d’agence ne

s’appliquent pas au seul cas de la relation actionnaire-manager, mais également à d’autres

types de contrats. Les rapports avec les clients, les fournisseurs, les banques, les salariés sont

aussi sources de conflits dont il faut minimiser les coûts d’agence.

Les problèmes d’agence sont généralement le résultat d’un obstacle majeur, celui de

l’asymétrie d’information. En effet l’hypothèse d’information parfaite, retenue par le modèle

néoclassique du marché n’est pas toujours vérifiée. Les agents économiques faisant partie

d’un échange n’ont pas souvent la même information, puisque certaine disposent

généralement d’éléments d’information pertinents que d’autres ne peuvent pas avoir. Par

exemple, le manager d’une entreprise est mieux informé sur la solidité financière de sa

structure, que le propriétaire de l’entreprise.

L’existence d’une information symétrique pour toutes les parties devrait conduire à

nouer un bon contrat respectant les intérêts des agents économiques. Par contre une

information asymétriques et source de comportements opportunistes qui conduisent à deux

sortes de risques. Un risque qui se manifeste au moment de la conclusion du contrat (risque

ex-ante) qui est la sélection adverse. Puis, un risque d’aléa moral encouru par les parties

tout au long de la durée de vie du contrat (risque ex-post).

1) Le problème de sélection adverse.

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Dans un contrat reliant un acheteur et un vendeur, la sélection adverse appelée aussi

« l’anti sélection » est un élément fréquent. Elle est due au problème d’asymétrie

d’information exposé aux parties du contrat. En général, les acheteurs sont imparfaitement

informés sur la qualité des biens qu’ils cherchent à acquérir, alors que les vendeurs ont une

information suffisante sur les biens mis en vente et cherchent donc à utiliser cet avantage

informationnel pour maximiser leur utilité. Un tel comportement opportuniste conduit non

seulement à augmenter les prix de certains produits de qualité médiocre, mais il mène aussi à

faire disparaitre du marché les produits de bonne qualité. Ceci a été démontré grâce à

l’exemple du marché des voitures d’occasion présenté par Akerlof en 1970.

1-1 : Définition d’Akerlof

Akerlofest le premier à avoir démontré le problème de sélection adverse en utilisant

son fameux modèle du marché des voitures d’occasion. Son modèle considère un marché

traduisant la confrontation de l’offre et de la demande des voitures d’occasion. Sur ce marché,

il existe des voitures de bonne et de mauvaise qualité. A cause de l’asymétrie de

l’information, chaque vendeur connait la qualité de la voiture mise en vente, alors qu’un

acheteur ne peut pas distinguer entre les bons et les mauvais produits.

Dans ces conditions, les vendeurs essayent de surestimer la qualité de leurs voitures

afin de les vendre au prix le plus élevé possible. Les acheteurs ne peuvent pas croire aux

déclarations des vendeurs. Ils n’ont pas la possibilité de les vérifier sans coûts

supplémentaires. Ils ne peuvent non plus déduire qu’un prix élevé signifie que la voiture est

de bonne qualité. Dans ces circonstances, un prix d’équilibre, correspondant à la moyenne des

prix, se fixe. A ce prix moyen, les vendeurs des bonnes voitures ne sont pas incités à vendre

leurs biens, estimant que le prix est inférieur à la valeur réelle de leurs marchandises. Par

contre les vendeurs des mauvaises voitures sont satisfaits du prix fixé, chose qui les encourage

à céder leur marchandise.

Au total, les transactions portent sur les seules voitures de qualité médiocre au

détriment des bons véhicules. L’asymétrie d’information exclut donc du marché les bons

produits au profit des produits de qualité inférieure. C’est la sélection adverse : les mauvais

produis chassent les bons.

1-2 : La sélection adverse dans le marché du crédit.

Sur le marché du crédit, le problème d’asymétrie d’information est d’une importance

capitale et ses effets sont persistants. D’abord, parce que les établissements de crédit

remplissent un rôle d’intermédiaire entre les capacités et les besoins de financement. De ce

fait, le crédit devrait être l’instrument par lequel les ressources financières de l’économie sont

allouées aux financements des projets les plus sures. Tout dérapage par rapport à cette règle

pourrait entrainer des effets néfastes pour les agents, qu’ils soient épargnants, intermédiaires

ou emprunteurs. Ensuite, la multiplication des défauts de paiement, qui peut être le résultat

d’une mauvaise allocation des ressources, peut conduire à des crises de confiance dans le

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système et produire à ce titre des problèmes d’instabilité bancaire et financière pouvant

déclencher une crise financière et économique à l’instar de la dernière crise mondiale.

La sélection adverse est parmi les problèmes posés aux agents économiques dans une

relation du crédit. Elle se manifeste lors de la sélection du projet à financer par l’établissement

de crédit.

Le concept de l’anti sélection a été appliqué au secteur financier pour la première fois

par Stiglitz et Weiss en 1981. Les deux auteurs ont considéré que le secteur bancaire est

fortement caractérisé par une asymétrie d’information entre débiteurs et créanciers. Les

premiers connaissent mieux la rentabilité et le risque liés à leur projet alors que les deuxièmes

en sont généralement moins ou mal informés.

L’analyse présentée par Stiglitz et Weiss repose sur le système de prix du marché

comme facteur d’allocation des ressources au financement des projets. Les banques n’ont pas

la faculté de distinguer entre les projets risqués les projets moins risqués, mais l’entrepreneur

lui-même connait bien le type de son projet. Dans ces conditions, l’établissement du crédit

fixe un taux d’intérêt assez élevé pour attirer les seuls projets dont la rentabilité est supérieur

et qui peuvent supporter un coût du capital élevé. Or, en théorie, la rentabilité est souvent

associée au risque. Les projets financés sont certes fortement rentables, mais présentent en

même temps un risque d’échec considérable.

De ce fait, le comportement de la banque stimule les entrepreneurs à risque qui

acceptent de payer des taux d’intérêt élevés. Par contre, la proposition des taux exagérés va

tout simplement faire fuir les entrepreneurs moins risqués, qui méritaient un financement avec

des taux faibles, compte tenu de la sureté de leurs affaires. La banque sélectionne

involontairement les projets à haut risque au détriment des investissements à faible risque :

c’est la sélection adverse.

On note que ce problème conduit, non seulement, à évincer du marché du crédit les

bons projets mais également d’empêcher certains projets à risque de trouver le financement

nécessaire. Le crédit est alors rationné : les demandeurs de crédit ne sont pas tous satisfaits.

Le refus de la banque de servir même les emprunteurs à risque est dû au faite que les

établissements du crédit ne peuvent pas tolérer l’augmentation des taux d’intérêt, au-delà de

certains niveaux et procèdent délibérément au rationnement du crédit.

1) Le problème de l’aléa moral.

Le concept de « l’aléa moral » a été introduit pour la première fois au 17e siècle par

Adam Smith. Ce dernier définit le terme comme « la maximisation de l’intérêt individuel sans

prise en compte des conséquences défavorables de la décision sur l’utilité collective ». Il

s’agit de la situation d’un agent économique qui prend des décisions maximisant son utilité au

détriment des autres, dans la mesure où il ne supporte pas, lui seul, toutes les conséquences de

ses actions. Autrement dit, les coûts générés par le comportement de l’agent se trouvent

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totalement ou partiellement encaissés par d’autres agents. Une situation qui conduit à des

décisions parfois irrationnelles avec une prise de risque excessive à l’encontre des intérêts de

certaines parties.

L’aléa moral est un comportement qui peut être présent dans plusieurs cas, notamment

dans l’assurance et dans le crédit.

2-2 : L’aléa moral dans le secteur de l’assurance.

Le concept d’aléa moral a été appliqué au secteur d’assurance par Arrow dans un

article publié en 1963. Il désigne une situation dans laquelle l’assuré ne prend pas autant de

précautions pour protéger son bien lorsqu’un contrat d’assurance est souscrit pour couvrir les

risques auxquels est exposé le bien en question. Un automobiliste peut conduire sa voiture

d’une manière moins prudente dans la mesure où les dommages qui peuvent être causés par

son comportement, seront supportés par la compagnie d’assurance. L’incitation à protéger le

bien se trouve donc réduite du fait de la présence de l’assurance. Cette dernière favorise la

perte de la précaution. La notion de risque ou d’aléa moral conduit à mettre l'accent sur les

comportements stratégiques résultant de l'inobservabilité de certaines actions et se traduisant

par le non-respect des engagements (Arrow, 1963). Dans ce cas l’aléa moral s’explique par

l’asymétrie d’information qui développe un comportement caché. Ce dernier modifie la nature

de l’équilibre par rapport à celui observé avant la souscription de la police d’assurance.

2-3 : L’aléa moral dans la finance.

Le secteur financier est considéré comme un secteur à risque élevé. La majorité des

opérations et des transactions réalisées par les institutions financières comportent un degré de

risque considérable qui inquiète les opérateurs du secteur. Ces risques touchent le crédit, le

change, la liquidité etc... Pour cette raison toute l’activité des établissements du crédit est

organisée autour de la gestion des risques du métier.

L’aléa moral est parmi les problèmes posés aux établissements du crédit dans leur

gestion du risque. Dans ce cas, la banque « le principal » est confrontée à certains

comportements opportunistes de l’emprunteur « l’agent ». A ce titre, l’aléa moral résultant

d’une situation d’information asymétrique, conduit à des pertes en capital qui peuvent parfois

compromettre la survie de la banque. A ce titre, l’aléa moral est constaté lorsque l’emprunteur

aura tendance à ne pas utiliser de façon efficace les fonds empruntés dans la mesure où, il ne

risque en cas de faillite de son projet que la perte de ses capitaux propres. Autrement dit, il

n’assume qu’une petite partie des résultats de ses actions, la perte principale étant supportée

par les créanciers (banques ou déposants d’une banque d’investissement). A ce titre,

l’emprunteur peut parfois se permettre d’utiliser les ressources du projet d’une façon

irrationnelle, il peut aussi détourner certains fonds sous forme d'avantages en nature ou de

rémunérations excessives. Il peut également accumuler une fortune personnelle au détriment

de son entreprise. Certains emprunteurs peuvent aussi jouer sur des écritures comptables pour

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cacher la vraie rentabilité de son projet à la crainte de la partager avec les bailleurs de fonds.

Alors que d’autre s’abstiennent à fournir l’effort nécessaire pour la réussite de l’affaire.

Toutes ces situations et bien d’autres peuvent être invoquées pour démonter

l’existence d’un comportement d’aléa moral chez l’emprunter dans le cadre d’une relation de

crédit.

L’aléa moral ne concerne pas uniquement le comportement de l’emprunteur, mais il

peut également être observé du côté de l’établissement du crédit. Ceci lorsqu’une banque

prend des positions trop risquées, en accordant des crédits à des emprunteurs à forte

probabilité de défaut de paiement. Dans ce cas, les banques comptent sur deux éléments pour

se protéger contre le risque associé à ses prêts douteux, à savoir la titrisation ou l’intervention

de (sauvetage) d’une instance externe.

Premièrement, la titrisation permet aux banques, outre de se libérer des contraintes du

bilan en augmentant leur capacité de distribution de crédit, mais aussi de céder à des

investisseurs financiers un portefeuille de prêts titrisés sous forme d’un actif négociable sur le

marché. Une transaction qui donne la possibilité aux banques de cacher certains prêts de

mauvaise qualité dans des nouveaux titres afin de les vendre sur le marché. Cette solution se

trouve appuyée par les agences de notation, qui notent les produits titrisés de qualité

supérieur : le fameux triple A. le risque de défaut de paiement n’est plus supporté par la

banque distributrice du crédit, mais par l’investisseur acquéreur de l’actif issu de la titrisation.

Un constat qui laisse les banques moins prudentes dans leur politique de distribution du crédit

puisque les mauvaises conséquences sont bien supportées par autrui : C’est l’aléa moral.

Deuxièmement, Les banques peuvent aussi compter sur l’intervention de la banque

centrale en cas de crise systémique pour la faire sortir d’une situation d’illiquidité. Cette

question fait référence au rôle du préteur en dernier ressort (PDR) qu’accomplie la banque

central. Le PDR est apparu pour la première fois dans l’ouvrage de Bagehot, qui considère

que le PDR est l’essence de l’art de la banque centrale (Bagehot, 1873). De façon générale, on

peut définir le prêteur en dernier ressort comme « une intervention, reposant sur des

mécanismes hors marché, réalisée dans le cadre d’une crise systémique menaçant les

conditions normales de liquidité et dont le but est sauvegarder la pérennité du système

financier. Le PDR est celui qui accepte d’endosser les risques que les autres refusent dans

des circonstances de forte déstabilisation et d’incertitude» (Aglieta et Denise, 1999 : P, 37).

Il est donc certain que la présence du PDR peut être à l’origine d’un problème d’aléa moral

chez les banques.

II - Méthodologie de la recherche

Dans le cadre de ce travail, nous cherchons à explorer la question des problèmes

d’agence dans l’industrie de la finance islamique au Maroc. L’obstacle fondamental, qui se

pose à la réalisation de cet objectif, est l’absence d’un champ d’étude empirique susceptible

de nous fournir les données nécessaires aux tests scientifiques. En effet, l’industrie de la

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finance islamique est encore dans sa phase de conception. La loi relative aux établissements

du crédit et organismes assimilés a été modifiée en novembre 2014. Elle définit le statut des

banques islamiques au Maroc et précise les produits qui pourront y être commercialisés. Le

démarrage de ces banques participatives1 est prévu pour fin 2016.

Il en découle que le champ d’étude n’est pas disponible pour le moment. De plus, il

faudrait du temps (au moins deux ans) après l’instauration de ces banques pour collecter des

données relatives à des relations de crédit observées sur un intervalle du temps largement

suffisant pour décrire clairement les caractéristiques de ces relations.

Il existe une expérience marocaine en matière du financement islamique. Il s’agit des

produits dits alternatifs,qui ont été mis en place par certaines banques classiques depuis 2007.

Une expérience qui n’a pas connu une réussite considérable, à cause du coût élevé de certains

produits de la finance alternative, notamment lors de la phase du lancement des dits produits

(Radi et Bari, 2012). Toutefois l’essor de ces produits sera observé suite aux allègements

fiscaux effectués à partir de 2009. Le nombre de contrat passera de 2768 en 2008 à 4081 en

2009 (Radi et Bari, 2012). Malgré cette nette évolution, on estime que l’expérience des

produits alternatifs ne pourrait pas nous fournir un champ d’étude suffisant, car elle porte sur

des formules telles que « Mourabaha » et « Ijara », destinées à la clientèle des particuliers,

alors que notre étude s’intéresse aux produits des entreprises, tels que la « Moudaraba » et la

« Moucharaka ».

L’absence d’une expérience marocaine proprement dite en matière de la finance

islamique nous oblige à penser autrement et à reconsidérer un champ d’étude similaire à celui

de la banque islamique. Cet outil est connu dans les ouvrages de la méthodologie par le

raisonnement analogique2. Cette solution nous pousse à considérer le programme national

d’appui à la création d’entreprises « Moukawalati3 » comme une expérience susceptible de

nous fournir des enseignements pour notre question de recherche. A cet effet on précise que

les contrats du crédit liant la banque et les jeunes entrepreneurs, bénéficiant de ce programme,

sont des contrats qui ont un point en commun avec les contrats du crédit de la banque

islamique. Ce point de ressemblance est la garantie. En effet, dans le cas du financement

« Moukawalati », le prêt bancaire étant garanti à 85% par l’Etat, l’entrepreneur ne risque pas

beaucoup de chose en cas d’échec de son projet. L’Etat rembourse la créance en souffrance à

1 L’appellation officielle au Maroc.

2 Le raisonnement analogique a pour objectif d’aider à produire du sens à l’aide de la comparaison. Une analogie

est un rapport ou une similitude entre plusieurs éléments différents. Par conséquent, procéder de manière

analogique consiste à former un raisonnement fondé sur des rapports ou des ressemblances dès lors que ces

dernières indiquent des rapports (Thiétart, 1999 : P, 61). 3 Le programme vise essentiellement la réduction progressive du taux de chômage par création des petites

entreprises. Le financement est assuré par les banques adhérentes au programme. Le crédit est garanti par l’Etat à

hauteur de 85% qui assure une avance sans intérêts à hauteur de 10% du montant global du projet. Le montant

d’investissement ne doit pas dépasser 250.000DH par porteur de projet et 500.000DH en cas d’association entre

deux personnes. Les jeunes porteurs des projets présélectionnés pas les guichets Moukawalati bénéficieront d’un

accompagnement pré et post création assuré par l’ANAPEC.

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la banque et le jeune créateur du projet ne risque pas de perte en capital. De même, pour le

cas d’un financement islamique, notamment pour les produits à risques basés sur le principe

du partage des profits et des pertes, l’emprunteur ne risque en cas d’échec de son affaire que

la perte de son temps et de son effort. La banque islamiqueet ses déposants étant perdants en

capital. Dans les deux cas l’emprunteur-entrepreneur ne risque pas une parte en capital. C’est

sur ce point que nous considérons qu’il y une similitude entre les relations du crédit cadrées

par des contrats de financement « Moukawalati » et celles axées sur les produits de la banque

islamique, notamment dans le cas des formules qui reposent sur le partage des profits et des

pertes telles la « Moudaraba » et la « Moucharaka ».

Ce sont donc ces considérations qui justifient notre choix de mener un raisonnement

par analogie. Nous estimons que l’étude de certains aspect de l’expérience marocaine en

matière du crédit « Moukawalti » peut nous offrir des enseignements relative aux

financements de la banque islamique. Plus précisément, on peut à partir de l’observation de

l’opération de l’octroi du crédit et du comportement des jeunes entrepreneurs, poser des

hypothèses sur les problèmes d’agence dans les contrats de crédit de la banque islamique.

Notre démarche est donc purement exploratoire, elle suit un processus d’abduction

consistant à tirer, de l’observation de la relation du crédit dans le cadre du financement

« Moukawalati », des conjectures relative à la relation du crédit dans la banque islamique.

Notre étude empirique sera basée sur l’observation de la relation du crédit, que nous

avons réalisée entre 2008 et 2014, lors de notre fonction à la banque en qualité du directeur

d’agence à la ville d’Inzegan et de Taroudant. Notre expérience sur le terrain nous a permis de

relever certains comportements chez les bénéficiaires des crédits dans le cadre du programme

« Moukawaliti ». Lesquelles attitudes nous mènent à retirer des enseignements concernant la

question de recherche traitée dans le cadre de ce travail.

On précise ici que notre observation est dite participante, plus précisément on est dans

le cas d’un « participant-observateur ». Cette position permet d’avoir plus de liberté dans

l’investigation (Thiétart, 1999 : P, 61).Une chose qui nous mène à compléter l’observation

par des entretiens dissimulés pour ne pas susciter la réactivité des sujets de l’enquête.

III - Les principaux résultats

Dans cette partie, nous allons présenter les principaux résultats de notre recherche.

Ceci passera par trois phases. D’abord, nous exposerons les principaux faits observés sur la

relation liant la banque et les jeunes promoteurs. Ensuite, nous en dressons nos constats en

matière des problèmes d’agence, avant de conclure sur les enseignements pour la banque

islamique.

1) Observation de la relation du crédit.

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Notre étude empirique est portée sur l’observation de la relation qui lie une banque de

la région Souss Massa et les jeunes promoteurs ayant bénéficié d’un financement, dans le

cadre du programme « Moukawalati », auprès de cette banque.

Cette observation est réalisée en deux temps. D’une part, au moment de l’entrée en

relation, lors de la décision du financement du projet. D’autre part, pendant la durée de vie du

projet, en particulier lors de l’opération du remboursement échelonné du prêt servant de base

au financement de l’affaire.

1-1 :L’observation lors de la décision de financement.

Pendant notre période d’étude (2008-2014), la banque, notre ancien employeur, a

financé une centaine de projets dans le cadre du programme « Moukawalati » en grande partie

dans les secteurs de l’élevage, le tourisme et les BTP. L’acceptation du financement revient

au comité du crédit de la banque qui décide sur les projets à financer parmi ceux déjà

sélectionnés et approuvés par le comité régional4 du programme « Moukawalati ». Cette

décision se fait sur la base d’une étude du dossier qui devrait prendre en considération les

chances de réussite de l’affaire et la moralité du l’entrepreneur porteur du projet. Le premier

constat à remarquer à ce niveau, est que la banque a procédé au financement de plus de 90 %

des projets précédemment validés par le comité régional de « Moukawalati », surtout lors des

premières phases du lancement du programme.

En ce qui concerne le coût du capital, la banque applique un taux d’intérêt avantageux

de 5,5% HT. Un taux unique quelle que soit la nature du projet et la moralité de son porteur.

Ce taux est conventionnel et applicable par toutes banques adhérentes au programme.

1-2 : L’observation pendant de la durée de vie du projet.

Après, le financement du projet, la relation du crédit prend naissance. Sachant que, les

jeunes prometteurs sont en général des nouveaux clients de la banque, cette dernière est

souvent mécontente quant aux événements qui peuvent survenir pendant la période du

remboursement du prêt. Particulièrement lorsqu’elle se rend compte de certains

comportements de l’emprunteur. Dans ce cadre nous avonsconstaté quelques attitudes qui

méritent une attention particulière. Parmi ces comportements nous citons :

- La fourniture d’une information erronée et insuffisante sur les compétences et

l’expérience de l’entrepreneur en matière de la gestion des projets.

- L’utilisation des manipulations comptables pour cacher la vraie valeur crée par

l’entreprise et l’affichage de bénéfices insuffisants voir négatifs.

- L’emploi des ressources du projet d’une manière irrationnelle (charges inutiles,

surfacturation …).

4 Organisme de pilotage du programme au niveau régional. Parmi ses missions la sélection définitive des

candidats proposés par les guichets à travers des commissions de sélection.

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- Détournement de certains fonds du projet, qui se trouvent dépenser dans le

financement des biens personnels de l’entrepreneur.

- L’insuffisance de l’effort déployé dans la gestion du projet (absence régulière du

domicile de l’entreprise).

Tous ces comportements peuvent expliquer, à notre égard, l’échec de plus de 30 %

des projets financés par la banque objet de l’étude. Cette tendance n’est pas spécifique à cette

banque, mais elle est générale à toutes les banques voir à tout le pays.

L’échec de certains projets a conduit les emprunteurs à observer des retards, des

irrégularités voir un refus de remboursement du crédit. A cet effet, nous avons constaté une

certaine indifférence de l’entrepreneur vis-à-vis de la situation contentieuse de son

engagement envers la banque. Certains d’entre eux ne fournissaient aucun effort pour payer

leurs dettes. En plus ils ne craignaient pas la poursuite judiciaire et la saisie des biens de leurs

projets.

2) Les constats en matière des problèmes d’agence.

A ce stade de notre étude, nous cherchons à démontrer si les éléments, observés sur la

relation du crédit liant la banque et les jeunes promoteurs, témoignent sur l’existence des

problèmes d’agence.

2-1 : constat en termes de sélection adverse.

En matière de sélection adverse, nous rappelons que l’analyse présentée par Stiglitz et

Weiss repose sur le système du prix comme facteur d’allocation des ressources. Le coût du

capital est donc à l’origine du problème de sélection adverse : le taux d’intérêt proposé par le

bailleur de fonds peut parfois décourager les emprunteurs à faible risque et en même temps

attirer les entrepreneurs à haut risque.

Dans notre cas, le taux appliqué par la banque aux crédits Jeunes Promoteurs est faible

( 5,5% HT) par rapport aux autres catégories du crédits destinés aux entreprises. Ce taux est

donc encourageant pour toutes les catégories des emprunteurs. Ces derniers n’ont pas

manifesté aucune volante de négocier un tel taux. Ainsi, les emprunteurs ont accepté

systématiquement le taux de la banque et tous les projets remplissant les conditions

nécessaires ont été financés. Par opposition aux autres formules de financement, notamment

celle destinées à la petite et moyenne entreprise5, aucune situation du rationnement du crédit

n’a été observée lors des premières phases du programme « Moukawalati ». Dans ces

conditions, on ne peut pas imaginer une situation de sélection adverse. La raison est que le

coût faible du capital satisfait tout le monde, à la fois les entrepreneurs honnêtes et ceux qui

sont malhonnêtes. Aucune catégorie n’est privilégiée dans le financement, tout le monde est

servi. Ainsi le problème de sélection adverse n’est pas posé.

5Voir Oubdi et Amrhar 2013, pour plus de détail sur le rationnement du crédit dans la PME au Maroc,

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2-2 : Constats en termes d’aléa moral.

En matière d’aléa moral, le constat est différent. A ce titre, nous rappelons que ce

risque se manifeste lorsqu’un agent économique prend des décisions qui maximise son utilité

sachant qu’il y aura un autre agent qui va assumer une partie voir même la totalité des

conséquences de ces décisions.

Dans notre cas, les faits observés révèlent un certains comportements opportunistes

qu’on peut qualifier d’attitude traduisant un degré d’aléa moral. Ce dernier caractérise à la

fois le comportement de la banque et aussi celui des jeunes entrepreneurs.

Pour la banque : lors de la décision d’octroi du crédit, la banque n’pas prêté

beaucoup d’attention à l’opération de sélection des projets à financer. Elle en a accepté une

grande partie, malgré que la procédure lui confie la possibilité du refuser le financement d’un

entrepreneur déjà sélectionné par le comité régional du programme « Moukawalati ».

L’imprudence de la banque peut être expliquée à notre égard par la qualité de la garantie de

l’Etat, que la banque peut mettre en jeu en cas d’échec du projet ou de l’insolvabilité du jeune

promoteur. C’est donc à l’Etat qu’incombe la responsabilité du remboursement de la créance

en souffrance de la banque.

Un constat qui témoigne d’un certains comportement d’aléa moral chez la banque, qui

a conduit au financement de certains projet risqués qui ne devraient pas être servi dans les

conditions normales de financement. On estime donc que la responsabilité de la banque dans

l’échec de quelques projets est certaine.

Pour les jeunes entrepreneurs : les faits observés montrent une certaine course à la

poursuite de l’intérêt individuel du jeune entrepreneur lors de la gestion de son affaire. La

maximisation de l’utilité de l’emprunteur au détriment de son projet par l’enrichissement

personnelle et les autres comportements peuvent être cités pour expliquer les causes de

l’échec d’une grande partie des affaires. De plus l’entrepreneur ne prend pas au sérieux les

appels de la banque à régulariser la situation de son crédit. Ce comportement est expliqué par

la nature du programme « Moukawalati » qui attribue à l’Etat le rôle de garant du prêt accordé

par les banques. Dans ces conditions, certains entrepreneurs mal honnêtes ont réussi à réunir

toutes les circonstances devant conduire à l’échec de leur projet, notamment par le

développement de leur fortune personnelle. Une telle situation qui témoigne d’un haut degré

d’aléa moral.

3) Les enseignements pour la banque islamique.

Quels sont les enseignements pour la banque islamique, que nous pouvons tirer de

l’étude de la relation du crédit « Moukawalati » en termes de sélection adverse et d’aléa

moral ?

3-1 : Résultats en matière de sélection adverse.

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En matière de sélection adverse, nous rappelons que ce problème n’est pas posé dans

le cadre d’une relation du crédit « Moukawalati ». Ceci pour la raison que le coût du capital

est faible. Ceci ne dissuade pas les emprunteurs à faible risque à s’endetter. Ces derniers

estiment que le taux d’intérêt appliqué est encouragent et à leur porté.

La question qui se pose à ce niveau d’étude est de savoir quelle serait l’état des choses

dans le cadre d’un financement de la banque islamique ? Autrement dit, le coût du capital

peut-il jouer un rôle et génère un problème de sélection adverse ?

Il faut préciser d’abord que le taux d’intérêt comme coût du capital n’est pas toléré

dans ce type de financement. Il est remplacé par la marge bénéficiaire (pour certains produits

tels Mourabaha), par le loyer ( cas de Ijara ) et par le coefficient du partage des profits ( cas

de Moucharaha et Moudaraba). Ce sont ces deux dernières formules de financement qui nous

intéressentle plus dans notre étude, puisqu’elles sont destinées à la clientèle des entreprises et

elle se basent sur le principe du partage des pertes et des profits. La rémunération de la

banque islamique, apporteur du capital, dans ces deux formules de financement est fixée à

l’avance à l’issu de la négociation avec l’emprunteur- entrepreneur.

Face à la situation d’information asymétrique, la banque islamique sera méconnaissant

du degré du risque lié au projet à financer, notamment, en matière de l’honnêteté de

l’emprunteur, qui est souvent imprévisible. Pour cela, la banque peut s’imposer dans les

négociations de manière à fixer sa rémunération au plus haut niveau possible pour compenser

une éventuelle prise de risque. Ce comportement conduira, à notre égard, à deux

conséquences :

Premièrement, la banque risque de faire fuir les emprunteurs sérieux qui estiment que

leurs projets sont si sûrs qu’ils méritent un coût de financement faible. Bien évidemment

ce constat est juste une prédiction et on peut imaginer le cas d’emprunteurs à faible risque

qui accepteraient le financement quel que soit le coût du capital, même élevé. Ainsi, le

fait de dire que l’exigence d’une rémunération élevée de la banque islamique induit la

fuite des bons emprunteurs, reste à notre égard une question mitigée.

Deuxièmement, la fixation d’une rémunération élevé pour la banque va certainement

attirer les mouvais payeurs, qui ayant des projets dont la probabilité d’échec est élevée,

acceptent les conditions de la banque en terme de rémunération. D’autant plus que la

garantie n’est pas exigée et que l’emprunteur ne risque en cas du non réussite de son

projet qu’une perte à hauteur de sa participation (cas de « Moucharaka »), et juste la perte

de son effort et son temps (cas de « Moudaraba »). La grosse perte étant supportée par la

banque et parfois ses déposants.

Il faut ajouter que, l’obligation de la garantie réelle dans les banques conventionnelles

peut conduire à des mutations des clients de ces banques vers les institutions de la finance

islamique. Particulièrement ceux qui, doutant de la faisabilité de leur affaire, ne souhaitent

pas avoir un financement bancaire adossé à une garantie réelle. Le rôle de cette dernière dans

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le respect des engagements de l’emprunteur est crucial (Blazy R et Weill, 2006). Pour ceci,

on conclut que c’est la non-exigence de la garantie qui a conduit les jeunes promoteurs du

programme « Moukawalati » à présenter des projets à faibles chances de réussite. Un tel

scénario peut se produire dans le cas d’un financement islamique, du fait des similitudes qui

existent entre les deux situations.

Brièvement, en termes de sélection adverse, s’il est certain que la banque islamique va

attirer les porteurs de mauvais projets, la fuite des bons emprunteurs est incertaine. La

question de sélection adverse reste donc mitigée.

3-2 : Résultats en termes d’aléa moral.

En matière d’aléa moral, nous avons constaté dans le cadre du financement

« Moukawalati » un certain nombre de comportements qui témoignent d’un haut degré d’aléa

moral, et qui caractérisent le comportement de la banque mais aussi celui du jeun promoteur.

Mais qu’en est-il pour les financements de la banque islamique ?

Premièrement, chez la banque islamique, on estime que cette dernière ne peut plus

oser de prendre le risque en comptant sur l’intervention d’une instance externe afin de

rembourser sa créance, comme il est le cas dans le crédit « Moukawalati ». La banque

islamique supporte donc à elle seule les conséquences de ses actions et l’aléa moral ne se

manifeste pas à ce niveau.

Deuxièmement chez l’emprunteur, nous avons déjà constaté certains comportements

des jeunes promoteurs. De tels comportements témoignent d’un haut degré d’aléa moral. Ils

sont expliqués par le fait qu’on n’exige pas une garantie réelle à ces emprunteurs, l’Etat étant

un fort garant. Pour le cas de la banque islamique, le constat peut être le même. En effet, les

financements islamiques destinés aux entreprises, notamment ceux basés sur le principe du

partage des pertes et des profits, n’exigent pas une garantie réelle de la part de l’emprunteur.

Ce dernier ne risque en cas d’échec de son projet que la perte de son temps, son effort, voir

une petite partie du capital. C’est pour ceci qu’il peut se permettre de mener une mauvaise

gestion de son affaire, c’est-à-dire une gestion dirigée vers la recherche de l’intérêt individuel

à travers l’enrichissement personnelle comme nous l’avons constatée chez les jeunes

promoteurs. L’emprunteur peur aussi faire des manipulations comptables afin de cacher le

vrai bénéfice crée par son entreprise. Ce dernier étant partagé avec la banque islamique. Il

peut également s’abstenir de déployer l’effort nécessaire dans la gestion du projet. De telles

attitudes qui reflètent un problème d’aléa moral chez les emprunteurs de la banque islamique,

notamment ceux qui vont bénéficier d’un financement basé sur le principe du partage des

pertes et des profits.

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Conclusion

Nous avons essayé dans cette étude d’explorer la question des problèmes d’agence

dans l’industrie de la finance islamique au Maroc, particulièrement dans les formules de

financement basées sur le principe du partage des profits et des pertes.

Notre étude empirique est faite à travers l’observation de la relation du crédit qui lie

une banque marocaine et les jeunes emprunteurs bénéficiant d’un financement dans le cadre

du programme « Moukawalati ». Cette relation étant considérée présentant des similitudes

avec les financements de la banque islamique.

L’observation nous a permis de constater l’existence d’un haut degré d’aléa moral

dans le comportement des jeunes promoteurs, alors que le choix des projets à financer par la

banque nous semble exempt du problème de sélection adverse.

Appliqué à la banque islamique, nos constats nous conduisent à tirer les

enseignements suivants.

En matière de sélection adverse, la question reste moins tranchée. En effet, cherchant à

couvrir une éventuelle prise de risque, la banque islamique augmentera le coût du capital.

Une décision qui certainement va attirer les emprunteurs à risque, mais qui ne va pas

nécessairement provoquer la fuite des bons payeurs.

En matière d’aléa moral, la question semble être tranchée. Les financements de la banque

islamique destinés aux entreprises vont certainement développer un haut degré d’aléa

moral dans le comportement des emprunteurs. A cause du non couverture de ces

financements islamiques par des garanties réelles, l’intensité de l’aléa moral sera plus

importante que celle observée sur une relation du prêt de la banque conventionnelle.

La confiance et l’engagement moral de l’emprunteur, qui sont supposés être à la base

d’une bonne relation entre la banque islamique et ses emprunteurs, sont à notre égard, loin

d’accomplir ce rôle.

Par conséquent, nous insistons sur la nécessité de trouver des remèdes aux problèmes

d’agence en réduisant leurs effets sur l’allocation optimale des ressources. Faute de ceci, on

risque de voir les efforts des banques islamiques concentrés sur les contrats de dette, telle la

« Mourabaha », qui sont relativement sûres.

Finalement, il y a lieu de rappeler que notre étude reste exploratoire. Nos concluions

se prêtent donc à des hypothèses que seulement une étude empirique proprement dite, auprès

des banques islamiques, peut en tester la validité.

Références :

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international ". Revue française d’économie. Automne 1999.pp.35-85.

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