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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 119 Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte Malik Koubi* L’évolution des trajectoires professionnelles d’une cohorte à l’autre peut être décomposée en deux : l’effet de la cohorte elle-même, et l’effet de l’âge tel qu’il intervient en moyenne pour toutes les cohortes. Une telle décomposition est appliquée aux actifs du secteur privé. Entre les générations 1954 et 1964, l’âge du premier emploi a reculé et la durée d’insertion s’est allongée : plus progressive, l’entrée dans la vie active s’effectue par des périodes de travail plus courtes et plus dispersées d’une cohorte à l’autre. Toutefois, la probabilité d’insertion ne diminue pas au fil des cohortes. Ces évolutions sont plus marquées pour les femmes que pour les hommes. En revanche, entre 30 et 50 ans, les femmes ont eu des carrières de plus en plus complètes au fil des générations. La contribution de ces dernières à la féminisation des emplois varie considérablement : les cohortes nées dans les années 1920 et 1950 ont, par exemple, davantage contribué à l’accroissement de l’emploi des femmes. L’expérience demeure dans toutes les cohortes un atout majeur pour accéder aux postes d’encadrement. Cependant, l’accès au statut de cadre est plus ouvert dans certaines cohortes mieux placées que d’autres au regard des événements économiques. Par ailleurs, la promotion par le diplôme s’est partiellement substituée à la promotion à l’ancienneté, prédominante dans les générations antérieures à 1950. Les cohortes de femmes restent dans ce domaine moins favorisées que celles d’hommes. Le commerce, les services aux particuliers ou aux entreprises sont des secteurs plus attractifs en début de carrière, surtout pour les hommes. La répartition des cohortes par secteur, très différenciée, reflète durablement le contexte conjoncturel des débuts de carrière de chaque génération. Enfin, l’effet de cohorte sur cette répartition est beaucoup plus marqué pour les femmes que pour les hommes, ce qui s’explique par leur mobilité intersectorielle plus faible. EMPLOI * Malik Koubi appartient à la division Salaires et revenus d’activité de l’Insee. Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.

Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 119

Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorteMalik Koubi*

L’évolution des trajectoires professionnelles d’une cohorte à l’autre peut êtredécomposée en deux : l’effet de la cohorte elle-même, et l’effet de l’âge tel qu’ilintervient en moyenne pour toutes les cohortes. Une telle décomposition est appliquéeaux actifs du secteur privé.

Entre les générations 1954 et 1964, l’âge du premier emploi a reculé et la duréed’insertion s’est allongée : plus progressive, l’entrée dans la vie active s’effectue par despériodes de travail plus courtes et plus dispersées d’une cohorte à l’autre. Toutefois, laprobabilité d’insertion ne diminue pas au fil des cohortes. Ces évolutions sont plusmarquées pour les femmes que pour les hommes. En revanche, entre 30 et 50 ans, lesfemmes ont eu des carrières de plus en plus complètes au fil des générations. Lacontribution de ces dernières à la féminisation des emplois varie considérablement : lescohortes nées dans les années 1920 et 1950 ont, par exemple, davantage contribué àl’accroissement de l’emploi des femmes.

L’expérience demeure dans toutes les cohortes un atout majeur pour accéder aux postesd’encadrement. Cependant, l’accès au statut de cadre est plus ouvert dans certainescohortes mieux placées que d’autres au regard des événements économiques. Parailleurs, la promotion par le diplôme s’est partiellement substituée à la promotion àl’ancienneté, prédominante dans les générations antérieures à 1950. Les cohortes defemmes restent dans ce domaine moins favorisées que celles d’hommes.

Le commerce, les services aux particuliers ou aux entreprises sont des secteurs plusattractifs en début de carrière, surtout pour les hommes. La répartition des cohortes parsecteur, très différenciée, reflète durablement le contexte conjoncturel des débuts decarrière de chaque génération. Enfin, l’effet de cohorte sur cette répartition est beaucoupplus marqué pour les femmes que pour les hommes, ce qui s’explique par leur mobilitéintersectorielle plus faible.

EMPLOI

* Malik Koubi appartient à la division Salaires et revenus d’activité de l’Insee.Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.

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a comparaison des cohortes est un sujet quia été peu abordé dans la littérature, et sou-

vent de manière indirecte, faute d’une grille delecture adaptée. En effet, la stratification dessalariés par leur année de naissance ne recoupeque marginalement les problématiques socio-économiques habituellement posées aux scien-ces humaines (cf. encadré 1), bien que l’onadmette généralement que les cohortes n’ontpas eu le même destin (Chauvel, 1998). De fait,l’existence même d’une spécificité de telle outelle cohorte est difficile à mettre en évidence :cela nécessite des données de panel pour pou-voir suivre des individus sur longue période.Les données en coupe, relatives à une date don-née, sont par nature insuffisantes pour distin-guer les différences tenant à l’âge des individusde celles liées à leur date de naissance. Les étu-des utilisant ce type de données supposentl’équivalence entre les cohortes et assimilent lesdifférences entre les cohortes à des différencesentre groupes d’âges.

Comparer des cohortes entre elles exige d’isolerun effet de cohorte pur. On cherche pour cela àcombler par des procédés statistiques le fosséhistorique qui sépare les différentes annéesd’observation (effet de date) : les caractéristi-ques des salariés qui ont eu 20 ans en 1976 sontdifficilement comparables à celles des salariésqui ont eu 20 ans en 2000. Il faut ensuite tenircompte du fait que les cohortes de salariés nesont pas toutes observées dans la même phasede leur cycle de vie, tout au long duquel lescaractéristiques des salariés qui composent unemême cohorte se modifient (effet d’âge). Ils’agit alors de retrouver la structure permanentedes cohortes derrière les évolutions dues aucycle de vie. Enfin, pour être complète, toutecomparaison des cohortes doit embrasser unepartie assez importante des parcours indivi-duels. Comparer les cohortes nécessite donc dedisposer d’un recul historique suffisant et depouvoir suivre les individus sur une longuepériode. La fusion des données issues desDADS de 1967 à 2000 permet de suivre unéchantillon au 1/25e de salariés du secteur privé.Grâce à ce panel, il est possible de distinguer lesdifférences liées à l’âge de celles liées à lacohorte d’appartenance (cf. encadré 2).

Au-delà des effets de date, qui témoignent del’évolution générale du marché du travail, et unefois contrôlés les effets d’âge, synonymes decycle de vie, il apparaît d’importantes analogiesentre les parcours professionnels des salariésd’une même cohorte. Ceux-ci semblent animésd’un mouvement commun et original qui les

distingue des parcours suivis par les salariés desautres cohortes. La stratification par la cohorted’appartenance apparaît dès lors statistiquementfondée car elle explique une partie significativedes différences entre les salariés. De fait, lescohortes ont connu des parcours différents, dis-parités qui apparaissent particulièrement mar-quées à certains moments du cycle de vie.

Ainsi est-il possible d’isoler certains « effets decohorte » qui ont modifié de manière significativele déroulement de la carrière professionnelle d’unegénération à l’autre : la date d’entrée dans la vieactive, la durée de la période d’insertion, l’accès àdes postes de responsabilité ou la préférence pourcertains secteurs d’activité peuvent avoir changéd’une cohorte à l’autre. Il est également possibled’isoler l’effet de l’âge tel qu’il intervient « enmoyenne » pour l’ensemble des cohortes : l’accèsà des postes de responsabilité, mais également lapréférence pour certains secteurs d’activité oupour une activité à temps partiel, peuvent être spé-cifiques à certains moments du cycle de vie, celaquelle que soit la cohorte.

Effets de date, d’âge et de cohorte

La deuxième partie du XXe siècle a vu les carac-téristiques du marché du travail changer aumoins autant que pendant le siècle précédent(Marchand et Thélot, 1997). Les « trenteglorieuses », avec un taux de croissance et uneascension sociale et professionnelle sans précé-dents, apparaissent encore aujourd’hui commeune période privilégiée. Pour autant, la périodequi suit, si elle a été moins faste, n’en a pasmoins apporté son lot de changements. Pour-suite de la tertiarisation de l’économie, muta-tions de l’emploi industriel, puis entrée en forcedes formes particulières d’emploi, tous ces élé-ments ont remodelé les traits du marché du tra-vail en France en direction d’une société postin-dustrielle dont Bell avait pressenti la venue(Bell, 1973). Entre ces deux périodes, une rup-ture dans le rythme des transformations apparaîtnettement dans la seconde partie des années1970, marquée par une baisse durable du tauxde croissance de l’économie. La période étu-diée, qui va de 1967 à 2000, est donc d’autantplus riche qu’elle chevauche des environne-ments économiques radicalement différents.

On suit le parcours de salariés issus d’un échan-tillon au 1/25e des déclarations annuelles de don-nées sociales (DADS) (cf. encadré 2). Les don-nées utilisées couvrent la période allant de 1967à 2000 (1). Les principales variables observées

L

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Encadré 1

LA COMPARAISON DES COHORTES :DES APPROCHES INDIRECTES À UN HORIZON INTERTEMPOREL

Les concepts économiques n’existant pas en dehorsdes instruments et des données qui servent à les met-tre en évidence, c’est la disponibilité plus importantede données longitudinales sur longue période ainsique l’élaboration de techniques statistiques pour lesexploiter qui a suscité un intérêt croissant pour les thé-matiques axées sur la comparaison des cohortes. Cetype d’étude nécessite en effet des données permet-tant de suivre des générations d’individus sur longuepériode et il est de ce fait longtemps resté cantonné audomaine de la démographie. L’idée confuse que lesindividus d’une même cohorte partagent une commu-nauté de destins se « lit » en effet déjà sur les pyrami-des démographiques. Si elles ne constituent pas àproprement parler une catégorie, les cohortes appa-raissent avec des spécificités qui en font des groupesdistincts. Les analyses historiques mettent, quant àelles, en évidence des effets de génération dansl’accession aux postes de responsabilité à la faveurd’événements historiques importants. Ainsi, enFrance, les anciens membres des réseaux de résis-tants ont pris une part active dans la refonte des insti-tutions puis dans la vie économique et sociale du pays.

La réalité économique que constituent les cohortes ad’abord été abordée de manière indirecte, en relationavec le cycle de vie. Plusieurs théories et des faits sty-lisés expliquent d’ailleurs l’importance de l’âge dans larémunération et le statut d’un salarié. La théorie ducapital humain (Mincer, 1958) met l’accent sur l’arbi-trage qu’effectue le salarié entre emploi, synonyme derevenus immédiats, et investissement en capitalhumain, générateur de revenus futurs. Mincer montreque le salarié a intérêt à concentrer son effort de for-mation vers le début de la carrière, ce qui confère àson profil salarial une forme particulière : le salaire croîtrapidement en début de carrière, pour ralentir pro-gressivement jusqu’en fin de carrière. L’anciennetédans l’entreprise, assimilable à un capital spécifique,est elle-même corrélée à une plus grande productivitédu salarié et la théorie des contrats implicites met,quant à elle, l’accent sur le contrat de longue périodeque l’entreprise noue avec ses salariés, et qui laconduit à aménager une progression institutionnaliséedes salaires, qui atténue la concavité des profils sala-riaux.

Pour Welch (1979), les travailleurs d’âge différentssont imparfaitement substituables, certaines fonctionsd’encadrement étant réservées aux salariés les plusâgés. Les salariés appartenant à des cohortes diffé-rentes ne se disputent pas en réalité les mêmes pos-tes. Cela détermine une segmentation par l’apparte-nance à la cohorte qui s’ajoute aux segmentationshorizontales, notamment sectorielles, que les écono-mistes utilisent d’ordinaire (Doeringer et Piore, 1971).Berger (1989) constate quant à lui, sur données améri-caines, un effet de la taille des cohortes sur la qualifi-cation, particulièrement sensible chez les salariés desgénérations du baby-boom. Dans les cohortes les plusnombreuses, la baisse du rendement apparent dudiplôme, qui résulte d’une plus grande offre de travail

qualifié, conduirait les cohortes plus nombreuses àfaire moins d’investissements en formation. Elles ont dece fait des profils de carrière plus plats. L’interactionentre les salariés appartenant à une cohorte nombreuseserait dans ce contexte de nature plus concurrentielleque dans les cohortes creuses où une logique de coo-pération pourrait prévaloir. Dans les cohortes nombreu-ses, il existerait une plus grande dispersion des par-cours individuels. En France, où le phénomène dubaby-boom est de moindre ampleur qu’aux États-Unis,les différences de niveau de qualification entre lescohortes ont plutôt, comme le note Chauvel (1998), desorigines historiques, deux grandes vagues ayant mar-qué l’accès des générations des « trente glorieuses » àl’enseignement secondaire, puis à l’enseignementsupérieur. La conjoncture a, quant à elle, joué un rôleimportant pour les cohortes entrantes à travers le ren-dement du diplôme (Baudelot et Glaude, 1989) et lephénomène de déclassement (Forgeot et Gautié, 1997 ;Tomasini et Nauze-Fichet, 2002).

Les études les plus récentes mettent l’accent sur l’unitéque constitue la carrière d’un individu, qu’elles appro-chent dans un cadre intertemporel. Le salaire d’un indi-vidu une période donnée est en effet fortement corréléà celui des périodes précédentes et aux caractéristi-ques passées de la carrière, si bien que l’horizon perti-nent ne se limite pas à la période courante, mais doit secomprendre en référence à une partie du cycle de vie.Il en va d’ailleurs ainsi de nombreux comportementséconomiques. En environnement incertain, le lien entrerevenu courant, revenu permanent et consommationdépend d’une manière déterminante du degré d’incer-titude sur les revenus, et donc indirectement de ladynamique du salaire et de son instabilité. La théorie durevenu permanent de M. Friedman souligne que leschoix des salariés en matière de consommation etd’épargne prennent en compte leurs revenus de plu-sieurs périodes, mais la variabilité du salaire peutdécourager à court terme les investissements et con-duire à la constitution d’une épargne de précaution.L’épargne des ménages dépend de leur âge selon unestratégie qui s’étale sur le cycle de vie, les ménagestendant à lisser leur consommation tout au long ducycle de vie. Ils s’endettent quand ils sont jeunes, leursrevenus étant alors faibles et leur besoin d’investisse-ment important. Ils dégagent en deuxième partie decarrière une capacité de financement quand ils ontremboursé leurs emprunts et que certaines dépensescomme celles d’éducation ont disparu. En fin de vie, ilsont, en moyenne, tendance à désépargner, bien qu’onnote une importante hétérogénéité de comportementvraisemblablement liée aux objectifs d’accumulationqu’ils se fixent (Laferrère et Verger, 1993).

La dynamique du salaire et son instabilité jouent unrôle fondamental sur le comportement des agents, eninfluençant leurs anticipations. Les décisions de parti-cipation ou de retrait du marché du travail, et plusgénéralement de mobilité, dépendent par exemple desperspectives de revenus escomptés. En France,Chauvel (1998) insiste ainsi pour ce qui est des cohor-

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chaque année sont le salaire net imposable, ladurée travaillée dans l’année exprimée en nom-bre de jours (2), la catégorie sociale, la conditiond’emploi et des indications géographiques etsectorielles. L’effectif comprend au total1 780 000 salariés, dont 750 000 femmes et1 030 000 hommes, et 31 points annuels. Cettesource statistique couvre la plus grande partie del’emploi salarié, à l’exception toutefois des sala-

riés de la fonction publique. Elle ne comportepas non plus les travailleurs indépendants et lesdemandeurs d’emploi. (1) (2)

1. Les années 1981, 1983 et 1990 manquent dans les fichiersdes DADS, en raison de la coïncidence de ces années avec letraitement des recensements de la population.2. Le nombre d’heures travaillées dans l’année n’est disponibleque depuis 1993.

tes nées après 1950 sur les conséquences irréversi-bles que peuvent avoir les difficultés d’insertion quecertains jeunes ont connues, et dont les effets sontdéjà visibles quelques années plus tard. Quant à Rouxet Le Minez (2001), ils montrent que les caractéristi-ques du premier emploi perdurent au cours de la car-rière et influencent la suite des salaires futurs. La con-joncture du marché du travail au début de la carrièremarque ainsi durablement le devenir des cohortes etleur structure. Les données de panel contribuent àenrichir cette approche intertemporelle des carrières.

Les travaux cherchant à évaluer l’impact du diplômeou de l’expérience font ainsi une large part à la néces-sité de contrôler les effets d’âge et de date, et fontpour cela largement appel aux données individuelleslongitudinales (Guillotin et Sevestre, 1994). Ce type dedonnées est particulièrement adapté pour évaluer lesdifférences de carrière salariale entre les cohortes.Ainsi, Lollivier et Payen (1990) estiment des profils indi-viduels de carrière, nets des effets de date et d’âge,sur un panel de salariés masculins du secteur privé surune période allant de 1967 à 1982.

Encadré 1 (suite)

Encadré 2

LA DÉCLARATION ANNUELLE DES DONNÉES SOCIALES (DADS)

La déclaration annuelle des données sociales (DADS)est une formalité déclarative que doit accomplir touteentreprise employant des salariés, en application del’article R243-14 du code de la Sécurité sociale(décret du 24 mars 1972) et des articles 87.240 et 241de la loi 51-711 du 7 juin 1951 du code général desimpôts. Dans ce document commun aux administra-tions sociales et fiscales, les employeurs, y comprisles entreprises nationales, les administrations publi-ques et les collectivités locales, sont tenus de commu-niquer annuellement, pour chaque établissement, auxorganismes de sécurité sociale et à l’administrationfiscale la masse des traitements qu’ils ont versés (ycompris primes d’ancienneté, heures supplémentai-res, majorations de travail de nuit, avantages ennature, etc.), les effectifs employés et une liste nomi-native de leurs salariés indiquant pour chacun le mon-tant des rémunérations salariales perçu. Chaqueannée, 30 millions de déclarations de salariés corres-pondant à 1,8 million d’établissements employeurssont ainsi enregistrées.

En 2000, le champ des DADS recouvre l’essentiel dessecteurs privé et semi-public. Il représente plus de75 % des emplois salariés. Seuls les agents des orga-nismes de l’État (titulaires ou non), les salariés del’agriculture et de la sylviculture et les salariés du sec-teur des services domestiques ne sont pas couverts.Enfin, les collectivités territoriales ne sont couvertesentièrement par les DADS que depuis 1987. L’échan-tillon au 1/25e des DADS dont on dispose couvre lesannées 1967 à 2000. On n’a en outre retenu chaqueannée que les salariés âgés de 15 à 65 ans ayant tra-

vaillé plus de 30 jours dans l’année. Au total, l’échan-tillon comporte plus de 15 millions d’observations,représentant plus de 2 millions de salariés suivis surune partie plus ou moins longue de leur carrière. On aéliminé systématiquement certains secteursd’activité : secteur des activités extraterritoriales, de lapêche (seul secteur agricole pouvant être présent dansles DADS).

On s’est en outre limité aux salariés ayant effectuél’essentiel de leur carrière dans le secteur privé, enretenant cependant pour ceux-ci les années éventuel-lement effectuées dans le secteur semi-public. Lechamp du secteur privé est reconstitué en le distin-guant du secteur semi-public. En particulier ont été éli-minés du champ privé les salariés des collectivitésterritoriales (titulaires ou non), ceux des grandes entre-prises nationales (sauf ceux de la Poste et de FranceTélécom), et ceux des entreprises ayant fonctiond’exploitant public, des établissements hospitaliers,des établissements publics locaux sociaux et médico-sociaux, des établissements publics nationaux à com-pétence territoriale limitée et des établissements àcaractère administratif.

Ce champ, enfin, a été rendu homogène dans le tempsen considérant qu’un établissement restait dans lemême secteur institutionnel sur l’ensemble de lapériode. Chaque établissement s’est ainsi vu attribuerson secteur d’appartenance à la date la plus récente,ce qui permet d’éviter les flux d’emploi trop importantsconsécutifs au changement de statut de certainesgrandes entreprises nationales.

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Toutes les cohortes de salariés ne sont pasobservées sur la même partie de carrière. Lessalariés nés en 1920 sont observés à partir del’âge de 47 ans tandis que ceux qui sont nés en1970 sont observés jusqu’à l’âge de trente ans.Le graphique I récapitule pour certaines cohor-tes l’effectif des salariés de l’échantillon pré-sents à chaque âge. Il montre qu’à l’intérieurmême des cohortes, des mouvements d’entrée etde sortie existent tout au long du cycle de vie,bien qu’ils soient plus marqués en début et enfin de carrière. La probabilité de présence dessalariés est au plus haut vers l’âge de trente ansavec des disparités selon l’année de naissance(les salariés des cohortes récentes entrent plustard sur le marché du travail) et le sexe. La tailledes cohortes augmente par ailleurs nettemententre la cohorte née en 1944 et celle née en 1952et la part des femmes augmente continûment aufil des cohortes, mais de manière plus marquéepour certaines d’entre elles.

Comparer des cohortes de salariés toutes choseségales par ailleurs nécessite par conséquentd’identifier et de contrôler, en plus des caracté-ristiques habituelles des individus, les effets dedate et d’âge. Les effets de date modélisentl’évolution annuelle des principales variablescaractérisant l’emploi des salariés : structure parcatégorie socioprofessionnelle, conditiond’emploi, secteur d’activité, etc. Tenir comptede cette évolution est nécessaire en dehors dessituations de croissance équilibrée. Cela permetde séparer, dans l’évolution de la structure descohortes, la composante commune à l’ensemble

des salariés de celle qui est spécifique à telle outelle cohorte. Une telle démarche est d’autantplus importante que le contexte économique asubi d’importantes modifications sur la période,et que les concepts qui décrivent la réalité socio-économique ont également évolué. Le parcoursde chaque cohorte sera ainsi évalué en écart au« tapis roulant » qui entraîne l’ensemble dessalariés. L’effet d’âge se comprend, quant à lui,comme le profil de carrière moyen des salariés :compte tenu de son expérience, un salarié a plusde chances d’occuper un poste d’encadrement,ou de se trouver dans tel ou tel secteur. L’effetd’âge modélise les transformations qui se pro-duisent tout au long du cycle de vie profession-nel au sein même des cohortes.

Les données en coupe n’offrent pas la perspec-tive historique nécessaire pour capter l’ensem-ble des effets dont résulte l’évolution de lastructure d’une cohorte donnée. Faute de pou-voir suivre les individus dans le temps, les étu-des ayant recours à ce type de données estimentpar exemple les effets de l’âge en mesurant lesécarts de salaire entre individus d’âges diffé-rents. Ce faisant, elles assimilent les individusprésents l’année de l’étude à autant de clichésd’une même cohorte pris à des dates différentes,ce qui engendre un biais dans l’estimation durendement de l’âge (cf. encadré 3 et schéma).Le contrôle des effets de date et d’âge nécessiteen effet plusieurs années d’observation. Pourcomparer les cohortes, Baudelot et Gollac(1995) utilisent le salaire réel comme mesure dupouvoir d’achat. Cette notion est comparable

Graphique IEffectifs de quelques cohortes

Lecture : au sein de la cohorte de salariés de l’échantillon née en 1960, un peu moins de 20 000 hommes sont présents à l’âge de 34 ans(soit en 1984).Champ : salariés ayant effectué l’essentiel de leur carrière dans le secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

08121620242832364044485256606468727680

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

ÂgeFemmes Hommes

Effectifs (en milliers)30

25

20

15

10

5

0

Cohorte

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Encadré 3

EFFETS DE DATE, D’ÂGE ET DE COHORTE

Lorsqu’on compare les caractéristiques de deuxcohortes observées à des moments différents, on doitprendre en compte le fait qu’on ne les observe pas à lamême date ni dans la même phase de leur cycle de vie.Ces deux effets ont en effet une incidence importantesur les caractéristiques des salariés d’une cohortedonnée, caractéristiques dont l’évolution suit à la foisle trend de l’économie (la part des cadres augmente)et celui du cycle de vie (une cohorte comporte plus decadres en fin de cycle qu’en début). Ce n’est qu’à con-dition de contrôler ces deux facteurs que l’on peutmesurer des différences essentielles entre les cohor-tes (l’effet cohorte pur, qui indique que telle cohorte acomporté toutes choses égales par ailleurs plus decadres que telle autre cohorte).

Cette décomposition entre effets de date, d’âge et decohorte n’est possible qu’à condition de disposer dedonnées de panel, grâce auxquelles on suit les mêmesindividus sur plusieurs années. Les modèles utilisant uni-quement des données en coupe (qui mobilisent desdonnées relatives à une seule année) ont implicitementrecours à des hypothèses de stationnarité fortes pouréliminer l’effet de date. Elles postulent en outre l’équiva-lence des cohortes, puisque les données relatives auxindividus des différentes cohortes présents à la date del’étude sont traitées comme s’il s’agissait des mêmesindividus observés à différents moments de leur carrière.Ces hypothèses conduisent parfois à des paradoxes. Encoupe par exemple, sans qu’aucune des cohortes pré-sentes n’ait jamais vu décroître son salaire, et pour peuque les jeunes cohortes aient eu des carrières plus favo-rables que leurs aînées, on peut avoir l’illusion que lesalaire nominal décroît avec l’âge (cf. schéma). L’effetque l’on attribue à l’âge lorsqu’on fait une étude encoupe est la résultante d’un effet d’âge pur positif et d’uneffet de cohorte très négatif. Par nature, les données encoupe ne sont pas assez riches pour opérer une distinc-tion entre les deux effets. La seule manière de calculerun véritable effet de l’âge est de comparer le salaired’une même cohorte à des âges différents. Il est néces-saire pour cela de disposer de données de panel qui per-mettent de suivre les individus sur une longue période,ou tout au moins de pseudo-panel permettant de suivredes individus aux caractéristiques proches, possibilitédont l’Enquête Emploi de l’Insee offre l’exemple.

L’intérêt de ce type de données pour analyser les pro-fils de gains au cours du cycle de vie a été maintes foissouligné (Sevestre et Guillotin, 1994). Les données depanel permettent d’isoler les effets d’âge, de date etde cohorte, les modifications de l’environnement quiaffectent de la même manière les différentes cohorteset de mettre en évidence de réelles différences entrecelles-ci. Grâce aux données longitudinales, on peutaussi multiplier les éléments de comparaison entre les

cohortes, en incluant parmi ces critères non seulementle niveau des carrières salariales, mais aussi leur formeet l’instabilité du revenu. La reconstitution de carrièresindividuelles permet aussi de mesurer l’importance dela mobilité, notamment professionnelle, au sein dechaque cohorte.

La structure permanente des cohortes

La décomposition de l’évolution des cohortes selonces trois effets permet de définir la structure perma-nente de chaque cohorte, qui caractérise cette cohorteindépendamment du moment où on l’observe.

Soit un aspect particulier de la structure des cohortes :la proportion de salariés n’exerçant pas leur activité àtemps plein. On note p(c,a,t) la proportion de salariésde la cohorte c n’exerçant pas leur activité à tempsplein parmi les salariés de la cohorte c observés àl’âge a. La prise en compte de l’effet de date consisteà corriger cette structure par la structure globale del’économie. Si on note p(.,.,t) la proportion de salariésde la cohorte c n’exerçant pas leur activité à tempsplein dans l’ensemble de l’économie, la correctionconsiste à considérer plutôt la quantité

(c,a,a + c) = p(c,a,a + c) – p(.,.,t)

La proportion (c,a,a + c) évolue d’autre part avecl’âge sous l’effet de la mobilité des salariés qui chan-gent de statut. Pour une cohorte donnée, elle est plusélevée en début et en fin de carrière qu’en milieu decarrière : le profil par âge c(a) = (c,a,a + c) a gros-sièrement la forme d’un U pour la plupart des cohor-tes, ce qui signifie qu’une partie importante des sala-riés passe d’une activité non à temps plein à uneactivité à temps plein en début de carrière et qu’uneautre partie fait le chemin inverse en fin de carrière.Pour traiter l’effet d’âge, on postule donc ensuite quela quantité c(a) se décompose en une évolution parâge commune à toutes les cohortes d’une part et unecomposante permanente propre à la cohorte c : sastructure « permanente » sp(c) :

(c,a,a + c) = sp(c) + pa(a)

Cette hypothèse permet d’abord d’évaluer l’effetd’âge moyen pa(a), qui donne un modèle général de lafaçon dont évolue la structure de chaque cohorte.Celui-ci, évalué dans le cas de la part des salariés nonà temps plein, est représenté par le graphique VIII-A.D’autre part, la modélisation ainsi spécifiée permet decalculer la structure permanente de chaque cohorte,notée sp(c). Celle-ci, définie comme la structure de lacohorte, corrigée des effets de date et d’âge, indiquece que la cohorte c a de structurellement spécifique(cf. graphique VIII-B).

p̂ p̂

entre deux dates différentes. Afin d’éliminerl’effet de l’âge, ils comparent les cohortes aumême âge (30 ans). Les données de panel utili-sées ici offrent de ce point de vue des possibili-

tés bien supérieures car elles permettent d’esti-mer de manière très précise les effets de date,d’âge et de cohorte, afin d’en déduire des diffé-rences significatives entre les cohortes.

Page 7: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 125

SchémaEffets de date, d’âge et de cohorte

A - Les trois effets

B - Effet de cohorte pur

Lecture : les courbes concaves du schéma A représentent pour trois générations de salariés (ceux nés en 1930, 1940 et 1950) l’évolutionavec l’âge d’une variable, le salaire par exemple (ce pourrait être toute autre variable décrivant la structure de la cohorte à un âge fixé, commela part des cadres). Pour une cohorte donnée, cette évolution résulte de la composition de deux effets. L’effet de date reflète la croissancedu salaire moyen de l’économie. C’est le « tapis roulant » qui entraîne l’ensemble des salaires. Pour la clarté de l’exposé, le salaire moyenest supposé croître à un rythme constant représenté par les lignes discontinues parallèles. L’effet de l’âge, qui s’ajoute au premier,modélise les variations du salaire propres au cycle de vie de la cohorte. Ce profil par âge est supposé le même pour toutes les cohortes.D’une cohorte à l’autre s’ajoute un troisième effet qui mesure la spécificité de chaque cohorte, un effet cohorte pur indépendant de l’âgeet de la date auxquels la cohorte est observée. C’est ce qui peut être appelé le salaire « permanent » d’une cohorte. Ainsi, la différenceentre les salaires moyens des cohortes 1930 et 1940, évaluée à un âge fixé (20 ans par exemple) est par définition nette des effets del’âge. Elle comprend un effet de date égal à la progression du salaire moyen durant les 10 années qui séparent les deux dates d’obser-vation (petite flèche). Le restant de la différence est un effet de cohorte pur (grande flèche). Il témoigne de caractéristiques propres àchaque cohorte, comme l’évolution des qualifications. Pour estimer cet effet de cohorte pur, il suffit d’annuler l’effet de date en corrigeantle salaire de sa valeur annuelle moyenne. C’est ce qui est fait dans le schéma B, dans lequel les lignes discontinues sont devenues hori-zontales. L’effet de la cohorte, largement positif entre la cohorte 1930 et 1940, devient négatif entre la cohorte 1940 et 1950. Il y a unebaisse du salaire permanent entre ces deux dernières cohortes.Cette décomposition en effets de date, d’âge et de cohorte n’est possible qu’à l’aide de données de panel. Il existerait par exemple unbiais à estimer l’effet d’âge sur données en coupe. Ainsi, si on dispose seulement d’observations relatives à l’année 1970, la cohorte 1930est observée à l’âge de 40 ans et la cohorte 1940 à l’âge de 30 ans (double flèche du schéma A). Dans cette vue partielle, le salaire sembleparadoxalement décroître entre 30 et 40 ans, sans qu’aucune de ces cohortes n’ait pourtant jamais vu son salaire décroître !

Variable considérée (par exemple le salaire)

Effet de cohorte pur

Effet de date

Coupe : année 1970

30 ans 40 ans Âge

Salariés nés en 1930

Salariés nés en 1940

Salariés nés en 1950

Variable considérée corrigée de sa valeur annuelle moyenne

Effet de cohorte pur

30 ans 40 ans Âge

Salariés nés en 1930

Salariés nés en 1940

Salariés nés en 1950

Page 8: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

126 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

L’âge du premier emploi s’accroît entre les générations 1954 et 1964

Étape importante de la carrière professionnelle,la phase d’insertion a des répercussions dura-bles sur la suite de la vie professionnelle. Lesconditions d’entrée dans celle-ci et les difficul-tés éventuelles qu’a connues le salarié, si ellespeuvent s’atténuer avec le temps, ne disparais-sent le plus souvent pas totalement et elles mar-quent durablement le devenir professionnel. Enoutre, les caractéristiques individuelles inobser-vées au premier salaire agissent sur la probabi-lité ultérieure d’être en emploi ainsi que sur lessalaires futurs des jeunes entrants (Le Minez etRoux, 2001). La période d’insertion est définie,dans ce qui suit, comme celle qui s’écoule entrele premier emploi et le premier emploi de plusde six mois. Ce seuil est généralement jugé un

indice suffisant de la stabilité de l’emploi etd’une insertion réussie sur le marché del’emploi. Une fois passée cette période critique,l’insertion sur le marché de l’emploi a de forteschances d’être durable (Topel et Ward, 1992).

L’âge moyen au premier emploi, pour être com-parable d’une cohorte à l’autre, doit être calculésur des champs eux-mêmes comparables. C’estpourquoi on ne retient dans chaque cohorte queles salariés observés pour la première fois avantl’âge de 30 ans. Sans ce filtrage, l’âge moyend’entrée serait biaisé dans la mesure où les cohor-tes observées après l’âge de 30 ans auraient méca-niquement plus de chances que les autresd’admettre en leur sein des salariés entrés tardive-ment sur le marché du travail. La moyenne n’estdonc calculée que sur le champ des salariés appa-rus dans les DADS avant l’âge de 30 ans. Cette

Graphique IIÂge moyen au premier emploi

A - Par cohorte et par sexe

B - Par cohorte et par catégorie socioprofessionnelle

Lecture (graphique A) : les salariés de la cohorte née en 1954 et ayant eu un emploi dans le secteur privé avant l’âge de 30 ans ont débutéleur carrière en moyenne à l’âge de 20 ans. Cet âge moyen dépend de la catégorie socioprofessionnelle (graphique B) : les cadres débu-tent par exemple en moyenne à un peu moins de 23 ans.Champ : salariés du secteur privé ayant eu un premier emploi avant 30 ans .Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge du premier emploi22

21,5

21

20,5

20

19,5

19

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Femmes

Hommes

Âge du premier emploi24

23,5

23

22,5

22

21,5

21

20,5

20

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

CadresEmployésOuvriersProfessions intermédiaires

Page 9: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 127

Graphique IIIÂge moyen au premier emploi et au premier emploi stable, par cohorte et par sexe

Lecture : les salariés de la cohorte née en 1954 et ayant eu unemploi stable (de plus de 6 mois) dans le secteur privé avant l’âgede 30 ans ont débuté leur carrière en moyenne à l’âge de 19 anset demi. Ils ont eu leur premier emploi stable en moyenne à l’âgede 20 ans et demi.Champ : salariés du secteur privé ayant eu un premier emploi sta-ble avant 30 ans.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Graphique IVÂge moyen au premier emploi stable par cohorte et catégorie socioprofessionnelle

Lecture : les salariés cadres de la cohorte née en 1954 et ayanteu un emploi stable (de plus de 6 mois) dans le secteur privéavant l’âge de 30 ans ont eu ce premier emploi stable enmoyenne un peu avant l’âge de 26 ans.Champ : salariés du secteur privé ayant un premier emploi stableavant 30 ans.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge23

22,5

22

21,5

21

20,5

20

19,5

19

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Premier emploi - Femmes

Premier emploi - Hommes

Premier emploi stable - Femmes

Premier emploi stable - Hommes

Âge au premier emploi stable27

26

25

24

23

22

21

20

19

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Cadres

Employés

Ouvriers

Professions intermédiaires

moyenne de l’âge d’entrée, sachant que le salariéest entré sur le marché de l’emploi avant 30 ans,a l’avantage d’être comparable d’une cohorte àl’autre. L’âge d’entrée sur le marché de l’emploia sensiblement augmenté de la cohorte née en1954 à celle née en 1970 (cf. graphiques II-A etII-B). La cohorte née en 1954 a débuté enmoyenne à 20 ans, alors que la cohorte 1970 a euson premier emploi après en moyenne 21 ans.

Parmi les salariés observés pour la première foisavant 30 ans, la sous-population des salariésayant obtenu un emploi stable (d’une durée deplus de six mois) avant l’âge de 30 ans est utiliséepour estimer plusieurs indicateurs caractérisantles conditions d’insertion. Ces salariés ont eu leurpremier emploi en moyenne six mois plus tôt quel’ensemble des salariés apparus dans le champavant l’âge de 30 ans (cf. graphique III) , avecdes disparités selon la catégorie socioprofes-sionnelle (cf. graphique IV). L’âge d’accèsmoyen à un emploi stable est quant à lui passé de20 ans et six mois pour la cohorte née en 1954, à22 ans et six mois pour celle née en 1970. Iloscille, pour ce qui concerne les salariés nés en1964, entre 22 ans pour les ouvriers jusqu’à25 ans et neuf mois pour les cadres. Ces différen-

ces s’expliquent en grande partie par la longueurde la période d’insertion.

Une durée d’insertion plus longue

Comme l’âge d’entrée dans la vie active, la duréeséparant le premier emploi du premier emploi deplus de six mois s’est elle aussi allongée, passantde 13 mois pour les salariés nés en 1954 à plus de19 mois pour les salariés nés en 1962(cf. graphique V-A). Elle s’est stabilisée pour lescohortes suivantes. À partir de la cohorte née en1960, les femmes entrent, en moyenne, plus tardque les hommes sur le marché de l’emploi, alorsque c’était l’inverse auparavant. Les cadres met-tent près de trois ans avant d’obtenir leur premieremploi de plus de six mois, alors que la périoded’insertion est de moins d’un an et demi pour lesouvriers (cf. graphique V-B). Les caractéristiquesindividuelles inobservables des salariés ont, ellesaussi, un impact sur la durée d’insertion : l’écart-type de cette durée se situe en effet entre deux ettrois ans pour toutes les catégories de salariés.

Plusieurs hypothèses peuvent être avancéespour expliquer l’allongement de la durée

Page 10: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

128 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

d’insertion. Certaines explications privilégientle comportement du salarié. La théorie du capi-tal humain (Mincer, 1958) met l’accent surl’importance croissante du temps consacré à laformation. L’allongement de la période d’inser-tion serait dû à la coexistence de plus en plusfréquente en début de carrière entre activité pro-fessionnelle et formation (Valdelièvre, 2001).

L’augmentation des qualifications s’accompa-gne d’ailleurs d’une plus grande mobilité endébut de carrière car les salariés, disposant d’unmeilleur bagage général au fil des cohortes, onttout intérêt à expérimenter plus de postes afin detrouver celui qui met le mieux en valeur leurcapital humain (3). La période d’insertion descadres, catégorie bénéficiant d’un capitalhumain important, est d’environ trois ans, alorsqu’elle est de moins de 18 mois pour lesouvriers. Une autre explication fait intervenir lecomportement des entreprises. Une moindredemande de travail, due par exemple à d’impor-tants gains de productivité ou à un biais enfaveur du travail qualifié, aurait conduit à laconstitution d’une « file d’attente pourl’emploi », les jeunes candidats attendant leurtour pour entrer sur le marché de l’emploi. Parailleurs, les entreprises sélectionneraient plusque par le passé leurs salariés, en allongeant lapériode d’essai qui agirait alors à la manièred’un filtre. Enfin, la spécialisation de plus enplus poussée des postes de travail amène desdifficultés accrues pour mettre en relation lespostes vacants des entreprises et les salariésrecherchant un emploi, comme l’atteste lacoexistence plus fréquente depuis une vingtained’années dans les économies développées, depostes non pourvus et de demandes d’emploinon satisfaites (Blanchard et Diamond, 1989).

Cette complexification du marché de l’emploi estparticulièrement sensible pour les jeunes salariés,qui, plus mobiles que les autres, subissent demanière plus importante l’évolution des méca-nismes microéconomiques qui conduisent à asso-cier demandeurs d’emploi et postes à pourvoir,mécanismes qui résultent eux-mêmes de multi-ples facteurs, certains d’ordre purement écono-mique et d’autres d’ordre plus institutionnel.

La probabilité de s’insérer avant la trentaine ne diminue pas au fil des cohortes

La probabilité d’insertion peut être définiecomme la proportion, parmi ceux qui ontoccupé un emploi avant l’âge de 30 ans, de ceuxqui ont bénéficié d’un emploi stable avant cetâge. Même s’ils mettent plus longtemps à

3. Jovanovic (1979) montre que la mobilité, par le nombre élevéde combinaisons entre salariés et postes à pourvoir (combinai-sons qualifiées d’appariements) qu’elle permet d’expérimenter,dégage un surplus d’information au niveau macroéconomique(même si elle est par ailleurs génératrice de coûts dus au chan-gement et à la recherche d’emploi). Elle est donc d’autant plusrentable que le potentiel productif du salarié est élevé, car celui-ci a d’autant plus intérêt à exprimer ce potentiel en trouvantl’emploi qui lui convient le mieux.

Graphique VDurée d’insertion

A - Par cohorte et par sexe

B - Par catégorie socioprofessionnelle et par sexe

Lecture : la durée d’insertion est la durée moyenne entre le pre-mier emploi et le premier emploi stable (de plus de 6 mois). Gra-phique A : la durée d’insertion des salariés de la cohorte née en1958 et ayant eu un emploi stable avant l’âge de 30 ans a enmoyenne été de1,4 année pour les hommes et 1,45 année pourles femmes. La longueur de cette durée d’insertion dépend de lacatégorie-socioprofessionnelle (graphique B) : elle est par exem-ple de 3 ans et demi pour les cadres de cette cohorte.Champ : salariés du secteur privé ayant leur premier emploi sta-ble avant l’âge de 30 ans.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Durée d'insertion (en années)1,8

1,7

1,6

1,5

1,4

1,3

1,2

1,1

1

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Femmes Hommes

Durée d'insertion (en années)4

3,5

3

2,5

2

1,5

1

0,5

0

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Cadres

Employés

Ouvriers

Professions intermédiaires

Page 11: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 129

s’insérer, les salariés des cohortes récentesfinissent plus souvent par trouver un emploi sta-ble que par le passé. Mis à part pour les ouvriers,pour lesquels elle décroît légèrement, la proba-bilité d’insertion croît régulièrement, pour tou-tes les autres catégories socioprofessionnelles,de la cohorte 1954 à la cohorte 1970(cf. graphiques VI-A et VI-B). In fine, si les jeu-nes salariés mettent plus longtemps que naguère

à trouver un emploi correspondant à leurs sou-haits, une plus grande qualification leur donneles mêmes chances d’y parvenir. Cela n’exclutd’ailleurs pas que durant cette période, certainsd’entre eux puissent être amenés à revoir à labaisse leurs prétentions professionnelles et sala-riales, comme semblent l’attester les travaux surle déclassement (4).

La durée de travail en début de carrièrea diminué et est plus dispersée

Plus progressive, l’entrée dans la vie activecommence par des périodes de travail plus cour-tes. Les durées de paie moyennes par âge et parcohorte ont de fait considérablement diminué endébut de carrière à partir de la cohorte néeen 1956 (cf. graphique VII-A). Ainsi, à 20 ans,les salariés nés en 1954 travaillaient plus de300 jours dans l’année en moyenne, quand ceuxnés en 1980 travaillent moins de 150 jours aumême âge. La diminution du nombre de jourstravaillés est encore plus marquée pour les fem-mes.

Cette diminution en moyenne de la durée de tra-vail en début de carrière reflète des situations deplus en plus contrastées entre les individus, ycompris au sein d’une même cohorte. Mesuréepar le coefficient de variation de la durée de paieannuelle (cf. graphique VII-B), cette dispersiondu nombre de jours travaillés dans l’annéetémoigne de la diversité des situations d’emploiau sein des cohortes nées après le milieu desannées 1950, depuis la carrière pleine jusqu’à lasuccession de courtes périodes d’emploi.

Les femmes cumulent plus d’années d’activité en milieu de carrière

La durée d’emploi entre 20 et 30 ans diminuerégulièrement d’une cohorte à l’autre, passantde huit ans et six mois à sept ans et trois mois dela cohorte 1948 à la cohorte 1970. Cela s’expli-que à la fois par une entrée plus tardive sur lemarché du travail, et par un nombre plus impor-tant de trous de carrière. Entre 30 et 50 ans, lesfemmes ont eu des carrières de plus en pluscomplètes au fil des générations. Les femmesnées en 1938 ont ainsi travaillé un peu plus de16 ans et demi sur cette partie de carrière, tandisque celles nées en 1950 ont travaillé un peu plusde 18 ans. L’augmentation de la durée de pré-

4. Voir également Malik Koubi, « Les carrières salariales parcohorte », dans ce numéro.

Graphique VIProbabilité d’insertion par cohorte

A - Par cohorte et par sexe

B - Par cohorte et par catégorie socioprofessionnelle

Lecture (graphique du haut): la probabilité d’insertion est la pro-portion, parmi les salariés qui ont occupé un emploi avant l’âgede 30 ans, de ceux qui ont bénéficié d’un emploi stable avant cetâge. Un salarié du secteur privé de la cohorte née en 1954 ayanteu un emploi avant 30 ans avait une probabilité de 77 % d’occu-per un emploi stable avant 30 ans.Champ : salariés du secteur privé ayant occupé un emploi avant30 ans.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Probabilité d'insertion (en %)79

78

77

76

75

74

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Femmes

Hommes

Ensemble

Probabilité d'insertion (en %)85

80

75

70

65

60

Cohorte

54 56 58 60 62 64 66 68 70

Cadre

Employé

Ouvrier

Profession intermédiaire

Page 12: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

130 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

sence est moins nette pour les hommes. Ellepasse de moins de 18 années pour la cohorte néeen 1938 à un peu plus de 18 années et demi pourcelle née en 1950. Entre 50 et 60 ans, la durée de

présence diminue globalement d’une cohorte àl’autre. Les salariés nés en 1918 ont travaillé8 ans et 5 mois sur cette partie de carrière, ceuxnés en 1940 ont travaillé quant à eux 7 ans et

Graphique VIIDurée de travail annuelle par âge et par génération

A - Durée

B - Coefficient de variation de la durée

Champ : salariés du secteur privé à temps plein.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

081216202428323640444852566064687276

20 24 28 32 36 40 44 48 52 56 60

Âge

Durée de travail (en jours)350340330320310300290280270260250240230220210200190180170160150140130120

Cohorte

Âge

Coefficient de variation (en %)90

80

70

60

50

40

30

20

10

0

0816202832364044485256606468707274767880

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 6021 23 25 27 29 31 33 35 37 39 41 43 45 47 49 51 53 55 57 59

Page 13: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 131

7 mois. La baisse est particulièrement marquéepour les cohortes nées entre 1938 et 1940 d’unepart, et celles nées entre 1924 et 1930 d’autrepart. Les départs anticipés à la retraite de certai-nes cohortes expliquent ces fluctuations.L’explication tient sans doute en partie à lastructure sectorielle des cohortes, les départs enretraite étant traditionnellement plus précocesdans certains secteurs comme celui de la cons-truction automobile. Elle tient également auxpolitiques publiques de préretraite pour lescohortes nées entre 1924 et 1930, qui ont étémises en place à partir de 1983, et aux disposi-tifs conventionnels tels que l’allocation de rem-placement pour l’emploi (ARPE), mis en placeprogressivement dans les années 1990 et dont7 % des salariés nés entre 1937 et 1941 ontbénéficié, selon les chiffres du Conseil d’Orien-tation des Retraites (COR, 2001).

La structure des cohortes évolue avec l’âge et avec la date

La structure d’une cohorte peut être définiecomme la façon dont se répartissent les salariésqui la composent selon leurs caractéristiquesindividuelles : sexe, condition d’emploi, catégo-rie socioprofessionnelle, etc. Elle est mesuréepar la part que représente telle ou telle catégoriede salariés en son sein. La structure d’unecohorte de salariés n’est pas constante et sonévolution au cours du temps peut être décompo-sée en deux : d’une part un trend commun àl’économie dans son ensemble (effet de date),

d’autre part un profil par âge correspondant aucycle de vie au sein de la cohorte (effet d’âge)(cf. encadré 3). On a pris comme exemple, pourillustrer la structure d’une cohorte, la proportionde personnes ressortissant à cette cohorte quin’exercent pas leur emploi à plein temps. Cechoix se justifie par un profil par âge particuliè-rement marqué. De plus, ce sujet marque laconscience collective présente d’une empreinteprofonde : la modélisation permet de confirmerou d’infirmer les jugements du sens commun aumoyen de preuves empiriques quantitatives. Onentend ici par personnes n’exerçant pas leuremploi à temps plein, non seulement les emploisà temps partiel, mais encore les autres conditionsparticulières d’emploi (emplois intermittents,travailleurs à domicile) (cf. graphique VIII).

Au total, en considérant l’ensemble des cohor-tes de salariés et en ajoutant à ces deux effetscelui propre à la cohorte, trois effets peuventainsi contribuer à décomposer l’évolution de laproportion des salariés qui ne sont pas à tempsplein dans l’économie (cf. schéma). L’effet dedate rassemble les évolutions générales del’économie. Les principaux traits de cette trans-formation sont connus, comme l’augmentationde la proportion de cadres et de femmes, celledes salariés n’exerçant pas leur activité à tempsplein, la baisse de la proportion d’ouvriers, etc.Au sein d’une cohorte donnée, l’effet d’âge estsynonyme de cycle de vie et détermine un profild’évolution par âge de la structure de la cohorte.Enfin, d’une cohorte à l’autre, existent des dif-férences permanentes de structure entre les

Graphique VIIIProportion de salariés n’exerçant pas à temps plein : effet d’âge et effet de cohorte

A - Effet d’âge

Lecture : dans une cohorte, en moyenne, il existe une différencede 8,3 points entre la part des salariés ne travaillant pas à tempsplein (nette des effets de date) observée au moment où la cohortea 22 ans (indice égal à 6,4) et au moment où elle a 30 ans (indiceégal à - 1,9).Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

B - Effet de cohorte

Lecture : la part permanente des salariés ne travaillant pas àtemps plein (nette des effets de date et d’âge) dans la cohortenée en 1946 est de 1 point inférieure à cette part permanentedans la cohorte née en 1942.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

11

9

7

5

3

1

- 1

- 3

0

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Âge

Effet d'âge (en %)2

1,5

1

0,5

0

- 0,5

- 1

- 1,5

- 220 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60 62 64 66 68 70

Cohorte

Effet de cohorte (en %)

Page 14: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

132 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

cohortes, non explicables par les deux effets pré-cédents. C’est cet effet cohorte pur qui constitueune mesure de la spécificité de chaque cohortepermettant d’évaluer les différences de structureentre les cohortes. Dans le cas particulier de lapart des salariés n’exerçant pas leur activité àtemps plein, cette décomposition aboutit à uneffet d’âge en forme de « U (5) » et montre parailleurs que certaines cohortes ont eu, à date etâge égaux par ailleurs, une proportion plusimportante de salariés n’exerçant pas à tempsplein en leur sein (cf. graphique VIII-B).

La structure permanente des cohortes

La prise en compte de l’effet de date consiste àcorriger systématiquement la structure d’unecohorte observée à une date donnée par la struc-ture de l’économie à cette même date. Cetteopération a pour effet de purger les observationsdes évolutions générales de l’économie et a ten-dance à rapprocher les profils de chaque cohorte(cf. graphique IX-B). Elle uniformise égale-ment dans le temps la définition des conceptsutilisés. Ainsi, ramener la proportion de cadresdans une cohorte à celle de l’économie dans sonensemble assure un contrôle au moins partiel del’évolution de la définition même de cette caté-gorie de salariés.

Pour comparer la structure de deux cohortes, ilreste à tenir compte du fait qu’elles ne sont pasobservées dans la même phase de leur cycle devie. En effet, dans le créneau d’observation (quiva de 1967 à 2000), les cohortes observées lesont sur des parties de carrière différentes. Parexemple, il n’existe aucun âge auquel onobserve toutes les cohortes dont on souhaitecomparer la structure et on ne peut par consé-quent, dans le cadre de cette étude, appliquer laméthode de Baudelot et Gollac (1995), qui con-sistait à comparer les cohortes à âge fixé. Mêmesi les données le permettaient, cette méthodecomporterait d’ailleurs une autre limite, celle dene pas tenir compte des aspects dynamiques dela carrière : les écarts de structure existant entreles cohortes à un âge donné ne préjugent en effetpas entièrement de ce qui se passe sur le reste dela carrière et ne permettent pas, en particulier,de tenir compte d’éventuels phénomènes de rat-trapage propres à certaines cohortes. Pour toutesces raisons, il est donc souhaitable d’utiliserdans l’estimation, pour chaque cohorte, l’inté-gralité de la partie de carrière que l’on observe.

Pour pallier l’incomplétude des données, on estamené à faire des hypothèses simplificatricessur la forme de celles qui font défaut. L’hypo-

thèse adoptée ici consiste à supposer que lastructure d’une cohorte c observée à l’âge a estla résultante d’une composante propre à lacohorte d’une part (sa structure permanente), etd’un profil moyen par âge que l’on peut évaluersur l’ensemble des cohortes (cf. encadré 3). Ceprofil par âge mesure l’évolution moyenne de lastructure d’une cohorte tout au long du cycle devie : il s’agit, par exemple, de la variation de laproportion de cadres en son sein entre lemoment où les salariés de cette cohorte ont20 ans et le moment où ils en ont 30. Dans le casde la part des salariés ne travaillant pas à tempsplein, ce profil d’âge prend la forme d’un U(cf. graphique VIII-A). (5)

La structure permanente de chaque cohorte sedéfinit donc comme la structure de la cohorte,corrigée des effets de date et d’âge. Elle indiquece que cette cohorte a de structurellement spéci-fique par rapport aux autres cohortes, et ce,indépendamment du moment où elle est obser-vée. Dans le cas de la part des salariés ne tra-vaillant pas à plein par exemple, elle indique si,compte tenu de l’époque et de la phase de soncycle de vie où elle a été observée, la cohorte aglobalement comporté en son sein plus de sala-riés à temps plein que les autres cohortes. Cetindicateur caractérise ainsi la positionqu’occupe une cohorte par rapport aux autres,indépendamment du moment où on l’observe(d’où le qualificatif de permanent) et permetune comparaison des différentes cohortes desalariés indépendamment de leur position dansla chronologie des événements (comparaisondite « intertemporelle »). La valeur de la struc-ture permanente possède d’ailleurs une interpré-tation dynamique simple : dans le cas de lastructure par condition d’emploi, par exemple,sa valeur pour une cohorte donnée est d’autantplus importante que l’arrivée de cette cohortesur le marché du travail a contribué à l’augmen-tation de la part des salariés n’exerçant pas àtemps plein dans l’ensemble de l’économie.

La principale limite de cet indicateur structureltient d’ailleurs précisément à la forme incom-plète des données dont on dispose. D’une part,pour certaines cohortes, les plus anciennes et lesplus récentes, il est estimé à partir de l’observa-tion d’une petite partie de la carrière, le reste decette dernière étant implicitement reconstitué enappliquant l’effet d’âge moyen. D’autre part, cetindice a d’autant plus de pertinence pour compa-rer deux cohortes que celles-ci ont été observées

5. C’est-à-dire qu’il y a plus de salariés n’exerçant pas leur acti-vité à temps plein en début et en fin de carrière.

Page 15: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 133

Graphique IXProportion de salariés n’exerçant pas leur activité à temps plein

A - Effet global de la date, de l’âge et de la cohorte

B - Effet de l’âge et de la cohorte, nets de l’effet de date

Lecture : le graphique A représente, par âge et par cohorte, la proportion de salariés n’exerçant pas leur activité à temps plein. Legraphique B représente la même proportion corrigée de la proportion moyenne l’année considérée. Ce contrôle a pour conséquenced’annuler le trend commun à toute l’économie.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge

Proportion (en %)50

45

40

35

30

25

20

15

10

5

0

1620242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Âge

Proportion (en %)25

20

15

10

5

0

- 5

- 10

1620242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

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134 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

à des âges semblables, donc pour les cohortesayant des années de naissance proche. Cet indice,calculé pour chaque cohorte, présente donc lesavantages et les inconvénients d’un indice detype chaîne : il permet de bien cerner des évolu-tions qui se produisent sur longue période.

L’évolution de la structure des cohortes avecl’âge, mesurée par l’effet d’âge, livre des infor-mation précieuses sur la façon dont se manifestela mobilité des salariés tout au long du cycle devie, notamment en ce qui concerne les promo-tions professionnelles et les changements de sec-teur d’activité. L’estimation de la structure per-manente des cohortes permet, quant à elle, defaire un premier bilan quantitatif sur le parcoursdes différentes générations de salariés. Parailleurs, le partage entre effet d’âge et effet decohorte montre de sensibles différences entrehommes et femmes, tant du point de vue du cyclede vie que de la succession des générations.

L’augmentation de l’emploi fémininn’a pas la même ampleur d’une génération à l’autre

Les différences permanentes entre les hommeset les femmes se doublent de manière générale

d’importantes différences de dynamique tout aulong du cycle de vie. Ces différences concernenten premier lieu leur comportement de participa-tion au marché du travail selon l’âge, grossière-ment mesuré par la proportion de femmes parmiles salariés d’une cohorte selon l’âge de cettecohorte (cf. graphique X). Au sein d’unecohorte, la proportion de femmes se modifieavec l’âge, traduisant les différences de profild’activité par âge des hommes et des femmes.C’est en tout début de carrière qu’elles sont lesplus nombreuses, leur proportion diminuantensuite en début de carrière. Elles sont de nou-veau plus représentées sur le marché del’emploi à partir de 30 ans et leur proportionaugmente alors régulièrement jusqu’à l’âge de60 ans, avec un pallier vers 50 ans. Lorsqu’oncalcule la structure permanente des cohortes, ons’aperçoit qu’elles ont contribué de manière iné-gale à la féminisation du marché du travail.Deux vagues ponctuent en particulier l’accrois-sement du taux d’emploi des femmes, à dateidentique et âge égal par ailleurs. L’une corres-pond aux cohortes nées au début des années1920 tandis que l’autre concerne les cohortesnées pendant les années 1950, dont la féminisa-tion atteint un maximum avec la cohorte 1956.Ainsi, la part des femmes dans l’emploi total n’a

Graphique XProportion de femmes par cohorte et par âge

Lecture : ce graphique représente l’évolution de la proportion de femmes avec l’âge dans plusieurs cohortes de salariés du secteur privé.Au sein de la cohorte née en 1944, les femmes représentaient 31 % des effectifs lorsque la cohorte avait 32 ans et 36 % lorsqu’elle avait56 ans.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge

Proportion de femmes (en %)55

50

45

40

35

30

25

20

1620242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 135

cessé d’augmenter sur la période étudiée, et lescohortes nées après 1956 voient encore progres-ser la part des femmes en leur sein. Mais pources cohortes récentes, cette proportion s’accroîtdésormais moins vite que dans l’ensemble del’économie.

Les différences de cycle de vie entre hommes etfemmes sont assez marquées pour justifier uneanalyse distincte. Ainsi, la décomposition eneffet d’âge et effet de cohorte sera donnée pourles hommes et pour les femmes à chaque foisque la clarté de l’exposé ne s’en ressentira pas.L’exemple de la part de salariés n’exerçant pasleur activité à temps plein est particulièrementillustratif de ces différences. Le graphique XIprésente la part des salariés ne travaillant pas àtemps plein par âge et par cohorte, en distin-guant les femmes et les hommes. Alors quecette proportion augmente de manière continuedans les cohortes de femmes à partir de l’âge de30 ans, elle reste inférieure à 10 % jusqu’à54 ans dans les cohortes d’hommes.

Dans toutes les cohortes,l’âge est un facteur considérablede promotion professionnelle

La proportion de cadres est un indicateur dudegré de qualification des postes occupés par lessalariés d’une cohorte. L’évolution par âge decet indicateur a été représentée pour les cohortesd’hommes et de femmes (cf. graphique XII-A etXII-B), avec le profil d’évolution de cet indica-teur par âge qui s’en déduit (cf. graphique XII-C).La qualification augmente continûment avecl’âge et de manière plus marquée en début decarrière. Une cohorte moyenne comporte à l’âgede 60 ans une proportion de cadres de 15 pointssupérieure à celle observée à l’âge de 20 ans.Pour les autres catégories socioprofessionnelles,on n’a représenté que le profil par âge(cf. graphique XIII). L’effectif « permanent »des professions intermédiaires est, lui, en grandepartie acquis à l’âge de 35 ans. Leur part a mêmetendance à décroître légèrement ensuite, sansdoute en raison de la promotion d’une partie deces salariés au statut de cadre. Les employésconstituent la catégorie la moins stable dans letemps, preuve qu’une grande partie des salariésn’occupe ce statut qu’une partie de leur carrière.En effet, pour les femmes, au sein d’une cohortemoyenne, la proportion d’employées décroîtd’un peu plus de 15 points entre le moment où lacohorte a 20 ans et celui où elle en a30 (cf. graphique XIII-B). Les ouvriers accèdentà la qualification principalement en début de

carrière : au sein d’une cohorte, le profil de la partdes ouvriers diminue de 15 points avant que lacohorte n’atteigne 30 ans, et se stabilise ensuite.

La forte significativité de ces effets d’âge sur lastructure des cohortes montre que la qualifica-tion reste bien souvent l’apanage de l’âge et quel’expérience demeure un atout majeur pouraccéder à certains types de postes. Les salariésd’âges différents ne sont pas de ce fait parfaite-ment substituables, ce qui peut expliquer l’exis-tence d’une segmentation marquée des itinérai-res par la cohorte d’appartenance, les salariésdes différentes cohortes suivant des trajectoiresparallèles mais en quelque sorte irréductibles lesunes aux autres (Welch, 1979 ; cf. encadré 1).Cet effet de la cohorte est notamment importanten ce qui concerne l’accession au statut decadre, les cohortes nées pendant la guerre ayantbénéficié de conditions particulièrement favora-bles en la matière.

Les cohortes nées dans les années 1940 principales bénéficiaires du besoinde cadres des trente glorieuses

Ce sont les cohortes nées dans les années 1940au sein desquelles l’accès au statut de cadre a étéle plus ouvert, celles nées entre 1958 et 1962enregistrant à cet égard un regain nettementmoins marqué (cf. graphique XII-D). Lescohortes nées dans les années 1940 se sont trou-vées les mieux placées pour bénéficier à pleinde l’augmentation des qualifications lors des« trente glorieuses ». Aucune génération, niavant ni après celles-ci, n’a connu une telle pro-motion, et ce tout au long de la vie. En revanche,les cohortes nées au milieu des années 1950comprennent relativement moins de cadres, àdate et âge fixés par ailleurs : la crise a ainsi nonseulement ralenti la progression des salaires,mais aussi l’ascension professionnelle. À partirde la cohorte née en 1966, la proportion decadres augmente même désormais moins vited’une cohorte à l’autre que dans l’ensemble dusecteur privé.

Les cohortes nées au milieu des années 1970comptent de nouveau un nombre plus importantde cadres, à effets de date et d’âge fixés(cf. graphique XIV). Faute du recul nécessaire,on ne peut savoir si cet accroissement est seule-ment dû à la conjoncture favorable des années1996 à 2000 ou s’il se poursuivra avec lescohortes suivantes. Cet effet pourrait aussiconstituer les prémices du renouvellement descadres que ne manqueront pas de provoquer le

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136 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

Graphique XIPart des salariés n’exerçant pas à temps plein par âge, par cohorte et par sexe

A - Hommes

B - Femmes

Lecture : ces graphiques représentent, pour les hommes et pour les femmes, l’évolution avec l’âge de la proportion de salariés n’exerçantpas leur activité à temps plein au sein de plusieurs cohortes de salariés du secteur privé. Entre 30 et 50 ans, les cohortes d’hommescomportent moins de 10 % de salariés non à temps plein (graphique A). Au sein de la cohorte née en 1960 observée à l’âge de 38 ans,30 % des femmes n’exerçaient pas leur activité à temps plein (graphique B).Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge

Proportion (en %)35

30

25

20

15

10

5

0

20242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Âge

Proportion (en %)70

60

50

40

30

20

10

0

20242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 137

départ en retraite des cohortes nombreuses (etcomportant une grande proportion de cadres)nées à partir du milieu des années 1940.

La promotion par le diplômesupplante-t-elle la promotionà l’ancienneté ?

En abandonnant l’hypothèse d’un effet d’âgeidentique pour toutes les cohortes pour reveniraux statistiques plus fines croisant l’âge et lacohorte, on peut mettre en évidence des diffé-rences plus subtiles entre les cohortes, qui nesont pas liées seulement à leur structure perma-nente mais aussi à l’évolution de leur structuretout au long du cycle de vie. En particulier, cen’est pas seulement le nombre de promotionsqui diminue d’une cohorte à l’autre, mais aussil’âge auquel elles se produisent. Il s’agit d’unerupture assez nette dans le cycle de vie descohortes, révélatrice d’un changement dans lemode de promotion, dont la cohorte née en 1950constitue le tournant : alors que dans les cohor-tes antérieures, l’accès au statut de cadre se fai-sait surtout à l’ancienneté, les membres descohortes plus récentes deviennent cadres de plusen plus tôt, essentiellement avant 35 ans. Lespromotions deviennent plus rares par la suitepour les salariés nés après 1950, de sorte que lesstatuts évoluent peu après cet âge(cf. graphique XII-A). Ce changement dans lecycle de vie des cohortes est particulièrementvisible lorsqu’on compare à âge fixé la propor-tion de cadres dans les différentes cohortes.Dans le graphique XIV, on a relié pour un âgefixé les points représentants la part des cadresdans les différentes cohortes. Mesurée à 30 ans,la part des cadres augmente régulièrement d’unecohorte à l’autre. En revanche, mesurée à l’âgede 46 ans, cette proportion diminue d’unecohorte à l’autre au-delà de la cohorte née en1944.

Le choix plus précoce des futurs cadres, qui faitsans doute une large place au diplôme, déter-mine un changement important dans le mode depromotion, qui peut s’expliquer au regard del’évolution conjointe de l’offre et de la demandede salariés qualifiés durant la période étudiée.Les deux explosions scolaires marquant respec-tivement un accès plus large aux études secon-daires d’abord, supérieures ensuite, n’ont pas eulieu dans le même contexte économique. Si lapremière (qui a concerné les cohortes nées entre1930 et 1945) a coïncidé avec une demandeaccrue de cadres dans une période d’euphorieéconomique, l’accès plus large aux études supé-

rieures (à partir de la cohorte née en 1965), con-temporaine du ralentissement économique etd’une moindre demande de cadres, semble plu-tôt avoir abouti à un surcroît de diplômés parrapport aux besoins des entreprises (Chauvel,1998). Cette divergence d’évolution entre offreet demande de postes qualifiés a pu conduire àune certaine dévalorisation des diplômes(Baudelot et Glaude, 1990), voire à un véritablephénomène de déclassement (Forgeot et Gautié,1997 ; Tomasini et Nauze-Fichet, 2003). L’ina-déquation entre offre et demande de travailleursqualifiés explique le mécanisme qui a pu ame-ner les entreprises à une modification de leurgestion interne : la pénurie de candidats diplô-més qui régnait naguère incitait les entreprises,selon un schéma fordiste, à former leur propremain-d’œuvre aux tâches d’encadrement ;l’abondance nouvelle des diplômés leur permetdésormais de pourvoir directement leurs postesd’encadrement par l’embauche de jeunes diplô-més. On peut s’attendre à ce que, au niveau indi-viduel, cette orientation plus précoce vers tel outel type de poste accentue la dispersion des iti-néraires en raison de l’irréversibilité qu’elleintroduit dans les parcours professionnels.

Dans les cohortes des années 1940,la promotion au rang de cadreest bien moindre chez les femmes

Le cycle professionnel des femmes diffère aussinettement de celui des hommes (cf. graphi-que XIII-A et XIII-B). Entre les hommes et lesfemmes existent des différences « permanen-tes » bien connues de représentation parmi lesdifférentes catégories socioprofessionnelles.Les femmes occupent par exemple davantageles catégories d’employé (10 points de plus enmoyenne que les hommes dans une cohorte) etd’employé qualifié (25 points de plus). Leshommes sont quant à eux surreprésentés dansles postes de cadre (7 points de plus que les fem-mes), d’ouvrier qualifié (+ 30 points), les diffé-rences étant moins nettes pour le statutd’ouvrier (légèrement plus représenté chez lesfemmes) et de profession intermédiaire(4 points de plus pour les hommes). Mais cesdifférences permanentes se doublent de dyna-miques également divergentes. Les chancesd’accéder à tel ou tel statut peuvent s’amplifier,se réduire ou même s’inverser par rapport auxhommes tout au long du cycle de vie. Ainsi, lapart de femmes occupant des professions inter-médiaires baisse après 40 ans, alors qu’elle con-tinue à augmenter parmi les hommes après cetâge. C’est l’inverse qui se produit pour la caté-

Page 20: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

138 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

Graphique XIIProportion de cadres par cohorte : effet de date, d’âge et de cohorte

A - Hommes

B - Femmes

Âge

Proportion (en %)35

30

25

20

15

10

5

0

81216202428323640444852566064687276

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Âge

Proportion (en %)20

15

10

5

0

81216202428323640444852566064687276

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Page 21: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 139

Graphique XII (suite)

C - Profil par âge

Lecture : dans une cohorte moyenne, il existe une différence de 5 points entre la part des cadres (nette des effets de date) observée aumoment où la cohorte a 32 ans et au moment où elle a 58 ans.

D - Effet de cohorte

Lecture : la part permanente des cadres (nette des effets de date et d’âge) dans la cohorte née en 1942 est de trois points supérieure àla part permanente des cadres dans la cohorte née en 1934.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Ensemble

Part des cadres (en %)

Femmes Hommes

15

10

5

0

- 5

- 10

- 15

Âge

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 72706866646260 74 76

Ensemble

Part des cadres (en %)

Femmes Hommes

3

2

1

0

- 1

- 2

- 3

- 4

- 5

Cohorte

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140 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

gorie des ouvriers qualifiés : chez les femmes,l’importance relative de cette catégorie aug-mente lentement avec l’âge, alors qu’elledécroît lentement à partir de 24 ans chez leshommes. Quant à la proportion de cadres, elleaugmente assez régulièrement tout au long ducycle de vie chez les hommes, alors qu’elle sestabilise dès l’âge de 30 ans dans les cohortes defemmes, matérialisant le « plafond de verre »cher aux sociologues (6).

L’évolution de la structure permanente d’unecohorte à l’autre ne suit pas non plus tout à faitla même tendance pour les hommes et pour lesfemmes. La part des employés qualifiés chez lessalariés masculins diminue à partir de la cohortenée en 1952, alors que la baisse ne se produitpour les femmes qu’à partir de la cohorte née en1962. Chez les hommes, la catégorie ouvrier esten retrait dans les générations nées après 1950,tandis qu’elle augmente légèrement chez lesfemmes. L’inverse se produit pour la catégoriedes employés qualifiés, et ce depuis la cohortenée en 1964. L’accès au statut de cadre parmiles cohortes nées dans les années 1940 a parailleurs été de bien moindre ampleur pour lesfemmes que pour les hommes, même si lescohortes d’hommes et de femmes suivent désor-mais des évolutions parallèles.

Les professions intermédiaires restentla pierre angulaire de la promotiondes femmes

Pour évaluer avec plus de précision l’ampleurdes promotions pour chacun des deux sexes, leparcours professionnel de chaque salarié del’échantillon a été codé de manière simple. Surune partie de carrière donnée (par exemple entre30 et 50 ans), chaque période d’emploi a étérepérée par un chiffre indiquant le statut duposte occupé (3 = cadre, 4 = profession inter-médiaire, 5 = employé, 6 = ouvrier). Les pério-des adjacentes de même nature ont de plus étéagrégées afin de ne s’intéresser qu’aux mobili-tés professionnelles, envisagées dans leur chro-nologie. Ainsi le parcours « 43 » désigne unsalarié ayant occupé une profession intermé-diaire (codé 4) avant d’occuper un poste decadre (codé 3). Le calcul, pour chaque cohorteet par sexe, du pourcentage de salariés ayantsuivi certains itinéraires professionnels typi-ques, permet de mettre en évidence la spécificitéde la mobilité professionnelle qu’a connue telleou telle cohorte (cf. graphique XV).

Entre 50 et 60 ans, 6 % des femmes de lacohorte née en 1940 occupent uniquement une

fonction de cadre, contre plus de 16 % des hom-mes de la même cohorte (cf. graphiques XV-Eet XV-F). De manière plus générale, la promo-tion des femmes recouvre traditionnellementl’accès au statut de profession intermédiaire.Ainsi, entre 50 et 60 ans, l’itinéraire « 54 » (pas-sage du statut d’employé à celui de professionintermédiaire) est suivi par 3 % des femmes dela cohorte née en 1940 et par à peine 1 % deshommes. Entre 20 et 30 ans (cf. graphi-ques XV-A et XV-B), cet itinéraire est encoresuivi par plus de 5 % des femmes et 2 % deshommes nés après 1956. Toutefois, pour lesfemmes des cohortes récentes, la promotion austatut de cadre s’ajoute désormais peu à peu àl’accès au statut de profession intermédiaire.Entre 20 et 30 ans, l’itinéraire « 43 » est suivipar 1,5 % des hommes de la cohorte née en 1970et plus de 1 % des femmes de cette mêmecohorte. (6)

Des secteurs où l’on débute et des secteurs où l’on demeure

La répartition des salariés d’une cohorte entreles secteurs d’activité de l’économie se modifieelle aussi sensiblement tout au long du cycle devie d’une cohorte (cf. graphique XVI) , tradui-sant des mobilités intersectorielles spécifiquesde certains moments du cycle professionnel.Les jeunes salariés débutent en moyenne plussouvent dans le secteur du commerce et danscelui des services aux particuliers ou aux entre-prises, ce qui est cohérent avec Le Minez , Mar-chand et Minni (1998). Ces secteurs sont sur-représentés de 5 à 6 points chez les jeunes sala-riés de vingt ans, mais les salariés qui y débutentn’y demeurent pas : ces secteurs sont, au con-traire, sous-représentés chez les quadragénaires.Les jeunes sont moins nombreux dans le secteurde l’énergie qui emploie plus particulièrementdes salariés entre 40 et 50 ans. Ce secteuraccueille donc des transfuges d’autres secteurs –du moins jusque vers l’âge de 54 ans au-delàduquel la proportion de salariés qu’il représenteaccuse un net retrait, sans doute en raison dedéparts à la retraite plus précoces que dans lesautres secteurs.

L’effet de l’âge sur la probabilité de présencedans tel ou tel secteur s’avère moins marqué pourles femmes, à l’exception des trois domaines

6. Le « plafond de verre » est le nom donné par les sociologuesau phénomène maintes fois observé du plafonnement des carriè-res professionnelles des femmes à partir d’un certain niveau deresponsabilité.

Page 23: Les trajectoires professionnelles : une analyse par cohorte

ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 141

Graphique XIIIProportion de quelques catégories socioprofessionnelles dans une cohorte : profil par âge

A - Hommes B - Femmes

Lecture : dans une cohorte moyenne, si on se restreint aux femmes, la part des ouvrières qualifiées (nette des effets de date) augmentede quatre points entre le moment où la cohorte a 20 ans et celui où elle a 60 ans.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Graphique XIVPart des cadres par âge selon la cohorte

Lecture : chaque courbe représente l’évolution de la proportion de cadres d’une cohorte à l’autre, mesurée à un âge donné. Elle met enévidence un changement dans le cycle de vie professionnel des cohortes de salariés. À l’âge de 40 ans, la cohorte née en 1952 comporteune proportion plus importante de cadres (14 %) que celle née en 1944 (12 %). À l’âge de 44 ans, elle en comporte moins (15 % pour lacohorte 1952 contre 17 % pour la cohorte 1944). Entre ces deux cohortes, le taux de promotion après 40 ans a diminué.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

CadresEmployés

Proportion (en %)

Employés qualifiésOuvriers

Ouvriers qualifiésProfessions intermédiaires

20

15

10

5

0

- 5

- 10

- 15

- 20

Âge

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

CadresEmployés

Proportion (en %)

Employés qualifiésOuvriers

Ouvriers qualifiésProfessions intermédiaires

Âge

25

20

15

10

5

0

- 5

- 10

- 15

- 20

- 25

Cohorte

Part des cadres (en %)25

20

15

10

5

0

242832364044485256

Âge

2016 24 28 32 36 40 44 48 52 56 60 64 68 72 76

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142 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

Graphique XV Quelques itinéraires professionnels

20 à 30 ans

A - Hommes B - Femme

30 à 50 ans

C - Hommes D - Femmes

50 à 60 ans

E - Hommes F - Femmes

Lecture : chaque chiffre représente une catégorie socioprofessionnelle simplifiée (3 = cadre, 4 = profession intermédiaire,5 = employé, 6 = ouvrier). Un itinéraire professionnel est une agrégation de périodes, chacune passée dans une catégorie socioprofes-sionnelle particulière. L’itinéraire 54 s’applique par exemple aux salariés qui ont été employés (5) avant d’occuper une profession inter-médiaire (4). Des itinéraires professionnels ont été définis sur chaque partie de carrière, et les graphiques indiquent en ordonnée la pro-portion de salariés ayant suivi tel ou tel itinéraire.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)4,5

4

3,5

3

2,5

2

1,5

1

0,5

048 52 56 60 64 6850 54 58 62 66 70

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)7

6

5

4

3

2

1

048 52 56 60 64 6850 54 58 62 66 70

Itinéraire354

464

43

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)4,5

4

3,5

3

2,5

2

1,5

1

0,5

038 42 46 5040 44 48

Itinéraire354

464

43

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)6

5

4

3

2

1

038 42 46 5040 44 48

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)18

16

14

12

10

8

6

4

2

03826 30 34 36 4028 3218 2220 24

53Itinéraire

354

463

4364

Cohorte

Part dans chaque cohorte (en %)12

10

8

6

4

2

03826 30 34 36 4028 3218 2220 24

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 143

d’activité de débutant (commerce, services auxparticuliers ou aux entreprises). Les femmessemblent ainsi beaucoup moins changer de sec-teur avec l’âge que les hommes et leurs carrièressont plus souvent monosectorielles. Elles possè-dent elles aussi leurs secteurs de prédilection(secteur bancaire, ou industries de biens de con-sommation).

L’influence de l’âge sur l’attractivité des secteursdes services aux entreprises, des services aux par-

ticuliers et des activités financières connaît unetransformation d’une cohorte à l’autre. L’évolu-tion de la part des salariés travaillant à un âgedonné dans ces secteurs est en effet différenteselon la cohorte considérée. Pour appréhendercette dynamique on utilise les statistiques croisantl’âge et la cohorte. Ainsi, le secteur des servicesaux entreprises connaît une évolution particulière.Il attire massivement les jeunes salariés descohortes nées après 1960 (cf. graphique XVII-A).Ce secteur occupait, en 1988, environ 10 % dessalariés âgés de 26 ans nés en 1962, alors qu’ilemploie en 2000 presque 18 % des salariés dumême âge nés en 1974. Le secteur des activitésfinancières a pour sa part tendance à vieillir. Alorsqu’il représentait il y a peu de temps encore plusde 4 % des jeunes âgés de 35 ans ou moins, il n’enemploie aujourd’hui guère plus de 2 %. Lesindustries de l’automobile, celles des biens deconsommation sont particulièrement bien repré-sentées chez les salariés de 50 à 55 ans. Au-delàde cet âge, et quelle que soit la cohorte, les salariésquittent ces secteurs de manière importante, sansdoute en raison des accords particuliers de retraiteanticipée qui y existent.

Le contexte conjoncturel en débutde carrière se reflète dans la répartition différenciée des cohortes entre les secteurs

Les cohortes diffèrent de manière sensible parleur structure sectorielle permanente. Enmoyenne sur la carrière et indépendamment dumoment où ils sont observés, les salariés nés àune date donnée sont plus représentés dans cer-tains secteurs. C’est le cas par exemple des sala-riés nés au tournant des années cinquante, quisont entrées en masse dans le secteur de l’indus-trie automobile. Ce secteur emploie presque5 % des hommes salariés de la cohorte 1948,contre moins de 3 % de la cohorte née en 1960.Le secteur des transports est lui aussi un secteurmoins jeune que la moyenne.

Cette inégale répartition des différentes cohortesde salariés par secteur d’activité ne reçoitd’explication satisfaisante que si l’on supposeune mobilité imparfaite des travailleurs, hypo-thèse qui a reçu de nombreuses bases théoriquesainsi que des confirmations empiriques. Les plusnotables d’entre elles prévoient une décrois-sance de la mobilité quand l’ancienneté dans leposte augmente (Topel et Ward, 1992) et la seg-mentation sectorielle des trajectoires d’emploi(Doeringer, 1971). En effet, si la mobilité étaitparfaite, les différences de conjoncture entre lessecteurs, consécutifs par exemple à des chocs

Graphique XVIEffets de l’âge sur la structure sectorielle des cohortes

A - Hommes

B - Femmes

Lecture : dans une cohorte moyenne, si l’on se restreint aux hom-mes, la part des salariés travaillant dans l’industrie automobile(nette des effets de date) augmente de plus de 2 points entre lemoment où la cohorte a 20 ans et celui où elle a 50 ans.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Part des salariés (en %)

6

4

2

0

- 2

- 4

- 6

Âge

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Activités financièresCommerceÉnergie

Part des salariés (en %)

Industrie automobileServices aux particuliers

6

4

2

0

- 2

- 4

- 6

Âge

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144 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

Graphique XVIIQuelques secteurs où le cycle de vie se transforme

A - Services aux entreprises

B - Services aux particuliers

Lecture : ces graphiques représentent, par cohorte, l’évolution selon l’âge de la part des salariés dans le secteur des services aux entre-prises et dans celui des services aux particuliers. Dans ces deux secteurs, le profil par âge se modifie d’une cohorte à l’autre. La pro-portion de jeunes salariés travaillant dans le secteur des services aux entreprises augmente fortement au sein des cohortes récentes. Cesecteur occupait en 1988 environ 10 % des salariés âgés de 26 ans nés en 1962, alors qu’il emploie en 2000 presque 18 % des salariésdu même âge nés en 1974.Champ : salariés du secteur privé.Source : DADS (échantillon au 1/25e), Insee.

Âge

Part des salariés (en %)25

20

15

10

5

0

1620242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

Âge

Part des salariés (en %)25

20

15

10

5

0

1620242832364044485256606468727680

Cohorte

20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 40 42 44 46 48 50 52 54 56 58 60

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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003 145

d’offre intersectoriels, inciteraient les salariésdes secteurs en moindre expansion à se dirigervers les secteurs en croissance. Cela conduirait àmoyen terme à une redistribution de la carte sec-torielle au sein de chaque cohorte, la structure dechacune d’entre elle finissant par ressembler à lastructure permanente de l’économie dans sonensemble (Jovanovic, 1990). Or ce n’est pas lecas. Du fait d’une mobilité imparfaite, un certainnombre de salariés demeurent au contraire enplace, même lorsque de meilleures opportunitésse présentent dans d’autres secteurs.

Les raisons invoquées habituellement pourexpliquer cette inertie tiennent au coûtqu’engendre une telle mobilité (Magnac, 1991).Le coût immédiat de la mobilité peut être facile-ment mesuré aussi bien du point de vue du sala-rié que de celui de l’employeur, par exemple parla perte de savoir-faire (ou capital humain spéci-fique) liée à la rupture de la relation de travail,qui devra être compensée par de nouvelles for-mations. Pour le salarié, la mobilité est de sur-croît potentiellement porteuse d’un coût différéqui apparaît lorsqu’on prendre en compte lesmodifications durables qu’elle entraîne. Elle estparfois synonyme de l’abandon d’un certainnombre d’avantages aménagés par l’entrepriseen fonction de l’ancienneté, qui font partie ducontrat implicite entre l’employeur et l’em-ployé. La décision de mobilité est donc parnature intertemporelle : l’arbitrage qu’opère lesalarié entre deux postes prend en compte nonseulement le salaire présent, mais aussi lasomme actualisée des salaires et avantagesfuturs attachés à chacun des deux postes. Lesentreprises ne sont pas toutes susceptiblesd’offrir le même suivi de carrière. La difficultéqu’éprouvent en particulier les entreprises de cer-tains secteurs pour conserver leur main-d’œuvrejeune s’explique assez bien avec les différencesintersectorielles de carrière salariales (7). La sen-sibilité de la décision de mobilité à des paramè-tres de long terme explique que la portabilitéd’une entreprise à l’autre des droits acquis parles salariés constitue un enjeu permanent despolitiques économiques. La généralisation etl’homogénéisation des systèmes de retraite après1950 a par exemple conduit à une augmentationtrès nette de la mobilité des salariés, contrastantavec le rôle de stabilisation de la main-d’œuvreque l’on prête généralement au système anté-rieur, qui était entièrement géré au niveau desentreprises. Actuellement, la question de la por-tabilité des droits sociaux et des droits à la for-mation continue à animer nombre de débats surl’accompagnement de la flexibilité accrue asso-ciée aux nouvelles formes d’emploi.

Qu’elle émerge des décisions individuelles dessalariés ou qu’elle soit suscitée par la gestion dela main-d’œuvre au niveau des entreprises, lamobilité imparfaite des salariés explique que lastructure des cohortes garde de manière durableles traces de la conjoncture sectorielle de sa dated’entrée sur le marché du travail ; il y a réma-nence des conditions initiales d’insertion sur lereste de la carrière d’une cohorte. Ainsi, lesentrées massives de certaines cohortes dans dessecteurs qui recrutaient lorsque celles-ci ontcommencé leur vie professionnelle expliquentune partie notable des différences de structureentre les cohortes. Le secteur des activités finan-cières est particulièrement représenté parmi lescohortes nées entre 1946 et 1954, ce qui s’expli-que par une croissance de ces activités au tour-nant des années 1970. Le même phénomène estobservé pour les secteurs de l’industrie automo-bile, des biens de consommation et de l’énergie.Les cohortes les plus récentes se dirigent quantà elles, comme on l’a remarqué, vers les sec-teurs des services aux particuliers et aux entre-prises. (7)

L’effet de cohorte est beaucoupplus marqué pour les femmes

Les implications de ce modèle sont égalementcohérentes avec la moindre mobilité observéedes femmes, pour qui le coût de la mobilité estplus important. On peut de plus s’attendre, ensuivant ce modèle, à ce que les effets de cohortel’emportent sur les effets d’âge pour les catégo-ries de salariés les moins mobiles. La mobilité,par les flux d’emploi et les réallocations de lamain-d’œuvre qu’elle génère, atténuerait aucontraire l’effet de la cohorte. Ce mécanismethéorique semble expliquer les différences sen-sibles qui apparaissent entre les hommes et lesfemmes lorsque la décomposition entre effetsd’âge et effets de cohorte est faite indépendam-ment pour les salariés des deux sexes. Pour lesfemmes, l’effet de cohorte sur la structure secto-rielle est beaucoup plus marqué que pour leshommes alors que l’effet d’âge l’est moins(cf. graphiques X-A et X-B), ce qui est sansdoute la conséquence d’une mobilité intersecto-rielle moindre, qui peut s’expliquer par les pos-tes plus spécifiques qu’elles occupent.

** *

7. Se reporter à Malik Koubi, Les carrières salariales par cohortede 1967 à 2000, dans ce numéro.

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146 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 369-370, 2003

Une fois contrôlés les effets de date et d’âge, lescohortes montrent des structures sensiblementdifférentes, notamment du point de vue de lamobilité professionnelle. Les transformationsdu marché de l’emploi au cours du dernier tiersdu XXe siècle ne se sont pas opérées de manièrelinéaire : le progrès en matière de qualificationa été particulièrement important parmi les sala-riés nés dans les années 1940, tandis que lesconditions d’emploi particulières et les faiblesdurées de paie sont surtout le fait des cohortesrécentes. Deux vagues très nettes marquentl’accès de plus en plus large des femmes à une

vie professionnelle : les cohortes nées dans lesannées 1920 et celles nées dans les années 1950.Le progrès « cohortal » dont la règle semblaitnaguère suivre un cours linéaire apparaît ainsi aposteriori composé de périodes plus ou moinsfastes, voire de véritables régressions. Le ralen-tissement économique de la fin des années 1970s’est par exemple traduit par une évolution ducycle de vie des cohortes, mêlant un allonge-ment de la durée d’insertion et une dispersionplus grande des conditions d’emploi, notam-ment des durées travaillées. ■

L’auteur tient à remercier Nicolas Herpin, Claude Thélot et Yannick Lemel pour leurs commentaires,critiques et suggestions, de même que tous les participants au séminaire de sociologie du Crest-Insee(Malakoff, 20 mars 2002), ceux du séminaire de la Direction des Statistiques Démographiques et Socia-les de l’Insee (10 juin 2002) et ceux du séminaire du Laboratoire montpelliérain d’économie théoriqueet appliquée (Montpellier, 7 février 2003), ainsi que deux rapporteurs anonymes de la revue.

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