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« Intuition fourmille de cas plus fascinantsles uns que les autres sur l’importancede la première impression. »Elle Québec

«Malcolm Gladwell est un excellentconteur. C’est en cela qu’il a du génie.Pour présenter les concepts qu’il puisedans tous les secteurs de l’activité humaine,il multiplie les anecdotes captivantes. »Time

Q uels points communs les Beatles ont-ils avec Bill Gates? En quoi

certaines vedettes de hockey doivent-elles leur succès à leur

date de naissance? Pourquoi les Asiatiques sont-ils si doués pour

les mathématiques? Pourquoi les avocats les plus riches et les plus puis-

sants de New York ont-ils à peu près le même CV? Comment expliquer

qu’en quelques années seulement, aux États-Unis, soient nées 20% des

plus grandes fortunes mondiales de tous les temps?

Loin d’être des phénomènes isolés, les prodiges, ces gens dont les triom-

phes dépassent largement l’expérience normale, participent à quelque

chose qui les dépasse. Ils doivent leur succès non pas à leur seul talent na-

turel ou à leur volonté de réussir, mais également à de nombreux facteurs

extérieurs : les circonstances, le timing, la culture, la famille, la classe

sociale, le lieu ou la date de naissance, les professeurs qu’ils ont eus... Leur

vie obéit à une logique particulière et inattendue et, en l’exposant claire-

ment, Malcolm Gladwell propose unmodèle fascinant et inusité qui permet

de mieux tirer parti du potentiel humain.

Avec Le point de bascule,Malcolm Gladwell a changé notre façon de com-

prendre le monde en se penchant sur les phénomènes de masse. Avec

Intuition, il a modifié notre conception de la pensée. Avec Les prodiges,

il nous aide à mieux comprendre comment se construit le succès.

Malcolm Gladwell a travaillé au

Washington Post de 1987 à 1996,

d’abord à titre de journaliste

scientifique, puis comme

correspondant en chef du bureau

de New York. Depuis 1996,

il collabore au magazine

The NewYorker.

Pour plus d’information, tapezwww.gladwell.com.

Rayons librairieGestion, affaires, psychologie

27,95 $ISBN 978-2-89472-402-6

Les prodiges

Lesprodiges

«Divertissant et nourrissantintellectuellement, Le point de basculevous entraînera dans l’univers fascinantdes épidémies sociales.Cet ouvrage est un petit bijou. »Les Affaires

«Avec éloquence, Malcolm Gladwell défendl’hypothèse voulant que des changementsmineurs, judicieusement conçus et mis enœuvre, puissent avoir des conséquencesmajeures dans la vie des gens. »Los Angeles Times Book Review

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©BROOKE

WILLIAMS

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Les Éditions Transcontinental1100, boul. René-Lévesque Ouest, 24e étageMontréal (Québec) H3B 4X9Téléphone : 514 392-9000 ou 1 800 361-5479www.livres.transcontinental.ca

Pour connaître nos autres titres, consultez le www.livres.transcontinental.ca.Pour bénéficier de nos tarifs spéciaux s´appliquant aux bibliothèques d´entrepriseou aux achats en gros, informez-vous au 1 866 800-2500.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québecet Bibliothèque et Archives CanadaGladwell, Malcolm, 1963-Les prodiges : pourquoi les qualités personnelles et le talent ne suffisent pas à expliquer le succèsTraduction de : Outliers.Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 978-2-89472-402-6

1. Gagneurs. 2. Succès. I. Titre.

BF637.S8G5214 2009 158.1 C2009-940407-9

Traduction : Michel Saint-GermainRévision : Diane GrégoireCorrection : Diane BoucherPhoto de l’auteur : Brooke WilliamsMise en pages : Centre de production partagé de Montréal, Médias TranscontinentalConception graphique de la couverture : Studio Andrée RobillardImpression : Transcontinental Gagné

OUTLIERS. Copyright © 2008 by Malcolm Gladwell. All rights reserved including the rights ofreproduction in whole or in part in any form.

Imprimé au Canada© Les Éditions Transcontinental, 2009, pour la version française publiée en Amérique du NordDépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 1er trimestre 2009Bibliothèque et Archives Canada

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

�����������������������������Nous reconnaissons, pour nos activités d’édition, l’aide financière du gouvernement du Canadapar l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ).Nous remercions également la SODEC de son appui financier (programmes Aide à l’éditionet Aide à la promotion).

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Les Éditions Transcontinental sont membres de l’Association nationale des éditeursde livres (ANEL).

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Malcolm Gladwell

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Saint-Germain

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Pour Daisy

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Remerciements

J’ai le bonheur de dire que ce livre est conforme à sa proprethèse. C’était en grande partie un effort collectif. J’ai été inspiré,comme je semble toujours l’être, par le travail de Richard Nisbett.La lecture de Culture of Honor a provoqué une grande part de la ré-flexion qui a mené à ce livre. Merci, Professeur Nisbett.

Comme toujours, j’ai supplié mes amis d’évaluer les diversesversions du manuscrit. Heureusement, ils ont acquiescé, et ce livreen est infiniment meilleur. Nombreux remerciements à JacobWeisberg, Terry Martin, Robert McCrum, Sarah Lyall, CharlesRandolph, Tali Farhadian, Zoe Rosenfeld et Bruce Headlam. StaceyKalish et Sarah Kessler ont fait un travail inestimable de rechercheet de vérification. Suzy Hansen a accompli son habituelle magieéditoriale. David Remnick m’a gracieusement accordé un congé demes tâches auNew Yorker pour me donner le temps de compléter celivre. Merci, comme toujours, David. Comme toujours, Henry Fin-der, mon éditeur au New Yorker, m’a sauvé la mise en me rappelantcomment penser. Je travaille depuis si longtemps avec Henry que

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j’ai maintenant ce que j’aime appeler le « Finder interne », une voixautocorrectrice qui se déclenche dans ma tête et me donne le béné-fice de la sagesse d’Henry même lorsqu’il n’est pas là. Les deux Fin-der – l’interne et l’externe – ont été d’une aide inappréciable.

Je suis très reconnaissant d’avoir pu solliciter une fois deplus le don de Bill Phillips de tout transformer en or. Merci, Bill.J’espère que nous réussirons une troisième fois en trois livres. WillGoodlad et Stefan McGrath chez Penguin en Angleterre, et MichaelPietsch et – surtout – Geoff Shandler chez Little, Brown ont entiè-rement revu ce manuscrit, du début à la fin. Merci aussi au reste del’équipe chez Little, Brown : Heather Fain, Heather Rizzo et JunieDahn. Ma concitoyenne du Canada Pamela Marshall est une magi-cienne des mots. Je ne peux imaginer publier un livre sans elle.

Deux derniers mots d’appréciation. Tina Bennett, monagente, est avec moi depuis le tout début. Elle est perspicace et ré-fléchie, encourageante et infailliblement sage, et quand je pense àce qu’elle a fait pour moi, je me considère aussi chanceux qu’unjoueur de hockey né un 1er janvier.

Par-dessus tout, je dois des remerciements à mes parents,Graham et Joyce. Ce livre se rapporte au sens du travail, et j’ai ap-pris de mon père que le travail peut être signifiant. Tout ce qu’ilfait – des mathématiques universitaires les plus complexes au bê-chage du jardin –, il l’entreprend avec joie, détermination et en-thousiasme. Dans mes premiers souvenirs de mon père, je le voistravailler à son bureau et je m’aperçois qu’il est heureux. Je ne lesavais pas alors, mais c’est l’un des cadeaux les plus précieux qu’unpère puisse donner à son enfant. Ma mère, pour sa part, m’a ensei-gné à m’exprimer ; elle m’a montré la beauté d’une expression claireet simple. Elle a lu chaque mot de ce livre et essayé de me garderaligné sur cet idéal. Ma grand-mère Daisy, à qui ce livre est dédié,a permis à ma mère d’exister. Ma mère a fait de même avec moi.

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Introduction ............................................................................................ 11

PREMIÈRE PARTIE • L’occasion

Ch a p i t r e unL’effet Matthieu ..................................................................................... 21

Ch a p i t r e deuxLa règle des 10 000 heures ............................................................. 39

Ch a p i t r e t r o i sL’ennui avec les génies (première partie) ................................. 67

Ch a p i t r e qua t r eL’ennui avec les génies (seconde partie)................................... 85

Ch a p i t r e c i nqLes trois leçons de Joe Flom ............................................................ 107

Table des matières

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DEUXIÈME PARTIE • L’héritage

Ch a p i t r e s i xHarlan, Kentucky .................................................................................. 147

Ch a p i t r e s e p tLa théorie ethnique des accidents d’avion............................... 161

Ch a p i t r e hu i tRizières et tests de mathématiques.............................................. 203

Ch a p i t r e neu fLe marché de Marita........................................................................... 225

Ép i l o g u eUne histoire arrivée en Jamaïque .................................................. 243

Sources ...................................................................................................... 257

Notes .......................................................................................................... 269

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Introduction

Le mystère Roseto

«Ces gens mouraient de vieillesse, et de rien d’autre.»

Prodige (n. m.) : Événement extraordinaire, de carac-tère magique ou surnaturel ; personne extraordinaire parses talents, ses vertus, ses vices. (Le Petit Robert)

�La commune de Roseto Valfortore se trouve à environ 160 ki-

lomètres au sud-est de Rome, au cœur des Apennins, dans la pro-vince italienne de Foggia. Cette petite ville est aménagée autourd’une vaste place centrale, à la façon des villages médiévaux. Enface de cette place se trouve le Palazzo Marchesale, le palais de lafamille Saggese, qui possédait ces terres à l’époque. D’un côté, unearcade mène à une église, la Madonna del Carmine – Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Un étroit escalier de pierre grimpe le flanc de lamontagne, flanqué de maisons de pierre à deux étages, collées lesunes aux autres et coiffées de toits en tuiles rouges.

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Les prodiges

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Pendant des siècles, les habitants de Roseto ont travaillé dansles carrières de marbre des montagnes avoisinantes, ou cultivé leschamps dans la vallée aménagée plus bas, descendant à pied sur sixou huit kilomètres au petit matin, pour refaire à rebours ce longparcours en soirée. La vie était dure. Presque illettrés et désespéré-ment pauvres, les habitants de la commune n’avaient aucun espoird’améliorer leur situation économique, jusqu’à la fin du XIXe siè-cle, lorsqu’est parvenue à Roseto la rumeur selon laquelle il exis-tait une terre d’avenir de l’autre côté de l’océan.

En janvier 1882, un groupe de 11 Rosetanis – 10 hommes et1 garçon – a levé les voiles vers New York. Ils ont passé leur pre-mière nuit en Amérique couchés sur le sol d’une taverne de la rueMulberry, dans le quartier La Petite-Italie, à Manhattan. Puis ils sesont aventurés vers l’ouest, et ont fini par trouver du travail dansune carrière d’ardoise située à 150 kilomètres à l’ouest de la ville,près de Bangor, en Pennsylvanie.

L’année suivante, 15 Rosetanis ont quitté l’Italie pour l’Amé-rique, et plusieurs membres de ce groupe ont rejoint leurs compa-triotes à la carrière d’ardoise de Bangor. Ces immigrants ont à leurtour renvoyé à Roseto des nouvelles concernant les promesses duNouveau Monde et, bientôt, des groupes de Rosetanis sont partistour à tour vers la Pennsylvanie, jusqu’à ce que le premier courantd’immigrants se transforme en déluge. Au cours de l’année 1894seulement, près de 1 200 Rosetanis ont demandé un passeport pouraller aux États-Unis, désertant des rues entières de leur ancien village.

Les Rosetanis ont commencé à acheter des terres sur un ver-sant rocheux relié à Bangor par un vieux chemin de fer en penteraide. Dans les rues étroites qui montaient et descendaient la mon-tagne, ils ont construit des maisons de pierre à deux étages avecdes toits en ardoise. Ils ont bâti une église, qu’ils ont appeléeMadonna del Carmine. Celle-ci se trouvait sur l’artère principale,qu’ils ont nommée l’avenue Garibaldi, en mémoire du grand hérosde l’unification italienne. Au début, leur petite ville s’appelait New

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Introduction

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Italy. Mais elle est bientôt devenue Roseto, un nom qui leur sem-blait plus approprié, étant donné qu’ils venaient presque tous dumême village italien.

En 1896, un jeune prêtre dynamique, le père Pasquale deNisco, a pris les commandes de Madonna del Carmine. De Niscoa fondé des sociétés spirituelles et organisé des festivals. Il a en-couragé les résidents à dégager le sol de leurs grandes cours pour yfaire pousser des oignons, des haricots, des pommes de terre, desmelons et des arbres fruitiers. Il leur a donné des graines et desbulbes. La ville s’est mise à vivre. Les Rosetanis ont commencé àélever des cochons dans leur jardin et à faire pousser des vignespour faire du vin maison. Des écoles, un parc, un couvent et un ci-metière ont ensuite été aménagés. De petites échoppes et des bou-langeries, des restaurants et des bars ont ouvert leurs portes avenueGaribaldi. Plus d’une douzaine de manufactures sont apparues, oùon fabriquait des chemisiers pour l’industrie du vêtement.

Dans les environs de Bangor, on rencontrait surtout des Galloiset des Anglais, et la population de la ville la plus proche était do-minée par les Allemands, ce qui signifiait (étant donné les rela-tions tendues entre les Anglais, les Allemands et les Italiens à cetteépoque) que Roseto était un endroit strictement réservé aux Rose-tanis. Si vous vous étiez baladé dans les rues de Roseto, enPennsylvanie, au cours des premières décennies du XXe siècle, vousn’auriez entendu parler que l’italien, non pas l’italien courant, maisle dialecte précis de la région de Foggia, en usage dans le Rosetodu sud de l’Italie. Le Roseto de la Pennsylvanie formait son propremicrocosme autosuffisant – ce qu’ignorait la société qui l’entou-rait –, et il aurait pu demeurer ainsi, si ce n’avait été un homme ap-pelé Stewart Wolf.

Wolf était médecin. Il avait étudié la digestion et le fonction-nement de l’estomac, et il enseignait à l’école de médecine de l’Uni-versité de l’Oklahoma. Il passait ses étés sur une ferme enPennsylvanie, pas très loin de Roseto – cela ne voulait pas dire

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grand-chose, bien sûr, puisque Roseto était tellement repliée surelle-même qu’il était possible de vivre dans la ville la plus rappro-chée sans jamais en entendre parler.

«Au cours d’un des étés où nous sommes allés dans cette région– probablement à la fin des années 1950 –, la société médicale lo-cale m’avait invité à donner une conférence, a raconté Wolf en en-trevue des années plus tard. Après la conférence, un des médecinsde l’endroit m’a invité à prendre une bière. Et alors que nous bu-vions notre verre, il m’a dit : “Tu sais, ça fait 17 ans que je pratique.Mes patients viennent de partout, mais j’ai rarement rencontré unrésident de Roseto âgé de moins de 65 ans qui ait un problème decœur.” »

Wolf était déconcerté. On était dans les années 1950, bien long-temps avant l’avènement des médicaments destinés à abaisser letaux de cholestérol et les mesures draconiennes en vue de prévenirles maladies du cœur. Les crises cardiaques prenaient des propor-tions endémiques aux États-Unis. Elles constituaient la principalecause de décès chez les hommes de moins de 65 ans. Un vieil adagedisait qu’il était impossible pour un médecin de ne pas trouver decœur malade.

Wolf a décidé de faire enquête. Il a demandé le soutien de cer-tains de ses étudiants et collègues de l’Université de l’Oklahoma.Ils ont rassemblé les certificats de décès des résidents de la ville, re-montant le plus loin possible dans le temps. Ils ont analysé les dos-siers médicaux. Ils ont retracé les antécédents médicaux despatients et dressé leur arbre généalogique.

«C’était très prenant, et nous avons décidé de procéder à uneétude préliminaire, a dit Wolf. Nous avons commencé en 1961.Le maire nous a dit : “Toutes mes sœurs sont prêtes à vous aider.”Il avait quatre sœurs. Il a dit : “Vous pouvez utiliser la salle duconseil municipal.” Je lui ai demandé : “Mais où allez-vous tenir lesréunions du conseil municipal ?” Il m’a répondu : “Eh bien, nous lesreporterons pendant un moment.” Les dames nous apportaient le

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Introduction

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repas du midi. Nous disposions de petites cabines où nous pou-vions effectuer des prélèvements sanguins ou des électrocardio-grammes. Nous y avons passé quatre semaines. Et puis je me suisadressé aux dirigeants de la ville. Ils nous ont prêté l’école pourl’été. Nous avons invité la population entière de Roseto à venir pas-ser des tests. »

Les résultats ont été sidérants. À Roseto, personne, avant l’âgede 55 ans, n’était mort à la suite d’une crise cardiaque ou n’avaiteu de symptômes de maladie du cœur. Chez les hommes de plus de65 ans, le taux de mortalité relié à des crises cardiaques ne repré-sentait que la moitié de celui de l’ensemble des États-Unis. En fait,à Roseto, le taux de mortalité relié à toutes les causes était de 30%à 35% inférieur au résultat attendu.

Wolf a demandé à un de ses amis, un sociologue de l’Oklahomaappelé John Bruhn, de venir l’aider. « J’ai embauché des étudiantsen médecine et des diplômés de sociologie pour mener des entre-vues, et nous sommes allés de maison en maison, à Roseto, pourrencontrer chaque personne âgée de 21 ans ou plus », se rappelaitBruhn. Même 50 ans plus tard, il y avait encore de l’étonnementdans la voix de Bruhn lorsqu’il décrivait leurs découvertes. « Il n’yavait ni suicide, ni alcoolisme, ni toxicomanie, et très peu de cri-minalité. Personne n’avait recours à l’aide sociale. Puis nous noussommes intéressés aux ulcères de l’estomac. Il n’y en avait aucunnon plus. Ces gens mouraient de vieillesse, et de rien d’autre. »

Dans le métier de Wolf, on avait un nom pour les endroitscomme Roseto : c’était un lieu à l’écart de l’expérience quotidienne,là où les règles normales ne s’appliquaient pas. Roseto était un vé-ritable prodige.

�Wolf s’est d’abord dit que les Rosetanis avaient probablement

gardé des habitudes alimentaires issues du Vieux Continent, qui lesavaient laissés en meilleure santé que les autres Américains. Mais

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il s’est rapidement rendu compte que cela n’était pas vrai. Les Ro-setanis cuisinaient avec du lard plutôt qu’à l’huile d’olive, beau-coup plus saine, qu’ils utilisaient autrefois en Italie. La pizza qu’ilsmangeaient en Italie était composée d’une pâte mince légèrementsalée, avec de l’huile et peut-être des tomates, des anchois ou desoignons. Celle qu’ils mangeaient en Pennsylvanie était faite de pâteà pain à laquelle s’ajoutaient de la saucisse, du pepperoni, du sa-lami, du jambon et même parfois des œufs. Les sucreries telles queles biscotti et les taralli étaient autrefois réservées à Noël et à Pâques ;à Roseto, on en mangeait toute l’année.

Lorsque Wolf a demandé à des diététistes d’analyser les habi-tudes alimentaires typiques des Rosetanis, ils ont découvert que41% de leurs calories provenaient de matières grasses, ce qui étaiténorme. Et ce n’était pas une ville où les gens se levaient à l’aurorepour faire du yoga ou courir 10 kilomètres. Les Rosetanis de laPennsylvanie fumaient beaucoup et plusieurs avaient des pro-blèmes d’embonpoint.

Si le régime et l’exercice ne pouvaient expliquer leurs décou-vertes, qu’en était-il de la génétique ? Les Rosetanis formaient unecommunauté unie, provenant de la même région de l’Italie, et Wolfs’est demandé s’ils n’étaient pas tous issus d’une souche robustequi les aurait protégés des maladies. Il a donc retracé des parentsde Rosetanis habitant d’autres régions des États-Unis, afin de voirs’ils jouissaient eux aussi d’une excellente santé comme leurs cou-sins de Pennsylvanie.

Ce n’était pas le cas. Wolf s’est ensuite interrogé sur la régionoù vivaient les Rosetanis. Était-ce le seul fait de vivre dans les mon-tagnes de l’est de la Pennsylvanie qui leur donnait une aussi bonnesanté ?

Les deux villes les plus rapprochées de Roseto étaient Bangor,juste au bas de la montagne, et Nazareth, située à quelques kilo-mètres. Toutes deux d’une taille similaire à celle de Roseto, ellesétaient peuplées du même genre d’immigrants européens très tra-

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Introduction

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vailleurs. Wolf a passé en revue les dossiers médicaux des habitantsde ces deux villes. Chez les hommes de plus de 65 ans, le taux demortalité relié à des crises cardiaques, à Nazareth et à Bangor, étaittrois fois supérieur à celui de Roseto. Une autre fausse piste.

Ce queWolf a fini par comprendre, c’est que le secret de Roseton’était ni le régime, ni l’exercice, ni les gènes, ni l’emplacement. Cedevait donc être Roseto en tant que tel. Alors que Bruhn et Wolfdéambulaient dans les rues de la ville, ils ont découvert pourquoi ilen était ainsi.

Ils ont vu les Rosetanis se rendre visite entre eux, s’arrêtantdans la rue pour causer en italien ou faisant la cuisine pour les au-tres dans leur jardin. Ils ont appris que les clans familiaux for-maient la structure sous-jacente de la ville. Ils ont constaté quedans plusieurs maisons se côtoyaient trois générations, et ont re-marqué à quel point on respectait les grands-parents. Ils ont as-sisté à la messe à la Madonna del Carmine et ont vu que l’égliseavait un effet rassembleur et apaisant. Dans une ville de moins de2 000 habitants, ils ont dénombré 22 organismes communautaires.Ils ont découvert en outre l’esprit égalitaire qui animait cette com-munauté, où on demandait aux plus riches de ne pas étaler leurssuccès et où on aidait les plus démunis à cacher leurs échecs.

En transplantant la culture des paesani du sud de l’Italie dansles montagnes de l’est de la Pennsylvanie, les Rosetanis avaient crééune structure sociale forte et protectrice, capable de les préserverdes pressions du monde moderne.

Si les Rosetanis jouissaient d’une bonne santé, c’était grâce àleur lieu d’origine et à ce monde qu’ils avaient créé pour eux-mêmes dans cette toute petite ville juchée dans les montagnes.

« Je me souviens de ma première visite à Roseto, a racontéBruhn ; on y voyait des soupers de famille regroupant trois géné-rations, plein de boulangeries, des gens marchant dans les rues ous’assoyant sous le porche pour discuter avec d’autres, des femmes

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Les prodiges

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qui travaillaient tout le jour dans les manufactures de chemisiers,tandis que les hommes bossaient dans les carrières d’ardoise. C’étaitmagique. »

Vous pouvez imaginer le scepticisme auquel Bruhn et Wolf sesont heurtés lorsqu’ils ont présenté pour la première fois leurs dé-couvertes à la communauté médicale. Ils allaient à des conférencesoù leurs confrères énuméraient de longues séries de données re-groupées dans des tableaux complexes et renvoyant à telle forme degène ou tel processus biologique, tandis qu’eux évoquaient lesbienfaits mystérieux et magiques du fait de s’arrêter dans la ruepour discuter avec les autres ou de rassembler trois générations sousle même toit.

Avoir une longue vie, disait la sagesse populaire de l’époque,dépendait en grande partie de la personne que nous étions – desgènes, autrement dit. Cela dépendait aussi de nos choix : ce quenous décidions de manger, l’exercice que nous choisissions de faireainsi que l’efficacité des traitements offerts dans le système médi-cal. Nul n’aurait alors songé à considérer la santé comme une affairede communauté.

Wolf et Bruhn devaient convaincre l’institution médicale d’en-visager les problèmes et les crises cardiaques sous un tout nouveaujour : ils devaient lui faire voir qu’il serait impossible de compren-dre pourquoi une personne était en santé si on isolait ses choix ouses actions. Ils devaient regarder par-delà l’individu. Ils devaients’intéresser à la culture de cette personne, à ses amis et à sa famille,ainsi qu’à la ville d’origine de cette dernière. Ils devaient com-prendre que les valeurs de l’univers dans lequel nous évoluons etque les gens dont nous nous entourons ont une profonde influencesur la personne que nous devenons.

Dans cet ouvrage, je veux faire pour la compréhension de la réus-site ce que Stewart Wolf a fait pour la compréhension de la santé.

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Première partie

L’occasion

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21

Ch a p i t r e un

L’effet Matthieu

«Car à tout homme qui a, l’on donnera et il seradans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas,

même ce qu’il a lui sera retiré. » Mt 25.29

�Par une chaude journée printanière de mai 2007, les Tigers de

Medicine Hat et les Giants de Vancouver se sont affrontés pour leschampionnats de hockey de la Coupe Memorial, à Vancouver, enColombie-Britannique. Les Tigers et les Giants étaient les deuxmeilleures équipes de la Ligue canadienne de hockey, la meilleureligue de hockey junior du monde. C’étaient les futures vedettes dusport – des gars de 17, 18 et 19 ans qui chaussaient des patins etmaniaient la rondelle depuis leur plus jeune âge.

La partie était diffusée sur le réseau national de télévision. Desbannières aux couleurs de la Coupe Memorial étaient accrochées auxlampadaires du centre-ville de Vancouver. Le centre sportif étaitbondé. Un long tapis rouge avait été déroulé sur la glace, et l’an-nonceur a présenté les dignitaires présents. Tout d’abord, le premierministre de la Colombie-Britannique, Gordon Campbell. Puis, au

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milieu d’une salve d’applaudissements, s’est avancé Gordie Howe,un joueur légendaire. «Mesdames et messieurs, a dit l’annonceurd’une voix retentissante, Monsieur Hockey ! »

Pendant les 60minutes suivantes, les deux équipes se sont disputéun match fougueux et offensif. Au début de la deuxième période,Vancouver a marqué le premier but, sur un rebond deMario Bliznak.Vers la fin de la deuxième période, cela a été le tour de l’équipe deMedicine Hat, dont le marqueur principal, Darren Helm, a effectuéun lancer rapide derrière le gardien de but de Vancouver, TysonSexsmith. Vancouver a riposté à la troisième période, marquant le butdécisif de la partie, puis, lorsqueMedicine Hat a retiré son gardien endésespoir de cause, Vancouver a marqué un troisième but.

Après le match, les joueurs et leurs familles, ainsi que des re-porters sportifs de tout le pays, se sont entassés dans le vestiaire del’équipe gagnante. Dans l’air, la fumée de cigare se mêlait auxodeurs du champagne et de la transpiration. Sur le mur était ac-crochée une bannière peinte à la main : « Fonce au combat. » Aucentre de la salle se tenait l’entraîneur des Giants, Don Hay, l’œilhumide. « Je suis tellement fier de ces gars-là, dit-il. Regardez danstout le vestiaire : il n’y en a pas un seul ici qui ne s’est pas donné àfond. »

Le hockey canadien est une méritocratie. Avant même d’entrerà la maternelle, des milliers de jeunes Canadiens commencent àjouer à l’échelon des débutants. À partir de là, il existe des liguespour chaque tranche d’âge, et à chacun de ces échelons, les joueurssont passés en revue, triés et évalués, et les plus talentueux sontécartés du reste et préparés pour accéder au stade suivant. Lorsqueles joueurs atteignent le milieu de l’adolescence, les meilleurs entretous sont canalisés vers une ligue d’élite appelée junior majeure,qui se trouve tout en haut de la pyramide. Et si votre équipe juniormajeure joue pour la coupe Memorial, cela veut dire que vous êtesà la pointe de cette pyramide.

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C’est ainsi que, dans la plupart des sports, on choisit les fu-tures vedettes. C’est ainsi qu’est organisé le soccer en Europe et enAmérique du Sud, et qu’on sélectionne les athlètes olympiques.D’ailleurs, c’est d’une façon assez semblable que le monde de lamusique classique détermine ses futurs virtuoses, le monde du bal-let ses futures ballerines, ou notre système éducatif ses futurs scien-tifiques et intellectuels.

On ne peut recourir à la corruption pour entrer dans une liguede hockey junior majeur. Peu importe le statut des parents ou dugrand-père, ou la nature de l’entreprise familiale. Peu importe,aussi, si on habite l’endroit le plus éloigné de la province la plusseptentrionale du Canada. Si vous avez les aptitudes nécessaires, levaste réseau d’éclaireurs du hockey et de découvreurs de futursgrands joueurs vous trouvera, et si vous êtes prêt à travailler pourdévelopper ce talent, le système vous récompensera. Le succès auhockey est fondé sur le mérite individuel – les deux mots sont im-portants. Les joueurs sont jugés d’après leur performance, et noncelle d’un autre, et sur la base de leur talent, et non de quelqueautre fait arbitraire.

Mais est-ce bien vrai ?

�Ce livre s’intéresse aux prodiges, des hommes et des femmes

qui font des choses hors de l’ordinaire. Au cours des chapitres sui-vants, je vous présenterai plusieurs sortes de prodiges : des génies,des magnats de l’industrie, des vedettes du rock et des program-meurs de logiciels. Vous découvrirez les secrets d’un avocat remar-quable, verrez ce qui distingue les meilleurs pilotes de ceux qui sesont écrasés au sol, et essaierez de trouver pourquoi les Asiatiquessont si forts en mathématiques. Et en examinant la vie des plus re-marquables d’entre nous – ceux qui sont habiles, talentueux et mo-tivés –, j’avancerai l’idée que quelque chose va profondément detravers dans notre façon d’envisager le succès.

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Les prodiges

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Quelle est la question que nous posons toujours à propos desgens qui réussissent ? Nous voulons savoir à quoi ils ressemblent –leur type de personnalité ou d’intelligence, leur mode de vie, ou lestalents particuliers qu’ils avaient peut-être à la naissance. Et noustenons pour acquis que ces qualités personnelles suffisent à expli-quer comment un individu a atteint le sommet.

Dans les autobiographies publiées chaque année, celles des mil-liardaires, des entrepreneurs, des vedettes du rock ou des célébri-tés ont toutes la même structure de récit : notre héros naît dans descirconstances modestes et, à force de cran et de talent, se fraie unchemin vers la grandeur. Dans la Bible, Joseph est chassé par sesfrères et vendu en esclavage, puis s’élève jusqu’à devenir le brasdroit du pharaon, grâce à son habileté et à son intuition.

Dans les romans d’Horatio Alger, célèbres au XIXe siècle, lesgarçons nés dans un milieu modeste parviennent à la richesse grâceà un amalgame de courage et d’initiative. « Je crois qu’au total,c’est un désavantage », a dit un jour Jeb Bush à propos de l’im-portance, pour sa carrière dans les affaires, d’être le fils d’un prési-dent américain, le frère d’un autre président américain, et lepetit-fils d’un sénateur et riche banquier deWall Street. En faisantcampagne pour le poste de gouverneur de la Floride, il s’est àmaintes reprises présenté en tant que self-made man, et le fait quepeu de gens aient sourcillé en entendant cette description indiqueà quel point nous associons le succès aux efforts individuels.

« Levez la tête », a dit Robert Winthrop, il y a longtemps, à lafoule venue assister au dévoilement d’une statue du grand héros del’indépendance américaine, Benjamin Franklin, « et regardezl’image d’un homme qui s’est élevé à partir de rien, qui ne devaitrien à ses parents ni au parrainage, dont l’éducation rudimentairene lui a conféré aucun avantage qui ne vous soit accessible au cen-tuple, qui a accompli les tâches les plus humbles dans les entre-prises auxquelles sa jeunesse a été vouée, mais qui est parvenu às’adresser à des rois, et est mort en laissant un nom que le monden’oubliera jamais. »

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Chapitre un • L’effet Matthieu

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Dans ce livre, je veux vous convaincre que ce genre d’explicationpersonnelle du succès ne tient pas debout. Les gens ne s’élèvent pasà partir de rien. Nous devons quelque chose aux parents et au par-rainage. Les gens qui s’adressent à des rois ont peut-être l’air d’avoirtout réussi par eux-mêmes, mais en fait, ils sont invariablement lesbénéficiaires d’avantages cachés, d’occasions extraordinaires et d’hé-ritages culturels qui leur permettent d’apprendre, de travailler duret d’interpréter le monde différemment. Le lieu et l’époque de notrejeunesse font une différence. La culture à laquelle nous appartenonset les héritages que nous ont transmis nos ancêtres modèlent defaçon inimaginable les scénarios de notre réussite.

Autrement dit, il ne suffit pas de se demander à quoi ressem-blent les gens prospères. Ce n’est qu’en se demandant d’où ils vien-nent que nous pouvons démêler la logique qui fait que certainsréussissent et d’autres pas.

Les biologistes parlent souvent de l’« écologie» d’un organisme :tel chêne est le plus élevé de la forêt parce qu’il a poussé à partir dugland le plus robuste ; c’est aussi le plus grand parce qu’aucun autrearbre ne lui a fait ombrage, qu’il a grandi dans un sol profond etriche, qu’aucun lapin n’a grignoté son écorce lorsqu’il était un ar-brisseau, et qu’aucun bûcheron ne l’a coupé avant qu’il n’atteigne samaturité.

Nous savons tous que les gens qui réussissent se sont dévelop-pés à partir de graines robustes. Mais en savons-nous suffisammentsur la lumière qui les a réchauffés, le sol dans lequel ils ont plantéleurs racines, et les lapins et bûcherons qu’ils ont eu la chance d’évi-ter ? Ce livre ne concerne pas les grands arbres. C’est un livre surles forêts – et le hockey est un bon point de départ, car expliquercomment on arrive au sommet du monde du hockey est beaucoupplus intéressant et compliqué qu’il n’y paraît. En fait, c’est tout àfait bizarre.

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�Voici le tableau des joueurs des Tigers de Medicine Hat en

2007. Examinez-le bien et voyez si vous pouvez y repérer quoi quece soit de particulier.

Le voyez-vous ? Ne vous en faites pas si votre réponse est néga-tive, car pendant plusieurs années, dans le monde du hockey, per-sonne ne s’en est aperçu. Ce n’est qu’au milieu des années 1980, enfait, qu’un psychologue canadien nommé Roger Barnsley a pour lapremière fois attiré l’attention vers le phénomène de l’âge relatif.

NO NOM POS. G/D TAILLE POIDS DATE DE VILLE(cm) (kg) NAISSANCE

9 Brennan Bosch C D 173 78,47 14 février 1988 Martensville, SK11 Scott Wasden C D 185 85,27 4 janvier 1988 Westbank, CB12 Colton Grant AG G 175 80,29 20 mars 1989 Standard, AB14 Darren Helm AG G 183 82,55 21 janvier 1987 St. Andrews, MB15 Derek Dorsett AD G 180 80,74 20 décembre 1986 Kindersley, SK16 Daine Todd C D 178 78,47 10 janvier 1987 Red Deer, AB17 Tyler Swystun AD D 180 83,91 15 janvier 1988 Cochrane, AB19 Matt Lowry C D 193 84,37 2 mars 1988 Neepawa, MB20 Kevin Undershute AG G 193 80,74 12 avril 1987 Medicine Hat, AB21 Jerrid Sauer AD D 178 88,90 12 septembre 1987 Medicine Hat, AB22 Tyler Ennis C G 175 72,57 6 octobre 1989 Edmonton, AB23 Jordan Hickmott C D 193 83,01 11 avril 1990 Mission, CB25 Jakub Rumpel AD D 173 75,03 27 janvier 1987 Hrnciarovce, SLO28 Bretton Cameron C D 180 76,20 26 janvier 1989 Didsbury, AB36 Chris Stevens AG G 178 89,36 20 août 1986 Dawson Creek, CB3 Gord Baldwin D G 196 92,99 1er mars 1987 Winnipeg, MB4 David Schlemko D G 185 88,45 7 mai 1987 Edmonton, AB5 Trever Glass D G 193 86,18 22 janvier 1988 Cochrane, AB10 Kris Russell D G 178 80,29 2 mai 1987 Caroline, AB18 Michael Sauer D D 191 92,99 7 août 1987 Sartell, MN24 Mark Isherwood D D 193 83,01 31 janvier 1989 Abbotsford, CB27 Shayne Brown D G 185 89,81 20 février 1989 Stony Plain, AB29 Jordan Bendfeld D D 191 104,33 9 février 1988 Leduc, AB31 Ryan Holfeld G G 180 75,30 29 juin 1989 LeRoy, SK33 Matt Keetley G G 188 85,73 27 avril 1986 Medicine Hat, AB

Légende : • No= Numéro de chandail • C = centre• Pos. = Position • AG/AD = aile gauche/aile droite

• G/D = gauche/droite

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Les prodiges

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Barnsley assistait à une partie de hockey des Broncos deLethbridge, dans le sud de l’Alberta, une équipe qui jouait dans lamême ligue junior majeure que les Giants de Vancouver et lesTigers de Medicine Hat. Il se trouvait là avec sa femme, Paula, etleurs deux garçons. En lisant le programme, sa femme est tombée surun tableau des joueurs très semblable à celui que vous venez de voir.

«Roger, sais-tu quand ces jeunes hommes sont nés ? » a-t-elledemandé.

Barnsley a répondu : «Oui, ils ont tous entre 16 et 20 ans ; ilssont donc nés à la fin des années 1960. »

«Non, non, a poursuivi Paula. Quel mois ? »

« J’ai cru qu’elle était devenue folle, se rappelle Barnsley. Maisj’ai parcouru le tableau, et ce qu’elle disait m’a tout simplementsauté aux yeux. Pour une raison quelconque, un nombre incroya-ble d’entre eux étaient nés en janvier, en février et en mars. »

En rentrant, ce soir-là, Barnsley a vérifié les dates de naissanced’autant de joueurs de hockey professionnels qu’il a pu en trouver.Il a observé le même schéma. Barnsley, sa femme et un collègue,A. H. Thompson, ont ensuite rassemblé les statistiques de tous lesjoueurs de la ligue de hockey junior de l’Ontario. C’était la mêmehistoire. Un plus grand nombre de joueurs étaient nés en janvierqu’au cours de tout autre mois, et par une marge renversante. Ledeuxième mois de naissance le plus fréquent ? Février. Le troisième ?Mars. Barnsley a découvert que parmi les joueurs de la Ligue dehockey junior de l’Ontario, il en était né presque cinq fois plus enjanvier qu’en novembre. Il a examiné les équipes d’étoiles de jeunesâgés de 11 et 13 ans – les jeunes joueurs choisis pour des équipesd’élite itinérantes. Même histoire. Il s’est penché sur la composi-tion de la Ligue nationale de hockey. Pareil.

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Plus il regardait, plus Barnsley en arrivait à croire que ce qu’ilvoyait n’était pas aléatoire, mais obligatoire dans le hockey cana-dien : dans tout groupe d’élite de joueurs de hockey – la crème dela crème –, 40% des joueurs seront nés entre janvier et mars, 30%entre avril et juin, 20% entre juillet et septembre, et 10% entre oc-tobre et décembre.

«Au cours de toutes mes années de psychologie, je n’ai jamaisconstaté d’effet aussi dominant, dit Barnsley. Il n’est même pas né-cessaire d’effectuer une analyse statistique. On n’a qu’à regarder. »

Retournez au tableau des joueurs de Medicine Hat. Voyez-vous, maintenant ? Dix-sept des 25 joueurs de l’équipe sont nés enjanvier, en février, en mars ou en avril.

Voici le suivi des deux premiers buts marqués durant la finalede la Coupe Memorial, mais cette fois, j’ai remplacé le nom desjoueurs par leur date de naissance. Cela ne ressemble plus au cham-pionnat de hockey junior canadien. Cela ressemble maintenant à unétrange rituel sportif pour des adolescents nés sous les signes as-trologiques du Capricorne, du Verseau et des Poissons.

11 mars s’élance du côté du filet des Tigers, laissant la rondelle àson coéquipier 4 janvier, qui la passe à 22 janvier, qui la remet à12 mars, qui lance à bout portant au gardien de but des Tigers,27 avril. 27 avril bloque la rondelle, mais elle rebondit grâce à6 mars, de Vancouver. Il lance ! Les défenseurs de Medicine Hat,9 février et 14 février, s’élancent pour bloquer la rondelle, sansque 10 janvier puisse intervenir. 6 mars compte !

Passons maintenant à la deuxième période.

Au tour de Medicine Hat. Le premier compteur des Tigers,21 janvier, fonce du côté droit de la patinoire. Il s’arrête et tourne surlui-même, échappant au défenseur de Vancouver, 15 février. 21 jan-vier passe habilement la rondelle à son coéquipier 20 décembre –Wow! Qu’est-ce qu’il peut bien faire là ? ! – qui se débarrasse du dé-fenseur 17 mai qui arrive à toute allure, et repasse la rondelle à21 janvier, de l’autre côté de la zone des buts. Il lance ! Le défenseur

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de Vancouver 12mars plonge, tentant de bloquer le lancer, 19mars,le gardien de but de Vancouver, plonge désespérément. 21 janviercompte ! Il lève les mains en signe de triomphe. Son coéquipier 2mailui saute de joie sur le dos.

�L’explication en est fort simple. Elle n’a rien à voir avec l’as-

trologie, ni avec une quelconque magie des trois premiers mois del’année. C’est tout simplement que, au Canada, la date limite d’ad-missibilité au hockey par tranche d’âge est le 1er janvier. Un garçonqui a 10 ans le 2 janvier peut alors jouer aux côtés de quelqu’un quin’atteindra pas cet âge avant la fin de l’année – et à cet âge, dansla préadolescence, un écart d’âge de 12 mois représente une énormedifférence sur le plan de la maturité physique.

Comme c’est le Canada, le pays le plus fou de hockey, les en-traîneurs commencent à sélectionner les joueurs pour l’équipe iti-nérante « représentative » – les équipes d’étoiles – à l’âge de 9 ou10 ans, et bien sûr, ils sont plus susceptibles de juger talentueux lesjoueurs les plus grands, aux mouvements les mieux coordonnés, etavantagés par des mois de maturité supplémentaires et essentiels.

Et que se passe-t-il lorsqu’un joueur est choisi pour une équipe re-présentante ? Il reçoit un meilleur entraînement, ses coéquipiers sontmeilleurs, il joue de 50 à 75 parties par saison, au lieu de 20 commeceux qui restent derrière dans la ligue «maison», et il s’exerce deuxou même troix fois plus qu’autrement. Au début, son avantage n’estpas tant d’être meilleur en soi, mais seulement un peu plus vieux.Toutefois, dès l’âge de 13 ou 14 ans, avec l’avantage d’un meilleurentraînement et de tout ce supplément d’exercices, il est vraimentmeilleur : c’est donc lui qui a le plus de chances de se rendre à la liguejunior majeure, et de là, dans les grandes ligues1.

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Barnsley affirme que ce genre de distribution inégale des âgesapparaît chaque fois qu’il se produit trois choses : la sélection, la ré-partition par niveaux et l’expérience différenciée. Si vous détermi-nez qui est bon et qui ne l’est pas à un jeune âge, si vous séparezles « talentueux » des « sans talent », et si vous fournissez une ex-périence supérieure aux « talentueux », vous finirez par donner unavantage immense à ce petit groupe de joueurs nés plus près de ladate limite.

Aux États-Unis, le football et le basketball n’effectuent pasaussi radicalement le choix, la répartition et la différenciation. Parconséquent, même si un enfant a un peu de retard physique dansces sports, il peut tout de même jouer autant que ses pairs plusdéveloppés2.

Ce n’est pas le cas au baseball. Aux États-Unis, la date limite,pour presque toutes les ligues de baseball non scolaires, est le31 juillet : ainsi, un plus grand nombre de joueurs des ligues ma-jeures sont nés en août, plus que dans tout autre mois. (Les chiffressont frappants : en 2005, parmi les Américains d’une ligue de ba-seball majeure, 505 étaient nés en août, contre 313 en juillet.)

De même, le soccer européen est organisé comme le hockey et lebaseball – là aussi, la distribution des dates de naissance dans ce sportest fort inégale. En Angleterre, la date d’admissibilité est le1er septembre, et dans la première ligue de l’association de football,à un certain moment dans les années 1990, 288 joueurs étaient nésentre septembre et novembre, et seulement 136 entre juin et août. Ausoccer international, la date limite était auparavant le 1er août, et dansun récent tournoi de championnatmondial junior, 135 joueurs étaientnés au cours des trois mois qui ont suivi le 1er août, et seulement22 enmai, juin et juillet. Aujourd’hui, la date limite au soccer juniorinternational est le 1er janvier.

Jetez un coup d’œil au tableau de l’équipe nationale de soccerjunior de 2007 en République tchèque, qui s’est rendue aux finalesde la Coupe mondiale junior.

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JOUEUR DATE DE NAISSANCE POSITION

1 Marcel Gecov 1er janvier 1988 Demi2 Ludek Frydrych 3 janvier 1987 Gardien de but3 Petr Janda 5 janvier 1987 Demi4 Jakub Dohnalek 12 janvier 1988 Défenseur5 Jakub Mares 26 janvier 1987 Demi6 Michal Held 27 janvier 1987 Défenseur7 Marek Strestik 1er février 1987 Avant8 Jiri Valenta 14 février 1988 Demi9 Jan Simunek 20 février 1987 Défenseur10 Tomas Oklestek 21 février 1987 Demi11 Radek Petr 24 février 1987 Gardien de but12 Ondrej Mazuch 15 mars 1989 Défenseur13 Ondrej Kudela 26 mars 1987 Demi14 Marek Suchy 29 mars 1988 Défenseur15 Martin Fenin 16 avril 1987 Avant16 Lubos Kalouda 20 mai 1987 Demi17 Tomas Pekhart 26 mai 1989 Avant18 Lukas Kuban 22 juin 1987 Défenseur19 Tomas Cihlar 24 juin 1987 Défenseur20 Tomas Frystak 18 août 1987 Gardien de but21 Tomas Micola 26 septembre 1988 Demi

Aux épreuves de sélection de l’équipe nationale, les entraîneursde soccer tchèques auraient bien pu dire à tous ceux qui étaient nésaprès le début de l’été de faire leurs bagages et de rentrer chez eux.

Le hockey et le soccer ne sont que des jeux, bien entendu, quiimpliquent quelques privilégiés. Mais ces mêmes et exacts préju-gés apparaissent aussi dans des domaines beaucoup plus détermi-nants, comme l’éducation. Les parents dont l’enfant est né à la finde l’année civile pensent souvent à retenir celui-ci avant le débutde la maternelle : il est difficile pour un enfant de cinq ans d’ensuivre un autre né plusieurs mois plus tôt. On soupçonne que pourla plupart des parents, le désavantage qu’affronte un jeune enfantà la maternelle finit par disparaître. Mais ce n’est pas le cas. C’estexactement comme au hockey. Il persiste un petit avantage initialque possède l’enfant né en début d’année sur celui né à la fin de

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l’année. Cela enferme les enfants dans des schémas basés sur des ré-sultats brillants et des résultats décevants, l’encouragement et ledécouragement, qui s’étalent sur des années.

Récemment, deux économistes – Kelly Bedard et ElizabethDhuey – ont examiné la relation entre le mois de naissance et lespointages dans ce qu’on appelle l’enquête TIMMS (pour Trends inInternational Mathematics and Science Study, ou Tendances interna-tionales de l’étude des mathématiques et des sciences) –, qui portesur les tests de mathématiques et de sciences administrés tous lesquatre ans à des enfants de nombreux pays du monde.

Chez les élèves de quatrième année, elles ont découvert que lesplus âgés avaient des résultats supérieurs à ceux des plus jeunes –en moyenne de 4 à 12 points de pourcentage. Pour ElizabethDhuey, cette différence a un « effet énorme ». Cela signifie que sion prend deux élèves de quatrième d’une capacité intellectuelleéquivalente, mais dont les dates de naissance sont aux extrémités op-posées de la date limite, l’élève plus vieux pourrait avoir des résul-tats de 80%, et le plus jeune de 68%. C’est à partir de cettedifférence qu’on détermine s’ils sont admissibles ou non à un pro-gramme pour surdoués.

«C’est tout comme dans le sport, dit la chercheuse Dhuey. Audébut de l’enfance, nous faisons du groupement par capacités. Nousavons des groupes avancés en lecture et en mathématiques. Ainsi,très tôt, avec les jeunes enfants, en maternelle et en première année,les enseignants confondent maturité et capacité. Et ils placent lesenfants plus âgés dans le groupe avancé, où ils développent de meil-leures aptitudes ; et l’année suivante, parce qu’ils forment desgroupes supérieurs, ils font encore mieux ; même chose l’année sui-vante, et là encore, ils se débrouillent encore mieux. Le seul paysoù nous ne décelons pas cette tendance est le Danemark. Leur po-litique nationale interdit le groupement par capacités jusqu’à l’âgede 10 ans. » Avant de prendre des décisions quant à la sélection, leDanemark attend que se soient aplanies les différences de matu-rité selon l’âge.

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Dhuey et Bedard ont refait la même analyse, cette fois en exa-minant les universités. Qu’ont-elles trouvé ? Dans les institutionsaméricaines offrant un programme de quatre ans – l’échelon le plusélevé de l’éducation postsecondaire –, les élèves les plus jeunes deleur tranche d’âge sont sous-représentés d’environ 11,6%. Cettedifférence initiale de maturité ne disparaît pas avec le temps. Ellepersiste. Et pour des milliers d’élèves, ce désavantage initial déter-mine s’ils iront ou non à l’université – et s’ils ont vraiment unechance d’accéder à la classe moyenne3.

«C’est ridicule, affirme Dhuey. Il est grotesque que notre choixarbitraire de dates limites provoque ces effets durables, et personnene semble s’en préoccuper. »

�En matière de réussite, songez un instant à ce que révèle ce lien

entre le hockey et les dates de naissance.

Il signifie que cette idée, selon laquelle les meilleurs et les plusbrillants atteignent le sommet sans effort, est simpliste. Oui, lesjoueurs de hockey qui s’élèvent jusqu’au rang professionnel sontplus talentueux que vous et moi. Mais ils disposent égalementd’une bonne longueur d’avance, d’une occasion qu’ils n’ont pas mé-ritée. Et cette occasion a joué un rôle crucial dans leur réussite.

Le sociologue Robert K. Merton a appelé ce phénomène l’« effetMatthieu», d’après le verset du Nouveau Testament de l’Évangileselon saint Matthieu : «Car à tout homme qui a, l’on donnera et ilsera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’ila lui sera retiré. » Autrement dit, ceux qui réussissent sont les plussusceptibles de recevoir le genre d’occasions particulières qui mè-nent à d’autres réussites. Ce sont les riches qui obtiennent les plus

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Les prodiges

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grandes réductions d’impôt. Ce sont les meilleurs élèves qui reçoi-vent le meilleur enseignement et le plus d’attention. Et c’est auxplus grands enfants de huit et neuf ans qu’on accorde le plus deséances d’entraînement.

La réussite est le résultat de ce que les sociologues aiment ap-peler l’« avantage cumulatif ». Le joueur de hockey professionnelconnaît un meilleur début que ses pairs. Et cette petite différencemène à une occasion qui augmente un peu cette différence, et cettemarge, à son tour, mène à une autre occasion, ce qui augmente en-core la différence initialement petite – et ainsi de suite, jusqu’à ceque le joueur de hockey soit un véritable prodige. Mais il n’en étaitpas un au départ. Il a juste connu un meilleur début.

La seconde implication de l’exemple tiré du hockey, c’est queles systèmes par lesquels nous déterminons qui est en avance nesont pas particulièrement efficaces. Nous croyons que le fait de for-mer le plus tôt possible des ligues d’étoiles et des programmes poursurdoués est la meilleure façon de nous assurer qu’aucun talent nenous échappe. Mais regardez de nouveau le tableau de l’équipe desoccer tchèque, présenté précédemment. Aucun des joueurs n’est néen juillet, en octobre, en novembre, ou en décembre, et un seul estné en août, et un en septembre. Ceux nés dans la seconde moitié del’année ont tous été découragés, négligés ou écartés du sport. Letalent d’environ la moitié de la population sportive tchèque a étégaspillé.

Alors, que faire si vous êtes un jeune athlète tchèque et quevous avez la malchance d’être né dans la dernière partie de l’année ?Vous ne pouvez pas jouer au soccer. Tout est contre vous. Donc,vous pouvez peut-être choisir l’autre sport qui obsède les Tchèques,le hockey. Bon, attendez. (Je crois que vous me voyez venir.) Voicile tableau de l’équipe de hockey junior de la République tchèquede 2007, qui a terminé cinquième aux championnats mondiaux.

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Chapitre un • L’effet Matthieu

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JOUEUR DATE DE NAISSANCE POSITION

1 David Kveton 3 janvier 1988 Avant2 Jiri Suchy 3 janvier 1988 Défenseur3 Michael Kolarz 12 janvier 1987 Défenseur4 Jakub Vojta 8 février 1987 Défenseur5 Jakub Kindl 10 février 1987 Défenseur6 Michael Frolik 17 février 1988 Avant7 Martin Hanzal 20 février 1987 Avant8 Tomas Svoboda 24 février 1987 Avant9 Jakub Cerny 5 mars 1987 Avant10 Tomas Kudelka 10 mars 1987 Défenseur11 Jaroslav Barton 26 mars 1987 Défenseur12 H.O. Pozivil 22 avril 1987 Défenseur13 Daniel Rakos 25 mai 1987 Avant14 David Kuchejda 12 juin 1987 Avant15 Vladimir Sobotka 2 juillet 1987 Avant16 Jakub Kovar 19 juillet 1988 Gardien de but17 Lukas Vantuch 20 juillet 1987 Avant18 Jakub Voracek 15 août 1989 Avant19 Tomas Pospisil 25 août 1987 Avant20 Ondrej Pavelec 31 août 1987 Gardien de but21 Tomas Kana 29 novembre 1987 Avant22 Michal Repik 31 décembre 1988 Avant

Ceux qui sont nés au dernier semestre de l’année feraient biend’abandonner aussi le hockey.

Voyez-vous les conséquences de notre façon de considérer laréussite ? À force de personnaliser le succès, nous ratons des occa-sions de soulever les autres jusqu’en haut de l’échelle. Nous créonsdes règles qui contrecarrent la réussite. Nous décidons prématuré-ment que certaines personnes ne feront rien de bon. Nous sommestrop admiratifs devant ceux qui réussissent et beaucoup trop en-clins à écarter ceux qui échouent. Et par-dessus tout, nous devenonsbeaucoup trop passifs. Nous négligeons le fait que notre rôle estconsidérable – et par « nous », j’entends la société – lorsque nousdéterminons qui réussit et qui échoue.

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Les prodiges

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Si nous le voulions, nous pourrions reconnaître l’importance desdates limites. Nous pourrions établir deux ou même trois ligues dehockey, selon les mois de naissance. Laisser les joueurs se dévelop-per sur des trajectoires distinctes, puis choisir les équipes d’étoiles.Si on donnait une chance égale à tous les athlètes tchèques et cana-diens nés à la fin de l’année, les équipes nationales tchèques et ca-nadiennes auraient soudainement un choix deux fois plus grand.

Les écoles pourraient faire de même. Les écoles primaires et se-condaires pourraient placer les élèves nés de janvier à avril dansune tranche, ceux nés de mai à août dans une autre, et ceux nés deseptembre à décembre dans la troisième. On pourrait laisser lesélèves apprendre et entrer en compétition avec d’autres élèves dumême degré de maturité. Ce serait un peu plus compliqué du pointde vue administratif, mais ce ne serait pas nécessairement coûteux,et cela égaliserait le terrain de jeu pour ceux qui – sans en être res-ponsables – ont été fortement désavantagés par le système éducatif.

Autrement dit, nous pourrions aisément prendre le contrôle dela machinerie de la réussite – non seulement dans le sport, maisaussi, comme nous le verrons, dans d’autres domaines plus déter-minants. Mais nous ne le ferons pas. Pourquoi donc ? Parce quenous nous accrochons à l’idée que le succès est une simple fonctiondu mérite individuel, et que le monde dans lequel nous grandissonstous et les règles que nous choisissons de promulguer en tant quesociété n’ont aucune importance.

�Avant le match final de la Coupe Memorial, Gord Wasden – le

père d’un des Tigers de Medicine Hat – était debout à côté de la pa-tinoire, à parler de son fils Scott. Il portait une casquette de baseballde Medicine Hat et un t-shirt noir aux couleurs de l’équipe.«Lorsqu’il avait quatre ou cinq ans, se rappelait Wasden, son petit

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Chapitre un • L’effet Matthieu

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frère était dans une marchette, il lui mettait un bâton de hockey dansla main, et tous deux jouaient sur le plancher de la cuisine, du matinau soir.

« Scott a toujours eu une passion pour ça. Il a joué dans deséquipes représentantes pendant toute sa carrière dans la ligue mi-neure. Il s’est toujours rendu jusque dans les équipes AAA. En pre-mière année peewee ou bantam, il jouait toujours dans la plus forteéquipe représentante. » Wasden était manifestement nerveux : sonfils était sur le point de livrer le plus grand match de sa vie. « Il aeu à travailler très fort pour en arriver là. Je suis très fier de lui. »

Tels étaient les éléments de la réussite de l’échelon le plusélevé : la passion, le talent et le travail ardu. Mais il y en avait unautre. QuandWasden a-t-il senti pour la première fois que son filsétait extraordinaire ? «Vous savez, il a toujours été grand pour sonâge. Il était fort, et très tôt, il a eu le don de marquer des buts. Etil a toujours été un peu exceptionnel pour son âge, un capitaine deson équipe... »

Grand pour son âge ? Bien sûr. Scott Wasden est né un 4 jan-vier, à trois jours de la date de naissance absolument parfaite pourun joueur de hockey d’élite. Il a eu de la chance. Si la date d’ad-missibilité au hockey canadien avait été plus tard dans l’année, ilaurait peut-être regardé le championnat de la Coupe Memorial àpartir des gradins, au lieu de jouer sur la glace.

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« Intuition fourmille de cas plus fascinantsles uns que les autres sur l’importancede la première impression. »Elle Québec

«Malcolm Gladwell est un excellentconteur. C’est en cela qu’il a du génie.Pour présenter les concepts qu’il puisedans tous les secteurs de l’activité humaine,il multiplie les anecdotes captivantes. »Time

Q uels points communs les Beatles ont-ils avec Bill Gates? En quoi

certaines vedettes de hockey doivent-elles leur succès à leur

date de naissance? Pourquoi les Asiatiques sont-ils si doués pour

les mathématiques? Pourquoi les avocats les plus riches et les plus puis-

sants de New York ont-ils à peu près le même CV? Comment expliquer

qu’en quelques années seulement, aux États-Unis, soient nées 20% des

plus grandes fortunes mondiales de tous les temps?

Loin d’être des phénomènes isolés, les prodiges, ces gens dont les triom-

phes dépassent largement l’expérience normale, participent à quelque

chose qui les dépasse. Ils doivent leur succès non pas à leur seul talent na-

turel ou à leur volonté de réussir, mais également à de nombreux facteurs

extérieurs : les circonstances, le timing, la culture, la famille, la classe

sociale, le lieu ou la date de naissance, les professeurs qu’ils ont eus... Leur

vie obéit à une logique particulière et inattendue et, en l’exposant claire-

ment, Malcolm Gladwell propose unmodèle fascinant et inusité qui permet

de mieux tirer parti du potentiel humain.

Avec Le point de bascule,Malcolm Gladwell a changé notre façon de com-

prendre le monde en se penchant sur les phénomènes de masse. Avec

Intuition, il a modifié notre conception de la pensée. Avec Les prodiges,

il nous aide à mieux comprendre comment se construit le succès.

Malcolm Gladwell a travaillé au

Washington Post de 1987 à 1996,

d’abord à titre de journaliste

scientifique, puis comme

correspondant en chef du bureau

de New York. Depuis 1996,

il collabore au magazine

The NewYorker.

Pour plus d’information, tapezwww.gladwell.com.

Rayons librairieGestion, affaires, psychologie

27,95 $ISBN 978-2-89472-402-6

Les prodiges

Lesprodiges

«Divertissant et nourrissantintellectuellement, Le point de basculevous entraînera dans l’univers fascinantdes épidémies sociales.Cet ouvrage est un petit bijou. »Les Affaires

«Avec éloquence, Malcolm Gladwell défendl’hypothèse voulant que des changementsmineurs, judicieusement conçus et mis enœuvre, puissent avoir des conséquencesmajeures dans la vie des gens. »Los Angeles Times Book Review

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©BROOKE

WILLIAMS

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