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Med Pal 2007; 6: 5-10 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 3 E CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL Médecine palliative 5 N° 1 – Février 2007 Les soins palliatifs aux urgences Claude Cyr, Département de Pédiatrie, Faculté de Médecine, Université de Sherbrooke, Canada. Summary Palliative care in the emergency ward Death of a child in the emergency ward plunges the family into a crisis. The empathy of the healthcare team can be helpful for the family survivors. The emergency team must manage not only the resuscitation process but at the same time try to relieve some of the family’s suffering. Preparation is required to offer adequate care for the family. Unfortunately, there is no “recipe” for acute family support. In this article, we point out the impor- tance of an approach centered on the family, including identi- fication and response to needs of mourning parents and family members. Families never forget the death of a child, nor the way they were treated. Key-words: death, child, emergency, resuscitation. Résumé Le décès d’un enfant en salle d’urgence plonge la famille dans une crise. Les survivants peuvent bénéficier d’une attitude em- pathique de l’équipe traitante. Le personnel de l’urgence doit, en plus de gérer la réanimation, essayer de diminuer la souf- france des proches. Afin de procurer aux familles des soins adé- quats, il faut se préparer. Il n’existe malheureusement pas de « recette » pour le soutien aigu des familles survivantes. Dans cet article, nous allons reconnaître l’importance d’une approche centrée sur la famille incluant l’identification et la réponse aux besoins des parents endeuillés et de la fratrie. Les familles n’oublieront jamais le décès de leur enfant ni la façon dont ils ont été traités. Mots clés : mort, enfant, urgence, réanimation. Scénario d’introduction Un jeune garçon de 8 ans est happé par une automo- bile en traversant la rue à son retour de l’école. Il est in- conscient à l’arrivée des ambulanciers et nécessite une réanimation cardiorespiratoire pendant le transport. Aux urgences, il présente une apnée, une asystolie et l’absence de réaction neurologique. L’enfant demeure sans pouls malgré une réanimation agressive. La mère de l’enfant qui a été informée par un voisin, pleure et crie à l’extérieur de la salle de réanimation. Peut-on se préparer à ce genre de situation ? Comment informer la famille de l’état critique de l’en- fant ? La mère peut-elle entrer dans la salle de réanimation ? Comment faciliter l’expression de chagrin et le début d’un processus de deuil ? Quoi dire à son frère de 9 ans, témoin de l’accident ? Malgré le contact fréquent avec la mort, les profes- sionnels de la santé reçoivent peu de formation sur la ges- tion du décès d’un enfant à la salle d’urgence. Ces décès sont habituellement subis et inattendus, souvent secon- daires à un accident. Le choc émotionnel vécu par la fa- mille survivante est décrit comme l’événement le plus stressant qu’une personne adulte peut vivre [1-4]. Le man- que de formation teinte négativement l’expérience intense d’accompagner une famille endeuillée et diminue la qua- lité des soins offerts [1, 3]. Cette difficulté à faire face à la mort est souvent citée comme cause d’épuisement pro- fessionnel et d’abandon de pratique par le personnel des urgences [1]. Le décès d’un enfant en salle d’urgence plonge la famille dans une crise. Les survivants peuvent bénéficier d’une attitude adéquate de l’équipe traitante. Le médecin doit, en plus de gérer la réanimation, essayer de dimi- nuer la souffrance. Contrairement aux oncologues ou aux pédiatres, les professionnels de l’urgence n’ont ha- bituellement jamais eu de contact avec le patient décédé. Afin de procurer aux familles des soins adéquats, il faut une préparation, de la formation et un support émotion- nel pour l’équipe traitante. Les familles n’oublieront ja- mais le décès de leur enfant ni la façon dont ils ont été traités. Il n’existe pas de « recette » pour le soutien aigu des familles survivantes. Certaines familles rapportent même le caractère néfaste d’une intervention trop rigide et élaborée Cyr C. Les soins palliatifs aux urgences. Med Pal 2007; 6: 5-10. Adresse pour la correspondance : Claude Cyr, Département de pédiatrie, Faculté de Médecine, Université de Sher- brooke, 3001, 12 e avenue Nord, Sherbrooke, Québec J1H 5N4, Canada. e-mail : [email protected]

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Med Pal 2007; 6: 5-10

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES– MONTRÉAL

Médecine palliative

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N° 1 – Février 2007

Les soins palliatifs aux urgences

Claude Cyr, Département de Pédiatrie, Faculté de Médecine, Université de Sherbrooke, Canada.

Summary

Palliative care in the emergency ward

Death of a child in the emergency ward plunges the family into a crisis. The empathy of the healthcare team can be helpful for the family survivors. The emergency team must manage not only the resuscitation process but at the same time try to relieve some of the family’s suffering. Preparation is required to offer adequate care for the family. Unfortunately, there is no “recipe” for acute family support. In this article, we point out the impor-tance of an approach centered on the family, including identi-fication and response to needs of mourning parents and family members. Families never forget the death of a child, nor the way they were treated.

Key-words:

death, child, emergency, resuscitation.

Résumé

Le décès d’un enfant en salle d’urgence plonge la famille dans une crise. Les survivants peuvent bénéficier d’une attitude em-pathique de l’équipe traitante. Le personnel de l’urgence doit, en plus de gérer la réanimation, essayer de diminuer la souf-france des proches. Afin de procurer aux familles des soins adé-quats, il faut se préparer. Il n’existe malheureusement pas de « recette » pour le soutien aigu des familles survivantes. Dans cet article, nous allons reconnaître l’importance d’une approche centrée sur la famille incluant l’identification et la réponse aux besoins des parents endeuillés et de la fratrie. Les familles n’oublieront jamais le décès de leur enfant ni la façon dont ils ont été traités.

Mots clés :

mort, enfant, urgence, réanimation.

Scénario d’introduction

Un jeune garçon de 8 ans est happé par une automo-bile en traversant la rue à son retour de l’école. Il est in-conscient à l’arrivée des ambulanciers et nécessite uneréanimation cardiorespiratoire pendant le transport. Auxurgences, il présente une apnée, une asystolie et l’absencede réaction neurologique. L’enfant demeure sans poulsmalgré une réanimation agressive. La mère de l’enfant quia été informée par un voisin, pleure et crie à l’extérieurde la salle de réanimation.

Peut-on se préparer à ce genre de situation ?Comment informer la famille de l’état critique de l’en-

fant ?La mère peut-elle entrer dans la salle de réanimation ?Comment faciliter l’expression de chagrin et le début

d’un processus de deuil ?Quoi dire à son frère de 9 ans, témoin de l’accident ?Malgré le contact fréquent avec la mort, les profes-

sionnels de la santé reçoivent peu de formation sur la ges-tion du décès d’un enfant à la salle d’urgence. Ces décèssont habituellement subis et inattendus, souvent secon-daires à un accident. Le choc émotionnel vécu par la fa-

mille survivante est décrit comme l’événement le plusstressant qu’une personne adulte peut vivre [1-4]. Le man-que de formation teinte négativement l’expérience intensed’accompagner une famille endeuillée et diminue la qua-lité des soins offerts [1, 3]. Cette difficulté à faire face àla mort est souvent citée comme cause d’épuisement pro-fessionnel et d’abandon de pratique par le personnel desurgences [1].

Le décès d’un enfant en salle d’urgence plonge lafamille dans une crise. Les survivants peuvent bénéficierd’une attitude adéquate de l’équipe traitante. Le médecindoit, en plus de gérer la réanimation, essayer de dimi-nuer la souffrance. Contrairement aux oncologues ouaux pédiatres, les professionnels de l’urgence n’ont ha-bituellement jamais eu de contact avec le patient décédé.Afin de procurer aux familles des soins adéquats, il fautune préparation, de la formation et un support émotion-nel pour l’équipe traitante. Les familles n’oublieront ja-mais le décès de leur enfant ni la façon dont ils ont ététraités.

Il n’existe pas de « recette » pour le soutien aigu desfamilles survivantes. Certaines familles rapportent mêmele caractère néfaste d’une intervention trop rigide et élaborée

Cyr C. Les soins palliatifs aux urgences. Med Pal 2007; 6: 5-10. Adresse pour la correspondance :

Claude Cyr, Département de pédiatrie, Faculté de Médecine, Université de Sher-

brooke, 3001, 12e avenue Nord, Sherbrooke, Québec J1H 5N4, Canada.

e-mail : [email protected]

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

à l’urgence. La plupart des survivants désirent seulementde l’empathie et la vérité.

« Se préparer à aider une famillequi perd un enfant »

Les médecins qui doivent accompagner les famillesaprès un décès d’enfant devraient évaluer leur propre at-titude face à la mort. Le progrès médical des dernièresdécennies a changé notre vision de la mort. Le décès d’unenfant est souvent vu comme un échec par l’équipe mé-dicale. Les familles renforcent cette vision en demandantque « tout ce qui est possible » soit fait pour sauver leurenfant. Comme médecin, nous sommes formés à fournirtous les efforts contre la mort. Malheureusement, la mortest une réalité de la pratique pédiatrique.

Une collaboration immédiate avec les parents incluantdu support et une communication d’information claire lesaide à absorber le choc initial et comprendre l’état cliniquede leur enfant. Ce contact initial leur permet de reprendreun peu de contrôle et surtout de jouer un rôle dans lessoins de leur enfant. Les étapes suivantes sont nécessairespour préparer une salle d’urgence à bien gérer cette situa-tion :

1. établir des procédures ;2. former le personnel des urgences ;3. désigner un lieu comme salle « familiale » ;4. assigner une personne compétente auprès de la fa-

mille.

Établir des procédures

Les procédures devraient inclure une philosophie de soinscentrée sur la famille. Le rôle de chacun dans le supportaux familles, dans la communication immédiate et dansl’évaluation des besoins doit être connu d’avance. Un pro-tocole décrivant le rôle de chaque intervenant dans lesdiscussions avec la police, le coroner, les services de pro-tection de la jeunesse, l’équipe de don d’organe et le mé-decin traitant de l’enfant est important. Une connaissancepréalable des ressources disponibles dans la communauté(groupe d’entraide, service de suivi de deuil, salon funé-raire) facilite la tâche de l’équipe.

Selon l’état des connaissances actuelles, les parentsdevraient se voir offrir la possibilité d’être présent pendantla réanimation de leur enfant [1]. Cette présence nécessiteune préparation. Les parents devraient être accompagnéspar un membre de l’équipe traitante pouvant leur donnerdes informations, les supporter, s’assurer qu’ils ne déran-gent pas les manœuvres de réanimation et pouvant leur

demander de sortir pendant certaines procédures plus in-vasives. Cet accompagnant pourra aussi reconnaître lessentiments ressentis par les familles ne voulant pas ouétant incapables d’assister à la réanimation. Il pourra aussipréparer la famille à entrer dans la salle de réanimationet l’aider à la quitter si cela est désiré. L’accompagnantétablira avec les parents les limites acceptables du compor-tement si cela s’avère nécessaire. Il est important de dis-cuter de la présence éventuelle des parents dans la sallede réanimation avant la survenue d’une telle situationpour évaluer le confort de tous les intervenants. Ceux quiprônent la présence des parents pensent que ces derniersse sentent plus utiles et inclus dans le traitement de leurenfant et peuvent réconforter leur enfant en lui parlantou lui touchant. Les parents seront ainsi témoins de tousles efforts déployés pour réanimer leur enfant. Ceux quisont contre la présence des parents croient que les évè-nements et les procédures vus représentent un trauma-tisme extrême pour les familles et que les cauchemars et

flash-back

secondaires vont dépasser les avantages poten-tiels. D’autres ont peur que les parents s’effondrent ou dé-rangent l’équipe de réanimation. Peu importe le choix del’équipe, la présence de la famille doit être prévue, évaluéeprudemment et individualisée selon la situation et la fa-mille [1].

Former le personnel des urgences

L’équipe complète (infirmière, médecin, agent de sé-curité, réceptionniste, aide-soignant) devrait recevoir uneformation sur les besoins des familles ayant à faire faceà la mort d’un enfant. Une connaissance des réactionsémotionnelles, cognitives, comportementales et socialespossibles devrait faire partie de cette formation. Uneconnaissance des réactions possibles de la fratrie selon leniveau de développement est primordiale à une prise encharge adaptée. L’évaluation rapide des besoins de la famille,des techniques de communications et d’écoute adaptéesaux situations extrêmes et l’organisation d’un suivi de deuiladapté sont des aptitudes nécessaires.

Désigner un lieucomme salle « familiale »

Une salle « familiale » devrait être située à proximitéde la salle de réanimation. Cet endroit devrait avoir unaccès facile pour les membres de l’équipe et assurer del’intimité pour la famille. Des mouchoirs, un téléphone,du matériel permettant d’écrire et des jouets pour la fratriesont très utiles.

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES– MONTRÉAL

Claude Cyr

Assigner une personne compétenteauprès de la famille

Idéalement, la personne accompagnant la famille de-vrait recevoir une formation dans la gestion de crise etle soutien lors d’un deuil. Cet accompagnateur devraitconnaître les procédures et la terminologie médicale pourexpliquer la situation à la famille. L’accompagnateur peutêtre un médecin, une infirmière, un psychologue, un tra-vailleur social ou un agent de pastoral. Cette personnedoit être sensible et qualifiée pour évaluer et répondre auxbesoins de la famille.

Quand un enfant meurt dans la salle d’urgence

Le parent d’un enfant risquant de mourir arrive sou-vent à la salle d’urgence inquiet, confus, hébété et mêmeagressif. Un contact rapide et un support dès les premièresminutes sont recommandés. Une prise en charge organiséeassure un sentiment de sécurité et de confiance. Si on peutétablir un climat de confiance rapidement, la communi-cation et les soins seront facilités, même si l’enfant dé-cède. Si possible, un accompagnateur devrait être identifiéet assigné auprès de la famille. La famille sera guidée dansla salle « familiale ».

Une évaluation rapide des besoins de la famille est im-portante, les principaux besoins étant [1-4] :

– communication immédiate et support : la famille abesoin d’information aussitôt que possible. Cette informa-tion permet de comprendre la situation clinique, le trai-tement et commencer à absorber le choc. Si la réanimationest longue et que les parents ne sont pas présents dans lasalle de réanimation, de l’information concise devrait êtredonnée régulièrement (10 minutes) ;

– intimité : s’il n’y a pas de salle « familiale », un en-droit isolé permettant à la famille d’exprimer sa tristesse,de parler et se réconforter devrait être disponible ;

– continuité : s’il n’y a pas d’accompagnateur dési-gné, un ou deux membres de l’équipe traitante devrait êtreidentifié pour servir de liaison avec les parents. La conti-nuité et la communication avec un nombre restreint depersonne sont appréciées par les familles ;

– voir son enfant : la possibilité d’offrir à la familled’être présente pendant la réanimation devrait être unedécision d’équipe. Cette décision devrait être prise avantla réanimation. Le type et la durée de présence devrontêtre individualisés. Certains parents apprécient le faitd’être près de leur enfant, d’autres en profitent pour chu-choter des mots d’encouragement à son oreille et la plu-part demeurent debout près de lui, sans déranger.

Besoins de l’équipe traitante

Les membres de l’équipe traitante peuvent ressentirdes émotions intenses lors du décès d’un enfant. Ils ontbesoin d’évaluer leurs besoins émotionnel, cognitif etphysique. Il est souvent difficile de garder son sang-froidlorsqu’un enfant décède. Des sentiments de tristesse, decolère, d’anxiété, d’irritabilité et de grande fatigue sontfréquents. Un regard vide et l’absence de réaction visiblesont aussi normaux. Certains voudront discuter de la réa-nimation avec des collègues. D’autres voudront appeler àla maison, simplement pour entendre une voix familière.D’autres encore voudront être seuls. Enfin, certains vou-dront aller de l’avant et s’occuper avec des tâches plusfaciles.

Il est important de reconnaître les besoins physiquesde l’équipe. Après une réanimation, plusieurs décriventdes difficultés à manger, dormir et se concentrer. Celapeut mener à des erreurs d’inattention. Il est souvent né-cessaire de prendre un répit bref pour gérer ses réactions.

Les membres de l’équipe traitante ont besoin de réas-surance. Ils ont besoin de savoir que tout ce qui pouvaitêtre fait l’a été. Souvent, une révision courte et construc-tive de la réanimation permet à chacun de renforcer lesentiment que tout a été fait pour l’enfant. L’évaluationd’erreur significative devrait être faite lorsque l’équipe estreposée et que chacun peut penser objectivement.

La transition d’un effort intense de réanimation poursauver l’enfant au support pour la famille et l’équipetraitante est difficile. L’expression des émotions estsouvent supprimée pendant la réanimation. La commu-nication avec la famille, présente ou non pendant laréanimation, est chargée d’émotion. Les professionnelsdoivent être sensibles à leur propre réaction de défense.Par exemple, le médecin qui est sous le choc après uneréanimation infructueuse pourrait préférer éviter toutcontact avec la famille. Cet évitement pourrait être in-terprété par la famille comme une attitude distante etun manque d’empathie. Si le médecin est « trop » calmeet présente une attitude froide, la famille pourrait croireque le décès de leur enfant est quelque chose de routi-nier pour le personnel de la salle d’urgence. D’autre part,la plupart des intervenants reconnaissent l’importancede garder son sang-froid. Il n’y a pas de recommanda-tion sur le « niveau » de sentiment approprié à exprimer.Les familles endeuillées se plaignent plus souvent d’at-titudes froides que de professionnels trop émotifs. Enrevanche, les familles ne devraient pas avoir à arrêterde pleurer pour supporter un membre de l’équipe. L’obli-gation est d’offrir un support qui est empathique et enaccord avec le tempérament de la famille et du profes-sionnel.

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

Annoncer la mauvaise nouvelle

Les médecins doivent porter une attention particu-lière à la communication. Si la famille n’était pas pré-sente lors de la réanimation, le choix prudent des motsest important. Les principes suivants doivent être adaptésà chaque situation et combinés avec d’autres façons defaire [5, 6] :

– se présenter et identifier les membres de la famillequi doivent recevoir l’information ;

– utiliser le prénom de l’enfant : éviter d’utiliser destermes impersonnels comme « lepatient » ou « votre enfant » ;

– trouver un environnementadéquat : un endroit intime où ilest possible de s’asseoir avec lafamille ;

– parler directement et sim-plement : toute famille en situa-tion de crise requiert des explica-

tions simples. Les parents dépassés par les évènements ontplus de chance de comprendre de l’information concrèteet simple surtout si répétée souvent. Lorsque l’on annoncele décès d’un enfant, il est important d’éviter les euphé-mismes et d’être spécifique ;

– donner de l’information par étape : pendant la réa-nimation, il est plus facile pour la famille de gérer plu-sieurs petits bouts d’information que l’annonce finale dudécès de l’enfant. Informer sur les issues possibles de laréanimation et mettre l’emphase sur le fait que l’on faittout ce qui est possible pour l’enfant est apprécié par lesparents. Les parents doivent être informés des gestesfaits pour réanimer leur enfant. Si la situation nécessiteune autopsie, les parents doivent connaître la raison etle processus afin d’éliminer des mythes sur cette procé-dure. On doit évaluer avec la famille si l’enfant peut don-ner des organes (exemple : cornée). Le don d’organe joueun rôle bénéfique dans le processus de deuil de beaucoupde familles en aidant à trouver un sens à la mort del’enfant ;

– faire des pauses pour permettre les réactions et lesquestions de la famille : après avoir reçu l’informationinitiale, la plupart des proches ne peut plus recevoir d’in-formation pendant plusieurs secondes. Il est important derespecter ces silences et d’évaluer leur compréhension dela situation ;

– s’attendre à l’inattendu : les réactions sont indivi-duelles et varient de la crise violente, de l’approche « froide »et intellectuelle jusqu’à l’absence complète de réaction vi-sible. Chaque chagrin est unique. La majorité des parentspleure intensément et a besoin d’un support physiquepour ne pas tomber. Les soignants ont souvent à soutenirles parents dans ces moments ;

– anticiper les questions fréquentes : les familles de-mandent souvent : est-ce qu’il a souffert ? Est-ce qu’il étaitconscient à son arrivée ? Qu’est-ce que j’aurais pu fairepour éviter ça ? Avez-vous tout fait pour le sauver ?

Si les survivants n’ont pas accompagné l’enfant, ondoit les contacter par téléphone. Le professionnel doits’identifier et établir l’identité du membre de la famille.Habituellement l’annonce du décès ne se fait pas par té-léphone. On informe les parents que l’enfant est très ma-lade ou dans une situation critique et que l’on craint poursa vie. On demande au parent de venir immédiatement àl’hôpital. Si la famille est loin, il peut être nécessaired’annoncer le décès par téléphone. On devrait aussi en-courager les parents à se faire conduire par un ami ouun voisin.

Après l’annonce de la mauvaise nouvelle, on doit éva-luer la réaction initiale et les besoins de la famille. Laplupart des réactions sont « normales ». On ne devrait pasessayer de combattre la négation. On devrait plutôt dou-cement renforcer la réalité. Certains parents vont avoirdes comportements agressifs ou peuvent même quitterl’hôpital. Des hallucinations visuelles et auditives peuventmême survenir. Si ces réactions sont considérées norma-les, elles peuvent être inquiétantes pour les autres mem-bres de la famille. Des réactions extrêmes nécessitent uneprise en charge psychiatrique et un suivi serré. L’utilisa-tion de routine de sédatif n’est pas recommandée. Leurutilisation peut altérer la mémoire et la compréhensiondes évènements.

Après le décès de l’enfant, les familles ont encore desbesoins. Voici les plus fréquemment identifiés :

– disponibilité : on ne devrait pas abandonner lafamille en crise. La présence d’un accompagnateur pen-dant tout le séjour de la famille aux urgences est pri-mordiale (avant, pendant et après le décès de l’enfant).En revanche, il est important de permettre aux famillesqui le désirent d’être seules avec l’enfant à certains mo-ments ;

– écoute : l’outil de communication le plus utile estl’écoute attentive. Le silence permet souvent aux famillesde poser des questions et exprimer leurs besoins. Les pa-rents ont souvent le goût de parler de leur enfant. Qui ilétait, ce qu’il aimait ;

– empathie : on peut exprimer des sentiments d’inté-rêt et de tristesse de façon verbale et non verbale. Il fautéviter de perdre son calme et reconnaître que le décès del’enfant n’est pas une affaire de routine dans notre jour-née. On doit reconnaître le caractère extrême de la douleurvécue par la famille ;

– respect : il faut permettre et aider à l’expression duchagrin. Par exemple, plusieurs parents voudront bercerleur enfant en pleurant ou leur donner un dernier bain.

Les médecins doivent porter une attention particulière à la communication.

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES– MONTRÉAL

Claude Cyr

Les rituels religieux devraient être facilités. Il est impor-tant de reconnaître les différences individuelles et cultu-relles d’exprimer le chagrin et s’y adapter.

Les frères et sœurs

Les frères et sœurs survivants sont profondément affec-tés par le décès de leur frère ou de leur sœur. Ils font partiede la famille et devraient être inclus dans la prise en chargede la famille. Leur réaction est dépendante de plusieurs fac-teurs incluant leur compréhension du concept de la mort,leur relation avec l’enfant décédé, leur place dans la dyna-mique familiale. Le développement d’une compréhension« mature » de la mort demande entre autre l’acquisition de4 sous concepts (universalité, irréversibilité, non-fonction-nalité et causalité). Par exemple, les enfants d’âge présco-laire se représentent la mort comme temporaire et réversible– croyance renforcée par les personnages des dessins ani-més qui meurent et ressuscitent. Les enfants entre 5 et 9 anscommencent à penser la mort plus comme les adultes, maisils croient encore que cela n’arrivera jamais à eux ou àceux qu’ils connaissent.

En plus du choc et de la confusion qu’éprouve l’en-fant à la mort de son frère ou sa sœur, s’ajoute l’absencede disponibilité des autres membres de la famille quipeuvent être si bouleversés par ce deuil qu’ils sont in-capables d’assumer leurs responsabilités habituelles en-vers l’enfant. La fratrie survivante a souvent peur d’êtreabandonnée ou de subir le même sort que l’enfant mort.Les parents, ayant eux-mêmes de la difficulté à gérerleurs sentiments, annoncent souvent le décès de l’enfantde façon vague. Se faire dire que son frère « s’est en-dormi pour très longtemps », qu’il est mort « parce qu’ilétait malade » ou « parce que le bon Dieu avait besoinde lui » peut créer des incompréhensions évidentes. Lesenfants survivants vont souvent développer un senti-ment de culpabilité renforcé par ces incompréhensionsou les changements de comportement des parents (irri-tabilité, dépression).

Les parents devraient être informés des réponses nor-males d’un enfant au deuil ainsi que des signes d’alarme.Pendant les semaines suivant la mort, il est normal quecertains enfants ressentent beaucoup de peine tandis qued’autres s’accrochent à la croyance que l’enfant décédé esttoujours vivant. Le déni à long terme de la mort ou l’ab-sence de chagrin est inhabituel et demande une évaluation.

La plupart des enfants désirent participer aux funé-railles. Un enfant qui a peur d’assister à l’enterrementne devrait pas y être forcé ; toutefois, une forme ouune autre de rituel est recommandée, comme le fait

d’allumer une bougie, de dire une prière ou d’aller serecueillir sur la tombe.

En général, une fois que les enfants ont « compris » lamort, ils expriment leurs sentiments pendant longtemps,de façon intermittente et souvent à des moments inatten-dus. Les proches devraient prendre du temps avec l’enfant,autant qu’il leur est possible, afin qu’il soit bien clair quel’enfant a la permission d’exprimer ses sentiments libre-ment et ouvertement, que ce soit verbalement ou physi-quement.

Pour l’enfant, la personne décédée était essentielle àla stabilité de son monde person-nel et la colère est une réactionnormale. La colère peut se révélerà travers des jeux violents, descauchemars, une irritabilité outoute une variété de comporte-ments. Souvent l’enfant adressesa colère aux autres membressurvivants de sa famille. L’enfantpeut aussi régresser temporaire-ment en adoptant des comporte-ments infantiles, demander plussouvent de la nourriture, de l’at-tention ou des câlins et « parleren bébé ». Les enfants plus petits croient souvent qu’ilssont la cause de ce qui se passe autour d’eux. Un jeuneenfant peut croire que son frère ou sa sœur est mort parcequ’il l’a une fois souhaité. L’enfant se sent coupable parceque son vœu est devenu réalité.

Une période prolongée pendant laquelle l’enfant perdintérêt pour les activités ou les événements de la vie quo-tidienne, des difficultés pour s’endormir, une perte d’ap-pétit, la peur d’être seul, un comportement plus jeunependant une période prolongée, l’imitation excessive dela personne décédée, des déclarations répétées de sa vo-lonté de rejoindre la personne décédée, l’éloignement deses amis, une chute marquée de ses résultats scolairesou un refus d’aller à l’école sont fréquents. Ces signauxd’alarme indiquent le besoin de recourir à une aide pro-fessionnelle.

Après le séjour aux urgences

L’équipe traitante devrait assurer une continuité desoins surtout lors du retour à la maison. Dans les joursaprès le décès, la famille doit réorganiser la vie quoti-dienne et les funérailles. Ils ont besoin de guidance pourplusieurs tâches pratiques : annonce du décès à la familleélargie et aux amis, organisation des funérailles, récupé-

La réaction de la fratrie est dépendante de plusieurs facteurs incluant leur compréhension du concept de la mort.

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CONGRÈS EN SP PÉDIATRIQUES – MONTRÉAL

ration du corps après l’autopsie, investigation de la scènede décès par la police. Le retour à la maison est particu-lièrement difficile pour les parents. Quoi faire avec lesjouets de l’enfant ? Ses effets personnels ? On doit s’assu-rer qu’un proche pourra aider la famille pendant ce retour.

Un membre de l’équipe doit avoir la responsabilité deprendre contact avec la famille dans les jours suivant ledécès. Les sujets pouvant être discutés sont, entre autres,les informations sur la planification des funérailles, la réac-tion de la fratrie, la clarification des évènements survenuslors de la réanimation, de l’information et/ou une référenceà un groupe de soutien ou d’autres ressources communau-taires. On doit aussi encourager l’expression de la spiritua-lité. Les professionnels peuvent participer aux prières etaux rituels même s’ils n’ont pas de connaissance spécifiquede la religion de la famille. Il faut pouvoir contacter unreprésentant de la religion de la famille si désiré. Si unmembre de la fratrie, de la famille ou de l’équipe traitantesemble dépassé par l’ampleur du chagrin, une consultationavec un psychologue ou un psychiatre est nécessaire.

Un plan de suivi pour assurer une évaluation des réac-tions de deuil devrait aussi inclure la possibilité de contacttéléphonique avec un membre de l’équipe et une rencontrepour discuter les résultats de l’autopsie. L’implication dumédecin traitant de l’enfant permet souvent d’assurer unecontinuité et une complémentarité.

Conclusion

L’empathie et la communication adéquate sont essen-tielles à la prise en charge d’une famille ayant perdu unenfant en salle d’urgence. L’attitude de l’équipe traitanterestera à jamais gravée dans la mémoire de ces familles.

Références

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