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SEPTEMBRE 2011 – Numéro : 414 – Prix : 5,00 – ISSN 1956-922X www.aaeena.fr Magazine des Anciens Élèves de L’ENA dossier Les révolutions de la dignité Les révolutions de la dignité

Les révolutions - Karim Bitar's Web Sitekarimbitar.org/revolutions.pdf · 2011-10-01 · En moins d’un an, ... jusqu’au dernier jour, ... monde arabe était condamné à la léthar-

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www.aaeena.fr

M a g a z i n e d e s A n c i e n s É l è v e s d e L ’ E N A

dossier

Les révolutions de la dignité

Les révolutions de la dignité

1/ septembre 2011 / n° 414

Les cris de l’écrit, impressions d’AfriqueGravureAlbert DuPont06 84 13 57 [email protected]èmes de Francis Petit© L’inéditeur, 1989

226, boulevard Saint-Germain – 75007 ParisTél. : 0145444950 – Fax : 0145440212site : http ://www.aaeena.frMél : [email protected]

Directeur de la publication : Christine Demesse

Directeur de la rédaction : Karim Émile Bitar

Directeur adjoint de la rédaction : Jean-Christophe Gracia

Conseiller de la rédaction : François Broche

Secrétaire de rédaction : Bénédicte Derome

Comité de rédaction : Isabelle Antoine, Jean-Denis d’Argenson, Didier Bellier-Ganière, Jean-Marc Châtaigner, Robert Chelle,Emmanuel Droz, Bernard Dujardin, Patrick Gautrat,Stephan Geifes, Isabelle Gougenheim, Françoise Klein, Aurélie Lorrain-Itty, Claude Revel, Arnaud Roffignon, Jean-Charles Savignac, Didier Serrat, Maxime Tandonnet, Laurence Toussaint.

Conseil d’administration de l’association des anciens élèves de l’école nationale d’administration :

BureauPrésident : Christine Demesse

Vice-présidents : Patrick Gautrat, Odile Pierart, Sophie Thibault

Secrétaire général : Arnaud Geslin

Secrétaires généraux adjoints : Béatrice Buguet, Jean-Christophe Gracia

Trésorier : Véronique Bied-Charreton

Trésorier adjoint : Dominique Dalmas

MEMBRES DU CONSEILAgnès Arcier, Didier Bellier-Ganière, Jean-Étienne Caire, Jean Daubigny, Michel Derrac, Patrice Diebold, Christian Dubreuil,Simon Fetet, Maurice Ligot, Myriem Mazodier,Olivier Rateau, Constance Rivière, Arnaud Roffignon, Jean-Philippe Saint-Geours,Laurent Stéfanini, Pierre-Antoine Vacheron,Jérôme Verroneau.

Publicité : MAZARINETél. : 0158 05 49 17 – Fax : 01 58 05 49 03Directeur : Paul Emmanuel ReiffersAnnonces et publicités : Yvan GuglielmettiMise en page, fabrication : Olivier SauvestreConception maquette et Direction artistique :Bruno Ricci – [email protected], impression et brochage :Imprimerie ChiratDépôt légal : 36914

© 2003 L’ENA Hors les mursN° de commission paritaire :0414 G84728/ISSN 1956-922XPrix : 5,00 €

Si vous désirez vous abonner à L’ENA Hors les murs, voir les bulletins d’abonnement page 24, 56, 64, 95

Abonnement normal : 52,00 €

Anciens élèves : 35,00 €

Étranger : 85,00 €

sommaireSeptembre 2011 – Numéro 414 – 5 €

« C’est que nous avons, à la vérité, renversé toutes les tyrannies,sauf une seule, la plus dure : la tyrannie des préjugés»Charles Benoist – 1893.

Dossier : Les révolutions de la dignité2 Les révolutions de la dignité Karim Émile Bitar9 Autour du «89 arabe» Benjamin Stora12 Du 11 septembre aux révolutions arabes Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou15 Commencement du monde, révolutions arabes,

identitarismes et modernité métisse Jean-Claude Guillebaud17 Petite réflexion sur l’histoire en cours Kader A. Abderrahim19 L’esprit révolutionnaire et ses fondements philosophiques :

l’exemple américain de 1776 Steven Ekovich22 L’Europe face aux révolutions arabes Elisabeth Guigou25 L’impuissance russe devant la chute des dictatures Marie Mendras27 La Chine et les révolutions arabes Barthélémy Courmont29 L’Iran à l’heure des révolutions arabes Jean-Louis Bianco31 La question israélo-palestinienne

à l’heure des révolutions arabes Yves Aubin de La Messuzière33 Vers une alliance de l’Occident et des pays du golfe

pour imposer un nouvel ordre régional ? Samir Aita35 Le rôle des femmes dans les révolutions arabes Mansouria Mokhefi38 Y a-t-il des causes démographiques aux révolutions arabes ? Youssef Courbage40 Économie politique des révolutions arabes : analyse et perspectives Mouhoub El Mouhoud43 Enjeux économiques et sociaux des révolutions arabes :

quelques éléments de réflexion Mohamed Ali Marouani46 Transition démocratique, ingénierie constitutionnelle et électorale :

l’expérience tunisienne Béligh Nabli49 L’Arabie saoudite, forteresse invincible ? Philippe Moreau Defarges51 La transition égyptienne Jean-Noël Ferrié54 Les Frères musulmans égyptiens…

Quel rôle dans l’Égypte d’aujourd’hui ? Tewfik Aclimandos57 La diaspora égyptienne à la recherche d’une place

dans la nouvelle Égypte Ahmed Abdel Hakam59 Algérie : Le calme avant la tempête ? Akram Belkaïd61 La Constitution marocaine est un écran de fumée Ahmed Benchemsi65 « Printemps arabe » : pourquoi n’a-t-on rien vu venir ? Patrice Gourdin67 La réflexion stratégique à l’épreuve des révolutions arabes Frédéric Charillon69 Guerres et révolutions Tzvetan Todorov

enaassociation72 Colloque : Réussir aujourd’hui : Les études d’excellence, un droit pour tous73 3e rencontre de la transformation publique : Le management de l’innovation dans le secteur public73 Les Lundis de l’Ena 74 Vie de l’École75 Activités culturelles76 Carnets

Temps libre82 Mélomanie Arnaud Roffignon et Christophe Jouannard90 Signets Robert Chelle96 Éphéméride : Le grand incendie de Londres Nicolas Mietton

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Prochain dossier : Les nouveaux défis du management

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«Parfois, des décennies passent etrien ne se passe, et parfois,

quelques semaines passent et desdécennies trépassent. » L’actualité deces derniers mois est venue illustrer defaçon éclatante cette citation de Lénine. En moins d’un an, trois autocrates quicontrôlaient leur pays d’une main de ferdepuis des décennies ont été balayés pardes jeunes arabes porteurs d’un messageuniversel, par une insubmersible aspira-tion à la liberté et à la dignité, par un ventrévolutionnaire qui n’est pas sans rappe-ler celui qui a soufflé sur la France et lesÉtats-Unis à la fin du XVIIIe siècle. Arrivé au pouvoir en 1969, ayant exercéun pouvoir sans partage pendant 42 ans1,le colonel Kadhafi2, qui a démontré aumonde entier que la réalité dépassait tou-jours la fiction, qui s’est accroché et afanfaronné jusqu’au bout, comme s’ilvoulait prouver qu’Ubu Roi n’était à sescôtés qu’un petit joueur, a fini par allerrejoindre, dans les poubelles de l’histoire,ses collègues tunisien et égyptien Zine ElAbedine Ben Ali et Hosni Moubarak, dontleur chute l’avait tant peiné.

L’automne des autocrates arabes3

Ce qui est advenu était complètementinespéré il y a à peine 12 mois. Trois dic-tatures ont d’ores et déjà été abattues.

Plusieurs autres sont confrontées à desmanifestations populaires sans précé-dent, qu’elles peinent à réprimer, aussi bru-tales que soient les techniques employées.Nul ne peut prédire la suite des événe-ments. Peut-être ces révolutions seront-elles, comme tant d’autres à travers l’his-toire, kidnappées, confisquées ou trahies.Peut-être les forces de la contre-révolutionpourront-elles, temporairement, reprendrela main. Peut-être que les impératifs de larealpolitik et l’obsession de la « stabilité »,permettront aux conservateurs et auxtenants de l’ordre ancien de s’accrocherencore un peu au pouvoir. Mais il n’enreste pas moins que dans les esprits de lajeunesse arabe d’aujourd’hui, de l’océanAtlantique jusqu’au golfe persique, lamentalité d’Ancien régime est tombée. Lecarcan d’impuissance a été brisé. Les pays n’ayant pas encore été atteintpar des manifestations de grande enver-gure s’efforcent d’utiliser la rente pétroliè-re pour acheter la paix sociale4. Mais par-tout, c’est panique à bord. C’est l’autom-ne des autocrates arabes et ils en sonttous désormais conscients. Les dominosne tomberont peut-être et sans doute pasl’un après l’autre, mais l’effet domino psy-chologique est bel et bien présent. Dansleurs têtes, les arabes ont appris qu’ilsn’étaient pas condamnés à être des sujets

Par Karim Emile Bitar Cyrano de Bergerac 1999Directeur de la rédaction

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et qu’ils pouvaient devenir des citoyens,des acteurs, des maîtres de leur propredestinée. Ils sont également conscientsque le combat sera long, rude, tumul-tueux, jalonné d’embûches. Nous sommes en effet assez loin de laconfiguration qui prévalait en Europe del’Est en 1989. Tout d’abord parce quetous les pays qui étaient alors derrière lerideau de fer étaient directement dépen-dants de l’Union soviétique, de simplessatellites qui ne pouvaient que s’affran-chir automatiquement dès lors que lapoigne de fer avait disparu, alors quechaque pays arabe a ses spécificités, liéesà sa composition communautaire, à sonpositionnement sur l’échiquier géostraté-gique international et au poids de l’histoi-re. Ensuite, parce que les dissidentsd’Europe de l’Est étaient soutenus à boutde bras par les puissances occidentales,ce qui est loin d’être le cas des démo-crates arabes, qui ont au contraire beau-coup souffert de voir les dictatures qui lesopprimaient être appuyées par les États-Unis et l’Europe5, tantôt au nom de la sta-bilité et de la crainte du chaos, tantôt aunom de la guerre contre le terrorisme et lamenace islamiste, et toujours au nomd’intérêts économiques et géostratégiquesbien ou mal compris. Contrairement aux dissidents démocratesd’Europe de l’Est, les jeunes démocratesdu monde arabe, les manifestants del’avenue Bourguiba de Tunis, ceux de laplace Tahrir du Caire, ceux de la place dela Perle au Bahreïn, ceux de Homs, deDeraa ou de Hama en Syrie, ceux de Sanaaau Yémen, ont souvent le sentiment d’êtreseuls au monde. On pense aux Soldats del’an deux, porteurs d’un immense idéal,condamnés à lutter simultanément sur plu-sieurs fronts, et dont Victor Hugo nousdisait que « La liberté sublime emplissaitleur pensée » et que « La tristesse et lapeur leur étaient inconnues ». À ceci prèsque c’est à mains nues que se battentaujourd’hui les démocrates arabes. C’estce qui fait leur force, ce qui leur donneleur légitimité, mais ce n’est guère aisé.Certes, ils ont fini par entendre quelquesmots de soutien venus du « monde libre »,de « l’occident démocratique », mais ilsne sont pas dupes. Ils ont vu pendant des

décennies cet occident fermer les yeuxsur les plus abjectes violations des droitsde l’homme, ils ont vu leurs tyrans se fairedérouler le tapis rouge dans les grandesdémocraties occidentales, ils ont vu quejusqu’au dernier jour, les puissances occi-dentales ont tout fait pour que les des-potes amis se maintiennent en place.

Dogmes orientalistes fracassésC’est donc un combat extrêmementinégal qu’a livré la jeunesse arabe aucours des derniers mois. Contre les tyran-nies, contre les puissances étrangères quisoutenaient ces tyrannies, et souventaussi contre ceux qui, en interne, qu’ils’agisse des islamistes ou des autresforces contre-révolutionnaires cherchaientà récupérer ces révolutions et à lesdétourner de leurs objectifs initiaux. Mais dans ce combat disproportionné,dans ce combat du pot de terre contre lepot de fer, les jeunes révolutionnairesarabes ont déjà enregistré une premièrevictoire, fondamentale, peut-être encoreplus importante que la chute des dicta-teurs, il s’agit du changement dans lesreprésentations culturelles qui s’est opéré. C’est toute une vision occidentale dumonde arabe, enracinée depuis fort long-temps dans les esprits, qui s’est enfin vueremise en question. En quelques semaines,tous les dogmes orientalistes sur lesquelsreposaient les visions et politiques occi-dentales se sont fracassés. Tout d’abord l’idée selon laquelle lemonde arabe était condamné à la léthar-gie et à l’immobilisme, qu’il était à toutjamais sclérosé, que seul l’usage occiden-tal de la force, comme en Irak, pouvait lesortir de sa torpeur. Ensuite, l’idée que cemonde était foncièrement illibéral ou anti-libéral, rétif à la démocratie et à la moder-nité, inapte à la maîtrise des nouvellestechnologies. Enfin, l’idée que tout ce quise passait dans cette région du mondetrouvait sa source, non pas dans lecontexte politique, économique et social,mais dans le texte religieux (ce queMaxime Rodinson, et avant lui RenéGirard et Jacques Derrida avaient appeléle théologocentrisme). On ne voulait voir que des homo islami-cus, motivés exclusivement par des consi-

dérations religieuses, et adeptes d’un islamperçu comme sub specie aeternitatis6,comme une « essence » absolue, de tempsimmémorial, imperméable à tout change-ment, identique à lui-même à travers lessiècles. On a découvert bien au contraireune jeunesse, parfois religieuse, parfoislaïque, mais surtout préoccupée par desconsidérations on ne peut plus profaneset on ne peut plus universelles : un besoinde dignité, un refus de l’arbitraire, unecolère contre la confiscation du pouvoirpolitique et économique par de toutespetites castes liées au pouvoir. C’est également avec étonnement que lesmédias occidentaux ont découvert que lesfemmes arabes avaient joué un rôle déci-sif dans ces révolutions. Pourtant, dansl’imagerie orientaliste traditionnelle, seulesdeux images de la femme arabe étaientprédominantes : l’image de la danseusedu ventre qui se déhanche dans un quel-conque harem ou dans un sérail à côtéd’un charmeur de serpent, ou l’image dela femme entièrement voilée, la « femmegrillagée » dont parle Pierre Perret. Etc’est l’un des mérites de ces révolutionsque d’avoir fait découvrir au monde desfemmes comme toutes les autres, voulantprendre un rôle actif, confrontées à d’in-nombrables difficultés mais déterminées àpoursuivre le combat, parfois aux côtés deshommes, parfois contre eux, mais toujoursde façon naturelle et décomplexée.

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1 - « Tout compte fait, les dictateurs sont un peu comme les recordsolympiques, on pense toujours qu’ils sont impossibles à abattre, et pour-tant, il vient un jour où ils finissent par se fracasser.» écrivaitMohammad El Maghout, poète syrien non-conformiste qui, n’était sontempérament trop ombrageux, aurait été reconnu comme l’un des plusgrands poètes arabes de l’histoire. Les amateurs de trivia olympiquesavent que le record qui ait, à ce jour, tenu le plus longtemps est celuidu saut en longueur, établi par Bob Beamon, avec 8.90m aux jeux olym-piques de Mexico, en 1968, à peine un an avant l’accession au pouvoirde Kadhafi. En contexte non olympique, le record a déjà été battu parMike Powell en 1991.2 - Sur l’itinéraire et la personnalité de l’excentrique dictateur libyen,voir l’ouvrage de l’essayiste et romancier Alexandre Najjar, Anatomied’un tyran : Mouammar Kadhafi, paru en mai 2011 chez Actes Sud. 3 - Je reprends en partie dans cet article des thèmes que j’ai développédans une série de conférences sur le thème des révolutions et de « l’au-tomne des autocrates arabes », conférences données en mars 2011 àl’invitation des ambassadeurs de France au Ghana, au Togo et au Bénin. 4 - Plus de $130 milliards ont été débloqués par le roi d’Arabie Saouditepour des projets liés à l’emploi, au logement, aux infrastructures et à lasanté. 5 - Et dans le cas de la Syrie, par la Chine et la Russie.6 - Cette formule employée par Spinoza dans la cinquième partie de« L’Ethique », pourrait se traduire par « dans une perspective éternelle ».L’expression est aujourd’hui utilisée pour décrire (ou pour tourner endérision) ce qui est censé être universellement et éternellement vrai, etqui ne dépend aucunement d’une quelconque réalité temporelle.

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Observant le monde arabe de façon pan-optique, avec les œillères de l’exotisme,de l’orientalisme et de l’ethnologie colo-niale, l’occident se fixait sur trois élé-ments : le dictateur (la figure du « despoteoriental », populaire depuis Montesquieu,bien qu’elle fut, dès l’époque, critiquée parAnquetil Duperron), les ressources natu-relles (le pétrole et le gaz), et les masses,supposément toutes fanatisées par l’islam(cette fameuse « rue arabe » qui a tantfait fantasmer les éditorialistes7). De ce point de vue, on peut dire que lesévénements de ces derniers mois ontconduit à une sorte de révolution coperni-cienne dans les représentations cultu-relles. On a enfin aperçu, derrière les cari-catures, non plus des ombres muettes,mais des êtres humains de chair et desang, qui vivaient dans ces pays, avecleurs espoirs, leurs souffrances, leursidéaux. On a appris qu’il existait des troi-sièmes voies entre l’autoritarisme et l’isla-misme. Les opinions publiques occiden-tales ont découvert que ces despotesorientaux si pittoresques étaient pour laplupart des clients et des obligés des gou-vernements occidentaux, qu’ils étaienthonnis par leurs peuples et ne s’étaientmaintenus au pouvoir que par le soutiendont ils bénéficiaient chez ceux qui parailleurs, prêchaient la démocratie lorsquecela pouvait les arranger. On a découvertl’étendue de la corruption de certainsmilieux intellectuels occidentaux, notam-ment, exemple parmi tant d’autres,lorsque le journal Politico8 a révélé quecertains des plus célèbres universitairescomme Bernard Lewis, Francis Fukuyamaet plusieurs autres avaient servi de consul-tants stipendiés chargés de lustrer l’imagede Kadhafi, et que d’autres avaient étéchargés d’aider son fils à obtenir un doc-torat de la prestigieuse London School ofEconomics, ce qui fut fait. On a également découvert que cette « ruearabe » qu’on nous présentait commeassoiffée de sang et congénitalement vio-lente, pouvait inspirer les jeunesses dumonde entier, en manifestant pacifique-ment, sans le moindre slogan religieux ouidentitaire, mais au contraire autour deslogans portant un message universel, etdans les conditions les plus difficiles qui

soient, face à des régimes n’hésitantaucunement à faire tirer à balles réellessur des jeunes désarmés. Enfin, on a vu que ces révolutions n’étaienten rien islamistes. Certes, les intégristes,d’abord pris de court par les révolutions,ont cherché à prendre le train en marche,ont fourni des manifestants en nombre,notamment en Égypte, et ont aidé à fairetomber le régime, certes, ils disposent denombreux atouts qui pourraient leur per-mettre de jouer un rôle prédominant dansles années qui viennent, mais toujoursest-il, et ils en sont conscients, qu’ils ontété en décalage avec le cœur battant dumouvement révolutionnaire. Les révolu-tions n’étaient ni laïques, ni post-isla-mistes comme l’ont cru certains, maiselles n’ont à aucun moment placé l’islamau centre des préoccupations. L’industrie des experts en terrorisme futdonc discréditée par ces révolutions et letemps est aujourd’hui venu de revenir auxchoses sérieuses dans le monde de larecherche universitaire, d’étudier les socié-tés de la région dans leur complexe glo-balité, loin des niaiseries néo-orientalistespropagées par certains experts jamaisdénués d’arrière-pensées. Et loin des visionsbinaires qui ont aveuglé les décideurs etdont on a vu les dégâts incommensurables.

De la chute du mur de Berlinaux révolutions arabes, en passant par le 11 septembreet la guerre d’IrakPuisqu’il est donc désormais clair que lemessage porté par ces révolutions est unmessage universel par excellence, axé surune revendication de liberté, de démocra-tie et de dignité, il n’est pas inutile denous demander pourquoi ce processus atant tardé, et pourquoi il intervient précisé-ment aujourd’hui. Quelles sont les causesprofondes, politiques, démographiques etsociétales, de ces révolutions ? À la chute du mur de Berlin en 1989, lemonde entier semble s’orienter vers unedémocratisation accélérée. En effet, l’Europede l’Est, libérée du joug soviétique, s’éman-cipe rapidement. En Amérique latine, lesdictatures tombent l’une après l’autre et lestransitions démocratiques réussissent mêmelorsque personne n’y croyait. La démocra-

tisation atteint également l’Afrique. Audébut des années 1990, des « confé-rences nationales » se tiennent, au Béninet dans plusieurs autres pays. Le conti-nent, qui ne comptait que trois démocra-ties électorales en 1989 en compte prèsde 25 deux décennies plus tard.Seul le monde arabe semblait à l’écart.Plusieurs explications à cela, et aucuned’entre elle n’est d’ordre culturaliste. Il fauttout d’abord signaler que derrière le glacisapparent, celui des régimes sclérosés, lessociétés elles-mêmes étaient au contrairedynamiques, les débats d’idées furentnombreux, les sociétés civiles frétillaient,les intellectuels, parfois au péril de leursvies, apportaient des idées nouvelles,même si tous ces courants souffraientd’être pris en tenaille entre les régimes dic-tatoriaux et les oppositions islamistes9.Plusieurs événements viendront toutefoisretarder l’inévitable processus de démo-cratisation. L’invasion du Koweït parSaddam Hussein en 1991 nécessiteral’intervention d’une coalition internationa-le pour l’en déloger. Avec le soutien desNations Unies, les États-Unis parviennentà former une vaste coalition de plus de40 pays pour mener la guerre. Plusieurspays arabes ont rejoint cette coalition,mais aucun d’entre eux n’a hésité à mon-nayer son soutien aux États-Unis. Cesderniers peuvent-ils se montrer très regar-dants sur les droits de l’homme lorsqu’unrégime vient de se joindre à eux pour com-battre Saddam Hussein ? Ainsi, le syrienHafez El Assad obtient carte blanche pourcontrôler l’ensemble du territoire libanais,les autres régimes obtiennent finance-ments, armements, et garanties qu’on nese mêlera pas de leurs affaires intérieures.Un ou deux ans plus tard, un autre trau-matisme affectera le monde arabe etnotamment l’Afrique du Nord, à savoir laguerre civile algérienne et ses 200 000morts, qui aura un effet lénifiant sur lesaspirations démocratiques des habitantsdes pays voisins. Ben Ali aura beau jeu dedire à son peuple, en substance : vousavez vu à quoi a mené la révolte algérien-ne d’octobre 1988, une certaine démocra-tisation peut-être, des élections peut-être,mais ensuite une montée en puissance del’islamisme, une reprise en main par l’ar-

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mée et une guerre civile sanglante. Nepréférez-vous pas la stabilité et le déve-loppement économique relatif dont vousbénéficiez ?Quelques années plus tard, les attentatsterroristes du 11 septembre vinrent à nou-veau ébranler l’ordre mondial. La « guerreglobale contre le terrorisme » qui s’estensuivie a été, à plusieurs égards, du painbéni pour les autocrates arabes, qui onttous, volontaires, contraints ou forcés,rejoint les États-Unis dans ce combat, enne manquant jamais de monnayer encoreune fois leur soutien. Chacun d’entre euxen profita pour serrer la vis, muselerencore plus son opposition, et soutirerplusieurs milliards aux Américains aunom de la guerre contre le terrorisme. Ledictateur yéménite, Ali Abdallah Saleh,est passé maître en la matière. Sansdoute le plus rusé et le plus roublard desautocrates arabes, il mériterait, commeLaurent Gbagbo, d’être surnommé « leboulanger », tant il a roulé dans la farineses interlocuteurs. C’est ce même M.Saleh, qui après avoir obtenu une aidefinancière et militaire américaine consé-quente, n’hésitera pas, lorsqu’il se sentiramenacé, à céder le contrôle d’une villeentière à Al Qaida, histoire sans doute derappeler à ses amis américains jusqu’àquel point ils avaient besoin de lui.Plusieurs chantages de ce type et plusieursrépressions violentes sont passées inaper-çues au nom de cette « guerre contre leterrorisme. »Après la première guerre du Golfe de 1991,après la guerre civile algérienne, après lesévénements du 11 septembre, c’est ladeuxième guerre d’Irak, celle, illégale, de2003, qui va encore retarder les espé-rances démocratiques du monde arabe.Avec huit années de recul, le bilan catas-trophique de l’expédition irakienne de l’ad-ministration Bush n’est plus à faire : enlieu et place de la démocratisation arabeque nous avaient alors promis quelquesbrillants esprits, des centaines de milliersde morts chez les civils irakiens, un coûtrécemment réévalué à 7 000 milliards dedollars par Joseph Stiglitz, les minoritésreligieuses décimées, les voisins de l’Irakqui se lancent dans une course aux arme-ments, les tensions entre sunnites et

chiites qui culminent... Rarement dansl’histoire aura-t-on assisté à un teldésastre humain, moral et stratégique.Rarement aura-t-on pu constater de façonaussi évidente jusqu’à quel point pou-vaient être nocives les idées et les rhéto-riques orientalistes et néo-conservatricesqui avaient sous-tendu et légitimé cetteguerre. On ne peut que penser à la phra-se si juste d’Albert Camus : « Les idéesfausses finissent dans le sang, mais ils’agit toujours du sang des autres. C’estce qui explique que certains de nos phi-losophes se sentent à l’aise pour diren’importe quoi10. »Mais par une délicieuse ironie de l’histoi-re, c’est quelques années plus tard, exac-tement à l’autre bout du monde arabe, etpour des raisons inverses, que va naîtrecet effet domino démocratique qu’onnous avait promis. Il faut en effet rappe-ler que si la chute du dictateur tunisienZine El Abidine Ben Ali le 14 janvier2011 a déclenché une vague d’exaltationet d’enthousiasme sans précédent chez lajeunesse arabe, c’est précisément en rai-son de ce contraste flagrant avec l’inter-vention militaire anglo-américaine enIrak. Pour la première fois, une dictaturearabe est tombée sans F16 américains,sans idéologues va-t-en-guerre, sans effu-sion massive de sang, mais uniquementgrâce à la détermination de jeunes démo-crates à mains nues, refusant toute récu-pération de leur révolution par des inté-rêts étrangers. C’est essentiellement pourcette raison que l’on a assisté à une ému-lation de la jeunesse tunisienne par lesautres jeunesses arabes et que l’on a vunaître ce fameux effet domino. Et leschoses sont alors allées très vite.

Le déclic : l’arbitraire et les humiliationsLes historiens de la Révolution françaiserappellent fréquemment le rôle qu’ontjoué les petites humiliations, en apparen-ce anodines, et qui ont été le déclic d’oùa surgi la flamme révolutionnaire. AinsiBarnave, que rien ne prédisposait à cela,est devenu révolutionnaire le jour où unaristocrate dédaigneux chassa sa mère dela loge qu’elle occupait au théâtre deGrenoble. Il en est allé de même en

Tunisie, en Égypte, en Syrie et dans biend’autres pays. Il s’agit parfois de simplespetites vexations comme celles qui ontconduit à l’immolation par le feu deMohammed Bouazizi, le désormais célèbremarchand ambulant de Sidi Bouzid, privéde permis de travail, harcelé par desbureaucrates, voyant ses horizons se bou-cher du fait de cette arrogance qui carac-térisait aussi bien les hautes sphères durégime dictatorial que ses petits fonction-naires qui se contentaient d’obéir auxordres. Victor Hugo ne disait-il pas que :« Les grandes révolutions naissent despetites misères comme les grands fleuvesdes petits ruisseaux. » ?Mais souvent, il s’agissait de bien plusque de petites vexations, il s’agissait devéritables crimes d’État, comme celuidont fut victime, six mois avant la révolutionégyptienne, le jeune blogueur d’Alexandrie,Khaled Said, qui n’avait que 28 ans, quin’était même pas un activiste politique,mais qui avait pour seul tort d’avoirdénoncé sur son blog la corruption poli-cière. Arrêté par des policiers en civil à11h du soir, alors qu’il se trouvait dansun café Internet, il fut emmené dans lehall d’un immeuble voisin et battu àmort. Son cas est devenu emblématique.Une page créée sur Facebook, qui procla-mait « Nous sommes tous Khaled Said »devint un point de ralliement de la révo-lution égyptienne et finit par attirer plu-sieurs millions de personnes. On appren-dra plus tard qu’elle avait été créée WaëlGhonim, activiste qui travaillait pourGoogle, et Ghonim deviendra à son tourun porte-voix de la jeunesse égyptienne. Crimes d’État également en Syrie, et par-ticulièrement odieux, puisque quelquessemaines après le début des protesta-tions, un jeune homme de 13 ans, HamzaAl Khatib fut arrêté, torturé, et émasculé.Ses parents subiront des menaces et severront contraint d’innocenter le régime,

7 - Pour de plus amples développements sur la question du théologo-centrisme et de l’orientalisme des médias, voir mon article « Les médiasoccidentaux face aux enjeux méditérranéens : prismes déformants etgrille de lecture biaisée », paru dans le N° 69 (printemps 2009) de larevue Confluences Méditerranée.8 - « Among Libya’s Lobbyists », article de Laura Rozen paru le 21 février2011.9 - Voir à ce sujet mon article : « Entre l’aigle et le voile, le désarroi desdémocrates du monde arabe », paru dans le N° 339 (mars 2004) deL’ENA hors les murs.10 - Tony Judt avait tenu à placer cette phrase en épigraphe de sonouvrage incisif sur les intellectuels de l’après-guerre, Un passé impar-fait, les intellectuels en France, Fayard, 1992.

dans une mascarade qui ne parvint àtromper personne. Le même régime syriens’en est pris à un chanteur populaire,Ibrahim Kachouche, qui avait composéun hymne anti-Bachar El Assad, dans latradition rythmée des chants révolution-naires français. Kachouche sera arrêté etjeté dans un fleuve, après que les sbiresdu régime syrien aient pris le soin de luiarracher les cordes vocales. Quelquessemaines après les cordes vocales d’unchanteur, c’est aux doigts d’un caricatu-riste que s’en prendront les milices pro-gouvernementales syriennes, (les shabbi-ha), et c’est Ali Ferzat, le Plantu (ou plu-tôt le Daumier) du monde arabe, quiverra ses phalanges écrasées et broyéescar il avait eu le culot de dessiner unecaricature montrant Kadhafi en voiture,sur le départ, passer devant un Bachar ElAssad faisant de l’autostop et lui deman-der s’il souhaitait l’accompagner. Unchercheur français, Michel Seurat, assas-siné depuis longtemps, avait parléd’« État de barbarie » et le régime baa-siste n’a de cesse que de vouloir lui don-ner raison. Au Bahreïn, au Yémen, deuxpays dont on parle moins dans les médiasoccidentaux, la répression fut tout aussibrutale, et comme partout, l’exaspérationcollective devant les humiliations, l’arbi-traire et la férocité de ces régimes servirade déclic ou de fuel aux révolutions.

Conception patrimoniale du pouvoirL’immolation du marchand ambulant deSidi Bouzid, le passage à tabac du blogueurd’Alexandrie, même s’ils ont fortementmarqué les esprits, n’auraient certainementpas suffi à provoquer ces révolutionsarabes s’il n’existait pas un certainnombre de causes profondes, de ten-dances lourdes politiques, démogra-phiques, économiques et sociétales quirendent ces révolution inévitables et leprocessus de démocratisation irréversible.C’est peut-être parce qu’ils sont conscientsde ces tendances lourdes et qu’ils se saventcondamnés que les régimes se montrentaussi violents et qu’ils perdent tout sens dela mesure. Voltaire avait forgé l’expression« boeufs-tigres », pour qualifier des gensqui sont « bêtes comme des bœufs et

féroces comme des tigres. » Cette expres-sion s’applique parfaitement aux régimesarabes aujourd’hui en bout de course. Il n’est pas aisé de définir les causes d’unévénement historique de cette ampleur.222 ans après la Révolution française, leshistoriens continuent de débattre de sescauses, les uns incriminent surtout la crisede la dette et des finances publiques, lesautres évoquent des causes plus conjonc-turelles comme le climat de la saison1788, les uns se focalisent sur le rôle desintellectuels des Lumières, les autres mini-misent ce rôle et parlent d’un essouffle-ment de toute la tradition absolutiste, lié àla montée en puissance de la bourgeoisie. Dans le cas des révolutions arabes, lescauses politiques sont relativement bienconnues. D’abord, la longévité exception-nelle des dirigeants (Kadhafi est arrivé aupouvoir en 1969, Moubarak en 1980,Ben Ali en 1987, le père Assad en 1970,Saleh en 1978, sans même aborder le casdes monarchies héréditaires.) Ensuite, lafaillite retentissante des États post colo-niaux fait que les dirigeants ne peuventplus se revendiquer de la légitimité ducombat national. Le décalage entre ledisque dur et les logiciels, entre la paroleet les actes est devenu insoutenable auxyeux des nouvelles générations. Enfin, lerecours presque systématique à la tortu-re, le degré de corruption et la conceptionpatrimoniale du pouvoir ont été la goutted’eau qui a fait déborder le vase. Passeencore que le dictateur soit indéboulon-nable de son vivant. Mais lorsqu’il s’avisede vouloir transmettre le pouvoir à sonfils, lequel n’a ni la légitimité historique,ni la légitimité militaire, la pilule ne passeplus. Bachar El Assad ayant réussi àconserver le pouvoir suite au décès deson père en 2000, la plupart des autresfils d’autocrates ont voulu suivre son che-min. Moubarak a dépensé des fortunesauprès des cabinets de lobbying de KStreet, à Washington, pour convaincreses amis américains d’accepter que sonfils Jamal lui succède. Au Yémen, Saleh aà la fois un fils et un neveu actifs en poli-tique. Kadhafi plaçait tous ses espoirs enSaif-Al-Islam, enfant chéri de l’occidentdurant les années 2000. Ben Ali, àdéfaut d’avoir un fils, misait sur son

gendre, lequel se retrouva, à 29 ans, à latête d’une immense fortune.Plus encore que les pratiques, c’est l’hypo-crisie et la duplicité des discours qui révol-tait les jeunes. Le régime syrien, qui setargue de résistance à l’ordre américain, apourtant collaboré aux politiques de l’admi-nistration Bush connues sous le doux nomde « extraordinary renditions », à savoir lasous-traitance de la torture. Le régime égyp-tien, qui continue de se référer au nationa-lisme arabe, était devenu en pratique l’exé-cutant docile des politiques américaines etle complice du blocus de Gaza. Et pour cequi est de la duplicité, il en va de mêmepour la plupart des autres régimes. Qu’ilsappartiennent au camp dit de la « modéra-tion » ou à celui dit de la « résistance »(concepts tous deux mensongers et falla-cieux), les régimes de la région ont tous unseul et unique objectif : se maintenir aupouvoir. Tout le reste est négociable.

Confiscation du pouvoir économiqueLes causes économiques des révolutionssont tout aussi importantes. Privés dedémocratie au niveau politique, les nou-velles générations se voyaient égalementprivées de démocratie dans le monde desaffaires, tant la confiscation du pouvoiréconomique par de petites oligarchiesproches du pouvoir était totale. Danschaque pays, une ou deux familles, unepoignée d’hommes avaient la haute mainsur les économies nationales, disposaientde monopoles ou exigeaient des partsconsidérables des revenus de toute entre-prise. Le cas de la famille Traboulsi enTunisie ou celui d’Ahmed Ezz en Égyptesont devenus légendaires. Mais la situa-tion n’est guère différente en Syrie, oùl’économie est entre les mains de deuxcousins du président, Rami Makhlouf etZou El Hima Shalish. La crise économique de 2008, et notam-ment les fluctuations du prix des matièresde base (fluctuations souvent causées parla spéculation) a également accentué lafragilisation de nombre de familles dans lemonde arabe, surtout dans les pays oùplus de 65 % des revenus d’un foyer sontconsacrés à l’alimentation. À cela s’ajouteun taux de chômage des jeunes particu-

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lièrement préoccupant. En Tunisie, le chô-mage des jeunes diplômés était souventsupérieur à 35 % et un diplômé de l’en-seignement supérieur avait quatre foismoins de chances qu’un non-qualifié detrouver un emploi. Toute l’économie tuni-sienne avait été axée sur le développe-ment de quelques ilots touristiques et surle secteur textile, lequel, comme le touris-me, ne nécessite pas d’emplois qualifiés. Les pays de la région Mena devront créerentre 60 et 90 millions d’emplois avant2020, selon plusieurs études. Or, lesrégimes actuels sont incapables de menerla transition nécessaire. Créer un aussigrand nombre d’emplois, en un laps detemps aussi court, implique de sortir deséconomies de rente11, de s’orienter versdes secteurs productifs, ceux du high-tech, de l’économie du savoir et du capi-tal humain. Devant la pénurie d’emplois,le ressentiment des jeunes à l’égard deces régimes est donc appelé à grandir,une raison supplémentaire qui nous inci-te à dire que le processus enclenché seradouloureux mais irréversible. N’oublions pas de mentionner un autreéchec patent de ces régimes, celui del’aménagement du territoire. Ce n’est pasun hasard si les émeutes tunisiennes ontcommencé à Sidi Bouzid, ville moyennedu centre-Ouest, les mouvements sociauxégyptiens dans la ville de Mahalla AlKubra, ville industrielle ayant souffert dudéclin du textile, et la révolution syriennea commencé à Deraa, petite ville agricoleà la frontière avec la Jordanie. On le voit,les inégalités territoriales, économiques etsociales furent également au cœur de cesrévolutions.

La grille de lecture démographiqueIl nous faut également mentionner latransition démographique rapide qui acréé des conditions propices au succès deces révolutions. Cette grille de lecturedémographique est apparue il y a 10 ans,lorsque le démographe Philippe Fargues apublié Générations arabes, l’Alchimie dunombre (Fayard, 2000)12 et s’est de nou-veau imposée suite à la parution de l’ouvra-ge Le Rendez-vous des civilisations, coécritpar le démographe Youssef Courbage et

Emmanuel Todd en 200713. Rappelonscertains éléments : le taux d’alphabétisa-tion, notamment des femmes, a atteint detrès hauts niveaux alors que celui de lafécondité diminuait rapidement. Après unboom démographique, la transition futrapide depuis la fin des années 1970. Laplupart des pays musulmans passent de6 ou 7 enfants par femme à 2 ou 3. Letaux de fécondité en Tunisie est désor-mais inférieur à celui de la France. En cequi concerne l’alphabétisation, la situa-tion en Tunisie en 2011 est proche decelle de la France en 1789.Ces analyses sont très intéressantes carelles montrent que la hausse du taux d’al-phabétisation, la baisse du taux de fécon-dité et la sortie progressive du modèleendogame sont des bouleversementssociaux et psychologiques majeurs, quipermettent une émergence de l’individupar rapport au groupe et une émancipa-tion des femmes. Chacun peut désormaislire et rédiger un tract, ce qui n’est jamaisinutile en période révolutionnaire. Cesbouleversements démographiques serépercutent donc sur la scène politique etpermettent aujourd’hui de mieux com-prendre l’entrée de certains pays comme laTunisie dans le modèle historique classique.Ces arguments eurent très vite un succèsmédiatique important, puisqu’ils offraientune grille de lecture originale à uneépoque où la plupart des intellectuels enétaient réduits à compter le nombre debarbus parmi les manifestants cairotes ouyéménites. Emmanuel Todd sortit doncun deuxième livre14, intitulé avec humour« Allah n’y est pour rien ». Mais aussiséduisante soit-elle, cette grille de lecturepeut poser problème. À titre d’exemple, leYémen, pays qui est loin d’avoir achevésa transition démographique, a étésecoué par des manifestations monstres,qui n’ont certes pas encore fait tomber lerégime.Il faut également signaler le risque deremplacer la religion par la démographiecomme sésame explicatif universel. Il y aquelques années, le regretté intellectuelnewyorkais Tony Judt, qui avait pourtantun certain nombre de points communsavec Todd (le courage intellectuel, l’héri-tage aronien, l’iconoclastie, l’originalité,

le goût de la polémique, l’attachement àl’empirisme) avait reproché à ce dernier,dans les colonnes de la New York Reviewof Books15 d’avoir développé une fixationsur les questions de fécondité et sur lefacteur démographique, au point de vou-loir tout expliquer à travers cette grille delecture16. On en reviendrait donc à unesorte de prédétermination par les struc-tures. On ne sortirait du théologocentris-me dénoncé plus haut que pour arriver àune « vision téléologique de l’histoire »,que le blogueur marocain Ibn Kafka aégalement vu poindre chez Todd. Or, cequ’il y a de fascinant et d’enthousiasmantdans les révolutions, c’est précisément,comme le soulignent Edwy Plenel etBenjamin Stora17, qu’elles sont imprévi-sibles, qu’elles ouvrent grand « le champdes possibles » et qu’on peut donc enfinespérer sortir des déterminations.

La révolution médiatiqueLes causes politiques, économiques etdémographiques évoquées ci-dessus ontégalement été soutenues par des évolu-tions technologiques et sociétales essen-tielles, par la révolution médiatique18 etpar cette irrésistible aspiration à la trans-parence qui semble caractériser notreépoque. Les Tunisiens n’avaient certespas attendu Wikileaks pour connaître lacorruption de leurs gouvernants, maisvoir des diplomates américains chevron-nés décrire noir sur blanc toutes les turpi-tudes de la « famille mafieuse » a certai-nement accéléré la prise de conscience dela nécessité du changement. Facebook,

11 - Sur les effets néfastes des économies de rente, voir l’ouvrage(consacré à l’Afrique mais les problématiques sont souvent proches) deJean-Michel Séverino et Olivier Ray, Le temps de l’Afrique, Odile Jacob,2010 et notamment son chapitre 14 évoquant le « syndrome hollan-dais ». Voir aussi la conférence de Georges Corm au Cercle desEconomistes Arabes le 26 mars 2010, titrée : « Comment sortir des éco-nomies de rente ? » dont un résumé est disponible en ligne sur www.economistes-arabes.org12 - Voir aussi l’entretien de Philippe Fargues avec la Revue Esprit enjanvier 2002, titré « Comprendre le monde arabe par la démographie »13 - Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Le rendez-vous des civilisa-tions, Seuil, 2007.14 - Emmanuel Todd, Allah n’y est pour rien, Editions Arretsurimages.net,2011.15 - Tony Judt, Anti-Americans abroad, New York Review of Books, 3avril 2003.16 - Nonobstant cette critique, on lira avec grand intérêt la dernièresomme d’Emmanuel Todd, L’origine des systèmes familiaux, tome 1,l’Eurasie, Gallimard, 2011.17 - Benjamin Stora, Entretiens avec Edwy Plenel, Le 89 arabe, Stock,2011.18 - Voir mon article « Révolutions médiatiques en Méditerranée », parudans le n° 76 (septembre 2009) de la Revue Internationale et Stratégique.

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Twitter, YouTube, ont accompagné les révo-lutions, ont permis d’amplifier un mouve-ment. Il serait toutefois indécent de parlerde « Révolution Facebook » tout d’abordeu égard aux centaines de manifestantsqui ont subi la torture, affronté les armeset donné leur vie pour le succès de cesrévolutions, et ensuite parce que ces ins-truments ne sont pas forcément utilisésuniquement par les militants d’une alter-native démocratique. Comme l’a montrél’analyste biélorusse Evgeny Morozovdans son ouvrage The Net Delusion19, lesrégimes autoritaires peuvent aussi tirerprofit de ces nouvelles technologies et s’enservir en position de force. Par ailleurs,les nouveaux médias ont été pertinentsparfois et surtout parce qu’ils ont étérepris par les chaînes satellitaires tradi-tionnelles. Al Jazeera a joué un rôle déci-sif durant la révolution égyptienne.France24 a également gagné ses lettresde noblesse avec les révolutions arabes,ainsi que la version anglaise d’Al Jazeeraqui a réussi une percée remarquable. Iln’est toutefois pas dit, notamment euégard au rapprochement entre le Qatar etl’Arabie Saoudite qu’Al Jazeera sera tou-jours à l’avant-garde du combat pour leslibertés démocratiques. C’est toute l’am-biguïté de médias qui sont souvent égale-ment des relais d’influence de la diplo-matie du pays d’origine. En tout état decause, les vieux médias de la propagandegouvernementale arabe officielle, avecleur logique verticale et leurs grossesficelles, sont désormais dépassés par unenouvelle logique, faite d’interaction per-manente, et infiniment plus propice à laremise en question des versions étatiques,à l’impertinence, au refus de l’autorité, etdonc à l’émergence de l’individu. Cetterévolution-là n’est pas moins importanteque les autres.

Après le « splendide lever de soleil », des transitionstumultueusesOn le voit, toutes les tendances lourdesjouent contre les régimes en place. Ilssont tout simplement incapables de s’yadapter. Quand bien même ils tenteraientde prendre les devants et d’annoncer devastes réformes, ils ne seraient guère pris

au sérieux par leurs opinions, désormaisconvaincues que les régimes actuels, àune ou deux exceptions près, sont irréfor-mables. Ils ont trop longtemps refusétoute évolution, fut-elle minime, et ils onttant à perdre s’ils osent un authentiquechangement. L’heure n’est plus aux réfor-mettes. John Kennedy l’avait compris :« Ceux qui rendent impossible la révolu-tion pacifique rendront inévitable la révo-lution violente. » Si ces régimes nous semblent, à terme,condamnés, rien ne garantit que la tran-sition se fera sans heurts. Elle sera aucontraire extrêmement tumultueuse etnous connaîtrons de nombreuses convul-sions post-révolutionnaires, des retoursprovisoires à l’ordre ancien, puis unrenouveau du combat démocratique. À cejour, seule la Tunisie peut parler de révo-lution ayant été à son terme, c’est-à-direà une nouvelle architecture politiquenationale. En Égypte, le Conseil supérieurdes forces armées se comporte encoresouvent comme s’il souhaitait oublier lesacquis de la révolution. Le nombre dejeunes activistes égyptiens qui ont ététraînés devant les tribunaux militairesaprès la révolution fait frémir. Au Bahreïn,les conservateurs ont joué la carte du com-munautarisme, présentant les révoltescomme étant le fait d’agitateurs chiites,supposément manipulés par l’extérieur, etqui voudraient en découdre avec les sun-nites minoritaires au pouvoir. Au Yémen,les États-Unis et l’Arabie Saoudite étu-dient la perspective d’une transition maisn’ont pas encore définitivement lâché leprésident Saleh, tant ils craignent unevaste déstabilisation, compte tenu desimportantes quantités d’armement pré-sentes dans le pays, de la présence d’AlQaida, et du risque de somalisation. EnSyrie, les manifestants ont réussi jusqu’àprésent à rester fidèles aux trois règlesd’or, très pertinentes, fixées par l’oppo-sant Burhan Ghalioun, professeur de socio-logie à la Sorbonne : « Non au recours auxarmes, non à l’intervention militaire exté-rieure, non au confessionnalisme. » Maisface à l’intransigeance du régime, lesopposants syriens, poussés à bout, ne ris-quent-ils pas bientôt de tomber dans lepiège qui consisterait à prendre les armes

et donner ainsi au régime un prétextepour leur mener une véritable guerre enposition de force, avec toutes les consé-quences tragiques que cela pourraitavoir ? En Libye, la décision de faire inter-venir l’Otan a déjà fait sortir le pays de lalogique des printemps arabes, et l’a faitentrer dans une logique de guerre dont onn’est pas encore sorti. Le profil et le passédes principaux représentants actuels duConseil national de transition ne sontguère de nature à rassurer, même si cer-tains intellectuels se sont hasardés à lescomparer hâtivement à la Résistancefrançaise. Jacques Prévert avait tellementraison lorsqu’il disait qu’ « il ne faut paslaisser les intellectuels jouer avec desallumettes.20 » Les révolutions arabes, initialement paci-fiques et non-violentes, risquent, par laforce des choses, et en raison de l’attitudejusqu’au-boutiste de certains régimes, dedégénérer et de sombrer dans la violence.Il y aura probablement encore beaucoupde sang, de sueurs et de larmes avant quele monde arabe ne prenne le chemin de ladémocratisation. Mais comme l’a dit EdgarMorin, citant Hegel qui saluait rétrospecti-vement 1789 : « Ce fut un splendide leverde soleil », et même si le monde arabedevait passer dans les années à venir pardes phases de retour en arrière, même s’ildevait connaître à son tour des Thermidoret des Restaurations, « le message renaî-tra et renaîtra » car il est désormais clairque « l’aspiration démocratique, loind’être un monopole de l’occident, est uneaspiration planétaire ». n

19 - Evgeny Morozov, ‘The Net Delusion, The Dark Side of InternetFreedom’, Public Affairs, 2011,20 - Pour une analyse de l’attitude des intellectuels face aux révolutionsen cours, voir mon article « Les intellectuels français et le printempsarabe, paru dans le No 83 (automne 2011) de la Revue Internationale etStratégique.

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Autour du « 89 arabe »

« Avec le recul, je considère toujours qu’il s’agit d’une périodehistorique nouvelle pour le monde arabe, avec, en particulier, le surgissement de manière autonome,indépendamment des pouvoirs et des mouvements en place, de sociétés qui aspirent à l’égalité et à la liberté. »

Entretien avec Benjamin Stora Professeur des universités (Paris 13, Inalco)http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/

Vous avez choisi comme titre, pour l’ou-vrage d’entretiens avec Edwy Plenel,

le 89 arabe, réflexions sur les révolutionsen cours (Stock, 2011), et ce livre com-porte en annexe une chronologie détaillée.Première question : à quel moment, queljour si vous vous en souvenez, avez-vouscompris que ce qui se passait était irréver-sible, que c’était une rupture comme cellede 89 ? Le premier article d’Edwy Plenelintitulé « le 89 arabe » date du 2 février2011. Par ailleurs, pourquoi avoir gardécette ambiguïté entre le 1989 européen etle 1789 de la Révolution française ?Aujourd’hui avec le recul, pensez-vousqu’on puisse sans crainte faire le parallèleavec 1789 et considérer que c’est un peu« l’ancien régime » arabe qui est en trainde s’écrouler ?Dès la mi-janvier 2011, juste après lafuite de Ben Ali de Tunisie, dans l’hebdo-madaire Marianne j’ai comparé cemoment à d’autres processus révolution-naires : la révolution portugaise de 1974avec la fin d’une des plus vieilles dicta-tures d’Europe, ou la chute du mur deBerlin en 1989… Cette fuite était pourmoi une surprise, un événement énorme,suivi de la chute d’Hosni Moubarak enÉgypte. Tous les indices s’accumulaientpour une rupture décisive, mais on nepouvait pas prédire ce qui allait se passer.Dès l’an 2000, un chercheur, PhilippeFargues, avait décrit dans son livreGénérations arabes1 tous les facteursdémographiques – la diminution de lataille des familles en particulier – quimontraient l’évolution constatée aujour-d’hui. La « modernisation » de la sociétéapparaissait à la fois comme la cause etla conséquence de l’effondrement démo-graphique. De Rabat à Bagdad, avecpour seule exception, en raison de sasituation très particulière, Gaza. Un phé-nomène qui était sans doute aussi lié àune appréhension du futur : on fait moinsd’enfants quand l’avenir est mal défini,appréhendé ; quand on ne sait pas trop

ce qu’ils vont devenir dans la sociétédans laquelle on vit. D’autant que le reculdes idéologies messianiques – du natio-nalisme arabe à l’islamisme radical –, quiont un rôle rassurant, ne pouvait que renforcer cette incertitude, la peur de l’inconnu. Parmi les indices, on peut aussi évoquerles « harragas », ceux qui fuient leur payspour d’autres horizons de liberté ou satis-faction sociale. Il y avait encore les abs-tentions aux élections, de plus en plusmassives à l’évidence malgré les chiffresofficiels proclamés. Mais comme pour lestremblements de terre : il va se produirevu les « tensions » accumulées… il resteimpossible de dire une date, un momentprécis. Et la surprise est grande le jour oùcela se produit. Il est vrai que le discoursde beaucoup d’intellectuels occidentauxqui parlaient d’une spécificité des socié-tés arabes peu enclines à bouger ou durisque islamiste si les dictatures dispa-raissaient – légitimant ainsi la répression– n’aidait pas à se faire entendre quandon soutenait autre chose. Avec le recul, jeconsidère toujours qu’il s’agit d’une pério-de historique nouvelle pour le mondearabe, avec, en particulier, le surgisse-ment de manière autonome, indépen-damment des pouvoirs et des mouve-ments en place, de sociétés qui aspirentà l’égalité et à la liberté.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, unequestion méthodologique. C’est toujoursune gageure pour un historien que des’attaquer à l’histoire du temps présent.Vous avez réussi dans cet ouvrage àéchapper aux écueils qui consisteraientà faire du reportage ou du commentaireà chaud, et vous avez préféré remonterdans le temps et analyser la « reprised’une histoire interrompue ». Quelles

1 - Fargues Philippe, Générations arabes, l’alchimie du nombre, Fayard2000

sont les règles que vous vous êtes fixéesen tant qu’historien ?La règle essentielle est toujours celle d’al-ler aux faits, de les chercher, et de s’ap-procher de la vérité. Donc de s’éloignerdes abstractions idéologiques, ou desthéories faisant la part belle à la rumeurou à la conspiration. Le travail historiques’appuie sur des déroulements concrets,des mises en œuvre de chronologies pré-cises, des constructions de biographiesd’acteurs essentiels, de bibliographies. Cedernier point, la recherche bibliogra-phique, reste décisif : il faut connaître lestravaux déjà réalisés, ne pas repartir dezéro, s’appuyer sur des connaissancesdéjà réalisées. C’est une différencenotable avec le travail journalistique quisemble toujours aller vers des décou-vertes originales, en omettant ce qui avaitdéjà « préparé » le terrain. Le rapport à lalongue durée permet de se repérer dansles tumultes du présent.

La France a été prise de cours par cesrévolutions arabes et a tardé à enprendre la mesure. À quoi attribuez-vouscela ? À des intérêts stratégiques biencompris ? À la rémanence de certainsimpensés coloniaux et orientalistes quiconsidèrent que les Arabes doivent êtregouvernés par la force ? Au grand retardpris par l’université française en matièred’études postcoloniales ? À la hantise del’islamisme et du terrorisme ? À ce quevous appelez « la crise du regard savantsur l’islam » ?Vous indiquez dans votre question toutesles hypothèses, pistes de recherches déjàformulées dans l’ouvrage. C’est un mixte,un mélange de méconnaissance desmondes du Sud avec une forme d’arro-gance culturelle ; un manque d’humilitédevant un univers qui se transforme ; desréflexes et nostalgies héritées du tempscolonial ; une grande faiblesse dans laconnaissance de l’Autre (langues, croyances,histoires…). Ce cocktail est explosiflorsque l’histoire se met brusquement enmarche….

L’un des pays que vous connaissez lemieux et sur lequel vous avez beaucouptravaillé est l’Algérie. Quelles sont à vos

yeux les principales raisons qui font quel’Algérie n’a pas encore emboité le pas àla Tunisie et à l’Égypte ? En tant quespécialiste des enjeux de mémoire et destraumatismes collectifs, dans quellemesure estimez-vous que c’est le passéet notamment les événements tragiquesdes années 1990, qui expliquent ce blocagealgérien ? Vous parlez de «verrou» et de«double traumatisme»…Oui, il s’agit d’un double traumatisme :celui d’une guerre d’indépendance, il y atout juste un demi-siècle, et qui a provo-qué des centaines de milliers de mortsavec un immense déplacement de popu-lations, en particulier paysanne ; et, plusprès de nous, le traumatisme de la guer-re civile des années 1990, avec près decent mille morts et blessés, dans la guer-re entre l’État et les groupes islamistes.L’Algérie semble à la fois très en avanceet… en retard dans le processus encours. Très en avance car les Algérienspeuvent avoir le sentiment d’assister à un« remake » de ce qu’ils ont déjà vécu il ya vingt ans. « Nous aussi, entre 1988 et1990, nous avons déjà connu cette effer-vescence », se disent-ils. Avec la fin dusystème du parti unique, l’apparitiond’une presse privée, des partis politiquesnombreux, un courant islamiste puissant.Et, après ce processus, une terrible guer-re civile. Mais l’histoire n’est pas unesuite de nouvelles versions, elle se fait enavançant. Et si les Algériens ne se met-tent pas à niveau, en voyant ce qui sepasse ailleurs, ils risquent de se retrouvertrès vite… en retard. Car s’ils ont obtenudes avancées au niveau de la société civi-le, comme la liberté de la presse, le régi-me et son mode de fonctionnement sontrestés intacts. Le poids du passé, et enparticulier celui de la guerre civile dansles mémoires ne rend pas facile un chan-gement radical. D’autant que lesAlgériens ont l’impression d’avoir étéabandonnés à l’heure des difficultés,d’avoir payé d’une certaine façon pour lesautres. Ils ne veulent peut-être pasrecommencer une expérience du type decelles qu’ils ont connues.

L’un des points de désaccord amicalentre vous et Edwy Plenel porte sur la

Libye. Plenel a immédiatement condam-né l’intervention française en Libye tan-dis que vous étiez plus incertain. Avec lerecul, avez-vous changé d’avis ou esti-mez-vous toujours que cette interventionétait un moindre mal ?Le livre a été écrit au début du mois demars 2011, au moment où commençaitl’affrontement entre le régime de Kadhafiet les rebelles de Benghazi. Dans monesprit, le sentiment d’urgence dominait,avec la hantise d’un écrasement commeau moment de la guerre d’Espagne en1936-1937. La non-intervention de lagauche, alors au pouvoir au moment duFront populaire, avait provoqué la chutede Madrid, puis l’écrasement des anti-franquistes… Je ne regrette pas d’avoiréprouvé cela, la nécessité d’une interventionpour protéger des civils. Je n’ignore pasl’instrumentalisation, par le pouvoir françaisà des fins de politique intérieure, de ceconflit pour effacer l’attitude au momentdes révolutions tunisienne et égyptienne…La vigilance s’impose sur les buts pour-suivis par les Occidentaux dans cetteguerre, en particulier à propos du pétrole(la Libye reste un des plus grands pro-ducteurs mondiaux de pétrole).

La gauche arabe a été marginaliséedepuis la fin des années 1960 et surtoutdepuis la montée en puissance des mou-vements religieux islamistes qui fut enpartie le résultat de l’alliance entre lesÉtats-Unis, l’Arabie Saoudite et lePakistan. Pensez-vous qu’une certainegauche puisse resurgir à la faveur de cesrévolutions ? De quelle gauche pensez-vous que le monde arabe a aujourd’huibesoin, d’une gauche radicale et laïque ?D’une gauche libérale qui chercherait àcomposer avec les autres forces pré-sentes sur le terrain ? Il existe une longuetradition de gauche révolutionnaire dansles pays arabes mais la gauche réforma-trice et social-démocrate a souvent eudu mal à s’implanter. Son heure est-ellevenue ?Vous avez raison d’évoquer la gauchedans les pays arabes, car c’est elle quisemble le plus en difficulté ces dernièresannées, coincée entre des régimes dicta-toriaux et des mouvements islamistes qui

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captent le mécontentement social. Lagauche ne pourra pas s’affranchir desquestions posées par le rapport au marché,et la sortie d’une idéologie foncièrementétatiste et collectiviste, longtemps portéepar le nationalisme arabe. C’est peut-êtrel’heure, effectivement, pour une gauchedavantage portée sur la régulation, sur lacorrection des inégalités sociales que surles vieux programmes de « nationalisa-tions » qui ont mené certains pays dansune impasse. Il y a aussi le rapport àl’Islam, la question de la séparation entrele politique et le religieux qui ne tarderapas à se poser à la gauche laïque, commeen Iran aujourd’hui.

Vous parlez de « l’histoire enfouie de ladémocratie arabe », et évoquez ensuitela fixation occidentale sur l’islamisme.Alors qu’émerge, selon certains, une« génération post-islamiste », pensez-vous qu’il sera plus aisé de renouer avecl’héritage de la Nahda au Levant ou aveccelui du MTLD au Maghreb ? Ou faudra-t-il imaginer de nouvelles voies vers ladémocratie, qui chercheraient à intégrerle fait religieux ?Les héritages d’histoires sont bien sûr àprendre en compte, en particulier la« Nahda » ce processus de réformes bloqué par l’arrivée de la colonisation ; etaussi le républicanisme entré par effrac-tion toujours au moment de la pénétra-tion coloniale européenne. Et c’est bienpourquoi la démocratie reste une idéeneuve dans le monde arabe. Mais lesrecherches démocratiques devront inté-grer les aspects du religieux, encore siprégnants dans les sociétés musulmanes.Le « modèle turc », en ce qu’il combinel’appartenance à une aire culturelle isla-mique, et le respect des droits de l’hom-me, et de la femme, indique une tendan-ce actuelle. Mais cette bataille de défini-tion, ne fait que commencer dans desformes inédites : le vendredi, jour tradi-tionnel de prière, est devenu le momentdu rassemblement démocratique, pourl’affirmation d’une volonté citoyennecontre les régimes…

Vous évoquez en quelques pages lesmonarchies arabes et vous dites notam-

ment à propos de la dépendance énergé-tique de l’Occident : « Ce système infernals’est mis en place et ne peut plus sedéfaire. Avec pour conséquence, cetengrenage où l’Occident est amené à ''dé-fendre'' les monarchies du Golfe. » Vousmettez le doigt dans la plaie en rappelantqu’en fait « ce sont des familles qui ontpris possession de ces pays. Ce ne sontplus des États, mais des familles qui seconsidèrent comme propriétaires de cespays. » Ces monarchies, dites-vous, ontcontaminé les républiques et EdwyPlenel fait le parallèle avec la Tunisie deBen Ali, avec le clan Moubarak en Égyp-te, avec la succession héréditaire envisa-gée par Kadhafi en Libye et même avecle Liban, où Plenel qualifie Hariri de« fondé de pouvoir de la monarchie saou-dienne ». Or, jusqu’à aujourd’hui, lesmonarchies se serrent les coudes et sem-blent mieux résister aux vents du chan-gement. Pensez-vous qu’il puisse y avoirune contamination dans l’autre sens etque les nouvelles républiques libérées dela tyrannie puissent susciter des aspira-tions démocratiques dans les pays gou-vernés par des monarchies ? Et tant queles monarchies demeurent solidementétablies, souvent en train de fomenterdes contre-révolutions, ne sera-t-il pasillusoire de parler de démocratie dans lemonde arabe ? Pour que l’on puisse par-ler d’un véritable 1789 arabe, ne fau-drait-il pas attendre qu’une monarchie netrébuche ?Dans mon esprit, et je l’ai exprimé dansle livre, il y a eu contamination, perver-sion des systèmes républicains par lavolonté d’instaurer des successionsdynastiques. Le fils de Hafez El Assad estainsi arrivé au pouvoir, et se profilait l’ar-rivée du fils de Moubarak ou de la femmede Ben Ali… Les clans familiaux deve-nant ainsi des dynasties, appuyés sur despratiques de clientélisme et de corrup-tion. Pour les monarchies, à mon avis, laquestion centrale, pour le moment, estcelle du passage à des monarchiesconstitutionnelles (sur les modèles anglaisou espagnol), avec valorisation du rôledes Parlements. Nous sommes encoreloin, même si cette direction a été prisepar le roi du Maroc. L’effet de contamina-

tion, en sens inverse, part cette fois desrépubliques pour atteindre les monar-chies, en particulier celle des Émirats, del’Arabie saoudite, engluées dans des pra-tiques de fonctionnement archaïque.Cette montée en puissance, cette volonté,ce courage pour parvenir à la liberté etl’égalité des droits est bien le début d’un« 89 arabe ». La force et la vivacité desrevendications, de Rabat à Damas, ontété aussi l’occasion d’une inversion deregard porté jusque-là sur cette région dumonde musulman. La vitesse de propa-gation des idéaux de liberté et d’égalité aobligé, en effet, à voir différemment dessociétés que certains spécialistes ontlongtemps considérées comme immo-biles, engluées dans le religieux et le des-potisme. n

Propos recueillis par Karim Emile Bitar

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12 / septembre 2011 / n° 414

Du 11 septembre aux révolutions arabes

Le printemps arabe, s’il nous a tous surpris de par la rapide successiondes épisodesrévolutionnaires entre décembre 2010 et mars 2011, était attendu de longuedate tant les dystrophiesdans le monde arabeétaient allé croissantes.L’impact des révolutionsarabes sur l’Afrique vagrandissant et risqueraitde prendre de l’ampleur si l’on venait à assister àun seul précédent mettanten scène cette logique de contestation dans unthéâtre sub-saharien.

Entretien avecMohammad-Mahmoud Ould Mohamedou1

Professeur invité à l’Institut de hautes étudesinternationales et du développement Expert associé au Centre de politique de sécurité de Genève, Ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie.

Au cours des dix dernières années,vous avez beaucoup écrit sur les

mutations d’Al Qaida et sur les impassesde la « guerre globale contre le terroris-me ». Très tôt, puis dans votre ouvrageUnderstanding Al Qaeda publié en 2006,vous avez rompu avec certaines lecturesfocalisées exclusivement sur les facteursreligieux ou sécuritaires, adoptant unedémarche scientifique et rationnellepour analyser Al Qaida comme phéno-mène essentiellement politique. Depuisl’élimination d’Oussama Ben Laden et ledéclenchement des révolutions arabes,beaucoup d’analystes évoquent un « chan-gement de paradigme » et une margina-lisation de son groupe. Al Qaida avaitpourtant souhaité la chute de nombre deces régimes. Dans quelle mesure pen-sez-vous que la page des années 2000est aujourd’hui tournée ?De manière assez consistante, Al Qaida aété dès le départ dépeinte par le biaisd’analyses émotionnelles et non scienti-fiques. Si l’on pouvait escompter une telleapproche de la part des politiques,notamment au lendemain du traumatis-me du 11 septembre, la rapide mise enplace du récit sécuritaro-religieux décri-vant des « fous de Dieu » en quête du« Califat » avancé à la fois par des uni-versitaires, des experts et des journalistesaura, au bout du compte, perceptible-ment appauvri notre compréhensiond’une forme de terrorisme qui, à l’examencritique et circonstancié des faits, tientplus d’une nouvelle génération de projec-tion transnationale de la violence poli-tique que des mutations sociales de l’is-lamisme. La perpétuation, dix ans durant,de ce discours aux soubassements cultu-ralistes en dit plus sur ceux qui s’entêtè-rent à répéter ses axiomes, alors que lesfaits infirmaient leurs hypothèses, que surl’organisation de Ben Laden. En réalité,ce discours était pétri de contradictions etalterna au cours de la décennie entre

annonces sporadiques de « la fin d’AlQaida » et du « retour d’Al Qaida »...L’essentiel, à savoir la capacité inhérentede métamorphose et le positionnementsur le long de cette organisation, auraéchappé au récit public.Aujourd’hui, alors qu’Al Qaida avait préci-sément fait de la chute des régimes auto-ritaristes dans le monde arabe un destrois éléments de son casus belli réguliè-rement exprimés (les deux autres étant laprésence de troupes américaines en« terre d’islam » et le soutien américain àIsraël), le printemps arabe est présentécomme une défaite d’une Al Qaida qui n’aréellement jamais cherché à atteindre lesmasses, puisque, comme toute organisa-tion terroriste, elle fonctionne essentielle-ment au niveau d’une élite. Avant mêmela disparition de Ben Laden, Al Qaidaétait consciemment entrée dans unelogique suivant laquelle l’organisationmère, que j’appelle Al Qaeda Al Oum,s’était mise en retrait au profit desgroupes régionaux en Irak, dans la pénin-sule arabique et en Afrique du nord.Paradoxalement, le tapage médiatiqueautour de la mort de Ben Laden et lesanalyses annonçant prématurément ladisparition du groupe ont facilité uneforme de « che guevarisation » de BenLaden ainsi que l’émancipation d’unenouvelle génération au sein de la mou-vance dont on peut croire qu’elle seraplus imprévisible et moins politique.

Quelle lecture faites-vous des révolutionsen cours dans le monde arabe ? Peut-onparler à nouveau d’un « retournementdu monde » ? Est-on sorti de ce quevous aviez appelé la « logique carcéralemondialisée » ?Le printemps arabe, s’il nous a tous sur-pris de par la rapide succession des épi-sodes révolutionnaires entre décembre2010 et mars 2011, était néanmoinsattendu de longue date tant les dystro-

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13/ septembre 2011 / n° 414

1 - Auteur de Contre-Croisade, Le 11 Septembre et le Retournement duMonde, L’Harmattan, 2011, et Understanding Al Qaeda, Changing Warand Global Politics, Pluto Press, Londres, 2011.2 - Edward Said, L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Seuil, 19803 - Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852

phies dans le monde arabe étaient alléescroissantes. Il est avant tout la réponsedéférée à la mal gouvernance qui sévitdans la région depuis une décolonisationqui à maints égards n’en fut pas réelle-ment une et qui fut suivie par des régimesarabes post-coloniaux incompétents etpour la grande majorité corrompus, àl’image emblématique de la Tunisie desBen Ali, l’Égypte des Moubarak et la Syriedes Assad. Passée la période romantiquede l’hiver dernier, les révolutions sontaujourd’hui entrées dans la phase detransition politique dont la complexité estautrement plus conséquente. Il s’agira dejeter les fondements d’une nouvelle rela-tion entre État et société au-delà des ren-dez-vous électoraux, de l’imaginationd’une culture démocratique contextuali-sée aux spécificités musulmanes – ce quiest possible et intéressant du point de vuede la régénération universelle du conceptdémocratique en soi – mais également dela responsabilisation du citoyen arabe quine devra pas quitter un extrême, la viola-tion de sa dignité, pour un autre, unassistanat social qui à terme le rendrait ànouveau dépendant de l’arbitraire. Je suisoptimiste à l’égard d’une évolution quiétait nécessaire pour « rebooter » le sys-tème politique arabe même si j’insisteraissur deux points : le temps que cela pren-dra et l’impératif d’une gestion conscien-cieuse des démocratisations.Le printemps arabe est la première e-révo-lution et son influence mondiale est déjàavérée. Voyez los indignados en Espagneet les mouvements de protestation s’inspi-rant de cette vague en Grèce, en Grande-Bretagne, en France, et ce jusqu’enIsraël... Mais cela est également révélateurdu besoin mondial de défoulement face àun système global bouleversé et travaillédix ans durant par un regain de logiquesimpériales et d’invention de nouvellesformes d’asservissement des citoyens.

Compte tenu de ces bouleversements,quelles doivent être les principalesétapes de la refonte des grilles de lectu-re occidentales ? Dans une tribune paruedans Le Monde le 7 mars 2011, vouslanciez un appel à rompre avec les vieuxdogmes orientalistes, avec l’essentialis-

me qui a caractérisé le regard européendepuis si longtemps. Les pays arabes,écriviez-vous, doivent être désormais« compris simplement par le biais descatégories universelles de la libéralisa-tion politique et de la transition démo-cratique. » Comment expliquez-vous larémanence de ces théories pourtant dis-créditées sur « l’exception arabe », etcomment les dépasser ?Ce qui est frappant, voyez-vous, c’estque, quel que soit le développement dansle monde arabe – crise économique,conflit armé, révolution sociale –, il seheurte invariablement dans ces analysessoit au scepticisme, soit à une redéfini-tion sur la base d’analogies bancales.C’est cette impossible réciprocité avecl’universel qui prévaut, donnant le la de lapolitique complexe d’une région com-plexe, dont il faudrait se départir désor-mais. Aussi, je note la naissance du néo-orientalisme à l’occasion du printempsarabe. Là où une transformation évidentedu terrain devrait logiquement interpellerles sciences sociales et le politique en vued’un réexamen d’une grille de lecture dis-créditée à l’égard d’une région importan-te du monde, les mêmes analystes qui,trente ans durant, auront présidé à ladéfinition du « monde arabe » remettentà jour des récits, simplement saupou-drées de recettes démocratiques maisretenant les mêmes catégories de « réveilarabe ». Où sont les analyses compara-tives replaçant ce dernier mouvement delibéralisation – il y en a eu un qui aéchoué durant les années 1990 – dansune trajectoire historique qui puise dansdes modernités avortées durant lesannées 1910-20 puis les libérationsconfisquées en 1950-60, et que l’on peutplus comprendre à l’aune des expériencesen Amérique latine durant les années1970 qu’en se penchant pour la énièmefois sur « la rue arabe » ou la sentencieu-se interrogation de « la compatibilitéentre islam et démocratie » ?

Vous vous inscrivez également en fauxcontre la thèse selon laquelle nousserions aujourd’hui entrés dans une èrepost-islamiste. En quoi cette thèse vousparaît-elle erronée ? Et comment voyez-

vous les prochaines métamorphoses del’islamisme ?Le « post-islamisme » est une phrase sepositionnant tard et de façon hypothé-tique par rapport à un printemps arabequi a pris de court orientalistes et spécia-listes de l’islamisme. Je vais être clair surce point : c’est la troisième fois que l’onnous annonce la fin de l’islamisme... En1991, avant qu’ils ne remportent lesélections en Algérie. En 2001, avantqu’ils ne frappent l’Amérique. En 2011,avant, comme je le pense, qu’ils normali-sent leur action politique en vue d’un par-tage du pouvoir au lendemain desrévoltes arabes. La rhétorique post-isla-miste est précisément l’illustration de cequ’Edward Said dénonçait comme le pen-chant du discours orientaliste à nier l’au-toreprésentation à son objet2; « ils nepeuvent se représenter eux-mêmes, ilsdoivent être représentés » disait Marx3. C’est ce que font tout autant les nouvellesanalyses réduisant les comportementssociaux des musulmans à des paramètresdémographiques. Comprenons que l’objetd’étude est ainsi potentiellement toutautant idéologisé chez un Alain Finkielkrautqu’un Emmanuel Todd, et que, dans unetelle posture essentialiste, nous nesommes pas bien loin de Gustave Le Bon.En lieu du « post-islamisme », il nousfaut évoluer vers la dédramatisation del’analyse de ce qui n’est ultimementqu’une possibilité clinique parmi d’autres,dans un portfolio idéologique évolutif,pour le citoyen musulman de donner desoripeaux religieux à un discours politique,soit de radicalisation soit de contestationnon violente. La relation entre religion etpolitique ne diffère pas tant que cela, quel’on soit en Occident ou en Orient. Legrand paradoxe est qu’au moment où lemonde arabe s’ouvre, le monde occiden-tal se ferme sur cette question.

Quel est l’impact des révolutions arabessur l’Afrique ?Je dirais qu’il va grandissant et risqueraitde prendre de l’ampleur si l’on venait à

assister à un seul précédent mettant enscène cette logique de contestation dansun théâtre sub-saharien. Des mouvementss’inspirant du printemps arabe s’étaientmanifestés en avril au Burkina Faso contrele président Blaise Compaoré, mais le can-didat évident est le Sénégal d’AbdoulayeWade, où la recette explosive est réunie :Exécutif vieillissant aux tendances autorita-ristes, velléités dynastiques, classe poli-tique impuissante, jeunesse mobilisée surle mode mondialisé et corruption endé-mique. Accélérée par le mimétisme dumonde arabe et par des parallèles quebeaucoup de Sénégalais établissent déjàavec ce qui s’est passé en Tunisie et enÉgypte, la séquence pourrait aboutir àl’occasion du rendez-vous électoral prési-dentiel de 2012. Notons que, sous l’in-fluence du momentum des démocratisa-tions en Europe de l’Est au lendemain dela chute de l’Union soviétique et contrai-rement à l’aire arabe, l’Afrique sub-saha-rienne avait connu des avancées démo-cratiques substantielles durant les années1990 — au Sénégal, au Bénin, au Maliet au Ghana notamment.

Il n’y a pas aujourd’hui au Sahel deguerre ou d’occupation comme en Irakou en Afghanistan. Pourtant, à entendrecertains discours politiques, la rhéto-rique utilisée est souvent la même. N’ya-t-il pas un risque que ces discours nefinissent par aggraver la situation ?Il y a effectivement un réel danger d’unetelle prophétie auto-réalisatrice. Sur cettequestion, il faudrait identifier sereinementles causes de la détérioration de la situa-tion sécuritaire régionale au cours descinq dernières années, à savoir deuxdéveloppements : l’exportation par leGroupe salafiste pour la prédication et lecombat (GSPC) de son action — uneforme hybride de terrorisme économiquepseudo-religieux — au-delà des frontièresalgériennes vers le reste du Maghreb,puis le Sahel, et, dans ce contexte, lamultiplication de rapts d’Occidentaux quia entraîné un interventionnisme de laFrance ainsi qu’une présence accrue desÉtats-Unis, et, dans une moindre mesure,de l’Espagne. Le danger serait de faire lejeu d’un GSPC rénové en Al Qaida au

Maghreb islamique (Aqmi) en suivantune partition habilement composée pourgénérer une telle militarisation de la zoneque le groupe instrumentaliserait plus enavant au lendemain du vortex sécuritairelibyen. Le Sahel n’est pas l’Afghanistan,encore moins la Somalie. La situationpeut être relativement maîtrisée par unecoopération améliorée et dépolitiséeimpliquant l’ensemble des pays de larégion, un partenariat avec l’Europe et lesÉtats-Unis respectueux des souverainetéslocales et un effort plus marqué del’Algérie, dont proviennent historique-ment et majoritairement les terroristes, etle Mali, au nord duquel ils ont établi descamps de repli.

Quel jugement portez-vous sur l’évolu-tion de la situation libyenne ? Quellesont été à vos yeux les principales erreurscommises ? Vous avez évoqué à la télé-vision suisse l’ironie qu’il y avait à voirsur les murs de Libye des graffitis indi-quant : « Kadhafi, l’ami de l’Amérique,va tomber. » Quelles peuvent être lesconséquences de cette guerre ? Craignez-vous une partition ou un désordre per-manent ?La situation en Libye est une mauvaiseaffaire dont nous n’avons vu que le début.Nous nous orientons vers une « irakisa-tion » de la Libye aux conséquences stra-tégiques « lose-lose » pour tous sur lelong terme. La chute coup sur coup deBen Ali et de Moubarak rendait assuré-ment la survie d’un Kadhafi — en dépiteffectivement de sa reconversion interna-tionale ces dernières années — inévi-table, et la séquence débutait de la mêmefaçon avec des manifestations pacifiquesà la mi-février. La réponse répressive atransformé la situation en conflit armé,mais, précisément à ce stade, il auraitfallu trouver moyen de faciliter une solu-tion libyenne pour forcer le départ deKadhafi dans le droit fil des révolutionssans redéfinir ce mouvement nationald’émancipation dans le cadre d’un jeu stra-tégique international mal conçu, ambigu etmettant en scène des Tintin en Cyrénaïquequi multiplieront les improvisations diplo-matico-idéologiques. Le monde a, par lasuite, toléré durant de longs mois une

répression en Syrie tout autant si ce n’estplus sanguinaire. Où est la logique si cen’est celle d’une realpolitik contre-pro-ductive? En Libye comme en Syrie, jecrains que Kadhafi et Assad fassent preu-ve de jusqu’au-boutisme criminel, et quecela rende les transitions subséquentesplus difficiles qu’ailleurs, tant le tissusocial aura été entamé par une violencedéclinée nationalement. n

Propos recueillis par Karim Emile Bitar

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14 / septembre 2011 / n° 414

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15/ septembre 2011 / n° 414

Commencement du monde, révolutions arabes,

Pendant quatre siècles la culture européenne, puis « occidentale », est devenue hégémonique. Elle a été l’organisatrice du monde et l’uniquedépositaire de la modernité. […] Cette séquence s’achève. Cela ne veut pas dire quel’Occident va disparaître, cela signifie seulement qu’il ne sera plus la seulematrice de la modernité. Les autres cultures seréveillent, se mêlent,s’influencentmutuellement pourconcourir à l’émergence de ce que j’appelle une modernité métisse,c’est-à-dire partagée. C’est dans cette modernitécomposite, plurielle,métisse que le mondearabe est déjà en train de s’insérer.

Entretien avecJean-Claude Guillebaud1

Écrivain et journaliste, éditorialiste au Nouvel Observateur

Vous avez publié en 2008 un livreintitulé Le Commencement du

monde1 et sous-titré « Vers une moder-nité métisse » (Seuil, 2008). Il s’agissaitd’un passionnant tour d’horizon dumonde d’aujourd’hui, qui analysaitnotamment la convergence des civilisa-tions, l’occidentalisation de l’Asie etd’une grande partie du globe, l’ascen-sion de la Chine et de l’Inde après uneséquence occidentale de quatre siècles.Vous analysiez la mondialisation du reli-gieux, les détresses identitaires, l’apportde l’école post-coloniale cherchant à sur-monter les clivages binaires entre Orientet Occident, et bien d’autres sujets. Unde vos chapitres était titré « Un rendez-vous pour l’islam ». L’ouvrage pouvaitalors paraître pécher par excès d’opti-misme. Mais, avec quelques années derecul, il semble en effet que les « indi-cateurs de modernité » que vous perce-viez aient fini par produire de vastes trans-formations politiques. Comment avez-vousaccueilli ces révolutions arabes ? Y avez-vous vu une confirmation de vos vuessur la naissance d’un monde nouveau ?Craignez-vous que ces bouleversementsrapides ne renforcent les crispationsidentitaires et la peur de l’autre quicontinuent de prédominer dans plusieursparties du globe ? J’ai accueilli, bien sûr, les révolutionsarabes de 2011 – mais aussi ce qui s’étaitpassé en Iran au printemps 2009 –comme une confirmation des analyses queje proposais dans mon livre et qui ont par-fois été jugées trop « optimistes ». Je neniais pourtant pas les risques du repli iden-titaire et des fondamentalismes de toutesnatures. Mais j’observais qu’à un niveauanthropologique plus profond, l’évolutionallait dans le sens d’une convergence descivilisations, et non de ce prétendu « choc »

prophétisé en 1993 par Samuel Huntington.Je veux dire par là que, dans leur façon devivre, de communiquer, d’aspirer à la liber-té, les jeunesses du monde se rappro-chaient les unes des autres. J’ai vérifié celadans nombre de pays que je connais bien,que ce soit la Chine, le Vietnam, l’Inde, leProche-Orient.Or, c’est bien ce qui est apparu en février-mars-avril 2011 en Tunisie, en Égypte eten Syrie, pour ne citer que ces exemples.L’émergence d’une génération de garçonset filles éduqués, en prise directe sur lamodernité, habile à se servir des nou-velles technologies de la communication.Leur irruption sur la scène politique – etleur courage – ont pris de court les isla-mistes et les mouvements identitaires.Cela étant dit, il faut se garder de l’angé-lisme. Rien n’est vraiment joué. Les cris-pations identitaires sont bien présentes,elles aussi. Disons que les deux mouve-ments sont simultanés et nul ne sait enco-re qui des deux l’emportera. Cela dépen-dra sans doute des conditions particu-lières de chaque pays. Je vois déjà que,dans un grand pays musulman comme laTurquie, le synthèse entre Islam et démo-cratie est sur le point de réussir.De la même façon, l’élection d’Obamaaux États-Unis, quelques mois après laparution de mon livre m’a semblé repré-senter un symbole prodigieux, et mêmes’il arrivait, au bout du compte,qu’Obama déçoive ses électeurs. La rup-ture symbolique est définitive.

La France et la plupart des pays occiden-taux ont tardé à prendre la mesure de cequi se passait. Vous avez parlé d’ « embarrasdiplomatique ». À quoi attribuez-vous lesfrilosités et les aveuglements ? À un passé

identitarismes et modernité métisse

1 - Dernier ouvrage paru : La Vie vivante : Contre les nouveauxpudibonds (Les Arènes, 2011)

colonial mal digéré ou à des intérêts straté-giques et à la raison d’État ? Nonobstant lesrévolutions en cours, l’Occident continue desoutenir un certain nombre de régimes trèsautoritaires, notamment les monarchiespétrolières. Est-ce uniquement la consé-quence d’une dépendance énergétique ouest-on toujours dans un état d’esprit qui faitde la « stabilité » la valeur suprême ? Dansle monde arabe, ce ne sont pas les valeursoccidentales qui sont contestées, mais plu-tôt l’hypocrisie qui fait que ces valeurs nesont appliquées qu’en fonction des intérêtset jamais de façon systématique. Commentsortir de cette duplicité, qui nourrit l’anti-occidentalisme ?J’insistais beaucoup, dans mon livre, surce thème de la « duplicité occidentale »,un thème très présent – à juste titre –chez les auteurs appartenant aux « Post-colonial studies ». Cette duplicité a tou-jours servi les « identitaires » dans leurdénonciation de « l’occidentalisation dumonde ». Les intellectuels de l’hémisphèresud ont mille fois raison de dénoncer cetteduplicité. Quand la France ou l’Amériquetrahit ses propres valeurs en faisant préva-loir ses intérêts à court terme, on n’est pasloin du « crime symbolique ». J’ai vue avecconsternation qu’il en allait ainsi en Tunisie,en Égypte et – comble du comble – enLibye. C’est au nom d’un prétendu moindremal (mieux vaut une dictature que l’isla-misme) que nos gouvernements ont dissi-mulé ce qu’il faut bien appeler un cynismeintéressé : vendre des armes ou des cen-trales nucléaires, acheter du pétrole, etc.Je n’ai jamais oublié la façon dont, dansles années 1980, nous avons soutenu,armé et encouragé Saddam Hussein, carnous pensions qu’il nous protégerait du dan-ger islamiste venu d’Iran. Les Américainsavaient fait la même chose en armant lesislamistes afghans en lutte contre l’occu-pation soviétique.Je crois que ces aberrations de la realpo-litik ont été mises à mal par les révoltesarabes. Je ne suis pas assez naïf pourpenser qu’elles n’existeront plus. Disonsqu’elles seront plus difficiles à faire accep-ter – ou à dissimuler – aux électeurs.

Comment le nouveau monde arabe quiest en train d’émerger peut-il s’inscrire

dans cette « modernité métisse » quevous appelez de vos vœux ? L’expression « modernité métisse » quej’ai proposée avec un brin de provocationmérite un mot d’explication. Je ne parlaispas du métissage des peuples. Je n’ai riencontre, mais c’est un autre sujet. Je par-lais de ce qu’on pourrait appeler, avecÉdouard Glissant, la créolisation du conceptmême de modernité. Elle nous fait sortird’un cycle « occidental » qui aura duréquatre siècles. Je m’explique. À partir dela fin du XVIe siècle, la culture européennequi était jusqu’alors très en retard sur cellede l’Inde ou de la Chine (pour ne citer queces deux exemples) a spectaculairementrattrapé son retard. Dès le milieu du XVIIe

siècle elle supplantait, par son dynamisme,les autres civilisations figées dans leurs tra-ditions, notamment la Chine. Ainsi, pendant quatre siècles la cultureeuropéenne, puis « occidentale », est deve-nue hégémonique. Elle a été l’organisatricedu monde et l’unique dépositaire de lamodernité. Le « centre » ou « l’empire » aainsi dominé la « périphérie », par laconquête et la colonisation, bien sûr, maisaussi par l’influence, le rayonnement« civilisateur ». Il a relégué les autres cul-tures dans les marges. Or, je dis simple-ment que cette séquence s’achève. Celane veut pas dire que l’Occident va dispa-raître, cela signifie seulement qu’il ne seraplus la seule matrice de la modernité. Lesautres cultures se réveillent, se mêlent,s’influencent mutuellement pour concourirà l’émergence de ce que j’appelle unemodernité métisse, c’est-à-dire partagée.C’est dans cette modernité composite,plurielle, métisse que le monde arabe estdéjà en train de s’insérer.

L’idée même d’une modernité métissehorripile un grand nombre d’intellec-tuels, qui voient dans le multiculturalis-me un grand danger. Le terroriste norvé-gien a cité dans son manifeste un grandnombre de ces penseurs européens ouaméricains qui se réclament de visionsidentitaires. Ne craignez-vous pas qu’enprêchant une modernité métisse, lespartisans du multiculturalisme ne renfor-cent paradoxalement les approchesidentitaires ?

J’entends bien les protestations des intel-lectuels qui s’alarment du multiculturalis-me. Mais je crois qu’ils se trompent dedanger, si j’ose dire. Le multiculturalismeest déjà là, et depuis longtemps. Nossociétés sont déjà multiethniques, multi-confessionnelles, multiculturelles. Il en vade même dans l’hémisphère Sud. Lesjeunes Tunisiens, Égyptiens ou Iraniensque l’on a vu dressés contre la dictaturesont largement « occidentalisés », mêmes’ils gardent un attachement légitimepour leur propre tradition. Ils sont culturel-lement « créoles ». En revanche, le multi-culturalisme ne peut exister dans un paysdonné que si les « différences » qu’il faitcohabiter sont surplombées par un soclede valeurs communes, de représentationscollectives partagées, comme dirait ÉmileDurkheim. Autrement dit l’installationdans un pays implique que l’on souscriveà un minimum de valeurs fondatrices :liberté individuelle, égalité des sexes,droits de l’homme, etc. C’est quand lerepli communautariste l’emporte que lesproblèmes commencent. C’est alorsqu’on se met à justifier, par exemple, lesmutilations sexuelles des femmes, lesmariages arrangés par les familles, la« dissidence » antidémocratique, etc. Enfaisant cela, on donne du grain à moudreaux « identitaires » xénophobes et ontrace la voie pour des cinglés comme leterroriste norvégien, ou chez nous pourles islamophobes obsessionnels.

En tant qu’intellectuel chrétien, com-ment percevez-vous cette résurgenced’appels à défendre un « Occident chré-tien » contre le monde musulman perçucomme conquérant. Face à cette « peurdes barbares » dont parle TzvetanTodorov, craignez-vous que l’on en vien-ne à oublier les valeurs spirituelles fon-damentales de l’Évangile et du christia-nisme au profit d’une conception tempo-relle et guerrière de la « Chrétienté » ? Les critiques inquiètes que j’adresse auxfondamentalistes musulmans, juifs ouhindouistes, je les adresse aussi – etrégulièrement – aux chrétiens. Je suiseffaré quand je vois réapparaître chez cer-tains chrétiens – y compris des jeunes –ce que j’appelle un « christianisme iden-

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titaire », celui qui renoue avec le triom-phalisme conquérant de l’ancienne chré-tienté. J’ai fait de nombreuses chroniquespour dénoncer ce que j’appelle un« catholicisme athée », en référence àCharles Maurras qui disait : « Je suisathée, mais catholique ». J’ai même écritun livre entier La Force de conviction(Points Seuil, 2006 ) pour m’expliquersur ce point. C’est le réflexe de la citadel-

le assiégée, ou le syndrome de la croisa-de. À mes yeux, la foi n’est pas une« identité », c’est un parcours, un cheminune espérance. Elle passe forcément parla rencontre avec « l’autre ». Je garde enmémoire cette phrase magnifique duthéologien catholique Stanislas Breton(mort en 2005) qui, parlant des autresreligions, disait : « Il ne suffit pas d’accep-ter que l’autre existe, il faut se réjouir qu’il

existe ». Quant au très dangereux conceptde « chrétienté », je vous renvoie volon-tiers à cette remarque superbe du philo-sophe danois Sören Kierkegaard (1813-1855) : « Il est urgent de remettre un peude christianisme dans la “chrétienté“ » n

Propos recueillis par Karim Emile Bitar

Petite réflexion sur l’histoire en cours

Par Kader A. AbderrahimProfesseur associé California UniversityChercheur à l’IrisMaître de conférences IEP Paris.

Un dictateur après l’autre tombe sous la pressionconjuguée des forcessociales internes et, dans le cas libyen, de l’intervention militaire occidentale.Impressionné et fasciné, ébranlé et inquiet, le monde observe les révolutions arabes. Quels enseignements politiques tirer de ce grandchambardement ? Que nous enseigne le passé sanglant du Proche-Orient et du Maghreb sur l’avenir de la région ? Comment évaluer leschances d’instauration de la démocratie ?

Personne n’imaginait que l’immolation deMohamed Bouazizi, ce jeune vendeur tuni-sien au chômage, allait en quelquessemaines conduire à la chute du puissantrégime égyptien.Mais, après Moubarak, quoi ? Et en Libye,la fin de Kadhafi préfigure-t-elle une sortede «gigantesque Somalie», comme lecraint la secrétaire d’État américaine HillaryClinton ? Où mène cette nouvelle liberté ?Depuis 1945, une douzaine de guerresinternationales, d’innombrables guerresciviles, des milliers d’attaques terroristes etd’attentats politiques ont ensanglanté larégion. Si ces conflits s’étaient déroulésailleurs dans le monde, l’Occident exprime-rait sans doute de silencieux regrets etdétournerait le regard.Mais ces combats, politiques et militaires,se produisent dans une région assise surprès de 60% des réserves mondiales d’ornoir et plus de 40% de celles de gaz. Quand le Proche-Orient brûle, l’Occident nepeut pas détourner le regard.Nul ne sait de quoi l’avenir sera fait, maisun coup d’œil sur l’histoire permet peut-être de déduire ce que réserve les événe-ments en cours.

Le démembrement de l’Empire ottomanIl y a cent ans, à l’automne 1911, un majorde l’armée ottomane atteint les remparts deBenghazi. Arrivé d’Istanbul, il veut recon-quérir ces marches de l’Empire. Voilà prèsde 400 ans que les Ottomans contrôlent

l’Afrique du Nord, la Syrie et la Palestine, laMésopotamie jusqu’au Golfe, la mer Rougejusqu’à Aden, le Nil jusqu’au Soudan.Mais les Français ont pris l’Algérie et laTunisie, les Britanniques se sont emparésde l’Égypte et les Italiens sont enCyrénaïque. Des mois durant, le major Mustafa Kemal,ses 150 officiers turcs et ses 8000 merce-naires arabes contiennent une armée de15000 Italiens sur le littoral libyen.Mais l’Empire se désagrège ailleurs, dansles Balkans, sur le Danube, dans leCaucase. «Cela n’avait pas de sens d’atta-quer l’Italie», écrit-il avant son retour àIstanbul. Il se doute qu’avec la perte de ladernière province d’Afrique s’annonce la finde l’Empire, et la fin d’une Histoire.

Le temps de la révolteCent ans après le voyage du major Kemalen Libye, un autre monde semble surgirsous nos regards ébahis. C’est en 1915, quand il apparut quel’Empire ottoman se désintégrait que l’idéegerma à Paris et à Londres de s’en partagerla dépouille en commençant par les pro-vinces arabes.En juillet de cette année-là, le haut-com-missaire britannique en Égypte communi-qua au chérif de La Mecque que la Grande-Bretagne était «prête à reconnaître l’indé-pendance des Arabes dans les régions dontil avait mentionné les frontières». La grande révolte des Arabes contre lesOttomans commença en 1916, sous le

Si les événements de Tunis et du Caire,de Bahreïn et de Benghazi, de Homs et

de Sanaa ont montré quelque chose, c’estbien qu’il n’y a pas de déterminisme cultu-rel. Et qu’il n’y a pas de dictature impos-sible à abattre.

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regard cynique de l’auteur des Sept piliersde la sagesse, T.E. Lawrence : «Les Arabessont encore plus inconstants que les Turcs.Traités de manière adéquate, ils ne se déve-lopperont pas hors de leur mosaïque poli-tique, un tissu de petites principautésjalouses et incapables de se fédérer ». Cettevision essentialiste conditionnera pendantun demi-siècle, la vision que les Européensont des Arabes.En même temps, à Londres, le diplomatebritannique Mark Sykes et son collèguefrançais François Georges-Picot se met-taient d’accord pour se partager le butinespéré : les régions de Beyrouth, Damas etMossoul iraient à la France, le littoral arabedu Golfe persique, les provinces de Bagdadet Bassora ainsi que la Palestine à laGrande-Bretagne.Et le ministre britannique des Affairesétrangères, Arthur James Balfour, promet-tait à la Fédération sioniste « la créationd’un foyer national pour le peuple juif enPalestine».

Des frontières artificielles. L’Accord Sykes-Picot et la DéclarationBalfour sont les textes fondateurs duProche-Orient moderne et ils expliquentpourquoi cinq États et un non-État sont,depuis lors, des facteurs de troubles : Syrie,Irak, Liban, Jordanie, Israël et Palestine.Pour les Arabes, ces documents sont unetrahison, les frontières artificielles qu’ils tra-cent, les dynasties et les régimes qu’ils ontmis en place n’ont à leurs yeux aucune légi-timité.Ces divisions sont, aujourd’hui encore, leprincipal ferment des blocages des sociétésarabes, et de régimes totalement calcifiés.Après la Première Guerre mondiale et l’occu-pation alliée de l’Empire ottoman, MustaphaKemal refuse de voir l’Empire ottoman êtredémembré par le traité de Sèvres. Avec sespartisans, il se révolte contre le gouverne-ment impérial et crée un deuxième pouvoirpolitique à Ankara. C’est de cette ville qu’ilmène, à la tête de la résistance turque, laguerre contre les occupants.Sous son commandement, les forcesturques vainquirent les armées armé-niennes, françaises et italiennes. Puis ilsviennent à bout des armées grecques quioccupent la ville et la région d’Izmir, laThrace orientale et des îles de la mer Égée.

Après la bataille du Sangarios (aujourd’huiSakarya), la Grande Assemblée nationalede Turquie lui donne le titre de Gazi (le vic-torieux) ; il parvient à repousser définitive-ment les armées grecques hors de Turquie.Suite à ces victoires, les forces britanniqueschoisissent de signer un premier armisticeavec lui et s’engagent aussi à quitter lepays.Mustafa Kemal affirme également unevolonté farouche de rupture avec le passéimpérial ottoman, et met en place desréformes radicales pour son pays.Inspiré par la Révolution française, il profi-te de ce qu’il considère comme une trahi-son du sultan lors de l’armistice deMoudros, pour mettre un terme au règnedu sultan le 1er novembre 1922, date àlaquelle il accède au pouvoir.Dans les années 1930, sont formulés les« six principes », – laïcisme, républicanisme,étatisme, populisme, révolutionnarisme etnationalisme – qui sont aujourd’hui encore,une source d’inspiration pour de nombreuxintellectuels et responsables politiques.Le kémalisme sera une doctrine qui struc-turera le pays, et lui permettra de retrouverune place et un rôle politique dans un envi-ronnement marqué par le conservatisme etle rejet du progrès.

Un demi-siècle d’immobilisme.Du côté arabe, c’est dans la frustration his-torique et politique, que les régimes, ten-tent, pendant des décennies de puiser leurlégitimité. Les évolutions actuellement encours dans le monde Arabe bouleversentles données stratégiques et politiques.Du Maroc à Oman, de l’Arabie saoudite àla Jordanie, du Yémen à Bahreïn, lespeuples exigent ce qui leur revient : justice,prospérité, liberté, participation politique. Peu de régions du monde sont aussi impro-ductives : l’ensemble des pays arabes, 350millions de personnes, produit moins que60 millions d’Italiens. Seuls 3 % desLibyens travaillent dans l’industrie pétroliè-re qui représente plus de 60 % du Pib.Dans les États du Maghreb, le chômagetouche 70 % des jeunes. Un Yéménite surtrois vit avec moins de 2 dollars par jour.Tandis qu’entre 1980 et 1999 la Corée duSud a enregistré 16 000 brevets internatio-naux, l’Égypte en a annoncé 77 dans lemême temps.

Quel avenir ?Seule la Turquie échappe à ce triste bilan :l’économie turque était en 2004 une desvingt premières puissances mondiales, parla richesse produite annuellement.Le pays est en train de vivre une véritablerévolution silencieuse. Le Code pénal et laConstitution ont été refondus, le Code civila été révisé, et une série de lois visant àréformer l’administration publique a étévotée. Ces changements sont certes liés àl’agenda européen, mais ils s’expliquentaussi par l’aspiration croissante des Turcseux-mêmes.Un siècle après la dislocation de l’EmpireOttoman, la modernisation de la Turquie luipermet de retrouver une place centrale auMoyen-Orient, et d’être un interlocuteurincontournable pour les occidentaux,comme pour les arabes.Mais, pour la première fois depuis desdécennies, une intervention occidentale aucœur de la méditerranée, permet de chas-ser un tyran. Le revers de cette aventuremilitaire, c’est qu’elle se produit aumoment où les peuples arabes tentent dereprendre leurs destins en mains. Dans ce contexte, on peut s’interroger surles véritables visées de l’opération occiden-tale menée en Libye, et si elle ne risque pasde fournir des prétextes aux dirigeants,encore en place, pour freiner les aspirationspopulaires.Comme l’écrivait il y a quelques jours l’édi-torialiste du quotidien pan arabe Al Hayat,«bouclez vos ceintures de sécurité», pourqui le voyage qu’entame le monde araben’est pas « une promenade d’agrément. Lechemin sera long et chaotique ». Un juge-ment qui se trouve confirmé par les viséesstratégiques de l’Europe sur la région. L’avenir n’est pas écrit d’avance, car, à pré-sent, une opinion publique émerge et semobilise pour revendiquer des droits etarracher sa liberté. Pour les dirigeants occi-dentaux, comme pour les régimes arabeschacun est conscient qu’il doit à présentcomposer avec les nouveaux représentantsqui ont conduit les révoltes et les révolu-tions de cette année 2011. n

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L’esprit révolutionnaireet ses fondements philosophiques :l’exemple américain de 17761

Les révolutions américaineet française ont toujoursexercé une grandefascination sur lesintellectuels et sociétésciviles du monde arabe,depuis l’époque de laNahda (renaissance arabe)jusqu’à celle desrévolutions de 2011. LeChristian Science Monitorcitait récemment un expertdu monde arabe quidéclarait : « ‘We thePeople’ has come to theMiddle East ». En effet,l’état d’esprit qui a régnécette année sur l’avenueBourguiba de Tunis, sur laplace Tahrir du Caire et àtravers les capitalesarabes, n’était pas sansrappeler aussi bien l’espritde 1789 que le soufflerévolutionnaire qui animaitles Américains à la fin duXVIIIe siècle, et qui s’esttraduit par la Déclarationd’Indépendance rédigéepar Thomas Jefferson en1776, puis par laConstitution de 1787.Retour sur les fondementsphilosophiques etthéologiques de larévolution américaine.

Par Steven EkovichProfesseur associé de sciences politiques etd’histoire à l’Université américaine de Paris

L es Américains sont très attachés à cequ’ils appellent l’esprit révolutionnaire,

qui constitue une partie intégrante de laculture politique des États-Unis. Mais cet attachement est strictement limitéaux révolutions libérales, qui visent lerenversement des régimes autoritaires outotalitaires. Ce penchant s’inscrit dans ledroit fil de l’époque où les américains sesont séparés de la tutelle de la GrandeBretagne. Cette question fait d’ailleursl’objet d’un vif débat parmi les historiens :les Américains ont-ils vraiment réaliséune révolution, ou tout simplement uneguerre d’indépendance ? Après tout, lastructure du pouvoir dans les anciennescolonies n’était pas très différente decelle qui existait auparavant. Si révolutionil y a, il s’agit d’une révolution intellec-tuelle, caractérisée par une nouvellevision de la fondation légitime de l’État.Et ce nouveau raisonnement se déploieprécisément dans ce qui est très proba-blement le document le plus importantde l’histoire américaine – la Déclarationd’Indépendance de 1776. Aujourd’huiencore, quand les Américains évoquentl’esprit de la Révolution, ils le nommentthe « Spirit of 76 ».

Une référence emblématiqueLa Déclaration d’Indépendance américainede 1776 figure parmi les référencesemblématiques des luttes révolutionnaireset mouvements d’auto-détermination dumonde entier. Aujourd’hui, la moitié despays de la planète se prévalent de ce typede texte fondateur. Le poids symboliquede la Déclaration américaine ne doit pasêtre sous-estimé, ses formules sont parfois reprises mot pour mot dans lesnombreuses déclarations d’indépendancequi ont accompagné ce passage histo-rique des empires aux États modernes. Dès son apparition sur la scène interna-tionale et intellectuelle de la fin du XVIIIe

siècle, l’œuvre des « révolutionnaires »américains a immédiatement suscité unvif débat sur les fondements légitimesd’un État. La revendication d’une nouvellebase philosophique, et a fortiori juridique,de la souveraineté a entraîné une redéfinitiondu corpus existant en droit international. Conscients de la dangereuse innovationque constituait la Déclaration dans lesaffaires internationales, un grand nombrede commentateurs britanniques del’époque se sont efforcés d’en réfuter lesjustifications mobilisées par leurs cousinsoutre-Atlantique. Beaucoup de temps etde combats ont été nécessaires à la réali-sation des espoirs suscités par la puis-sance des mots du préambule : «Noustenons pour évidentes pour elles-mêmesles vérités suivantes : tous les hommessont créés égaux ; ils sont dotés par leCréateur de certains droits inaliénables ;parmi ces droits se trouvent la vie, laliberté et la recherche du bonheur. » La Déclaration d’Indépendance américai-ne peut être découpée en trois parties : unpréambule qui énumère les droits fonda-mentaux et présente une théorie de gou-vernement ; une liste de griefs et l’énu-mération des atteintes britanniques à cesdroits ; et la conclusion qui annonce la rup-ture avec l’Angleterre et la création d’unenouvelle nation. L’ensemble développe unethéorie de l’Empire britannique et de saplace dans ce qu’on appelait jadis le droitdes gens (law of nations).Une curiosité frappante de la Déclarationest l’absence quasi totale de référence auParlement britannique – et c’était, aprèstout, les actes du Parlement, principale-ment sur les questions de fiscalité et denon-respect des institutions locales, quiont poussé les colons à la résistance.

1- Version abrégée d’une contribution à paraître en 2012 dans Lesdéclarations unilatérales d’indépendance, sous la direction de RahimKherad, Colloque international, Pedone, Paris.

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Tous leurs griefs visaient le Roi, qui jouaiten fait un rôle plutôt mineur dans l’admi-nistration de l’Empire. Par ce silenceretentissant à l’égard de l’organe législatif,ils affirmaient une volonté de réduire sonpoids politique. En présentant leursdoléances au Roi, ils tournaient le dosaux élus anglais qui les réprimaient. Legeste politique signifiait : nos frères bri-tanniques ont leur Parlement, nous avonsle nôtre – indépendant. Leur théorie affir-mait que le Parlement de la métropolen’avait aucun droit sur leur organe légis-latif outre-Atlantique, que les lois éma-nant de Londres n’étaient pas légitimes.Ce sont les sous-entendus de leurs pro-positions, à partir des principes posés,qui recelaient implicitement une dimensionexplosive.Mais c’est le raisonnement audacieuxdéployé par les rédacteurs américainspour justifier leur « silence » envers leParlement britannique qui constitue lelegs philosophique le plus prégnant dudocument. Il faut rappeler ici que mêmesi à l’époque on voulut propager l’idéeque la Déclaration était une œuvre col-lective, les recherches des historiensrévèlent que Thomas Jefferson en fut leprincipal auteur. Homme des Lumières àl’instar de ses collègues, son texte fonda-teur de juillet 1776 est un chef d’œuvredans la droite ligne du philosophe JohnLocke. La plupart des membres de laclasse politique de l’époque étaientimprégnés des écrits du philosopheanglais, quasiment sacralisés et partieintégrante de l’atmosphère intellectuellede l’Amérique coloniale.

La théorie du « double contrat »Pour placer l’indépendance sous lemeilleur angle philosophique possible, ilétait impératif de prétendre que les liensavec la Grande-Bretagne n’avaient jamaisété très étroits, ni à proprement parlerrégis par le droit positif, mais constituaientseulement une association volontairementconclue par deux peuples libres séparéspar un vaste océan. Un tel raisonnementnécessitait de se fonder sur d’autressources : à savoir celles du droit naturel.Ces droits naturels ont été envisagéscomme ceux détenus par tous les

hommes, au moins tous les peuples libres– régis par des principes immuables,accessibles par la raison humaine. LeoStrauss précise dans Droit naturel et histoi-re : « Rejeter le droit naturel revient à direque tout droit est positif, autrement ditque le droit est déterminé exclusivementpar les législateurs et les tribunaux des dif-férents pays.2 » Les hommes des Lumièresqu’étaient les fondateurs américainsconsidéraient que leur indépendance étaitfondée sur la nature humaine et non sur laréalité sociale et juridique dans laquelle vitchacun. Selon cette conception, les actes duParlement à Londres, et même les droitshistoriques de tous les sujets britanniquespouvaient être remis en question car, enl’espèce, ils ne correspondaient pas à lanature essentielle des hommes. Cettenature, dans un état hypothétique denature, révélait qu’ils étaient libres etégaux, qu’ils détenaient les droits impres-criptibles fondamentaux à la vie, la liber-té, la santé et la propriété. Par consé-quent, la seule version du contrat originaldont l’autorité gouvernementale pourraitêtre dérivée, était un contrat entrehommes agissant en fonction de leurnature essentielle. Une conception moins« imaginaire » que découverte et construiterationnellement. C’est seulement aprèsavoir conclu entre eux un contrat socialentre hommes libres et rationnels, qu’ilspourraient alors établir un pacte entrecitoyens et leur gouvernement. C’était unsecond contrat dans une deuxième étape,celui qui permettait la séparation améri-caine du Parlement et de la Couronne – et par la suite fournissait la doctrine philosophique pour la rédaction d’un nouveau pacte entre les Américains et leurgouvernement novateur : La Constitutiondes États-Unis. La théorie du « double contrat » étaitconnue des fondateurs. Ils l’avaient trou-vée dans les écrits de Samuel dePufendorf (1632-1694, juriste et philo-sophe allemand du droit naturel), et HugoGrotius (1583-1645, juriste des ProvincesUnies qui posa les fondations du droitinternational basé sur le droit naturel).D’après les œuvres de Pufendorf etGrotius, pour qu’il y ait société civile et

ensuite État, il est nécessaire que ceuxqui désirent être membres s’engagent àformer un corps de personnes libres quise sont réunies pour jouir paisiblement deleurs droits et pour leur utilité commune.Les contractants doivent ensuite opterpour une forme de gouvernement. Ceuxqui sont par la suite investis de l’autoritégouvernementale obtiennent une obéis-sance légitime à condition de s’engager àveiller avec soin au bien public. Le pacted’union entre hommes libres et le pactede soumission scellent en un doublecontrat l’État, ils fondent l’autorité souve-raine sur un ciment d’obligations réci-proques entre gouvernants et gouvernés,sujets et roi. L’empire a donc été envisa-gé comme une sorte de confédération.

Les enseignements de CalvinLa Déclaration d’Indépendance légitimealors le droit fondamental de contestertoute autorité – ce qui semble par consé-quent inclure un droit à la désobéissancecivile. Celle-ci repose sur l’hypothèse selonlaquelle l’individu est la source ultimed’autorité, mais à condition que ses actessoient soumis à un principe supérieur àl’État, même démocratique. Ainsi, la fon-dation de la république américaine repo-se sur un droit philosophiquement légiti-me de désobéir, de contester l’autorité.3

Cette désobéissance civile peut être paci-fique ou violente – et les révolutionnairesaméricains ont tenté la première démarcheavant de passer à la seconde. Mais lesfondateurs n’étaient pas uniquement lesenfants des Lumières, ils étaient aussides protestants. Les sources intellectuelles de l’indépen-dance américaine ne sont pas limitées àla philosophie du contrat social, maisintègrent aussi les enseignements duthéologien Jean Calvin. L’idée de l’allian-ce pratiquée par les puritains du XVIIe

siècle en Nouvelle-Angleterre portait desdimensions tant conservatrices que radi-cales. Sur le premier registre, cela signifiel’impératif de se soumettre aux gouver-nants et d’obéir aux lois d’ici bas conçuescomme une expression de la volonté deDieu. Cependant, la philosophie politiquecalviniste intègre également le principeselon lequel le peuple détient le droit,

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2 - Traduction de Natural Right and History, The University of ChicagoPress, 1953. Plon, 1954, p. 14.3 - Jack Diggins, « Civil Disobedience in American Political Thought » inLuther S. Luedke, ed. Making America: The Society and Culture of theUnited States, Forum Series, Washington D.C., 1987.4- Edmund Burke, Conciliation with America, Discours prononcé à laChambre de Communes le 22 mars 1775. 5 - Carl Becker, La Déclaration d’Indépendance : Contribution à l’Histoiredes Idées politiques, Vent d’Ouest, 1967; traduction de The Declaration ofIndependence: A Study in the History of Political Ideas, Alfred A. Knopf,1922. 6 - Ibid., p. 43.7 - Cf. Mark Hulliung, op. cit.

même le devoir, de désobéir aux magis-trats et dirigeants lorsqu’ils agissent d’unemanière qui enfreint l’alliance avec Dieuet peuvent donc être légitimementdéchus de leur autorité. Une communau-té enfreindrait la loi divine et s’exposeraità la colère de Dieu en se soumettant à ungouvernement qui aurait rompu l’alliance.Or, les colons américains se sont soulevéscontre la domination britannique nonseulement à cause de sa dureté et dunon-respect des droits naturels, maisaussi en raison de ses lacunes morales.Dans un discours devant le Parlement bri-tannique, le défenseur de la cause améri-caine, Edmund Burke, a averti son audi-toire que les protestants n’aimaient avanttout rien tant que de protester, question-ner, et finalement rejeter toute autoritédouteuse4. Dans son ouvrage devenu clas-sique sur la Déclaration d’Indépendance,Carl Becker puise dans ses sources intel-lectuelles pour tracer l’évolution de lalégitimité divine du pouvoir politique5. Ilnote que les philosophes médiévaux fon-dèrent l’autorité des princes sur un pacteavec leurs sujets, qui les engageait àrégner justement, à défaut de quoi lessujets seraient déliés de leur allégeance.Pour déposer de tels souverains, les protestants dissidents affirmaient que lessimples sujets pouvaient prétendre eux-mêmes à des rapports intimes avec Dieu,à l’instar des rois ou du Pape. Beckerremarque que «Calvin fut un des premiersécrivains à suggérer cette alléchante possibilité aux générations futures6. » Mais interviennent les Lumières, qui veu-lent éclairer par la raison humaine (donde Dieu) et non pas l’illumination divine.Locke et les Whigs anglais, et plus enco-re Jefferson, avaient abandonné les rap-ports intimes et directs de la conversationfamilière avec Dieu qui était l’apanage despenseurs protestants des XVIe et XVIIe

siècles. L’Être suprême était dorénavantperçu comme la Cause première, Grandorganisateur de l’Univers, Sa volonté serévélait à l’homme par la mise en pratiquede sa raison au déchiffrage de la nature.Jamais autant qu’au XVIIe siècle, « laNature » ainsi conçue, ne s’était interposéeentre l’homme et Dieu – à un tel point,note Becker, qu’on ne pouvait plus

construire une société plus juste et plusdémocratique, ils ont invoqué le fonde-ment lockien de leur contrat dans desmoments d’accomplissement de progrèsdéterminants7. Les jalons posés parLincoln seront redéployés en 1963 parMartin Luther King, dans un autre dis-cours emblématique : I have a dream (Jefais un rêve), qui marque le point d’orguedu mouvement des droits civiques desnoirs. Sur les marches du LincolnMemorial à Washington D.C. il ranime lepréambule de Jefferson : « Je rêve qu’unjour, notre nation se lèvera pour vivre véri-tablement son credo : Nous tenons pourvérité évidente que tous les hommes ontété créés égaux ». Mais comme ilconvient de marquer un pas en avantdans l’histoire des États-Unis, le pasteurKing puise aussi dans l’autre source fon-datrice des valeurs américaines en faisantréférence à l’Ancien Testament.La Déclaration d’Indépendance demeurele document emblématique de l’histoireaméricaine. Elle se situe au cœur de laconception étasunienne du gouvernementet son esprit révolutionnaire, et apparaîtcomme une référence incontournable dela mise en œuvre des doctrines des droitsnaturels et du consentement entre hommeslibres. Son influence a traversé l’histoire desÉtats-Unis depuis leur fondation, dans lesannées sombres de leur terrible guerre civile,jusqu’au mouvement des droits civiques, eton peut même trouver son écho dans le dis-cours du Caire de Barack Obama. Lesexclus de la vie américaine – les femmes,les Afro-Américains, les ouvriers – ont tou-jours invoqué la Déclaration. Les appels àce document fondateur retentissent tout aulong de l’histoire des États-Unis. Mais l’im-pact de la Déclaration a pris une envergureplanétaire, et son souffle n’est pas près defaiblir. n

découvrir la volonté de Dieu que par uneconnaissance des « lois » de la nature,qui étaient sans doute, comme le disaitJefferson, les « lois de la Nature créée parDieu ». Ainsi, se rejoignent les courantsphilosophique et théologique qui alimen-tent la Déclaration d’Indépendance.

«I have a dream»Le destin de la Déclaration d’Indépendanceest celui d’un fil rouge blanc bleu quitraverse l’Histoire américaine. Une de sesoccurrences les plus notables se trouve dansun discours resté cher aux Américains : TheGettysburg Address du président AbrahamLincoln. Il a été prononcé en 1863, pen-dant la Guerre de Sécession, sur le site dela bataille de Gettysburg en Pennsylvanie.C’est un discours simple, court, mais élo-quent – qui résume et rappelle en quelquesparagraphes (il fut prononcé en deux mi-nutes) les valeurs sur lesquelles son pays aété fondé et pour lesquelles il est prêt à lut-ter. À l’instar du préambule de la Déclaration,la plupart des Américains en connaissentles premières phrases par cœur : Four scoreand seven years ago our fathers broughtforth on this continent a new nation,conceived in liberty, and dedicated to theproposition that all men are created equal(« Il y a quatre-vingt-sept ans nos pèresdonnèrent naissance sur ce continent à unenouvelle nation conçue dans la liberté etvouée à la proposition que tous leshommes sont créés égaux »). Il faut souli-gner ici un détail de poids dans ces proposdont le sens est intraduisible directement.Lincoln emploie le terme « fourscore », quiconstitue déjà un archaïsme au XIXe sièclepour signifier le chiffre quatre-vingts. Maiscette formulation archaïque renvoie à uneterminologie fréquemment utilisée dans laversion de La Bible du Roi Jacques (KingJames Version), de loin la plus répandue àl’époque. Ainsi, dans la même courte phrase,Lincoln invoque, pour un peuple républicainet croyant, la double légitimation de l’indé-pendance américaine. Car ces 87 ans nousrenvoient à la Déclaration d’Indépendancede 1776, et non à la Constitution de 1787. Si, depuis la seconde moitié du XIXe

siècle, les Américains ont eu tendance às’appuyer de plus en plus sur leur secondpacte, à savoir la Constitution, pour

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L’Europeface aux révolutions arabes

Par Elisabeth GuigouSimone Weil 1974Vice-Présidente de l’Assemblée nationaleDéputé de Seine-Saint-Denis

L ’Europe, comme les pays du Sud etde l’Est de la Méditerranée, ont un

intérêt commun à construire un dévelop-pement partagé fondé sur leur proximitégéographique et leurs complémentaritésqui recèlent un potentiel de croissance etd’emplois considérable. Ce qui manque au Nord on le trouve auSud et à l’Est de la Méditerranée, et réci-proquement :– L’Europe, dont la population vieillit, va

perdre 20 millions d’habitants d’ici à2030 et aura de ce fait de plus en plusde mal à financer son modèle social.Elle aura besoin du dynamisme démo-graphique du Sud et del’Est de la Méditerranée oùla population est jeune, eta besoin de débouchés pro-fessionnels.

– L’Union européenne impor-te aujourd’hui 50% de sonénergie, 70% dans vingtans. Au Sud, les ressourcesénergétiques et les matièrespremières sont abondantes.L’Europe a intérêt à ne pas laisser lepétrole, le gaz, les métaux précieux, lesmarchés du Sud méditerranéen, luiéchapper au profit des Américains, desChinois ou des Indiens qui sont de plusen plus présents et qui attirent chez euxles meilleurs étudiants africains alorsque l’Europe ne le accueille qu’avecréticence et parcimonie.

– L’Europe est en avance pour les techno-logies, les brevets, et offre un cadresécurisé pour les investissements. Maisla crise et l’addition irréfléchie de plansd’austérité, sans soutien de l’activité,compromet gravement les perspectivesde croissance. Au contraire, en dépit dela crise, le Sud de la Méditerranée esten forte croissance. Nombreux sont enAfrique et au Moyen-Orient les paysémergents...

De surcroît, l’Europe et les pays du Sud etde l’Est de la Méditerranée ont, des défiscommuns à relever : la sécurité alimentairemenacée par le réchauffement climatique,la santé, l’emploi des jeunes, les migrationsde populations, la sécurité, la pollution dela Méditerranée, la poussée des extré-mismes et des populismes, le terrorismeet les mafias. Si les complémentarités sont exploitées,si les défis communs sont affrontés encoopération étroite et non en rivalités sté-riles, un processus gagnant-gagnant auNord comme au Sud de la Méditerranéepeut s’engager : plus de croissance parta-

gée, plus d’emplois quali-fiés, moins de migrationsmassives et plus de mobili-té circulaire. Un nouveaumodèle organisé de déve-loppement et d’échangeplus social et écologique,entre l’Europe et les paysdu Sud de la Méditerranéepeut se construire qui per-mette au Nord comme au

Sud d’optimiser la croissance et l’emploi,de maîtriser les flux migratoires et de sefaire entendre dans le monde global.Il y a seize ans déjà, en 1995, à Barcelone,sous l’impulsion de Jacques Delors et deFelipe Gonzales, les pays de l’Union euro-péenne et des rives Sud et Est de laMéditerranée ont lancé un ambitieux pro-jet de partenariat euro-méditerranéen,fondé sur la coopération économique, leséchanges culturels, la paix et la stabilitépolitique. Le processus de Barcelone a produit unbilan mitigé dont il convient de tirer lesleçons : l’Union européenne n’a pas suoffrir un vrai partenariat politique auxpays du Sud, qui, de leur coté, n’ont passu surmonter leurs divisions et se regrouperpour parler d’égal à égal avec l’Europe. Leconflit du Sahara occidental entre l’Algérie

Ce qui manque au Nord

on le trouve au Sud et à l’Est

de la Méditerranée,et réciproquement

Les révolutionsdémocratiques en Afriquedu Nord et au Moyen-Orient offrent à l’Europeune chance historique :refonder sur de nouvellesbases ses relations avec son Sud. L’Europe ne doit pasconsidérer les pays arabescomme des puits de pétrole et de gaz ou des lieux de fourniturede main d’œuvre bon marché, mais doit envisager une forme d’intégrationéconomique et politiquequi partage équitablementla valeur ajoutée.

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et le Maroc obère la croissance del’Afrique du Nord et de la Mauritanie etbloque l’indispensable construction d’unmarché unique Nord africain. Plus enco-re, le conflit israélo-palestinien demeureun obstacle dirimant à la coopérationrégionale.En 2008, le président Sarkozy a lancéson projet d’Union pour la Méditerranée(UPM). J’ai salué cette initiative qui donnaitau projet euro-méditerranéen une prioritéet une visibilité politiques sans précédent.Hélas, dès le départ, le projet était malengagé : volonté de l’Élysée de réserverl’UPM aux pays européens riverains cequi a provoqué la colère de l’Allemagne etla méfiance des pays européens du Nord ;volonté d’offrir à la Turquie un substitut àl’intégration européenne. Après un laborieuxrabibochage avec les pays non méditerra-néens de l’Europe, a eu lieu la réunion àgrand spectacle à Paris le 13 juillet 2008avec, en vedettes, El Assad, Moubarak etBen Ali ! De surcroît, rapidement l’UPM abuté sur les conflits politiques au Sud etla réunion de Paris n’a pas eu de suite.

Comment relancer sur de nouvelles bases une Union euro-méditerranéenne ?D’abord, en disant clairement que cegrand projet géopolitique ne s’adressequ’aux pays qui ont engagé leur transitiondémocratique et qui respectent lesvaleurs et les droits fondamentaux del’humanité. Un Comité politique permanentprésidé par le « Monsieur Méditerranée »de la Haute représentation de l’UE pourraitêtre crée. Il rassemblerait les secrétairesd’État à la Méditerranée de chaque Étatmembre de l’UE et les secrétaires d’Étataux Affaires européennes des pays du Sud associés au nouveau partenariat. Il travaillerait en étroite liaison avec lesecrétariat chargé des projets à Barcelone.Les projets concrets doivent apporter desréponses immédiates ou sur le moyenterme aux besoins des populations. Lesecrétariat de Barcelone dirigé par unhaut diplomate marocain, M. Amrani, aeu le mérite d’être composé, à parité, dereprésentants du Nord et du Sud et derépondre ainsi à la volonté légitime despays du Sud de construire un partenariat

équilibré dans la préparation des projets,des décisions et dans la gouvernance. Les six secteurs prioritaires identifiés par lesecrétariat de l’UPM installé à Barcelonesont l’eau et l’environnement, l’énergie,les transports urbains, l’éducation supé-rieure et la recherche, la protection socia-le et civile, le financement de l’économieet la sécurité des investissements. Pour lemoment, on en est au stade des idées etnon des projets. Pour franchir ce pas, ilfaudrait que des ingénieurs, spécialistesde l’eau, de l’énergie, des banques, desavocats, viennent renforcer l’équipe desdiplomates du secrétariat général deBarcelone.Développer des projets qui soient direc-tement utiles aux populations exige d’or-ganiser et de faciliter la circulation despersonnes entre l’Europe et le Sud de laMéditerranée.La mobilité transitoire despersonnes peut remplacerles migrations définitives nonvoulues, si elle est organiséeà partir d’une analyse com-mune des besoins des uns etdes autres. L’Union euro-péenne a tout intérêt à ceque les étudiants africainscontinuent à venir en Europeplutôt qu’aux États-Unis ou – de plus enplus – en Inde ou en Chine ! L’Europe a unintérêt majeur à aider au développementéconomique et social et à la démocratiequi, seuls, peuvent fixer durablement lespopulations dans les pays du Sud. Il seraitalors possible d’organiser sereinement unemobilité étudiante, professionnelle etfamiliale qui fasse vivre les liens personnelset professionnels tissés des deux côtés dela Méditerranée et permette une circula-tion maîtrisée des personnes des deuxcôtés. Car n’oublions pas que si l’Europecraint l’immigration clandestine, les paysdu Sud déplorent la fuite de leurs cer-veaux et de leurs travailleurs qualifiés.Pour répondre aux aspirations démocra-tiques, économiques et sociales despeuples du Sud – dont le courage doitêtre salué – l’Union européenne se doitd’inventer. La révolution tunisienne a fait com-prendre à Bruxelles la nécessité d’une

nouvelle offre européenne à ses voisinsdu Sud. Cette offre existe, elle a étéannoncée en mars 2011 et concrétiséeen juin 2011. Mais elle reste très, trop,classique. Sa mise en œuvre reste trèslente, et, a beaucoup d’égards, encorepeu adaptée aux besoins immédiats et àmoyen terme des pays en transitiondémocratique. La Tunisie par exemple, adeux besoins urgents : que le tourisme,principale ressource du pays, redémarre,car le chômage a explosé, et que les élec-tions du 23 octobre prochain soient unsuccès démocratique. Une aide d’urgencepour l’organisation des élections, l’ali-mentation des populations les plus défa-vorisées, l’octroi de micro-crédits devraitêtre mis en œuvre, faute de quoi, lerisque de voir les partis islamiques et/oules partisans des tyrans de l’ancien régi-

me arriver en tête des élec-tions est réel. L’Union euro-péenne doit accepter lacréation d’une banque d’in-vestissement méditerranéen-ne pour organiser les finan-cements à court à moyenterme des économies despays du Sud et de l’Est.Plus encore, l’Europe doitreprendre le modèle alle-

mand d’intégration économique des paysd’Europe centrale et Orientale. Depuis lachute du mur, l’Allemagne a multiplié leslocalisations d’ateliers de PME en Pologne,Tchéquie, Roumanie, etc. Plutôt que devoir les travailleurs des pays de l’Est veniren Allemagne, ce sont les capitaux alle-mands qui sont allés à l’Est. L’Allemagne a créé des emplois dans lespays de l’Est mais aussi des emploisindustriels chez elle, mais des emplois dehaut de gamme qui ont conforté la com-pétitivité des entreprises allemandes. Cetteforme de multi-localisation qui évite la des-truction du tissu industriel et crée de lavaleur ajoutée des deux côtés, pourrait ins-pirer notre attitude vis à vis du Maghreb. Jusqu’ici l’Union européenne a peiné à sehisser à la hauteur des événements.Espérons que la révolution en Libye revigo-rera l’imagination et la volonté européenne.À terme, on pourrait imaginer un « Eras-mus » euro-méditerranéen, lancer la pers-

Car n’oublions pas que si l’Europecraint l’immigration

clandestine, les pays du Suddéplorent la fuitede leurs cerveaux

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pective d’une Communauté euro-méditer-ranéenne de l’énergie, imaginer un ser-pent monétaire euro-méditerranéen. Biensûr, cela suppose que l’Union européennesurmonte la crise de la zone euro etretrouve une nouvelle dynamique. Maispeut-être est-ce dans sa nou-velle politique au Sud qu’ellepourra ressourcer son projet etse renforcer dans le mondeglobal.L’Union euro-méditerranéennen’a pas vocation à préparerl’adhésion des pays Sud médi-terranéen à l’Union européen-ne, ni à se substituer auxnégociations d’adhésion entrela Commission européenne et la Turquie, nonplus qu’aux négociations avec le Maroc etIsraël pour un statut avancé. Ces négocia-tions se poursuivront bilatéralement.

Mais l’Union euro-méditerranéenne peutet doit répondre aux défis de la mondiali-sation.Un grand ensemble régional Europe-Afrique pourrait négocier, en meilleureposition dans les institutions internatio-

nales, à l’OMC notamment,pour la préservation de sonpropre modèle de dévelop-pement fondé sur troisgrands principes : la proxi-mité, la complémentarité,la solidarité Nord-Sud. Ilpourrait s’organiser face àla concurrence chinoiseavec des préférences claire-ment affichées sur le plan

social et écologique.La puissance change d’échelle. L’ordre degrandeur aujourd’hui est devenu le milliardd’êtres humains. Or, si l’on fait la somme

de la population européenne ajoutée àcelle des PSEM et du Moyen-Orient onaboutit à 900 millions d’habitants. Si l’onajoute la population européenne à celledu continent africain : 1,7 milliard d’ha-bitants. En 2050, l’ensemble euro-afri-cain pèsera 2,5 milliards d’êtres humains,soit le quart de la population mondiale.Avec un tel potentiel, il est possible deconstruire un développement écono-mique, social et écologique partagé, et dese faire entendre au sein des organisa-tions internationales et par les autresgrandes puissances mondiales. n

L’Union euro-méditerranéenne

n’a pas vocation àpréparer l’adhésion

des pays Sudméditerranéen à

l’Union européenne

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25/ septembre 2011 / n° 414

L’impuissance russedevant la chute des dictatures

Par Marie Mendras1

Politologue au CNRS et au CERI Professeur à Sciences Po

À l’instar de nombreux autres pays, laRussie a des intérêts économiques

dans la plupart des pays arabes, intérêtsqu’elle a d’abord eu le souci de protéger.Elle a beaucoup misé ces dernières annéessur les ventes d’armements et les accordsénergétiques avec l’Égypte et la Libyenotamment. Plusieurs milliards de dollarsde contrats sont suspendus depuis le débutdes révoltes2. Ces considérations écono-miques ont empêché les dirigeants russesde prendre la mesure des événements audébut mais, très vite, les préoccupationsd’ordre politique ont pris le dessus.

La crainte de la contagion anti-autoritaireLe plus inquiétant pour le pouvoir russen’est pas la préservation d’intérêts écono-miques ou sécuritaires dans la régionmoyen-orientale, mais la contagion révo-lutionnaire. Les Tunisiens et les Égyptiensont fait la démonstration que les dicta-tures qui les gouvernaient n’étaient pasdes forteresses imprenables ; les rebelleslibyens ont démontré qu’avec l’aide de lacommunauté internationale l’implacablesystème Kadhafi se décomposait rapide-ment, en dépit d’une supériorité militairesur le terrain et de l’extrême violence uti-lisée contre des civils. La colère d’unepopulation non préparée et démunie peutfaire tomber une tyrannie brutale et sur-armée. Tel est le message qu’ont entendules dirigeants russes, et qui fait écho aux« révolutions de couleur » en Georgie en2003 et en Ukraine en 2004. Que lesUkrainiens, regardés d’en haut par lesRusses, aient prouvé au monde entierqu’ils pouvaient s’organiser, s’exprimer etforcer un régime corrompu à se soumettreà la sanction des urnes a été pourVladimir Poutine une grande humiliation.Le patron de la Russie n’apprécie pas leschangements de régime, ni pacifiques, ni

par la rupture. Sa position peut se résu-mer en ces termes : Moubarak et Kadhafiont été « lâchés » par les Américains etleurs alliés européens, après des décen-nies de bonnes relations et de juteusesaffaires commerciales. Les Occidentauxtentent de garder la main dans la région etd’imposer un ordre qui leur soit favorable,même si les nouveaux régimes ne sontpas plus démocratiques que les anciens. Fedor Lukyanov, rédacteur en chef de l’influente revue Russia in Global Affairs,a accompagné l’évolution de la positionofficielle par ses nombreux articles depuisjanvier 2011. En avril 2011, il affirmeque la coalition militaire échouera et queKadhafi restera au pouvoir. Il souligneaussi, comme la plupart des commenta-teurs russes, que les révoltes arabes ren-forceront l’islam radical et produiront deshybrides « de la Turquie d’Ataturk et del’Iran théocratique3 ». La façon dont les sociétés ukrainienne,tunisienne, géorgienne, libyenne seront à l’avenir gouvernées ne concernent lesdirigeants russes que dans la mesure oùdes changements en profondeur modifie-raient le rapport de forces et mettraienten danger leur propre système politique.Le statu quo est préférable au change-ment. L’élite poutinienne a mis vingt ansavant de s’accommoder d’une Polognedémocratique et européenne. Elle est trèssoucieuse de contrer toute influence exté-rieure, signe qu’elle n’est pas si confiantedans son propre avenir.

Les gouvernants russes ont été désagréablement surpris par les révoltes dans les pays arabes et ont réagi dans la confusion. Comme d’autres capitales,Moscou n’imaginait pas que des régimes autoritaires, vus commesolidement établis autour d’une personnalité et d’un clan, tomberaient en quelques jours ou quelques mois. Cependant, la positionrusse est particulièrementdélicate. Le régime poutinien voit dans l’ébranlement d’un arc de cercleautoritaire l’esquisse de sapropre vulnérabilité. La révolution orange en Ukraine en 2004 a laissé un forttraumatisme.

1 - Auteur de Russie. L’envers du pouvoir (Odile Jacob, 2008).2 - Les échanges russo-libyens concernaient les ventes d’armements(un contrat estimé à 4 milliards de dollars a été signé en 2010), desconcessions à Tatneft pour développer l’exploitation pétrolière, descontrats d’exploration accordés à Gazprom, et des projets de construc-tion d’un train à grande vitesse le long de la côté libyenne.3 - Fedor Lukyanov, « Arab spring – after the euphoria has faded »,Russia in Global Affairs web site, http://eng.globalaffairs.ru, 23 April2011.

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26 / septembre 2011 / n° 414

Et pourtant, Moscou continue, en cedébut septembre 2011, d’exprimer desréticences fortes en ce qui concerne dessanctions et une éventuelle interventioncontre la Syrie de Bachar el-Assad, qui adépassé toutes les limites en termesd’exactions contre sa propre population.L’embargo décrété par les Européens estdénoncé par le ministre Lavrov le 3 sep-tembre. L’enjeu pour la Russie est d’exister dansles grandes affaires du monde. Ceciimplique un équilibre compliqué entreconcertation avec les États-Unis et l’Otan,autorité à l’Onu, et revendication d’uneposition russe souveraine et spécifique.

Poutine - Medvedev : un utile jeu de rôles Les différences de ton entre Poutine,Medvedev, Lavrov et quelques autres responsables ont suscité l’effervescencedans le microcosme moscovite. La rhéto-rique est reine dans un pays privé dedébat parlementaire, de pluralisme poli-tique et de télévision libre. Les blogsrusses montrent que ces vifs échangesont satisfait une partie de la société quipeut se retrouver dans l’une ou l’autreposition. Il est agréable pour un Russed’avoir l’impression, probablement illusoire,que la politique n’est pas complètementverrouillée et que des discussions ont lieuau sommet. Telle est, au fond, l’une des fonctions dutandem Poutine/Medvedev depuis 2008.Le président et le Premier ministre ontdes sensibilités différentes, et cela estutile dans la négociation multilatérale : onactionne selon les besoins l’une ou l’autremanette. Le résultat reste médiocre pourl’autorité de Moscou dans les affairesinternationales et sa réputation dans lescapitales arabes. Les hésitations sur laLibye et la Syrie ont montré que la Russiemanquait de résolution et de capacité delevier, et avait peur du changement. n

Le cas libyen et la résolution 1973La Russie n’a pas voté contre la résolution1973 le 17 mars 2011 et a donc permisla constitution par l’Otan d’une coalitionmilitaire chargée de protéger les popula-tions par des frappes aériennes. C’est unepremière depuis vingt ans. En 1990-1991, l’URSS de Gorbatchev s’allie auxÉtats-Unis dans la « guerre du Golfe » etvote les résolutions du Conseil de sécuri-té de l’Onu condamnant l’Irak de SaddamHussein après l’invasion du Koweit. En1999 au Kosovo, en 2003 en Irak, laRussie s’est fortement opposée aurecours à la force et les interventions onteu lieu sans mandat des Nations-Unies.La guerre du Kosovo provoque une césu-re entre la Russie et l’Occident et met finà l’alignement sur Washington, alors quese prépare à Moscou la seconde guerreen Tchétchénie.Douze ans après les frappes de l’Otan contrela Serbie, trois ans après l’indépendance duKosovo qu’il n’a pas reconnue, le régimepoutinien a toléré la formation d’une coali-tion militaire qui a opéré de très nombreusesfrappes contre le régime de Kadhafi.L’abstention du 17 mars 2011 est uneévolution significative dans la politiquerusse, mais il est encore trop tôt pour diresi elle marquera une rupture fondamenta-le avec la politique traditionnelle de refusdes interventions contre un État souve-rain. Comme la Chine, la Russie souhaiteêtre considérée comme une puissanceresponsable, a good stakeholder dans levocabulaire américain, mais sans abdi-quer la puissance que lui confère le droitde veto au Conseil de sécurité de l’Onu.En votant la résolution 1970 condam-nant le régime libyen et en ne s’opposantpas à la résolution 1973, la Russie aintroduit une notion de valeurs dans larealpolitik : ne pas laisser un tyran tuersa propre population. Vladimir Poutines’insurge « à titre personnel » le 21 marset choisit de faire vibrer d’autres émotionsen comparant l’intervention à « un appelmédiéval à la croisade ». Nous verronsque le résultat sera un ajustage assezréussi combinant deux sensibilités, per-mettant à la Russie de ne pas perdre samarge de manœuvre par un « niet »improductif tout en réaffirmant son oppo-

sition à un changement de régime defacto opéré par l’Otan et violant la souve-raineté d’un État. L’abstention de laRussie le 17 mars n’a pas pu être décidéecontre l’avis de Vladimir Poutine.La position russe se précise les 26-27mai 2011 au sommet du G8 à Deauville.Le président Medvedev dit clairementqu’il ne soutient pas le colonel Kadhafi etqu’il envoie un émissaire, Mikhail Margelov,en Libye. La médiation ne donnera rien. Leministre des Affaires étrangères, SergueiLavrov, reçoit à Moscou des émissairesdes rebelles libyens le 25 mai mais la Russiene reconnaîtra formellement le Conseilnational de transition que le 1er septembre2011, alors que s’ouvre la conférenceinternationale sur la Libye à Paris.

Le primat de la souveraineté de l’ÉtatAprès quelques hésitations, la positionrusse s’est fixée sur une ligne fragile : criti-quer l’ampleur de l’intervention militairesans faire obstacle à la coalition forméepar les puissances occidentales, s’opposerà un changement de régime imposé del’extérieur tout en reconnaissant queKadhafi avait peut-être fait son temps.Pour le Kremlin, la Libye ne doit pas êtreun précédent ; la position des dirigeantsrusses est donc inconfortable. DmitriMedvedev a introduit la note de l’émotiondans le registre russe en affirmant la légiti-mité d’une protection humanitaire. Il n’apas pour autant conduit son pays à accep-ter une interprétation plus précise desengagements qui résultent de la « respon-sabilité de protéger » votée par les NationsUnies en 2005 avec la voix de Moscou 4. Dmitri Medvedev est fidèle au mode denégociation russe qui vise à lier ensembledes sujets différents pour obtenir desconcessions, notamment commerciales,en échange d’un soutien aux efforts occi-dentaux sur la Libye, l’Iran, l’Afghanistan.En août 2011, le président russe a ren-contré le président iranien et le chef nord-coréen. Il tente de marquer des points endémontrant que la Russie est incontour-nable dans la gestion des États ennemisdes États-Unis. La chute du régime Kadhafien août est un recul pour Moscou, qui, n’envisageait pas un dénouement rapide.

4 - Roy Allison, « From Kosovo to Lybia. Russia and HumanitarianIntervention », étude présentée au séminaire de l’Observatoire de laRussie, CERI/Sciences Po, 6 juillet 2011.

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27/ septembre 2011 / n° 414

La Chine et les révolutions arabes

La Chine s’estprogressivement imposéecomme un acteur majeurau Moyen-Orient, avec de multiples accords surles échanges énergétiques,des forums de coopération,des investissements en progression et une présence politique de plus en plus nette.Même Israël, longtempsignoré par Pékin, s’est considérablementrapproché de l’Empire du Milieu. Cette présenceest cependant diffuse et essentiellementarticulée autour d’accords bilatéraux, et la formulation d’unevéritable politique chinoise au Moyen-Orientreste à définir.

Par Barthélémy CourmontProfesseur à Hallym University (Chuncheon, Corée du Sud), Chercheur-associé à l’Iris, Directeur-associé, sécurité et défense, à laChaire Raoul-Dandurand en étudesstratégiques et diplomatiques (UQAM), Rédacteur en chef de la revue trimestrielleMonde chinois, nouvelle Asie.

La crainte d’une contagiondémocratiquePékin a pris au sérieux les risques de conta-gion démocratique, au point d’étouffer toutesles tentatives de contestation. Consécutive-ment au mouvement dans le monde arabe,plusieurs manifestations furent organiséesen Chine pour réclamer des réformes démo-cratiques, en faisant usage des réseauxsociaux sur Internet, et s’inspirant ainsidirectement du printemps arabe. Plusieursjours de suite, les grandes villes chinoisesfurent le théâtre de manifestations, répri-mées par les forces de l’ordre. Les autoritéschinoises se sont également tournées versles médias occidentaux, critiquant leur cou-verture du sujet, contenant l’accès à cer-tains sites « sensibles », et exigeant qu’ils seplient aux règles chinoises. De telles cri-tiques eurent pour effet d’internationaliserles troubles et de discréditer les manifes-tants aux yeux de la population chinoise endénonçant une manipulation des puis-sances occidentales.Le Premier ministre Wen Jiabao choisit deson côté de chercher à rassurer sur lesobjectifs de la croissance chinoise et sur lavolonté de Pékin d’améliorer les conditionsde vie de la population, notant ainsi que« notre développement économique a pourobjectif de répondre aux besoins croissantsde la population sur le plan matériel et cul-turel et de rendre leur vie toujours meilleu-re », et que « nous avons suivi de près lesturbulences dans certains pays d’Afriquedu Nord et du Moyen-Orient, mais il n’y apas d’analogie entre la Chine et ces pays ».

Une position en retraitLa gestion des possibles conséquences duprintemps arabe sur le régime chinois anaturellement imposé une réserve dans lamanière dont les changements en Tunisiepuis en Égypte ont été commentés en Chine.L’accent fut ainsi mis sur les risques dechaos plus que sur la transition démocra-tique elle-même. Cette méfiance face auxconséquences des révolutions démocra-

tiques s’est doublée, dans le cas de la Libye,d’inquiétudes concernant l’ingérence despuissances occidentales, critiquée par Pékin,qui s’abstint par ailleurs de voter la résolution1973 du Conseil de sécurité de l’Onu, bienque n’utilisant pas son droit de veto. Malgréson refus de soutenir officiellement la cam-pagne militaire libyenne, la Chine ne souhai-te cependant pas rester trop en retrait, et aexceptionnellement choisi d’envoyer dans lazone des forces armées, comme pour mieuxmarquer sa présence, avec officiellementpour mission d’évacuer les ressortissantschinois présents en territoire libyen, et offi-cieusement de ne pas laisser aux puissancesoccidentales le champ totalement libre.L’idée de se positionner comme une puis-sance responsable fut même évoquée à plu-sieurs reprises, répondant en écho à cettevolonté de projeter des forces en observa-tion. Mais Pékin ne souhaite pas s’exposer,au risque de voir son image de puissancerefusant toute ingérence politique être com-promise auprès de ses partenaires, et choisitdonc d’observer à distance.

Priorité à l’énergiePar opportunisme, la Chine cherche àprofiter des changements politiques pourétendre son partenariat avec les paysexportateurs d’énergie. D’ici 2030, laChine devra importer 75 % de l’énergiequ’elle consomme et les initiatives dePékin au Moyen-Orient sont guidées parcet objectif. Afin de répondre à sa demandeénergétique en hausse constante, la Chines’est efforcée de bâtir au cours des der-nières années de multiples partenariats.On peut ainsi mentionner la coopérationentre la compagnie chinoise Sinopec et desfirmes d’Arabie saoudite sur la constructionde raffineries en Chine, permettant d’aug-menter les importations en provenancede Riyad. Forte de ces accords, la Chineest devenue en 2009 le premier importa-teur de pétrole saoudien, devant lesÉtats-Unis. Les membres du Conseil duGolfe (Arabie saoudite, Koweït, Émirats

L es effets des révolutions arabes pourla Chine sont doubles. D’un côté,

Pékin a pris actes des changements poli-tiques avec prudence, craignant un effetde contagion. D’un autre côté, les dirigeantschinois sont conscients de l’opportunitéde nouveaux accords sur les échangesénergétiques et d’une affirmation politico-stratégique au Moyen-Orient.

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arabes unis, Oman, Qatar, Bahreïn) ontsigné un accord en 2005 avec Pékin surla mise en place d’une zone de libre-échange, s’appuyant essentiellement surles exportations de matières énergétiquesvers la Chine, et permettant à cette der-nière de sécuriser ses approvisionne-ments. Les relations avec le Yémen, quidispose d’importantes réserves de gaznaturel, en plus d’une position stratégiquequi ne laisse pas la Chine indifférente,sont excellentes. Depuis la chute du régimede Saddam Hussein, la Chine a massivementinvesti dans l’exploitation des ressourcespétrolières irakiennes. L’Algérie intéresseaussi Pékin, avec des projets pharaoniquesdans le développement des infrastructures.La relation que Pékin entretient avecTéhéran est enfin révélatrice de l’antici-pation des besoins futurs de la Chine quesert un opportunisme réciproque. La quasiabsence des puissances occidentales enIran a progressivement incité la Chine àse tourner vers ce pays avec lequel elleentretient des relations depuis 1971 pouren faire son principal partenaire écono-mique, sur la base d’un échange entreimportations d’hydrocarbures et exportationde biens de consommation. La Sinopec aainsi signé en 2007 un important accordavec le gouvernement iranien pour l’ex-ploitation des réserves de Yadavaran,dans le sud-ouest du pays.Dans ce contexte, les changements poli-tiques dans le monde arabe sont perçus àPékin comme potentiellement déstabili-sateurs, notamment si l’Arabie saouditeou l’Iran venaient à être concernés. À l’inverse, tant qu’ils touchent essentiellementles alliés des puissances occidentales, lesévénements du printemps arabe peuventpermettre à la Chine de renforcer sa position et d’élargir ses partenariats.

Une présence stratégique confortéeSi Pékin a une position de plus en plusimportante dans la région, ses implicationspolitiques restent déséquilibrées, alternantdes partenariats étroits et l’absence dedialogue stratégique. Cela s’explique parune volonté de ne pas trop s’impliquer.Mais la Chine ne pourra maintenir long-temps cette ambiguïté, et se verra dansl’obligation d’afficher une diplomatie plus

active. Les changements politiques dans lemonde arabe peuvent dès lors être perçuscomme une opportunité lui permettant derenforcer sa position stratégique. La Chinesouhaite désormais s’affirmer comme unepuissance de premier plan. Plus que sesproduits et même sa culture, c’est un véri-table modèle de développement et de gou-vernance qu’elle souhaite proposer aux paysdu Moyen-Orient, qualifié de « consensusde Pékin ». Le sommet sino-arabe du 14mai 2010 à Tianjin est un indicateur decette évolution. À la manière de ce que l’onobserve en Afrique, la Chine pourrait ainsirapidement devenir le premier investisseurde la région, et par voie de conséquenceun acteur politique majeur.Bien que maintenant une politique prudente etpragmatique, mise en évidence par soncomportement au Conseil de sécurité del’Onu depuis la guerre du Golfe de 1991,Pékin a multiplié ces derniers mois les ini-tiatives diplomatiques en vue de se reposi-tionner et d’établir des contacts étroits avecles nouvelles équipes dirigeantes. Leministre chinois des Affaires étrangères,Yang Jiechi, a ainsi rencontré le 3 mai 2011son homologue égyptien, Nabil el-Arabi,révélant les intentions de Pékin de ne pasperdre de temps dans l’établissement denouvelles relations avec le Caire. Lors d’unerencontre avec l’envoyé spécial chinois auMoyen-Orient, Wu Sikai, en mars 2011, levice-président syrien Farouq al-Shara a, deson côté, noté son souhait de renforcer lesrelations d’amitié et de coopération avec laChine dans tous les domaines. À l’issue decette rencontre, Wu a déclaré : « Peu impor-te les changements (…), la Chine va main-tenir sa politique de renforcement des rela-

tions avec les États de la région, y comprisla Syrie ».La Chine est enfin amenée à jouer un rôleimportant dans le conflit israélo-palestinien,et bien que maintenant une position pro-palestinienne, évite de froisser l’État hébreuavec lequel elle entretient des relations quin’ont fait que s’améliorer, et n’ont pas placéla Chine dans une position délicate à l’égardd’autres partenaires dans la région. Israëls’accommode de son côté des relations quePékin entretient avec Téhéran. Les relationssino-israéliennes se caractérisent ainsi parune vision pragmatique et réaliste des rela-tions internationales, et sont justifiées ducôté israélien par la crainte de voir l’alliéaméricain faire défaut. Là encore, nul douteque consécutivement aux changementspolitiques dans la région, l’hypothèse d’unpartenariat stratégique entre les deux payssemble plus possible que jamais.

ConclusionLe régime chinois se méfie des change-ments politico-stratégiques profonds queconnaît le monde arabe et d’un processusde démocratisation aux lendemains incer-tains. Dans le même temps, la Chine saitque toute modification des rapports deforce au Moyen-Orient peut se faire à sonavantage, à condition qu’elle se position-ne rapidement et s’adapte aux nouvellesréalités politiques. Dans la durée, Pékinpourrait paradoxalement profiter d’unmouvement démocratique pourtant tota-lement incompatible avec la nature durégime chinois, faisant une nouvelle foisla démonstration du pragmatisme et del’opportunisme de la politique étrangèrede la Chine. n

Quelques références- Jean-Pierre Cabestan, La politique inter-

nationale de la Chine, Paris, Presses deSciences Po, 2010.

- Barthélémy Courmont, Chine, la gran-de séduction. Essai sur le soft powerchinois, Paris, Choiseul, 2009.

- Joshua Eisenman, Eric Heginbotham etDereck Mitchell (ed.), China and thedeveloping World. Beijing’s Strategyfor the Twenty-First Century, Armonk,M.E. Sharpe, 2007.

- Stefan Halper, The Beijing Consensus.How China’s Authoritarian ModelWill Dominate the 21th Century, NewYork, Basic Books, 2010.

- Carine Pina-Guerassimoff, La Chinedans le monde : panorama d’uneascension, Paris, Ellipses, 2011.

- « Chine – Moyen-Orient : la coopéra-tion du siècle ? », Monde chinois, n°23, automne 2010.

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L’Iran à l’heure des révolutions arabes

Le « mouvement vert »iranien, jugulé par la dictature du présidentAhmadinejad, apparaîtcomme le précurseur des révolutions arabes du printemps 2011.Disparate, portant desrevendications diverses, il s’inscrit dans une tradition politiqueforte, propre à la sociétéiranienne. Il a su, en outre, utiliser les nouvelles technologiesde l’information et sa défaite électorale (due à une fraude massive)n’a pas entamé sa volontéde renverser le « Guidesuprême ».

Par Jean-Louis BiancoThomas More 1971Ancien ministre, DéputéPrésident du Conseil général des Alpes de Haute-Provence

On oublie parfois que le mouvementde protestation en Iran, « le mouve-

ment vert » ou « révolte verte », a précé-dé les révolutions arabes. Le vert, cou-leur des descendants du prophète, a étéchoisie pour sa campagne par l’un desdeux principaux candidats d’opposition,M. Moussavi. N’ayant pas le droit de col-ler des affiches, certains de ses partisansont eu l’idée d’utiliser des vêtements etaccessoires de couleur verte.La réélection triomphale du président sortant Ahmadinejad le 12 juin 2009, aété le résultat d’une fraude massive. Dèsle lendemain du scrutin, des milliers depersonnes manifestent à Téhéran. Larépression s’organise immédiatement. Unecentaine de responsables réformateurssont arrêtés le soir même, les deux can-didats « perdants » sont assignés à domi-cile « pour les protéger ». Le jour même,un vendredi, les envois de textos sont blo-qués, les principaux sites réformistes fil-trés, tout comme les réseaux sociaux. Leprincipal réseau de téléphonie mobile estcoupé dans la soirée de samedi, tandisque la presse reçoit l’ordre de ne publierni les réactions de MM. Moussavi etKaroubi, ni d’informations sur les mani-festations. Malgré tout, 3 millions de per-sonnes défilent à Téhéran le 15 juin, der-rière des pancartes qui demandent « Oùest mon vote ? ».Le point central qu’il faut avoir présent àl’esprit est que le combat est dès le débutun combat autour de l’information. À l’ori-gine du mouvement vert se trouve l’orga-nisation par la télévision nationale devéritables débats entre les candidats.Certains débats auraient été suivis par 50millions de personnes. Il semble que latélévision iranienne se soit crue obligéede procéder ainsi pour contrer l’influencede la BBC, qui diffusait des émissions enpersan depuis février 2009, et dont l’au-dience s’était envolée au printemps.

Résultats : cet air de liberté a provoquéune participation électorale massive, del’ordre de 85%, et une colère à la mesu-re de la fraude organisée par tous moyensen faveur de M. Ahmadinejad.Si les manifestations se sont étiolées aucours de l’été 2009 les opposants ont suutiliser des commémorations officielles,comme celle de l’Achoura – en mémoirede l’assassinat de l’imam Hussein – endécembre 2009.Le mouvement vert, avant les révolutionsarabes, s’est organisé en recourant auxnouvelles technologies de l’information. Endépit du coût très élevé des connexions inter-net et de l’absence de haut débit, l’Irancompterait aujourd’hui près de 29 mil-lions d’internautes, soit 38% de la popu-lation – 28% dans la Turquie voisine et62% en France – l’Iran est aussi un despays qui comptent le plus de blogs.Le mouvement vert – et là encore onpeut y voir une certaine analogie avec lesrévolutions arabes – ne s’est pas organi-sé autour d’un leader reconnu. M.Moussavi était un pur produit du régime,il avait été premier ministre pendant laguerre entre l’Iran et l’Irak et avait soute-nu les violentes purges qui ont marquécette période. Sa principale force fut, enréalité, sa défaite électorale. Le mouvement vert, comme les révolu-tions arabes, est disparate et porte desrevendications diverses. Sans qu’on enait la certitude, il est possible qu’unemajorité des contestataires souhaite unesolution démocratique à l’intérieur dusystème – ce qui apparaît évidemmentaujourd’hui comme très peu probable. Le mouvement vert s’inscrit aussi dansune tradition politique forte, propre à lasociété iranienne : loges maçonniques auXIXe siècle, révolution constitutionnalistede 1906-1911, création du premierparti communiste au Moyen-Orient en1920.

La protestation a rassemblé dans la ruedes millions d’Iraniens, de tous âges et detoutes conditions. Mais les étudiants etles femmes ont joué un rôle décisif dansson déclenchement comme dans sonorganisation. Il y a aujourd’hui près de 4 millions d’étudiants dans un pays de70 millions d’habitants. Il existe plus de2 200 universités, chaque ville, mêmesituée dans les provinces les plus recu-lées, en ayant une, ce quipermet à des jeunes, mêmeissus des classes pauvres etmoyennes, de suivre desétudes supérieures.À côté des aspects très tra-ditionnalistes du régime, lasociété iranienne montre enmême temps pour une partassez importante de sapopulation, des signes demodernité et d’occidentalisation. La fécon-dité est passée de 6,2 enfants par femmeà 2 en 2006. La population est scolariséeà 80%. L’omniprésence des femmes estcaractéristique de la société actuelle,malgré ou à cause du hidjab. 60% desétudiants sont des étudiantes. Le rôle du mouvement féministe, qui estné en 2003, a été déterminant dans lacontestation. Il s’agit du tout premiermouvement de fond depuis la révolution.De la même manière, une partie trèsimportante de la jeunesse est en cours de« désislamisation ». La religion a de plusen plus tendance à glisser sur elle, selonun chercheur, « comme l’eau sur lesplumes d’un canard ».Dans la répression, le pouvoir iranien afait preuve d’une détermination sansfaille. Il a réussi, à ce stade, à diminuer lavisibilité de la contestation et à empêcherla structuration d’un mouvement divers,largement spontané, et dépourvu de véri-tables leaders. Les premiers coups de feu ont été tiréssur les manifestants dès le 15 juin. Entre5 et 10 000 personnes ont été arrêtéesentre juin et décembre 2009. De nom-breux étudiants emprisonnés ont été violés, torturés et tués. Les procès se sontmultipliés pour « incitation à une révolu-tion de velours » ou « actes nuisant à lasécurité nationale ». À la mi-juin 2011,

l’ambassade de France dénombrait aumoins 274 exécutions depuis le début del’année. Et l’Iran avait été candidat auprintemps 2010 à un siège au Conseildes droits de l’Homme ! Ajoutons quenombre de scientifiques ou de chercheursnon iraniens ont été malmenés ou expulsésdu pays, dès lors qu’ils refusent à servirde faire-valoir à la révolution islamique.Face au printemps arabe, l’Iran a tenté un

discours de récupération : ilserait le triomphe de la révo-lution islamique. En réalité,c’est le mouvement vert quia pu inspirer les révolutionsarabes. Le régime iranien avoulu voir dans la chute du président Ben Ali puis du pré-sident Moubarak la consé-quence de la proximité deces dirigeants avec l’Occident.

La réaction au soulèvement populaire enLibye a suivi la même logique, les relationsentre Téhéran et Tripoli étant historiquementmauvaises. L’intervention occidentale n’ena pas moins été dénoncée comme une « nouvelle forme de colonialisme ». Selon des informations rendues publiquespar les services de renseignement occi-dentaux début juillet, le Guide suprêmeKhamenei aurait chargé la force al-Qodsdes gardiens de la révolution d’apporterune assistance militaire au colonel Kadhafi.À Bahreïn, malgré l’existence d’une majo-rité chiite dominée par une minorité sun-nite, l’Iran a été bien plus spectateurqu’acteur dans le déclenchement desévénements. Il s’efforce d’utiliser sescapacités perturbatrices pour entretenir ledésordre actuel.Pour le régime iranien, les manifestationscontre Bachar el Assad seraient le résultatd’un complot étranger. Il ne faut pasoublier que, pour l’Iran, la Syrie est leseul ami et allié fidèle – même si la Syrieaurait souhaité se dégager de cette amitiéencombrante. Il n’y a aucun doute quel’Iran apporte une aide matérielle au pou-voir syrien dans son entreprise d’étouffe-ment des mouvements de protestations.Par un effet retour, les révoltes arabes ontété l’occasion pour le mouvement vertd’une grande manifestation le 14 février2011 « en solidarité avec les peuples

tunisien et égyptien et contre le dictateur»,alors qu’aucune grande manifestationn’était intervenue depuis décembre2009.L’atmosphère créée par le printempsarabe a entraîné une certaine radicalisa-tion. Pour la première fois, ce 14 février2011, apparaît la revendication d’un renversement de régime et, nommément,du Guide suprême. L’Iran ne peut espérer sortir gagnant desrévolutions arabes. Certes, l’Égypte a faitdepuis quelques mois des gestes quitémoignent d’une volonté d’ouverture.Mais pour autant le passage de l’Égyptedans le camp de l’Iran apparaît exclu, à lafois pour des raisons idéologiques et àcause des liens, toujours étroits, entre leCaire et Washington. n

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Le mouvementvert, comme les

révolutions arabes,est disparate

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La question israélo-palestinienne

à l’heure des révolutions arabes

La communautéinternationale est face à ses responsabilités, qui ne peut, d’un coté,soutenir les révolutionsarabes et de l’autre, ne pas accéder à une revendicationlégitime des palestiniensd’établir un État depuis si longtemps promis.Contrairement auxpronostics prématurésévoqués plus haut, la question israélo-palestinienne n’a pasperdu sa centralité malgréles bouleversements dans une région secouéepar les révolutions arabes.

Par Yves Aubin de La MessuzièreAncien ambassadeur de France Ancien Directeur Afrique du Nord/Moyen-Orient au ministère des Affairesétrangères.

Chroniqueurs, personnalités politiques,intellectuels, furent nombreux à

observer que, lors des manifestations quise sont déroulées au début de l’année enTunisie et en Égypte, conduisant au renversement de Ben Ali et de HosniMoubarak, aucun slogan anti-israélienou de soutien à la cause palestiniennen’a été entendu. On a salué la maturitédes manifestants en tirant la conclusionque le conflit israélo-palestinien avaitperdu de son caractère central, d’autantplus que les territoires palestiniens sontrestés calmes. Erreur d’analyse et deperspective. Certes, les révoltes auMaghreb et au Machrek se sont dévelop-pées selon des logiques proprementnationales, comme en témoignent la pré-sence systématique des drapeaux natio-naux dans les rassemblements et desmots d’ordre patriotiques. Gamal Aid, duCentre arabe d’information des droits del’homme, dont le siège est au Caire, avaitl’habitude de dire à l’adresse des partisansde la cause palestinienne, instrumentaliséspar les régimes arabes : « Si vous voulezlibérer la Palestine, commencez par vouslibérer vous-mêmes ».

La Palestine à l’Onu ?La chute du raïs égyptien a aussitôt pro-voqué un changement de la politiquepalestinienne du nouveau gouvernement,dont le premier geste a consisté à ouvrirle passage de Rafah pour alléger le blocusde Gaza. Il s’est efforcé de favoriser laréconciliation inter palestinienne en vuede la formation d’un gouvernementd’union nationale. En agissant ainsi, leCaire se met à l’unisson de l’opinionégyptienne, solidaire des habitants deGaza. Dans le même temps, le Conseilsuprême des forces armées, dépositaire

du pouvoir dans cette phase transitoire,veille à ce que l’accord de paix avec Israëlne soit pas remis en cause.Dans les territoires, les Palestiniens ontété à l’écoute des mouvements qui agitentle monde arabe. Un collectif a été créé surFacebook, en mars, réunissant des jeunescontestataires à Gaza et en Cisjordanie quiont appelé à la réunification des rangspalestiniens. Le Hamas s’est efforcé sanssuccès de contenir ce mouvement. Israël,pris de court par les révoltes dans sonenvironnement qui pourraient lui faireperdre, à terme, son statut d’uniquedémocratie du Proche-Orient, a réagiavec méfiance. Le risque d’une montéeen puissance des mouvements islamisteset, partant, de l’influence croissante del’Iran forme la trame du discours deNetanyahou qui ne cachait pas son atta-chement au statu quo, garant à ses yeux,de la stabilité régionale.Rien n’indique en effet que Tel Aviv pour-rait infléchir sa position pour favoriser lareprise des négociations interrompuesdepuis une année. Bien au contraire, l’an-nonce en août de la relance de nouveauxprogrammes ambitieux de constructionsde logements à Jérusalem-Est et enCisjordanie, en réponse aux revendica-tions sociales, risque de créer de nou-velles tensions, dans un contexte qui seramarqué par la demande d’admission àl’Onu de l’État palestinien.L’Autorité palestinienne a annoncé qu’elledéposera cette requête le 20 septembre àl’ouverture de l’assemblée générale, mal-gré la perspective d’un veto américain auConseil de Sécurité. Barak Obama, dontla politique proche-orientale doit mainte-nant s’analyser à l’aune de sa réélection,avait pourtant salué à la tribune de l’Onu,en septembre 2010, la perspective de

l’admission de l’État palestinien en 2011,qui ne pouvait toutefois intervenir qu’àl’issue de négociations bilatérales directesavec Israël. En prenant cette initiative,annoncée dès août 2009 par le Premierministre, l’Autorité palestinienne partaitdu constat de l’échec du tête à tête avecIsraël, pour privilégier une approche multilatérale. Comme État membre desNations Unies, la Palestine sera mieux enmesure de faire valoir ses droits en s’ap-puyant sur le corpus des résolutions onu-siennes qui prônent le retour aux frontièresde 1967.

Le risque d’une troisième IntifadaFaute d’admission de plein droit, lesPalestiniens s’adresseront à l’assembléegénérale pour obtenir le statut « d’État nonmembre, observateur », qui se substitueraà celui d’entité accordé à l’OLP. L’Autoritépalestinienne pourra ainsi compter sesappuis. Probablement quelque 130 pays,soit les deux tiers des membres desNations Unies. Cette option est aussirejetée par Israël, qui constaterait l’am-pleur de son isolement sur la scène inter-nationale. On se trouverait dans unesituation inédite dans l’histoire du conflitoù les Palestiniens s’approprieraient leurdestin par une initiative politique que l’ona tort de qualifier d’unilatérale, tandis queles Israéliens, réfugiés dans le statu quo,ne feraient mouvement que pour renfor-cer la colonisation et réprimer les mani-festations pacifiques.D’ores et déjà, Tel Aviv a annoncé desmesures de rétorsion économiques etsécuritaires, qui pourraient entraîner denouvelles confrontations. Le risque estréel d’une troisième Intifada, mais denature différente de celles de la fin desannées 1980 et 2000. Elle s’inspireraitdes révoltes arabes par une forte mobili-sation des réseaux sociaux sans appel àla violence. Des marches pacifiques sontenvisagées. Des factions jihadistes pour-raient y faire échec, alors que le Hamas,tout comme le Hezbollah, soucieux demaîtriser leur agenda, ne semblent pastentés par de nouvelles aventures mili-taires, à l’instigation de la Syrie et de l’Iran. Le gouvernement de Nétanyahou ira-t-iljusqu’à réprimer par la force armée des

manifestants réclamant leur droit à unÉtat ? Israël apparaîtrait ainsi comme uti-lisant les mêmes méthodes que lesrégimes arabes oppresseurs contre desmanifestants dont les revendications serapprochent de ceux qui étaient rassem-blés place Tahrir, réclamant liberté, justice,fin de l’humiliation et restauration de leurdignité, mot-clé des révolutions, dont lesens est encore plus fort en arabe :« karama ». La tentation d’une stratégiede tension, est présente dans un climatsocial agité qui menace la coalition gou-vernementale, confrontée pour la premièrefois à une demande de réduction desbudgets militaires et des aides financièresaux colons, qui n’émane pas cette foisdes seuls pacifistes Israéliens.Le degré de mobilisation des opinions arabesdépendra de l’évolution des situationsinternes au Proche-Orient, plus particuliè-rement en Syrie. Un mouvement de solidarité à l’égard des Palestiniens sedistinguera de l’instrumentalisation de laquestion palestinienne par les gouverne-ments arabes. Dans un mouvement defuite en avant, le régime de Bachar AlAssad s’y est essayé sans succès, enjuillet, en envoyant quelques centaines deréfugiés palestiniens à la frontière duGolan, dont une dizaine furent abattuspar Tsahal, quoique désarmés.Dans ce contexte, l’Europe apparaît frileuseet hésitante. La déclaration de Berlin de1999, d’inspiration française, avait mar-qué la disposition des États européens àreconnaître « en temps opportun un Étatpalestinien, souverain, démocratique,viable et pacifique. » Dix ans plus tard, leConseil des Affaires étrangères de l’Unioneuropéenne reprenait mot pour mot cetteformulation, en ajoutant que Jérusalemavait vocation à devenir la capitale de deuxÉtats. Le temps est venu pour l’Europe dereconnaître un État qui présente déjàtoutes les caractéristiques d’effectiviténécessaires, selon la jurisprudence inter-nationale, c’est-à-dire un peuple, un territoire, et une autorité que l’on pourraitqualifier de para étatique.

Division des EuropéensLes précédents d’Israël et plus récem-ment du Kosovo démontrent qu’un État

peut se constituer et être reconnu en l’ab-sence de la fixation définitive de ses fron-tières. Une bonne part des contributionsfinancières européennes destinées auxTerritoires palestiniens sont dédiées aurenforcement des institutions étatiques, àla gouvernance et à l’édification d’un Étatde droit. Le FMI et la Banque mondiale etles agences de l’Onu, ont récemmentreconnu la bonne gestion du gouverne-ment de Salam Fayyad. Plusieurs ancienschefs d’État et de gouvernement, etministres des Affaires étrangères euro-péens, dont Hubert Védrine, ainsi quevingt-et-un anciens ambassadeurs deFrance, ont lancé un appel en faveur de lareconnaissance de l’État palestinien.Donnant l’impression de renouer avec lerôle d’impulsion de la politique françaisesur le dossier du Proche Orient, le prési-dent de la République a déclaré dans uneinterview à l’Express, en mai, que fautede reprise des négociations de paix, « laFrance prendrait ses responsabilités sur laquestion centrale de la reconnaissance del’État palestinien ». Qu’en sera-t-il en sep-tembre lorsque l’admission de la Palestinesera inscrite dans l’agenda du Conseil deSécurité et de l’assemblée générale del’Onu ? La division des Européens surcette perspective que semble redouterAlain Juppé, ne devrait pas retenir laFrance de prendre une initiative, qui fini-ra par avoir un effet d’entraînement. Telfut le cas lorsque la France a été précur-seur dans la relation avec l’OLP.La communauté internationale est face àses responsabilités, qui ne peut, d’un coté,soutenir les révolutions arabes et del’autre, ne pas accéder à une revendicationlégitime des palestiniens d’établir un Étatdepuis si longtemps promis. Contrairementaux pronostics prématurés évoqués plushaut, la question israélo-palestinienne n’apas perdu sa centralité malgré les boule-versements dans une région secouée parles révolutions arabes. n

Rédaction achevée le 30/08/2011

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Vers une alliance de l’Occident et des pays du golfe pour imposer

Phénomène profond et historique, le « printemps arabe » a des fondementsdémographiques, culturels et socio-économiques. Préfigure-t-il une allianceentre les puissancesoccidentales et les pays du Golfe, destinée à exercer une nouvellehégémonie sur lesrépubliques arabes en transformation ?

Par Samir AitaRédacteur en chef du Monde diplomatique,éditions arabesPrésident du Cercle des économistes arabes

L e « printemps arabe » s’est imposécomme un événement majeur de

notre époque. Les jeunes d’un « monde-continent » aux confins de l’Europe, del’Afrique et de l’Asie se sont lancéscomme un tsunami pour bousculerl’ordre économique, social et surtoutpolitique qui s’est établi essentiellementdepuis le boom pétrolier de 1973. Leurcible est ce « pouvoir au-dessus desÉtats » qui a fait les républiques arabesà l’image de leurs royaumes, despotiqueset héréditaires. Ce phénomène est profond et historique.Il a des fondements démographiques (lavague du « baby-boom » arabe arrivant àl’âge d’entrer sur le marché du travail,l’accélération des migrations rurales-urbaines du fait de la « mondialisation »de l’agriculture) ; culturels (le développe-ment de l’information et d’une conscien-ce des valeurs sociales à travers lesmédias, des télévisions satellitaires auxnouvelles technologies de l’information :blogs, facebook et twitter), mais aussisocio-économiques (la généralisation despolitiques néo-libérales, la diminution desprotections sociales traditionnelles et ins-titutionnelles, etc., et l’absence de pers-pectives). En moyenne et hors secteurpublic, plus de 70 % de ceux qui tra-vaillent dans les pays arabes sont des tra-vailleurs informels, sans contrat de tra-vail, sans sécurité sociale et sans retrai-te ; au moment où le total des emploiscréés annuellement est faible, largementen-dessous du nombre des nouveaux arri-vants sur le marché du travail.

Le tournant violentLe dénouement en Tunisie et en Égypte aété rapide. Les jeunes ont occupé la placepublique, ont résisté à l’assaut des forcesde sécurité, l’armée s’est mise en positionde neutralité… et le sommet du pouvoir

s’est effondré. Le déroulement des événe-ments a surpris aussi bien les acteurslocaux qu’internationaux. Le « printempsarabe » est né. Il aura un écho mondial,notamment grâce aux valeurs humaineset pacifiques dont il a constitué le sym-bole. Les choses se sont passées autrement auBahreïn, au Yémen, en Libye et en Syrie.L’effet de surprise n’est plus ; et les« pouvoirs » en place ont réagi avec plusde force pour maintenir leurs acquis ; etles puissances régionales et internatio-nales ont eu le temps de repositionnerleurs politiques. Les forces du Conseil decoopération du golfe ont été appelées à larescousse au Bahreïn pour mater le sou-lèvement, sans que la « communautéinternationale » ne bronche, sous couvertqu’un « changement » dans ce pays àmajorité chiite profiterait à l’Iran. AuYémen, l’Arabie Saoudite et les ÉtatsUnis continuent depuis des mois de blo-quer le processus de « changement », tel-lement il pourrait naturellement induiredes implications profondes justement surl’ensemble des pays du Golfe. En effet, lasymbolique du Yémen est extrêmementforte : un pays marqué par ses compo-santes tribales et communautaires, oùtous les individus sont armés, où lepeuple scande et insiste depuis des moisque sa « révolution » restera… pacifique. Le tournant violent a été pris en Libye.Les manifestations à la mémoire des vic-times des massacres du régime de Kadhafidans les prisons ont conduit à la conquê-te des bases militaires dans la région deBenghazi. De pacifique, le soulèvements’est vite transformé en conquête arméedes autres villes du pays, médiatisée àoutrance par les chaînes satellitaires. Cetournant vers une « guerre civile » s’était-il fait pour des causes internes au pays ougrâce à des interventions extérieures ?

un nouvel ordre régional ?

On le saura un jour. De toute façon, la suitedes événements changera la nature du« printemps libyen », et pèsera longtempssur l’avenir du « printemps arabe » : recon-naissance du Conseil national de transitionde Benghazi, effondrement de la conquête« révolutionnaire », Benghazi menacé, déci-sion de la Ligue arabe, puis de Conseil deSécurité des Nations Unis pour une inter-diction de vol des avions libyens, inter-vention de l’Otan, et guerre de conquête :terrestre par différentes composantes tri-bales, et aériennes et des forces spécialespar des puissances « occidentales » et duGolfe, chute du régime de Kadhafi, etconférence des vainqueurs « amis » de laLibye. Le pays sort exsangue de ses insti-tutions, y compris de son armée, garantede sa souveraineté et de son unité. Toutest à reconstruire.La Syrie connaîtra-t-elle un tel tournant ?Son « printemps » n’était pas une fatali-té. Son président, fort d’uneréelle popularité avant lesévénements malgré son régi-me despotique, a commistoutes les erreurs politiqueset morales pour créer unretournement spectaculairede la population pour qu’el-le réclame aujourd’hui sondépart. Le « réformateur »que les images de Paris-Match montraient se promenant à piedsavec sa jolie et élégante épouse à Paris,s’est transformé en ogre. Ses propresalliés le lâchent, les uns après les autres.

Deux dimensionsLe « printemps syrien » s’est propagé len-tement, amenant petit à petit des villesentières à embrasser les slogans « deliberté et de dignité ». Sa symbolique estrestée profondément pacifique et humai-ne, à l’image de ses confrères tunisiens etégyptiens. Il y a là un écho que ces troispays ont constitué au XIXe siècle les troispiliers de la « renaissance arabe », etqu’ils pourraient aujourd’hui le devenir pourla « nouvelle renaissance » (« Nahda », enarabe) que pourraient symboliser le prin-temps. Mais ils sont longs et éprouvantsles six mois d’affrontements entre lesdeux volontés : celle des jeunes de cla-

mer leurs droits à manifester et à occuperles places publiques, et celle du régime àles mater. Le tournant du « changement » tarde,notamment à travers l’arrêt de la répres-sion par les forces de sécurité et l’armée.Aussi, les forces régionales et les puis-sances « occidentales » ont maintenant eulargement le temps de pousser à l’inté-rieur leurs propres « agendas » dans unpays clef, allié de l’Iran et du Hezbollah,mais aussi de la Turquie dernièrement,acteur régional au Liban et en Iraq.Pousserait-on à travers les sanctions surle pétrole et les demandes de résolutiondu Conseil de Sécurité vers une interna-tionalisation, à la libyenne, d’un soulève-ment essentiellement interne ?Vu de loin, le « printemps arabe » prendaujourd’hui deux dimensions. La premiè-re est celle surtout d’un événement histo-rique pour les peuples de ce « monde-

continent » pour les libertéset les États de droits. Il luimanque néanmoins, à l’ima-ge de la Révolution françai-se, car l’événement est decette ampleur, sa « Décla-ration des droits », qui consa-crerait son statut de « révo-lution » et non de simplesuite de soulèvements. Cetaspect est d’autant plus

nécessaire que divers phénomènes mon-diaux de fonds y trouvent leur creuset :l’affrontement entre islam fondamentalis-te et islam message humain ; le conflitentre laïcité institutionnalisée comme reli-gion et laïcité ouverte et tolérante ; laséparation de la religion et de l’État ; lespouvoirs, même élus, s’instituant commecorps au-dessus des institutions de l’État ;le financement de la politique, notammentdans une région bourrée de rentes pétro-lières et immobilières ; les regroupementsrégionaux entre libre-échange et pactessociaux communs ; etc. Ces probléma-tiques n’intéressent pas que le mondearabe.La seconde dimension a un caractèregéostratégique. L’Europe est vieillissante eten crise, pas seulement financière, maispour son positionnement face aux puis-sances émergentes. Le Golfe épuise ses

capacités d’utilisation interne des rentesqu’il dégage, et cherche des potentialitésd’investissements, non seulement finan-cières, mais aussi politiques. Alors, voit-onnaître une alliance entre les puissances« occidentales », surtout européennes, etles pays du Golfe, destinée à exercer unenouvelle hégémonie sur les républiquesarabes en transformation, d’autant plusque ces républiques vont être largementaffaiblies pendant leurs printemps ?Plusieurs signes l’attestent : de la Libye àla proposition de faire adhérer la Jordanieet le Maroc au Conseil de coopérationdu… golfe. L’histoire dira son mot entre les révolu-tions, c’est-à-dire les peuples, et la géos-tratégie, c’est-à-dire les puissances. n

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L’histoire dira sonmot entre les

révolutions, c’est-à-dire les peuples, et la géostratégie,

c’est-à-dire les puissances.

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Le rôle des femmesdans les révolutions arabes

À la surprise face à l’ampleur et la rapiditédes soulèvements dans les pays arabes s’estajoutée celle de voir que les femmes arabesn’étaient pas restées dansles coulisses des révoltes,mais que, présentes etactives, elles ont réclaméla fin de la dictature, la liberté et la justicesociale pour tous. Alorsqu’on les croyait invisibleset forcément passives, les femmes ont pris partaux manifestations etoccupé l’espace public,mêlées aux hommes ouséparées selon les pays, et se sont montrées plusque jamais déterminées à jouer un rôle dans la démocratisation de leur pays.

Par Mansouria MokhefiResponsable du Programme Maghreb -Moyen-Orient à l’Ifri Enseignante à New York University/Paris

P eut-on considérer que le printempsarabe est aussi celui des femmes

arabes dans la mesure où il serait unechance pour elles de voir avancer leurcause vers la reconnaissance et la pleineégalité des droits ? Croire que la démo-cratisation revendiquée s’accompagneranécessairement de la fin de la discrimi-nation contre les femmes ? Et imaginerque les révoltes arabes de l’année 2011sonneront le glas de la domination mas-culine sur les femmes arabes ?

Les révoltes arabes : la mobilisation des femmesDans les soulèvements populaires quisecouent les régimes arabes de l’Afriquedu Nord au Moyen-Orient et jusque dansle Golfe Persique, les femmes se sontimposées comme des actrices essentiellesEn effet, défiant les tabous, de tous âges,et de toutes conditions sociales, voiléesou non, elles sont sorties de chez elles etont pris part aux revendications de démo-cratie et de justice sociale. Bousculant lestraditions culturelles et religieuses, ellesont clamé leur aspiration à la dignité et àla liberté. Bousculant les représentationsstéréotypées, elles ont affirmé leur existenceet leur désir de jouer un rôle dans la société.En janvier et février 2011 la forte mobili-sation des femmes dans les mouvementsde contestation en Tunisie et en Égypte adémontré l’absurdité de ce que l’on aappelé « l’exceptionnalisme arabe » etprouvé que non seulement le changementétait possible mais qu’il se faisait avec lesfemmes. En Tunisie, presque aussi nom-breuses que les hommes, les femmes ontété au cœur de la « révolution de jasmin ».Présentes depuis les premières manifes-tations parties de Sidi Bouzid, elles ontété des milliers jusque dans les rues deTunis, pour réclamer le départ de Ben Ali. En Égypte, les femmes de tous âgesétaient sur la Place Tahrir qu’elles ont

occupée aux côtés des hommes pendant18 jours. On les a découvertes déterminéesà faire entendre la voix de la société civiledans son entier et à se réapproprier leurnation, actives dans les nouveaux médias etsur la Toile, pour appeler à la mobilisation,au changement et au départ de Moubarak1.Le monde entier a aussi découvert avecstupeur la mobilisation en masse desfemmes chiites de Bahreïn qui n’ont pashésité à descendre dans la rue pour récla-mer la chute de la dynastie sunnite desAl-Khalifa, manifestant de leur côté, àpart des hommes, dans leurs longuesabayas noires. En Syrie, les femmes ontparticipé en grand nombre au soulève-ment contre le régime du président ElAssad parti de la ville de Daraa, mais larépression sanglante les a exclues de larue ; cependant elles restent actives dansl’opposition et déterminées à obtenir ladémocratie et la justice sociale2. Et mêmedans un pays aussi conservateur que leYémen, les femmes ont défié les taboussociaux et culturels en se joignant à lacontestation du régime du présidentSaleh et contrairement aux traditionsarchaïques qui les veulent maintenues àla maison et invisibles dans l’espacepublic, elles sont sorties de chez elles pourdemander des réformes et l’avènementd’une nouvelle société. L’insurrection libyenne devenue une guerrecivile a effectivement été une affaired’hommes et a vite exclu de l’espacepublic et des affrontements les femmesqui voulaient prouver qu’elles n’accor-daient aucun crédit à Kadhafi pour lesavancées de leurs droits. À l’arrière, elles ontpourtant continué à soutenir les insurgés,

1 - Certaines sont devenues les emblèmes des révolutions. AsmaMahfouz, une jeune blogueuse égyptienne, est considérée comme l’unedes voix ayant déclenché la révolte. Au Yémen, Tawakoul Karman estdevenue le fer de lance de la mobilisation contre le président Ali AbdallahSaleh2 - Voir « Les femmes participent activement à la résistance », CourrierInternational, 8 août 2011

fournissant refuge et ravitaillement quandcela était possible.S’il n’y a pas eu de mobilisation massiveen Arabie saoudite, des voix féminines sefont entendre via Facebook ou Twitter,appelant non seulement au droit deconduire une voiture mais à une plusgrande et plus équitable reconnaissancede leur place dans la société civile ; ellesréclament notamment le droit de pouvoirsortir sans être accompagnées par un« tuteur » et rappellent que les effortsfaits dans le domaine de l’éducation et laformation les rendent aptes à jouer unplus grand rôle dans leur pays. Ainsi à l’occasion de ces révoltes et duvent de démocratisation qui souffle surtous les pays arabes, les femmes se sontimpliquées et imposées, certes à diversdegrés et sous différentes formes, dansles réformes demandées et les change-ments survenus. À la fois dans la rue etdans les réseaux sociaux, elles se sontmontrées concernées, fortes, et prêtes àassumer leurs responsabilités de citoyennes.Si leurs revendications n’ont pas été dansun premier temps spécifiquement fémi-nines, puisqu’elles réclament la liberté et lajustice pour tous dans le cadre d’un systèmedémocratique, elles expriment néanmoinsleur soif de dignité et exigent l’égalité desdroits et la fin de la discrimination.

Le printemps arabe : une chance pour les femmes ?Indéniablement, bien que le futur paysagepolitique de la région demeure fort incer-tain, les sociétés arabes sont aujourd’huiengagées dans des réformes, révoltes etrévolutions dans lesquelles les femmesdoivent et vont continuer à jouer un rôlecrucial. Leur apparition sur la scènepublique a d’abord bousculé nos schémasclassiques d’une femme arabe tradition-nellement soumise et dépendante, toujoursvictime et passive, trop souvent analpha-bète ou inéduquée, quelquefois exotiqueet mystérieuse.Leur apparition et leur rôle actif ont étéd’autant plus surprenants que les sociétésarabes sont toujours perçues par l’Occidentcomme rigides et résistantes au changement,fatalement en dehors de la démocratie, del’État de droit, et de l’histoire. Or, s’il est

vrai que les droits des femmes3 ont éténégligés depuis plus d’un demi siècle parles régimes arabes des post indépen-dances, nous n’avons peut être pas suffi-samment prêté attention aux dynamiquesdu changement et aux transformationssociales présentes depuis au moins 30 ans. L’intense urbanisation, certes,parfois chaotique voire anarchique, lascolarisation mixte et obligatoire, l’accèsdes jeunes filles en grand nombre auxétudes secondaires et universitaires ainsique la féminisation de la main d’œuvre,ont favorisé l’apparition de la femme dansl’espace public. Outre l’instruction, lemariage tardif, l’accès à la contraception etle déclin de la natalité sont les facteursd’émancipation des femmes arabes quin’ont pas été suffisamment analyséscomme des indices révélateurs de change-ments profonds au sein des sociétésarabes4.Mais les dynamiques de changements nese sont pas reflétées clairement dans desréformes politiques ou institutionnellesqui permettraient une véritable reconnais-sance des femmes et leur intégration àtous les niveaux de la sphère politique etéconomique5. Malgré l’éducation acquise,les femmes arabes n’occupent qu’uneplace marginale dans les instances dedécision institutionnelles et politiques, etce, dans l’ensemble du monde arabe,quel que soit le niveau de développementéconomique et social des différents pays6.Même si elles ont réussi à s’imposer dansles associations et les espaces alternatifs,leurs droits ne sont toujours pas inscritsdans la loi et leur égalité sociale et juri-dique n’est toujours pas reconnue. Aujourd’hui, la femme arabe n’a encoredroit qu’à la moitié de l’héritage que sonfrère perçoit et, à part la Tunisie, oùBourguiba l’avait interdite dès 1956, lapolygamie n’est toujours pas abolie. EnÉgypte, les mutilations génitales fémininessont une pratique encore très répanduepuisque, selon un rapport de 2009 duministère de la Santé égyptien, 91% desÉgyptiennes sont excisées. Au Maroc,même si le roi a introduit des mesuresplus égalitaires avec la réforme du Codede la famille en 2003, la femme maro-caine n’est toujours pas maîtresse de son

corps et les rapports sexuels hors mariagesont toujours passibles d’emprisonne-ment7. Et de l’Algérie au Yémen, aucuneloi n’interdit ou ne punit les mariages forcés ou les crimes d’honneur encoretrop nombreux.

Après les révolutions arabes,quel avenir pour les femmes ?Après avoir exigé la démocratie et participéactivement au renversement des dictateurs,les femmes tentent d’influer sur leursgouvernements afin qu’elles ne soient pasexclues de la reconstruction du pays et dela mise en place des nouvelles institutions.À travers des pétitions, des déclarationset des communiqués, elles continuent àse mobiliser pour arracher leurs droits.Mais elles sont inquiètes devant lesdiverses résistances à l’émancipationtotale qu’elles réclament8. Bien que les Tunisiennes aient obtenu queles listes électorales présentent un nombreparitaire d’hommes et de femmes, l’ordremasculin dominant n’est pas prêt à leuraccorder la place entière qu’elles récla-ment et les cris entendus dans certainesmanifestations : « les femmes à la mai-son ! », « les femmes à la cuisine ! » fontcraindre que la future Constitution necontienne pas les avancées significativesqu’elles attendent en vue d’une plus gran-de égalité.La volonté de chasser les femmes de l’espace public est encore plus nette enÉgypte où l’influence des Frères musulmansse fait sentir à tous les niveaux : d’ailleurs,les autorités de transition n’ont inclus aucu-ne femme ni dans le comité constitutionnelchargé de préparer la nouvelle Constitutionni dans le comité civil de consultation appe-lé « Conseil des hommes sages ».9

Ainsi, après l’enthousiasme et les espoirsdes premières semaines, l’heure est àl’inquiétude et à la vigilance. En effet, lamarginalisation des femmes dans le pro-cessus de transition politique est réelle etavérée et elle accentue les craintes devoir la révolution confisquée par leshommes et les islamistes. Or, les femmesont tiré les leçons de l’expérience algé-rienne qui avait vu les Algériennes quiavaient participé à la guerre de libérationrenvoyées dans leurs foyers et exclues de

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la construction de l’Algérie indépendante10.Elles ne veulent pas et ne doivent pasrater la chance de pouvoir exiger unedémocratie avec une pleine égalité entreles hommes et les femmes. Elles saventque pour que leurs intérêts et leurs droitssoient pris en compte, il faut qu’ellessoient suffisamment représentées dansles organes de décision et qu’elles conti-nuent à s’affirmer face à des systèmesjuridiques discriminatoires basés sur lareligion et les traditions.Les femmes arabes sont aujourd’huiconfrontées à des défis majeurs. Après

avoir été des protagonistes dans le ren-versement des dictatures, elles doiventcontinuer à affirmer leur dignité decitoyennes dans des sociétés foncièrementinégalitaires et exiger leur participation etreprésentation dans les processus detransformation politique pour en garantirle caractère démocratique. Elles doiventégalement affirmer leur volonté dedémanteler les structures autoritaires,inégalitaires et discriminatoires qui s’atta-chent à les maintenir dans l’invisibilité.Seule la reconnaissance de l’égalité endroit et en dignité des femmes et des

hommes peut garantir la démocratie àlaquelle aspire le monde arabe. n

3 - Delcroix Catherine, Espoirs et réalités de la Femme arabe, L’Harmattan, 2000.4 - Gema Martín-Muños, « La Révolution féministe silencieuse du monde arabe »,La Libre Belgique, 27 -12- 2010. Voir Bessis Sophie, Les Arabes, les Femmes, laLiberté, Albin Michel, 2007.5 - Dayan-Herzbrun Sonia, Femmes et politique au Moyen-Orient, L’Harmattan,2005.6 - Même en Tunisie où le Code de la famille reconnaît depuis maintenant plus d’undemi siècle l’égalité des femmes et des hommes et où le pourcentage de femmeséduquées est le plus élevé du monde arabe (71%). Voir Mohsen Finan Khadija,(sous la dir.) L’Image de la Femme au Maghreb, Actes sud ,2008.7 - Article 490 du Code pénal. Voir Alami- M’Chichi Houria, Genre et Politique auMaroc : Les enjeux de l’Egalité Hommes Femmes entre Islamisme etModernisme, L’Harmattan, 2003.8 - Sophie Bessis, Femmes : les dangers se précisent,www.leaders.com.tn/article/femmes-les-dangers-se-précisent, 9 août 20119 - La réforme constitutionnelle qui a été approuvée par référendum le 20 mars2011 ne garantit aucun droit aux femmes et n’envisage à l’élection présidentiellequ’un candidat de sexe masculin. 10 - Amarane-Minne D.D. Des Femmes dans la Guerre d’Algérie, Khartala, 1994.

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Y a-t-il des causesdémographiques

aux révolutions arabes ?

Dans l’histoire du mondearabe et même del’humanité, l’année 2011 restera commel’Annus mirabilis. Les bouleversements encours : Tunisie, Égypte,Libye, Yémen, Bahreïn,etc., sont porteurs de transformationsconsidérables sur tous les plans : politiquessociaux, économiques,culturels, idéologiques,religieux. Se rend-onsuffisamment comptequ’ils ont également un soubassementdémographique ?

Par Youssef CourbageDirecteur de recherches Institut national d’études démographiques,Paris1

Ce qui ressort en premier lieu, est que lephénomène de convergence démogra-

phique avec la rive nord de la Méditerranées’est poursuivi à un rythme soutenu dansla grande majorité des pays arabes ounon-arabes du Sud. En privilégiant, parmiles indicateurs l’indice de fécondité, celuiqui a la charge émotionnelle et psycholo-gique la plus forte, qui a d’ailleurs servi àétoffer l’image repoussante des mondesarabe et musulman, comme sous la plumede la journaliste Oriana Fallaci,nous voyons une convergen-ce remarquable dans lescas du Liban, de la Tunisie,de la Turquie et, en allantplus loin, du côté de laRépublique islamique d’Iran,où les indices sont auxniveaux européens, voireinférieurs. Une convergencequi ne prendra que quelquesannées encore pour le Maroc, peut-êtrel’Algérie et encore plus surprenant pourla Libye, dont la fécondité continue àbaisser. En revanche, la transition démo-graphique semble plus essoufflée, fait dusurplace en Égypte, en Syrie ou enJordanie. Mais les évolutions les plusconsternantes portent sur le coupleIsraël-Palestine, où l’on assiste à un sur-prenant retournement de l’histoire démo-graphique. Curieusement, les pays où la révolution aeu lieu ou est en cours (Tunisie, Égypte,Libye) comprennent des configurationsdémographiques différentes. Dans lespays où l’instabilité s’intensifie, on trouvedes pays à transition démographiqueachevée Bahreïn ; et d’autres où elle n’enest qu’à ses premiers balbutiements :Yémen, Soudan. Pourtant, la métamor-

phose démographique concerne tous lesArabes et partout elle est porteuse detransformations politiques grandioses.En fait, toutes ces tendances étaient plusou moins attendues. La grande surprisevient du tandem Israël-Palestine ou plutôtdu comportement démographique desJuifs et des Palestiniens. La fécondité desJuifs continue à augmenter année aprèsannée et frôle aujourd’hui le seuil symbo-lique de trois enfants par femme, tandis

que la baisse de la féconditéest continue chez les Pales-tiniens des territoires occu-pés : Cisjordanie (et Jéru-salem-Est) et même à Gaza,où elle était à un recordmondial dans les années dela première Intifada, et chezles Arabes israéliens. Leparadoxe est que la féconditépalestinienne se modernise,

sous l’effet de l’émergence de l’individudont les valeurs ne sont plus les valeurssociétales, tandis que la fécondité desjuifs en Israël s’«arabise», par une adhésionaux normes populationnistes, familialisteset natalistes et, serions-nous tentés dedire, patriarcales, qui sont celles de l’Esta-blishment au pouvoir depuis la créationde l’État juif.

Une lecture démographique des révolutions en coursLes Arabes ont pris le monde par surpriseet par le fait que ce soit la Tunisie qui aitmis le feu aux poudres. Néanmoins, cetterévolution était inéluctable. La démographieen atteste. Le processus que l’Europe aconnu à partir du XVIIe siècle s’est propagéau monde entier. Il ne pouvait épargner le sud de la Méditerranée qui vit, depuis

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la métamorphosedémographiqueconcerne tous

les Arabes et (…) elle est porteuse

de transformationspolitiques grandioses

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quatre décennies, les mêmes transforma-tions démographiques, culturelles et anthro-pologiques de l’Europe depuis Cromwell, enAngleterre, jusqu’à Robespierre avec laRévolution française, puis des autresrévolutions européennes, jusqu’à Lénineen 1905/1917. Le monde arabe n’estpas une chasse gardée, une exception.Croire le contraire, c’est se montreressentialiste, s’inventer un homo arabicusou un homo islamicus, par définition rétifau progrès.La progression de l’éducation, l’éradica-tion de l’analphabétisme d’abord pour lesgarçons puis pour les filles, a été porteusede ces transformations que nous vivons àprésent. À l’exception des Libanais chré-tiens, qui ont bénéficié de la présence desmissions chrétiennes et de leurs universi-tés dès le XIXe siècle, le monde arabe acommencé à se métamorphoser grâce àl’élévation du niveau d’instruction et à labaisse de la fécondité à partir des années1960 pour les pays les plus avancés. Pourcertains pays comme la Tunisie sousBourguiba, il y avait une volonté demodernisation, par l’accès à l’enseigne-ment aussi bien pour les garçons que pourles filles. Au Maroc c’était le cas des pre-miers gouvernements de l’indépendancequi avaient fait de l’éducation leur priorité,avant qu’on y mette un bémol parce qu’el-le pouvait remettre en question les hiérar-chies politiques. Jusqu’à l’avènement duroi Mohammed VI (1999), les hautes ins-tances du pouvoir ont parfois bloquél’avancée de l’éducation. Ce qui expliqueaujourd’hui le retard du Maroc en matièred’alphabétisation, surtout des filles etdans les milieux ruraux. Cette instruction généralisée a entraîné lecontrôle de la natalité et l’utilisation desmoyens de contraception, dont l’avantageéconomique n’est pas à démontrer, maisqui peut être facteur temporaire de malai-se à l’intérieur des familles. La baisse dela fécondité, tombée à deux enfants, dansles pays arabes les plus avancés, auMaghreb, a été tellement forte que lesvaleurs traditionnelles de type patriarcalont été ébranlées. La remise en cause dupater familias porte à terme celle de tousles « père des peuples » comme c’estdéjà le cas en Tunisie et en Égypte.

En outre l’endogamie, le mariage préfé-rentiel avec le cousin germain ou avecd’autres parents, cette étanchéité dugroupe familial, qui entraîne la fermeturedes groupes sociaux sur eux-mêmes et larigidité des institutions, est en diminutiontrès rapide dans les pays « révolution-naires » Égypte, Tunisie, Libye et dansd’autres qui ne le sont pas : Maroc,Liban. Lorsqu’elle devient moins endoga-me, la société s’ouvre vers l’extérieur etdevient potentiellement plus encline à semobiliser quand elle est gouvernée demanière autoritaire ou despotique. Lascolarisation de masse et la baisse de lafécondité peuvent aussi indirectementprovoquer une prise de conscience et desrévoltes.Car, ces deux éléments mènent au boule-versement de la cellule familiale. Leseffets en sont à la fois positifs et négatifs.Positifs, puisque le fait de limiter sa des-cendance permet de mieux soigner sesenfants, de mieux les nourrir, de mieuxles scolariser et plus longtemps. Ainsi,dans une famille restreinte, modèle verslequel la famille arabe et musulmanes’achemine, les interactions père-mère,parents-enfants, deviennent plus démo-cratiques, ce qui ne peut que se diffuserpositivement au plan sociétal et politique.Négatifs, car à partir du moment oùcohabite un enfant instruit et un pèreanalphabète mais détenteur du pouvoirabsolu, du fait que toutes ces sociétésétaient patriarcales, la cohabitation estmalaisée. Ces troubles, familiaux peuventse traduire temporairement par destroubles à une échelle plus globale, etexpliquent, partiellement les phénomènesislamistes. Mais, le fait de passer de l’instructiongénéralisée des garçons puis celle desfilles, à l’éveil des consciences dû à l’ap-prentissage de la lecture et de l’écriture,induit une sécularisation, un «désen-chantement» du monde, et la baisse dela fécondité, ingrédients indispensablesde cette fameuse «transition démocratique».Il est vrai que les jeunes universitairesarabes au chômage se sont révoltés plustôt. Mais du Maroc à Bahreïn, toutes lestranches d’âge et les deux sexes étaientreprésentées parmi les manifestants. En

aucun cas, on ne peut en faire une exclu-sive de jeunes. Ce n’est pas non plus unerévolution islamique ; cette lame de fondest essentiellement d’origine séculière.Où s’arrêtera-t-elle ? Partie d’Occidentelle revient en Occident. En mai 1968, ily a de cela près d’un demi-siècle, lemonde occidental diffusait ses modesvers le monde entier, le monde arabenotamment. Aujourd’hui, les manifestantsde Madrid, de Lisbonne ou de Rome,prennent leur inspiration à Tunis ou auCaire. Un pays aussi colossal que laChine, essaye de bloquer l’informationsur les révolutions arabes, craignantqu’elles ne déteignent chez lui. Ce sont tous là des pays qui on franchi lecap de la première, voire de la deuxièmetransition démographique, mais il est uncontinent qui en est encore loin. L’Afriquesubsaharienne, où la transition démogra-phique est encore balbutiante – un payscomme le Niger garde encore une fécon-dité de plus de sept enfants par femme ! –ne pourra rester longtemps hermétiqueaux contagions arabes, malgré cet énor-me glacis que constitue le désert duSahara. Attendons-nous donc à voir pourbientôt cette succession de révolutions :éducative, démographique et politiquebalayer le continent noir. n

1 - Auteur, avec Emmanuel Todd de l’ouvrage, Le Rendez-vous des civilisations, La République des Idées/Le Seuil, 2007.

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Économie politiquedes révolutions arabes :

analyse et perspectives

Par Mouhoub El Mouhoud Professeur d’économie à l’université ParisDauphine, Directeur du GDR International du CNRSDREEM (Développement des rechercheséconomiques euro-méditerranéenes)

Les économies des pays du sud et del’est de la Méditerranée sont caracté-

risées par une polarisation sur peu desecteurs, des taux d’emplois parmi lesplus faibles du monde, une gestion ren-tière des ressources et une corruptionconduite et organisée par les oligarchies claniques au pouvoir impliquant ou nonles militaires. Par dessus tout, une aug-mentation considérable du niveau d’édu-cation depuis la décolonisation se traduitpar un sous-emploi des diplômés et destaux d’expatriation anormalement élevésdes qualifiés. Cet article se compose deux parties : la pre-mière publiée dans ce numéro analyse lanature des systèmes économiques de cespays et les similitudes dans leur fonction-nement interne et externe qui permettentd’expliquer la diffusion du processus révolu-tionnaire dans l’ensemble de la région. Uneseconde partie qui sera publiée dans lenuméro de décembre s’intéresse aux pers-pectives économiques après les révolutionsarabes et propose des voies de sortie com-binant intégration régionale Sud-Est et stra-tégie de rattrapage par les activités de ser-vices intensives en personnels qualifiés.

La nature des économies arabeset leur résistance à la criseLes pays de la zone ont bien résisté à lacrise mondiale des subprimes de 2008.D’une part, les pays du Maghreb étaientrelativement faiblement intégrés aux marchés financiers internationaux, ce quia permis de limiter considérablement latransmission financière de la crise. Lesdifficultés furent en outre plus faiblesdans les pays exportateurs d’hydrocar-bures dont les réserves de change autori-saient une intervention directe sur les prix

des biens consommation alimentaires debase par exemple et par le maintien desdépenses publiques. Depuis la seconde moitié de la décennie2000, les gouvernements ont appris àgérer les crises en mettant en œuvrepresque partout des politiques contra-cycliques efficaces : extension des incita-tions fiscales favorisant l’investissement,ampleur de la réduction des taux d’intérêtnécessaires pour maintenir l’activité éco-nomique… (Abdih et alli 2010). Des progrès dans le développementhumain mesuré par l’indice Pnud (Idhe) ontété en moyenne remarquables. La Tunisie,l’Algérie, le Maroc, Oman et l’ArabieSaoudite avaient ainsi été classées parmiles dix pays du monde ayant enregistré laplus forte augmentation de l’indice dedéveloppement humain entre 1970 et20101. Des progrès très rapides faits parles pays de la région dans les domaines dela santé et de l’éducation ont été soulignés.L’espérance de vie en Afrique du Nord estpassée de 51 à 71 ans entre 1970 et2010. La part des enfants scolarisés est,quant à elle, passée de 37% à 70% sur lamême période en Afrique du Nord. Les niveaux faibles du taux de naissancesdes populations arabes vont de pair avec leretard dans l’entrée dans le mariage et l’ac-croissement du taux de participation (bienqu’encore faible) des femmes au marchédu travail. En moyenne les populations despays arabes connaissent un taux annuel decroissance d’environ 1 à 2% tandis que lapopulation en âge de travailler augmentede 3% par an, la demande d’emploi de4% par an et le nombre de personnesdiplômées de 6 à 8%2. Le paradoxe de Toqueville illustre cet étatde fait : lorsque les États progressent et

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Les changements soudainsqu’ont connus les pays au sud et à l’est de laMéditerranée ont surpristous les observateurs. La surprise était d’autantplus grande que ces paysont relativement mieuxrésisté à la crise quel’ensemble des autresrégions du monde. Derrière les apparences etles bonnes performancesmacroéconomiquesl’ensemble des pays de la région souffrent des mêmes symptômesexpliquant ainsi ladiffusion inattendue des révolutions et de la revendicationdémocratique.

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se réforment, les inégalités, l’iniquité (laHogra selon la formule utilisée dans lespays du Maghreb) deviennent insuppor-tables aux élites et aux populations.

Inégalités, migrations et corruption : l’implosion d’un équilibre interne et externe n Une polarisation de l’économie

qui exclut la main d’œuvre qualifiéeLes pays de la région partagent la mêmetare : une très faible diversification dessecteurs de l’économie concentrée surtrois ou quatre secteurs associés aux secteurs primaires ou aux secteurs manu-facturiers à faibles valeur ajoutée. Dans les pays pétroliers comme l’Algériedont les recettes extérieures continuentde dépendre à 98% des hydrocarbures,le secteur manufacturier a connu un netrecul du secteur et l’agriculture fut sacrifiée.Le système est fondé sur la coexistence detrois secteurs clés qui ont de très faiblesliens réels entre eux mais entretiennentdes relations financières. Contribuant à untiers du Pib, à l’origine des deux tiers desrecettes budgétaires et de 98% des recettesd’exportations, le secteur des hydrocarburesest pourvoyeur de liquidités, en particu-lier en période haussière des cours dupétrole et alimente, pour partie par lebiais du système bancaire public, un sec-teur importateur de biens de consomma-tion et de biens d’équipement. Le deuxième secteur, le négoce interna-tional, intègre une large partie des activi-tés informelles, et le financement desimportations se fait pour partie au taux dechange officieux et par le biais desréseaux nationaux dans les pays dévelop-pés, principalement la France. L’activitéformelle et le secteur informel sont doncétroitement imbriqués. Ce deuxième sec-teur d’importation déverse sur un troisiè-me secteur : les services, le petit com-merce, la construction et les biens nonéchangeables en général. L’économie libyenne ressemble sur uneéchelle plus réduite à l’économie algé-rienne. La taille faible de sa population etla rente pétrolière en font le pays dont lePib par habitant est le plus élevé du conti-nent africain. Cela ne dit rien, à l’évidence,de la répartition de cette richesse entre les

Libyens d’une part et les clans qui conti-nuent à structurer le pays d’autre part. L’économie tunisienne est structurelle-ment concentrée dans le tourisme demasse, côtier, intensif en main d’œuvrepeu qualifiée, ou qualifiée. Les secteursd’exportations de segments d’assemblageen sous-traitance dans l’industrie du tex-tile et de l’habillement et dans les ser-vices supports aux entreprises, n’ayanteu que très peu d’effets induits sur lereste de l’économie ni d’effet de remon-tée de filières sur les biens d’équipementet les biens intermédiaires. Les investis-sements directs ne viennent pas ce paysen raison de l’étroitesse du marché inté-rieur.L’économie marocaine, un peu plus diver-sifiée, souffre néanmoins d’un certainnombre de dépendances structurelles àl’égard de certaines ressources naturelles,de la volatilité du revenu agricole, et del’entrée des flux financiers des migrantsqui continuent à représenter près de10% du Pib marocain.L’économie égyptienne se concentre essen-tiellement dans le tourisme de masse, lepétrole, et les métaux et l’agriculture etdépend des transferts de fonds desmigrants. Les chocs et aléas politiquesrendent les revenus du tourisme et lestransferts des migrants volatiles et fragiles. Au total, polarisation sectorielle et spatialede l’économie et performances globalesremarquables peuvent aller de pair et, demanière évidente voiler les véritablestares de ces sociétés.

n Des taux d’emplois très bas, des élites diplômées à la dérive

Dans l’ensemble des économies du Sudet de l’Est de la Méditerranée, le niveauélevé des taux de chômage, en particulierle chômage des jeunes, la faiblesse de laparticipation des jeunes et des femmes(bien qu’en progression) au marché dutravail, associés à l’existence d’un secteurinformel conséquent, se traduisent partaux d’emploi formels parmi les plus basdu monde (moins de 40%). Parallèlement, on assiste bien à un accrois-sement considérable du nombre de diplô-més de l’enseignement supérieur et destaux d’inscription, mais la crise qui frappe

davantage les pays non pétroliers que lesautres se traduit par une baisse desdépenses d’éducation et par une crise dusystème d’éducation. Le taux de croissan-ce annuel du nombre d’étudiants s’élèveà 10 – 15% en Algérie, au Maroc, et enSyrie. Les dépenses d’éducation néces-saires pour maintenir la qualité de l’édu-cation doivent suivre des rythmes decroissance de 15 à 25%. Même s’iln’existe pas de lien de causalité évidententre les dépenses d’éducation et la qualité,toute diminution de ces niveaux dedépenses risque de se traduire par desdégradations de la qualité de l’éducation. Il y a en fait deux catégories d’élites dansles pays arabes. La première, numérique-ment faible, se compose de personnesassociées aux nomenklaturas au pouvoirdont les familles scolarisent leurs enfantsdans les écoles et les universités étran-gères pour se voir octroyer des placesréservées sur le marché du travail desqualifiés.La seconde catégorie, rassemblant lamasse des diplômés de l’enseignementsupérieur, issus en général de famillespauvres ou des classes moyennes estnumériquement majoritaire. Le chômagede masse de ces jeunes diplômés, mêmelorsqu’ils ont suivi les cycles d’étudessélectifs, est amplifié pour les jeunes despetites villes ou des zones rurales qui nepeuvent accéder à l’emploi même déclassédes grands centres urbains en raison ducoût exorbitant des logements. Ils se trouventassignés à résidence sous la dépendancematérielle et morale des pères.

n Des taux d’expatriation des qualifiés anormalement élevés

Dans le cas des économies arabes, onobserve une « fuite des cerveaux » plusmarquée que dans d’autres régions com-parables en termes de revenu par tête. Letaux d’expatriation des personnes diplô-mées est supérieur à 10 % contre 8,3 %en Amérique latine et 7,1 % en Asie del’Est. Les principaux flux liés à la migra-

1 - En 1970, la Tunisie avait une espérance de vie plus faibles que leCongo et le Maroc, un taux de scolarisation des enfants plus faible quecelui du Malawi. 2 - Philippe Fargues Voice After Exit : Revolution and Migration in theArab World, Migration Information, 12/05/2011.

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tion des travailleurs hautement qualifiésémanent de pays d’Afrique du Nord, etplus précisément de l’Algérie, du Marocet de la Tunisie vers la France et la Belgiqueet, plus récemment, vers l’Espagne etl’Italie. L’Amérique du Nord attire de plusen plus les plus qualifiés. Les «nouvellesmigrations» des années 1990-2000 dejeunes hommes et femme qualifiés de«Harragas3», apparaissent peu attachésà leur pays d’origine et ne se déclarent pasnon plus désirer y retourner 4.La révolution tunisienne a consacré la rup-ture de ce pacte interne implicite à traverslequel les élites de la Nomenklatura occu-paient une place protégée sur le marchédu travail des qualifiés et les élites édu-quées de classes pauvres et moyennesreléguées au sous emploi et au déclasse-ment domestique ou à l’expatriation assor-tie parfois d’un déclassement à l’étranger.

n Corruption et ponctions sur les économies

Le blocage des institutions et la diffusionde la corruption érodent les capabilitiespour reprendre la formulation d’AmartyaSen et la confiance, ce qui a pour consé-quence de réduire l’efficacité et de nuire àla productivité du travail. La pauvreté

monétaire est limitée par l’existence detransferts (ceux des émigrés) et l’organi-sation de filets sociaux par les solidaritésfamiliales et par le soutien public aux prixdes produits de base ou à l’emploi dansl’administration. Mais le contrat socialimplicite qui fonde cette solidarité favoriseles pratiques clientélistes tendant à lierles individus aux titulaires de parcelles depouvoirs politique ou administratif. Enfin,la progression des règles formelles estbloquée et les fonctionnements tradition-nels continuent de prévaloir. En fait, un pacte extérieur qui sera analysédans le prochain numéro, a longtempsretardé les changements en cours. Cepacte a lié durant l’ensemble des années1990 les nomenklaturas au pouvoir despays du Sud et de l’Est de la Méditerranéeet les États de l’Union européenne, laFrance au premier chef.

ConclusionSept actions stratégiques pour les Étatsqui pourraient être très vite testés enTunisie sont proposées ici :– développer des actions en direction de

la diaspora qualifiée pour la faire parti-ciper de manière ponctuelle au déve-loppement d’activités dans les servicesde la connaissance et d’investissementimmatériel

– renforcer le Gafta5 et renégocier collec-tivement l’accord de libre échange avecl’UE en exigeant l’ouverture des mar-chés européens à tous les produits agri-coles et créer une asymétrie transitoirefavorable aux pays du Mena. Il convientd’y inclure des clauses de participationdes pays du Sud de la Méditerranée auxprogrammes de recherche et d’innova-tion (appels d’offres) européen.

– chasser le comportement de rente surle marché du travail des qualifiés etdéveloppant systématiquement desappels d’offre pour chaque poste quali-fié ouvert et en motivant chaque recrute-ment par signalisation des CV des can-didats retenus et non retenus sur le sitede l’employeur public ou privé.

– négocier des contrats de co-traitancevoire d’OEM (Original EquipmentManufacturer) adaptés aux servicesstipulant l’utilisation des cadres locaux

dans les filiales en co-traitance (ne pasaccepter d’être sous traitants et dedéclasser ses diplômés dans les centresd’appel)

– une politique d’éducation qui doit mieuxexploiter les matières techniques et lessciences sociales en direction du secteurdes services cognitifs dans son ensemble.

– une politique des services collectifs arti-culés aux besoins des territoires assu-rant un accès complet aux infrastruc-tures de transport et de télécommuni-cations. Les infrastructures publiquesdoivent être financés sur des basesclaires recourant à des opérations desouscription bannissant la subventionétatique complète source de clientélis-me et de corruption d’une part et defaible durabilité d’autre part. La sanc-tuarisation des dépenses d’éducationdoit être posée d’emblée.

– créer un espace intégré de l’innovationet de la recherche au Sud et à l’Est de laMéditerranée en partenariat avec l’UE.

Ces propositions qui peuvent être détailléesrépondent aux défis des économies arabesen transition vers la démocratie. Elles n’ex-cluent des mesures complémentairesvisant plus précisément l’industrie et lesautres secteurs de l’économie. n

BibliographieAbedini J., Péridy N. (2008) TheGreater Arab Free Trade Area (GAFTA):An Estimation of Trade Effects (withJavad Abedini), Journal of EconomicIntegration, 23(4): 848-872

Abdih Y., Lopez-Murphy P., AgustinRoitman, and Ratna Sahay TheCyclicality of Fiscal Policy in the MiddleEast and Central Asia: Is the CurrentCrisis Different?, IMF Working paper,WP/10/68, 2010.

Moriyama (Kenji) The Spillover Effects ofthe Global Crisis on Economic Activity inMENA Emerging Market Countries—AnAnalysis Using the Financial StressIndex IMF Working paper WP/10/8(2010).

3 - Mot originaire de l’arabe maghrébin qui se traduit par "qui brulent"(les papiers, en référence aux documents d’identité). 4 - L. Miotti, E.M. Mouhoud et J. Oudinet (2008).5 - Greater Arab Free Area ou grande zone arabe du libre échange.

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Enjeux économiques et sociauxdes révolutions arabes :

Dans les pays du « printemps arabe », les gouvernementsprovisoires sont sommésde rendre des comptes, de débattre notammentdes projets engageant le pays en termesd’endettement pour les décennies à venir.L’urgence est de relancerla croissance, puis de réfléchir au modèle de développement et enfin de s’attaquer aux inégalités.

Par Mohamed Ali MarouaniMaître de conférences à l’Université Paris1-Panthéon-Sorbonne, membre de l’UMR« Développement et société » (IRD-Paris1)et membre associé de l’UMR DIAL (IRD-Paris Dauphine).

L ’économie étant de plus en plus uneaffaire d’expertise technique et de

moins en moins politique, elle dérangepeu les dictatures. Elle a même été« domestiquée » pour permettre auxrégimes de tirer le meilleur parti du sys-tème en place, sans le remettre encause. Le meilleur exemple est le Chili dePinochet avec ses fameux Chicago Boys,courroie de transmission essentielle desidées de Reagan et Thatcher. Lesrégimes arabes les moins riches ont tentétant bien que mal de copier le modèlechilien avec l’aide des Institutions deBretton-Woods (IBW) ; et ceci pendantprès de deux décennies avec plus oumoins de succès selon les pays. En touscas suffisamment pour les maintenir aupouvoir. Indépendamment des résultats obtenus,ce schéma où les débats économiques etsociaux sont confinés entre gouverne-ments, experts et institutions internatio-nales est aujourd’hui remis en cause parles révolutions arabes. Aujourd’hui, lesgouvernements provisoires sont sommésde rendre des comptes, de débattrenotamment des projets engageant le paysen termes d’endettement pour les décen-nies à venir.Le cas de la Tunisie est emblématique àcet effet puisque ce pays était considérécomme le modèle à suivre par les paysarabes non pétroliers. Tout en suivant lesprescriptions standards des IBW, le régi-me tunisien a toujours conservé unemarge de manœuvre pour éviter demécontenter les foules. Depuis la « révol-te du pain » de janvier 1984, le ministè-re du Commerce joue ainsi un rôle clépour assurer la stabilité des prix des pro-duits agricoles et alimentaires. Le coûtest supporté non seulement par le budget

de l’État, mais aussi par les agriculteursqui paient pourtant leurs intrants de plusen plus chers. Ces écarts à l’orthodoxieont été souvent soulignés par les institu-tions financières internationales, maisvite pardonnés car elles avaient besoin desuccess stories et la Tunisie n’en étaitpas l’une des moindres. Le contexte inter-national où cette orthodoxie était de plusen plus remise en cause, y compris ausein même d’institutions telles que laBanque mondiale, a pu aider à trouverdes compromis. Les rares désaccordsaffichés publiquement avec la Banquemondiale concernaient les questions degouvernance.

Un impact limitéCe modèle tunisien qui fonctionnait avecun taux de croissance moyen de 5 % anéanmoins rapidement montré ses limitesdès que les cohortes de jeunes nés dansles années 1980 sont arrivées sur le mar-ché du travail, avec un niveau d’éducationsupérieur à celui des générations précé-dentes. Elles ont mis en évidence la fai-blesse majeure du modèle tunisien : unespécialisation basée sur les productions àbas coûts de main-d’œuvre. Pertinentedans les années 1970 vu le niveau d’édu-cation de la population et les préférencesaccordées par l’Europe, elle n’a plusaucun sens dans un monde globalisé faceà des concurrents tels que le Bangladesh,la Chine ou le Vietnam. D’où le fort tauxde chômage des diplômés synonyme defrustrations et de la fin du rêve de mobili-té sociale qui était bien réel aprèsl’Indépendance. Le régime a essayé decolmater la brèche en réservant de plusen plus de moyens à des politiquesactives du marché du travail (notammentdes stages financés par l’État et un pro-

quelques éléments de réflexion

gramme de micro-crédit), mais ces pro-grammes n’ont eu qu’un impact limité,notamment pour créer des emploisstables.Ce problème fondamental a été aggravépar la faiblesse du taux d’investissementen raison de l’insécurité croissante desdroits de propriété, imposée par l’appétitinsatiable des familles au pouvoir. Lapiètre qualité de l’investissement a égale-ment joué puisque la part des activités decaptation de rente et de spéculationimmobilière n’a cessé d’augmenter. Cettedernière a été encouragée par une fiscali-té de plus en plus accommodante.Le diagnostic est probablement similairepour des pays tels que l’Égypte ou laSyrie, voire le Maroc avec des circons-tances aggravantes dues à un secteurinformel plus développé et donc une cou-verture sociale plus faible. En outre, cespays ayant commencé leur transitiondémographique plus tard, ils n’ont pasencore atteint le pic en termes de chô-mage des diplômés atteint par la Tunisie.Ce qui signifie que les années à venirseront encore plus dures.Entre-temps, que s’est-il passé en Tunisiedepuis le 14 janvier ? Un des premiersconstats est que l’activité économiques’est contractée, notamment dans lessecteurs les plus sensibles à la situationpolitique tels que le tourisme. Le conflit en Libye a largement amplifiéce phénomène. Par ailleurs des revendi-cations salariales ont émergé dans tousles secteurs, souvent légitimes, mais par-fois extravagantes, notamment dans lesecteur public. L’incertitude sur l’avenirpolitique du pays, notamment sous lesdeux premiers gouvernements, a décou-ragé la relance de l’investissement localet étranger. Ceci a deux conséquencesprincipales. À court terme, le chômagedes jeunes risque d’atteindre des niveauxpouvant mettre en danger le processuspolitique dans son ensemble. Le gouver-nement de transition l’a d’ailleurs biencompris en mettant en place un program-me de grande ampleur visant l’insertiondes jeunes chômeurs de longue durée.Son principal bénéfice visible pour leschômeurs à ce stade est l’aide financièrequ’ils reçoivent, et qui explique la très

forte participation au programme. À pluslong terme, le modèle basé sur la sous-traitance pour l’Europe grâce à une main-d’œuvre bon marché n’a plus aucunechance de survivre. L’urgence est donc de relancer la crois-sance, puis de réfléchir au modèle dedéveloppement et enfin de s’attaquer auxinégalités. La première condition derelance est l’amélioration de la visibilitépolitique, ce qui sera probablement le casaprès les élections de la Constituante du23 octobre. L’équipe gérant la transition abeaucoup insisté sur cet aspect. Parcontre, elle a peu utilisé le levier macro-économique, et notamment les politiquesmonétaires et de change qui sont restéestrès conservatrices, probablement parhantise de l’inflation. Pour stimuler l’in-vestissement privé et international, legouvernement de transition a préparé unplan de grande ampleur présenté au G8.Ce programme est toutefois critiqué parde nombreux économistes tunisiens dufait qu’il n’ait pas été discuté sur la placepublique alors qu’il engage la Tunisie entermes d’endettement pour de nom-breuses années.S’agissant du modèle de développement,comme l’a récemment souligné DaniRodrik1, si les services peuvent fournirdes emplois de très haut niveau, leurpotentiel en termes de création d’emploiscréés reste très limité. En conséquence,seule l’industrie manufacturière peutcréer des emplois stables pour une frac-tion importante de la population. Dansles deux cas, il convient de développerdes politiques industrielles spécifiques etveiller à la cohérence avec les autres poli-tiques telles que la politique commercia-le, de change ou d’éducation. L’insertionde la Tunisie dans l’économie mondialedoit être repensée, et notamment les liensavec l’Europe, mais aussi avec les voisinsarabes et africains.

Un réél changementL’agriculture a aujourd’hui aussi unechance historique de redevenir une activi-té rentable depuis la crise alimentaire de2008 et l’augmentation spectaculaire desprix agricoles. La sécurité alimentairepeut être atteinte sans nécessairement

déverser des milliards de subventions àl’image des Américains ou des Européensau cours des décennies écoulées.L’investissement dans le secteur a aussil’avantage de réduire les inégalités régio-nales en Tunisie puisque les régions lesplus pauvres sont aussi essentiellementrurales et basées sur une agriculture àtrès basse productivité.Le débat sur la distribution des revenusreste essentiellement confiné à cettedimension régionale depuis la révolution.En effet, la révolution étant partie desrégions de l’intérieur les plus pauvres, unconsensus s’est dégagé (du moins dans lediscours) pour réduire l’écart avec lesrégions côtières. Mais comment ? Avecquelles ressources ? Par ailleurs, lesinégalités sociales au sein des régions nesont pas forcément moins importantesque les inégalités inter-régionales. Celles-ci se manifestent non seulement entermes de revenus et de patrimoine, maisaussi de qualité de l’éducation et de lasanté, ce qui signifie des perspectives demobilité sociale plus faible dans l’avenir.Si on observe l’échiquier politique tuni-sien aujourd’hui, les trois principaux par-tis (d’après les premiers sondages) propo-sent des réductions d’impôts, notammentpour les entreprises. Ce qui n’a aucunejustification économique dans un pays oùla pression fiscale est relativement faibleet où l’impôt sur le revenu des salariés(prélevés à la source) et la TVA consti-tuent les principales ressources budgé-taires. Par ailleurs, à ma connaissance onn’aborde pas la fiscalité sur le foncier etl’immobilier qui a été fortement réduitepar le régime précédent. Taxer la spécu-lation foncière et immobilière aurait letriple intérêt de fournir des ressources àl’État, de freiner la bulle et d’inciter lesacteurs économiques à investir dansd’autres secteurs moins lucratifs à courtterme, mais permettant d’augmenter lepotentiel de croissance du pays à longterme. Un réel changement se dessinera si lesrapports de force en présence y sont favo-rables. Qui sont les principaux acteurs enTunisie aujourd’hui ? D’abord les patronsdes grands groupes, assez hétérogènesdans leurs liens à l’ancien régime. Un

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statu quo dans la gestion des affaireséconomiques du pays leur conviendrait,c’est-à-dire les avantages du système pré-cédent sans ses inconvénients. Même lesanciens proches pourraient prospérerdans un tel système grâce aux fortunesamassées. Les jeunes entrepreneursseraient eux, certainement plus favorablesà un système beaucoup moins conserva-teur. L’UGTT, syndicat historique, est lui

aussi très hétérogène. Sa direction, trèsaccommodante avec l’ancien pouvoir,risque de changer au prochain congrès.Ses structures régionales ont été trèsimpliquées dans la révolution. L’orientationde la nouvelle direction risque de peserlourdement sur les choix économiques etsociaux à venir. Quant aux partis poli-tiques ayant le plus de chances de gou-verner, ils semblent plutôt se situer au

centre de l’échiquier, ce qui signifie qu’ilsne prendront probablement pas beau-coup de risques en matière de choix éco-nomiques et sociaux. Enfin, la rue, nouvelacteur majeur en Tunisie, risque de serappeler au bon souvenir des décideurs siles progrès se font trop attendre. n

1 - « The Manufacturing imperative », 10-08-2011, Project Syndicate.

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Transition démocratique, ingénierieconstitutionnelle et électorale :

l’expérience tunisienne

C’est par un acte de souveraineté que le peuple tunisien a misfin au régime inique du président Ben Ali. La Tunisie s’inscritdésormais dans un processusde démocratisationponctué par deuxéchéances cruciales :l’élection libre et pluralisted’une Assemblée nationaleconstituante, le 23 octobre2011, et l’adoption de la Loi fondamentale de la Seconde Républiquetunisienne. La transitiondémocratique exigeait une transitionconstitutionnelle.

Par Béligh NabliDirecteur de recherches à l’IrisMaître de conférences en droit public àl’Université Paris-Est et à Sciences Po Paris

E n visite officielle en Tunisie (21-23mars 2011), le secrétaire général de

l’Onu, M. Ban Ki-moon, a estimé que« la révolution tunisienne est un modèlede transition démocratique ». L’assertionest discutable : non seulement il demeuredifficile de théoriser ou de « modéliser »les phénomènes de « transition démocra-tique », mais il est encore trop tôt pourconnaître l’issue du processus enclenchéen Tunisie. La transition démocratiqueest par définition une pério-de charnière et incertaine1.Imprévisions et improvisa-tions sont de mise. Après unepériode d’insécurité et d’in-stabilité politique chroniques,l’exécutif bicéphale – transi-toire – demeure confronté àune crise protéiforme : l’éco-nomie nationale est en réces-sion, des conflits sociauxponctuels ne cessent d’éclater sur fond dechômage de masse, enfin le pays subit deplein fouet les conséquences du conflitqui sévit chez son voisin libyen (tensionet combats sur leur frontière commune,afflux de milliers de réfugiés, etc.). Il n’empêche, la Tunisie post-révolution-naire est marquée par une volonté popu-laire de rupture avec l’ancien régime.L’émergence d’un nouvel ordre juridique,politique et social s’est déjà traduit par unmultipartisme effréné2 et l’affirmation denouveaux acteurs issus d’une société civilecondamnée jusque là au silence. La conso-lidation de ces avancées démocratiquesexige du temps et du savoir faire. Dans cecontexte, l’expertise constitutionnelle etles techniques d’ingénierie électorale sontdes instruments indispensables au pro-cessus de transition démocratique. Paysarabo-musulman d’Afrique du Nord, laTunisie n’échappe pas à cette règle de la

« transitologie »3, science empirique de latransition forgée au regard des expé-riences vécues au Portugal, en Espagne,en Amérique du Sud, et au début desannées 1990 dans les pays d’Europe del’Est4. Ces divers exemples attestent durapport étroit, voire mécanique, entre« transition démocratique » et ingénierieconstitutionnelle. Traduite littéralementde l’expression américaine ConstitutionalEngeneering, l’ingénierie constitutionnel-

le permet de recourir à destechniques et formes de« normativisme démocra-tique ».

Le cadre juridique et institutionnel de la transitiondémocratiqueSi la transition (du latintransitio : passage) relève

plus du fait que du droit, elle s’inscrit mal-gré tout dans un cadre juridique et insti-tutionnel, lequel se substitue à l’ancienordre constitutionnel et en annonce unnouveau. Reste qu’une période de flotte-ment constitutionnel et institutionnel asuivi le départ précipité du président BenAli. Il est vrai que la situation factuelleétait elle-même confuse. Dans la soirée du14 juillet 2011, le Premier ministreMohamed Ghannouchi a déclaré que leprésident Ben Ali n’était temporairementpas en mesure d’assumer ses fonctions etqu’il assurait par conséquent la présiden-ce par intérim, en vertu de l’article 56 dela Constitution de 1959 (alors encore envigueur). L’hypothèse du caractère « temporaire »de la vacance du pouvoir étant rapidementécartée, le lendemain, en application del’article 57 de la Constitution, le Conseilconstitutionnel a pris acte de la situation,

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« La révolutiontunisienne est un

modèle detransition

démocratique »Ban Ki-Moon

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avant d’investir le président de lachambre des députés « des fonctions dela présidence de l’État par intérim ».Après avoir prêté serment,Fouad Mebazaa, a demandéà Mohamed Ghannouchi deformer un nouveau gouver-nement d’unité nationale.Face à l’inadéquation paten-te de la Constitution de 1959à cette situation post-révo-lutionnaire, le 3 mars, M.Mebazaa a reconnu que laLoi fondamentale de la 1re

République tunisienne nerépondait plus aux aspirations du peuple etconstituait un obstacle à des élections libres,pluralistes et transparentes. La violation et lasuspension voire l’abrogation de fait de ladi-te Constitution soulevaient des questions delégalité. Toutefois, dans de telles circons-tances exceptionnelles, la logique de légiti-mité prime sur ce type de considération. Sila plupart des Consti-tutions envisagent lesmodalités de leurs révisions, elles ignorentgénéralement l’hypothèse de leur propreabrogation et le passage d’une constitution àune autre. La transition comme abolitiond’une constitution est avant tout un acte defait. En témoigne l’expérience tunisienne.En attendant l’entrée en fonction del’Assemblée nationale constituante et l’ins-tauration des institutions établies sur la basede la future Constitution, les autoritéspubliques de la République tunisienne sontorganisées conformément au décret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011, texte qui défi-nit donc le cadre juridique et institutionnelgénéral de la transition démocratique enTunisie. Suivant ce décret-loi, la Chambredes députés, la Chambre des conseillers, leConseil économique et social, le Conseilconstitutionnel sont dissous. Le pouvoir exé-cutif est exercé par le président de laRépublique par intérim assisté d’un gouver-nement provisoire dirigé par un Premierministre qu’il nomme. L’autre tête del’Exécutif est incarnée par Béji Caïd Essebsi,qui a été nommé, à 84 ans, Premier ministredu gouvernement provisoire5. Celui-ci veille àgérer les affaires courantes de l’État, au fonc-tionnement ordinaire des services publics. Les textes à caractère législatif sont promulgués sous forme de décrets-lois

signés par le président de la Républiquepar intérim, après délibération du conseildes ministres (art. 4), ce qui suppose

théoriquement un accordentre les deux têtes del’Exécutif transitoire, incar-nés par deux personnagesissus de l’ère Bourguiba,mais qui ont égalementoccupé des fonctions poli-tiques non négligeablessous le régime du présidentBen Ali. Sous cet angle, larupture révolutionnaire n’ex-clut pas une certaine conti-

nuité avec l’histoire politique du pays. Si les organes législatifs de l’ancien régi-me ont été dissous, un sentiment dedéfiance perdure dans la population àl’encontre de l’administration (nationaleet locale) en général, et de la justice enparticulier. Un grand nombre de personna-lités de la haute fonctionpublique et de la sphèrepolitico-institutionnelle del’ancien régime ont réussi às’imposer comme des acteursde la transition. Le corpsde la magistrature a échap-pé jusqu’à maintenant àtoute épuration, alors quecertains de ses membresétaient impliqués dans lesystème de corruption alors en vigueur.Cet aspect ne serait qu’anecdotique, sicette même justice n’avait pas la respon-sabilité historique de juger les anciensdignitaires du régime et autres membresdes clans Ben Ali/Trabelsi… Dès lors, envue d’établir les responsabilités et de per-mettre une réconciliation nationale, laquestion de la mise en place d’une « jus-tice transitionnelle » mérite d’être poséesérieusement. En revanche, les modalitéset règles fixées en vue de l’élection del’Assemblée nationale constituante tra-duisent une volonté réelle de rupture avecles pratiques antérieures.

L’ingénierie constitutionnelle et électorale au service de la transition démocratique Le processus devant mener à l’élection del’Assemblée nationale constituante est

régi par une série de décrets-lois adoptéspar l’Exécutif. Afin de pallier leur faiblelégitimité, le président intérimaire et legouvernement de transition s’appuientsur des organes consultatifs qui se sontimposés comme des acteurs clefs de cettetransition démocratique. Ainsi, au-delà desreprésentants de l’État, la transitiondémocratique est préparée par desorganes consultatifs dont la compositiontend à allier représentativité (y siégentdes personnalités sensées refléter différentessensibilités politiques) et expertise (à tra-vers la présence en force et la fonctiondirectrice de juristes/constitutionnalistes). Placée sous l’autorité du professeur dedroit public Yadh Ben Achour, l’Instancesupérieure pour la réalisation des objectifsde la révolution, de la réforme politique etde la transition démocratique (Isror),« instance publique indépendante »6, estchargée d’étudier les textes législatifs

ayant trait à l’organisationpolitique et de proposer lesréformes à même de concréti-ser les objectifs de la révolu-tion relatifs au processusdémocratique. Elle est égale-ment en mesure d’émettreun avis sur l’activité du gou-vernement. Si les textesqu’elle adopte (sous formede projets de décret-loi) sont

soumis à l’approbation de l’Exécutif, lerôle et le poids de l’Isror ne sauraient seréduire à cette fonction consultative. Sesinitiatives se sont avérées décisives dansla transition démocratique, comme l’at-testent les projets de décrets-lois relatifs :à l’élection de l’Assemblée nationaleconstituante (choix du mode de scrutin,fixation de la durée de l’inéligibilité desex-responsables du RCD et consécrationdu principe de parité « homme-femme » surles listes électorales), aux partis politiques,au code de la presse… L’Isror n’a pas

La transitioncomme abolitiond’une constitution

est avant tout un acte de fait

1 - G. Almond, S. Verba, The Civic culture, Princeton, Princeton Univ.Press, 1963, 562 p.2 - L’arène politique en Tunisie compte plus de 100 partis politiques offi-ciels se réclamant de diverses idéologies et sensibilités.3 - G. O’Donnell, P.C. Schmitter, L. Whitehead, Transitions from theauthoritarian rule, The Johns Hopkins University Press, 1988.4 - C. Bidegaray, « Réflexions sur la notion de transition démocratique enEurope Centrale et orientale », Pouvoirs, n° 65, 1993, pp. 129-144.5 - Il a été nommé le 27 février 2011 en remplacement de MohamedGhannouchi, avant d’être confirmé à ce poste.6 - L’Isror accomplit ses prérogatives conformément au décret-loi n°2011-6 du 18 février 2011 portant sur sa création.

L’Isror n’a pas hésité à adopter un « pacte

républicain » dans lequel la Tunisieest définie comme unÉtat « démocratique »

et libre

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hésité à adopter un « pacte républicain »– visant à servir de socle à la futureConstitution – dans lequel la Tunisie estdéfinie comme un État « démocratique etlibre […] Sa langue est l’arabe et sa religionest l’islam ». En outre, l’Isror est à l’origine del’Instance supérieure indépendante pourles élections7 (Isie) chargée de préparer,de superviser et de contrôler les opéra-tions de vote pour l’élection prévue le 23 octobre 2011. L’Isie doit accréditer àla fois les observateurs étrangers et tunisiens (recrutés parmi les associationscitoyennes) présents aux bu-reaux de vote et chargés de lavalidation des résultats issusde l’opération de vote. Lesélections à la Constituantedoivent se dérouler sous lecontrôle exclusif des contrô-leurs tunisiens. Cela n’exclutpas la participation d’obser-vateurs étrangers pour assu-rer une mission de supervi-sion et de suivi. Suivant en cela une pratique classiquedes transitions démocratiques, le gouver-nement tunisien a fait appel à l’expertiseet à l’expérience des organisations inter-nationales et européennes en matièred’encadrement du processus électoral.Même si ces actions de coopération etd’assistance sont destinées à conforter lalégalité et la légitimité de la transition,elles n’en n’ont pas moins été accompa-gnées de précautions rhétoriques afind’éviter que le sentiment d’ingérence ne sedéveloppe dans un corps social qui vient àpeine de recouvrir sa souveraineté interne.Le 18 juillet 2011, un protocole d’accordsur la coopération dans le domaine desélections a été signé entre le ministèredes Affaires étrangères, l’Isror et leProgramme des Nations Unies pour ledéveloppement (Pnud). Au niveau euro-péen, l’UE comme le Conseil de l’Europesont également mobilisés. Sur invitationdu gouvernement de transition, laCommission européenne a dépêché troisexperts électoraux (10 au 25 février) quiont effectué une analyse du cadre juridiqueet organisationnel en vue des élections etidentifié les demandes et les besoins en

assistance technique dans le domaineélectoral. Par la suite, l’UE a envoyé uneéquipe (Consortium de deux ONG euro-péennes – Eris et Osservatorio di Pavia8)auprès de l’Isie, composée de six expertsen matières juridique, logistique, opéra-tions, procédures, media et relationsextérieures. De plus, une mission d’ob-servation de l’UE – comptant 66 obser-vateurs, soit 32 équipes – est chargéed’accompagner les différentes phases duprocessus électoral et devrait remettre unrapport général à son terme. En outre, aunom du Conseil de l’Europe, la Commission

européenne pour la démo-cratie par le Droit9 s’estégalement impliquée dansla formation et le conseil enmatière de normes de qua-lité de la démocratie.Enfin, il convient de souli-gner le rôle non négligeabledes ONG dans la transitiondémocratique. Leur actioncontribue à la stratégie

d’influence de leurs États d’origine. À cetégard, la faible présence françaisecontraste avec l’activisme remarqué desstructures allemandes (la « Konrad-Adenauer-Stiftung », l’Organisation « Demo-cracy Reporting International ») ou anglo-saxonnes (« Electoral Reform InternationalServices » (G.-B.), le « Center for theStudy of Islam and Democracy » (E.-U.). L’Assemblée nationale constituante aurapour mission première d’élaborer laConstitution de la Seconde Républiquetunisienne. Expression de la souverainetépopulaire, norme juridique suprême del’État, cette Constitution devra définir à lafois le contrat social et le régime politiquede la Tunisie moderne. Or si la transitionconstitutionnelle est en marche, la transi-tion économique et sociale n’est pasencore acquise. L’une et l’autre risquentde ne pas suivre le même rythme. Cedécalage entre le temps politique et letemps économique est source de tensionsociale. Face au spectre d’une contre-révolution, les différents acteurs sontconvoqués par l’histoire : réussir la pre-mière Révolution démocratique du XXIe

siècle10. n

7 - Créée par le décret-loi du 18 avril 2011.8 - Financée à travers l’Instrument pour la stabilité, mécanisme de réaction rapide de l’UE.9 - Plus connue sous le nom de Commission de Venise du Conseil del’Europe, celle-ci a débuté son activité en 1990, au lendemain de lachute du mur de Berlin. Elle a aidé les nouvelles démocraties de l’Europede l’Est à adopter des constitutions en concordance avec la cultureconstitutionnelle européenne10 - La Tunisie fut déjà le premier pays arabe à avoir aboli l’esclavage(1846), à s’être doté d’une Constitution écrite (1861) et d’un codemoderne de statut personnel (1956).

Or si la transitionconstitutionnelle est en marche,

la transitionéconomique

et sociale n’est pas encore acquise

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L’Arabie saoudite,forteresse invincible ?

Trop sclérosée, trop prisonnière de ses préjugés pour se réformer, la monarchie saoudienneest vouée à disparaître.Comme toujours dans l’histoire, la rupture se produira làoù on l’attend le moins. Le pouvoir en principeenraciné dans les siècless’effondrera alors commeun château de cartes.

Par Philippe Moreau DefargesRobespierre 1970Chercheur et co-directeur du rapportRamsès à l’Ifri (Institut français des relationsinternationales)

La lame de fond révolutionnaire, quiemporte les pays arabes depuis la fin

2010, paraît s’arrêter aux frontières del’Arabie saoudite, comme pétrifiée face àcette immensité de plateaux et de déserts,creuset de l’islam. En février-mars 2011,sur le flanc oriental du royaume, Bahreïns’enflamme, mais très vite la répression,engageant notamment des forces saou-diennes, écrase la rébellion.Un dialogue dit national, étroi-tement contrôlé, est lancé. Ausud-ouest, le Yémen bascu-le dans la guerre civile, maisl’incendie ne s’étend pas.Le Conseil de coopération duGolfe, dominé par Riyad,veille. Le 23 février 2011,le roi Abdallah (88 ans) noied’éventuels soulèvementsdans un flot d’argent : 36 milliards de dollarsrépartis entre tous les mécontents possibles :étudiants, chômeurs, fonctionnaires…Des cadeaux calmeront l’agitation desenfants ! Alors l’Arabie saoudite échappe-ra-t-elle au tsunami révolutionnaire ?

La donne géopolitiqueL’Arabie saoudite semble abritée des tem-pêtes par une combinaison de circons-tances et d’atouts structurels. Elle faitpartie des alliés incontournables deWashington, de ceux qu’il est exclu aban-donner tant que les États-Unis tiennent àrester la première puissance du monde.La menace numéro un pour l’Arabie saou-dite, l’Iran, est enlisée dans une crise éco-nomique, sociale, politique diminuant sescapacité d’agression. Dans ces conditions,une agression extérieure paraît exclue.Les atouts structurels de l’Arabie saoudi-te incluent d’abord le régime, son inapti-tude viscérale à la réforme. Tout pouvoirautoritaire tentant de s’assouplir est res-senti et se ressent comme incertain, dou-tant de lui-même, révélant à ses adver-

saires ses vulnérabilités. La monarchiesaoudienne n’a pas ce penchant. Sesgouvernants rejettent ou refoulent ledoute, convaincus que toute ouvertureentraînerait la chute du royaume. Le prin-temps arabe, loin de fissurer le cercle trèsrestreint des gouvernants, produit un dur-cissement de la loi saoudienne. Frapperfort afin de décourager la plus raisonnable

expression de contestation !La forteresse est sans faille,du moins s’en persuade-t-elle…Ensuite il y a la formidablerichesse pétrolière. L’Arabiesaoudite trône sur un tasd’or unique au monde : unquart des réserves connuesde pétrole, facilement exploi-tables. Avec de tels moyens,

l’on peut acheter beaucoup de gens debien des manières. Des millions de tra-vailleurs immigrés, essentiels au bonfonctionnement du système, occupent lessales emplois, indignes des Saoudiens(alors que beaucoup de ces derniers sontsans travail). En même temps, cette maind’œuvre étrangère, souvent fort mal trai-tée (scandales autour des employées demaison des familles aisées), contribue à laparanoïa d’un pouvoir enclin à la paranoïa.Enfin, la géographie de l’Arabie saouditeagit elle aussi comme une protection. Lapéninsule reste à la lisière du bouillantMoyen-Orient. Les ébranlements y par-viennent amortis. La faible densité démo-graphique (26 millions d’habitants sur unterritoire de 2,24 millions km2) n’encou-rage pas les rassemblements massifs.

La modernité se faufile partoutMais pourquoi l’Arabie saoudite échappe-rait-elle aux cycles de l’histoire ? Bien desutopies politiques, de l’Union soviétique àl’Empire américain, se convainquentqu’ils sont différents, soustraits aux

Il est des régimesimpossibles

à réformer. Il esttrop tard, l’héritage

est trop pesant, les droits acquis

sont trop enracinés

usures du temps. En fait il n’y a rien denouveau sous le soleil. L’Arabie saouditeévoque bien des pouvoirs au bord dugouffre, tétanisés par le changement.La monarchie saoudienne reste tenue parune oligarchie ou une « nomenklatura » – princes innombrables, clergé wahhabi-te – qui se dispute âprement le gâteaudes revenus pétroliers. Le gâteau n’estjamais suffisant et l’est de moins enmoins. Sa taille augmente ou se contrac-te en fonction des mouvements des mar-chés mondiaux (parfois Riyad boucle dif-ficilement ses fins de mois). Mais lescharges communes ne cessent de s’alour-dir. Les dépenses collectives – santé, édu-cation… – doivent compenser l’absencede droits politiques et acheter une tran-quillité sociale de plus en plus bousculéepar l’entrée en force de l’extérieur.La monarchie peut se raidir dans ses tra-ditions, la société saoudienne est inexora-blement pénétrée par le déferlement de lamodernité. Les jeunes Saoudiennes peu-vent être voilées et privées de permis deconduire, elles n’en utilisent pas moinsTwitter ou Facebook, elles se pressent surles bancs des universités. Le clergé saou-dien peut se poser en détenteur du seulsavoir qui vaille, celui du Coran ; ce qu’ilenseigne n’en est pas moins tristementarchaïque, vouant ses initiés au chômage.La Mecque illustre avec éclat l’avancéede la modernité. Ce premier lieu saint del’islam demeure strictement interdit auxnon-musulmans, afin de le préserver del’influence corruptrice de l’Occident. LaMecque n’en est pas moins remodeléepar cet Occident : gratte-ciel gigan-tesques (il faut loger les pèlerins), galeriesmarchandes et feuilletons télévisuelsadaptés (il faut distraire les pèlerins)…Comme le montre, fin 1979, l’occupationde la Grande Mosquée par 300 extré-mistes, la Mecque est dans le siècle,enjeu politique à la merci d’opérationstrès difficilement prévisibles. Les autori-tés saoudiennes peuvent renforcer lescontrôles, elles ne seront jamais à l’abridu désir de violer l’espace interdit.Du fait même de la raideur du régime, lasociété saoudienne masque une immensepart cachée. L’omniprésence d’un islam puri-tain, obscurantiste entretient de redoutables

refoulements. Dans les années 1970, l’Irandu shah se croit moderne et se posecomme le futur Japon du Moyen-Orient. Enquelques mois, le système du shah estgrippé, paralysé puis anéanti par les foulesiraniennes. Alors que se passe-t-il vraimentdans le tréfonds de l’Arabie saoudite ?

Le tremblement de terre viendra de nulle partLa seule voie rationnelle et raisonnablepour l’Arabie saoudite est celle de laréforme : monarchie constitutionnelle,parlement avec de réels pouvoirs, élec-tions libres, pluralistes… Pourtant cettedémarche de bon sens n’a guère dechances de se matérialiser.Elle requiert des gouvernants suffisam-ment confiants et courageux pour sauterdans l’inconnu d’une métamorphose poli-tique. Les innombrables descendants dufondateur de la monarchie, Ibn Séoud(1887-1953) – père de dizaines d’enfants,tous soucieux de prouver leur fertilité –constituent un nid de serpents. La succes-sion de frère en frère amène à la tête duroyaume des vieillards, pour lesquels leplus prudent ajustement porte atteinte auxtraditions les plus sacrées. Une assembléereprésentative du peuple ? Des femmesayant des droits ? Une presse au verbevif ? Tout cela serait prématuré !Il est des régimes impossibles à réformer.Il est trop tard, l’héritage est trop pesant,les droits acquis sont trop enracinés, lamoindre mesure déchaîne la rage des pri-vilégiés d’autant plus crispés sur leur sta-tut que ce dernier n’a plus la moindrelégitimité. L’Arabie saoudite (comme laFrance de Louis XVI, la Russie de NicolasII et bien d’autres) ne peut probablementque s’écrouler. Tout processus de réformeest long, laborieux, douloureux, décevant.Il faut du temps, de la patience pour réus-sir. La monarchie saoudienne est tropsclérosée, trop prisonnière de ses préju-gés pour se réformer. Après moi, le délu-ge, ne peut que gémir le roi en place, à lafois pathétique et dérisoire. Comment cetindividu, absorbé par le naufrage de sonâge, les souffrances d’un corps trop nour-ri, peut-il se concentrer sur une réforme ?Comme toujours dans l’histoire, la ruptu-re se produira là où on l’attend le moins :

manifestations de jeunes, grève de femmes,panique à La Mecque, immigrés brisantleurs ghettos, action terroriste méthodiquecontre des puissants, poussée de fièvrechez des militaires… Le pouvoir en prin-cipe enraciné dans les siècles s’effondre-ra alors comme un château de cartes.Et l’extérieur – États-Unis, Occident, démo-crates arabes…– ne peut-il faire quelquechose ? Souligner l’urgence de la réforme,tout en étant conscient que cette derniè-re, dans un premier temps, précipitera ledésastre et peut-être accouchera d’unrégime xénophobe et virulent ? Ou attendrequ’émerge une nouvelle Arabie saoudite ?Du Maroc à la Syrie, le monde arabe vitun choc comparable à celui de la Révolutionfrançaise dans l’Europe de la fin du XVIIIe

siècle. La mutation n’en est qu’à ses pre-miers balbutiements ! n

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La transition égyptiennePar Jean-Noël FerriéDirecteur de recherche au CNRS, Centre Jacques Berque (Rabat)et CERI (Sciences-Po, Paris)

A lors que le terme de « révolutionsarabes » s’est popularisé, il est inté-

ressant de considérer l’évolution actuellede l’Égypte. On peut la décrire de lafaçon suivante : l’afflux de manifestantssur la place Tahrir entraîne le départd’Hosni Moubarak, non pas parce queles manifestants l’auraient chassé –même s’ils sont incontestablement àl’origine de sa chute – mais parce que lesmilitaires lui ont fait défaut, préférant, àtout prendre, le coup d’État à la répres-sion. Il n’en découle pas que les mili-taires soient une force révolutionnaire etencore moins que la révolution ait triom-phé en quelque manière. Ce fut, aucontraire, le début de sa fin. Il est difficile d’entrer dans l’esprit d’ac-teurs que l’on ne connaît que fort peu,mais il semble clair que l’intervention del’armée, à l’encontre decelui qui était constitution-nellement et symbolique-ment son chef, fut positive-ment motivé par le désird’en finir avec un scénariode succession – GamalMoubarak succédant à sonpère – dont elle ne voulaitpas et d’éviter que le paysne sombre dans le désordre.C’était d’autant plus facile que lesdemandes des manifestants se focali-saient sur Moubarak, en faisant la sourcede tous les maux du pays, ce qui était lafaçon la plus efficace de provoquer unphénomène de solidarité autour de leurmouvement. Écarter un seul homme afind’éviter une crise majeure pouvait doncsembler aux militaires un prix aisé àpayer.C’est dans cette logique que l’armée agéré l’après-Moubarak. Plutôt que des’entendre avec les libéraux de la placeTahrir et de favoriser une prise en comptedes revendications multiples émergeantderrière leur détestation du chef de l’État,elle s’est attachée à clore la crise politique,

notamment en adoptant un calendrierconstitutionnel serré (réforme constitu-tionnelle limité aux conditions d’élection duprésident, élections législatives à l’autom-ne, présidentielle à suivre), qui leur étaitdéfavorable, et en se rapprochant desFrères musulmans. Ces derniers, quin’avaient rejoint le mouvement protestataireque tardivement, en devinrent alors lespremiers bénéficiaires parmi les opposants.Les Frères musulmans ont ainsi participéà la première réforme constitutionnelle etsoutenu le référendum pour son adoptionque refusaient les révolutionnaires de laplace Tahrir et leurs soutiens, notammentMohammed El Baradei. En résumé, l’alliance de deux conserva-tismes – celui des militaires et celui desFrères – a permis de stabiliser la situationau profit des élites gouvernantes et de

conserver l’essentiel desrouages du régime qui a lar-gement survécu au départde son chef. Il n’est pasdouteux que la plupart desmembres de l’ancien partiprésidentiel, le PND, eux-mêmes parfaitement conser-vateurs (notamment dupoint de vue religieux) etqui sont avant tout des

notables, se sont recasés ou se recaserontaisément dans ce paysage faiblementmodifié. Il reste, toutefois, à consolidercet état de choses. Je vais maintenant préciser trois pointsdont deux entièrement rétrospectifs maisessentiels pour envisager l’avenir.

L’ankylose d’une fin de règneBien qu’il soit de bon ton de mettre sur lemême pied l’ensemble des dirigeantsarabes pris à partie dans les mois écoulés,tous ne ressortissent pas de la même version de l’autoritarisme. L’autoritarismede Moubarak était profondément institu-tionnalisé, à la fois dans l’appareil d’Étatet, pourrait-on dire, dans l’organisation

Écarter un seulhomme afin d’éviterune crise majeure

pouvait donc sembler

aux militaires unprix aisé à payer

Il n’y a pas eu derévolution en Égypte.L’alliance de deuxconservatismes – celui desmilitaires et celui desFrères musulmans – apermis de stabiliser lasituation au profit desélites gouvernantes et deconserver l’essentiel desrouages du régime qui alargement survécu audépart de son chef. Il n’estpas douteux que la plupartdes membres de l’ancienparti présidentiel, eux-mêmes parfaitementconservateurs (notammentdu point de vue religieux)et qui sont avant tout desnotables, se sont recasésou se recaseront aisémentdans ce paysagefaiblement modifié. Il reste, toutefois, à consolider cet état de choses. C’est donc un avenir en demi-teintequi se dessine.

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même de la société. Par institutionnalisé,il faut entendre qu’il agissait pour l’essen-tiel à l’intérieur de la loi et par l’entremisede fonctionnaires dévoués à l’État.L’indépendance des jugements de laHaute Cour constitutionnelle, dont tousles membres étaient pourtant nomméspar le président en apporte une preuveconcrète. Une partie du régime s’étaitautonomisé de l’armée dont il était issu ets’appuyait sur un parti dominant, le PND(Parti national démocratique) dirigé parMoubarak. Ce parti était composé demembre du régime à proprement parler(plus ou moins proches du chef de l’Étatou de proches du chef del’État) et de notables, quien étaient membres paropportunisme. Ces derniersreprésentaient probablementl’essentiel des effectifs duPND. Afin de maintenir sonhégémonie, le PND prati-quait la corruption et truquaitde manière plus ou moinsbrutale les élections. Il s’ap-puyait pour ce faire sur un appareil sécu-ritaire protubérant et d’une efficacitévariable. Il est important de préciser deux choses.Premièrement, la violence de cet appareilétait loin de n’être que politique. Larépression des délits les plus simplesentraînait routinièrement la brutalité et latorture. Deuxièmement, les caractéris-tiques que je viens de décrire sont cellesdu régime depuis 1952, tout particulière-ment depuis Anouar el Sadate, et s’an-crent dans des pratiques déjà courantesdurant la monarchie. Il serait donc abusifde n’y voir que la marque de la dernièreprésidence. Celle-ci s’est plutôt caractéri-sée, dans les années quatre-vingt, par lavolonté de revenir sur les excès de lapériode précédente.Hosni Moubarak était donc à la fois à latête de l’armée (qui était passée ausecond plan) et d’une structure partisane,la première soutenant apparemment laseconde. La structure partisane s’ap-puyait, depuis Sadate, sur les milieuxéconomiques, et ceux-ci furent de plus enplus sollicités. Une part de cette sollicita-tion relevait de la pure et simple collusion

et une autre part de la croyance libérale(au sens économique du terme) dans lefait que le management privé était unesolution pour la réforme du fonctionne-ment de l’État. Le fils cadet du président,Gamal Moubarak, incarnait cette croyance.Il a représenté de 2000 à 2010, la frangeréformatrice du parti présidentiel. Leparadoxe est que, si Gamal Moubarakétait en phase avec une nouvelle culturepolitique et sociale, relativement diffé-rente de la culture autoritaire de son pèreet d’une partie de l’appareil qu’il diri-geait, il appuyait sa montée en puissan-ce sur celui-ci.

À ce paradoxe s’ajouta l’an-kylose grandissante d’unhomme répugnant aux chan-gements rapides auxquels ilpréférait, à tout prendre,l’immobilisme. Ainsi, au lieude pousser les réformes,Moubarak se contenta-t-ild’accroître les prérogativesde son fils à l’intérieur duparti et de nommer certains

de ses partisans à des postes importantstout en ne leur accordant pas une réellemarge de manœuvre. Lui-même se repré-senta à l’élection présidentielle de 2005et tout partait à croire qu’il se représente-rait à celle de 2011 sans donner aucunsigne d’ouverture. Bien au contraire, lesélections législatives de 2010 furentmassivement truquées, ce qui représenteun recul par rapport à celle de 2005 quiavaient vues une légère ouverture permet-tant l’élection de plus que quatre-vingtFrères musulmans à l’Assemblée duPeuple. Le régime apparaît ainsi entière-ment ankylosé dans ses travers et lesréformateurs groupés autour du fils duprésident deviennent le symbole de sonirrémédiable corruption.

Une révolution de façadeLa société égyptienne est une sociétécontrastée, à la fois conservatrice, hiérar-chique et mouvante, avec des secteurstotalement globalisés, des élites moderni-satrice et d’autres qui ne le sont absolu-ment pas. La bigoterie y est très répandueet favorise, bien évidemment, une forteprésence de l’islam dans l’espace public

ainsi qu’une déférence ostentatoire nonexempte de tartufferie vis-à-vis de tout cequi peut s’y rattacher. Le système autoritaire n’a sérieusement bridé aucunede ces dynamiques – moins par vertu quepar incapacité –, ni le libéralisme minoritairedes élites ni le conservatisme foncier dureste de la population (élites comprises).Il a simplement bloqué les expressionspolitiques autonomes qui pouvaient enémaner. La répression des Frères musul-mans s’explique ainsi par le fait qu’ilsreprésentaient une inquiétante concurrenceet non par un désaccord sur le rôle et laprésence de l’islam. De ce dernier pointde vue, il n’y avait guère de différenceentre eux et les gouvernants.Si l’on considère, maintenant, la sociétéégyptienne du point de vue économiqueet social avant la chute de Moubarak, onne peut que souligner la complexité desproblèmes. L’État égyptien pour diversesraisons n’a jamais su mettre en place unepolitique de welfare. L’éducation et lasanté sont notamment dans un parfaitétat de déliquescence ; n’en émerge qu’unsecteur privé de bonne qualité seulementaccessible aux plus riches et un secteurprivé de qualité intermédiaire accessibleà une classe moyenne protéiforme enconstant appauvrissement. Par ailleurs,les relations entre l’administration et lesusagers sont déplorables. Il est difficile defaire la part de l’autoritarisme et des ten-dances lourdes de la société dans cet étatde chose. On peut, cependant, convenirque la crainte du changement inhérente àtout régime autoritaire, qui fonde sa domi-nation sur des multiples collusions et denon moins multiples niches d’intérêts àpréserver, porte une part non négligeablede la responsabilité. Il n’est cependantpas certain que tous ces dysfonctionne-ments soient purement et simplementattribuables à Moubarak. Pour l’essentiel,la politique économique conduite parYoussef Boutros-Ghali, au ministère del’Économie, aurait sans doute été lamême si le régime avait été démocratiqueplutôt qu’autoritaire. Et il en est de mêmedans d’autres domaines.Les manifestants de la place Tahrir, en sedonnant comme modèle la Tunisie et ense focalisant sur Moubarak ont en

Premièrement, la violence

de cet appareil était loin de n’être

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quelque sorte résumé cette complexité enune seule cause : la faute d’un homme.C’est qui a permis, dans un premiertemps, d’agréger des conceptions large-ment différentes de la société égyptienne :les jeunes libéraux, plus ou moins gau-chisants, à l’initiative des manifestationsn’ayant finalement presque rien en com-mun avec les Frères musulmans ou enco-re avec certains travailleurs du secteurpublics qui en ont profité pour tenter defaire avancer des revendications essen-tiellement catégorielles. Latrès grande majorité de lapopulation est restée, elle,à l’écart du mouvement. Ilne s’agit pas de nier qu’elleait pu l’accompagner mora-lement (ou d’ignorer qu’unepartie ait pu le désapprou-ver), mais simplement deconstater – même en pre-nant les chiffres les plushauts, généralement donnés par la chaîneAl-Jazeera – qu’elle n’était pas dans larue. Face à un mouvement localisé maisconsidérable et dont on ne pouvait pré-voir le cours qu’il prendrait si la crisedurait, les militaires avaient le choix,pour ramener l’ordre, de réprimer oud’accéder à la seule demande des mani-festants. Le coup d’État était de loin lasolution la plus économique, d’autantqu’en concentrant son pouvoir sur lastructure partisane et le système policieret en promouvant son fils, Moubaraks’était largement éloigné de l’armée. Unsystème autoritaire vaut ce que vaut son

système sécuritaire (et ce que permet sasituation internationale). Ici, le systèmesécuritaire n’a pas tant fait défaut au régime qu’à un homme dont l’autoritéavait été invisiblement rongée par l’immo-bilisme.

Un avenir en demi-teinte ?Il semble donc difficile de parler d’unevictoire de la démocratie et encore moinsd’une révolution. C’est ainsi que le procèsde l’ancien chef de l’État apparaît davan-

tage comme une manœuvred’escamotage d’une respon-sabilité collective et parta-gées sur trois décennies (aumoins) que comme unemise en cause du régimelui-même et de l’ensembledes élites dirigeantes, pourl’essentiel demeurées enplace. Le seul changementnotable est, pour l’instant,

l’entrée dans la vie politique légale desFrères musulmans. On a d’abord ditqu’ils risquaient de prendre l’essentiel dupouvoir, puis, qu’il était loin d’être cer-tain qu’ils parviennent à être majoritairedans le prochain Parlement. Je crois quele problème n’est pas là. Le problème estqu’ils représentent, même minoritaires,un pôle autour duquel les conservateurs(du point de vue de l’ordre social, tousétant plus ou moins libéraux économi-quement) pourront facilement s’agréger.Le fait que les élections législatives pré-cèdent l’élection présidentielle devraitmême faciliter ce type d’agrégation enleur faveur, puisque la formation d’une

majorité parlementaire précèdera lechoix du chef de l’État qui en sera donc plus ou moins dépendant. Enmême temps, ceci promet une vie parti-sane et parlementaire plus développée,puisque le lieu du pouvoir se trouveradéporté par rapport à son centre ancien,l’Exécutif. Dans le même ordre d’idée,l’ouverture de la concurrence électoralesera bénéfique aux idées libérales (au sens politique, cette fois), sans pour-tant assurer en rien leur suprématie, la liberté (probable) des élections n’impliquant en rien le libéralisme desélecteurs.C’est donc un avenir en demi-teinte quise dessine. De ce point de vue, il faut ànouveau considérer la situation écono-mique et sociale dont les composantesn’ont pas été modifiées par la crise poli-tique et qui s’est détériorée, tant à causedu reflux des touristes – qui sont l’une desrentes du pays – que de la désorganisa-tion consécutive aux événements. Quandles nouvelles institutions seront en place,tout restera à faire. La consolidation durégime comme son orientation non auto-ritaire dépendront largement de ce quisera fait. Ainsi, si l’initiative du boulever-sement qu’a connu l’Égypte a été le faitde jeunes libéraux, le changement institu-tionnel et son succès semblent plutôtentre les mains des conservateurs.Débloquer un système politique ankyloséet stimuler le libéralisme, ce n’est certai-nement pas une révolution, mais c’esttout de même un espoir – et finalement,ce n’est pas rien. n

Il semble doncdifficile de parler

d’une victoire de la démocratie et encore moinsd’une révolution

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Les Frères musulmans égyptiens…

Quel rôle dans l’Égypte d’aujourd’hui ?

Par Tewfik AclimandosChercheur à la Chaire d’Histoirecontemporaine du monde arabe au Collègede France.

L es Frères musulmans : une confrérienée en 1928. Elle était l’expression

d’un rejet de divers phénomènes, consti-tuant un « retrait de l’islam de la sphèrepublique ». Mais aussi l’expression d’unequestion « identitaire » : une société quiadopte des codes législatifs d’inspirationoccidentale, qui voit disparaître la formepolitique classique de l’islam (le califat),qui voit la femme se libérer, qui retire auxulémas le droit d’administrer la justice etde définir les politiques éducatives, unesociété qui voit aussi les débats intellec-tuels historiciser voire mettre en doutecertains fondements de la religion, lescommunautés non musulmanes choyéeset accéder à des positions de domination,une société qui ne s’intéresse pas au sortdes Palestiniens, une telle société est-elleencore musulmane ? Sa réponse, d’un anti modernisme trèsmoderne, a été plurielle, diverse, a évoluéavec le temps (par exemple sur la ques-tion du multipartisme), mais peut, grossomodo, se décliner ainsi : – les « dégâts » sont tels que cette socié-

té n’est plus tout à fait musulmane,– il faut tout reconstruire : l’homme, la

famille, la société, l’État, et puis conqué-rir la planète,

– l’islam est une religion « totale » et elledoit régir la totalité de la vie individuel-le et collective,

– un marqueur décisif est l’application dela Shari’a, à commencer par les peinescorporelles.

Nier l’autoritarisme profond voire la ten-tation totalitaire du mouvement est uneânerie. En faire une fatalité inexorable,une essence à laquelle ce mouvementn’échappera jamais, sous tous les cieux,reflète une méconnaissance des choses.Vouloir l’application de la shari’a, c’estaussi prôner un État de droit. Une sociétémusulmane, c’est une société que l’on

veut juste. Il faut voir que les termes« Shari’a », « régir », « justice », « jihâd »,peuvent être compris de manières trèsdifférente par des personnes œuvrantdans la même formation.Une autre erreur est de croire que critiquerles Frères est attaquer l’islam. Sans entrerdans les détails, disons que les Frères (oubeaucoup de Frères) ont tendance à idéo-logiser leur religion, à tenir des discoursde haine qui ne sont pas islamiques, àaccorder au jihâd un statut central etextensif qui ne fait pas l’unanimité enislam, et à avoir un rapport à la vérité qui,s’il est caractéristique des idéologies,n’est pas celui que prône une religion.

La stratégie du recrutementEnfin, cette formation peut se targuer decompter en ses rangs des militants exem-plaires, dévoués, admirables, se pliant àune discipline très stricte, acceptant depayer une part importante de leur salairepour financer la cause, ayant sacrifié leurcarrière pour servir leur religion telle qu’euxet d’autres la comprennent, ayant connu laprison, ayant su résister à la tentation de laviolence. Admirer ces femmes et ceshommes ne doit pas empêcher la critiquede leurs conceptions du monde et de lapolitique, de leur projet de société. C’est à la fois une confrérie religieuse etune force politique, avec trois ou quatredegrés d’initiation et de membership.Ceux qui sont dans les « deux degrés duhaut », auxquels on n’accède qu’aprèsplusieurs années d’engagement, sont de800 à 850 000. Ceux qui sont dans lesdegrés du « bas » (nominalement, ils sont« aimants » ou « affiliés ») sont beaucoupplus de deux millions. On n’adhère pas à la confrérie, elle vouscoopte. Sa stratégie de recrutement pro-cède peu ou prou ainsi : ses membres« entourent » un candidat dont on a pu

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La Confrérie est un mouvement de masse pluriel, recrutant dans toutes les couches sociales des individus ayant toutes sortes de sensibilités. Elle est aussi un appareilsecret, fermement tenu par la branche la plusradicale, dont la baseprovinciale est trèstravaillée par le salafisme.

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observer que son comportement étaitconforme aux préceptes de la morale islamique. Ils l’aident, prient avec lui, dis-cutent et font des choses avec lui, et,imperceptiblement, le testent. À unmoment, ledit candidat comprend queses amis font partie d’une organisationefficace et admirable. S’il ne l’a pas com-pris, on finit par le lui dire et on lui pro-pose d’en faire partie. Il dit souvent oui,car son univers est déjà devenu « frère ».Les expatriés dans le Golfe ou les jeunesétudiants issus des classes moyennesprovinciales et qui arrivent pour la pre-mière fois en ville quand ils s’inscrivent àl’université, sont des cibles privilégiées.Beaucoup d’activités « frères », poli-tiques, caritatives ou sociales, gravitentautour de la mosquée, et ce alors mêmeque la confrérie ne compte pas, en sesrangs, beaucoup d’ulémas.Recruter quelqu’un dont le comportementest « islamique », c’est recruter des genstrès divers. La Confrérie est un mouve-ment de masse pluriel, recrutant danstoutes les couches sociales, même si laprédominance des classes moyennes pro-vinciales est très nette, des individusayant toutes sortes de sensibilités. Maiselle est aussi un appareil secret, et ce der-nier est fermement tenu par la branchequtbienne1 la plus radicale (radical peuttrès bien aller de pair avec pragmatique.Pragmatique ne veut pas dire démocra-tique et ne veut pas dire sans idéologiecontraignante. Radical, enfin, ne veut pasdire violent). Mouvement de masse plu-riel, disais-je : mais il convient de voirque sa base provinciale est très travailléepar le salafisme. Ceci a de lourdes consé-quences sur la marge de manœuvre de ladirection.

Une force hégémoniqueLa Confrérie a été persécutée par Nasser,(qui ne lui pardonna pas l’attentat deManchiyya en octobre 1954), ménagéevoire choyée par Sadate et lors des dix premières années de la présidenceMoubarak, puis harcelée depuis 1992par ce dernier. Elle est, depuis au moinstrente ans, la principale force politique dupays et elle n’a cessé de monter en puis-sance, en effectifs et en influence. Sa per-

formance électorale, lors des législativesde 2005, a été impressionnante.En ce qui concerne son rôle pendant la révolution, la « guerre des récits » acommencé et les mérites des différentsacteurs sont l’objet d’âpres débats. Enl’état actuel de la recherche, on peut affirmer ce qui suit. Les Frères ont annon-cé, le 24 janvier, que la Confrérie ne par-ticiperait pas aux manifestations du lende-main, mais ont donné à leurs militantsl’autorisation d’y aller « à titre personnel,sans engager les Frères ». À la surprisegénérale, beaucoup de militants ont déci-dé, malgré les réserves de la direction, deprendre part à la contestation. Comprenant,le 27, qu’il y avait une lame de fondexceptionnelle, les Frères ont décidé dejeter toutes les forces dans la balance.Reste à savoir si l’entrée en jeu effectivea eu lieu dès la journée cruciale du 28 ouun peu après – je penche pour le premierterme de l’alternative, mais il n’y a pasunanimité sur ce point. Le service d’ordreet la logistique des Frères ont ensuite jouéun rôle central dans le succès du soulè-vement.La Confrérie vient (après la Révolution)de créer un parti, qui est désormais sonémanation politique, qui accepte desmembres non musulmans et considèreimmédiatement les militants comme desmembres à part entière (alors qu’il faut,au sein de la Confrérie, de longuesannées d’initiation). Il est trop tôt pour seprononcer sur les relations entre la mai-son-mère et le parti naissant, mais il y alieu de croire que le lien ombilical ne serapas coupé, contrairement aux vœux deceux qui estiment qu’il faut radicalementséparer activités/discours politiques etactivités/discours de prédication.Les Frères sont la force hégémonique dupaysage électoral égyptien, très morcelé ;et tous les sondages et observateurs esti-ment que, sauf accident majeur, ils ledemeureront quelques années. Mais cetteforce représente-t-elle un tiers de l’électo-rat, ou beaucoup plus ? Les divers son-dages penchent pour la première solution,mais force est de reconnaître que l’on neconnaît pas la carte électorale du pays(qui, de surcroît, a probablement beau-coup changé avec la révolution). La défi-

nition des enjeux d’une élection, qui est(entre autres) le jeu d’interactions entrebeaucoup de projets, peut permettre auxFrères de faire beaucoup mieux ou (c’estpeu probable, même si les Frères commet-tent beaucoup d’erreurs) beaucoup moinsbien.

Des signaux inquiétantsCette hégémonie pose la question de laconversion démocratique de la Confrérie.L’acceptation du principe de citoyenneté,des règles de la démocratie et le respectdes libertés fondamentales par la princi-pale force du pays sont cruciaux pour lesuccès d’une transition démocratique.Force est de constater qu’elle est très loindu compte et qu’elle ne veut et ne peutaller très loin. Elle a certes renoncé(depuis trente-cinq ans) à la violence et aaccepté le principe du multipartisme. Elleaccepte aussi le principe de la désigna-tion du chef de l’Exécutif par le peuple,tout en interdisant la magistrature suprêmeà un non-musulman ou à une femme.Mais, sur les questions de l’égalité descitoyens, des libertés fondamentales, dudroit du peuple à légiférer sans contrôledes spécialistes ès sciences religieuses,entre autres, sa position est insatisfaisanteet, pire, elle multiplie les signaux inquié-tants. De surcroît, son attitude vis-à-visdes obligations internationales de l’Égypte(la paix avec Israël) et de la dépendanceégyptienne à l’égard du tourisme n’estpas rassurante. Ses pratiques sur le ter-rain, comme par exemple son penchant àprésenter toute position autre que la sien-ne comme celle des ennemis de la reli-gion, ou une brutalité certaine à l’égarddes adversaires et concurrents politiques,aggravent la donne.La stratégie et les objectifs à court etmoyen terme ne sont pas très lisibles,probablement, selon moi, parce que laConfrérie navigue à vue et parce que laconjoncture égyptienne est très fluide. Onpeut affirmer ce qui suit : les Frèresavaient promis de s’autolimiter, de ne pasbriguer la magistrature suprême et de ne

1 - Les qutbiens sont les disciples de Sayed Qutb (1906-1966), écrivain,idéologue islamiste influent et principale figure des Frères musulmanségyptiens dans les années 1950 et 1960. Il fut exécuté par pendaisonsous Nasser. (ndlr)

présenter des candidats aux législativesque dans un tiers des circonscriptions. Ilsont depuis revu leurs objectifs à la hausseet présenteront des candidats dans lamoitié des circonscriptions (cela peutencore changer). Ils font partie d’une coa-lition qui inclue plusieurs partis, dont desformations salafistes et le Wafd. Cette coalition a d’excellentes chances deremporter une majorité confortable,même si ce n’est pas certain. Mais survi-vra-t-elle à une éventuelle victoire ? Seproposera-t-elle de rédiger la nouvelleConstitution, de gouverner directement,de faire les deux ? S’autolimitera-t-ellepour tenir compte des réserves de l’armée(le chef d’état-major vient de déclarerqu’un État civil, c’est-à-dire acceptant leprincipe de citoyenneté, est une questionde sécurité nationale, c’est-à-dire unequestion non négociable), des forces poli-tiques non islamistes, des classesmoyennes urbaines et de l’industrie dutourisme ? Les Frères se contenteront-ils

du rôle de faiseur de roi, avec une mino-rité de blocage ? Il est extrêmement diffi-cile de répondre, puisque la situation esttrès mouvante, le rapport de forces chan-geant, les acteurs multiples, les agendascomplexes et les passions contradictoires.Tels acteurs peuvent être des alliés surtelle question, des adversaires sur telleautre. Les forces démocratiques nesavent pas si elles doivent faire le jeu desFrères, essayer de les arracher à l’allianceavec les salafistes, ou chercher la protec-tion des militaires, quitte à leur donner unrôle important dans la vie politique. Lesclasses moyennes cairotes sont minori-taires, par définition, mais peut on se lesaliéner ? etc.Il me reste à évoquer la question desdivisions internes de la Confrérie. Ilconvient de distinguer deux problèmes :celui de la discipline interne et celui desscissions. D’une part, tous les observa-teurs ont relevé que la base n’obéissaitplus automatiquement à la hiérarchie,

que le rejet général des rapports d’auto-rité, qui traverse toute la société égyp-tienne, a atteint la Confrérie. Mais, sicela accroît l’incertitude et compliquel’analyse, cela ne joue pas forcément enfaveur d’une modération ou d’une démo-cratisation. La base est en effet souventplus salafiste que le sommet. D’autrepart, la répression moubarakienne avaitrenforcé la cohésion de la confrérie : lesmilitants, cadres et dirigeants islamistesdémocrates, c’est-à-dire acceptant leprincipe de citoyenneté, le pluralisme etde ne pas sous-entendre en permanenceque leur adversaire est celui de l’islam,prônant la séparation de la prédication etdu politique, ne quittaient pas la Confrérietant que cette dernière était persécutéepar l’ancien régime. L’hypothèque a étélevée et certains ont commencé à le faireet tentent de s’organiser. Quantitativement,la perte n’est pas immense. Mais quali-tativement ? n

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La diaspora égyptienneà la recherche d’une place dans la nouvelle Égypte

Par Ahmed Abdel HakamEmile Zola 2010Avocat inscrit au barreau d’Égypte

Le régime Moubarak n’a jamais voulu intégrerà la vie politique et économique les quelques huit millionsd’Égyptiens vivant à l’étranger. Le régime issu de la révolution du 11 février a marquéune forte volonté d’intégrer cette diaspora et d’encourager saparticipation la constructiond’une Égypte démocratique.

Le 11 février 2011, les rues du quartierdu Queens à New York, le quartier de

Mayfair à Londres, la place de l’Uruguay- avenue d’Iéna à Paris, la Darwin Avenueà Canberra et les rues d’autres capitales,avaient toutes un point commun. Ellesétaient le théâtre d’un spectacle uniqueen son genre. Des dizaines, voire des cen-taines d’Égyptiens accompagnés de res-sortissants des pays dans lesquels ilsvivent, ont accueilli la démission deMohamed Hosni Sayed Moubarak avecdes cris de joie et un soulagement incom-mensurables. Ces personnes dansaient etscandaient des slogans rendant homma-ge à l’Égypte et à sa liberté retrouvée.Cette joie et ce soulagement sont à lahauteur d’une frustration que connais-saient et connaissent encore les immigréségyptiens. Une frustration qui a diversesorigines : pauvreté, persécution politiqueou discrimination religieuse, qui les ontpoussés à l’exil.Selon les estimations officielles du gouver-nement de la République arabe d’Égypte,huit à neuf millions d’Égyptiens vivent àl’étranger. Ils se répartissent, par ordredécroissant, entre les pays de la péninsulearabique, l’Europe, l’Amérique du Nord, etl’Australie. Ces immigrés ressentent tousun fort attachement à leur pays, et mani-festent leur volonté d’y retourner un jour.Ce lien se matérialise par le soutien finan-cier qu’ils apportent à leurs familles enÉgypte et par leur souci de s’impliquerdans la vie politique de l’Égypte. Cet enga-gement a atteint son point culminantdurant la révolution du 25 janvier 2011.En dépit de quelques tentatives avortéesde plusieurs gouvernements égyptiens,d’Atef Sedky (1986-1996) à Ahmed Nazif(2004-2011), l’ancien régime n’a jamaisporté la moindre attention à cette diaspo-ra représentant environ 10% de la popu-lation (82 millions d’habitants). En dépitde son importance démographique et éco-nomique, la diaspora ne s’est jamais vuaccorder le droit de participer à la vie

publique égyptienne. En effet, elle étaituniquement considérée par le régimecomme un outil économique et politique.Sur le plan économique, le montantannuel des transferts de devises effectuéspar les Égyptiens vivant à l’étranger s’élèveà 9 milliards de dollars. Il s’agit d’une destrois principales ressources de l’État égyp-tien avec les revenus du tourisme et lesdroits de passage du canal de Suez. Sur leplan politique, les gouvernements de l’èreMoubarak considéraient ses ressortissantsvivant à l’étranger, surtout ceux vivant enEurope ou en Amérique du Nord, commedes outils de propagande relayant leurspolitiques. Je pense notamment à la ques-tion copte. Les intellectuels osant sortir dudiscours officiel en racontant la réalité del’Égypte étaient automatiquement dépeintsen traîtres et en agents à la solde de« gouvernements étrangers ».

L’éternel rôle de « carnet de chèques »Avec la forte volonté politique du nouveaugouvernement Sharaf et dans l’optique deconstruire une Égypte démocratique, ilest crucial d’entreprendre aujourd’huiune démarche d’intégration en associantces Égyptiens vivant à l’étranger à la vie politique et économique de leur pays.Dans cette optique, le premier pas d’unepolitique renouvelée à l’égard de la diaspora consiste à leur accorder le droitde vote ainsi que la possibilité de se présenter aux élections municipales, par-lementaires et à l’élection présidentielle. Ensuite, il est nécessaire d’encouragerles gens de la diaspora à rejoindre lespartis politiques égyptiens afin de nor-maliser leur engagement dans la vie poli-tique égyptienne et de ne plus les can-tonner à l’éternel rôle de « carnet dechèques ». Pour ce faire, il est importantque les partis politiques, de toutes lessensibilités, créent des relais à l’étrangerpermettant de faire remonter les préoc-cupations et revendications de cette

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partie de la population. Les immigréségyptiens doivent dépasser et surmonterleur méfiance à l’égard de la vie politiquelongtemps agonisante, opaque et mar-quée par un manque de dynamisme.Par ailleurs, il serait légitime de per-mettre aux Égyptiens de l’étranger de seprésenter aux élections législatives etd’occuper des postes dans l’administra-tion sous certaines conditions, comme,par exemple, avoir vécu un certainnombre d’année en Égypte, la maîtrisede la langue, l’obtention d’un diplômeuniversitaire égyptien, sans pour autantexiger leur renoncement à leur doublenationalité. Cette proposition, n’est pasune nouveauté dans le monde arabe. Eneffet, certains États arabes voisins, commele Maroc, ont au sein de leur Chambre des

représentants, des députés (des Marocainsde l’étranger) qui représentent les commu-nautés vivant à l’étranger.La connaissance des mesures destinéesà favoriser l’investissement de la diaspo-ra en Égypte doit se diffuser. Les poli-tiques actuelles vont en ce sens (loi n°111/1983). La participation écono-mique de la diaspora pourrait ainsi setransformer en un investissement long etdurable pour la croissance de l’Égyptesous la forme de rente. Cette prise departicipation active dans l’investissementet le développement structurel de la nationencourage et renforce le lien qu’entre-tient la diaspora avec la vie publiqueégyptienne. Le nouveau Parlement, dontla date d’élection n’est pas encore fixée,devra fournir le cadre juridique favorable

à l’encouragement de l’investissement età la participation politique des Égyptiensà l’étranger, en tant qu’individus ou insti-tutions, dans les projets institutionnelsou sociaux en Égypte. Il y a une grande énergie chez les Égyp-tiens à l’étranger et un désir de contri-buer à la construction d’une Égyptedémocratique. Beaucoup d’entre eux ontune importante expérience dans des sec-teurs vitaux à notre société et qui souf-frent de graves lacunes, comme l’éduca-tion, la santé et les services sociaux. Cesexpériences sont autant d’énergies quipeuvent être canalisées pour participer àla gestion et au financement de projetséconomiques à relever les taux d’emploi,réduire la pauvreté et bâtir ainsi unedémocratie moderne. n

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Algérie : Le calme avant la tempête ?

Par Akram Belkaïd1

Journaliste et essayiste

E t l’Algérie ? Cette question ne cessed’être posée depuis que le monde

arabe est entré dans une phase historiquede bouleversements politiques. En effet,nombre d’observateurs s’interrogent surles raisons qui font que la populationalgérienne n’a pas investi la rue pour exiger la chute du régime comme ce futle cas chez ses voisins tunisiens, égyptiensou libyens. Il faut toutefois relativiser cejugement convenu sur l’apathie supposéedes Algériens en rappelant que leur paysvit en état d’émeutes permanentesdepuis la fin des années 1990. En 2010,un simple bilan établi à partir d’articlesde presse et de dépêches d’agences(APS, AFP) comptabilise plus de 2000manifestations violentes (émeutes, routescoupées, grèves sauvages,...) à travers leterritoire, leur particularité étant quechacune s’est produite de manière isoléeet pour des motifs très précis (attribu-tions contestées de logements, revendi-cations salariales sectorielles, incidentsentre jeunes et forces de l’ordre,…). Une situation qui s’est prolongée en2011 et qui fait dire aux Algériens queleur pays s’agite en marge de ce qui sepasse ailleurs dans le monde arabe etque leur pouvoir n’a pas son pareil aumonde pour gérer sans dommages (pourlui) une terre de jacqueries et de désordresperpétuels… Cela étant, l’Algérie a connudes émeutes violentes à l’échelle nationa-le durant le mois de janvier 2011 maisces dernières ont très vite été répriméespar les forces de l’ordre. De plus, lesmouvements de protestation politique quiont suivi n’ont jamais atteint une ampleursuffisante pour pouvoir déstabiliser le pou-voir algérien qui continue donc d’être épar-gné par les effets du Printemps arabe.

Le poids de la guerre civile des années 1990Deux raisons majeures expliquent cestatu quo apparent. La première est liéeà l’histoire récente. Comme l’ont écrit

nombre d’éditorialistes locaux, la sociétéalgérienne connaît déjà le prix lourd d’unetransition démocratique ratée ou avortée.Ainsi, on n’oublie trop souvent quel’Algérie a connu une expérience d’ouver-ture démocratique à la fin des années1980. Après les émeutes d’octobre 1988où le président Chadli Bendjedid avait faitappel à l’armée pour rétablir l’ordre (plusde 600 morts selon un bilan officieux), lerégime en place s’était résolu à autoriserle multipartisme et la liberté d’association,à engager des réformes économiques et àpermettre la naissance d’une presse indé-pendante. Las, la montée en puissancedu courant islamiste représenté par leFront islamique du salut (Fis) et la résis-tance de nombreux clans du pouvoir peudésireux de perdre leurs privilèges ont euraison du « Printemps algérien » en débou-chant sur une guerre civile (1992-2002)d’une incroyable violence avec un bilanterrible de près de 200 000 morts et 20 milliards de dollars de destructions.Cette expérience dramatique hante enco-re l’Algérie d’autant que le terrorisme n’ajamais totalement disparu. De manièrerégulière des attentats viennent rappelerà la population que son pays n’est finale-ment jamais sorti de la grave crise poli-tique qu’il connaît depuis que l’armée adécidé d’annuler la victoire du Fis auxélections législatives du 26 décembre1991. La société algérienne restant pro-fondément blessée par les conséquencesde la « décennie noire », des mouve-ments de protestation comparables avecceux qui ont eu lieu en Tunisie ou enÉgypte sont donc considérés avec intérêt,mais aussi avec une grande prudencepour ne pas dire une méfiance. Le régimealgérien ayant montré sa capacité à redi-riger contre le peuple toute violence quiviendrait à être exercée contre lui, lapopulation préfère l’attentisme plutôtqu’engager le pays dans une nouvelle

Si l’Algérie donnel’impression d’être restéeen marge du « Printempsarabe », c’est qu’elle aconnu une expérience detransition démocratiqueavortée. La société algérienne resteprofondément blessée parles conséquences de la « décennie noire »(1992-2002). Des mouvements deprotestation comparables à ceux qui ont eu lieu en Tunisie ou en Égyptesont considérés avecintérêt mais aussi avec une grande prudence.La population préférel’attentisme plutôtqu’engager le pays dans une nouvelleaventure sanglante.

1 - Auteur de l’ouvrage Etre Arabe Aujourd’hui, Editions Carnetsnord,septembre 2011.

aventure sanglante. Cela explique pour-quoi les tentatives menées par une partiede l’opposition de manifester chaquesamedi pour réclamer des réformes politiquesn’ont pas été très suivies et très soute-nues. Outre le fait que le régime adéployé d’importantes forces de l’ordre –la presse a estimé qu’il y avait cent poli-ciers pour un manifestant (!) –, de nom-breux Algériens, pourtant peu suspects desympathie pour le régime, ont été très critiques à l’égard de ce mouvement enlui reprochant de mettre en danger unepaix civile toujours fragile. Il faut releverau passage que la crise libyenne a consti-tué, du moins jusqu’à la fin juillet, dupain béni pour le régime algérien. Lesaffrontements armés entre pro et antiKadhafi lui ont permis de rappeler à sapopulation que l’usage de la violencecontre un pouvoir politique quel qu’il soitpeut non seulement conduire à la guerrecivile mais aussi à l’intervention de forcesétrangères occidentales.

Une aisance financière qui permet d’acheter la paix socialeLa seconde explication de l’absence decontestation politique majeure en Algérieest d’ordre socio-économique. Les émeutesde janvier 2011 ont mis en exergue uneligne de faille qui divise la société algé-rienne. La majorité des manifestants étaitcomposées de jeunes de moins de vingt-cinq ans, c’est-à-dire une frange de lapopulation qui est née et qui a granditavec la violence armée et la crise poli-tique. À l’inverse, les plus âgés se sonttenus à distance du mouvement de pro-testation estimant qu’ils y avaient plus àperdre qu’autre chose. Cette prudence aété accentuée par la décision du gouver-nement algérien d’ouvrir les vannes finan-cières. De nombreux corps de fonction-naires ont ainsi vu leurs salaires augmen-ter, souvent avec effet rétroactif, et desconsignes fermes ont été données auxadministrations pour accorder les créditsnécessaires aux jeunes souhaitant créerleur propre commerce ou affaire. Avec150 milliards de dollars de réserves dechange et un revenu annuel moyen del’ordre de 50 milliards de dollars, le régi-me du président Abdelaziz Bouteflika a

pu bénéficier de moyens financiers dontne disposaient ni Ben Ali ni Moubarak.Cette aisance pèse lourd dans l’équationpolitique algérienne. Dans un pays oùl’argent coule à flot nombreux sont ceuxqui, sans porter le régime dans leur cœur,lui sont gré de les laisser faire du busi-ness. Certes, les disparités et les inégalitéssociales sont de plus en plus importanteset l’on dit souvent que l’Algérie est unpays riche avec une population pauvre. Iln’empêche. L’argent du pétrole et l’affai-risme ambiant contribuent au statu quo.D’ailleurs, si l’on devait faire le lien avecoctobre 1988, on rappellera qu’à cetteépoque l’Algérie touchée de plein fouetpar la chute des prix du pétrole consécu-tive au bras de fer entre l’Arabie Saouditeet l’Iran faisait face à une grave crise éco-nomique. C’est loin d’être le cas aujour-d’hui où les prix des hydrocarbures (95%des recettes extérieures de l’Algérie) attei-gnent des sommets. Dès lors, on com-prendra mieux pourquoi le régime nesemble vouloir faire aucune concession. À la mi-avril, le président Bouteflika avaitpourtant annoncé des réformes et un dia-logue politique. Plus de quatre mois plustard, rien de concret n’avait changé et lesAlgériens ont continué à vivre le Printempsarabe par procuration devant leur postede télévision. Bien plus important, lamise en cause des autorités algériennespar le Conseil national de transition libyen(CNT) pour leur soutien, réel ou imaginai-re, au régime de Kadhafi et pour l’asileaccordée à une partie de sa famille leur apermis d’en appeler au sentiment nationa-liste des Algériens. Ces derniers, quellesque soient leurs idées politiques, n’appré-cient guère que leur pays soit critiqué parl’étranger, surtout quand ce dernier est unallié de l’Otan…

Un statu quo intenableLe pouvoir algérien est donc persuadéqu’il pourra survivre aux effets duPrintemps arabe. Pour autant, de grosnuages s’amoncellent à l’horizon. Sur leplan interne, le pays vit une ambiance defin de règne marquée par la maladie duprésident Bouteflika et par l’incertitudequi entoure à la fois sa capacité à aller au

terme de son mandat (2014) mais aussiautour de son éventuelle succession. Lestensions entre les différents clans du pou-voir ainsi que la résurgence du terrorisme,notamment les attentats suicides revendi-qués par Al Qaïda au Maghreb (Aqmi)inquiètent les Algériens. Ces dernierscraignent que l’ajustement politique ne setraduise par de nouvelles violences et, aufinal, par une nouvelle période d’affronte-ments civils. Dans le même temps, cetimmobilisme sur le plan politique risquetôt ou tard de radicaliser la population etde pousser cette dernière à investir la rue.L’aisance financière dont bénéficie le régi-me n’étant pas éternelle, les difficultéssociales peuvent en effet à tout momentembraser le pays. Sur le plan international, l’Algérie vadevoir gérer les conséquences de la chutedu régime de Kadhafi. Plus ou moins iso-lés sur le plan diplomatique, montrés dudoigt par les médias internationaux,notamment arabes, pour leur refus dedémocratiser leur pays, les dirigeantsalgériens restent néanmoins convaincusqu’il leur faut juste faire le dos rond etattendre de meilleurs jours. En effet,nombre d’entre eux sont persuadés quel’expérience démocratique tunisienne vavite tourner court avec une arrivée aupouvoir des islamistes et que la Libye vasombrer dans la guerre civile entre lesdiverses factions du CNT. Dès lors, esti-ment-ils, leur régime va redevenir recom-mandable et la communauté internatio-nale, notamment l’Europe et les États-Unis, seront forcés de s’appuyer sur Algerpour préserver la stabilité de laMéditerranée de l’Ouest. Un calcul poli-tique qui, même s’il se vérifie, ne résou-dra en rien la fracture entre un pouvoirpersuadé qu’il durera toujours et unepopulation qui n’en peut plus d’attendreune amélioration de son sort sur le planéconomique mais aussi en matière delibertés politiques et individuelles. n

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La Constitution marocaineest un écran de fumée

Il ne suffit pas qu’un régime s’abstiennede mitrailler son peuple à l’arme automatique pour qu’il mérite d’êtrequalifié de démocrate !Cette Constitution n’est rien d’autre qu’un écran de fuméedestiné à abuser ceux qui veulent bien l’êtreou ceux qui sont trop paresseux pour allerdans le détail.

Entretien avec Ahmed BenchemsiFondateur du magazine marocain TelQuelChercheur à l’université de Stanford

Àen croire une majeure partie desmédias occidentaux, le Maroc est le

pays qui a le mieux géré le « printempsarabe ». Le roi a vite pris la mesure de lanécessité du changement, a formé unecommission chargée de rédiger une nou-velle constitution plus libérale et l'a sou-mise à référendum. Le texte fut adoptétriomphalement. La contagion des révo-lutions arabes fut évitée. Vous faites par-tie de ceux qui ne souscrivent pas àcette lecture et qui font part de leurscepticisme. Pourquoi ? Cette myopie des médias occidentaux esttout à fait extraordinaire. Son point culmi-nant consiste à s’aveugler sur« l’éléphant dans la chambre »comme disent les Américains :le taux de « oui » au référen-dum, 98,5% ! Comment peut-on ignorer un chiffre aussiévidemment révélateur de lafraude massive qui a carac-térisé ce scrutin, et conti-nuer à parler de « progrèsdémocratique » comme si derien n’était ? Honnêtement, ça me dépasse.Encore, que Sarkozy parle de « processusexemplaire » et Juppé de « décision claireet historique du peuple marocain » peut sejustifier, cyniquement et mezzo voce, parl’intérêt supérieur de la France et de sesmultinationales. Mais qu’est-ce qui justifieque le Wall Street Journal écrive comme ill’a fait : « Normalement, les scores de99 % sont réservés aux anciennes répu-bliques soviétiques, mais dans le cas duMaroc, il est bien possible que cela soit cré-dible » ? Pourquoi les Marocains, parmitous les peuples du monde, seraient-ils« crédibles » dans la posture d’automatesorwelliens ? Une telle condescendance lais-se pantois ! Le New York Times a mêmepublié une tribune titrée « Hail the demo-cratic king ! » (« Gloire au roi démocra-te ! ») Je n’en croyais pas mes yeux !

Idem pour le contenu de la Constitution :peu avant le référendum, une journalistede la BBC qui m’avait invité pour unentretien démarrait sa question par :« Les Marocains s’apprêtent à voter uneConstitution qui réduit de beaucoup lespouvoirs du roi ». Quand j’ai eu la parole,j’ai précisé que ce n’était pas là un faitmais un point de vue que, du reste, je nepartageais pas. Et qu’à la lire de plusprès, non seulement cette Constitution neréduit en rien les pouvoirs du roi mais aucontraire, elle les élargit et les renforce.Alors la journaliste m’a répondu : « Vousauriez préféré qu’il n’y ait pas de change-

ment du tout, plutôt que ceque vous considérez commedes changements réduits ? »J’en suis resté baba ! Parquel phénomène d’hypnoseles médias internationauxles plus respectés (la BBC,mon Dieu !) sont-ils prêts àêtre agressifs plutôt quesortir de ce fantasme d’unemonarchie marocaine mira-

culeusement convertie à la démocratie ? À la réflexion, ce phénomène a deuxexplications principales. D’abord, la dis-torsion induite par la relativité. Vue sousle prisme libyen, syrien ou bahreïni, laréaction de la monarchie marocaine auxmanifestations de rue consécutives au« printemps arabe » paraît, certes, rai-sonnable. Mais enfin, il ne suffit pasqu’un régime s’abstienne de mitrailler sonpeuple à l’arme automatique pour qu’ilmérite d’être qualifié ipso facto de démo-cratie ! Je sais bien qu’au delà d’un cer-tain niveau de complexité, les grandsmédias internationaux se cabrent etqu’un peu de simplification est inévitable,mais tout de même… La deuxième explication, c’est qu’en plusd’organiser un référendum plutôt qu’unmassacre, le Palais royal marocain a grasse-

Bel exemple deserpent qui se mordla queue : commentpeut-on « primer »sur quelque chose

« dans le cadre » decette même chose ?

ment payé des cabinets de lobbyingaméricains (et sans doute européens)pour présenter l’image la plus reluisantepossible des « réformes »en cours. Comme ces cabi-nets envoient des commu-niqués de presse tous azi-muts à des journalistes quiaiment qu’on leur mâche letravail, et que, par ailleurs,le Maroc n’est pas un paysassez important, géopoliti-quement, pour que lesgrands médias perdent leurtemps à gratter le vernis, au final et l’undans l’autre… « Hail the democraticking » !

Vous n’êtes manifestement pas enchan-té par le nouveau texte constitutionnel.Pouvez-vous d'abord nous rappeler lesprincipales avancées que vous saluez, etensuite évoquer les critiques que vousadressez à ce texte ?Je vais citer Beaumarchais à l’envers :pour qu’un blâme semble libre (c’est-à-dire crédible), il faut bien quelques élogesflatteurs. C’est en général la politique queje m’impose quand je critique quelquechose : mettre en relief le bon côté avantde m’attaquer au mauvais. Mais pour lecoup, je vais prendre le risque d’apparaîtrecomme un radical : je ne vois aucune avan-cée sérieuse dans cette Constitution ! C’estsûr, elle fourmille de belles phrases sur laliberté, la démocratie, les droits, etc. (c’estd’ailleurs là dessus que brodent ses apo-logistes). Mais j’ai été journaliste politiqueau Maroc pendant 15 ans, je connais lamusique. Les déclarations d’intention dela monarchie ne l’engagent à rien (sinon àberner ceux qui sont prêts à l’être), si ellesne sont pas accompagnées de méca-nismes d’application concrets. On a ainsiapplaudi parce que le préambule de laConstitution affirme « l’attachement (duroyaume) aux droits de l’homme ». Etalors ? La Constitution précédente disait lamême chose, ça n’a pas empêché larépression, la torture, la censure ! En revanche, quand il s’agit de fournirdes arguments légaux précis, potentielle-ment générateurs de dangereuses juris-prudences, le texte constitutionnel se fait

soudain moins généreux. Exemple : s’il yest bien stipulé que les conventions inter-nationales ratifiées par le royaume (sur le

respect des droits del’Homme, par exemple) ont« la primauté sur le droitinterne du pays », comme leprévoit la règle universelle,cette primauté s’exerce…« dans le cadre des disposi-tions de la Constitution etdes lois du royaume » ! Belexemple de serpent qui semord la queue : comment

peut-on « primer » sur quelque chose« dans le cadre » de cette même chose ? Comme si les rédacteurs de la Constitutionétaient vaguement conscients qu’ils n’ar-riveraient pas à duper tout le monde, ilsont ajouté pour faire bonne mesure que leroyaume du Maroc s’engage à « harmoni-ser en conséquence les dispositions perti-nentes de sa législation nationale ».Notons : pas toutes les dispositions, justeles « pertinentes » ! Mais qui diable juge-ra de cette « pertinence » ? Estimera-t-on« pertinent », par exemple, d’éliminerl’article 41 du Code de la presse qui punitde 5 ans de prison tout journaliste qui« manque au respect dû au roi » (formu-lation particulièrement floue, du reste),au prétexte que le Maroc a ratifié desconventions internationales garantissantla liberté d’expression ? Permettez-moid’en douter…Et ça continue comme çasur des pages et des pages. Des bellesidées et des symboles forts à la louche,mais dès qu’on entre dans les disposi-tions pratiques, virage à 180° ! La consti-tutionnalisation du tamazight (langueberbère), désormais co-langue officielleavec l’arabe, relève de la même logique.En satisfaisant la revendication n°1 dumouvement berbère, la monarchie sembleavoir fait une concession majeure.

Mais concrètement, qu’implique le sta-tut de langue officielle ? La Constitution précise bien, quelqueslignes plus loin, qu’« une loi organiquedéfinit le processus de mise en œuvre ducaractère officiel (du tamazight), ainsique les modalités de son intégration dansl'enseignement et aux domaines priori-

taires de la vie publique, et ce afin de luipermettre de remplir à terme sa fonctionde langue officielle ». « À terme » ? Quelterme ? Et selon quelles « modalités » ?Seule cette mystérieuse « loi organique »(qui n’existe pas encore) le déterminera.Et qui rédigera cette loi ? Le parlement,avec ses 1001 nœuds procéduraux quifont qu’aucune loi ne passe jamais sansl’aval du Palais royal ? Ou le roi lui-même, qui garde le pouvoir de légiférerpar dahirs (décrets royaux) ? Rappelonsque l’enseignement du tamazight dansles écoles, promesse royale bien antérieu-re à cette Constitution, puisqu’elle datede 2001, n’est toujours pas mise enœuvre à ce jour… Ce qui s’applique auculturel fonctionne aussi pour l’écono-mique. Personnellement, mon article pré-féré de cette Constitution est le 36, quistipule que « le trafic d'influence et deprivilèges, l’abus de position dominanteet de monopole, et toutes les autres pra-tiques contraires aux principes de laconcurrence libre et loyale dans les rela-tions économiques, sont sanctionnés parla loi ». Fantastique… si une telle loi exis-tait, ce qui n’est pas le cas.

Concrètement, aucune disposition légaleou même règlementaire n’interdit toutcela au Maroc. Forcément : grâce à l’influence politiquecolossale de leurs managers, les holdingsprivés du roi réalisent tous seuls jusqu’à10 % du Pib ! En attendant ce jourimprobable où une loi (là aussi : qui larédigera ?), définira le « trafic d’influenceet de privilèges », « l’abus de positiondominante » et « l’abus de monopole »(sic !), Mohammed VI pourra continuer àcontrôler tranquillement 60 % de la filia-le laitière et 100 % de la production desucre du royaume — sans parler du grou-pe Attijariwafa, plus gros mastodontebancaire privé du Maroc et même duMaghreb ! Voilà pour les grandes idées. Quant aux mécanismes de distribution dupouvoir, là où les périphrases n’ont pluscours, la Constitution est très claire : lechef du gouvernement, nommé par le roi,a beau être issu du parti arrivé en tête auxélections législatives (je vous épargne lafoule de moyens techniques – et anti-

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Il ne suffit pas qu’unrégime s’abstiennede mitrailler sonpeuple (…) pourqu’il mérite d’êtrequalifié ipso factode démocratie !

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démocratiques – dont dispose le ministè-re de l’Intérieur pour maîtriser les résul-tats électoraux à l’avance), il n’a aucunpouvoir de décision autonome et doitobtenir l’aval du roi pour à peu près tout– « sauf pour aller aux toilettes », a préci-sé un militant de gauche qui a de l’hu-mour. Le chef du gouvernement necontrôle même pas sa propre équipe,puisque c’est le roi qui la nomme et quila démet à discrétion ! La séparation des pouvoirs ? Une farce,sachant que le roi préside le Conseil de lamagistrature (rebaptisé pour la forme « pou-voir supérieur »), lequel contrôle les car-rières des juges de bout en bout. Idempour l’armée et les services de sécurité, quele roi contrôle sans partage à travers unenouvelle instance centrale,qui n’existait d’ailleurs pasdans la Constitution précé-dente. Une dernière pour laroute : l’opinion internationa-le s’est ébaubie du fait que leroi du Maroc renonce à soncaractère « sacré », aban-donné dans la nouvelle mou-ture de la Constitution.Extraordinaire progrès démo-cratique ! Sauf que, si le roi n’est plussacré dans les mots, il l’est toujours enpratique : d’abord à travers tous les pou-voirs faramineux cités précédemment etdont il continue à jouir sans entraverendre de comptes à personne ; ensuite àtravers un autre texte : celui de la décla-ration coutumière d’allégeance… qui« double » la Constitution, en toute sim-plicité. Le 30 juillet dernier, un mois après le votede la nouvelle Constitution, la cérémonieannuelle de « reconduction de l’allégean-ce » a eu lieu sans changement sur leparvis du palais royal : des milliers denotables et d’officiels se sont courbés encadence au passage du roi, vêtu et deblanc et juché sur un pur-sang, desdizaines d’autres ont fait la queue pour luiembrasser la main… Heureusement qu’avectout ça, le roi n’est plus sacré ! Bref, vousl’aurez compris : cette Constitution n’estrien d’autre qu’un écran de fumée, desti-né à abuser ceux qui veulent bien l’êtreou ceux qui sont trop paresseux (ou pas

assez concernés) pour aller dans le détail.Dans les faits, la monarchie marocaineest encore plus absolue aujourd’hui qu’el-le ne l’était hier. Sachant combien ellel’était hier, c’est une performance !

Le mouvement du 20 février, moteur desmanifestations publiques qui ont conduità cette réforme constitutionnelle, sembles’être aujourd’hui essoufflé. Pourquoi ? Il s’est essoufflé parce qu’il n’avait pasassez de coffre ! Les jeunes cyber-acti-vistes qui ont lancé le mot d’ordre desmanifestations du 20 février 2011 surFacebook ont été les premiers surpris parl’affluence populaire. Mais celle-ci étaitdue, en grande partie, au climat interna-tional : Ben Ali et Moubarak venaient de

tomber, on pensait la chutede Kadhafi et d’Assad immi-nentes… L’euphorie révolu-tionnaire était générale etc’est parce qu’il a senti le danger immédiat queMohammed VI a annoncéune révision constitutionnel-le très vite, deux semainesaprès la première manif’.Puis le Makhzen (pouvoir

royal) a joué la montre, gagné du temps– une stratégie qui s’est révélée payante.Avec l’enlisement de la guerre en Lybie etl’écrasement de la rébellion syrienne,l’euphorie populaire est retombée dans lemonde arabe, y compris au Maroc. Sur la gestion du calendrier, le Makhzen aclairement démontré sa supériorité et sonexpérience sur les jeunes novices du 20février. Grisés par leur succès, ces der-niers pensaient que mobiliser les foulesdans la durée allait de soi. Grosse erreur !Pour cela, il aurait fallu de la stratégie,des mots d’ordre bien pensés, un agendaet un calendrier et, condition essentiellede ce qui précède, des structures et desleaders. Les jeunes activistes n’ont pas eula clairvoyance de se doter de tout cela.En revanche, sitôt la vague d’euphorierévolutionnaire passée, le Makhzen a vitefait de mobiliser tous ses réseaux : leministère de l’Intérieur, machine à fabri-quer des manifestants pro-monarchie parmillions, les confréries religieuses dotéesde dizaines de milliers d’adeptes, les

médias publics matraquant la propagan-de royale en boucle et sans pudeur, 7jours sur 7, les mosquées mobilisées enfaveur du « oui »… La campagne référendaire a été un formi-dable rouleau compresseur qui a toutécrasé sur son passage. Le « oui » auraitlargement gagné sans trucage, maisemportés par leur élan et par leurconfiance retrouvée, les piliers duMakhzen (dont le ministre de l’Intérieur)se sont laissés aller : campagne « blitz-krieg » outrageusement déséquilibrée enfaveur du « oui », transports massifs devotants aux urnes par les autorités (avecconsigne de voter « oui », évidemment),absence quasi-totale de contrôle d’identi-té aux bureaux de vote, ce qui permettaitau final de bourrer les urnes à loisir (desvidéos d’officiels farfouillant dans des urnesouvertes sont disponibles sur Youtube), etc.Le résultat : 98,5 % de « oui », un scoreà la mesure du monarque de droit divinque Mohammed VI est toujours. Et avectout ça, les applaudissements des puis-sances occidentales, France en tête !Aujourd’hui, le mouvement du 20 févrierest quasiment inaudible. C’est ce qu’onappelle une défaite par KO.

Pourtant, dans un article publié dans LeMonde le 15 mars 2011, vous avez esti-mé que « la boîte de Pandore démocra-tique est ouverte, et plus rien ne la refer-mera. » Vu la marge de manœuvre trèsétroite des partisans de réformes démo-cratiques plus radicales, qu’est-ce quijustifie cet optimisme ? Le temps joue pour nous. Le Makhzen agagné par KO, mais c’est une victoire àcourt terme. Dans 3 mois, 6 mois, 1 an,3 ans, le Marocain lambda, celui qui avoté « oui » en juillet dernier sans poserde questions, juste parce qu’on le lui ademandé… cet homme-là ou cettefemme-là se rendront compte qu’ils n’onttoujours pas de travail et que la situationéconomique ne s’arrange pas, qu’ils sonttoujours aussi impuissants face au flic età l’agent d’autorité du coin porté sur lesabus de pouvoir, que la justice est tou-jours aussi injuste, la vie aussi chère, etc.Alors, désabusés, ils tendront une oreilleattentive à ces jeunes qui parlent de

Le chef du gouvernement ne contrôle même

pas sa propre équipe,puisque c’est le roi

qui la nomme et quila démet à discrétion !

démocratie et de changement. Je blâmele mouvement du 20 février de ne pasavoir su s’organiser, mais, au fond, cetéchec ne pèse pas lourd face à sa réussi-te majeure, capitale : réveiller la conscien-ce politique des Marocains. Le Makhzenpeut encore tenter des coups de bluff,voire d’hypnose collective, comme cetteConstitution. Mais il ne peut pas refaire le

même coup à chaque fois. Aucun écrande fumée ne peut durer éternellement, etplus on martèle que changement il y a,plus la désillusion est grande quand lepeuple s’aperçoit, un jour, que change-ment il n’y a pas. Les jeunes du 20 févrieront planté une graine, celle de la libertéd’expression, qui mettra le temps qu’ilfaudra pour germer. Mais quand la

conscience citoyenne aura grandi, ellesera très difficile à déraciner… LeMakhzen aurait tort de croire qu’il agagné une fois pour toutes. La roue tour-nera bien assez tôt. n

Propos recueillis par Karim Emile Bitar

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B U L L E T I N D ’ A B O N N E M E N T

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65/ septembre 2011 / n° 414

« Printemps arabe » :pourquoi n’a-t-on rien vu venir ?

Par Patrice Gourdin1

Professeur agrégé de l’Université et docteur en histoire, Professeur de relations internationales et de géopolitique à l’école de l’Air Professeur d’histoire à l’IEP d’Aix-en-ProvenceChercheur-associé au Centre d’histoiremilitaire comparée, géostratégie, défense etsécurité (CHMC) de l’IEP d’Aix-en-Provence.

À l’ère de l’expertise, la question traduitl’impatience des décideurs et l’in-

compréhension des opinions publiques.Nous avons brièvement traité ailleursquelques termes du débat aux États-Unis2

et nous proposons ici d’envisager le rôlede l’analyse géopolitique : cette dernièreaurait-elle permis de prévoir le « printempsarabe » ?À toutes les époques, les dirigeants cher-chèrent à valoriser leurs avantages et àremédier aux obstacles dressés par lescontraintes géographiques, l’inégale répar-tition des ressources, les caractéristiquesdes populations et l’attitude des entitéspolitiques voisines. Mais la géopolitiquecomme savoir et pratique spécifiquesn’apparut qu’au XIXe siècle. L’accélérationstupéfiante de la puissance et de larichesse des pays qui conduisaient larévolution industrielle, dans le droit fil del’optimisme des Lumières, assura letriomphe du scientisme. Ce dernier susci-ta des réflexions visant à dégager des« lois scientifiques » commandant laconstitution des États, régissant leurs rela-tions et déterminant leur hiérarchie. Enfait, sous couvert d’un discours savant,nous étions en présence de constructionsidéologiques destinées à fournir aux déci-deurs politiques des éléments d’analyse etdes arguments. Après la Seconde Guerre mondiale, lagéopolitique, vouée aux gémonies, connutun long ostracisme. Considérée commeresponsable de certains aspects de lapolitique extérieure du IIIe Reich, incom-patible avec le discours de Guerre froideprivilégiant la dimension idéologique del’affrontement Est-Ouest, malmenée parles faits et la progression des connais-sances et des techniques, elle disparut duvocabulaire politique et du champ scien-tifique, même si les préoccupations quil’avaient suscitée persistaient. Lorsque la « logique » bipolaire disparut,entre 1989 et 1991, il apparut que,complexe et désordonné, le monde post-

Guerre froide nécessitait de nouveauxoutils d’analyse. D’une part, la mondiali-sation économique atteignait une ampleurinédite depuis son commencement, en1492, et s’accompagnait d’une extensionuniverselle de problèmes cruciaux (proliféra-tion, criminalité, pandémies, par exemple) ;d’autre part, ressurgissaient des facteursclassiques de crises et de conflits (terri-toires, ressources, différences ethniquesou religieuses, notamment). Alors la géo-politique ressuscita, désormais respec-tueuse des exigences du travail universi-taire. Dans ce cas, pourquoi une disciplinedotée d’une dé-marche rigoureuse, n’a-t-elle rien vu venir ? Et bien parce que sil’on entend par là prédire, il s’agit d’unemission impossible !Pour bien comprendre, il faut partir de ladifférence entre, d’une part, identifier lesfacteurs crisogènes ou belligènes, com-prendre et expliquer leurs interactions aposteriori et, d’autre part, prévoir parqui, où, quand et comment éclatera laconflagration. Le géopolitologue disposede l’ensemble des travaux des scienceshumaines, qui scrutent les États et lessociétés dans toutes leurs dimensions,détectent les éventuels dysfonctionne-ments et reconstituent les scénarios quiengendrèrent les crises, les révolutionset/ou les guerres. Donc, les observateursdûment formés peuvent constater que lesconditions sont réunies et attirer l’atten-tion sur un pays. Mais aucun ne peutsavoir si, quand, par qui et comment lessituations vont déboucher sur desémeutes, un changement de régimeet/ou un conflit. Le scénario du prin-temps arabe illustre cela : les élémentssusceptibles de conduire à la remise encause des dirigeants étaient connus des

La géopolitique dispose de l’ensemble des travauxdes sciences humaines,qui scrutent les États et les sociétés dans toutesleurs dimensions, détectent les éventuelsdysfonctionnements etreconstituent les scénariosqui engendrèrent les crises, les révolutionset/ou les guerres. Les observateurs dûmentformés peuvent constaterque les conditions sontréunies et attirer l’attentionsur un pays. Mais aucunne peut savoir si, quand,par qui et comment lessituations vont débouchersur des émeutes, un changement de régimeet/ou un conflit. Le scénario du printempsarabe en constitue un bonne illustration.

1 - Auteur de Géopolitiques : manuel pratique aux éditions Choiseul(2010).2 - Gourdin Patrice, « Expertise, prévision et divination », Diploweb, 26mars 2011, http://www.diploweb.com/Expertise-prevision-et-divina-tion.html

spécialistes de ces pays. Mais personnene pouvait prédire le lieu, la cause et l’is-sue des mouvements qui défi(èr)ent MM.Ben Ali, Moubarak, Saleh, Kadhafi, Al-Assad et consorts. Ajoutons que les États autoritaires nefavorisent guère l’étude scientifique indé-pendante de leurs sociétés. Or, leserreurs d’optique et les observationsincomplètes génèrent des incompréhen-sions et des contresens. L’actuel « prin-temps arabe » en constituele dernier exemple en date.Le discours dominant pola-risait sur l’enracinementdes dictatures et l’omnipré-sence (voire l’omnipoten-ce) de l’islamisme radical.Or, nous constatons la fra-gilité des régimes autori-taires, l’expression de reven-dications politiques etsociales jusqu’à maintenant dépourvuesde caractère religieux et nous avonsd’ailleurs vu l’embarras initial sinon ledésarroi, signe d’une incompréhension,des Frères musulmans et d’Al-Qaïda. La question se pose désormais de savoirsi la « démocratie-musulmane » à la turqueconstitue la seule option pour échapperau dilemme dictature personnelle outotalitarisme islamiste. Et si la démocra-tie tout court devenait une option, selondes rythmes et des modalités propresaux peuples arabes ? Et si nous assis-tions à l’émergence de la souverainetépopulaire en terre d’islam, à l’entrée dessociétés arabes dans l’État de droit ?Pourquoi cette hypothèse n’était-elle pasenvisagée jusqu’alors ? Peut-être parceque l’on ne prêtait pas assez d’attentionà la jeunesse (notamment la partie diplô-mée et sans emploi), aux frustrationsdiverses de la population, à la révolutionplus ou moins silencieuse produite surles esprits par les nouveaux médias, auxmodes de résistance spécifiques déve-loppés par les populations, à la sclérosedes appareils politiques, par exemple. Legéopolitologue reconnaît bien ici les élé-ments d’un processus de désintégrationet identifie une situation explosive. Pourautant, il ne pourra formuler que deshypothèses.

Rien ne se déroule exactement comme prévuQuant au Prince, son attente est la mêmedepuis toujours. Il veut connaître la seulechose qui lui échappe totalement : l’avenir. Il veut savoir, afin de prendre la« bonne » décision, celle qui assurera lesuccès de sa politique. Certes, il peutagir en tenant le plus grand compte duplus grand nombre de paramètres pos-sible, en créant les conditions les plus

propices à son projet. Iln’empêche, le résultat n’estjamais garanti. Pourquoi larésignation qui paraissaitacquise durablement semue-t-elle brusquement entempête politique et/ousociale, voire en révolu-tion ? Pourquoi les popula-tions opprimées n’éprou-vent-elles soudain plus de

crainte face à la répression sanglante ?Comment parviennent-elles à s’organiseren dehors de partis, de juntes ou dechefs de file charismatiques ? Quel évé-nement joue le rôle de détonateur dansces changements de perception et d’atti-tude ? Dans quelle mesure et commentles tribus influent-elles sur les individus ?Pourquoi la dissuasion n’opère-t-elle pasou plus vis-à-vis de tel ou tel pays ets’engage-t-on dans l’escalade diploma-tique, voire militaire ? Pourquoi n’atteint-on pas ces buts de guerre qui parais-saient pourtant aisément accessibles lorsdu déclenchement des opérations ? Voilàquelques-unes des questions qui hantentles gouvernants. Et nous observons une constante : rienne se déroule exactement comme prévu.Le pouvoir contesté d’Alger et les monar-chies faiblement éclairées sont jusqu’àmaintenant parvenus à éviter la colèrepopulaire. En dépit de la puissance deleur appareil répressif, MM. Ben Ali etMoubarak sont tombés. Rien ne montreque les islamistes radicaux sortirontvainqueurs des changements, mais rienne garantit non plus l’émergence d’unpluripartisme à l’occidentale. Malgré larépression sanglante, une partie despeuples libyen et syrien poursuit l’épreu-ve de force contre les dictateurs. La guer-

re civile ne paraît pas inéluctable auYémen. La monarchie bahreïnie semblesauvée par l’armée saoudienne, maispour combien de temps ? L’interventionmilitaire de certains pays de l’Otan et dequelques États arabes n’a pas suffi pourchasser rapidement du pouvoir le tyrande Tripoli. Gouverner c’est prévoir. Certes, maisnombre de décideurs, polarisés sur lecourt terme et dépourvus de vision à longterme, confondent prévoir et désirer. Decela découle l’absence de stratégie(s) desubstitution. Or, une politique étrangèreet/ou une entreprise militaire se bâtissentsur le long terme et sur la capacitéd’adaptation aux aléas. Lors du « prin-temps arabe », ils étaient informés, maisils s’accommodaient du statu quo etdonnaient le sentiment de n’avoir rien vuvenir et rien envisagé « au cas où ».Exactement comme leurs prédécesseursau moment de la chute du totalitarismesoviétique ! On n’anticipe jamais l’en-semble de ce qui va réellement advenir,cela est normal ; mais on s’intéresse éga-lement trop peu aux différents scénariospossibles. Or, il s’agit là d’une faute poli-tique grave. Ici, prévoir, ce n’est passavoir avant, c’est se préparer à des évo-lutions diverses et, le cas échéant, peserpour que se réalise celle qui semble laplus conforme aux intérêts du pays dudécideur, tout en envisageant d’autresoptions en cas d’échec. La géopolitiquene peut aider qu’à cela, elle n’a aucunevaleur prédictive. n

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Mais aucun ne peut savoir si,quand, par qui et comment lessituations vontdéboucher sur des émeutes…

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La réflexion stratégique à l’épreuve des révolutions arabes

Les bouleversementspolitiques initiés au débutde l’année 2001, avec le départ du présidenttunisien Ben Ali le 14 janvier 2011, puis la destitution du présidentégyptien Moubarak le 11 février suivant, ontremis en cause un certainnombre de présupposés, et donné lieu à de nouvelles configurationsstratégiques.

Par Frédéric CharillonProfesseur des Universités en science politique Directeur de l’Institut de Recherchestratégique de l’École militaire (ministère de la Défense)

L ’ampleur de la dynamique qui a suivila chute des présidents Ben Ali et

Moubarak a surpris les analystes : ladéstabilisation de la Libye (qui a conduità la chute du régime Kadhafi), celle de laSyrie (qui a pour l’heure – en septembre2011 – conduit à l’isolement du régimebaasiste de Bachar al-Assad), celle duYémen, mais aussi les mou-vements au Maroc ou enJordanie qui ont amené lespalais royaux respectifs àentreprendre des réformespolitiques d’envergure, lesviolences à Bahreïn, dansune moindre mesure lestroubles en Oman, l’antici-pation de nouvelles reven-dications sociales dans leGolfe ou en Algérie (qui ont suscité deslargesses financières de la part des sou-verains), ont définitivement tourné unepage de l’histoire du monde arabe.

Les leçons des erreurs passéesEn premier lieu, trois erreurs d’appréciationlargement partagées apparaissent plusclairement aujourd’hui. Contrairement à ce qui était souvent supposé, la centralité du pouvoir politiquen’avait en rien annihilé la dynamiquesociale. Des sociétés que l’on a trop long-temps réduites au vocable quelque peuméprisant de « rue arabe », et que l’on asupposées atones au point d’accorder auxrégimes en place le monopole de la repré-sentation politique de leur État, étaientporteuses de revendications précises (etnon de seules « frustrations »), et structuréesen différents segments d’opinion qui sesont fondus en action collective efficace.En conséquence, il apparaît que nombrede diplomaties occidentales s’étaientenfermées à tort, avec les régimes enplace, dans une « dépendance à l’interlo-

cuteur unique » qui les a privées d’unevision lucide de la région et de son tissupolitique et social, tissu qu’il s’agit deredécouvrir désormais. Cette dynamique sociale et politique,dans sa composante contestataire, ne seréduisait nullement à l’islamisme radical.De la même façon que la représentation

de nombreux pays arabesétait réduite, dans les per-ceptions des capitaleseuropéennes ou nord amé-ricaines, au Prince déten-teur du pouvoir, l’oppositionétait réduite au principalparti islamiste qui lui faisaitface. Ce face-à-face, quijustifiait un soutien parfoisinconditionnel à des pou-

voirs sultaniques ou néo-patrimonialistes,ne s’est pas retrouvé dans les événe-ments de l’année 2011. Si la capacité demobilisation et de structuration desFrères musulmans égyptiens ou du mou-vement En-Nahda en Tunisie sera proba-blement confirmée lors des consultationsélectorales à venir, ces acteurs n’ont pasété au déclenchement, ni à la récupérationdes soulèvements populaires récents.Plus proches de « l’individu compétent »1,sur-informé et renforcé par les réseauxsociaux du Web 2.0, que de la cinquièmecolonne islamiste ou du complot extérieur,les acteurs de ces bouleversements ontsuscité de nouveaux registres d’actioncollective, bien davantage qu’ils n’ontreproduit des clivages classiques (arméecontre islamistes par exemple). Enfin, l’importance d’une sociologie finedes forces de coercition a été sous-estimée.Plutôt que de faire bloc derrière lesrégimes en place, les acteurs de la

Contrairement à cequi était souvent

supposé, lacentralité du pouvoirpolitique n’avait en

rien annihilé ladynamique sociale

1 - Le skillful individual comme acteur clef des nouvelles relations inter-nationales, jadis anticipées par le politiste américain James Rosenaudans son Turbulence in World Politics, Princeton University Press,Princeton, 1990.

contrainte physique officielle (on n’osedire, avec Max Weber, « légitime »),étaient multiples. Armée, police, milices,« gardes républicaines », troupes d’élitesou gardes rapprochées ont entretenu desliens complexes avec le pouvoir central ouentre elles, qui ont décidé en grande par-tie de la chute du régime ou de son main-tien. Que l’armée tunisienne fût moinsbien traitée que la police par le régimeBen Ali, que l’armée égyptienne centraledans le pays mais en perte de vitesse surle plan du prestige social, que le destindes forces d’élite syriennes soit lié à celuide la minorité alaouite au pouvoir, ou queles allégeances libyennes se distribuent enfonction de logique tribales complexes,furent autant d’éléments déterminants.C’est là toute une sociologie politique desarmées arabes qui demande à être rebâ-tie, après avoir été trop délaissée.

Vers de nouveaux processuspolitiques ?Si les révolutions arabes ont souligné noserreurs passées, elles nous éclairent égale-ment sur ce qui pourrait être l’avenir de larégion et de ses relations internationales.Trois enseignements, là encore. – Les événements récents nous permet-

tent désormais de bâtir une nouvelletypologie du « régime change ». Aprèsle changement de régime imposé del’extérieur, incarné par la guerre améri-caine en Irak en 2003, nous avons puassister au changement de régime spon-tané, tel qu’imposé à des pouvoirsvieillissants par les foules de Tunis et duCaire, puis au changement de régimeaccompagné, en Libye. Le premier adémontré ses limites : une interventionmilitaire extérieure ne peut stabiliseraisément un nouveau régime à la têted’une nouvelle société. Et c’est ce carac-tère extérieur même de l’intervention quien compromet les chances de succès.

– Le deuxième modèle – un changementspontané et imposé par le bas – a misfin avec une rapidité surprenante à desrégimes personnels installés de longuedate. Reste à savoir si cette efficacitédans la destitution se doublera d’uneefficacité dans la reconstruction etl’institutionnalisation, phases qui ne

peuvent se bâtir sur le seul enthousias-me populaire.

– Le troisième enfin – un changementaccompagné – s’est montré plus efficaceque ce que les sceptiques en disaient ini-tialement : en dépit d’une quasi absenced’opposition structurée au pouvoir ducolonel Kadhafi, les insurgés libyens,aidés par l’Otan, sont parvenus à leursfins. Mais la question posée est ici lamême que dans le schéma précédent : lepassage du « régime change » au Statebuilding reste hypothétique. Au moinsen savons-nous plus désormais sur lesmodalités possibles du « régime chan-ge » dans le monde arabe : l’un desmodèles présente un cas de dysfonction-nement grave, tandis que les deux autresdevront être observés minutieusementdans les mois qui viennent.

La région vit désormais une doublerecomposition politique. L’une touche desÉtats autrefois accommodants avec leschancelleries occidentales (Égypte, Tunisie),et l’autre des États qui leur étaient hostiles (Libye, Syrie). Plusieurs incerti-tudes demeurent à cet égard : verra-t-onune transition politique plus facile dansles premiers États que dans les seconds ?Y aura-t-il, entre plusieurs puissancesextérieures, une course à l’influence dansles pays qui ont connu des troubles, etdans cette compétition, quel rôle jouerontles acteurs transnationaux, en particulierles acteurs religieux ? La probable partici-pation croissante au processus politiquenational d’acteurs religieux autrefois soussurveillance, va-t-elle changer la naturede la politique étrangère de ces États ? La gestion internationale des crises dumonde musulman est désormais moinsaméricaine, avec le retrait des États-Unisderrière le concept de leadership frombehind. Plutôt que de s’investir en premièreligne dans les dossiers arabo-musulmans,dont elle cherche au contraire à se dégager(en Irak et en Afghanistan), l’Amérique aétrenné en Libye un partage des tâchesnouveau avec ses alliés français et britan-nique. Tout en suivant avec attention lessituations en cours, Washington inaugureune posture moins interventionniste,tirant les leçons de ses déboires passés,où le seul affichage d’une volonté politique

américaine suffisait à peser sur les rap-ports de forces locaux. La question est desavoir si d’autres acteurs sont prêts àprendre le relais. L’affaire libyenne a montré qu’en dépit decontraintes budgétaires fortes, la Franceet le Royaume-Uni demeuraient desacteurs capables de faire la différence surle terrain. Et probablement, l’Union euro-péenne sera en mesure d’assurer un sou-tien à la reconstruction de la société civi-le du pays. Mais les capacités politiqueset militaires des États-Unis demeurentinégalées, et fort sollicitées dans la région.C’est bien le nouveau positionnement amé-ricain qui est attendu, aussi bien face auprocessus de paix israélo-arabe désormaismoribond, que face aux nouveaux clivagesrégionaux, qui voient s’affronter à nouveaudes États « progressistes » qui viennentd’accomplir leur révolution, que desrégimes autoritaires qui comptent bienrésister au changement. Cette nouvelleprudence américaine devra donc prendregarde à ne pas être interprétée commeune faiblesse, une indécision ou uneabsence coupable.En fin de compte, les bouleversementsrécents du monde arabe nous ont offertune leçon de science politique, et impo-sent une remise en cause de nos cadresd’analyse. La revanche des sociétés,bientôt sans doute la revanche des enjeux(avec le retour en force d’un agenda poli-tique moins conforme aux intérêts despuissances européennes et nord-améri-caines), nous somment de diversifier nosinterlocuteurs et nos sources d’informationdans ces pays, pour prendre une mesureplus juste des évolutions en cours. Latâche s’annonce intellectuellement exaltan-te, mais politiquement délicate. n

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2 - Voir A. de Hoop Scheffer, La pratique américaine du regime changeen Irak. Une analyse critique de l’intervention militaire comme vecteurde socialisation politique, Thèse doctorale, Sciences-Po Paris, 2011.

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Guerres et révolutions

Entretien1 avec Tzvetan Todorov2

Historien, essayiste, directeur de recherches honoraire au CNRS

Vous avez été, avec Rony Brauman,l’un des rares intellectuels français à

mettre en garde contre les dangers del’intervention en Libye. Je rappelle les raisons de mon oppositionà cette intervention. Celle-ci était provo-quée, on s’en souvient, par l’imminenced’un massacre, celui que les forces arméesde Kadhafi allaient commettre en écrasantdes manifestants hostiles au gouverne-ment. Comme la plupart des observateurs,je suis révulsé à l’idée d’un bain de sangpunissant l’expression d’une opinion cri-tique. Mais l’action politique, on le sait aumoins depuis Max Weber qui distinguaitl’éthique de conviction du moraliste del’éthique de responsabilité de l’hommepolitique, ne peut se contenter du senti-ment d’indignation, elle doit être guidéeégalement par une évaluation réfléchie desconséquences probables des initiativesprises. Dans ce cas précis, il était possibled’envisager une intervention ponctuelle,détruisant les armes qui menaçaientBenghazi assiégée ; elle aurait laissé ensui-te les partis en présence chercher par eux-mêmes une sortie du conflit. Le problème,c’est que, s’il est relativement facile decommencer une action militaire, il estbeaucoup plus difficile de l’arrêter.L’intervention militaire a sa propre logiquequi domine les raisons initialement invo-quées : elle vise « la victoire ». Et c’est bience qui s’est produit. L’objectif de départ –empêcher le massacre – a été atteint dèsla première frappe ; mais l’action devait sepoursuivre. Les gouvernants occidentauxont alors formulé un nouvel objectif, nulle-ment présent dans la résolution du Conseilde sécurité de l’Onu qui autorisait la frap-pe (et dont la légitimité pouvait déjà êtrecontestée), à savoir déposer Kadhafi. Cenouveau but s’est avéré beaucoup plus dif-ficile à atteindre. Des milliers de bombar-dements ont provoqué des milliers de vic-times et le départ d’autres milliers vers lespays voisins.

En effet, la guerre a fait plusieursdizaines de milliers de morts, les rebelles

sont divisés et ont eux-mêmes commisde graves violations des droits de l’hom-me dénoncées par Human Rights Watch.Comment expliquez-vous que moins dedix ans après le fiasco irakien, l’Occidentdécide de repartir la fleur au fusil et d’in-tervenir militairement en Libye ?Pourtant, le secrétaire d’État américainà la défense, Robert Gates, avait lui-même déclaré que quiconque suggère-rait à un président une nouvelle inter-vention militaire dans le monde arabedevrait se faire soigner pour maladiementale. Quels sont les mécanismes quiexpliquent cet état d'esprit qui perdureet qui semblent obéir à une mêmelogique depuis l’expédition de Bonaparteen Égypte en 1798 ?Tout se passe comme si on n’avait tiréaucune leçon des interventions précé-dentes, celles d’Afghanistan et d’Irak. Lemanque évident de réflexion qui a précé-dé l’engagement militaire nous place àl’opposé de toute « éthique de responsa-bilité ». Sur la foi de propos rapportés pardes journalistes, on a décidé que lesopposants à Kadhafi étaient des « démo-crates », alors que leurs dirigeants sontdes anciens dignitaires de son régime :son ministre de l’Intérieur, responsable derépressions sanglantes, et son ministre dela Justice, responsable, entre autres, del’affaire des « infirmières bulgares ». Bienévidemment, personne ne peut garantirque le mouvement initial de protestation,qui réclamait des libertés civiques et de lajustice sociale, ne sera pas noyauté etdominé par les groupes islamistes, mieuxorganisés que les autres. La « guerrehumanitaire » annoncée – un concept enlui-même bien problématique – s’est trou-vée remplacée par un conflit d’une toutautre nature, dont on peut se demanders’il ne s’agit pas en réalité d’un donnant-donnant plus prosaïque : les insurgésdemandent à l’Otan de les installer au

1 - Entretien réalisé 10 août 2011,2 - Dernier ouvrages parus : La peur des barbares (Robert Laffont,2008) et Goya à l'ombre des Lumières (Flammarion, 2011).

Depuis plusieurs siècles,l’Occident est animé par un esprit messianique.Ce messianisme s’estmanifesté, au XIXe siècle,par les guerresnapoléoniennes et les conquêtescoloniales. Plus tard, il a connu une tout autre incarnation :celle du projetcommuniste, qui devaitapporter la félicité à tousles peuples de la terre.Depuis la fin de la guerrefroide, nous assistons à une troisième vague de ce messianismepolitique : ce sont les guerresconduites au nom de la démocratie et des droits de l’homme.

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pouvoir, à charge pour eux d’assurerl’Occident d’un libre accès aux réservesénergétiques du pays. Depuis ce momentinitial, les insurgés ont commencé à s’en-tredéchirer, l’ancien ministre de l’Intérieur,Younes, a été assassiné – est-ce parce quela prise du pouvoir se rapproche ?Comment s’expliquer l’aveuglement qui aprésidé à cette intervention ? Sans mêmechercher d’éventuels avantages matériels(le pétrole), on peut remarquer que,depuis plusieurs siècles, l’Occident estanimé par un esprit messianique qui setraduit par une conviction largement par-tagée, celle de constituer la partie dumonde la plus avancée et la plus parfai-te ; et par la décision d’apporter ce bienaux autres, même s’ils n’en veulent pas :c’est parce qu’ils ne savent pas ce quileur convient le mieux ! Une convictionqui semble étayée par les succès techno-logiques, économiques, militaires despays occidentaux : les hommes aimentparer leur force supérieure des couleursde la vertu. Ce messianisme s’est mani-festé, au XIXe siècle, par les guerres napo-léoniennes et les conquêtes coloniales.Plus tard, il a connu une tout autre incar-nation : celle du projet communiste, quidevait apporter la félicité à tous lespeuples de la terre. Depuis la fin de laguerre froide, nous assistons à une troi-sième vague de ce messianisme poli-tique : ce sont les guerres conduites aunom de la démocratie et des droits del’homme. Le cas de la Grande-Bretagneet de la France, pays qui dominent la coa-lition engagée en Libye, est un peu plusspécifique. Ces deux pays étaient lesgrandes puissances coloniales d’il y acent ou deux cents ans, ils sont devenusaujourd’hui des puissances moyennes quidoivent tenir compte de la volonté de plusforts qu’elles. Or voici qu’une occasionleur est offerte de montrer leurs capacitésmilitaires et de jouir de l’impression qu’ilsgèrent de nouveau les affaires du monde.Quand on entend ou lit que « le destin dela Libye se joue entre Paris et Londres »,on a l’impression d’être revenu un siècleen arrière, lorsqu’en effet les chancelle-ries européennes décidaient de ce qu’al-laient devenir les pays d’Afrique ou d’Asiedu Sud.

L’année 2011 a également été celle dela mort d’Oussama Ben Laden. Vousavez beaucoup écrit pour dénoncer lesravages de la « guerre contre le terroris-me » déclenchée par l’administration Bush.Vous avez notamment dénoncé la légiti-mation de la torture et toutes les dérivesrendues possible par cette « peur des bar-bares » à laquelle vous avez consacré unouvrage remarqué. L’administration Obaman’a rompu qu’en partie avec cette visiondu monde et beaucoup reste à faire.Comment agir pour sortir définitivementde ces logiques destructrices et d’empê-cher que ces vieux démons ne resurgis-sent ?On ne regrettera pas la mort de BenLaden, mais il n’est pas sûr que celasignifie en même temps la fin du terroris-me. Ben Laden en était le symbole beau-coup plus que le chef, et le terrorismeislamiste, dont il est question ici, n’estpas un mouvement centralisé, dirigé parun chef unique. Ce phénomène résulteplutôt de la conjonction de plusieursmutations de fond. L’une d’entre elles estliée à la démocratisation de la technolo-gie, qui fait qu’il est relativement facileaujourd’hui de se procurer, à bas prix,armes et explosifs (on en a encore eu lapreuve pendant l’été 2011, avec lesattentats en Norvège). Une autre résultede la globalisation, non tant de l’écono-mie, que de l’information : les nouvellessont diffusées instantanément dans tousles coins du globe, les ressentiments etles identifications par projection se pro-pagent à la vitesse de la lumière, et c’estainsi que les habitants des banlieues deManchester ou de Lyon se déclarent prêtsà venger dans le sang les humiliationssubies par leurs frères de langue ou dereligion qui habitent Kaboul, Bagdad etGaza. D’un autre côté, les méfaits du ter-rorisme sont entretenus par l’action desgouvernements occidentaux eux-mêmesqui, au nom de la guerre contre le terro-risme, ont acquiescé aux pratiques de tor-ture, ou qui les ont même légalisées. Ilsont aussi adopté des mesures discrimina-toires envers leur population, encoura-geant ainsi la xénophobie et le populismed’extrême droite. Les États-Unis d’Obamaont interdit la torture, mais les camps où

sont détenus sans jugement leurs captifs(qui ne sont pas tous des anciens com-battants) sont toujours en activité, ettoutes les pratiques illégales n’ont pas étéinterrompues.Peut-on espérer que disparaissent un jources comportements autodestructeurs ? Laviolence et les agressions ne vont pass’évanouir de la surface de la terrecomme par enchantement. Mais assurersa sécurité ne signifie pas céder à la para-noïa et à la manie de persécution. Lasociété a besoin d’une police efficace,non d’incitations à l’intolérance. À cetégard, les élites politiques et médiatiquesont un rôle à jouer, en contribuant à l’édu-cation de ceux qui les écoutent et lesregardent. Sur le plan international, l’évo-lution vers un monde multipolaire pour-rait devenir la garantie de ce que plusaucun pays ne se considère comme char-gé par la providence d’une mission parti-culière, celle d’apporter aux autres la civi-lisation ou le salut, celle éventuellementde devenir leur gendarme.

Le regard que l’Occident porte sur lereste du monde semble changer assezpeu, finalement, de même que les dis-cours que l’Occident produit sur les« autres ». Toute une tradition philoso-phique occidentale, de Montaigne à Lévi-Strauss, en passant par Spinoza etAdorno, incite pourtant à l’autocritique, à« penser contre soi-même », à ne pasessentialiser et réifier les autres civilisa-tions, à se méfier des discours simplessur la civilisation et la barbarie. Il n’enreste pas moins que les nationalismes etpopulismes ont toujours le vent enpoupe. Comment expliquer ce paradoxe ?Le problème, c’est que les leçons demorale n’ont qu’une très faible prise surles comportements humains. Ce n’est pasparce que je ne sais quel sage a recom-mandé de se comporter de manière équi-table qu’on va tous suivre son précepte…Si tel n’avait pas été le cas, le terre seraitdéjà peuplée exclusivement par desanges (ou une autre espèce équivalente) :les bonnes recommandations n’ontjamais manqué, dans aucune civilisation,aucune religion. Les comportementségoïstes, la passion du pouvoir ont des

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racines profondes qu’on ne saurait extir-per. Le messianisme, le populisme, lenéolibéralisme correspondent à des pul-sions largement partagées, ils ne sontd’ailleurs pas étrangers aux valeurs quinous font aimer la démocratie : le pro-grès, le pouvoir populaire, la liberté. Enbonne démocratie, ces différentes forcesparviennent à se limiter mutuellement.Notre monde est menacé par la tentationde la démesure, la hubris, nourrie par lessuccès fabuleux de notre technologie. Lesdifférents accidents, catastrophes etcrises dont nous sommes témoins aujour-d’hui finiront peut-être par nous inciter àun peu plus de modération.

Compte tenu de ces perspectives, com-ment avez-vous accueilli les révolutionsarabes de cette année 2011 ? Dansquelle mesure vous semblent-elles por-teuses d’espoir ? Quels sont à vos yeuxles principaux écueils à éviter ? Je ne suis pas sûr que le mot de « révo-lution » s’applique bien ici, dans la mesu-re où, là où ces événements ont été sui-vis de résultats, en Tunisie et en Egypte,les dictateurs ont accepté finalementassez vite d’abandonner leur pouvoir. Peuimporte : quelle que soit la catégorie dontils relèvent, ils ont suscité des réactionsenthousiastes, qui me paraissent légi-times. Ils ont montré d’abord que lapopulation de plusieurs pays arabes par-tage les aspirations des autres peuples,notamment européens ; ni la civilisationarabe, ni la religion musulmane n’empê-chent d’éprouver l’attrait de la démocra-tie. Ils nous ont livré aussi une leçon dethéorie politique : cette population rejettela démocratie qu’on lui impose par desbombardements, en l’accompagnant del’occupation du pays ; elle la défend, aucontraire, quand elle-même est à l’originede la demande. Quant aux régimes dicta-toriaux et corrompus, qui se sont mainte-nus longtemps grâce au soutien actif del’Occident, ils ne suscitent aucun regret.L’issue du processus engagé au cours dece printemps reste incertaine. Les écueilsqui guettent le mouvement sont nom-breux. L’un est la tentation de pureté, quinous pousse à éliminer tous ceux quenous jugeons responsables de notre misè-

re précédente. Elle prend la forme de pro-cès politique et d’épuration systématiquedes anciens privilégiés. J’espère qu’onévitera les punitions physiques ; enrevanche, les biens mal acquis doiventêtre confisqués et rendus aux États, quiles mettront au service de la population.Un autre écueil est celui de l’extrémisme,de la surenchère dans la voie de la révo-lution, comme cela s’est produit enFrance au XVIIIe siècle et en Russie auXXe. Une autre difficulté encore vient dece que l’idée de démocratie est parfoisperçue comme une importation del’Occident : le bon équilibre entre valeurscommunes et autonomie de la volonté nesera pas facile à trouver.Nous n’en sommes pas encore là.Retenons pour l’instant cet élan populairequi a fait vaciller des potentats jusqu’àhier intouchables, cette aspiration à laliberté individuelle, à la justice sociale, àl’État de droit, qui a fait prendre desrisques aux manifestants, et qui a étécouronnée de succès. On se met à rêverà un mouvement parallèle en Occident,qui permettrait de retrouver le sens desvéritables valeurs démocratiques. Le prin-temps arabe n’est pas seulement le refletd’idées défendues en Europe, il peutaussi devenir un exemple pour nous. n

Propos recueillis par Karim Emile Bitar

enaassociation

aaeena

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Colloque

Le déroulement de la journée du 11 octobre 2011 :

8h30 Café d'accueil9h30 Ouverture par Rémi FRENTZ, directeur général de l'agence

nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances(ACSE)

9h45 Premier atelier : Qu'est-ce que l'excellence ? Conception etperception de l'excellence par les différents acteursIntroduction par Yves MICHAUX, philosopheDaniel PELTIER, proviseur du lycée Nobel de Clichy-sous-BoisDemet SAN, étudianteChantal DARDELET, responsable Egalité des chances à l'ESSECAlexandre ABENSOUR, professeur en classe préparatoire

11h15 Sondage exclusif : Regards croisés des jeunes de banlieueet des jeunes de la population générale sur les espoirs deréussite universitaire et la réalité de l'enseignement supérieur.Frédéric DABI, directeur général adjoint de l'Ifop, département opinion et stratégies d'entrepriseDébat avec la salle

12h30 Déjeuner14h00 Deuxième atelier : Quels regards porter sur les politiques

publiques d'égalité des chances et leurs résultats dans lesbanlieues ? État des lieux des politiques engagées en faveurde l'excellence au profit de ces publics.Introduction par Agnès VAN ZANTEN, directrice de rechercheau CNRSBernard HUGONNIER, directeur-adjoint, direction de l'éducation del'OCDEClaude BOICHOT, inspecteur général de l'éducation nationale Stéphane ROUVÉ, préfet délégué pour l'égalité des chances auprèsdu préfet de la Seine-Saint-DenisPierre MATHIOT, directeur de l'IEP de Lille, université Lille 2

15h30 Troisième atelier : Des propositions en provenance du terrain.À partir des expériences des organisateurs et d'un dialogueavec la salle, faire émerger des orientations et des propositionsconcrètes pour l'avenir.Introduction par Claude THELOT, conseiller maître à la Cour desComptesBernard BOUCAULT, directeur de l'ENAThierry SIBIEUDE, directeur de l'ESSEC IIESDenys ROBERT, responsable des programmes d'égalité des chancesà l'Ecole PolytechniquePhilippe JAMET, directeur de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne Jean-Claude BARROIS, président de l'association Réussir Aujourd'huiDébat avec la salle

17h15 Clôture de la journée par Yazid ZABEG, Commissaire à ladiversité et à l'égalité des chances

Colloque organisé par l’association

Réussir Aujourd’huile mardi 11 octobre 2011 à l’École Militaire

Les études d’excellence, un droit pour tous.

Banlieues et diversité, comment le mettre en œuvre ?

Les inscriptions sont obligatoires. Elles se font directement par un formulaire en ligne :

http://www.polynome.fr/reussir-aujourdhui/ . Le nombre de places est limité

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73/ septembre 2011 / n° 414

Les Lundis de L’Ena

18h20 Quelle place pour l’innovation au sein de l’administration ?Christophe Beaux, Président Directeur Général, La Monnaie de ParisFrançois-Daniel Migeon, Directeur général de la modernisation del'État, Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'EtatJean-François Monteils, Secrétaire Général, Ministère de l'Ecologie,du Développement durable, des Transports et du Logement Philippe Parini Directeur général des finances publiques, Ministère duBudget, des Comptes publics et de la Réforme de l'EtatPaul Peny, Directeur du département gestion et innovation sociale, RATPNathalie Wright, Directrice Secteur Public, Microsoft France

19h10 Quel rôle du manager public dans une administrationpublique innovante ?Jean-Benoît Albertini, Secrétaire général adjoint, Ministère del'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration Véronique Bedague-Hamilius, Secrétaire générale, Mairie de ParisClément Berardi, Directeur, Eurogroup ConsultingStéphane Jacobzone, Conseiller, Direction de la Gouvernancepublique et du développement territorial, OCDEJean-François Verdier, Directeur général de l'administration et de lafonction publique, Ministère de la Fonction publique

Eurogroup Consulting, la DGAFP et l'Association desAnciens Élèves de l’Ena (AAEENA) organisent le

mercredi 19 octobre 2011 à 17h30 leur troisième colloque annuel sur le thème :

Informations pratiquesLieu de la conférence : Ecole nationale d'administration

2, avenue de l'Observatoire 75006 ParisPour tous renseignements :

[email protected]

Pour la bonne organisation des Lundis de l’Ena et afin quenous puissions vous avertir des éventuels changements de programmation, merci de vous inscrire auprès de Laëtitia Noblet, 01 45 44 49 50, [email protected]

Avec la participation de : François SAUVADET,Ministre de la Fonction publique

Introduction par : Gilles BONNENFANT,Associé, Eurogroup Consulting

Jérôme FILIPPINI, Directeur, adjoint au Secrétaire général du Gouvernement

« Le management de l’innovation dansle secteur public »

Programme

Intervenant : Françoise Chandernagor, 1969 Ecrivain

Les prix littéraires, l’exemple du Goncourt 3

OC

T.

Intervenant : François Nicoullaud, 1973 Ex-ambassadeur en Iran

Faut-il avoir peur de l'Iran ?

17 O

CT.

Intervenant : Philippe Belaval, 1979Directeur général des patrimoines de France

Quelle politique pour quel patrimoine ?

7 N

OV.

Intervenant : Michèle Pappalardo, 1981Ancienne déléguée interministérielleau développement durable

Développement durable,un enjeu électoral ?

21 N

OV.

Intervenant : Jean-Pierre Jouyet, 1980Président de l'AMF

Quel avenir pour la place de Paris ?

5 D

ÉC.

Intervenant : Jérôme Fournel, 1995Directeur général des Douanes

Rien à déclarer : quelles douanes aujourd’hui ?

19 D

ÉC.

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aaeena Vie de l’École

74 / septembre 2011 / n° 414

(sous-réserve) Claude Evin, ministre de la Solidarité, de la Santé etde la Protection sociale entre 1988 et 1990 et directeur généralde l’Agence régionale de santé Île-de-France et Claude Le Pen, pro-fesseur d’économie de la santé à l’université Paris Dauphine.

Quelle école pour demain ? jeudi 1er décembre 9h00 – 13h00, avecClaude Thélot, Conseiller maître honoraire à la Cour des comptes,président de septembre 2003 à décembre 2004, de la Commissiondu débat national sur l’avenir de l’École et auteur du « rapportThélot », et, Marie Duru-Bellat sociologue, auteur de « Les socié-tés et leurs écoles. Emprise du diplôme et cohésion sociale » avecFrançois Dubet et Antoine Vérétout, Seuil, 2010 et un représen-tant de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO).

Les enjeux de la politique de la ville mardi 13 décembre 9h00 –13h00, Frédéric Gilli, chercheur associé au centre d’études euro-péennes, Jacques Donzelot, maître de conférences en SciencePolitique, directeur du Cedov (Centre d'Etudes, d'Observation et deDocumentation sur les Villes) et directeur du CEPS (Centred'Etudes des Politiques Sociales).

2 jours :L’aménagement durable des territoires, en partenariat avec l’Inet,mardi 18 et mercredi 19 octobre, animée par (sous réserve) AlainBrossais, responsable du service du développement durable desterritoires et des entreprises, direction régionale et interdéparte-mentale de l'environnement et de l'énergie, préfecture de la RégionIle-de-France, Jean-Louis Chaussade, directeur général de SuezEnvironnement, Clément Cohen, directeur du développementurbain et durable, Communauté urbaine, Grand Toulouse,Catherine Dautieu, responsable service aménagement, Zone del'Union, Ville de Roubaix, Xavier Givelet, conseiller pour les affairesinternationales.

Les montages contractuels complexes (PPP, BEA, etc.), mercredi 23et jeudi 24 novembre 9h00 – 17h00, animé par Maître FrançoiseSartorio et Maître Aurélie Minescaut, SCP Sartorio - Lonqueue -Sagalovitsch & Associé, et en présence de Monsieur ThierryReynaud, directeur de projet, mission d’appui à la réalisation descontrats de partenariat et du cabinet Finance Consult.

Pratique du protocole, mardi 29 et mercredi 30 novembre 9h00 –17h00, (sous-réserve) Xavier Lapeyre-Cabanes, chef adjoint duProtocole et Philippe Casenave, sous-directeur du cérémonial,ministère des Affaires étrangères et européennes.

Petits déjeuners :Réseaux sociaux et stratégies de communication, en partenariatavec le CFPJ, jeudi 6 octobre 8h30 – 10h00, avec Hervé Pargue,consultant en stratégie digitale, formateur CFPJ et Hervé Brasselet,Associé Parties Prenantes.

Soft power : réseaux et influences, jeudi 3 novembre, 8h30 –10h00, en présence de Bertrand Badie, professeur des Universitéset Frank Melloul, directeur de la stratégie, du développement et desaffaires publiques de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF).

Tea-Time :Quel avenir pour les 3 fonctions publiques, regards croisés, mercredi5 octobre, 18h30 – 20h00 en présence d’Arnaud Teyssier, ancienprésident de l’AAEENA (Association des Anciens Elèves de l’Ena),Jean-Christophe Baudouin, président de l’AATF (Association desAdministrateurs Territoriaux de France) et Cédric Arcos, directeurde cabinet de la FHF (Fédération Hospitalière de France).

Rénover les relations avec l’Afrique, mercredi 30 novembre, 18h30– 20h00, avec Stéphane Gompertz, directeur Afrique, Océanindien au ministère des Affaires étrangères et européennes etRichard Banégas, maître de conférences Université Paris 1Panthéon-Sorbonne.

½ journées :L’Intelligence économique, jeudi 27 octobre, 9h00 – 13h00, avecAlain Juillet, ancien haut responsable à l’Intelligence économiqueauprès du Premier ministre, Frédéric Lacave, coordonnateur minis-tériel à l’Intelligence économique des ministères du Budget et del’Économie, Philippe Clerc, directeur de l’Intelligence économique,de l’innovation et des TIC à l’ACFCI-CCI et Catherine Minard, direc-trice des affaires internationales du Medef.

L’actualité de la Réforme territoriale, en partenariat avec l’Inet, mercredi 16 novembre 9h00 – 13h00, animée par StanislasBourron, sous-directeur des compétences et des institutionslocales, direction générale des collectivités locales, ministère del'Intérieur, des Collectivités territoriales, de l'Outre-mer et del'Immigration et, sous-réserve, Michel Verpeaux professeur de droitpublic, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

La santé à quel prix ? Jeudi 24 novembre 9h00 – 13h00, avecPhilippe Juvin, maire de La Garenne-Colombes, député européenet chef du service des urgences à l’Hôpital Beaujon (Clichy) et

À noter dans vos agendas…Dans le cadre de la nouvelle offre de formation de l’Ena destinée à l’encadrement supérieur, les formations automne-hiver 2011 à Paris, 2 avenue de l’Observatoire :

Pour toute réservation : [email protected] ou le +33 1 44 41 85 50L’ensemble du programme est consultable sur le site de l’Ena : www.ena.frVous êtes chef de service ou sous-directeur, une session d’accompagnement managérial vous est proposée lors de votre prise de poste,en partenariat avec la DGAFP, et des places vous sont réservées dans certaines formations.Vous êtes jeune ancien élève de l’ENA, 5 sessions vous sont offertes dans notre programme de formation dans un délai de 5 années àcompter de votre première prise de fonction.

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75/ septembre 2011 / n° 414

Activités culturelles

CabaretDE JOE MASTEROFF, JOHN KANDER ET FRED EBB

Théâtre Marigny – Salle Marigny – Carré Marigny 75008 Paris

Adapté du roman de : Christopher IsherwoodMise en scène de : Sam MendèsChorégraphie : Rob MarshallAvec : Emanuelle Moire, Claire Pérot, Geoffroy Guerrier, PatrickMazet, Catherine Arditi, Pierre Reggiani, Delphine Grandsart,Patrice Bourret, Jocelyne Sand…

« L’action de CABARET se déroule au début des années 1930à Berlin en pleine crise économique. En voyage dans la capi-tale allemande, le jeune écrivain américain Cliff Bradshawdécouvre le Kit Kat Klub, une boîte de nuit sulfureuse et déca-dente où se produit la chanteuse Sally Bowles dont il tombeamoureux.Fräulein Schneider, leur logeuse, projette de se marier avecl’épicier juif Herr Schultz mais tout se complique dans cetteville où les nazis s’apprêtent à prendre le pouvoir.Dans le même temps, au Kit Kat Klub, Cliff Bradshawdécouvre les idées libertaires et les mœurs truculentes de lanuit berlinoise. Sally Bowles et le Maître des Cérémonies yoffrent un divertissement extravagant et provocant aux specta-teurs venus oublier les tensions du monde réel ».

Jeudi 8 décembre 2011 à 20h30 Prix : 77 euros

HollywoodDE RON HUTCHINSON

Théâtre Antoine – 14, boulevard de Strasbourg 75010 Paris

Adaptation : Martine DolléansMise en scène de : Daniel ColasAvec : Daniel Russo, Thierry Frémont, Samuel Le Bihan etFrançoise Pinkwasser

« Après plusieurs années de préparation, le tournage d’Autanten emporte le vent commence. Mais le producteur DavidO.Selznick n’est pas satisfait, il congédie son ami réalisateurGeorge Cukor. Il convoque un nouveau scénariste, Ben Hechtet un nouveau réalisateur, Victor Fleming. Le tournage eststoppé, et chaque jour cette attente coûte des fortunes au pro-ducteur. Enfermés tous les trois dans le bureau de Selznick, ilfaut réécrire le scénario. Ben Hetch, ne connaissant pas l’his-toire, Selznick et Fleming vont lui raconter en mimant lesscènes. Après ces huit jours de folie le tournage reprend,Autant en emporte le vent devient le film mythiqued’Hollywood ».

Jeudi 15 décembre 2011 à 21h00 Prix : 42 euros

Le QuatuorThéâtre de Paris – 15, rue Blanche - 75009 Paris

Mise en scène : Alain SachsAvec : Jean-Claude Camors, Laurent Vercambre, Pierre Ganem,Jean-Yves Lacombe

« Depuis trente ans maintenant Le Quatuor offre son talent etsa folie à un public de plus en plus large. Auréolée de ses nom-breuses récompenses, ce n’est pas un vain mot de dire quecette formation est devenue une incontournable référence enmatière d’humour musical.Une fois encore, ce nouveau spectacle nous comble de bon-heur et de surprise en repoussant les limites de l’inventivité etde l’ingéniosité. Venez découvrir quelles surprenantes trou-vailles émaillent cette célébration des noces de la musique etde l’humour… »

Jeudi 24 novembre 2011 à 20h30 Prix : 41 euros

Entre deux ilsD’ISABELLE COTE

Théâtre de l’Œuvre – 55, rue de Clichy – 75009 Paris

Mise en scène de : José Paul et Agnès BouryAvec : Lysiane Meis, Bernard Malaka et Eric Savin

« Les gens heureux ont une histoire. Que personne ne soup-çonne. Quand le passé et ses secrets ressurgissent, les destinsvacillent. Une comédie où les histoires d’amour finissent bienen général. ».

Mercredi 30 novembre 2011 à 21h00 Prix : 38 euros

Théâtre

Le nombre de participants aux activités culturelles étant en progression constante, nous vous demandons de bien vouloirRÉSERVER PAR TÉLÉPHONE auprès d’Elvire COLLET au 01 45 44 49 50 AVANT d'envoyer votre chèque et votre bulletind'inscription. Cette mesure nous permettra d'améliorer les conditions d'inscription.

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Carn

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76 / septembre 2011 / n° 414

Naissance

n Guernica 1976Réjane, fille de M. et Mme Laurent Cytermann,petite fille de M. et Mme Jean-Richard Cytermann.

Décès

n Union française 1948Serge MIGNONNEAU, survenu à l’âge de 92 ans.

n Nations Unies 1949Pierre PELLETIER, survenu à l’âge de 92 ans.

n Paul Cambon 1953Paul GUÉRIN, survenu à l’âge de 90 ans.

Roger LECOURT, survenu à l’âge de 90 ans.

Paul Henry MANIÈRE, survenu à l’âge de 89 ans.

Pierre ROCALVE, survenu à l’âge de 85 ans.

n Albert Thomas 1955René ROUSTIDE, survenu à l’âge de 85 ans.

n Vauban 1959Bertrand LABRUSSE, survenu à l’âge de 80 ans.

n Thomas More 1971André HIRSCH, époux de Nicole Hirsch Tricart.

n François Rabelais 1973Daniel NAFTALSKI, survenu à l’âge de 69 ans.

n Michel de Montaigne 1988Marie-Claire MILLET, survenu à l’âge de 58 ans.

Ordre National de la Légion d’Honneur

Commandeur

n Turgot 1968Charles WIENER de CROISSET, internatio-nal advisor de Goldman Sachs international.

n Thomas More 1971Jean WEBER, président du pôle européen d’ad-ministration publique (PEAP).

n Léon Blum 1975Bernard BAJOLET, ambassadeur extraordi-naire et plénipotentiaire en Afghanistan.

n André Malraux 1977Philippe PARINI, directeur général des financespubliques.

Michel THENAULT, conseiller d’État.

Officier

n Charles de Gaulle1972Paul LEMPEREUR, ancien coordonnateurd’une mission d’inspection.

n Guernica 1976Marc-André FEFFER, directeur général adjointdu groupe La Poste.

Joël TIXIER, secrétaire général de la commis-sion consultative du secret défense national.

n André Malraux 1977Pierre SELLAL, secrétaire général du ministè-re des Affaires étrangères et européennes.

n Michel de l’Hospital 1979 Jean-François CARENCO, préfet de la régionRhône-Alpes, préfet de la zone de défense et desécurité Sud-Est, préfet du Rhône.

n Voltaire 1980Christian DECHARRIERE, préfet de la régionFranche-Comté, préfet du Doubs.

Activités culturellesaaeena

Visites - ConférencesDes jouets et des hommes

Galeries nationales du Grand Palais 3, avenue du Général-Eisenhower

75008 Paris

« Cette exposition, la première consacrée à l’histoire du jouetde l’Antiquité à nos jours rassemble des réalisations gran-dioses (jouets princiers, voitures sur mesure) mais aussi desimples objets (figurines, hochets).Dans un mélange savant de tradition et d’innovation, près demille jouets essentiellement occidentaux et japonais vontbénéficier d’une scénographie inventive, conçue par PierrickSorin, qui enchantera l’imaginaire de tous les vieux enfantsque nous sommes restés ».

Lundi 12 décembre 2011 à 18h Prix : 22 euros

Henri Edmond Cross et le néo-impressionnisme,de Seurat à MatisseMusée Marmottan Monet

2, rue Louis-Boilly - 75016 Paris

« Cette exposition suit l'évolution chronologique de l'œuvred'Henri Edmond Cross et la confronte à celle des autres néo-impressionnistes. Elle met en évidence les liens tissés par lepeintre, des années parisiennes durant lesquelles il côtoieSeurat, Signac et les premiers « néo » jusqu'aux années 1892-1910 lorsque Cross s'établit à Saint- Clair et Signac à Saint-Tropez, point de ralliement de toute une jeune génération oùMatisse et les futurs fauves s'initieront à la « division ».

Jeudi 5 janvier 2012 à 17h30 Prix : 17 euros

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77/ septembre 2011 / n° 414

n Droits de l’Homme 1981Claude-France ARNOULD, directrice de l’agen-ce européenne de défense.

Michèle PAPPALARDO, conseiller maître à laCour des comptes.

n Henri-François d’Aguesseau 1982Pierre de BOUSQUET de FLORIAN, préfet duPas-de-Calais.

n Fernand Braudel 1987Nicole KLEIN, directrice générale de l’agencerégionale de santé d’Aquitaine.

n René Char 1995Béatrice ABOLLIVIER, préfet de la Charente-Maritime.

Chevalier

n Marcel Proust 1967Bruno BROCHIER, conseiller maître honorai-re à la Cour des comptes.

n Voltaire 1980Hervé SALUDEN, président du tribunal admi-nistratif de Rennes.

n Solidarité 1983Daniel BESSON, contrôleur général écono-mique et financier.

Jérôme CALVET, co-président de NomuraFrance.

n Louise Michel 1984Laurent GALZY, directeur général adjointd’Aéroports de Paris (ADP).

Catherine de SALINS, maître des requêtes auConseil d’État.

n Léonard de Vinci 1985Janie LETROT, directrice générale de Maroctelecom.

n Denis Diderot 1986Sylviane TARSOT-GILLERY, directrice géné-rale déléguée de l’Institut français.

n Michel de Montaigne 1988François ALABRUNE, ambassadeur auprès del’Organisation pour la sécurité et la coopérationen Europe.

Jacques AUDIBERT, directeur général desaffaires politiques et de sécurité au ministèredes Affaires étrangères et européennes.

Françoise MERCADAL-DELASSALLES, direc-trice à la Société Générale.

Isabelle YENI, inspectrice générale des affairessociales.

n Liberté Egalité Fraternité 1989François CAZOTTES, directeur adjoint des infra-structures de transport au ministère de l’Écolo-gie, du Développement durable, des Transportset du Logement.

Jean-Pierre LIEB, chef du service juridique àla direction générale des finances publiques.

Laurent TEISSEIRE, directeur au ministère dela Défense et des Anciens Combattants.

n Condorcet 1992Christine ABROSSIMOV, secrétaire généralede la préfecture d’Indre-et-Loire.

Emmanuel GLASER, avocat au barreau deParis.

n Saint-Exupéry 1994Mylène ORANGE-LOUBOUTIN, sous-direc-trice à la direction générale des douanes et droitsindirects.

n René Char 1995Catherine RENONDIN, présidente de sectionà la chambre régionale des comptes du Nord-Pas de Calais.

n Marc Bloch 1997Isabelle SAURAT, chef du service des synthèseset du pilotage budgétaire (DAF) au ministère dela Défense et des Anciens Combattants.

Carnet Professionnel

n France Afrique 1957Edouard BALLADUR, président du comité pourla réforme des collectivités locales, a été nomméenvoyé spécial du G8 pour la mise en œuvre duPartenariat de Deauville, « consacré au soutienaux pays arabes dans leur transition vers dessociétés libres et démocratiques ».

n Stendhal 1965Marie-Eve AUBIN, président de section hono-raire au Conseil d’État, a été nommée membredu collège chargé de la lutte contre les discri-minations et de la promotion de l’égalité auprèsdu défenseur des Droits.

n Robespierre 1970Jean-Pierre HOSS, président de section à laCour nationale du droit d’asile, a été nommémembre du collège chargé de la déontologiedans le domaine de la sécurité auprès duDéfenseur des droits.

n François Rabelais 1973Alain CHRISTNACHT, conseiller d’État, a éténommé directeur général de la Fédération fran-çaise de football-FFF.

n Simone Weil 1974Bruno REMOND, conseiller maître et présidentde section à la Cour des comptes, professeur àScience Po Paris, maire adjoint de Cachin, a étéréélu membre du bureau au conseil d’adminis-tration de l’Institut Pasteur et président de soncomité d’audit financier.

Hubert VEDRINE, associé-gérant de HubertVedrine Conseil, a été nommé membre du GlobalAdvisory Board de la banque d’affaires améri-caine Moelis & Company.

n Simone Weil 1974Michel DIEFENBACHER, député du Lot-et-Garonne, a été nommé rapporteur spécial (sécu-rité) pour le projet de loi des finances pour 2012.

Rolande RUELLAN, qui était président dechambre honoraire à la Cour des comptes, a éténommée présidente du Comité de sélection pourl’intégration des inspecteurs et inspecteurs géné-raux dans le corps de l’inspection générale desaffaires sociales.

n Guernica 1976Yves-Thibault de SILGUY, vice-président etadministrateur référent de Vinci, a été nommémembre du « Advisory board » de la banqued’affaires DC Advisory Partners.

Patrick WERNER, qui était président de laBanque Postale, a été nommé directeur géné-ral de Gras Savoye.

n André Malraux 1977Jean-François MANCEL, député de l’Oise, a éténommé rapporteur spécial (action extérieure del’État) pour le projet de loi de finances pour 2012.

Olivier SCHRAMECK, président de la sectiondu rapport et des études du Conseil d’État, a éténommé président du Comité d’appel indépen-dant de la Banque mondiale.

n Pierre Mendès France 1978Jean-Michel DUMOND, qui était ambassadeurau Nigéria, a été nommé chef de la délégationde l’Union européenne en République démo-cratique du Congo.

Philippe ZELLER, qui était ambassadeur enIndonésie, a été nommé ambassadeur à Ottawa.

n Michel de l’Hospital 1979Charles de COURSON, député de la Marne, aété nommé rapporteur spécial (transports aérienset météorologie) pour le projet de loi de financespour 2012.

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78 / septembre 2011 / n° 414

Yves DOUTRIAUX, conseiller d’État, a éténommé membre du collège chargé de la luttecontre les discriminations et de la promotion del’égalité auprès du Défenseur des droits.

Bernard FRAGNEAU, qui était directeur dupôle territorial au commissariat général de l’in-vestissement, a été nommé secrétaire généraldu Commissariat général pour le développementde la vallée de la Seine.

Danielle MAZZEGA, qui était présidente du tri-bunal administratif de Besançon, a été nomméeprésidente du tribunal administratif de Nice.

n Voltaire 1980Joël FILY, qui était préfet d’Indre-et-Loire, a éténommé préfet hors-cadre.

Jean-Pierre JOUYET, président de l’Autorité desmarchés financiers-AMF, a été nommé présidentdu conseil d’administration de l’Institut Pasteur.

Bernard LEPLAT, qui était président du tribu-nal administratif de Limoges, a été nommé pré-sident du tribunal administratif de la Polynésiefrançaise.

Pierre MONGIN, président directeur généralde la RATP, a été nommé président du conseilde surveillance de Systra.

Jean-Maurice RIPERT, qui était ambassadeur,représentant permanent de la France auprès del’Onu à new-York, a été nommé chef de la délé-gation de l’Union européenne en Turquie.

Guy ROTH, qui était président de chambre àla Cour administrative d’appel de Paris, a éténommé président du Tribunal administratif deVersailles.

Roger SILHOL, qui était sous-préfet de Dreux,a été nommé préfet chargé d’une mission de ser-vice public relevant du gouvernement.

Jacqueline SILL, qui était présidente du tribu-nal administratif de Grenoble a été nommée pré-sidente de la Cour administrative d’appel deMarseille.

n Droits de l’Homme 1981Jean-François BENEVISE, qui était directeurgénéral des services départementaux del’Essonne, a été nommé directeur de l’Agencerégionale de santé de Lorraine.

Joëlle BURLERAUX-LACKMANN, présidentde chambre à la cour administrative d’appel deParis, a été nommée président de section à laCour nationale du droit d’asile.

Emmanuel FOREST qui était directeur géné-ral délégué et vice-président de BouyguesTélécom, a été nommé directeur général adjointAffaires institutionnelles et européennes du grou-pe Bouygues.

François GOULARD, député du Morbihan, aété nommé rapporteur spécial (ville) pour le pro-jet de loi de finances pour 2012.

Jacques REILLER, qui était directeur adjointdu Collège stratégique du ministère de l’Intérieur,a été nommé préfet de la région Limousin, pré-fet de la Haute-Vienne.

n Henri-François d’Aguesseau 1982Pascale ANDREANI, qui était ambassadeur,représentant permanent de la France au Conseilde l’Atlantique Nord-Otan, a été nommée ambas-sadeur, représentant permanent de la Franceauprès de l’OCDE.

Eric AUBRY, inspecteur général des affairessociales, a été nommé conseiller d’État.

Michel AZIBERT, qui était directeur généraldélégué du groupe TDF, a été nommé directeurgénéral délégué de l’opérateur satellitaire euro-péen d’Eutelsat Communications, mandatairesocial du Groupe.

Philippe CITROEN, qui était chez Systra, a éténommé directeur général de la fédération euro-péenne de l’industrie ferroviaire européenne.

Hervé DIGNE, senior partner de Kurt Salmon,a été élu à la présidence de la Collection Lamberten Avignon.

Brigitte VIDARD, qui était président de sectionau tribunal administratif de Paris, a été nom-mée président du tribunal administratif de Nîmes.

n Solidarité 1983Adolphe COLRAT, qui était préfet de Meurthe-et-Moselle, a été nommé préfet de la Manche.

Marie-Hélène DEBART, qui était conseillèreau cabinet de Claude Guéant, ministre del’Intérieur, a été nommée inspectrice généralede l’administration.

Mireille HEERS, qui était présidente du tribu-nal administratif de Châlons-en-Champagne, aété nommée présidente du tribunal administra-tif de Rouen.

Alain HOLLEVILLE, qui était ambassadeur auNiger, a été nommé chef de la délégation del’Union européenne au Burkina Faso.

Marc LE FUR, député des Côtes d’Armor, a éténommé rapporteur spécial (administration géné-rale et territoriale) pour le projet de loi de financespour 2012.

Odile PIERART, qui était président du tribunaladministratif de Cergy-Pontoise, a été nommée pré-sident de la Cour administrative d’appel de Nancy.

François SENERS, conseiller d’État, a éténommé membre de la Commission des infrac-tions fiscales.

n Louise Michel 1984Raphaël BARTOLT, qui était directeur del’Agence nationale des titres sécurisés, a éténommé préfet de Meurthe-et-Moselle.

François BERGERE, qui était secrétaire géné-ral de la mission d’appui à la réalisation descontrats de partenariat depuis 2005, a été nommédirecteur de la « Mission d’appui aux partenariatspublic-privé », nouveau service à compétencenationale rattaché au directeur général du trésor.

Stéphane PALLEZ, qui était administrateur etdirecteur général de la Caisse centrale de réas-surance –CCR, a été nommée président du conseild’administration de ce même établissement.

Guillaume PEPY, président de la SNCF, a éténommé vice-président du conseil de surveillan-ce de Systra.

Jean-Michel SEVERINO, président deInvestisseur & Partenaire pour le développement,a été nommé membre du « Advisory board » dela banque d’affaires DC Advisory Partners.

Olivier VASSEROT, contrôleur général écono-mique et financier, a été nommé délégué auxrestructurations au ministère de la Défense etdes Anciens combattants.

n Léonard de Vinci 1985Eve DARRAGON, conseiller maître à la Courdes comptes, a été nommée présidente du Comiténational de la gestion des risques en forêt.

Jean-Claude HULOT, qui était directeur des par-ticipations du Commissariat à l’énergie atomiqueet aux énergies alternatives-CEA, a été nommécontrôleur général économique et financier.

Guillaume MULSANT, qui était président dechambre à la cour administrative d’appel deDouai, a été nommé président du tribunal admi-nistratif de Bastia.

n Denis Diderot 1986Marc DAVY, qui était expert à la Banque mon-diale, a été nommé sous-directeur des affairesgénérales au Commissariat général au dévelop-pement durable du ministère de l’Écologie, duDéveloppement durable, des Transports et duLogement.

Daniel RIQUIN, qui était président du tribunaladministratif de Bastia, a été nommé présidentdu tribunal administratif de Clermont-Ferrand.

n Fernand Braudel 1987Luc ALLAIRE, qui était directeur de l’adminis-tration générale et de la modernisation des ser-vices, au ministère du Travail, de l’Emploi et dela Santé, a été nommé directeur de la Caissenationale de solidarité pour l’autonomie-CNSA.

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79/ septembre 2011 / n° 414

Bruno DELETRE, qui est directeur général deBPCE International et Outre-mer, a été nommédirecteur général du Crédit Foncier.

Isabelle DUCHEFDELAVILLE, qui était ins-pecteur général de la Ville de Paris, a été nom-mée expert de haut niveau au secrétariat généraldu Conseil de Paris.

Thierry FRAYSSE, qui était ambassadeur auNicaragua, a été nommé ambassadeur chargéde l’adoption internationale.

Philippe LEFORT, qui était directeur de l’Europecontinentale au Quai d’Orsay, a été nommé repré-sentant spécial de l’Union européenne pour leCaucase du Sud et la crise en Géorgie.

n Michel de Montaigne 1988Marc-Antoine JAMET, secrétaire général dugroupe LVMH, vice-président du conseil régio-nal (PS) de Haute-Normandie a été nomméparallèlement président du pôle de compétitivi-té Cosmetic Valley.

Alexandre de JUNIAC, maître des requêtes auConseil d’État, a été nommé chargé de missionauprès de François Baroin, ministre de l’Écono-mie, des Finances et de l’Industrie.

Jean-Pierre LACROIX, qui était ministreconseiller, représentant permanent adjoint de laFrance auprès des Nations unies à New-York, aété nommé ambassadeur en Suède.

Jean-Michel MANGEOT de THIBALLIER, quiétait président directeur général de VacquerieConseil, a été nommé délégué général de laFédération des Promoteurs Immobiliers.

Alain ZABULON, qui était préfet de la Corrèze,a été nommé préfet des landes.

n Liberté Egalité Fraternité 1989Jean-Luc FABRE, qui était préfet de laGuadeloupe, représentant de l’État dans les col-lectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin,a été nommé préfet d’Indre-et-Loire.

Eric THEVENON, qui était président de lachambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne, a été nommé à la 7e chambre de laCour des comptes.

n Jean Monnet 1990Hervé GOSSELIN, conseiller à la Cour de cas-sation en service extraordinaire, a été nomméprésident de la commission de conciliation pré-vue dans le cadre de la réforme des droits d’au-teur des journalistes intervenue en 2009.

Stéphane SEILLER, qui était directeur des risquesprofessionnels de la Caisse nationale de l’assu-rance-maladie des travailleurs salariés-CNAMTS,a été nommé directeur général de la Caisse natio-nale du régime social des indépendants – RSI.

n Victor Hugo 1991Jacques SCHNEIDER, qui était directeur desressources humaines à la Préfecture de police,a été nommé inspecteur général de l’adminis-tration.

n Condorcet 1992Catherine DEMIER, secrétaire général duConseil des prélèvements obligatoires, a été nom-mée membre du Comité de surveillance de laCaisse d’amortissement de la dette sociale.

Thierry GUIMBAUD, qui était directeur de l’ex-ploitation du Syndicat des transports d’Ile-de-France, a été nommé directeur des services detransport (direction générale des infrastructures,des transports et de la mer) au ministère del’Écologie, du Développement durable, desTransports et du Logement.

Luc MACHARD, conseiller maître à la Cour descomptes, a été nommé directeur général des ser-vices du Défenseur des droits.

Valérie PECRESSE, qui était ministre del’Enseignement supérieur et de la Recherche, aété nommée ministre du Budget, des Comptespublics et de la Réforme de l’Etat, porte-paroledu gouvernement.

Philippe PORTAL, qui était sous-préfet d’Alès,a été nommé sous-préfet de Mantes-la-Jolie.

n Léon Gambetta 1993Pascal BRICE, conseiller des affaires étran-gères, a été nommé conseiller spécial de HarlemDesir, Premier secrétaire du PS par intérim.

Olivier PAGEZY, qui était directeur de cabinetde Valérie Pecresse au ministère de l’Enseignementsupérieur et de la Recherche, a été nomméconseiller spécial, à son cabinet au ministère duBudget, des Comptes publics et de la Réformede l’État.

Pierre THENARD, qui était chargé de missionpour la politique américaine et atlantique dansle monde arabe à la direction de la prospectiveau Quai d’Orsay, a été nommé consul général àTanger.

n Saint-Exupéry 1994Philippe ARDANAZ, qui était chef de la Missionministérielle de contrôle de gestion à la direc-tion des affaires budgétaires à la direction géné-rale de l’administration et de la modernisationde ministère des Affaires étrangères et euro-péennes, a été nommé ambassadeur auHonduras.

Joël BLONDEL, qui était directeur régional desentreprises, de la concurrence, de la consom-mation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France,a été nommé directeur de l’administration géné-

rale et de la modernisation de services au minis-tère du Travail, de l’Emploi et de la Santé.

Philippe LACOSTE, qui était directeur adjointdes biens publics mondiaux au Quai d’Orsay, aété nommé ambassadeur aux Comores.

n René Char 1995Anne-Gabrielle HEILBRONNER, qui étaitdirecteur de l’audit et des risques de la SNCF, aété nommée banquier-conseil Société GénéraleCorporate & Investissement Banking.

Armand LAFERRERE, qui était directeur à ladirection International et Marketing d’Areva, aété nommé directeur du développement com-mercial.

Olivier MARTEL, qui était chargé de missionauprès du directeur de la décentralisation et desrelations avec les associations, les territoires etles citoyens de la Ville de Paris, a été nommédirecteur de projet de la Ville de Paris, chargéd’assurer le déploiement du suivi des risques ausein de la collectivité.

n Victor Schoelcher 1996Yvon ALAIN, qui était adjoint au directeur géné-ral de l’Institut de recherche pour le développe-ment-IRD, a été nommé directeur de l’Institutrégional de Bastia.

Yves GOUNIN, qui était conseiller (questionsjuridiques, espace « liberté, sécurité et justice »,élargissement, Conseil de l’Europe) au cabinetde Laurent Wauquiez au ministère chargé desAffaires européennes, a été nommé directeuradjoint du cabinet de Jean Leonetti, ministrechargé des Affaires européennes.

Philippe JOSSE, conseiller d’État, a été nomméprésident du comité de sélection pour le recrute-ment d’inspecteurs des finances au tour extérieur.

n Marc Bloch 1997Alexandre GARDETTE, qui était conseiller socialau cabinet de François Baroin au ministère duBudget, des Comptes publics, de la Fonctionpublique et de la Réforme de l’État, Porte-paro-lat du Gouvernement, a été nommé conseillersocial et budgétaire au cabinet de FrançoisBaroin, ministre de l’Économie, des Finances etde l’Industrie et parallèlement conseiller socialau cabinet de Valérie Pecresse.

Régis PELISSIER, qui était directeur des rela-tions institutionnelles et du développement à ladirection des retraites de la CDC, a été nommédélégué au réseau de la direction du développe-ment territorial et du réseau de ce même groupe.

Sophie THIBAULT, qui était directrice de l’éva-luation de la performance, et des affaires finan-cières et immobilières Place Beauvau, a éténommée préfet de la Corrèze.

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n Cyrano de Bergerac 1999Blaise-Philippe CHAUMONT, qui étaitconseiller fiscal au cabinet de François Baroinau ministère du Budget, des Comptes publics,de la Fonction publique et de la réforme de l’É-tat, Porte-parolat du Gouvernement, a éténommé directeur adjoint du cabinet de FrançoisBaroin, ministre de l’Économie, des Finances etde l’Industrie, chargé de la fiscalité, de la concur-rence, de la compétitivité et des affaires juri-diques.

Thomas DEGOS, qui était directeur du cabinetde Maurice Leroy, ministre de la Ville, a éténommé préfet, représentant du gouvernementà Mayotte.

Julien FONTAINE, directeur associé chezMcKinsey & Compagny, chargé des servicesfinanciers, a été nommé directeur de la straté-gie de Crédit agricole S.A.

n Averroès 2000Christophe BONNARD, qui était directeuradjoint du cabinet de Christine Lagarde au minis-tère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie,a été nommé directeur adjoint du cabinet deFrançois Baroin, chargé des affaires multilaté-rales et européennes, du financement de l’éco-nomie et de la politique macroéconomique.

Laurent HOTTIAUX, qui était directeur adjointdu cabinet de Maurice Leroy, ministre de la Ville,a été nommé directeur de ce même cabinet.

Nathalie LECLERC, qui était chef du servicedes finances et du budget au ministère de laDéfense et des Anciens combattants, a été nom-mée directrice de projet chargé du renforcementde la fonction financière, auprès du directeur desaffaires financières dans ce même ministère.

n Nelson Mandela 2001Laurent WAUQUIEZ, qui était ministre chargédes Affaires européennes, a été nommé ministrede l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

n Copernic 2002Vincent CHEVRIER, qui était secrétaire géné-ral de l’Union nationale des organismes d’assu-rance maladie, a été nommé conseiller au cabinetde Claude Greff, secrétaire d’État chargée de laFamille.

Erkki MAILLARD, qui était directeur de cabi-net de Laurent Wauquiez, au ministère chargédes Affaires européennes, occupera ces mêmesfonctions au ministère de l’Enseignement supé-rieur et de la Recherche.

Christophe VIPREY, qui était chef du bureaudes affaires aéronautiques, militaires et navalesà la direction générale du Trésor, a été nommédirecteur des garanties publiques de Coface.

n René Cassin 2003Régis BAC, qui était directeur des affaires finan-cières et du contrôle de gestion de la Cour descomptes, a été nommé sous-directeur chargéde la direction générale des services auprès dusecrétaire général de la Cour des comptes.

Hugues de BALATHIER-LANTAGE qui étaitjusqu’alors chef du département Travail-Emploidu centre d’analyse stratégique, a été nommésecrétaire général du Conseil d’orientation pourl’emploi.

Pierre COURAL, qui était conseiller auprès deGeorges Tron au secrétariat d’État chargé de laFonction publique, a été nommé conseiller auprèsde François Sauvadet, ministre de la Fonctionpublique.

Laurence TISON-VUILLAUME, qui était rap-porteur extérieur à la Cour des comptes, a éténommée secrétaire générale adjointe, chargéede l’économie et de l’Innovation du Commissariatgénéral pour le développement de la vallée dela Seine.

n Léopold Sédar Senghor 2004Charline AVENEL, qui était directrice adjointedu cabinet de Valérie Pecresse, chargée notam-ment des moyens et de l’évaluation, a été nom-mée directrice adjointe du cabinet de LaurentWauquiez, chargée des moyens, de l’évaluationet de la recherche.

Arnaud JULLIAN, qui était conseiller techniquedéfense, logement, Outre-mer, solidarité et santé,au cabinet de François Baroin au ministère duBudget, a été nommé conseiller, défense, loge-ment, Outre-mer, solidarité, santé au cabinet deValérie Pecresse, ministre du Budget, desComptes publics et de la Réforme de l’État.

Sébastien PROTO, qui était gérant chezRotschild &Cie, a été nommé directeur du cabi-net de Valérie Pecresse, ministre du Budget, desComptes publics et de la Réforme de l’État, Porte-parole du Gouvernement.

n Romain Gary 2005Gautier BAILLY, qui était conseiller synthèsebudgétaire et emploi au cabinet de FrançoisBaroin au ministère du Budget, des Comptespublics, de la Fonction publique et de la Réformede l’État, Porte-parolat du Gouvernement, a éténommé directeur adjoint du cabinet, chargé dubudget et des comptes publics au cabinet deValérie Pecresse, ministre du Budget, desComptes Publics et de la Réforme de l’État.

Rodolphe CHEVALIER, qui était chef du bureauB2 (Areva et GDF Suez) de l’Agence des parti-cipations de l’État, a été nommé directeur adjointdu cabinet de François Baroin, ministre de l’Éco-

nomie, des Finances et de l’Industrie, chargédes entreprises et des participations publiques.

Christophe GARAT, qui était conseiller (poli-tique commerciale commune, recherche et inno-vation, santé et transport) au cabinet de LaurentWauquiez au ministère chargé des Affaires euro-péennes, a été nommé conseiller au cabinet deJean Leonetti, ministre chargé des Affaires euro-péennes.

Julie NARBEY, qui était conseillère en chargedes affaires budgétaires et fiscales, de la moder-nisation et du développement durable au cabi-net de Frédéric Mitterrand, ministre de la Cultureet de la Communication, a été nommée direc-trice générale déléguée de la société par actionssimplifiée palais de Tokyo.

n Simone Veil 2006Alexandra LOCQUET, qui était adjointe au chefde bureau transports et mer de la direction duBudget, a été nommée conseiller technique aucabinet de Thierry Mariani, ministre chargé desTransports.

n République 2007Perrine BARRE, qui était chef de mission à ladélégation générale à l’emploi et à la formationprofessionnelle a été nommée dans les fonctionsd’inspecteur des finances.

Jean-Marc OLERON, qui était chef du bureaude la défense et de la mémoire à la direction duBudget, au ministère du Budget, des Comptespublics et de la Réforme de l’État, a été nomméconseiller technique collectivités locales, édu-cation nationale, enseignement supérieur etrecherche au cabinet de Valérie Pecresse,ministre du Budget, des Comptes publics, et dela Réforme de l’État, Porte-parole du gouverne-ment.

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planantes issues du chant gré-gorien. La polyphonie ajouteici une ampleur expressiveretournant littéralement l’au-diteur.La route s’élève graduellementcomme pour être accessible àtous. De fait, passé le premierquart de l’œuvre, l’intermèdeinstrumental Misere mei Dominiest à l’auditeur ce que l’arrêtprès d’une fontaine est aupèlerin : une étape indispen-sable, vitale, un moment de res-sourcement d’une intense joie.Sacqueboutes, cornet, flûtes àbec, bassons, solennisent lemoment avec une grâce indi-cible.Une nouvelle étape commen-ce à partir du Sanctus. Lors, lamesse se développe sur cinqvoix au lieu de quatre précé-demment. Des deux voix debasses résulte une profondeursaisissante, encore accrue parla puissance tout en rondeurdes sacqueboutes. Ainsi, entreferveur, tendresse et douleur,la musique franchit un sommet

conduisant l’auditeur à passerune limite, comme celle quisépare les vivants et les morts.Il atteint alors la zone du mer-veilleux avant d’être ramenésur Terre. Soyons heureux d’être parmiles premiers à pouvoir nousdélecter pleinement de cettemusique extraordinaire !

n MUSIQUE BAROQUE§��§ GIOVANNI GIORGI§��§

AVE MARIA

Chœur de chambre de NamurLeonardo GARCIA-ALARCON(Réf. : RIC 313 – Ricercar –2011)Bien que parfaitement incon-nue, la musique de GiovanniGiorgi (?-1762) recèle unemunificence exceptionnelle.Ainsi, pour la seule messechantée ici, pas moins d’undouble chœur, des voix solistes,des cornets à bouquin et destrombones, soulignant de leurstimbres puissants et chauds

« Nouvelles musiques, nouveaux talents « (NMNT)Cette rentrée de septembre est l’occasion de célébrer les 10 ans (déjà !) de la rubrique « Nouvelles musiques, nouveaux talents » ! Dix années passées à écouter, jour après jour, sélectionner, semaine après semaine, et essayer de vous faire partager, mois après mois, notre passion pour la Musique, pour toutes les musiques et, surtout, pour les vrais projets musicaux ! Des projets animés et portés par des musiciens, chanteurs, compositeurs que les grands médias ne mettent pas souvent ou pas assez à l’honneur : parce qu’ils ne sont pas connus ; parce d’autres sont trop connus ; parce le secteur discographique, qui vit, on le sait, une crise sans précédent, n’a jamais été aussi à la fois créatif et concentré ! Aujourd’hui, c’est un nouveau modèle tant économique que culturel qu’il faut inventer, et ce, pour les industries culturelles en général ; mais c’est aussi la notion de « prescripteur » qu’il convient de recréer afin que ce ne soient pas seulement les lois commerciales et marketing qui imposent leurs choix.Durant ces dix années passées avec vous, ce sont plus de 500 nouveautés et presque autant d’artistes qui vous ont été présentés ! Alors en ce mois « anniversaire », nous avons souhaité marquer le coup,avec une douzaine de nouveautés : six de musique classique, six de musiques actuelles ! Et souhaiter que, dans cinq, dans dix ans, nous puissions toujours être fidèles au rendez-vous ! Avec chacune et chacun d’entre vous ! En attendant, bonne rentrée et bonne écoute !

N.B. : Le symbole §��§ signale nos nouveautés « coup de cœur ». Cela ne minore en rien le caractère exceptionnel des autres œuvres présentées.

n MUSIQUE DE LA RENAISSANCE§��§ANTOINE DE FÉVIN§��§

REQUIEM D’ANNE

DE BRETAGNE

Doulce MémoireDenis Raisin Dadre(Réf. : ZZT 090901 – Zig ZagTerritoires – Harmonia Mundi –2009)Avec ce disque enregistré parl’ensemble Doulce mémoire,placé sous la direction deDenis Raisin Dadre, c’est unegrande page de l’histoire deFrance qui est évoquée. Envérité, les quarante jours decérémonies qui accompagnè-rent la dépouille d’Anne deBretagne, de Blois, lieu de son

décès, à Saint Denis, lieu de sasépulture, témoignent de l’im-portance de l’événement. Pour autant, si les écrits four-nissent de très nombreuxdétails concernant le déroule-ment de cette quarantaine, ilsrestent quasiment muets surles œuvres musicales jouéeslors de ces jours funèbres. Àcet égard, Denis Raisin Dadredut faire des choix parmi lesdifférentes œuvres susceptiblesd’avoir figuré au programmedes funérailles de la reine.Finalement, c’est le magnifiqueRequiem d’Antoine de Fevin(v.1470-1512) qui a finit paremporter tous les suffrages desmusiciens de l’ensemble Doulcemémoire.Dès l’Introit, il émane un climatde paix et de douceur sortantles cœurs de leurs préoccupa-tions quotidiennes. Un nou-veau monde s’ouvre, tournévers le ciel… Le temps déjàsemble être aboli au fil deslongues phrases se tissantautour de lignes mélodiques

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l’édifice. Tel est le florilège nonexhaustif des grandioses réjouis-sancescontenues dans ce disque.À dire vrai, l’œuvre polycho-rale de Giorgi, qui se révèle unimmense architecte sonore, secompare volontiers aux gigan-tesques cathédrales gothiques.Il faut dire que ces dernièressont quasiment indissociablesde cette musique, tant elleréclame une nef large et éle-vée pour assurer l’épanouisse-ment des instruments et voix,sans les brimer.Entre madrigalisme archaïqueet harmonie anticipant un clas-sicisme naissant, notre com-positeur est parvenu à créerune sorte de microclimat dansl’histoire de la musique. Eneffet, maître de chapelle àSaint-Jean-de-Latran à Romeentre 1719 et 1725, il poursui-vit tout en l’enrichissant l’uni-vers polychoral des grandscompositeurs du XVIe siècle.Cet état de fait s’explique sansdoute par son attachement àla musique sacrée, par ailleurssoumise à des contingencesliées tant à la liturgie qu’à sescommanditaires ecclésiastiques.Giorgi n’en laisse pas moinsune œuvre originale, déployantun contrepoint d’une granderichesse, qui allie avec une sûrehabilité de splendides disso-nances.À titre d’exemple, le Credo dela messe possède un soufflerappelant parfois l’inspirationdu meilleur Mozart (1756-1791). La diversité des modesd’écriture, les changements de

tempi, l’alternance des pas-sages entre voix et instruments,conduisent rapidement l’audi-teur vers une bienheureuseplénitude. Nonobstant, l’AveMaria d’ouverture donne lapleine mesure de la brillantis-sime interprétation du chœurde Namur. Voix aériennes cise-lées sur une prosodie parfaite,homogénéité d’ensemble irré-prochable, énergie savammentconduite du début à la fin. Àcet égard, Leornardo Garcia-Alarcon se fait le meilleurinterprète qui soit pour sortirGiovanni Giorgi de l’ombre. Au total, si la richesse d’écri-ture de ces polyphonies pour-rait vite confiner à un magmasonore difficilement audible –ce qui peut expliquer que sansune compréhension parfaite,cette musique ait pu ne susci-ter qu’une reconnaissancemitigée –, il n’en est rien aveccet enregistrement, tant la qua-lité d’exécution et d’interpré-tation est forte. La musique deGiovanni Giorgi peut ainsiêtre beaucoup mieux appré-hendée aujourd’hui et ainsi,devenir abordable pour touset ce, pour notre plus grandplaisir !

n MUSIQUE BAROQUE§��§MATTHIASWECKMAN§��§

CONCERTI VOCALI / SONATE /PARTITE

Ensemble LES CYCLOPESBibiane LAPOINTE &Thierry MAEDER(Réf. : ZZT 110502 – Zig ZagTerritoires – Harmonia Mundi –2011)On peut dire que Les cyclopes,ensemble de musiciens dirigéspar Bibiane Lapointe et ThierryMaeder ont eu l’œil. En effet,s’il est moins connu qu’HeinrichSchutz (1585-1672) ou ClaudioMonteverdi (1567-1643), MatthiasWeckman (1616-1674) est uncompositeur dont les belles

partitions méritent d’êtrerejouées. Musique sublime s’ilen est, ces opus ensorcellent nossens jusqu’à les subordonneraux émotions les plus fortes,ravissant nos cœurs d’une joietantôt grave, tantôt légère.

Peintre de l’âme, Weckmanexprime à travers ses notestout le climat sous-entendu parles mots. Par exemple, Wie liegtdie Stadt so wuste s’égrène surun tapis d’orgue en jeu deflûte, duquel se détache la voixadmirable de délicatessed’Eugénie Warnier. Oui, vrai-ment, « comme elle est déser-te, cette ville si peuplée jadis ».Et cette solitude de l’Homme,« perdu entre deux infinis »pour reprendre les mots dePascal (1623-1662), se trouvetraduite ici avec une puissan-ce dramatique sans égal. Si la musique de MatthiasWeckman trouble autant, sansdoute est-ce parce qu’elleconcentre avec une ardeurhors du commun toutes lestensions, les interrogationsmais aussi l’espérance d’unavenir radieux, de toute l’hu-manité. Hors du commun estégalement cet enregistrement,vibrant, brillant, bouleversant,tout simplement exceptionnel !

n MUSIQUE CLASSIQUE MOZART & BEETHOVENSONATES POUR PIANOFORTE

ET VIOLON

Rémy CARDINALE, pianoforte et Hélène SCHMITT,violon(Réf. : ALPHA 177 – 2011)Comment se faire connaîtrelorsque l’on est un jeune com-positeur ? Cette question quebeaucoup se posent aujour-d’hui, Mozart (1756-1791) etBeethoven (1770-1827) l’éprou-vèrent eux aussi. Leurs réponsesprirent corps avec la sonatepour clavier et violon, genrequi à l’époque était le plus sus-ceptible d’ouvrir les portes del’aristocratie viennoise du der-nier quart du XVIIIe siècle.Autant dire que ces « cartes devisite » cristallisaient beaucoup

1 - Apocalypse de Jean, lamentations de Jérémie, psaume125.

Exemple même de ces senti-ments contrastés, la Sonate à 4n°2 commence par un rythmesautillant, inclinant à la danse.L’embrasement aussi progres-sif qu’inextinguible se propage,en petites gerbes flamboyantes,de trombone en basson et decornet à bouquin en violon. Ceseffusions volubiles caressentdivinement nos sens avant quene vienne le temps des disso-nances, dans lequel chaque ins-trument s’enlace, se frotte,créant en tout point de l’ambi-tus des flambeaux d’une lumiè-re intense. Les timbres duquatuor ne sont pas pour riendans ce feu d’artifice. Àl’aigredu basson répond la douceur dutrombone, à la suavité du cornets’oppose l’amertume du violon,le tout étant lié par le continuode l’orgue et du clavecin. Côté pièces vocales, les textessacrés1 oscillent entre optimis-te et désolation. Ainsi, dansWeine nicht, peut-on entendre« ne pleure pas, il a triomphé lelion de la tribu de Juda » ouencore « gloire et pouvoird’éternité en éternité ». Pourautant, il n’est qu’à se laisserporter par le conclusif « amen »,éminemment déployé et orné,pour se rendre compte detoute l’espérance contenuedans cette musique.

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Du Trio en Mi bémol majeur,le second mouvement est leplus célèbre. Son thème extra-ordinaire de simplicité et degrâce nous imprègne avecforce. Au demeurant, l’imagedu promeneur solitaire sembleassez adaptée pour décrire cemouvement. Promeneur enproie au doute, interrogatif,comme le suggère la mélodiese mettant soudainement àpiétiner sur deux octaves,avant de reprendre sa marcheforcée initiale.

time –avec ses œuvres de hautevolée, le trio Dali risque bienlui de faire un tabac en lesinterprétant de la sorte.

n MUSIQUE CONTEMPORAINE BERNARD CAVANNA KARL KOOP KONZERT /SHANGAI CONCERTO / TROIS

STROPHES

Orchestre National deLille / Ensemble 2e2m(Réf. : AECD 1104 – Aenon –2011)Chez Bernard Cavanna2, lesantinomies sont reines. Thèmessavants, thèmes populaires,références au passé résolu-ment filtrées par une expéri-mentation futuriste, sontautant de paramètres qu’ilcombine en un éclectismeflamboyant. De surcroît, lamusique de cet anticonformis-te puise dans la confrontationson combustible créateur, touten lui conservant une unitéprofonde.Organiser la lutte entre lesmasses sonores, tel semble êtreun des fondements de la mu-sique selon Bernard Cavanna.Opposer un instrument, quel-quefois deux (qui n’en font enfait qu’un comme dans ShanghaiConcerto) et l’orchestre sym-phonique, une voix et un chœur,comme dans sa Messe, untemps ordinaire, revient pourlui à poser la question du liende l’individu avec la société,entre répulsion et attraction.Notre compositeur conserveaussi un rapport étroit avecl’anamnèse. Mémoire affecti-ve parfois, comme celle de songrand-père accordéoniste, pré-sent en son for intérieur lors-qu’il écrit Karl Koop Konzertpour accordéon et orchestre.Notons aussi que le derniermouvement de ShanghaiConcerto rend hommage à sonami Aurèle Stroe, compositeurbulgare décédé en 2008.Anamnèse se révélant ailleurs

d’espoirs tout en requérant lemeilleur de ces compositeurs.La Sonate en mi bémol majeurKV380 de W.A.Mozart (1752-1791) parue sous le titre de« Sonate pour Clavecin ou pia-noforte avec l’accompagnementd’un violon ». À dire vrai, cetteappellation laisse quelque peudubitatif au regard de la partiede violon qui est bien loin de secantonner à un simple rôle d’ac-compagnement. Ou alors fallait-ilappréhender le terme « accompa-gnement » dans une perspectiveculinaire, c’est-à-dire la maniè-re d’agrémenter un plat pour luidonner sa pleine saveur ? Carsavoureuse, cette sonate l’est belest bien !

deur de certains concertos depiano du maître.Quant à elle, la Première sona-te en ré majeur de Beethoven,montre au-delà de son éclat etde son inventivité qu’il est tou-jours difficile d’être apprécié àsa juste valeur. En effet, commele rapporte Gilles Cantagrel,bien connu des auditeurs deFrance Musique, un critiquemusical écrivait – sans doute unpeu trop rapidement ! – à pro-pos de cette sonate, lors de sacréation : « C’est un amas dechoses savantes sans métho-de ». De quoi rendre espoir àtous les musiciens désireux deconquérir le monde…Quoiqu’il en soit, par leursqualités d’interprète tout à faitadmirables, Rémy Cardinaleet Hélène Schmitt risquentbien de laisser leur nom dansbien des mémoires, y compriscelle des critiques !

n MUSIQUE ROMANTIQUE§��§ FRANZ SCHUBERT§��§

TRIOS / SONATE « ARPEG-GIONE » / FANTAISIE

Trio DaliAmandine SAVARY, VinetaSAREIKA et Christian-PierreLA MARCA (Réf. : FUG584 – Fuga Libera– 2011)À l’instar de ses aînés, Mozartet Beethoven, Franz Schubert(1797-1828) tenta de laisserune empreinte dans la sociétéviennoise du début du XIXe

siècle avec sa musique dechambre. Pour autant, maladeet épuisé, bien conscient d’unemort proche, le compositeur, àseulement trente ans, écrivitnon pas des œuvres pour s’ou-vrir les portes des salons lesplus influents de Vienne, maisun véritable testament artis-tique. Ainsi, en enregistrant lesdeux Trio, la Sonate« Arpeggioneet la Fantaisie, le Trio Dali revisi-te l’essence même de la musiquede chambre de Schubert.

Le premier mouvement trèsenjoué, presque espiègle, est lereflet d’une jeunesse pleined’énergie, de grâce et d’hu-mour. Davantage de pudeurs’exhale du mouvement médian.Là, une plainte latente, untourment aussi indicible qu’in-exorable, s’élèvent des instru-ments. Quant au final Rondoallegro, son impétuosité et safougue grandissante démontre,s’il était besoin, que violonisteet pianiste n’ont rien à s’enviertant cette sonate exige uneréelle virtuosité.Composée seulement deux ansplus tard, la Sonate en si bémolmajeure KV 454 acquiert uneliberté de style extraordinaire.Si elle reste en trois mouve-ments, les contrastes s’étalenten camaïeu sur l’ensemble del’œuvre. L’inspiration continuen’est pas sans rappeler la gran-

Quant à la Fantaisie en Utmajeur pour violon et piano,elle palpite littéralement,rayonnant d’une lumièreexceptionnelle. D’une extrê-me difficulté, de par son atmo-sphère contrastée, sa légèretéineffable, ses traits véloces etses nuances variées, cetteFantaisie requiert une redou-table maîtrise technique. Àdire vrai, le duo doit ressentir,au détour de chaque mesure,des montées d’adrénalinepropres aux équilibristes poséssur un fil à trente mètres dehauteur. Cependant, ces ver-tiges dépassés, l’œuvre distilleun élixir particulièrementséduisant. Le troisième mou-vement enchante littéralementpar sa puissance émotionnellecalibrée au gré de modulationsfascinantes. Exaltant est éga-lement le jeu du violon inter-venant comme s’il était la voixoff du piano… Bref, si Schubert n’eut pasl’heur de remporter un succès– qui aurait pourtant été légi-

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plus structurelle en impliquantdirectement des citations. Àcet égard, Shanghai Concertocontient en son premier mou-vement une mesure de la troi-sième Partita pour violon deJ.S. Bach (1685-1750) et unthème traditionnel chinoisdans le second.

drée, cette célébration faitrevivre l’homme avec beau-coup de dignité, et travers luitous celles et ceux qui luttentpour le progrès de l’humanité.Qu’elle plaise ou qu’elle déran-ge, la musique de BernardCavanna trouve sa force danssa sincérité, un phénomènerécurrent qui authentifiedepuis la nuit des temps lamarque du véritable artiste.Affaire à suivre…

n FANFARE JAZZ ROCK§��§ PIERRICKPÉDRON§��§

CHEERLEADERS

(Réf. : 9511-2 – ACT –Harmonia Mundi – Septembre2011)Pour qui suit la carrière dePierrick Pédron, il est biendélicat de le classer dans ungenre particulier. Certes, le jazzest le trait d’union de l’en-semble de ses créations etinterprétations. Mais du plusclassique au plus free, d’uneapproche quasi-ethnologiquedu genre – depuis le bal jus-qu’aux musiques du monde –à une influence fortement mar-quée par le rock voire le hardrock, il a su sortir d’un jazz« droit dans ses notes », où ils’agit avant tout et après toutde grimper les grilles à l’hori-zontal, pour développer unemusique originale et un jeuparfaitement maîtrisé, lesquelsle placent aujourd’hui parmiles meilleurs saxophonistes dela scène européenne et inter-nationale.Alors qu’il était un sidemanparticulièrement recherché enFrance, il a assis son autoritéde leader en traversantl’Atlantique pour graver, en2006, Deep In A Dream, unalbum qui sonne, après coup,comme un rite initiatique, unevéritable catharsis. Tout jazz-man se doit d’en passer parNew York, et qui plus est avec

une rythmique d’experts, pourfaire aboutir son « rêve améri-cain ». Après, tout devient pos-sible et l’on peut faire tomberle costume de soliste, finale-ment relativement étriqué,pour celui autrement plusample et coloré d’artiste. Caril s’agit bien de créer de nou-velles frontières et non dereproduire, aussi bien soit-il,des formats joués et rejoués.

La bonne idée de mise en sonslui sera suggérée par la vidéasteet photographe Elise Dutartre :un personnage central autourduquel tout le disque est scé-narisé. Ce personnage n’estautre qu’une majorette, héroïnede cette bande-son supersoniqueaux allures de superproduction.Les neufs morceaux se lientainsi en des fondus enchaînés,qui racontent les tourmentsd’une nuit – de la vie ? – decette jeune fille à la baguette,qui s’éveille avec une tête debrochet (Esox-Lucius) et prendau final les traits d’une dan-seuse contemporaine new-yor-kaise, Toshiko, incarnant lerêve « absolu ». Le premiertitre et le dernier fonctionnentpar symétries (introductionlente et progressive, sons longset étirés, thème obsédant) etdissymétries (l’aurore versusla nuit tombante ; les cuivreset les ruptures d’un côté, lepiano comme tapis sonore, del’autre ; conclusion-ouvertureavec la voix d’Elise Caroncontre conclusion en mou-rant). The Cloud, deuxièmetitre, s’ouvre avec la guitareélectrique, bientôt rejoint parle saxophone, l’ambiance rockn’étant adoucie que lorsque lepiano et le saxophone seretrouvent ; mais ce dernierrevêt le double visage de Janusou plutôt ceux de DocteurJekill et de Mister Hyde.Lafanfare fait le lien – ce sera lecas pour les autres morceaux– avec le titre suivant, MissFalk’s Dog, dont le caractèrerock est indubitable, même siPédron saura introduire descésures et des passages faisantoublier un certain côté métal.La ballade composée par Chrisde Pauw (The Mist’s Of Time)vient à point nommé, avant quela danse de Nonagon (Nonagon’s

En outre, Bernard Cavanna,posé, pacifique, comme lemontre l’excellent film Lapeau sur la table de Delphinede Blic (qui accompagne cedisque), propose souvent unemusique violente, voire véhé-mente. Chaos sonores fortissi-mo, sirènes, fouets, accents,soubresauts, sont les signesd’une inquiétante instabilitéqui domine souvent au débutde ses œuvres. L’apaisement nevient qu’ensuite, après le crilibérateur.Le timbre est aussi une descomposantes essentielle de lamusique de Bernard Cavanna.Aussi rencontre-t-on dans KarlKoop Konzert un accordéon,mais aussi des trompes dechasses et une cornemuse. Pourles Trois strophes sur le nom dePatrice Emery Lumumba, lecompositeur choisit l’alto, autimbre dramatique, la viole degambe, beaucoup plus intro-vertie que le violoncelle, deuxcontrebasses, pesantes, uneharpe et des timbales. Cetensemble aux sonorités subtilesrend un magnifique hommageà celui qui fut une figure de l’in-dépendance de Congo en 1960.Entre lyrisme dépouillé etangoisse savamment saupou-

Avec son nouvel album Cheer-leaders, ce sont bien de nou-veaux formats que PierrickPedron nous propose, entrejazz, rock, ambiances psyché-déliques et ruptures en fanfa-re. Il n’y a aucun interdit,aucun tabou. Plus qu’un retouraux sources, c’est un véritablebain de jouvence : il retrouveun complice de ses vertesannées, Ludovic Bource, à lagenèse et à la direction artis-tique de ce projet, dont « l’idéede base était la fanfare, unthème liés au son de [son]enfance ». Si cet album étaitdéjà dans sa tête « il y a vingtans », il ne deviendra réalitéque grâce à un couple demécènes qui lui offre la possi-bilité de réunir une fanfare dedix-sept cuivres des plussolides (parmi lesquels PatrickArtero à la trompette), unchœur de six voix et son grou-pe (Vincent Artaud à la guita-re, Laurent Coq au piano et auFender Rhodes, Chris de Pauwà la guitare, Fabrice Moreau etFranck Agulhon, tous deux àla batterie) !... Mais commentassocier tout ce beau monde ?

2 - Cf. ENA Hors les Murs, avril 2006 et l’opéra pour jeunepublic de Bernard CAVANNA, d’après un livret de Michel Beretti :« Raphaël, Reviens ! » - réf. S208/NT100, Soupir Editions,Nocturne, Février 2006.

effet bien difficile de faire lapart de la tradition et de lacréation personnelle, de lamémoire orale et de l’imagi-nation, tant cette musique, paressence itinérante, se révèlesans frontière aucune. Chet Nuneta est né, il y a dixans, d’un trio de chanteusesfrançaises (Juliette Roussille,Daphné Clouzeau et ValérieGardou) interprétant des chantstraditionnels du monde. Passion-nées par les possibilités sonoresde la voix et les polyphonies,elles créent des arrangementssur des chants glanés au gré deleurs voyages ou de leursrecherches musicologiques etdiscographiques. Après avoirtourné en festival de rue etdans le milieu associatif, ellesrencontrent les Têtes Raides,qui les invitent à rejoindre lelabel… Mon Slip (cela ne s’in-vente pas !) pour la productiond’un premier album. Elles fontalors appel à une quatrièmechanteuse venue d’Italie, LiliaRuocco, pour enrichir l’har-monie et à Michaël Fernandezpour les accompagner aux per-cussions. Ils vont ainsi, à euxcinq, donner naissance à leurpremier album, Ailleurs.Avec Pangea, leur deuxièmealbum, c’est un quintet légère-ment modifié que l’on retrou-ve. Juliette Roussille (voix,guitare, petites percussions),Lilia Ruocco (voix, petites per-cussions) et Michaël Fernandez(percussions, gembry, Iyre etsampler) sont fidèles au poste ;une troisième chanteuse appa-raît en la voix de BéatrizSalmerón-Martín (voix, petitespercussions) et un second per-cussionniste et chanteur en lapersonne de Fouad Achkir.Leur musique se nourrit detoutes leurs émotions et décou-vertes, mais aussi d’une irré-sistible envie d’aller toujoursplus loin dans les rencontres etles mélanges. Subtilités ryth-miques (souvent), mélancolie

lyrique ou allégresse de l’im-provisation (au choix), éclectis-me des inspirations (toujours)sont à la source de ces douzemorceaux qui sont commeautant de travaux d’un Herculechanteur… ! On y retrouveainsi les cultures komi, pygmée,moldave, séfarade, chinoise ouencore arabe, sans qu’il ne soitpossible de dire ce qui relèvede la création ou de la tradition.

noire et de beaucoup desmusiques actuelles. Ce sontensuite deux traditionnels mol-dave (Veres Az Eg) et arabo-andalou (Rasta Riyad) – avec,pour ce dernier, une voix demuezzin sortie de nulle part,qui sait aussi jouer les rasta ! –qui enchantent nos oreilles,avant d’embarquer pourl’Italie et la Roumanie avecParadis Sott’e ‘NCoppa – quis’ouvrira également sur unthème chanté a cappella –, latradition séfarade et ses mélo-dies envoûtantes avec ElAguadero, et enfin, l’Espagneet la Bulgarie, avec le minima-liste, progressif et très planantCaminata. Les trois derniersmorceaux nous plongerontdans des ambiances encore dif-férentes : le continent indienavec Indiambedagetz et ses lan-gueurs méditatives ; l’Océanindien – l’Ile Maurice – avecRoseda Vieja Sirena, plein decolère et de rythme ; et, enfin,la vie de nomade avec Ji JartOtt, traditionnel rrom avecbruits de couverts, guitare etclaquettes.Avec des mots et des sons sansfrontières, avec aussi de l’hu-mour et beaucoup de sensibi-lité et de finesse, Chet Nunetarend hommage à la mémoiredes peuples, traquant les voiesmusicales pour y déceler lestraces de ce continent mythiquequi les unissait à l’origine. Maisce faisant, tels des archéologuesde la musique, nos complicesnous donnent également desrepères pour le présent et célè-brent l’avenir et la vitalité de cesmêmes peuples ! Patrimoineimmatériel, patrimoine imagi-naire, la Musique se joue desespaces et du temps et ce seraencore longtemps comme cela !C’est peut-être pour cette rai-son qu’elle est aussi nécessaireà l’homme et que des groupescomme Chet Nuneta méritentd’être connus ! À découvrirabsolument !

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Dance), aux mesures irrégu-lières et à la rythmique sau-tillante, ne relance la donne.Nouvelle pause avec un thèmemagnifique, 2010 White Boots :notes étirées, tempo lent, saxo-phone altier… Puis les deuxavant-derniers titres, The Cheer-leader’s et Coupe 3, prolongentl’ambiance totalement envoû-tante de ce disque.Les événements défilent sousnos yeux, le film se déroule pasà pas ; les images se brouillent,les souvenirs aussi, l’on est lit-téralement envoûté : la baguet-te de cette majorette serait-elleégalement capable de jeter dessorts ? Alors que chaque ins-trument joue à plein régime,sans même se passer les soli, iln’y a aucun sentiment dedébordement, de trop plein,bien au contraire. PierrickPedron signe ici une de sesplus belles œuvres, originale etsubtile, cohérente et tellurique,aux timbres savamment pen-sés et aux arrangements cise-lés. Et l’on en redemande tantl’on succombe à sa musique,tout à la fois puissante et sen-sible, ainsi qu’à ce destin decheerleaders en creux duquel sedevine un singulier autoportraitde son auteur… Exceptionnel !

n POLYPHONIE D’AILLEURS§��§ CHET NUNETA§��§

PANGEA

(Réf. : CDM 186 – Le Chantdu Monde – Harmonia Mundi –Août 2011)Venu de nulle part, de partoutet d’ailleurs, Chet Nunetaexplore la voix au travers dechants traditionnels et de lacréation musicale. Quatre voixen polyphonie sur un tapis depercussions, une langue mécon-nue, un dialecte en disparition,un poème populaire : tout celadonne une incroyable aventu-re humaine, à la hauteur desambitions musicales univer-selles défendues par le grou-pe ! Dans leurs chants, il est en

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Chaque morceau est porté parune énergie jubilatoire, unsouffle de vitalité et de plaisirlargement contagieux. Le titrequi ouvre l’album, Komi, en estl’illustration même : reposantsur une mesure à 7/4, qui pro-voque un léger et très agréabledéséquilibre, il donne le senti-ment d’une respiration, d’unsouffle essentiel, le souffle dela vie. Sans qu’une transitionne soit finalement nécessaire,c’est en Asie que l’on seretrouve avec le titre suivant,Ni Yuan Bu Yuan : basse conti-nue, instrument à cordes, voixnasales et invitation à venirdans un « jardin secret » créentune ambiance insolite et irré-sistible. Autre titre, autre conti-nent : avec Abee, c’est entrel’Afrique et l’Amérique Latineque l’on se situe : dans ce tra-ditionnel m’bochi, les percus-sions lourdes contrastent avecla finesse du chant ; l’on penseaussi à cette Misa Criolla écou-tée durant notre enfance et quia marqué notre imaginairemusical. Le blues qui suit n’estpas courant : Pygmees Blues,aux origines de la musique

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accent, cité de cohabitationsradicales, de quartiers chaudstrès funkys, cernée par lamer… Ce Marseille me faitrêver, non parce que j’y suis né,mais parce qu’il recèle en luiun métissage qui ressembletrès fort à celui que je poursuisdepuis des années, issu à la foisde la rue et de la Méditerranée…Fait de bitume et de rocher,d’ombre et de soleil, bien loin dela Marseillaise : Marseille, Mar-seille… ». La musique de LouisWinsberg parle ainsi de ren-contres, d’échanges, de respectet de tolérance. Le flamencodu deuxième morceau, Lacamarguaise, léger comme lavie devrait l’être plus souvent,ne déroge pas à ce principe.Musique-partage, où la guita-re est reine, même dans un titreplus jazz électro comme Magicméditerranée, chantée-parléepar Mona, dans une langue éga-lement familière de Marseille,et au groove implacable etincomparable. Le morceau sui-vant évoque un quartier, deve-nu aussi un lieu culturelultra-créatif : La Belle de Mai.L’ambiance électro se pour-suit, mâtinée de rythmiquesflamenca. Le disque contientégalement deux traditionnelsalgériens que Louis Winsberga réarrangé : Fiyach d’une part,que le saxophone soprano deJulien Lourau, par sa finesse,sublime ; Makountoun d’autrepart, avant-dernier titre inti-miste, chanté et juste accom-pagné à la guitare sèche :magnifique ! L’on y trouveraégalement une valse proven-çale (Différence), un très beauslam (L’étranger) et une nou-velle version – inévitable – deLa Marseillaise, précédéed’une longue improvisation àla guitare flamenca. Le thèmese fait moins guerrier, l’hymnenational – certes moins solen-nel – n’en perdant ni de saforce, ni même de sa symbo-lique. Pari aussi osé que réus-

si ! Le dernier titre, Marcel,Marcel, ferme le ban avec unhumour savoureux, dans uneatmosphère pagnolesque, pourdécrire le jazz…Pour cette très belle produc-tion, Louis Winsberg s’estentouré de nombreux musi-ciens de talent. La plupart bienentendu marseillais ! Au-delàde Mona au chant et à l’oud,l’on y trouve Jean-Luc Difrayaqui manie les baguettes, Antonio« el Titi », à la guitare flamencaet aux palmas, Lilian Bencini, àla basse et contrebasse, ManuelGutierrez, au chant et aux pal-mas, enfin Miguel Sanchez quialterne cajon, percussions etguitare flamenca. On remarqueaussi de nombreux invités(souvent marseillais, c’est unemanie !) : le saxophoniste JulienLourau, le percussionnisteBijan Chemirani3, l’accordéo-niste Christophe Lampidecchia,et les joueurs de bendir et dekarbabou, Aziz Sahmaoui etStéphane Edouard, ainsi quele percussionniste Jean-LouisFernandez (cajon et palmas)et Nathan Kumar aux tablas,gangira et daf.Au total, Louis Winsberg etson collectif marseillais ren-dent à leur ville l’un des plusbeaux hommages qu’il nous aitété donné d’entendre ces der-nières années. Légèreté dansl’approche, sobriété mais puis-sance dans le jeu, qualité dansl’exécution, tout y est pourfaire de cet album le soleil devotre rentrée !

n FOLK BRÉSILIEN ?MIRODAA ESTÓRIA DOS MEUS

ROTEIROS

(Réf. : MM01/1 – Meu Mundo– L’autre distribution – Août2011)Fin 2007, le guitariste DavidKrupinski cherche des textespour revêtir ses nouvelles com-positions. Il tombe par hasardsur le recueil de la poète bré-

silienne Hilda Hilst intitulé DoAmor. C’est un coup de cœurinstantané, une révélation, uneévidence ! « Il s’est passé quelquechose de magique, car le décou-page des textes, voire des syl-labes, collait parfaitement auxmusiques ; plus je tournais lespages du livre, plus une évi-dence se dégageait, comme siHilda participait elle-même auprojet » se rappelle le musicienqui décide alors de partir à SaoPaulo pour rencontrer lesayants-droits de la poète dis-parue en 2004. Ecrivain etpoète intriguant, exigeant etfacétieux, Hilda Hilst estaujourd’hui considérée commel’une des voix les plus stimu-lantes de la littérature brési-lienne contemporaine. Sespoèmes ont été édités enFrance par les Editions Carac-tères qui fêteront d’ailleursleurs 60 ans à l’automne et qui,à cette occasion, remettront enavant la poésie d’Hilda Hilst.

n MUSIQUES DU SUDLOUIS WINSBERGMARSEILLE, MARSEILLE

(Réf. : SUCH002 – SUCHPROD – Harmonia Mundi –Septembre 2011)Avec Marseille, Marseille, LouisWinsberg signe le manifested’une scène musicale proven-çale et métissée, melting potd’influences culturelles et musi-cales diverses. Marseille, car-refour de la Méditerranée,cœur de l’Europe : n’est-ce pasce même argument que lespromoteurs de Marseille 2013,capitale européenne de laCulture, ont mis en avant pourobtenir ce précieux sésame,neuf ans après Lille ? On peutgager que Louis Winsberg,artiste méditerranéen s’il enest, sera invité à prolonger sondiscours dans le cadre desmanifestations qui émaillerontcette année très spéciale pourune capitale régionale très spé-ciale !

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3 - Il s’agit bien du frère de Keyvan Chemirani, tous deux héri-tiers du patrimoine musical de leur père Djamchid Chemirani.Cf. ENA Hors les Murs, juillet-août 2004 : Keyvan Chemirani etles grandes voix du monde, Le Rythme de la Parole, réf. AC104, Accords croisés, mai 2004.

Marseille, Marseille anticiped’ores et déjà ce moment,confrontant jazz, flamenco,slam, électro et musique arabo-andalouse. Le groove est, s’ins-talle et s’insinue partout. Àl’image des cités cosmopolites,il est constitué d’influencesmultiples que le premier titrePourquoi cette ville illustre par-faitement. Fresque rythmique,ponctuée d’un texte introduc-tif décrivant cette ville-phare,il nous plonge dans cette villecomplexe : « grande cité enso-leillée bercée par les vents, à laforte personnalité, au fort

Plus qu’une inspiration, cerecueil devient une carte au tré-sor pour Miroda, le groupecomposé par David Krupinski(guitare), Milena Rousseau(chant, melodica) et SinghkeoPanya (guitare, clarinette alto).Rapidement s’esquisse l’archi-tecture de l’album A estória dosmeus roteiros (L’histoire de mesitinéraires), un titre parfaitementadapté à la démarche même decet enregistrement ! Minimalisteet immédiate, la musique deMiroda invite au silence et à la

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d’Hilda Hilst autant que cesderniers ont contribué à l’ins-pirer originellement. Ce qui enfait une œuvre à part entière,de sons et de mots, bref dechair. À découvrir absolument !

n OPERA JAZZ§��§ DANILO REA & FLAVIO BOLTRO§��§

AT SCHLOSS ELMAU OPERA

(Réf. : 9508-2 – ACT –Harmonia Mundi – Août 2011)

création des œuvres originalesest exceptionnelle.Les italiens adorent l’opéra, etcela s’applique aussi à DaniloRea qui semblait prédestiné à seconsacrer à cette passion natio-nale puisqu’il a étudié le pianoclassique au ConservatoireSanta Cecilia (sainte patronnedes musiciens !) de Rome, saville natale. D’ailleurs, mêmes’il s’est finalement tourné versle jazz, cela a été sans faire lapart belle aux standards amé-ricains comme tant que musi-ciens ; il a plutôt cherché àcombiner le vocabulaire decette musique avec la traditionde son pays. Une tendance par-ticulièrement évidente dansson premier album sur le labelACT, A Tribute To Fabrizio deAndré. Puis suivra Lirico en2004, dans lequel son amourimmodéré pour l’opéra italienet particulièrement pour puc-cini, est évident. Le projetOpera ne pouvait qu’appro-fondir cette orientation artis-tique. Encore fallait-il trouverun partenaire de choix dont lamaîtrise instrumentale et laculture musicale puissent s’ac-corder parfaitement avec cellesde Rea. C’est là que l’excel-lentissime trompettiste FlavioBoltro entre en scène. Ce der-nier a étudié, lui aussi, lamusique classique (au conser-vatoire de Turin) et joué avecplusieurs orchestres sympho-niques ; il est également ouvertaux styles les plus divers, ettoujours désireux de faire denouvelles expériences.Dès les premières notes etl’époustouflant Lasciatemi mori-re de Claudio Monteverdi(1567-1643), l’on sait que lepari est réussi. Rea et Boltroexcellent dans l’art lyrique ; ets’ils n’hésitent pas à se lancerdans de splendides variations /improvisations, comme dansCaro moi ben de GiuseppeGiordani (1751-1798), dans

Vaga luna che inargenti deVincenzo Bellini (1801-1835)ou dans Dal tuo stellato sogliode Gioachino Antonio Rossini(1792-1868), à surligner lesmélodies, comme dans la Toccatafrom Orfeo de Monteverdi oudans Piango, gemo, sospiro epeno de Antonio Vivaldi (1678-1741), à rechercher l’esprit plusque la lettre – la splendideSinfonia dal Barbiere di Sivigliade Rossini en atteste –, ils res-tent avant tout attachés à lamélodie des airs originaux. Lerespect des classiques de l’opé-ra est évident tout en laissant,aussi, beaucoup d’espace à l’in-novation. Les deux airs deGiacomo Puccini (1858-1924)– E lucevan le stelle et O moibabbino caro – illustrent aussi,de leur côté, la force créatricede Rea et Boltro et leur capa-cité à faire jaillir des sentimentsqui démultiplient ceux procu-rés par les pièces originales.Au total, jazz et opéra se mêlentsans que l’on n’ait jamais l’im-pression d’un mariage forcé oud’une alliance contre nature,bien au contraire. C’est parti-culièrement le cas dans lemagnifique Guillaume Tell deRossini : la trompette et lepiano n’hésitent pas à intro-duire sur des rythmes syncopés,avant que le piano n’annoncele thème tout en brodant toutautour, la trompette s’ajoutantà cette improvisation avecmaestria ; réorchestrations,rythmiques chaloupées, envo-lées lyriques, questions réponses,nos deux complices ont totale-ment digéré l’œuvre originalepour la re-créer ; et le propostrès théâtral de la Sinfonia s’entrouve encore renforcé. Justeavant, ils reprenaient le CastaDiva de Bellini et ses envoléeslyriques faites de boucles mélo-diques aux résolutions par-faites. Le disque s’achève surune pièce de Francesco Cilea(1866-1950), lo son l’umile

nostalgie, voire au recueillement.Tout comme les mots se cou-chent sur le papier, la voix se posesur les arpèges de la guitare, pourune balade, une plainte, un mur-mure… Faite de petits « rien »,cette musique parle à l’intime, àl’être dans son quotidien, maisaussi dans ce qui le sort d’une viepeut-être routinière pour l’éle-ver en tant qu’esprit. Ce sont ainsi quinze titres quis’enchaînent, fragiles et éthé-rés, mais aussi brillants etpuissants. Chaque morceaupart d’un son, d’une note,d’un souffle. Le glissementdes doigts sur les cordes s’en-tend, les respirations desmusiciens, et notammentcelle de Milena Rousseau,aussi. Tout cela concourt àrendre les musiciens trèsproches de l’auditeur. Lesbruits de fond de Contas oinfinito, qui offre par ailleursun très bel arrangement avecdes vents, ou l’introductionchampêtre de Ainda que obs-cura y contribuent égale-ment, Miroda ne reniant pas,d’une manière générale, uneapproche très bruitiste dansses compositions. La batterieet les percussions de GuillaumeArbonville viennent parfoissoutenir, avec subtilité et dis-crétion, le trio comme dansTe mandar escrito ou MinhaAlegria. Le dernier morceau,Dois Caminhos, est particu-lièrement réussi, combinanttrombone et trompette, voix,guitare et clarinette, pour unrésultat d’une grande pureté.Il est bien difficile de ne pas suc-comber à l’œuvre de Miroda.Par sa beauté simple, elle pro-voque apaisement et quiétu-de. Transcendant les courantset genres musicaux, elle ne serapporte ni au fado ni au folk,tout en empruntant la languedu premier et l’esprit de tradi-tion du second. Au total, samusique vient servir les textes

Le pianiste Danilo Rea et letrompettiste Flavio Boltroavaient vocation à se rencon-trer. Mais, connaissant leursantécédents, ce n’était certai-nement pas pour jouer del’opéra… C’est bien pourtantce projet qui les a unis lors-qu’ils se sont retrouvés aucélèbre Schloss Elmau, ce châ-teau des Alpes bavaroisesconnu pour l’accueil privilégiéqu’y trouvent de nombreuxmusiciens classiques commede jazz. Inspirées par ce refu-ge hors du temps, quatre desdix pièces que constitue Opera,ce somptueux disque-incursiondans le monde de l’opéra ita-lien, ont été enregistrées surplace, en public, le 9 décembre2010. Le reste de l’album asuivi, naturellement, et offre leprivilège aux amoureux du jazzet de l’opéra de pouvoir enfinréunir en un seul et mêmedisque leur égale passion. À cet égard, point d’inquiétu-de, ceux qui n’aiment que l’unou l’autre seront égalementcomblés tant la qualité d’in-terprétation comme de re-

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intériorisées, de son nouvelalbum intitulé Komeda. Aprèsdes études classiques, ce pianis-te, né en 1971, ne découvre lejazz qu’à l’âge de dix-huit ans ;il n’en est pas moins, depuis1994, désigné presque tous lesans meilleur pianiste du payspar le magazine JazzForum. Ils’est également distingué auniveau international, notam-ment avec le contrebassiste LarsDanielsson, et s’est produit aucôté de très grands noms telsque Pat Metheny, Lester Bowieou encore Archie Shepp.

leur inspirateur et de toute ten-tative de catégorisation.Ayant bâti sa réputation sur sacapacité à improviser à partirdes thèmes de Chopin, LeszekMozdzer s’affirme ici commeun immense pianiste. Samusique est pétillante, légèreet grave à la fois ; accordantautant d’importance à la mélo-die qu’au rythme, il disposed’une technique incroyable-ment maîtrisée, qui lui permetde dire exactement ce qu’ilveut. L’émotion est toujourspalpable, voire un certain lyris-me, qui donne à son interpré-tation un charme certain.Exceptionnellement douépour l’improvisation, il s’ap-puie sur l’harmonisation touten sachant en sortir, notam-ment grâce aux chromatismesqu’il affectionne particulière-ment. Mais son art repose cer-tainement sur l’ornementation,qui vient enrichir son jeu sansl’alourdir. Nous avons affaireà un orfèvre qui cisèle sesœuvres comme autant desculptures ayant vocation àorner une carte de Tendrecontemporaine. Splendide.n

Arnaud RoffignonAverroès 2000Christophe Jouannard

ancella, qui, forçant un certainrecueillement, semble construi-re un pont entre les voix ter-restres et célestes, la fin dumorceau – joué en public –étant comme un appel à unetelle unité.Si l’on devait vous conseiller undisque de chevet, pour passerquelques jours, quelques semaines,quelques mois, ce serait certaine-ment Opéra de Danilo Rea etde Flavio Boltro. La richesse duprojet, la qualité de son exécu-tion, la fécondité – sans limite– du propos, en font unincroyable voyage à travers letemps et les sons. Ils parvien-nent à emmener l’auditeur loin,très loin. Et là, il est bien diffi-cile de garder son armure, sacouverture ou sa carapace ; ilsopèrent à vif, travaillant l’hu-main et se donnant autant qu’ilsreçoivent ; et l’on en ressortébloui et serein, ayant le senti-ment d’avoir approché le Beau,voire de l’avoir touché. En toutétat de cause, lui, nous a tou-chés.

n PIANO SOLOLESZEK MOZDZERKOMEDA

(Réf. : ACT 9516-2 – ACT –Harmonia Mundi – Août 2011)La scène jazz actuelle ne seraitpas ce qu’elle est sans l’in-fluence des musiciens polonais :ce sont en effet des artistescomme Krzysztof Komeda quiont « traduit » le son de l’Amé-rique en employant leur voca-bulaire propre, défini par sesorigines européennes. Ce fai-sant, et au-delà de captiver lepublic jazz polonais, ils repré-sentaient également une puis-sante source d’inspiration pourbien d’autres musiciens denombreux pays.Chez lui, Leszek Mozdzer estconsidéré comme une figuremajeure de la jeune scène jazzet l’on comprend pourquoi dèsles premières notes, précises et

Son premier album pour Actest un hommage à ce héronational qu’est Komeda, pia-niste de jazz et compositeur demusique de films, disparu pré-maturément à l’âge de 38 ans,et connu internationalementpour avoir signé la quasi-tota-lité des bandes originales desfilms de Roman Polanski.Mêlant le style Komeda (undes premiers alliages de jazz etde musique classique), et sontravail pour la 20th CenturyFox, Mozdzer apparaît commeun fidèle interprète du maître,mû par une même et intensesensibilité. Qu’il laisse s’expri-mer leurs affinités spirituellesdans le registre romantique surBallad fort Bernt, ou leur côtésombre sur la B.O. la pluscélèbre de Komeda, Rosemary’sBaby, ou bien qu’il se régale àré-harmoniser Crazy Girl surune rythmique irrégulière, lespetits chefs d’œuvre qu’il livreici sont devenus autonomes de

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s’ouvre sur une préface deRaymond Soubie, dont on nesaurait nier la compétencedans le domaine social. Nousle citons : « Tel qu’il est finan-cé notre système de santé estun des meilleurs du monde : lamédecine y est de qualité ; ilest accessible à tous, sans obs-tacle financier. Il concilie,conformément à notre génienational, la liberté avec la soli-darité. Encore ne faut-il pasoublier qu’il faut le financercar sans financement, il n’y apas de dépenses de santé, pasde soins ». Et le préfacier ajou-te : « L’ouvrage de M. Prieurexpose méthodiquement, enarticulant l’observation concrè-te des réalités et les considéra-tions de politiques économiqueet générale, les différentesfacettes de notre problème cen-tral : comment adapter notresystème productif de soins à lamodernité en assurant sonfinancement dans la durée ? ».

tombé par hasard au milieudes années soixante, dans letrou de la Sécurité sociale ».En effet, toute sa carrière pro-fessionnelle a été en quelquesorte entraînée dans la recherched’une ou des solutions.Nous laissant libres d’appré-cier les choix de tous nos gou-vernants et les valeurs qu’ilsdéfendaient, l’auteur n’a pasvoulu proposer une réformerévolutionnaire. Il a souhaitésimplement rappeler que lasanté n’a pas de prix maisqu’elle a un coût et il l’a expli-qué avec précision en dix cha-pitres, à partir du constat de lasituation actuelle et de l’évo-lution de notre système desanté. Il a néanmoins, et on nepeut que l’en féliciter, insistésur ce vers quoi nous devonstendre et essayer de réaliser en2011. Non pas une conclusion,mais des perspectives d’actionssusceptibles d’apporter desrésultats, en dépit de la com-plexité : « En 2011, la réformedans le secteur de la santé etson financement, ce n’est pasl’utopique chamboulement,c’est l’action avec continuité ettransparence… »Bien que profane, cet ouvragem’a retenu par sa rigueur et parla richesse des suggestions qu’ilnous propose. Un livre à lireparce qu’il est écrit avec fran-chise, clarté et la volonté desrésultats. Il mérite la plus gran-de attention de ceux qui, à tousles niveaux, politiques ou admi-nistratifs, ont en charge ce sec-teur essentiel, avec ceux del’éducation et de la culture.

n Les 100 mots de la Fonction publique

Marcel PochardPuf/Que sais-je, 2011Comment ne pas donner échoà ce petit livre dont la section

des retraités avait eu la pri-meur lors d’une interventionde Marcel Pochard à la der-nière réunion du Conseil desection. Il en avait annoncé lapublication prochaine : c’estchose faite et j’ai pris un inté-rêt tout particulier à la lecturede ces articles, rassemblés entreize chapitres, « qui se pro-posent d’aider à comprendrece qu’est la fonction publiqueet comment elle fonctionne, lerégime auquel elle est soumi-se, les conditions de sa gestion,les droits et obligations desagents, les dossiers d’actualité,les réformes en cours… »

L es retours de vacances sontsouvent un peu mélanco-

liques et chacun en a ses rai-sons. Pour moi qui n'ai puquitter Paris, j’ai pu relirequelques classiques, Balzac,Proust et le premier romand’un de mes amis, GérardLandrot, galeriste sur la placede Paris, critique d’art, intitu-lé Tout autour des Hallesquand finissait la nuit (EditionsL’Editeur). Quelques mots surcet ouvrage qui m’a retenu.C’est l’histoire d’une pension-naire de maison close au quar-tier des Halles, qui devientconcierge rue Montorgueil.

Excellent poste d’observationcar le récit se déroule durantl’Occupation, puis la Libération.Bien écrit, je vous incite à lelire. Cette dispersion ne m’anéanmoins pas fait oublier mesfidèles camarades auteurs et,une fois de plus, j’ai été contraintde m’adapter à la diversité dessujets : bon exercice, en réalité,pour vous faire tenir l’esprit « enbon état » et excite, comme disaitMontaigne, l’imagination.Dans cette boîte à livres, faut-il le rappeler une fois de plus,sont réunis les genres les plusdivers, vous en jugerez.

n Financer nos dépensesde santé. Que faire ?

Christian PrieurL’Harmattan 2011Ce livre a paru en avril dernier.C’est dire son actualité. Il

La boîte à livres

Nous retiendrons le mot« méthodiquement », qui traduitbien la qualité de la recherchemenée par mon camarade etami de promotion1.Dès l’avant-propos, il nous confie pourquoiil a écrit ce livre et souligne enparticulier, avec une pointed’humour : « parce que je suis

Dans son introduction, l’auteurprécise l’esprit de son étude,centrée sur la fonction publiquede l’État. Le cadre restreint dela collection a contraint l’au-teur à privilégier une approchegénéraliste, allégée en réfé-rences jurisprudentielles et tex-tuelles habituelles : « La France,ajoute-t-il, dispose d’une fonc-tion publique qui n’est pas par-faite mais est de grande qualitéprofessionnelle et peut se pré-valoir d’une forte traditiond’intégrité et d’impartialité,faisant, dès lors, d’elle un outilfiable au service du pays ». Les100 mots clés sont cités en find’ouvrage dans un glossaire

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1 - Albert Camus 19622 - L'auteur reprend le terme de l’écrivain allemand Ernst Junger

n Le Transport internationalde marchandises Air – Terre – Mer

Pierre BauchetEconomica 2011

représentent 95 % du tonnagedes transports internationaux.Elle couvre ainsi plusieurschamps de recherche, commeen témoignent les trois cha-pitres qui ordonnent l’ouvra-ge et qu’annonce un chapitrepréliminaire titré : « Les chan-gements de structure de l’éco-nomie mondiale », contraintspar les progrès des échanges etaujourd’hui d’autant plus sen-sibles en raison de la crise quenous vivons. Beaucoup de gou-vernements et les pouvoirspublics sont conduits à réviserleurs politiques antérieures.Très brièvement, nous signa-lerons que le premier chapitreprésente la nouvelle géogra-phie des transports internatio-naux, qu’il s’agisse des traficsaussi bien que des réseaux etles changements que l’on peutconstater. Le deuxième cha-pitre nous montre commentleurs activités sont aujourd’huirestructurées. L’auteur insistetout particulièrement sur le faitque le transport maritime estaujourd’hui épuisé pour l’Asie.Quant aux transports aéro-nautiques, dont l’Europe étaitle principal acteur, il est pro-gressivement concurrencé pard’autres continents. Le troi-sième chapitre souligne l’évo-lution de la régulation destransports, leur encadrementpar les autorités publiquesnationales comme en France,mais aussi par divers orga-nismes internationaux (Onu)ou des organismes nationaux(Union européenne), dont« les partenaires acceptent latransposition des directivesdans leur propre droit ».Une courte conclusion (quecomplète une bibliographie trèsconcrète) met en évidence leprogrès technique et ses consé-quences qui ont conduit à la

nécessité de politiques de régu-lations, d’interventions qu’ilconvient de relever dans cetterégion du monde dite « libéra-le ». Dans cet ouvrage destinéen priorité aux spécialistes, leprofane trouvera son intérêt etcomprendra cette évolutionqu’on ne pouvait imaginer audébut du XXe siècle.

n Le Temps présidentielMémoires Tome II

Jacques ChiracNil Editions 2011

qui renvoie à chacun des cha-pitres. Un exemple : « Rému-nérations » renvoie au chapitreVI, titré : «La rémunération etles conditions du travail », avecchacun des mots clés : rému-nération, traitement indiciaire,grille indiciaire, heures supplé-mentaires,politique de rémuné-rations accessoires, rémunérationau mérite et à la performance,politique de l’indice, politiquesalariale, 35 heures, droit à pen-sion. Présentation heureuse,ordonnée et significative. Letexte est clair et nous avons unpetit livre de références pourle fonctionnaire, mais aussipour ceux qui souhaitent com-prendre la fonction publique :une loyale et précise présen-tation de notre fonctionpublique d’aujourd’hui.La conclusion est consacrée au n°100 : « Fonctionnaire dedemain ». Sur le destin dufonctionnaire de demain, il adeux certitudes : l’attente descitoyens pour une fonctionpublique qui maîtrise les« Titans » à l’œuvre dans cemonde et qui le menacent2. Laseconde certitude, c’est qu’ilappartiendra plus que jamaisà la fonction publique d’assu-rer la cohésion sociale et derépondre à la demande de nosconcitoyens, notamment lesplus faibles : « Ce qui seraattendu du fonctionnaire enposte demain, ce sera plus quejamais le sens du service publicet l’exemplarité profession-nelle et déontologique ».Souhaitons le plus grand suc-cès à ce n° 3919 de la collectionQue sais-je : il intéressera aussibien nos camarades de la fonc-tion publique, à quelque postequ’ils se situent, que nos conci-toyens et ceux bien plus jeunesqui répondent à l’appel desrecrutements.

Membre de l’Institut de France(section Economie politique,Statistiques et Finances), agré-gé de l’Université, l’auteur aété directeur des études de l’École. D’abord spécialiste dela planification et de la comp-tabilité nationale, mais aussides grands problèmes de l’éco-nomie française, il s’est parti-culièrement intéressé depuisquelques années au problèmedes transports. Il nous proposeaujourd’hui une étude d’en-semble sur le transport inter-national des marchandises etparticulièrement sur le progrèsdes techniques dans le trans-port des marchandises qui a eudes conséquences multiples :« Il a permis, précise-t-il dansl’introduction, non seulementd’étendre le champ des trans-ports mais aussi d’en augmen-ter la rapidité et les capacités.Dès le début de notre ère, leprogrès a forgé des économiesrégionales, comme l’ensembleméditerranéen, regroupantplusieurs nations ».Cette étude donne la prioritéaux transports maritimes, qui

Le second volume des Mémoiresde Jacques Chirac, rédigé commele précédent avec la collabo-ration de l’historien Jean-LucBarré, couvre les deux mandatsde sa présidence, la plus longuepériode de la Ve Républiqueaprèscelle de François Mitterrand.Divisé en 16 chapitres, avecune série de cahiers photos,l’ouvrage s’achève sur unevingtaine de pages titrées :« Un testament politique ».Les premières pages sont consa-crées à son entrée en fonction,à la composition de son cabi-net, à la préparation du gou-vernement avec Alain Juppé,en attendant la passation fixée

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vation… » Il n’oublie pasd’évoquer également, et cesont des pages particulière-ment intéressantes, le Muséedes Arts premiers, création àlaquelle il tenait beaucoup.Dans les dernières pages, ilécrit : « Au terme de ce voyagede mémoire, je ne me livreraipas à une analyse institution-nelle,économique et sociale dupays. C’est à ceux qui sont encharge aujourd’hui de son des-tin de le faire. Mais je ressensle besoin de vous dire les troisou quatre choses essentiellesque je retiens d’une vie miseau service d’une singulière etdévorante passion pour laFrance. Je veux vous parler denotre temps : l’avenir de laFrance dans la mondialisa-tion ». Il adresse un premiermessage: relever le défi de lamondialisation. Deuxième mes-sage : « Relever le défi tech-nologique qui est au cœur dela mondialisation ». Son derniermessage est destiné à la jeunes-se et aux créateurs, à tous ceuxqui seront les acteurs du rayon-nement de la France : « AlorsFrançais : Rêvez ! Osez ! »Ce livre mérite d’être lu et seraune source incontournable pourles historiens du futur, même siparfois la subjectivité l’empor-te sur la réalité de l’événement.

n L’ère du consommateurLaurent FourquetEditions du Cerf 2011Voici un premier ouvrage, fruitd’une expérience dans ledomaine dont l’auteur estchargé au Secrétariat généraldu gouvernement. Ce n’étaitpas chose facile de se confron-ter à ces questions et d’essayerd’en tirer « le profil d’uneépoque, notre époque ». Cetessai de plus de trois centspages mérite attention et cha-

La lecture achevée, il nous aparu que résumer ces trois centspages, né d’une conversationavec un diplomate espagnol surla société actuelle, serait un exer-cice périlleux et sans doute inuti-le. Nous nous contenterons derappeler ce sévère constat del’avant-propos : « En tout cas,en Europe, le christianisme estmort. J’éprouvais quelque tempsaprès le désir de comprendre cettefaçon de concevoir l’esprit denotre temps et notamment sonrefus d’envisager une autre pers-pective sur le monde».Notre cama-rade se demanda pourquoi cediplomate, hommefin et lettré, serefusait d’envisager une autreperspective sur le monde. Cetteconclusion ne le satisfaisait pas. Lalecture de nombreux ouvrages etsa réflexion devaient lui permettrede répondre à ses interrogations.Il finit par se demander « si, aufond, la société de consommation,au sens où on l’entend habituel-

au 17 mai 1995. Tout au longdes chapitres suivants, il s’at-tache à faire le bilan de sonaction, de ses choix, des cri-tiques, mais aussi des approba-tions. C’est ainsi qu’il évoquela dissolution de 1997, les« affaires », l’échec du réfé-rendum sur la Constitutioneuropéenne en 2005. Il metl’accent sur les réformes qu’ila engagées en vue d’éviter « la fracture sociale », tout encontinuant et en accentuant lamodernisation du pays. Ilmontre combien il a souhaitémaintenir la paix intérieure, lapaix extérieure et justifie la poli-tique étrangère qu’il a menée,dans le cadre de son domaineréservé, en soulignant son enga-gement en faveur du respect descultures et ses efforts tant en ex-Yougoslavie et en Irak.Il n’omet pas de faire le récitde ses rencontres avec les« grands » de ce monde. Lespolitiques avant tout : BorisEltsine et Vladimir Poutine,Bill Clinton et George W. Bush,Tony Blair, Helmut Kohl etAngela Merkel, entre autres,dont il nous donne à la fois por-traits, dialogues… (à doublesens quelquefois notammentavec les dirigeants chinois etjaponais). Il nous fait part desrelations qu’il avait à la foisavec ses « compagnons » maisaussi avec Lionel Jospin, quifut son deuxième Premierministre. Rencontres, accordsou désaccords avec NicolasSarkozy, avec ses prochesconseillers, comme Dominiquede Villepin. À propos de Jean-Pierre Raffarin, son troisièmePremier ministre, il écrit :« Porteur d’un souffle neuf, legouvernement constitué parJ.P. Raffarin témoigne par sacomposition même de notrevolonté d’action ou de réno-

lement n’était pas la partie, plutôtque le tout, en d’autres termes sice que l’on nomme "consomma-tion de masse" n’est pas la simpledéclinaison économique d’unemécanique plus globale conférantau principe de consommation lepouvoir de régir en totalité notremonde et nos vies ».Ceci dit, il nous confie qu’il s’estposé une double interrogationsur la capacité d’intimidationde l’opinion dominante et surle rôle et le pouvoir de laconsommation. Ses réponses nesont pas définitives : mais il tientà saisir notre époque et son ave-nir. En effet, notre époque a unprofil très différent de celui quebeaucoup s’obstinent à vouloirprésenter.Ce qu’il montre toutau long de cet essai, c’est que« notre temps n’est ni unmoment de joyeuses fêtes dessens ni un âge de lucidité désen-chantée ». Bien au contraire,nous vivons une période destricte orthodoxie « gouvernéepar celle du consommateur quidicte ses valeurs, impose sesinterdits et occupe chaque jourdavantage notre monde et nosvies ».Que le lecteur soit persuadé,comme je l’ai été moi-même,que cet ouvrage se présente àla fois comme une analysethéorique d’un modèle écono-mique et une lecture globale del’époque que nous vivons.N’oublions pas la leçon qu’iltire des dernières pages titrées :« Prolégomènes du combat àvenir pour que l’individu ne soitpas définitivement transforméen machine à consommer ».À chacun de nous de réfléchiret d’agir dans la limite de sespossibilités pour mener « cettetâche souterraine, qui est âpreet sourde » mais aujourd’huielle est la seule possibilité « quinous reste de servir la Vérité ».

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cun des 31 chapitres apportedes informations avec beau-coup d’impartialité. Les lec-teurs pourront en juger et, trèscertainement, apprécier la façondont notre camarade a traité dela vision de notre ère duconsommateur pour reprendrele titre de l’ouvrage.

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rogations et notamment la pro-priété des mots et des pensées ?Passion amoureuse, influenceintellectuelle. La quête est dif-ficile mais combien elle amèneà nous interroger nous-mêmes :une sorte d’entrée dans unmonde nouveau, personnel,dont on n’est plus le seul maîtreet nous conduit à réfléchir surnotre propre identité.Cet ouvrage mérite qu’on s’yattarde. Il faut le prendre auhasard. C’est l’attitude que j’aiadoptée en commençant parle chapitre « D’un double àl’autre », qui débute ainsi :« Quelque sujet extravagantque vous ayez pris, il s’insère àvotre besogne ». Par ces mots,Montaigne évoquait ses démê-lés avec Plutarque et autresinterrogations. J’ai terminé par« Pour l’amour des mots »,pages passionnantes et pas-sionnées, sur les mots maisaussi sur les livres. J’ajouterai,pour clore ce faux compte-rendu qui n’est qu’une simpleinvitation à lire l’ouvrage denotre camarade, cette bellechute : « Un livre que l’on vou-lait reprendre à l’instant, desyeux fatigués se fermant surune page qu’ils croyaient reli-re tout à l’heure et ne rever-ront pas, voilà ce qu’est pourmoi mourir : cesser de lire plustôt que l’on ne pensait ».

n Affaire de Com !Eric GiulyEditions Odile Jacob – 2011Ce livre est né d’une indignationde l’auteur à la lecture d’unarticle du Monde3, d’une part,et, d’autre part, du livred’Aurore Gorius et MichaëlMoreau : Gourous de la Com’(éditions La Découverte). Lespécialiste qu’il est devenu, fortde son expérience du secteurpublic et du secteur privé, a

voulu réagir et « présenter unevision de cette activité qui est lasienne depuis plus de dix ans etavec qui j’ai eu affaire depuis ledébut de ma carrière ». Ce livreapporte à la fois un éclairageprécis de la communication etdes règles nécessaires, d’où lesous-titre : « stratégies gagnantes,stratégies perdantes ». Il est rem-pli d’exemples présentés parnotre société à l’observateurattentif et dont Eric Giuly a euà connaître ou à traiter person-nellement tout au long de sa pro-fession : réforme des retraites,rachat de Péchiney par Alcan,affaire Woerth, scandale de laSociété Générale, et combiend’autres exemples.À travers ces cas concrets quiont marqué notre époque, notrecamarade livre six règles essen-tielles, tout en reconnaissant que« ce qui marche un jour dans un

de la bataille entre BernardKouchner et Pierre Péan, etd’autre part, de la malheureu-se crise de France Télécom.Quant à ces six règles, nous vouslaisserons le soin d’en apprécierles difficultés, les avantages etles succès : « Savoir choisir sonterrain », « Savoir préparer sonterrain », « Savoir occuper leterrain », « Savoir se pourvoirsur de nouveaux terrains »,« Savoir changer de terrain » etenfin « Savoir traverser un ter-rain miné ». Pour cette dernièrerègle, notre camarade a choisitrois exemples : les récentescrises ministérielles, LVMH etles leçons de la Société Générale,qu’il commente ainsi :« Ce quela perte financière n’a pu faire,une grave erreur de commu-nication va la rendre inéluc-table. » Les dernières lignes dela conclusion résument bien lesujet de cet ouvrage : « Cen’est pas parce que le résultatn’est jamais garanti ni parceque c’est souvent difficile de lefaire surtout en période decrise qu’il ne faut pas appliqueravec la plus extrême rigueur etla plus grande méthodologieles six règles ». En effet, il insis-te sur le respect de ces règlesqui déterminent les stratégiesgagnantes, leur méconnaissancefaisant les stratégies perdantes.Bref, E. Giuly essaye de vousconvaincre que tout est affaire decom’… Est-ce aussi votre avis ?

n Défaite interdite.Plaidoyer pour unegauche au rendez-vousde l’histoire

Pierre MoscoviciFlammarion 2011Dix livres de Pierre Moscovici,dix livres de « combat » surl’Europe, la gauche, les poli-

n Voleurs de motsMichel SchneiderCollection Tel – Gallimard 2011

3 - Le Monde (25 mars 2010) – Les seigneurs de la Cour –article de Raphaële Bacqué.

contexte donné peut ne pas êtreefficace, voire contre-productif,dans un autre ». Et il préciseque, pour permettre de mieuxen saisir la portée et l’impor-tance, il a souhaité illustrer cesrègles à travers l’analyse dedeux exemples emblématiques,tirés de l’actualité récente et lar-gement médiatisés. Il s’agit, sousle titre de « La Com’ qui sauveet la Com! qui tue »,d’une part,

Paru en 1985, cet ouvrage vientd’être réédité. Sous-titré « essaisur le plagiat, la psychanalyseet la pensée », précédé d’untexte sur l’Insomnie d’écrire, ilest divisé en trois parties : « Le voldes mots », « Le communisme desidées », « Le dépouillement del’écriture ». La quatrième decouverture nous donne une par-faite explication de la réflexionde notre camarade, qui est éga-lement psychanalyste et qui aété directeur de la Musique auministère de la Culture : « Étran-ge passion que celle de Freudet de ses disciples aspirant aucommunisme des idées et finis-sant par s’entre-déchirer pourdes histoires de propriété demots et de transmission de pen-sées. Surpris de rencontrer dansla psychanalyse, comme chezles écrivains, ces mêmes jeux,Michel Schneider dévoile cequi pourtant devrait être l’évi-dence : « Le propre des motsest d’être impropres ; leur des-tin d’être volés… » Et d’ajou-ter « ou de vous voler ». Ilexplique : Vous parlez, pensez,écrivez, vous créez ; mais cesmots que vous utilisez, à qui lesavez-vous volés ? ». Et combiend’autres constatations ou inter-

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tiques, ont précédé ce nouvelouvrage paru en juin dernier.Un certain nombre d’événe-ments sont intervenus depuissa publication mais ils n’enlè-vent rien à l’intérêt de ce livre,aux rappels historiques quel’auteur a estimé devoir men-tionner… et aux perspectivessur lesquelles il s’interroge etnotamment sur la prochaineélection présidentielle.

se convaincre et ne pas susci-ter le doute parmi les citoyens,comme par le passé : « Lagauche a raté tous ses rendez-vous avec l’histoire depuis dixans, écrit-il. L’échéance quivient est donc décisive pour lepays, existentielle pour lagauche : il s’agit pour elle devaincre ou de s’effacer ».Mais que faire pour gagner en2012 ? Dans chacun des cha-pitres de la deuxième partie, ildémontre que la gauche doitsortir de son immobilisme et del’autosatisfaction. Il faut se pré-parer à une République exem-plaire dans tous les domaines :réforme de l’État, justice, cultu-re, tous les domaines sont ana-lysés avec précision. Il fautégalement investir dans l’ave-nir et envisager une coordina-tion sur le plan européen. Ilfaut recréer la confiance pourrépondre à la crise que traver-se la France. L’épilogue, sous-titré « devoir de victoire », nefait pas oublier combien uneélection présidentielle est richede « favoris défaits, de sur-prises majeures, d’outsiderstriomphants » : « Je n’auraispas la pédanterie de pasticherChateaubriand et de clamer"Levez-vous, orages désirés",conclut Moscovici, mais lecompte à rebours est lancé, lapartie sera difficile et excitan-te : le temps de l’espoir et de laresponsabilité arrive ».

n Dictionnaire politiqued’Internet et du numérique. Les 66 enjeux de la société numérique.

Christophe StenerEditions de la Tribune 2011Il s’agit d’un ouvrage collectifcoordonné par notre camara-de Christophe Stener, que l’onpeut trouver également sur le

site de la Tribune.fr. Il est intro-duit par Alain Minc, dont nousciterons une phrase qui résumeen quelque sorte l’ouvrage :« Ce dictionnaire est l’ultimedémonstration que l’Internetn’est plus un simple segmentde la réalité. Il est la réalité ».Dans l’avant-propos, NeelicKroes, vice-Président de laCommission européenne encharge de la stratégie numé-rique, souligne : « C’est main-tenant presque un poncif, tantles sceptiques d’hier se sontralliés à l’évidence : la maîtri-se des technologies de l’infor-mation et de la communication(TIC) constitue l’une des clésessentielles de la société dedemain ». De son côté, EricBesson, ministre chargé de l’É-nergie et de l’Économie numé-rique, apporte également unavis positif dans sa préface :« Ce dictionnaire, estime-t-il,constitue une aide précieusepour mieux appréhender cetterévolution ».

rapports généraux, annuels etd’ouvrages concernant le sujet.Christophe Stener n’a pasmanqué de fournir un index desmots-clés qui permet une lec-ture facile. Il ne me paraît pasnécessaire d’aller au-delà de cesquelques indications sur cetouvrage qui apporte de solidesinformations sur ce monded’Internet et du numériquedans lequel nous sommes tousengagés.Il convient d’ajouter que sonprix raisonnable (9,99 €) est denature à confirmer auprès desfuturs lecteurs le succès qu’il aconnu lors de sa parution enjuin dernier.

n Éthique du refus, un geste politique

Christian SavésL’Harmattan. 2011

Après la première partieconsacrée au « long échec dela gauche », la deuxième par-tie est intitulée : « Une ambi-tion crédible pour demain » ;elles sont précédées d’un pro-logue où l’auteur explique laraison de ce livre qui l’aconduit à retrouver le passé,mais en tant que l’un des prin-cipaux dirigeants du Partisocialiste il tient à examiner lesperspectives pour une nouvel-le politique. Ces trois centspages ne manquent pas d’ap-porter un certain nombre d’in-formations, de réflexions, nonseulement sur notre pays, maiségalement sur l’Europe. Et,bien entendu, l’auteur expri-me sa réprobation face à lapolitique actuelle. Sans aucundoute, il est persuadé que letemps de l’alternance est venu,mais il faut – et cela très rapi-dement – que la gauche puis-

Les soixante-six mots retenussont commentés par quatre-vingts auteurs, certains ayantaccepté d’écrire deux ou troisdéfinitions. Beaucoup sont dela plume de nos camarades.J’ajouterai que cet ouvrage estcomplété par une bibliogra-phie comprenant une liste des

Cet ouvrage de notre camara-de Christian Savés s’inscritdans la suite de ses réflexions.Il s’agit d’un essai in spiréd’une phrase d’AlexandreSoljetnitsyne, extrait d’unelettre au IVe Congrès des écri-vains (22-27 mai 1967) : « Nulne réussira à barrer les voiesde la vérité et je suis prêt àmourir pour qu’elle avance ».Lapremière partie est intitulée :

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richesse que d’hommes… »Nous avons noté, en passant,d’excellentes références àDescartes, Protagoras, RomainGary et André Malraux, quiprofessait : « On ne fait pas depolitique avec la morale, onn’en fait pas davantage sans ».Inviter nos camarades à lire cetouvrage n’est pas une simpleproposition amicale. Ceux quireconnaissent dans notre socié-té le rôle de certaines valeurset notamment le courage durefus seront confortés dansleurs convictions. Les exemplessont nombreux et l’auteur n’hé-site pas à se référer à l’exempleque nous donne chaque jour la

vie, notre vie mais aussi celledes autres, amis, responsablespolitiques, etc. Et pourtant,comme il le démontre avecpersuasion : le refus commeexigence, c’est aussi réconci-lier l’être avec le monde : «Socrate fut le premier grandmaître du refus dans la penséeoccidentale », rappelle-t-il endémontrant avec force argu-ments que la mort du philo-sophe fut la matérialisation durefus : « Il nous appartient,chacun à notre niveau, conclut-il, de devenir le digne héritier,le disciple de Socrate, dans unesociété, faisant de moins enmoins de place à la liberté,

réduisant ses possibilités dechoix, lui imposant un nombrede diktats… « Puisse l’hommesortir grandi de cette épreu-ve… »Le refus est une force qui va…mais le refus c’est la vie. Àvous d’apprécier l’aventure durefus auquel nous entraînenotre camarade dans notremonde tourmenté et impla-cable dont nous devons sur-monter les difficultés. n

Robert ChelleAlbert Camus 1962

« Le refus comme posture :pour une éthique du poli-tique »et la deuxième partie :« Le refus ou les prémices d’ungeste politique ». Dans l’avant-propos, l’auteur exprime le des-sein et la volonté personnellequi l’ont animé : « Insurrectionde la conscience ou révélationplus haute que toute sagesse,le refus n’en exprime pasmoins, de manière probante etexemplaire, parfois spectacu-laire, l’aptitude de l’homme àoffrir, à l’occasion, un parfaitcondensé de volonté, de cou-rage et d’abnégation, d’espritde résistance. Par là même, il aau moins le mérite qu’il n’est

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Éphéméride

grégèrent, sous l’effet de la chaleur. La cathédrale Saint-Paul4 dis-parut, ses voûtes s’effondrant les unes après les autres. Le seul moyende couper la route au feu fut de dynamiter des quartiers entiers. Le7, l’incendie s’éteignit. John Evelyn5 parcourut la City : « J’ai franchides montagnes de décombres embrasés et le sol sous mes pieds étaitsi chaud que mes semelles y sont restées ; j’étais moi même tout ensueur. » Vint l’heure du bilan. Humainement, la catastrophe coûtala vie à huit personnes, mais laissa des milliers de sans-abris. Beaucoupde ceux-ci moururent de froid durant l’hiver suivant. Matériellement,les conséquences furent importantes : le feu détruisit 184 hectares,400 rues, 87 églises, plus de 13 000 maisons, des monuments célèbrescomme Saint-Paul, Old Bailey, le Guildhall et la Bourse. Cependant,l’incendie eut une conséquence positive en détruisant des quartiersinsalubres, foyers d’épidémies6. La rénovation des égouts et des cana-lisations aida à l’amélioration de l’hygiène publique. Les autoritésdécidèrent la reconstruction des maisons en pierre et prohibèrentl’usage du bois. Enfin, politiquement, l’opinion accusa les papistesd’être responsables du grand incendie. La colère populaire provo-qua la chute du chancelier Clarendon, au pouvoir depuis 1660.La catastrophe marqua durablement les esprits. En 1677, le Parlementdécida de faire ériger un monument près de la boulangerie où s’étaitdéclaré le feu. Wren conçut l’édifice : Il s’agit de l’actuel« Monument », colonne dorique, en pierre de Portland, haute de62,15 mètres, soit l’exacte distance entre sa base et le point de départde l’incendie dans Pudding Lane. Elle supporte en son sommet uneurne où se consume une flamme en bronze doré, souvenir du Grandincendie. n

Nicolas Mietton

L e dimanche 2 septembre 1666, aux alentours de deux heures dumatin, les cris de ses apprentis réveillèrent Thomas Faryner, bou-

langer dans Pudding Lane1. Le feu avait pris dans le four surchauf-fé et dévorait déjà tout le rez-de-chaussée. Maître Faryner et safamille eurent juste le temps de fuir par les toits, tandis que leur ser-vante, terrorisée, périssait dans les flammes. De la boulangerie, le feuse propagea à une auberge voisine, où des bottes de paille étaientdisposées. L’incendie gagna les maisons avoisinantes, Thames Streetet les bords de la Tamise. Les quais en bois, encombrés de foin, degoudron, d’huile et d’eau de vie, alimentèrent le brasier. Les autori-tés ne s’inquiétèrent d’abord guère. Vers trois heures du matin,Samuel Pepys2, réveillé par une de ses servantes, estima qu’il n’yavait pas grand péril et retourna se coucher. Ce fut aussi l’avis dulord-maire, sir Thomas Blendworth. Irrité, le magistrat regagna sonlit en marmonnant : « Une femme éteindrait ça en pissant dessus. »(sic) Quand le jour se leva, une partie du pont de Londres et troiscent maisons avaient déjà brûlé. Par malchance, le vent, au lieu desouffler de l’ouest – ce qui aurait poussé les flammes vers les douvesde la Tour – vint de l’est, rabattant l’incendie vers le centre de la City.La plupart des édifices en bois étant entassés les uns contre les autres,le vent propagea aisément le feu d’une bâtisse à une autre. Selon untémoin, « les vents mugissants excitaient les flammes dont le fracasévoquait la course de milliers de chariots lancés sur le pavé ». Il n’yavait pas de brigade de sapeurs-pompiers. Aucun moyen n’avait étéprévu pour charrier l’eau de la Tamise et enrayer la progression dufeu. Les canalisations alimentant en eau les fontaines publiquesétaient à sec. En effet, le fleuve était au plus bas, Londres ayant connuune sécheresse sans précédent pendant l’été. Ces canalisations enbois propagèrent plus l’incendie qu’elles ne l’éteignirent. LesLondoniens ne prirent pas immédiatement conscience du danger.Cependant, dans la matinée du 3, la confusion s’installa. Les habi-tants se mirent à fuir, louant des charrettes à prix d’or. Beaucouptraversèrent la Tamise pour se mettre à l’abri sur la rive sud. SamuelPepys rencontra le lord-maire, dépassé par la catastrophe : « Il pleu-rait comme une femmelette : ''Seigneur, que puis-je faire ? Je suisépuisé ! Personne ne veut m’obéir. On m’a chassé des maisons. Lefeu va bientôt nous rattraper.'' » Le roi et son frère, le duc d’York3,se dévouèrent pour aider les secours. Afin de protéger la Tour, lesservices de l’Amirauté firent sauter Tower street. Le brasier prit desproportions gigantesques. À quatre-vingt kilomètres de là, à Bristol,John Locke aperçut les flammes. « Le feu était partout, d’immensesflammes consumaient les réserves d’huile, de soufre et bien d’autreschoses encore. Le 5, le vent tomba, mais le brasier battait encore sonplein à Holborn et à Cripplegate… » Les bâtiments en pierre se désa-

2-7 septembre 1666 :Le grand incendie de Londres

ça s’est passé…

u en septembre

1 - Pudding Lane était une ruelle située entre la Tamise et Eastcheap, une des principales artères de la City.2 - Fonctionnaire à l’Amirauté, Samuel Pepys (1633-1703) a laissé un remarquable Journal, couvrant les années 1660-1669.3 - Futur Jacques II Stuart. Passionné par les questions maritimes, le duc d’York était alors Grand amiral.4 - La cathédrale Saint-Paul était l’un des plus vastes édifices gothiques d’Europe. Le transept était surmonté d’une tour, surplom-bée d’une flèche de 148 mètres. Au XVIIe siècle, l’édifice était en pleine décadence. En effet, lors de la Réforme, une partie de la nefavait été transformée en foire. En 1561, la foudre détruisit la flèche. La façade gothique menaçant ruine, on la remplaça par un por-tique renaissance. Pendant la Guerre civile, les soldats de Cromwell brisèrent statues et vitraux. A l’époque de l’incendie, il était ques-tion de la démolir. Quinze jours après le grand incendie, Wren présenta à Charles II les plans d’une nouvelle cathédrale, sur le modèlede Saint-Pierre de Rome.5 - Mémorialiste, bibliophile, John Evelyn (1620-1706) a décrit le grand incendie dans son Journal.6 - La peste avait ravagé Londres l’année précédente, tuant un quart de la population, soit environ 100 à 110 000 personnes.