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Revue européenne des migrations internationales Les projets de transformation des Philippines en une colonie de peuplement espagnol (1881-1898) Xavier Huetz De Lemps Citer ce document / Cite this document : Huetz De Lemps Xavier. Les projets de transformation des Philippines en une colonie de peuplement espagnol (1881-1898). In: Revue européenne des migrations internationales, vol. 13, n°2,1997. pp. 47-62; doi : 10.3406/remi.1997.1549 http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1997_num_13_2_1549 Document généré le 07/06/2016

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Revue européenne desmigrations internationales

Les projets de transformation des Philippines en une colonie depeuplement espagnol (1881-1898)Xavier Huetz De Lemps

Citer ce document / Cite this document :

Huetz De Lemps Xavier. Les projets de transformation des Philippines en une colonie de peuplement espagnol (1881-1898).

In: Revue européenne des migrations internationales, vol. 13, n°2,1997. pp. 47-62;

doi : 10.3406/remi.1997.1549

http://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1997_num_13_2_1549

Document généré le 07/06/2016

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RésuméLes projets de transformation des Philippines en une colonie de peuplement espagnol (1881-1898).Xavier HUETZ DE LEMPSEn dépit de l'absence de toute tradition migratoire notable entre la péninsule Ibérique et l'archipelphilippin, ce dernier pouvait en théorie offrir une solution alternative aux émigrants espagnols, surtout àpartir de l'ouverture du canal de Suez et de la prise de conscience, par les autorités et l'opinion de lamétropole, de l'importance des flux migratoires espagnols.Dans les années 1880 et 1890, de nombreuses voix se font entendre, à Madrid comme à Manille, pourdéfendre l'idée d'un détournement vers les Philippines des flux migratoires orientés vers des paysd'Europe, d'Afrique du Nord ou d'Amérique latine : les travailleurs espagnols immigrés aux Philippinespourraient ainsi mettre en valeur, pour le plus grand profit de la nation, des terres réputées fertiles etsous-exploitées ; terres où ils affirmeraient et défendraient, au besoin, la présence espagnole.L'implantation réussie de nombreuses familles espagnoles aux Philippines dépendait cependant dusoutien actif de l'administration espagnole tant en péninsule que dans la colonie. Or, cette dernièrerefuse son aide à tout projet d'une certaine ampleur et surveille même étroitement l'émigration libre.L'administration coloniale a peur que des migrants d'une moralité douteuse diffusent une bienmauvaise image de l'Espagnol au sein de la population indigène. De plus, elle pense que l'hostilité dumilieu d'accueil et en particulier du climat risque d'entraîner un échec dont l'administration, lesimmigrants malchanceux et le Trésor royal subiront les conséquences.

ResumenProyectos que tienden a hacer de las islas Filipinas una colonia de poblamiento español (1881-1898).Xavier HUETZ de LEMPSA pesar de no existir una tradición migratoria de consideración entre la peninsula ibérica y elarchipiélago filipino, este último podía en teoría ofrecer una alternativa a los emigrantes españoles,sobre todo a partir de la apertura del canal de Suez y en el momento en que las autoridades y laopinión española percibieron la importancia de las corrientes migratorias españolas.En los años 1880 y 1890 numerosas voces se elevaron en Madrid así como en Manila parapromocionar la idea de que las corrientes migratorias que se orientaban hacia los países de Europa,de Africa del norte o de Suramérica, se orientasen hacia Filipinas : los trabajadores peninsulares queinmigraban a Filipinas podrían cultivar, para el mayor beneficio de España, tierras fértiles einsuficientemente trabajadas ; tierras donde, dándose el caso, afirmarían y defenderían la presenciaespañola.El que esta implantación de numerosas familias españolas se hiciera con éxito dependía del apoyoeficaz de la administración española tanto en la metrópoli como en la colonia. Pero esta última niegasu ayuda a todo proyecto que pueda adquirir cierta amplitud y además vigila celosamente todaemigración libre.La administración terne que emigrantes de mala fama propagen entre la población indígena unaimagen indeseable del Español. Además, terne que la inhospitalidad del país de acogida y sobre tododel clima sean una causa del fracaso de la operación. En cual caso, la administración, los emigrantesfracasados y el Tesoro pagarían las consecuencias.

AbstractPlans for the Changing of the Philippines into a Colony of Spanish Settlement (1881-1898)Xavier HUETZ DE LEMPSIn spite of the lack of any noticeable migratory tradition between the Iberian peninsula and the Filipinoarchipelago, the latter could in theory offer an alternative solution to Spanish immigrants, especiallysince the opening of the Suez canal and the awareness by the authorities and the opinion of themother country of the importance of Spanish migrations.In the 1880s and 1890s, numerous voices arise, in Madrid like in Manila, to defend the idea of adiversion to the Philippines of the migrations towards European countries, North African or LatinAmerican ones : the Spanish workers who immigrated in the Philippines could thus give moreimportance, for the benefit of the nation, to lands considered as fertile and underexploited ; landswhere they could stress and stand up for Spanish occupation, if necessary.

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Nevertheless the successful settling of numerous Spanish families in the Philippines depended on theactive support of the Spanish administration both in the peninsula and in the colony. Yet the latter refuses tosupport any sizable plan and even keeps a close eye on free immigration.The colonial administration fears that immigrants of loose morals might spread a very bad image ofSpaniards within the native population. Besides they think that the hostile new land and particularly theclimate might entail a failure which the administration, the unlucky immigrants and the Royal public revenuewill suffer from.

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Revue Européenne des Migrations Internationales, 1997 ( 13) 2 pp. 47-62 47

Les projets de transformation

des Philippines en une colonie

de peuplement espagnol (1881-1898)

Xavier HUETZ DE LEMPS

Au cours des trois siècles de la domination espagnole aux Philippines, les colons, toutes origines et toutes fonctions confondues, ont toujours été très peu nombreux. Ni la disparition du galion de Manille1, en 1815, ni l'ouverture du canal de Suez, en 1869, ne s'accompagnent de la mise en place d'un courant migratoire puissant entre la péninsule Ibérique et les Philippines. A la veille de l'insurrection de 1896, les Espagnols sont un peu plus de 20 000 (12 000 à 14 000 Espagnols originaires de métropole — peninsulares — et 8 000 créoles) pour une colonie qui compte sans doute entre 7 et 8 millions d'habitants2. La majorité de ces Espagnols sont soit des migrants très temporaires comme les fonctionnaires ou les militaires qui restent quelques années

CMMC, Université de Nice-Sophia-Antipolis, 98 bd. E.-Herriot. BP 209 06204 Nice cedex 3. Cet article reprend et complète une communication au XVIIIe Congrès International des Sciences Historiques de Montréal, 27/08 au 03/09 1995 (Commission Internationale d'Histoire des Relations Internationales, séance consacrée à « La zone du Pacifique dans l'histoire des relations internationales (du XVIIIe siècle à l'époque contemporaine) ». Le galion de Manille est un système économique mis en place dès 1565. Chaque année, un navire part des Philippines chargé de produits asiatiques, en particulier de la soie chinoise brute ou élaborée. Les marchandises sont vendues à Acapulco et le galion revient aux Philippines avec, d'une part, les bénéfices de la vente qui permettent à la communauté espagnole de Manille de survivre et, d'autre part, avec une aide en argent mexicain, le situado, qui finance l'administration civile, religieuse et militaire de la colonie. Ce système connaît une crise profonde à la fin du XVIIIe siècle. Il est finalement supprimé en 181 5 et les Philippines sont graduellement ouvertes au commerce international à partir de 1789. Cette libéralisation entraîne une très forte expansion de l'agriculture commerciale de l'archipel. « La emigraciôn espanola a Filipinas. » Boletin de la Sociedad Geogrâfica, t. XXVII, 1889, p. 200-207, p. 205 ; Canga-Argùelles, (Felipe) « Inmigracion espanola al sur de Filipinas. » Boletin de la Sociedad Geogrâfica, t. XXIV, 1888, p. 201-233, p. 212 ; Filipinas : problema fundamental por un espanol de larga residencia en aquellas islas. Madrid : imp. de D. Luis Aguado, 1891,60 p., p. 15.

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48 Xavier HUETZ DE LEMPS

dans l'archipel, parfois seulement quelques mois, avant de retourner en métropole, soit des membres du clergé régulier qui ne sont pas appelés à laisser une descendance dans l'archipel. De plus, les Espagnols, métropolitains ou créoles, se concentrent dans la ville de Manille : on ne rencontre dans les provinces — en dehors de quelques centres urbains comme Cebù, Iloilo et surtout Cavité — que quelques dizaines d'Espagnols par province. Cette très faible implantation des Espagnols tranche singulièrement avec l'Amérique et les Antilles espagnoles3 mais elle est, en revanche, comparable au cas des Hollandais dans les Indes Néerlandaises, au moins pour les XVIIe et XVIIIe siècle4, ou à celui des Britanniques à Singapour5.

Dès le XVIIe siècle, des observateurs se sont épisodiquement étonnés, souvent alarmés de cette faiblesse numérique mais il faut attendre les vingt dernières années de la présence espagnole pour que le problème des courants migratoires entre la métropole et sa colonie fasse l'objet d'un véritable débat. Ce tardif réveil est dû à des facteurs internes à la colonie — nous aurons l'occasion de les analyser plus loin — mais surtout à une prise de conscience globale des problèmes migratoires en péninsule, prise de conscience elle-même liée au massacre de Saïda (en fait Khalfallah). En juin 1881, Bou-Amana se soulève dans le Sud-Oranais et massacre plusieurs dizaines d'ouvriers immigrés espagnols. Cet événement choque profondément l'opinion espagnole, en péninsule comme aux colonies6 : les observateurs et en particulier les journalistes, l'opinion publique et à un degré moindre le gouvernement prennent conscience de l'ampleur de l'hémorragie de bras vers des terres étrangères et des conditions de vie et

3. L'île de Cuba, à la fin des années 1860, compte 792 118 Blancs et seulement 602 285 personnes de couleur (Apuntes interesantes sobre las islas Filipinas, que pueden ser utiles para hacer las reformas convenientes y productivas para el pais y para la Nation, escritos por un espanol de larga experiencia en el pais y amante del progreso. Madrid : Imp. de El Pueblo, 1870,281 p., p. 13-14).

4. Les Européens représentent 5 % de la population de Batavia à la fin du siècle. Il convient cependant de remarquer que le XIXe siècle est marqué par une forte progression de la population européenne en Indonésie et que la communauté blanche est moins concentrée dans la capitale de la colonie qu'aux Philippines (Lombard Denys) Le carrefour javanais. Essai d'histoire globale. Tome I : Les limites de l'occidentalisation. Paris : Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1990, 267 p., p. 57 et 66 ; Jessup (Helen) « Les villes indonésiennes devant le colonialisme. » Urbi, vol. V, 1982, p. 71-77, p. 71 ; Susan Abeyasekere Jakarta. A History. Singapour, Oxford, New York : Oxford University Press, 1987, XVII + 280 p., p. 61).

5. A Singapour, en 1860, on ne recense que 500 Européens (dont 271 adultes britanniques) dans une ville de 81 000 habitants (C. M. Turnbull A History of Singapore 1819-1988. Singapour, Oxford, New York : Oxford University Press, 1989 (2e éd. ), XVI + 388 p., p. 36, 38 ; Goldblum (Charles) «Singapour (1819-1986) : émergence de la ville moderne et mythe rural.» Archipel (Villes d'Insulinde I), vol. XXXVI, 1988, p. 227-245, p. 233).

6. Moya y Jimenez (Francisco Javier de - ) Las islas Filipinas en 1882. Estudios histôricos, geogrâficos, estadisticos y descriptivos. Madrid : Est. Tip. de El Correo, a cargo de F. Fernandez, 1883, 362 p., p. 91 ; Lacalle y Sanchez, (José de - ) La emigration espanola y el archipiélago filipino. Granada : Imp. de I. Ventura Sabatel, 1881, 16 p., p. 4 ; Vilar (Juan Bautista) « Quelques conséquences en Espagne du soulèvement algérien de 1881 (dans les courants migratoires hispano-algériens et dans les relations hispano-françaises) ». Mélanges de la Casa de Velazquez, t. XIX/1, 1983, p. 275-291, p. 281, 283-284.

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de travail des émigrés en Algérie comme en Amérique du Sud. Les critiques pleuvent contre un gouvernement incapable de protéger les citoyens expatriés7. Tous les esprits soucieux de l'avenir de l'Espagne prennent position et proposent des solutions et de nouveaux exutoires pour le trop-plein démographique de la métropole.

Ce débat des années 1881-1898 a laissé d'importantes traces documentaires de tous types : articles de presse en métropole comme aux Philippines, publication d'ouvrages consacrés à ce sujet. Le problème de l'immigration espagnole aux Philippines devient un point de passage obligé de toute étude « sérieuse » sur l'archipel. Les observateurs se partagent nettement en deux camps : ceux qui sont partisans d'une immigration massive de péninsulaires aux Philippines et ceux qui conseillent la plus grande prudence. De nombreux documents d'archives, enfin, nous renseignent sur l'attitude du pouvoir colonial qui doit arbitrer les débats.

L'ELABORATION DES PROJETS : LA MIGRATION COMME PANACÉE

Pour les partisans d'une véritable immigration de peuplement, le détournement du flot de migrants vers les colonies et plus spécialement les Philippines est présenté comme un véritable devoir national : l'Etat espagnol doit épargner aux citoyens contraints de s'expatrier les désillusions et ],' exploitation par des agences de recrutement et des sociétés étrangères ; il ne peut laisser plus longtemps la sueur des travailleurs émigrés enrichir des terres étrangères. Au sein de l'empire colonial espagnol, les Antilles espagnoles reçoivent déjà un contingent important d'Espagnols métropolitains, mais les Philippines, au contraire, sont un véritable désert hispanique et l'implantation des migrants n'aurait, selon certains, que des avantages.

Elle permettrait tout d'abord l'expansion économique de la colonie. Depuis la fin du X VIIIe siècle, l'archipel a connu un fort développement de son commerce, de son agriculture et de certaines industries, en particulier celle des tabacs depuis la disparition du monopole de l'Etat en 1881-1883. Dans ce contexte de bonne santé relative, les immigrés espagnols auraient de bonnes possibilités d'emploi et d'insertion dans la société coloniale d'accueil. De plus, les Philippines ont, pour la plupart des auteurs espagnols, d'immenses possibilités de développement. Le thème du sous- peuplement relatif de l'archipel et de la pénurie de main-d'œuvre sont des leitmotive des ouvrages de la fin du siècle et, parallèlement aux projets de migrations espagnoles, fleurissent de nombreuses études sur « l'importation » éventuelle de travailleurs chinois, indiens, japonais ou tonkinois. . .

Les Philippines, sous la plume des auteurs favorables à l'immigration de masse, sont présentées comme un véritable eldorado où de vastes étendues de terres aussi fertiles que vierges, où des mines encore à peine explorées n'attendent que des

7. Vilar, op. cit., p. 281-284.

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bras décidés pour être mises en valeur. L'ensemble de la colonie profiterait du travail des pionniers venus de métropole : le trésor colonial verrait indirectement ses revenus augmenter et ces Blancs aussi efficaces qu'industrieux serviraient de vecteurs de l'innovation technique, de modèles et d'aiguillons à des indigènes invariablement présentés comme aussi routiniers que paresseux8... Enfin et bien sûr, ce projet ferait le bonheur des milliers de familles de paysans pauvres que compte la péninsule : elles pourraient enfin réaliser leur rêve de devenir propriétaires d'un lopin de terre.

Le projet a aussi des objectifs politiques. Les immigrés permettraient de se passer des services des Chinois et des Anglais, accusés de coloniser sournoisement les Philippines, ou des Japonais, jugés expansionnistes9... Les colons espagnols installés aux Philippines constitueraient un noyau loyaliste dans une colonie déjà agitée par les nationalistes philippins. En cas d'insurrection, on pourrait lever des milices susceptibles de prêter main forte aux maigres effectifs des troupes européennes10. A plus long terme, ces noyaux de population blanche diffuseraient dans les populations autochtones les valeurs nationales, la culture hispanique et le castillan, grâce au simple contact et, éventuellement, grâce à des mariages mixtes11.

De plus, les fronts pionniers mis en culture par les immigrés espagnols permettraient d'affirmer la domination espagnole sur des terres occupées par des peuplades mal soumises ou sur des contrées dont le faible peuplement pourrait éveiller l'appétit d'une puissance européenne avide de se procurer une place au soleil de ces latitudes. Un rapide tour d'horizon de la localisation des colonies agricoles projetées montre qu'elles répondent à la première, à la seconde ou aux deux conditions énoncées : les îles de Mindanao, Jolo (SVLV), Mindoro et de la Paragua (Palawan), les montagnes du centre-nord de Luçon ou la vallée de Cagayan (dans les plantations qui se mettent en place avec la suppression du monopole des tabacs en 1881)12.

8. Canga-Argiielles, op. cit., p. 213 ; Lacalle y Sanchez, op. cit., p. 9 ; Sastron Manuel, Colonization de Filipinas. Inmigraciôn peninsular. Manila-Malabon : Est. Tip. Lit. del Asilo de Huérfanos, 1897, 115 p., p. 60-61 ; Scheidnagel Manuel, El archipiélago de Legaspi. Estudios acerca de nuestro imperio oceânico Madrid : Est. Tip. de R. Angulo, 1890, 320 p., p. 263-264.

9. Filipinas : problema fundamental..., op. cit., p. 48-50 ; Archivo Histôrico Nacional (Madrid, AHN) carton n° 611, dossier (#) n° 290 ; Canga-Argiielles, op. cit., p. 204 ; Lacalle y Sanchez, op. cit., p. 10.

10. « La emigraciôn espanola a Filipinas », op. cit., p. 205 ; Filipinas : problema fundamental... op. cit., p. 53.

11. AHN n° 611, #290 ; Lacalle y Sanchez, op. cit., p. 10. 12. Filipinas : problema fundamental... op. cit., p. 48 ; Retana Wenceslao Emilio, Mando del

General Weyler en Filipinas. 5 de Junio de 1888, 17 de noviembre de 1891. Apuntes y documentos para la historia polùica, administrativa y militar de dichas islas. Madrid : M. Minuesa de los Rios, 1896, XXIII + 437 p., p. 287 ; AHN n° 611, #290 ; Philippine National Archives (Manille, PNA) dossier Inmigrantes, 1885 ; AHN n° 5361 lettre du 07/07/1897 au Ministère d'Outre-Mer ; PNA Inmigrantes, 09/04/1885 ; AHN n° 612, #1 ; Recur Carlos, Filipinas. Estudios administrativos y comerciales. Madrid : R. Moreno y Rojas, 1879, 135 p., p. 65.

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En ces années 1880-1890, la fondation de cette « nouvelle Australie »13 semble à portée de mains. L'ouverture du canal de Suez, la mise en service de vapeurs toujours plus performants permettent des liaisons relativement rapides (30 jours) et relativement bon marché. De savants calculs démontrent que l'opération du transport et de l'installation de milliers de migrants serait non seulement réalisable mais rentable... à moyen terme, tout de même. Un seul obstacle pourrait entraver le projet de colonisation de peuplement : le manque de candidats. Or, les dossiers conservés aux archives de Madrid ou de Manille montrent que si l'offre est encore inexistante, la demande est forte dès le début des années 1880. Au cours de nos recherches nous avons relevé 10 dossiers portant sur un projet de migration en groupe vers les Philippines et la liste n'est sans doute pas exhaustive.

Il serait trop long de résumer chacune de ces requêtes envoyées aux autorités espagnoles. Remarquons qu'elles proviennent de trois origines différentes : l'Afrique du Nord (4 cas14), l'Amérique du Sud (4 cas15) et enfin de la péninsule (2 cas16). Il s'agit donc dans les deux premiers cas d'une réémigration, les expatriés étant déçus par leur expérience algérienne17 ou argentine mais aussi vraisemblablement aguerris et prêts à se diriger vers des terres d'émigration moins « classiques ». Chronologiquement, la première demande de l'échantillon est étroitement liée aux événements de Saïda (pétition rédigée par Vicente Ortiz au nom de 8 familles, le 21 juillet 1881) mais même après le début de la révolution philippine (1896) des Espagnols continuent de faire acte de candidature. L'objet de ces lettres est simple18 : les candidats à l'émigration collective vers les Philippines demandent l'autorisation et surtout l'aide de l'Etat pour le transport et éventuellement l'installation dans la colonie. Les signataires affirment être les représentants d'un nombre variable de familles (de 8 à... 20 000), le chiffre le plus fréquent avoisinant la centaine. Ces pétitions permettent de souligner deux points intéressants : d'une part, l'information circule assez vite et assez bien dans les communautés espagnoles expatriées et, d'autre part, cette volonté de réémigration vers les Philippines semble indiquer que les migrants connaissent de réelles difficultés dans le contexte de crise économique qui marque, en Amérique du Sud, la fin du XIXe siècle. Dans ces conditions, quelques succès initiaux et une habile publicité suffiraient

13. Filipinas : problema fundamental... op. cit. p. 55. 14. Pétition de Vicente Ortiz (21/07/1881, AHN n° 612, #1 ; voir aussi Vilar, op. cit., p. 283) ;

pétition du 07/07/1882 (AHN n° 612, #1) ; pétition de Juan Andreu (07/02/1889, AHN n° 612, #1) ; proposition de la Chambre de Commerce espagnole d'Alger et de Constantine (24/06/1895, AHN n° 611, #290).

15. Pétition de trois ingénieurs agronomes résidant à Buenos Aires (14/11/1895, AHN n° 611, #290 ; pétition de Juan Bautista Romero (Buenos Aires, 28/06/1891, AHN n° 611, #290) ; pétition d'un groupe représentant 20 000 familles espagnoles émigrées en Amérique latine (27/08/1896, AHN n° 611, #290) ; pétition de familles de Buenos Aires (18/09/1896, AHN n° 611, #290).

16. Pétition signée à Padules (province d'Almeria, 15/07/1888, AHN n° 5272, #3) et pétition signée à Grenade (09/09/1889, AHN n° 5271 #1) .

17. Des milliers de travailleurs espagnols installés en Algérie demandent leur rapatriement après les événements de Saïda (Vilar, op. cit., p. 281).

18. La plupart empruntent la voie hiérarchique des réseaux consulaires ou des gouverneurs de province.

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à faire entrer le courant migratoire dans un cercle vertueux, les réseaux mis en place nourrissant à leur tour le flux de migrants. D'emblée, les plus optimistes voient même plus large : un projet de l'administration coloniale du 5 mars 1885 table sur 1 000 familles par an pendant 10 ans et le journaliste Felipe Canga-Arguëlles, promoteur d'une compagnie de colonisation de Palawan, promet d'installer 20 000 à 30 000 familles19. Devant le succès assuré du recrutement, on pourrait même s'offrir le luxe de la sélection : ainsi les Canariens sont jugés les plus aptes à l'adaptation au milieu philippin, après les Levantins et les Galiciens20.

L'ELABORATION DES PROJETS : L'INDISPENSABLE

SOUTIEN DES POUVOIRS PUBLICS.

Toutes les conditions semblent donc réunies pour la mise en place d'un courant migratoire entre la métropole et les Philippines. Cependant, il ne s'agit pas d'encourager des réseaux existants mais de mettre en place, ex nihilo, des structures, en Péninsule ibérique, en Algérie, en Argentine comme aux Philippines, pour canaliser, transporter, installer de nombreux immigrants agricoles dans les colonies implantées sur des fronts pionniers de l'archipel philippin. Une telle tâche, comme le soulignent toutes les pétitions et tous les plans de colonies de peuplement élaborés en métropole ou aux Philippines, ne peut être menée à bien sans le concours actif des pouvoirs publics dans toutes les phases du projet.

Il faudrait tout d'abord que l'administration espagnole en métropole et les consulats à l'étranger informent les candidats à l'exil sur les possibilités offertes par les Philippines : à l'exception de quelques récits de voyage et de très rares articles de presse, la population ignore à peu près tout des réalités philippines21. Il conviendrait aussi d'assouplir le cadre législatif migratoire. L'Etat devrait aussi subventionner le transport : même si en 1881 le Marqués de Campo22 propose de transporter gratuitement sur ses vapeurs 300 familles réfugiées en Espagne après les massacres de 188123, le trajet jusqu'aux Philippines représente un investissement hors de portée de la très grande majorité des migrants potentiels. Aux Philippines même, la tâche du pouvoir colonial serait primordiale pour la réussite des projets. Il devrait assurer la sécurité des colons grâce à des détachements militaires, concéder des terres et surtout préparer le terrain pour que les colons puissent se mettre immédiatement au travail : assurance de la salubrité et de la viabilité ; construction de maisons et de bâtiments d'intérêt général (église, école, éventuellement unités de transformation des productions agricoles) ; fourniture de semences, d'outillage, d'animaux de labour et de ravitaillement jusqu'à la première récolte. Les futurs colons disposeraient aussi d'un

19. PNA Inmigrantes et Canga-Argùelles, op. cit., p. 21 1-212. 20. Canga-Argùelles, op. cit., p. 220 ; Retana, op. cit., p. 287 ; AHN n° 611, #290. 21. Moya y Jimenez, op. cit., p. 92. 22. Ce très riche banquier originaire de Valence possède une imposante flotte de vapeurs qui

relient la péninsule Ibérique à Cuba et aux Philippines. 23. AHN n° 5307 #110.

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Les projets de transformations des Philippines 53

certain nombre de privilèges destinés à les attirer : exonérations fiscales pendant les premières années, dispense de service militaire, droit de port d'armes24. En théorie, il ne s'agit que d'avances : le colon rembourserait peu à peu l'Etat et l'accession à la propriété serait subordonnée au remboursement des prêts en espèces et en nature.

La réussite pratique de l'émigration massive et durable des Espagnols est donc entre les mains de l'Etat. Or, l'extrême prudence de ce dernier tranche singulièrement avec le ton fréquemment triomphant des promoteurs des projets de colonisation et des défenseurs de l'émigration espagnole : l'Etat espagnol a parfaitement compris le caractère éminemment politique des migrations et les implications de tous ordres qu'entraînerait son engagement dans ce dossier.

L'ECHEC DES PROJETS : L'EXTREME RESERVE

DES POUVOIRS PUBLICS

Dans un premier temps, le gouvernement semble disposé à soutenir la création d'un courant migratoire vers les Philippines. L'ordonnance royale du 31 décembre 1881 demande au gouverneur général des Philippines de réunir des informations sur le problème de l'immigration espagnole dans l'archipel et de créer un centre de promotion de l'émigration (Centro Promovedor de la Emigration, il s'agirait plutôt d'immigration...). Ce dernier serait chargé de réunir et de diffuser les offres d'emploi des propriétaires fonciers (en liaison avec les gouverneurs de péninsule et les consuls), d'organiser le transport des travailleurs vers les plantations et, enfin, de surveiller le respect des contrats de travail25.

Cependant, cette décision a priori encourageante semble avoir été prise sous la pression des événements de Saïda, sans doute pour calmer l'opinion. Ce texte porte les marques de la précipitation et de la plus complète ignorance des réalités philippines : le Ministère d'Outre-Mer semble croire que de nombreux propriétaires fonciers espagnols mettent en valeur l'archipel, comme à Cuba, alors qu'ils ne sont qu'une poignée aux Philippines. Dans un second temps, l'attitude du gouvernement est beaucoup plus réservée : la pétition de Vicente Ortiz qui était à l'origine de l'initiative de décembre 1881 est rejetée sous prétexte que le nombre de familles n'est pas suffisant et qu'elles ne comportent pas deux tiers d'agriculteurs. Par la suite, rien n'est fait, jusqu'en 1898, pour aider les projets d'émigration péninsulaire et les tentatives d'ouverture de fronts pionniers blancs dans l'archipel. L'émigration libre n'est pas entravée mais elle est très rarement encouragée26. Les autorités ne semblent pas avoir répondu à la majorité des

24. Canga-Argiielles, op. cit., p. 221-222 ; AHN n° 61 1, #290 ; AHN n° 612, #1. Nous reprenons ici les points essentiels et communs à tous ces projets.

25. PNA Inmigrantes, 1889. 26. L'administration fait preuve de beaucoup de compréhension pour les situations individuelles

ou familiales difficiles : les veuves, les épouses séparées de leur mari, les orphelins voient souvent l'Etat leur offrir un billet pour aller aux Philippines ou au contraire pour en revenir. En revanche, aucune demande individuelle de transport gratuit formulée par des travailleurs ne semble avoir été prise en compte (voir les dossiers du carton AHN n° 5272).

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pétitions et s'appuient de façon très spécieuse sur le texte de 1881 pour rejeter ou ne pas prendre en compte les demandes en affirmant que le gouvernement ne dispose pas d'assez d'informations sur le problème...

En fait, la ligne de conduite du gouvernement, dès le milieu des années 1880, est simple et ne change plus par la suite : l'Etat peut éventuellement concéder des terres pour créer des centres de colonisation mais il ne doit en aucun cas intervenir dans l'organisation des courants migratoires qui est du ressort du secteur privé27. Cette extrême prudence s'explique par les avis pour le moins tièdes rendus par les organes consultatifs de métropole (avis du Conseil d'Etat, le 22 janvier 1884 et du Conseil d'Outre-Mer, le 11 mai 1887)28. Plus grave encore, l'administration de la colonie ne montre guère d'enthousiasme et le télégramme envoyé par le Gouverneur Général Primo de Rivera résume bien cette attitude : Je considère, comme les autorités centrales, que l'immigration aux Philippines de familles de journaliers n'a n' aucun intérêt économique et qu'elle peut porter préjudice à la colonie19. L'éventualité d'une forte immigration péninsulaire n'est pas pour autant totalement et unanimement rejetée. En 1888, le Gouverneur Général Weyler se propose d'organiser l'immigration de quelques dizaines de familles canariennes mais son projet se heurte au refus de la métropole30. En 1896, a lieu le premier essai officiel de colonisation agricole par une famille originaire de métropole à Mindanao : les 6 personnes de la famille d' Alejandro Anido sont installées à Parang-Parang avec le soutien de l'armée31. Plus significatif encore, le gouverneur général, en 1897, alors que les Philippines sont en pleine révolution, envisage d'installer de robustes soldats péninsulaires à côté de Zamboanga (colonie de San Ramôn) pour étudier leur comportement et, éventuellement, créer une colonie d'anciens militaires dans les montagnes du centre de Luçon (districts de Lepanto et Benguet)32. Ces timides initiatives n'annoncent pas un revirement de l'attitude des autorités et le gouverneur général promoteur du dernier projet cité affirme que l'immigration péninsulaire aux Philippines est (...) un des problèmes que je considère comme les plus difficiles et les plus complexes à résoudre et une question où la circonspection est préférable à la précipitation^ . Les arguments avancés par les autorités ou par certains observateurs pour expliquer leurs réticences à encourager l'immigration ont, il est vrai, un certain poids et ils nous révèlent quelques facettes de la mentalité des milieux coloniaux espagnols aux Philippines.

27. PNA Inmigr antes, 1889. 28. PNA Inmigrantes, 1889 ; AHN n° 307 #110. 29. AHN n° 612, #1. Les traductions sont de l'auteur. 30. AHN n° 611 #290. 3 1 . PNA Inmigrantes. 32. AHN n° 5361, lettre du 07/07/1897 au Ministère d'Outre-Mer. 33. AHN n° 5361, lettre du 07/07/1897 au Ministère d'Outre-Mer.

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L'ÉCHEC DES PROJETS : DES RISQUES POLITIQUES

TROP IMPORTANTS

Les adversaires de l'immigration massive en provenance de la métropole mettent tout d'abord en avant des considérations d'ordre politique et social. Leur raisonnement se fonde sur un axiome : la soumission des indigènes à la domination espagnole s'expliquerait par le profond respect que les Philippins auraient pour les Blancs. Ce respect serait dû à la reconnaissance par les indigènes de la supériorité morale et sociale de l'Espagnol. Or, l'arrivée massive de misérables immigrants risquerait de lézarder ce pilier de la domination coloniale :

Tout le monde sait que notre domination sur les Philippines repose sur la supériorité de la race blanche sur la race indigène ; sans cette supériorité il nous serait impossible de nous maintenir dans l'archipel et, par conséquent, il est fondamental de la préserver. Tous les Espagnols ont une position sociale supérieure à celle des indigènes (...). La supériorité du blanc doit être préservée à tout prix sous peine de perdre le pays ; ainsi, si l'on faisait venir des colons, qui seraient selon toute vraisemblance ce que l'on peut trouver de pire en métropole, et si ces derniers, faute d'une surveillance assez étroite, faisaient étalage de leurs vices, on peut se demander quelle opinion auraient les indigènes de ces colons34.

En cas de migration de masse, l'image de marque des Blancs risque de se dégrader profondément dans deux domaines. Au niveau social, les indigènes pourraient se rendre compte que la métropole n'est même pas assez riche pour nourrir tous ses fils et qu'elle est bien éloignée de cette image d'eldorado que les Espagnols croient bien ancrée dans les mentalités philippines. L'élite indigène verrait, sans doute avec délice, qu'elle est souvent bien plus riche qu'une partie de la « race supérieure ». Les pauvres indios, métis chinois ou chinois constateraient que l'Espagnol n'habite pas « naturellement » dans de belles maisons et ne se déplace pas toujours dans de belles voitures. On pourrait même assister au triste spectacle d'ouvriers agricoles blancs employés par des propriétaires indios ou des métis chinois :

(...) ce respect, ce prestige et cette supériorité disparaîtraient à partir du moment où un seul, vingt ou cent journaliers espagnols travailleraient dans le domaine d'un indio35 ou d'un métis et leur serviraient d'employés ou de domestiques (. . .)36

34. Marqués de Reinosa « Algunas observaciones prâcticas sobre colonizacion. » Boletin de la Sociedad Geogrâfica, t. XXXIII, 1892, p. 183-196, p. 194-195.

35. Les Indios ou naturales sont les autochtones d'origine malaise qui n'ont pas mêlé (au moins en théorie) leur sang avec les Européens ou les Chinois.

36. Rapport de la Direcciôn General de Administration Civil du 28/09/1883 (AHN n° 612, #1). Voir aussi PNA, Immigrantes, 10/03/1891.

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La solution pourrait être de contraindre les ouvriers à travailler uniquement pour des propriétaires terriens espagnols mais le très faible nombre d' hacendados espagnols aux Philippines interdit d'envisager sérieusement cette éventualité37.

Dans le domaine de la domination morale, on risque fort de voir se mettre en place un « monde à l'envers » du même type. Comme le veut un vieux cliché, les autorités pensent que ceux qui quittent la métropole appartiennent souvent à la lie de la population ou tout au moins que des individus à la moralité douteuse pourraient se mêler aux familles d'agriculteurs et profiter, dans la colonie, de leur statut d'Espagnol pour abuser de la situation. Deux dangers guettent donc la société coloniale : d'une part, les indigènes pourraient être choqués par l'immoralité de ces blancs et, d'autre part, ils pourraient être pervertis par simple mimétisme, les autorités coloniales étant persuadées que les indigènes sont privés de toute capacité de jugement et imitent servilement leurs « maîtres » pour le meilleur et pour le pire... Dans tous les cas de figure, les autorités coloniales se verraient obligées de surveiller étroitement les travailleurs immigrés et de châtier très durement la moindre faute, soulignant ainsi indirectement que tous les Espagnols ne sont pas parfaits38... Bien sûr, on espère que les familles de petits propriétaires — qui seraient en tout état de cause les seules autorisées à s'établir dans la colonie — offriraient des garanties de moralité bien supérieures à celle des jeunes journaliers célibataires mais le risque d'un bouleversement des fragiles rapports ethniques et sociaux entre colonisateurs et colonisés reste grand39. Ce discours à première vue strictement colonial est intimement lié à des préjugés sociaux nés en Europe. Les immigrants appartenant à la classe laborieuse sont par nature dangereux parce qu'ils ont pris en métropole de mauvaises habitudes revendicatives et les autorités coloniales frissonnent à l'idée d'une grève ou d'une révolte des ouvriers espagnols aux Philippines40.

Les adversaires de l'immigration de masse en concluent qu'il convient de continuer à sélectionner individuellement les migrants. Ces derniers, comme dans le passé, devront donner des gages de leur moralité, de leur fortune et de leur qualification professionnelle avant d'être autorisés à s'établir dans la colonie, un Espagnol déjà installé aux Philippines se portant garant des informations produites par le candidat à l'immigration. Au fond, l'artisan, l'industriel ou l'ouvrier spécialisé seraient des migrants bien préférables aux agriculteurs mais la rude concurrence des Chinois interdit d'espérer que ces secteurs puissent être un débouché pour de nombreux immigrés espagnols41.

37. De plus, le salaire moyen versé aux journaliers philippins ne permettrait pas à un ouvrier espagnol de vivre décemment (Rapport de la Direcciôn General de Administraciôn Civil du 28/09/1883 (AHN n° 612, #1) ; PNA, Inmigrantes, 10/03/1891).

38. Marqués de Reinosa, op. cit., p. 194-195. 39. Rapport de la Direcciôn General de Administraciôn Civil du 28/09/1 883, AHN n° 612, #1. 40. PNA, Inmigrantes, 10/03/1891. 41. Sastron, op. cit., p. 93 et seq.

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Le statut juridique des colons poserait aussi de nombreux problèmes. Les communes (pueblos) de la colonie sont administrées par des élus indigènes. Dans le cadre de la stricte hiérarchie ethnique qui prévaut aux Philippines, il serait très dangereux de placer des Espagnols nés en péninsule, en théorie « supérieurs », sous les ordres d'élus indigènes et si l'on confiait les postes de responsabilité aux Espagnols, l'élite indigène se sentirait d'autant plus lésée qu'elle dispose de propriétés dont la superficie et les revenus seraient bien supérieurs à ceux des colons espagnols... La seule solution serait de mettre en place des communes autonomes rattachées directement au gouverneur de la province, avec le danger de créer des enclaves juridiquement privilégiées au sein de la colonie42. Les lois de l'archipel sont en effet beaucoup plus contraignantes qu'en métropole : si l'on alignait les colonies agricoles sur la législation de la métropole, les Philippins risqueraient de s'appuyer sur ces « mauvais » exemples pour réclamer une libéralisation et, inversement, si l'on refusait toute concession aux communautés immigrées les Espagnols seraient mécontents et le manifesteraient. Dans tous les cas, l'ordre public serait troublé43.

Parallèlement à cette menace de subversion de l'ordre colonial, les autorités espagnoles sont hantées par le spectre de l'échec. Ce dernier aurait en effet des conséquences incalculables. Les migrants eux-mêmes seraient les premiers touchés et les colons ratés pourraient se révéler particulièrement encombrants et dangereux pour l'ordre public. Le prestige de l'administration coloniale est aussi en jeu : en s' impliquant fortement dans les projets, elle serait immédiatement accusée d'avoir envoyé des familles espagnoles vers la ruine ou, pire encore, vers la mort44. Le trésor colonial, en admettant qu'il ait les moyens de financer les très importants travaux d'infrastructures préalables à l'installation des immigrés espagnols, ne pourrait, en cas d'échec, se retourner vers des colons ruinés. Bien plus, il serait vraisemblablement obligé de les aider pour qu'ils ne tombent pas dans la misère et de payer le voyage de retour vers la péninsule45.

La crainte d'un dérapage financier et les risques politiques commandent donc de ne s'engager qu'à coup sûr. Or, en dehors de l'hypothétique rentabilité économique des colonies agricoles46, un facteur capital vient réduire fortement les chances de succès : la difficile adaptation des Européens au milieu écologique philippin. Le problème de l'insalubrité des Philippines pour l'homme blanc est un vieux sujet de débat entre les Espagnols installés aux Philippines comme le prouvent les prises de position très divergentes des médecins. Les auteurs favorables au peuplement des fronts pionniers par des travailleurs espagnols affirment que le climat philippin est très sain ou tout au moins qu'il n'est pas plus malsain que celui des régions vers lesquelles se

42. Scheidnagel, op. cit., p. 265 ; PNA, Inmigrantes, 10/03/1891. 43. Sastron, op. cit., p. 80. 44. Francia y Ponce de Leon (Benito) De caha y nipa (materiales ligeros) por i Tâcito ?

Manille : Ramirez y Cfa, 1893, 229 p., p. 7 ; Rapport de la Direcciôn General de Administration Civil du 28/09/1883 (AHN n° 612, #1).

45. PNA, Inmigrantes, 10/03/1891 ; Sastron, op. cit., p. 76-79. 46. Sastron, op. cit., p. 68.

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dirigent en général les migrants espagnols voire que celui de certaines zones de la métropole47.

Le camp opposé prévoit au contraire une véritable hécatombe au sein des migrants. Selon eux, les Européens installés à l'époque aux Philippines ont bien du mal à s'acclimater physiquement et moralement, alors qu'ils vivent pour la plupart en ville, dans un cadre confortable et relativement convivial : qu'adviendrait-il de la santé physique et psychique de petits agriculteurs totalement isolés et obligés d'essarter et de cultiver des terres vierges sous le soleil tropical ou sous les pluies torrentielles de la mousson48 ? Le problème de l'alimentation noircit encore le tableau. Les aliments de type européen ne peuvent en général être produits aux Philippines et ils sont importés de Chine, d'Espagne ou des Etats-Unis. Ils se corrompent vite et sont hors de portée d'un salarié agricole : comment un Espagnol pourrait-il vivre sans ses pois chiche, ses haricots, son jambon ou son vin49 ?

Les auteurs les plus pessimistes disposent d'un atout décisif : ils peuvent s'appuyer sur des exemples concrets qui prouvent combien l'Européen est « inadapté » à la zone inter-tropicale. Tout en utilisant des exemples étrangers, les auteurs mettent fort justement en avant les très fort taux de mortalité des troupes péninsulaires engagées à Cuba ou aux Philippines, en particulier dans les zones où l'on espère ouvrir des fronts pionniers (Palawan, Mindanao, Jolô). Pourtant, ces soldats sont de constitution robuste, ils sont bien nourris et leur commandement les cantonnent strictement au combat, les troupes et les auxiliaires indigènes se chargeant des impedimenta. L'argumentation s'appuie aussi sur le résultat des premières tentatives d'implantation d'agriculteurs espagnols : échec des soldats libérés qui ont voulu rester aux Philippines en cultivant un lopin de terre (même dans les montagnes du centre de Luçon au climat plus frais et où il est possible de cultiver des plantes européennes), échec de l'acclimatation des cadres espagnols des grandes plantations de tabac de la vallée de Cagayan et d'Isabela, échec des braceros50 péninsulaires employés dans des haciendas espagnoles, échec des fronts pionniers établis à Palawan ou à Mindanao51...

47. « La emigration espanola a Filipinas », op. cit., p. 202-204 ; Moya y Jimenez, op. cit., p. 92 (le tableau du climat que dresse l'auteur quelques pages plus loin - p. 109-113 - est loin d'être aussi optimiste... ) ; Lacalle y Sanchez, op. cit., p. 6-7 (l'auteur est un médecin militaire) ; Scheidnagel, op. cit., p. 264.

48. Francia y Ponce de Leon, op. cit., p. 6, 87 ; Sastron, op. cit., p. 18 ; PNA, Inmigrantes, 10/03/1891 ; Rapport de la Direcciôn General de Administration Civil du 28/09/1883 (AHN n° 612, #1) ; Rapport du Consejo de Filipinas 19/12/1881, AHN n° 5307, #110. Les combats des années 1896-1897 viennent confirmer la grande vulnérabilité des soldats européens (AHN n° 5361, lettres du 07/07/1897 et du 19/07/1897 au Ministère d'Outre-Mer).

49. Marqués de Reinosa, op. cit., p. 191 ; Sastron, op. cit., p. 20-22. 50. Journalier. 51. Sastron, op. cit., p. 15-16, p. 27-37, p. 39-42, p. 45-46 ; Francia y Ponce de Leon, op. cit.,

p. 7.

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Les autorités espagnoles refusent donc de transformer les Philippines en une colonie de peuplement. Sans chercher à porter un jugement de valeur sur leur attitude, cette étude montre combien la mobilité spatiale des individus (ici avant même qu'elle se produise) dans ou vers une colonie est un dossier éminemment politique : les facteurs démographiques, géographiques, économiques sont pris en compte mais les facteurs politiques pèsent d'un poids beaucoup plus lourd. Ce sont ces derniers qui amènent le gouvernement espagnol, pourtant alors peu soucieux des Espagnols expatriés, à prendre position et à choisir la voie de la prudence, alors même que son analyse de la situation sous-estime largement la profondeur de la crise de la domination espagnole aux Philippines... Au fond, consciemment ou inconsciemment, les autorités coloniales réagissent comme si un afflux de colons de métropole risquait d'être la première étape vers une assimilation qu'elles refusent obstinément d'accorder à l'archipel : en préservant le caractère asiatique des îles Philippines, elles justifient du même coup le maintien d'un statut particulier. De plus, on peut se demander, même si l'argument n'est à aucun moment explicitement utilisé, si le souvenir de l'indépendance de l'Amérique espagnole et l'expérience des troubles incessants de Cuba n'est pas pour beaucoup dans la méfiance des autorités coloniales à l'égard d'une immigration espagnole massive : dans les deux cas, les populations créoles ont joué un rôle fondamental dans la naissance et l'encadrement des mouvements séparatistes.

Cette enquête montre aussi combien il est difficile, en matière de politique migratoire, de modifier ou, comme c'est le cas ici, de créer de nouveaux courants : la faiblesse constante depuis le XVIe siècle de la communauté espagnole installée aux Philippines n'a pas permis la mise en place de réseaux familiaux ou locaux importants et l'archipel reste inconnu des candidats à la migration. Le petit nombre d'Européens entraîne à son tour une hispanisation plus limitée qu'en Amérique (faible implantation du castillan, faible métissage, liens culturels peu profonds en dehors de la religion etc.), ce qui ne contribue guère à attirer de nouveaux Espagnols.

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RESUME - ABSTRACT - RESUMEN 60

Les projets de transformation des Philippines en une colonie de peuplement espagnol (1881-1898).

Xavier HUETZ DE LEMPS

En dépit de l'absence de toute tradition migratoire notable entre la péninsule Ibérique et l'archipel philippin, ce dernier pouvait en théorie offrir une solution alternative aux emigrants espagnols, surtout à partir de l'ouverture du canal de Suez et de la prise de conscience, par les autorités et l'opinion de la métropole, de l'importance des flux migratoires espagnols.

Dans les années 1880 et 1890, de nombreuses voix se font entendre, à Madrid comme à Manille, pour défendre l'idée d'un détournement vers les Philippines des flux migratoires orientés vers des pays d'Europe, d'Afrique du Nord ou d'Amérique latine : les travailleurs espagnols immigrés aux Philippines pourraient ainsi mettre en valeur, pour le plus grand profit de la nation, des terres réputées fertiles et sous-exploitées ; terres où ils affirmeraient et défendraient, au besoin, la présence espagnole.

L'implantation réussie de nombreuses familles espagnoles aux Philippines dépendait cependant du soutien actif de l'administration espagnole tant en péninsule que dans la colonie. Or, cette dernière refuse son aide à tout projet d'une certaine ampleur et surveille même étroitement l'émigration libre.

L'administration coloniale a peur que des migrants d'une moralité douteuse diffusent une bien mauvaise image de l'Espagnol au sein de la population indigène. De plus, elle pense que l'hostilité du milieu d'accueil et en particulier du climat risque d'entraîner un échec dont l'administration, les immigrants malchanceux et le Trésor royal subiront les conséquences.

Plans for the Changing of the Philippines into a Colony of Spanish Settlement (1881-1898)

Xavier HUETZ DE LEMPS

In spite of the lack of any noticeable migratory tradition between the Iberian peninsula and the Filipino archipelago, the latter could in theory offer an alternative solution to Spanish immigrants, especially since the opening of the Suez canal and the awareness by the authorities and the opinion of the mother country of the importance of Spanish migrations.

In the 1880s and 1890s, numerous voices arise, in Madrid like in Manila, to defend the idea of a diversion to the Philippines of the migrations towards European countries, North African or Latin American ones : the Spanish workers who immigrated in the Philippines could thus give more importance, for the benefit of the nation, to lands considered as fertile and underexploited ; lands where they could stress and stand up for Spanish occupation, if necessary.

Nevertheless the successful settling of numerous Spanish families in the Philippines depended on the active support of the Spanish administration both in the peninsula and in the

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RESUME - ABSTRACT - RESUMEN 61

colony. Yet the latter refuses to support any sizable plan and even keeps a close eye on free immigration.

The colonial administration fears that immigrants of loose morals might spread a very bad image of Spaniards within the native population. Besides they think that the hostile new land and particularly the climate might entail a failure which the administration, the unlucky immigrants and the Royal public revenue will suffer from.

Proyectos que tienden a hacer de las islas Filipinas una colonia de poblamiento espanol (1881-1898).

Xavier HUETZ de LEMPS

A pesar de no existir una tradiciôn migratoria de consideraciôn entre la peninsula ibérica y el archipiélago filipino, este ultimo podia en teoria ofrecer una alternativa a los emigrantes espanoles, sobre todo a partir de la apertura del canal de Suez y en el momento en que las autoridades y la opinion espanola percibieron la importancia de las corrientes migratorias espanolas.

En los anos 1880 y 1890 numerosas voces se elevaron en Madrid asi como en Manila para promocionar la idea de que las corrientes migratorias que se orientaban hacia los paises de Europa, de Africa del norte o de Suramérica, se orientasen hacia Filipinas : los trabajadores peninsulares que inmigraban a Filipinas podrian cultivar, para el mayor beneficio de Espana, tierras fertiles e insuficientemente trabajadas ; tierras donde, dândose el caso, afirmarfan y defenderîan la presencia espanola.

El que esta implantaciôn de numerosas familias espanolas se hiciera con éxito dependfa del apoyo eficaz de la administracion espanola tanto en la metropoli como en la colonia. Pero esta ultima niega su ayuda a todo proyecto que pueda adquirir cierta amplitud y ademâs vigila celosamente toda emigraciôn libre.

La administracion terne que emigrantes de mala fama propagen entre la poblaciôn indîgena una imagen indeseable del Espanol. Ademâs, terne que la inhospitalidad del pais de acogida y sobre todo del clima sean una causa del fracaso de la operacion. En cual caso, la administracion, los emigrantes fracasados y el Tesoro pagarfan las consecuencias.

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Carte 1 : Les provinces des Philippines à la fin du XIXe siècle

ltBatanes 2:llocos Norte 3:Cagayan 4>Abra 5:Bontoc 6:llocos Sur 7: Lepanto 8ilsabela 9. La Union 0, Benguet lltNueva - Vizcaya 12. Principe l3iPangasinan l4:Nueva.Ecija 5tZambales 6:Tarlac 7i Pampanga 8iBulacan 9. Infanta lOiBotaan !1. Manila !2>Morong !3>Laguna !4. Cavité !5.Balangas îô.Tayabas 27 Camarines . Norte !8iCamarines . Sur 29.Albay 30tMindoro 31<Burias 32iMasbate 33: Romblon 34.Capiz 3S:Anrique 36:lloilo 3 7:Negros. Occidental 38:Negros. Oriental 39Cebu 40:Bohol

41:Leyte 42:Samar 43:Zamboanga 44:Milomit 45: Surigao 46:Polloc .Cottabato 47:Davao 48:Bitlig 49:Baiiîan 50:Jolo 51Calamianes 52: Puerto . Princesa 53:Balabac

0 E CHINE

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