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Les traits acoustiques Author(s): Mario Rossi Source: La Linguistique, Vol. 13, Fasc. 1 (1977), pp. 63-82 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248855 . Accessed: 16/06/2014 16:09 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.79 on Mon, 16 Jun 2014 16:09:55 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Les traits acoustiques

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Les traits acoustiquesAuthor(s): Mario RossiSource: La Linguistique, Vol. 13, Fasc. 1 (1977), pp. 63-82Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248855 .

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LA LINGUISTIQUE Vol. 13, Fase. 1/1977

LES TRAITS ACOUSTIQUES par Mario Rossi

En 1951, paraissait aux presses du M.I.T. un ouvrage de Roman Jakobson, Gunnar M. Fant et Morris Halle, intituld Preliminaries to Speech Analysis, dont I'objet etait donna dans le sous-titre : The distinctive features and their correlatesl.

Cet ouvrage fondamental allait connaitre une fortune consi- d6rable qui ne se dement pas, vingt-quatre ans aprbs; il allait assurer 6galement la fortune de l'expression << Traits distinctifs >>. Jakobson et al. entendent, par trait distinctif, le choix entre les deux polarites d'une opposition : ainsi le choix entre Vois6 et Non Vois6 est un trait distinctif (Preliminaries, p. 3). Le trait distinctif est une composante du phoneme qui est defini comme un faisceau, un ensemble de traits distinctifs. Bien str, la notion de traits distinctifs n'*tait pas nouvelle, puisqu'elle constituait le pivot de la phonologie structurale. Mais puisque ces traits sont difinis sur une base acoustique, la notion de traits distinctifs est dor&- navant associ6e B celle de traits acoustiques; elle est associde igale- ment a la notion de binarisme puisque le module de Jakobson et al. se presente comme un systhme d'analyse binaire.

La theorie des Preliminaries se trouve en germe dans la commu- nication de Jakobson au IIIle Congrts des Sciences phon6tiques de Gand en 19382. Jakobson rappelle que Trubetzkoy distingue deux types d'oppositions phonologiques : les oppositions unidi- mensionnelles, qui sont des oppositions privatives : ex. t/d, et les oppositions multidimensionnelles representies par les oppo- sitions graduelles (i/e/e/a) et les oppositions 6quipollentes. Ces dernieres sont des oppositions complexes du type p/t, dont les deux termes labial/dental sont logiquement equivalents, c'est-h- dire ne peuvent 6tre consid6ris ni comme deux degr6s d'une

i. R. JAKOBSON, G. M. FANT et M. HALLE, Preliminaries to Speech Analysis. The distinctive features and their correlates, Ire 'd., Cambridge, M.I.T. Press, I951.

2. R. JAKOBSON, Observations sur le classement phonologique des consonnes, Procee- dings of the Third International Congress of Phonetic Sciences, Gand, 1939, PP. 34-41, et Selected Writings, La Haye, Mouton, i962, pp. 272-279.

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particularite (v.g. ferme/mi-ferme), ni comme la negation ou l'affir- mation d'une particularite (v.g. aigu/non aigu, voise/non voise). Ces oppositions complexes, de type ternaire, qui concernent les lieux d'articulation, introduisent une dissymitrie dans les systhmes lin- guistiques, puisque la plupart des oppositions comportant un seul trait distinctif sont unidimensionnelles, c'est-a-dire de type binaire.

Jakobson propose alors de remplacer cette opposition complexe par deux oppositions binaires :

a) II distingue deux classes i partir d'une propridte commune a plusieurs lieux d'articulation : anterieures (labiales, dentales) / pos- tirieures (palatales, vdlaires) ; b) Ii distingue les lieux articulatoires de chaque classe t l'aide d'une seconde opposition : aigu/grave.

antdrieures / postdrieures

grave aigu grave aigu p t c k

Cette analyse a le dtfaut d'etre heteroghne car elle male les traits articulatoires et acoustiques dans un m~me systdme, mais elle est remarquable, car, bien avant l'apparition du Sonagraph, Jakobson avait decouvert l'opposition diffus/compact; l'oppo- sition anterieur/posterieur telle qu'elle est ddfinie ici est en relation biunivoque avec l'opposition diffus/compact.

Plus tard, en 1949, Jakobson et John Lotz3 proposent un modele de six traits pour decrire le systhme phonologique du frangais : I) vocalique/consonantique, 2) nasal/oral, 3) sature/dilu , 4) grave/aigu, 5) tendu/relichi, 6) continu/interceptd.

Le troisibme trait sature/dilue remplace l'opposition ante-

rieur/postdrieur et se trouve &tre decrit sur une base acoustique : les voyelles et les consonnes saturdes, ecrivent les auteurs, sont caracterisees par la < compacit6 e de leur spectre. Le trait compact/diffus est done introduit.

Ce module reste hetirogbne car les six traits sont difinis sur trois bases diffdrentes :

a) acoustique : 3 et 4; v.g. sature/dilud; b) articulatoire : 2, 5, 6; v.g. nasal/oral; c) syllabique : i, vocalique/consonantique; r et I sont h la

3. R. JAKOBSON et J. Lorz, Notes on the French Phonemic Pattern, Word, V, 1949, pp. 151-158, et Selected Writings, pp. 426-434.

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fois vocaliques et consonantiques car ils peuvent parfois etre centres de syllabe.

En ce qui concerne la theorie binariste, les auteurs affirment que la structure binaire est inscrite dans le code linguistique, que tout langage op avec un nombre restreint de traits qui forment des oppositions binaires, des oppositions binaires simples ou complexes :

a) simples : entre contradictoires (presence ou absence d'une marque) : t/d;

- entre contraires (relation entre deux el1ments qui appartiennent au meme type mais qui difflrent significativement entre eux) : i/u.

b) complexes : qui supposent la prdsence d'un troisibme 16ement, ex. i - sature (= dilue), e u sature, a + sature.

Les oppositions complexes ou bipolaires sont une fagon de traduire en langage binaire les oppositions multidimensionnelles

graduelles. On remarquera que cette solution diffbre de celle

qui avait permis d'dliminer les oppositions 6quipollentes. Ces dernitres avaient ite remplacees par deux choix binaires grtce At l'introduction d'un trait nouveau : Anterieur/Posterieur. Mais le terme bipolaire auquel aboutit I'opposition complexe ici est en realite un subterfuge. L'une des raisons implicites du choix d'un module binaire r6side dans la possibilit6 qu'offre ce dernier de calculer la quantit6 d'information du systemeO. Or, les oppo- sitions binaires dites complexes introduisent un troisiame terme dans l'arbre binaire qui interdit le calcul de la quantit6 d'infor- mation. Comparons en effet les deux systtmes deriv6s de la suppres- sion des oppositions dquipollentes et des oppositions graduelles :

S- antirieur / posterieur + - saturd / dilud

+ - - grave / aigu +

p t k c a e i A B

4. Preliminaries, pp. vi, 9; R. JAKOBSON et M. HALLE, Fundamentals of Language, Ire &i., La Haye, Mouton, 1956, pp. 58, 60o et 61.

LA LINGUISTIQUE, I 3

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Dans le cas A, on a k = log2 4 = 2 bits et on a bien deux choix binaires. Dans le cas B, k = logs 3 = 1,58, alors que trois choix binaires sont necessaires pour definir [e]. Cette antinomie prouve bien le caractbre artificieux de la solution.

Deux annees plus tard, Jakobson, Fant et Halle publient les Preliminaries, qui constituent une el1aboration complkte et syst&- matique de la thdorie des traits distinctifs. Ils proposent un modble universel de 12 traits distinctifs. Chacune de ces douze oppositions est ddfinie en termes acoustiques et articulatoires. L'ancienne opposition : vocalique/consonantique a eti scindee en deux oppo- sitions distinctes afin d'dliminer les unites bipolaires du genre /1/, qui 'tait definie auparavant comme u vocalique et qui l'est maintenant comme / + vocalique, + consonantique/.

Ce n'est qu'en 1957, dans son etude In defence of the number two, que Halle5, pour supprimer les analyses bipolaires des oppositions graduelles (i/e/e), introduit un trait suppl6mentaire : dorenavant, compact et diffus constituent les termes de deux traits distinctifs

diff6rents : I) compact/non compact, 2) diffus/non diffus. Ex.

+ - compact / non compact

+ - diffus / non diffus

a 1 e

*~l

Les Preliminaries connaitront quatre re6ditions successives et le module subira au cours de diverses publications (Fundamentals of Language, Essais de linguistique gene'rale, etc.) des transformations substantielles.

Ce module, tel qu'il apparait dans les diff6rentes versions, est construit sur une triple contradiction :

i. La premiere est inscrite dans la notion de binarisme; 2. La seconde dans le critre de distinctivit6; 3. La troisieme dans la definition des traits.

5. M. HALLE, In Defence of the Number Two, Studies presented to Joshua Whatmough on his Sixtieth Birthday, 1957, pp. 65-72, et Word, I8, 19g62, pp. 54-72.

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I. - BINARISME

Les auteurs insistent a plusieurs reprises sur la portee du binarisme : le binarisme n'est pas un modble que l'analyste impose au code linguistique, il est inscrit dans la structure linguistique (Preliminaries, p. 9; Fundamentals, p. 6o). Un code binaire est un code optimal et il est gratuit de supposer que le langage serait fonde sur un principe moins dconomique. Les auteurs citent A

l'appui de leur these plusieurs experiences qui tendraient t prouver que la perception fonctionne selon le mode binaire (Fundamentals, pp. 6o-6I).

Par consequent, le systhme des traits distinctifs se veut un

module de la perception du langage. Mais dans le meme temps les traits sont, pour l'essentiel, ddfinis sur une base purement objective.

Ex. I) consonantique/non consonantique : < Les phonemes qui possedent le trait consonantique sont acoustiquement caractdris's par la presence de zeros acoustiques qui affectent tout le spectre. >>

2) didsd/non dids : << Ce trait est manifestd par une remontde l1gere du deuxieme formant, et jusqu'a' un certain degre' - des formants hauts. >>

3) nasal/oral : < Le spectre des phonemes nasals montre une densite formantique plus dlevee que celle des phonemes oraux

correspondants. >> On remarque que ces definitions reposent sur un seul indice

sans que l'on sache si cet indice joue ou non un r61le essentiel dans la perception. Or, on sait6 que les traits sont des constructions abstraites qui ne resident pas dans le signal; le trait se manifeste par un ensemble d'indices acoustiques hierarchiquement organises sur le plan de la perception... Ainsi les derniers travaux de Delattre montrent que la nasalite est perque grace B : I) la discontinuite des formants; 2) l'attinuation de l'amplitude des formants hauts; 3) la presence du formant de nasalite t 250 Hz.

Les definitions des Preliminaries laissent croire que ce sont les traits eux-memes qui existent dans le signal oii ils se rdalisent de fagon univoque par la presence ou l'absence d'une caracteristique

6. Pierre DELATTRE, Des indices acoustiques aux traits pertinents, Proceedings of the Sixth International Congress ofPhonetic Sciences (Prague, 1967), Prague, 1970, p. 46; G. FANT, Sound, features and perception, Proceedings... (Prague, 1967), pp. 51-54; K. SAUMJAN, Problems of Theoretical Phonology, La Haye, Mouton, 1968, p. 68, oil le trait phon'tique (abstract differentofd) est une abstraction du niveau de l'observation et I'indice (concrete differentofd) est la seule r6alitd concrdte du mbme niveau.

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acoustique difinie. Ce point de vue est d'ailleurs annonce de fagon explicite : << L'chelle dichotomique (binaire) est le principe cardinal de la structure linguistique. Le code impose cette 6chelle t la r~alit6 sonore >> (Preliminaries, p. 9).

Mais si ce sont des faisceaux d'indices qui assurent la distinc- tion entre les sons du langage et si les traits sont bien des construc- tions abstraites, rien ne prouve, dans le systhme propose par Jakobson et al., que la rdalit6 des indices soit appr6hend&e par l'auditeur l'aide d'abstractions organises selon le mode binaire.

Peu aprts la parution des Preliminaries, Andre Martinet mani- festait sur cette partie de la thdorie un scepticisme motive : << ... on ne nous dit pas a quel endroit du circuit de la parole s'impose a l'atre humain la necessite du mode binaire... Doit-on supposer que la binaritd resulte d'une sorte de filtrage execute par les organes de l'audition de telle sorte qu'un groupe de cellules r6agirait positivement A l'acuit6 et negativement a la gravitd... ? Ce serait 1. sans doute, ' l'heure actuelle, une supposition abso- lument gratuite. II faudrait done croire que c'est & la perception que se produit le filtrage. Mais, ici encore, quel moyen avons-nous de verifier la chose ? >>7.

La seule attitude scientifique susceptible d'dviter la contradic- tion relevie et la confusion des niveaux commandait aux auteurs des Preliminaries de presenter ce systhme comme un module d'analyse, comme une fagon de saisir une realit6 complexe sans 'tablir une addquation entre le module et la r'alite linguistique d'une part, entre le module et la perception d'autre part.

II. - DISTINCTIVITE

La distinctivit6 est le critbre fondamental de ce module. Ce critbre apparait sous deux aspects :

I) Le module de Jakobson se pr6sente comme un ensemble de douze traits distinctifs universels; c'est-t-dire que ces douze traits : a) suffisent A rendre compte de tous les systdmes phono- logiques, b) peuvent &re utilises dans un seul et meme systhme phonologique, sans y introduire aucune redondance, puisque chaque trait est independant. Par consequent, les douze traits du

module sont necessaires et suffisants.

7. A. MARTINET, Economie des changements phonitiques, 2e id., Berne, A. Francke, 1964, p. 74.

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Cette premi&re acception du critbre de distinctivit6 apparait dans la ddfinition du trait bdmolise/non bemolise. La bemolisation est realisde par la protraction labiale qui a pour effet d'abaisser les formants, notamment F2. Mais le meme effet peut &tre obtenu par l'abaissement du larynx pour les voyelles8 ou par une constric- tion pharyngale pendant I'articulation de la consonne (v.g. les consonnes emphatiques de l'arabe).

Fait significatif, dcrivent Jakobson et al., les locuteurs (v.g. les Usbeks, les Bantous) qui ne posshdent pas les emphatiques les

remplacent dans les mots arabes correspondants par des consonnes labialisees : ce ph6nombne d'interfdrence prouve la similarit6 perceptuelle de la pharyngalisation et de la labialisation; comme d'autre part ces deux modes d'articulation n'existent jamais simul-

tan6ment dans le meme systhme, on doit admettre qu'il s'agit de deux variantes d'un meme trait, le trait bdmolisd/non bemolise.

2) Le critbre de distinctivite apparait par ailleurs dans la notion de trait distinctif qui est difini comme un choix entre deux contraires ou deux contradictoires. Le message est porteur de distinctions minimales qui obligent l'auditeur ? un choix binaire (Preliminaries, p. 3). Pour retrouver ces distinctions minimales, Jakobson et al. fournissent les caracteristiques acoustiques et arti- culatoires de ces traits, les definissent sur une base phonetique. Ils admettent donc implicitement que ce moddle suffit

fournir fournir

une description adequate de la r'aliti phonetique. Et c'est li que reside la contradiction. Il y a incompatibilite en effet entre la necessite affirmee d'interpreter la rdalite linguistique sur la base d'un systhme minimal de traits distinctifs et les exigences de la description phonetique. Ainsi deux traits seulement (grave/aigu et compact/diffus) suffiraient

. decrire les consonnes sur I'axe

antiroposterieur; or, on peut relever pas moins de 16 articulations diff6rentes dans les systdmes phonetiques.

Si nous prenons le cas de l'allemand, les traits distinctifs binaires compact et aigu ne permettent pas de rendre compte des oppositions : (/s/, /f If~ /q, x/). Je puis dicrire ces oppositions a l'aide des traits compact et strident; mais j'aboutis h deux

descriptions concurrentes sans avoir de critdre de choix; cette

8. Les voyelles arrondies sont g6ndralement accompagn6es d'un abaissement du larynx, mais lorsque - chez les sujets anglo-am6ricains imitant le franCais par exemple - cet abaissement constitue le seul indice articulatoire de la b6molisation des voyelles ant6rieures, on parlera de muffled voice (< voix amortie >>); voir A ce sujet Martin Joos, Acoustic Phonetics, Language, 24, 2, Suppl., 1948, p. 42.

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situation intenable est crde par l'inadequation du systme des traits distinctifs a la description phonitique du message. Le seul

module adequat serait un modele n-aire qui permettrait de digager les degris d'acuite, de compacit6 et de stridence. L'interpretation perceptuelle de ces donndes fournirait un critdre de choix entre les deux solutions concurrentes.

Le systdme de Jakobson repose par consequent sur un malen- tendu : les traits distinctifs qui sont une projection binaire des traits phonetiques et sont censds rendre compte de la structure phonologique sont d6crits en termes physiques et sont utilises pour d6crire une rdalitd phondtique qui exige un modble n-aire9.

III. - LA DEFINITION DES TRAITS

La definition des traits a subi, au cours des diverses ridditions du module, des modifications substantielles. Et c'est bien normal

puisque les Preliminaries sont prdsentes comme une esquisse suscep- tible d'etre modifide par les verifications expirimentales (p. v). Mais ce qui l'est moins ce sont les modifications ad hoc qui ne doivent rien 'a l'expirimentation. Prenons l'exemple du trait de

compacitd. i. Definition de 1949 : les voyelles saturees sont caracterisees par la compa-

cite de leur structure de formants'o.

Objection : la voyelle [u] dont F et F2 sont tris rapproches serait alors une voyelle compacte. Il n'y aurait plus isomorphisme entre compacit6 et ouverture.

2. Definition des Preliminaries : les phonemes compacts sont caracterises par une relative predominance d'une region formantique situde dans le centre du spectre (p. 27).

Cette nouvelle definition permet :

a) de dire que [u] n'est pas compacte, puisque ses formants essentiels sont situbs a une extrdmit6 du spectre; et

b) de conserver l'isomorphisme entre l'opposition compact/non compact et

ouvert/non ouvert.

Mais cette nouvelle definition n'en reste pas moins inadequate si on l'applique aux consonnes : en effet, l')nergie des v6laires [k, g] au contact des voyelles posterieures arrondies se trouve concentr&e non pas dans le centre mais dans le bas du spectre. D'aprbs la difinition des Preliminaries, cette variante contextuelle devrait etre considirde comme une diffuse, au meme titre que [p]; or, les pho-

9. Voir A ce sujet la critique de Paul M. POSTAL, in Aspects of phonological theory, New York, Harper & Row, 1968, pp. tog-uI

o. Io. JAKoBSON et LoTz, Notes..., p. 152.

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names /k, g/ et toutes leurs realisations continuent A tre considreds comme des unites compactes.

3. Fant, qui reprend A son compte en I96011 cette d6finition de la notion de compacitd, a bien vu la contradiction. Il propose, pour les consonnes, l'inter- pretation suivante :

<< Le commun denominateur des indices acoustiques pour [g] et [k] est la concentration de l'dnergie entre F2 et F3 de la voyelle subsequente... l'dnergie est constitute par l'explosion et par la premiere partie de la transition. >> Ainsi le formant de bruit de la consonne a tout loisir de varier dans des limites appre- ciables, comme varie F2 de la voyelle, sans que pour autant la consonne perde son caractere compact.

4. Halle, en 1959, dans sa description du russe12, donne du trait compact une definition diff6rente selon que le trait concerne les voyelles, les constrictives ou les occlusives... C'est le type meme de la ddfinition ad hoc : - pour les voyelles, compact = valeur maximale de FI; - pour les constrictives, compact = concentration de l'dnergie dans une zone

centrale du spectre; - pour les occlusives, compact = concentration de l'dnergie dans le spectre.

Nous verrons plus loin qu'un meme trait peut fort bien 6tre manifest6 par un indice dont la r6alisation varie en fonction des autres indices avec lesquels il se combine. Ce fait a dtd soulign6 par Fantl3. Il s'agit alors de ddgager la proprietd constante et invariante que l'auditeur sait abstraire de fagon incons- ciente de ces variantes. Mais le probleme n'est pas pos6 en ces termes par Halle; nous disons qu'il s'agit d'une ddfinition ad hoc car elle dlude la difficultd et autorise le linguiste A attribuer le meme trait A plusieurs cat6gories de consonnes - au mepris de la rdalitd phondtique et pour la bonne symetrie du systeme.

Ce simple exemple montre la difficulte qu'il y a t' tenter une ddfinition acoustique des traits distinctifs sur des bases purement objectives.

Etant donnd que les phondticiens et les ingenieurs qui utilisent ce module sont aussi des linguistes, ils ont tendance a adapter les ddfinitions aux besoins supposds de la description phonologique. C'est cette attitude qui prddomine. Les raisons profondes de cette attitude sont ta rechercher dans le malentendu sur lequel est construite la thdorie des traits distinctifs qui entretient la confusion entre moddle de perception et module acoustique.

II. FANT, Acoustic theory of speech production, Ire dd., La Haye, Mouton, 1960, p. 217. 12. HALLE, The sound pattern of russian, Ire ed., La Haye, Mouton, 1959, p. 126-139. 13. FANT, Auditory patterns of speech, Models for the perception of speech and visual

form, 6d. DuNN, Cambridge, M.I.T. Press, 1967, p. I17.

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Pour les partisans de la thdorie motrice, pour Alvin Liberman1' par exemple, les avatars subis par le module des traits distinctifs s'expliquent fort bien : la definition des traits sur une base acous- tique est impossible car le signal acoustique ne contient pas l'invariant qui permet la perception categorielle des consonnes. Precisement, le phoneme /g/ est repr6sentd par deux structures acoustiques totalement diffirentes dans les syllabes [ga] et [gu]; les recherches pour definir un trait acoustique commun t ces variantes sont vaines; I'identification du phoneme /g/ est fondie non pas sur la similitude acoustique des stimuli mais sur la simi- litude articulatoire des variantes.

L'auditeur extrait du signal des unites discrbtes - les pho- n6mes - qu'il per en termes de traits distinctifs. Ces unites - les phonemes et les traits - sont des unites encoddes au plus haut niveau. Liberman et al.15 supposent que des r6gles neuromo- trices convertissent la chaine de phonemes en une sequence temporelle de signaux neurologiques qui parviennent aux muscles. Des rbgles myomotrices transforment cette information en contrac- tions musculaires.

Ces signaux se trouvent en relation biunivoque avec les traits. La rupture de correspondance biunivoque avec les unites segmen- tales se situe entre l'Ctage Contractions musculaires et l'dtage Formes du tractus, grace aux ragles articulatoires qui encodent et restruc- turent les patrons neuromoteurs de fagon complexe dans une unite de fusion, la syllabe, qui represente l'essence de ce que Liberman et al. appellent le code de parole'6. A l'Ctape suivante, les r6gles acoustiques n'entrainent pas de rupture de correspon- dance biunivoque entre les formes du tractus et le signal acoustique, comme l'ont montre les travaux de Fant. La fusion des unites

phonetiques et des traits dans la syllabe est provoquie par la constante de temps, le temps de latence des systdmes pdriph&- riques qui agissent, de surcroit, dans un espace a trois dimensions. La fusion syllabique, cribe par la coarticulation, permet h l'oreille

14. A. M. LBERMAN, Some results of research on speech perception, J.A.S.A., 29, It, 957, PP. 117-123; A. M. LIBERMAN, Franklin S. COOPER, Katherine S. HARRIS et Peter F. MACNEILAGE, A motor theory of speech perception, Proceedings of Speech Communication Seminar, Stockholm, R.I.T., 1962, pp. I-II.

15. A. M. LIBERMAN, Franklin S. COOPER, Donald P. SHANKWEILER et Michael KENNEDY, Perception of the Speech Code, Psychological Review, 74, 6, 1967, pp. 431-46 1.

16. Voir n. 15; pour les auteurs, le code de parole est constitu6 par l'ensemble des rkgles articulatoires et acoustiques qui rendent compte de l'organisation de la parole dans le tractus vocal et dans l'onde acoustique.

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de recevoir, a chaque instant, en paralldle, de l'information sur

plusieurs unites. La constante de temps de I'oreille est telle que, sans cette reception en parallkle, la detection du signal serait

quatre fois plus lente que ce qu'elle est en realite. Comment, se demandent Liberman et al., l'auditeur reussit-

il A recuperer les unites discretes et les traits "a partir d'un

signal acoustique qui n'est plus en relation biunivoque avec le niveau neurologique ? On pourrait admettre la presence d'un

d6codeur acoustique qui serait I'inverse de l'encodeur moteur. Mais, repondent Liberman et al., cette solution est inutilement

on6reuse : elle suppose un d6codage trop complexe et laisse inutilisde l'information acquise A l'atage moteur.

Selon Liberman et al., a chaque instant, chez le locuteur, le

signal acoustique est mis en relation avec les patrons neuromoteurs, les reseaux neurologiques recepteurs activent en synchronie les reseaux neuromoteurs. Cette retroaction motrice permet la percep- tion des unites discr6tes et des traits qui les composent.

Comme on le voit - pour les partisans de la thdorie motrice - les traits, qui existent bien

. l'etage neurologique, ne peuvent pas

etre definis en termes acoustiques. Influenc6s par cette ecole, ou pousses par la mode, portis 6galement par des considerations d'ordre linguistique Noam Chomsky et Morris Halle" proposent, h la place du moddle acoustique, un module de traits articulatoires dont l'essentiel est representd par les cinq traits : anterieur, coronal, haut, bas, posterieur.

Ce moddle se justifiait dans l'optique de la premiere theorie motrice, la th6orie peripherique, l'apoque oui Liberman croyait que les articulations dans le tractus contenaient I'invariant qui permettait la reconnaissance des unites phonologiques. Mais nous venons de voir pricisement que les articulations dans le tractus ne sont pas en relation biunivoque avec les unites discrktes et les traits. Serait-ce que la definition des traits ne peut reposer ni sur la base acoustique, ni sur la base articulatoire ?

Cette thtorie a eu le m6rite de mettre en 6vidence la difficult6 du passage entre le niveau acoustique objectif et l'Ctage neuro-

I7. N. CHOMSKY et M. HALLE, The Sound Pattern of English, New York, Harper & Row, 1968, pp. 293-329; voir 6galement James D. MCCAWLEY, Le rb1e d'un systhme de traits phonologiques dans une thdorie du langage, Langages, 8, 1967, pp. 12-123.

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logique oih se situe l'intigration linguistique. Elle a eu le merite egalement de favoriser les recherches dans le domaine de la perception de la parole et de convaincre les phoneticiens et les linguistes qu'une thdorie des traits distinctifs devait se presenter comme un module de la perception.

Nous devons, toutefois, au sujet des hypotheses de Liberman et al., nous poser deux questions :

i) L'auditeur interprete-t-il les unites phondtiques en termes de traits distinctifs ? Autrement dit, les traits representent-ils une

realit6 psychologique et neurologique ?

2) Est-il vrai que le signal acoustique ne contienne pas les indices ndcessaires et suffisants a la perception des traits et des categories phonologiques ?

La rdponse a ces questions constituera une 6bauche de solution au probl6me des traits distinctifs.

I. - RIALITEu PERCEPTUELLE DES TRAITS

A) Experience de L. A. Chistovitch et al.18

Un locuteur lit une serie de syllabes VCV. Dans une piece attenante, un deuxibme sujet regoit les stimuli par l'intermediaire d'un casque et doit les rdpiter le plus rapidement possible.

On enregistre I'oscillogramme, les vibrations laryngees, les contacts labiaux et palataux chez les deux sujets. La repetition chez le deuxibme sujet a lieu avec un temps de reaction de l'ordre de Ioo-150 ms. La reproduction de la consonne a lieu avant que celle-ci soit compl6tement identifide.

Dtes la fin de la transition d'implosion, c'est-a-dire a la limite de V et C dans la sequence VC, les effecteurs (organes phona- toires) du second sujet sont dans un dtat consonantique : fermeture

complkte ou stricture du tractus vocal selon que C est une occlusive ou une constrictive; vibration ou non des cordes vocales, selon

que C est ou non voisde; le mode d'articulation rdalise est donc exact, mais dans le meme temps le lieu d'articulation est indiff6- rencid : on note par exemple une fermeture simultande aux lkvres et dans la cavitd. A mesure que l'information arrive, cet etat se

18. L. A. CHISTOVITCH, Iuri A. KLASS et Iuri Kuz'Mm, The Process of Speech Sound Discrimination, Research Library, Bedford, Air Force Cambridge Research Laboratoires, 1963, E.T.R. 63. Io.

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modifie progressivement pour correspondre au lieu d'articulation de la consonne perque.

On peut tirer trois conclusions de cette experience : I. Dans les conditions du test, la reproduction de la consonne

commence avant que le phoneme ait 6te reconnu; par consequent, aucune classification phonetique n'est evoquie dans l'esprit du sujet pour l'articulation de la consonne.

2. Le sujet reconnait en premier lieu des traits distinctifs. Ces traits sont reconnus separ6ment et toujours dans l'ordre :

a) traits de mode, b) trait de voisement, c) traits de lieu.

3. Le sujet sait extraire du signal acoustique les indices qui lui permettent de reconnaltre ces traits. C'est dans la mesure

oh le signal lui apporte une information nouvelle qu'il corrige et adapte son articulation.

B) Expirience de Terry G. Halwes'9

Halwes fait entendre, en ecoute dichotique20, des paires de syllabes CV qui different par plus d'un trait :

v.g. TA/BA, GA/PA... La matrice de confusion montre des cas nombreux de fusion :

le sujet entend, par exemple, KA 85 fois sur Ioo si on lui presente GA h l'oreille droite et PA g l'oreille gauche ou inversement. Par ailleurs, la matrice de confusion fait apparaitre une hierarchie stricte dans la reconnaissance des traits; ainsi : - sourd I'emporte sur sonore, - pour les lieux d'articulation on obtient la hierarchie :

T>K>P

Dans I'Fcoute dichotique des deux consonnes G/P, ce sont les traits sourd + dorsal qui predominent et le sujet entend une consonne qui correspond h la somme de ces deux traits, c'est-a- dire /K/.

19. HALWES, Effects of dichotic fusion on the perception of speech, New York, Haskins Laboratories, x969.

20o. L'6coute dichotique consiste A faire entendre a un sujet deux stimuli diff6rents simultaniment I'un a l'oreille gauche, l'autre l'oreille droite.

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Si, en revanche, on mixe les deux syllabes i l'entriesl et qu'on fait &couter le resultat en ecoute binaurale, le resultat est diff6- rent : le trait vois6 l'emporte et le sujet peruoit GA. L'exp6rience de Halwes montre :

I) que les syllabes mix6es 61ectroniquement sont perques sur la base des proprit6es acoustiques du signal d'entrie;

2) qu'en ecoute dichotique, chacun des stimuli est analyse en termes de traits dans une memoire a court terme. La syllabe entendue est construite, aprbs sdlection d'une valeur pour chaque trait, independamment des combinaisons presentes t l'entree.

Ces deux types d'exp6rience et d'autres"2 prouvent bien que l'auditeur interprdte les phonemes en termes de traits distinctifs. La perception phonitique et la production de la parole constituent chacune une synth6se dynamique op&ree sur la base de l'infor- mation extraite du signal. Le signal acoustique est porteur d'indices; la reconnaissance des traits, qui est un processus d'abstraction, a lieu dans la m6moire A court terme.

II. - INDICES ACOUSTIQUES

A) Rialite des indices acoustiques

Nous avons deji? repondu partiellement i la deuxibme ques- tion : le signal acoustique contient-il ou non les indices necessaires A la perception des traits ? Nous ne nous engagerons pas ici dans une critique de la theorie motrice qui nous entrainerait trop loin. Nous nous contenterons d'alleguer deux arguments et une expe- rience de Kenneth N. Stevens :

1o Si la theorie motrice etait fondee, les aphasies motrices seraient

automatiquement accompagn6es d'aphasies de reconnaissance : or, chez les aphasiques moteurs, la reconnaissance du langage est intacte23.

20 Dans le module de Liberman et al., le stimulus acoustique

21. Le mixage a l'entr6e consiste A mrlanger les deux signaux 6lectroniquement en les faisant passer simultandment dans un appareil de mixage; le signal unique qui r~ulte de ce mixage est reCu ensuite par le sujet en 6coute diotique ou binaurale (un seul stimulus applique aux deux oreilles A la fois).

22. Wayne A. WICKELGREN, Distinctive features and errors in short-term memory for english consonants, J.A.S.A., 39, 1966, pp. 388-398.

23. W. PENFuELD

et L. ROBERTS, Speech and brain mechanisms, Princeton, Princeton Univ. Press, 1959, P. 247.

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est mis en correspondance avec le stereotype neuromoteur; il faut bien qu'il soit analys6 avec assez de finesse par I'oreille et la mdmoire precatigorielle24 pour permettre une corrilation positive avec la chaine motrice; dans ce cas, cette derni6re devient inutile.

30 Expirience de Stevens. - Stevens montre que si les 616ments discrets que sont les traits sont une construction du niveau per- ceptif, ils ne trouvent pas moins la justification de leur existence dans les proprietes physiques de la parole5.

Selon Stevens, la fonction qui lie les parambtres articulatoires aux parambtres acoustiques n'est pas lineaire. II existe, dit-il, certaines configurations articulatoires dont une modification

Idg&re provoque un changement important des caracteristiques acoustiques. Cette discontinuit6 prouve que les indices distinc- tifs sont presents dans le signal. En revanche, il existe d'autres

configurations dont une modification importante n'entraine qu'un changement n6gligeable des caractdristiques acoustiques. On peut penser trouver dans ces zones les indices qui definissent les traits. Prenons, par exemple, le continuum d'ouverture : on passe sans solution de continuit6 de la plus grande ouverture A la fermeture

compl6te. Pourtant, l'Cvolution de ce continuum cree des disconti- nuites acoustiques evidentes.

i. Ainsi, pour les voyelles ouvertes et mi-ouvertes, l'interaction entre les vibrations des cordes et le systhme supraglottique est

ndgligeable, et le degrd d'ouverture peut varier dans des propor- tions considdrables sans que le fonctionnement du larynx en soit affect6.

2. Mais, sur le continuum du paramatre ouverture, il existe un seuil, defini par l'articulation de /i, u/, a partir duquel on relive une interaction brutale entre la source et la pression supraglot- tique : FI tombe au-dessous de 300 Hz et le mode de vibration des cordes est transform&.

3. FI est ensuite insensible a la fermeture jusqu'& un second seuil oui FI disparait et le bruit apparait. La gendration du bruit est ensuite identique jusqu'A la fermeture compl6te.

Sur le continuum du degrd d'ouverture, on observe donc au

24. Dominic W. MAssARo, Preperceptual Images, Processing Time and Perceptual Units in Auditory Perception, Psychological Review, 79, 1972, pp. 124-145.

25. K. N. STEVENs, The Quantal Nature of Speech : Evidence from Articulatory- Acoustic Data, Human Communication : A Unified View, E. D. DAVD et P. B. DENEs, 6dit., New York, McGraw-Hill, 1972, pp. 51-66.

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moins deux discontinuitis acoustiques correspondant & trois pro- prietis acoustiques stables, qui pourraient justifier la description :

+ - Bruissantes

+ - Diffiss

s i, u e, o, a

Autrement dit, la caractdrisation des phon6mes en termes de

proprietes discr6tes trouve egalement sa justification sur une base

purement physique. Cette experience et d'autres qui sont cities par Stevens montrent bien que le signal de parole est susceptible de contenir les indices acoustiques necessaires et suffisants '

la reconnaissance des unites phonetiques. Ces indices sont des evene- ments concrets organises sur l'axe temporel. Ils sont detectes, comme l'a montre Massaro (Preperceptual Images...), non pas dans la memoire a court terme, mais dans une memoire precat&- gorielle 'a faible remanence. L'aspect sequentiel a une valeur critique pour l'audition. Les indices ne peuvent tre reconnus a mesure qu'ils arrivent, sinon on devrait admettre que la percep- tion est immediate, ce qui est dimenti par la mesure du temps de reaction. On doit done supposer que le stimulus auditif, dyna- mique par essence, est stocks dans une memoire auditive preper- ceptuelle ou precategorielle. L'image auditive persiste aprbs la presentation du stimulus pendant 200 ms environ26; elle est

indispensable A la reconnaissance de la structure temporelle. Le processus de reconnaissance se developpe sur cette image. Mais le traitement dans la mdmoire prdperceptuelle est perdu lorsque le stimulus subsequent arrive. La memoire k court terme intervient ensuite pour retenir l'information de la memoire precategorielle, et ilaborer les traits distinctifs.

La retention de l'image auditive dans la memoire pr6cat&- gorielle aux fins d'extraction des indices est nicessaire car les indices ne sont pas des propridtis absolues; ils varient en fonction des contextes syntagmatique et paradigmatique.

26. David B. PISoNI, Auditory Short-Term Memory and Vowel Perception, Memory and Cognition, 3, 1, 1975, PP. 7-18.

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LES TRAITS ACOUSTIQUES 79

Ainsi, les indices de dentalit627 varient pour la realisation de /d/ selon le contexte vocalique; mais ils varient aussi suivant les indices avec lesquels ils se combinent sur l'axe vertical, c'est-a'-dire qu'ils sont diff6rents pour les rdalisations de /d/, /n/, /1/ et /z/.

En ce sens, l'invariant n'existe pas dans le signal acoustique. Mais les partisans de la thdorie motrice semblent ignorer que chez l'etre vivant, l'homme ou I'animal - comme le souligne fortement Konrad Lorenz28 -, I'information issue de la rdalite extrasubjective ne parvient jamais au cerveau sous la forme origi- nelle, elle est le produit de processus de calcul trbs complexes dans une unite de traitement ratiomorphe (processus analogues a l'activitd rationnelle mais inconscients) qui extrait l'invariant en supprimant l'effet du contexte.

<< Il nous serait impossible de reconnaitre les objets de notre environnement s'il nous fallait pour cela en recevoir toujours les memes stimuli, exactement selon la meme configuration. Le

c6td admirable du fonctionnement de notre appareil perceptif reside pricisement dans le fait qu'il nous permet de reconnaitre les objets A 1'aide des micanismes de calcul que nous avons

ddj. mentionnes et nous libbre ainsi de cette condition impossible a% remplir u> (Lorenz, p. 158-I59). Ces processus de calcul n'inter- viennent pas seulement, au plus haut niveau, pour la categori- sation de la chaine phondtique; ils sont egalement necessaires29 "a la reconnaissance des indices. A ce sujet, Stevens postule l'exis- tence, dans le syst6me de perception, de detecteurs de propridtis ou detecteurs d'indices. Ces detecteurs specialises seraient charges de retenir ou de rejeter les rdsultats de 1'appareil de calcul. Cette hypothese est plausible; Lawrence S. Frishkopf et Moise H. Gold- stein30 ont en effet trouv6 chez la grenouille des detecteurs de ce type.

B) A la recherche des indices acoustiques

L'elaboration d'un systame de traits distinctifs doit &tre fondle sur la decouverte des indices acoustiques et de leur forme invariante.

Et puisque une theorie des traits distinctifs ne se conqoit pas

27. FANT, Auditory Patterns of Speech, Models for the Perception of Speech and Visual Form, W. DUNN, &dit., Cambridge, M.I.T. Press, 1967, pp. 111-125. 28. K. LORENZ, L'envers du miroir, Paris, Flammarion, 1973, pp. 158-I6I.

29. K. N. STEVENs, The Potential Role of Property Detectors in the Perception of Consonants, Quaterly Progress Report, I o, M.I.T., I973, PP. 155-168.

30. L. S. FRISHKOPF et M. H. GOLDSTEIN, Responses to Acoustic Stimuli from Single Units in the Eighth Nerve of the Bullfrog, J.A.S.A., 35, 8, 1963, pp. I219-1228.

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autrement qu'un module de la perception, la recherche des indices doit utiliser les procedures psychoacoustiques et psychosimantiques.

Les derniers travaux de Pierre Delattre, ceux de BjOrn E. F. Lindblom, Pisoni, Roger N. Shepard, Max Wajskop3", etc., constituent des tentatives intdressantes dans cette direction. Nous nous contenterons de quelques exemples.

io Delattre a montr6 que la repartition des sons de parole en deux classes peut se faire sur la base des indices suivants : transi- tions directes/renvers6es; presence de bruit/absence; absence de F i/presence.

Ces indices caractdrisent la rdalisation et la perception du trait vocalique/non vocalique qui autorise la bipartition2 :

Voyelles, r, 1, j, w, Nasales } ~{ Constrictives, Occlusives }

On remarque que cette bipartition perceptuelle s'effectue A l'un des seuils de discontinuite acoustique que Stevens avait detectis sur le continuum d'ouverture. A cette difference pr&s que les nasales, bien que rdalisdes avec une occlusion buccale, sont

rangdes dans la classe des vocaliques. Cette diffdrence montre qu'un seuil perceptuel ne correspond pas toujours a un seuil

physique; il n'y a pas isomorphisme entre niveau perceptif et niveau acoustique.

20 On a coutume de considerer dans les linguistiques une corrdlation de nasalit6 : p/m, d/n, g/lj, p. Les consonnes /1/ et /r/ se trouvent isole's dans le systhme. Or, nous venons de voir que les indices releves par Delattre nous autorisent

?. ranger

[1] et [n] dans la meme classe des vocaliques. D'autre part, les recherches sur I'intelligibiliti de parole

(Rossi, 1973) apportent la preuve d'une parent' trbs troite entre /1/ et /n/ aux niveaux acoustique et perceptif. Lorsqu'un vocodeur perturbe les oppositions de nasalite ce n'est pas d/n

31. P. DELTTRE, Des indices acoustiques, ..., B. E. F. LINDBLOM, Experiments in Sound Structure, Communication au VIIIe Congrbs des Sciences phonetiques, Leeds, i975; D. B. Pisom, Stages of Processing in Speech Perception : Feature Analysis, Communication au VIIIe Congr's des Sciences phon6tiques, Leeds, 1975; R. N. SHEPARD, Psychological Representation of Speech Sounds, Human Communication: a Unified View, 1972, pp. 67- 113; M. WAJSKOP et Jacqueline SWEERTS, Voicing cues in oral stop consonants, Journal of Phonetics, 1973, I, 2, pp. 121-130o.

32. Notre classification sur la base du trait vocalique/non vocalique diff&re de celle des Preliminaries puisque nous utilisons les indices d6finis par Delattre sur la base de tests psychoacoustiques.

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LES TRAITS ACOUSTIQUES 8I

qui est affect6e, mais I/n. Ces deux consonnes presentent la meme discontinuite formantique A l'attaque et a la detente (Delattre avait tort de presenter cette discontinuit6 comme l'indice de

nasalite). La difference entre elles r6side dans : I'intensite globale; le rapport d'intensit6 FI/F2; la valeur de FI.

Lorsque les deux consonnes sont confondues par les auditeurs, les deux premiers indices n'assurent plus la distinction. Le troi- sibme ne joue pratiquement aucun rble. On peut donc dire que l'opposition de nasalit6 est perque sur la base des deux premiers indices.

Quel est alors le rble de la discontinuit6 formantique ? Si on la supprime, la partie stable de [1] et de [n] est perque comme une voyelle. La discontinuit6 est donc un indice A la fois de la lateralite et de la nasalite. Elle aura l'une ou l'autre valeur en fonction du r'sultat de l'analyse operee sur la tenue de la consonne par l'un des detecteurs de proprietd. Cet exemple est instructif. Il montre la n6cessit6 du stockage du signal dans une memoire

pr6categorielle : les indices sont en effet organists dans le temps et leur fonction depend souvent - comme c'est le cas ici - de I'indice avec lequel ils sont associds sur l'axe temporel.

Cette interaction des indices a etd mise en evidence recemment par James R. Sawush et Pisoni33 a propos des traits de voisement et de lieu d'articulation.

30 Les recherches concernant les indices de voisement et de lieu ont apporte une moisson de faits intdressants. Mais on attend une hidrarchie perceptuelle des indices de voisement et un releve de la variation des indices de voisement et de lieu en fonction des contextes paradigmatique et syntagmatique.

Les indices de lieu, en particulier, sont A ce point sensibles au contexte paradigmatique que Fant34 suppose la presence de plusieurs centres de decision, specifiques de chaque classe de sons, pour le trait distinctif grave/aigu. Je ne pense pas qu'il soit 16gitime d'admettre l'existence de plusieurs centres de decision pour un m&me trait. Comme le fait remarquer Fant lui-meme, le trait distinctif situe la catigorisation

' un trbs haut niveau d'abstrac- tion. Chaque unite de decision de la m6moire t court terme sp6cia- lisde dans la detection d'un trait est certainement capable, sur

33. J. R. SAWUSH et D. B. PIsoNI, On the Identification of Place and Voicing Features in Synthetic Stop Consonants, Journal of Phonetics, 974 2, 2 3, PP. -8l-i94.

34. Auditory patterns..., pp. 117-1 18.

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la base de l'organisation et de la hierarchie des indices, d'abstraire des propriteis constantes et invariables, qui caractdrisent non seulement un objet, mais aussi une categorie d'objets, de detacher du fond accidentel une proprietd de forme commune a tous les representants de la categorie, proprietd pergue comme propriete catigorielle (Lorenz, p. 162-163). C'est dans ce sens que doit .tre prise la definition du trait donnee par Martinet : << ... un trait pertinent est un ensemble de caracteristiques phoniques distinctives qui ne se trouvent dissocides nulle part dans le systeme >>5.

L'encodage du signal par les traits distinctifs constitue de la sorte une iconomie considerable, puisque l'auditeur peut etablir de cette fagon une relation d'identite entre des oppositions physi- quement aussi diffirentes que

p fmu t s n i

Les auteurs des Preliminaries ont insiste a juste titre sur le r6le cardinal des traits linguistiques. Mais, si la notion de trait distinctif est inscrite dans le code linguistique et si, comme le prouvent les

experiences cities, l'auditeur apprehende bien les unites phone- tiques en termes de traits distinctifs, une thdorie des traits doit s'inserer dans un module de la perception du langage. Les contra- dictions contenues dans les Preliminaries peuvent etre en effet depassees si on conqoit cette theorie comme un modele de la perception a deux niveaux :

i. Le niveau abstrait ouh doivent etre decrits l'organisation, la hierarchie des traits et leur mode d'opposition; les recherches relatives A ce niveau doivent permettre de repondre, entre autres, A la question de savoir < < quel endroit du circuit de la parole s'impose e l'$tre humain la ntcessit6 du mode binaire >>3, si binarisme il y a.

2. Le niveau concret de la definition ou de la projection des traits dans la realit6 physique; ce module n-aire doit etre construit sur la base d'experiences psychoacoustiques et psychosemantiques qui permettent de decouvrir les fais- ceaux et la hi6rarchie des indices responsables du fonctionnement du syst~me de traits. Les travaux dans ce domaine sont

dj'. nombreux mais la notion de

hierarchie des indices est encore peu abordee37. Ces recherches presentent un int6ret fondamental non seulement pour la

linguistique mais 6galement pour la reconnaissance automatique de la parole.

35. A. MARTINET, La linguistique synchronique, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, p. 138.

36. MARTINET, Economie..., p. 74. 37. M. P. R. VAN DEN BROECKE, Hierarchies and rank orders in distinctive features,

Assen, Van Gorcum, 1976.

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