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Les transformations du modèle économique suédois Emilie Bourdu Préface de Louis Gallois

Les transformations du modèle économique suédois

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A l’heure où la France s’interroge sur les moyens de renouer avec la croissance et de redresser son industrie, il y a beaucoup à apprendre des ingrédients du succès suédois. Cette note examine les différentes facettes de l'écosystème suédois, telles que le dialogue social, l’innovation, les politiques de l’emploi, la fiscalité… qui ont toutes eu des effets directs ou indirects sur la croissance économique de la Suède. Elle met en avant les réformes structurelles qui ont été menées dans les années 1990 pour assainir les finances publiques tout en conservant un haut niveau de performance économique, de service public et de protection des citoyens.

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  • Les transformations du modle conomique sudois

    Les performances conomiques et sociales actuelles de la Sude ravivent lintrt des observateurs trangers pour le modle sudois . Dj, au milieu du XXe sicle, la Sude tait larchtype dune socit dmocratique et consensuelle, alliant efficacit conomique, redistribution et protection des individus. Plus rcemment, du milieu des annes 1990 jusqu aujourdhui, elle a suscit lintrt du fait de sa vitalit conomique, de la rsistance de sa base industrielle et de lassainissement de ses comptes publics. On en oublierait presque que le pays a connu une grave crise conomique au dbut des annes 1990 qui la pouss revoir en profondeur lorganisation de son modle social.

    A lheure o la France sinterroge sur les moyens de renouer avec la croissance et de redresser son industrie, il y a beaucoup apprendre des ingrdients du succs sudois. Cette note examine diffrentes facettes de cet cosystme, telles que le dialogue social, linnovation, les politiques de lemploi, la fiscalit qui ont toutes eu des effets directs ou indirects sur sa croissance conomique. Elle met en avant les rformes structurelles qui ont t menes dans les annes 1990 pour assainir les finances publiques tout en conservant un haut niveau de performance conomique, de service public et de protection des citoyens.

    Plus que les rformes elles-mmes, qui ne sont sans doute pas toutes transposables au contexte franais, lexprience sudoise frappe par la capacit des acteurs conomiques et politiques organiser des rformes profondes sans blocage, prpares par un long processus dexpertise et de ngociation dmocratique qui favorise leur appropriation. Son succs nous invite nous demander comment renouveler, en France, la manire de conduire les rformes et dlaborer les choix collectifs.

    Les transformations du modle conomique sudois

    Emilie BourduPrface de Louis Gallois

    www.la-fabrique.fr

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    ISB

    N :

    978-

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    Presses des Mines

  • Un laboratoire dides pour lindustrie Les membres du Conseil dorientation de La Fabrique

    La Fabrique de lindustrie est un laboratoire dides cr pour que la rflexion collective sur les enjeux industriels gagne en ampleur et en qualit.

    Elle est prside par Louis Gallois, ancien prsident de la SNCF et dEADS. Elle a t fonde en octobre 2011 par des associations dindustriels (Union des industries et des mtiers de la mtallurgie, Cercle de lindustrie, Groupe des fdrations industrielles) partageant la conviction quil ny a pas dconomie forte sans industrie forte.

    MissionsLieu de rflexion et de dbat, la Fabrique travaille de faon approfondie et pluridisciplinaire sur les perspectives de lindustrie en France et en Europe, sur lattractivit de ses mtiers, sur les opportunits et les dfis lis la mondialisation.

    La Fabrique organise la confrontation des points de vue et des analyses pour rendre intelligibles des ralits complexes et nuances. Elle collabore avec lensemble des institutions qui peuvent concourir la ralisation de ses missions.

    Centre de ressources, La Fabrique rassemble linformation, cre de nouveaux espaces de dialogue, produit des synthses critiques. Le site web et le forum (www.la-fabrique.fr) permettent de suivre lactualit des dbats sur lindustrie et dy prendre part, dtre inform des rcentes publications et de nos travaux, de discuter le point de vue dexperts et de proposer de nouvelles rflexions.

    Les notes de La FabriqueLes notes de La Fabrique sont des contributions crites aux principaux dbats en cours : emploi et dialogue social, comptitivit, comparaisons internationales Rdiges par des observateurs et des experts, elles sappuient soit sur une analyse collective pralable (typiquement, un groupe de travail), soit sur une exprience individuelle incontestable.

    Dans tous les cas, les membres du Conseil dorientation de La Fabrique sont mobiliss trois tapes : au moment de la dfinition du sujet, au cours dchanges sur les rsultats mergents mi-parcours et lors de la validation finale de la note.

    La Fabrique de lindustrie sest entoure dun Conseil dorientation, garant de la qualit de ses productions et de lquilibre des points de vue exprims. Les membres du Conseil y participent titre personnel et nengagent pas les entreprises ou institutions auxquels ils appartiennent. Leur participation nimplique pas adhsion lensemble des messages, rsultats ou conclusions ports par La Fabrique de lindustrie.

    Gabriel ARTERO, prsident de la Fdration de la mtallurgie CFE-CGCLaurent BATAILLE, PDG de Poclain Hydraulics Industrie SASChristophe BEAUX, PDG de La Monnaie de ParisBernard BELLOC, professeur luniversit de ToulouseEtienne BERNARD, PDG de Bernard ControlsMichel BERRY, dlgu gnral de lcole de Paris du managementChristian BLANCKAERT, prsident de Petit BateauChristophe BONDUELLE, PDG de Bonduelle SAChristel BORIES, ancien prsident excutif de ConstelliumJean-Pierre CLAMADIEU, PDG de Rhodia-SolvayPhilippe CROUZET, prsident du directoire de VallourecJol DECAILLON, vice-prsident de LASAIRECathy DUBOIS, associe de R&D consultantsPhilippe ESCANDE, directeur du supplment co & entreprises du MondeDenis FERRAND, directeur gnral de COE-RexecodeLionel FONTAGNE, professeur au Centre dconomie de la SorbonneLouis GALLOIS, commissaire gnral linvestissement, prsident de la Fabrique de lindustrieAndr GAURON, administrateur de LASAIREDominique GILLIER, secrtaire gnral de la FGMM-CFDTPierre-Nol GIRAUD, professeur dconomie luniversit de Paris-Dauphine et Mines ParisTechAlain GRANGE-CABANE, prsident de la Fdration des entreprises de la beautLaurent GUEZ, directeur dlgu de la rdaction dEnjeux-Les Echos

    Frdric HOMEZ, secrtaire gnral de la Fdration confdre Force ouvrire de la mtallurgieMarc IVALDI, directeur dtudes lEHESSJean-Marc JANCOVICI, associ de Carbone 4Georges JOBARD, prsident de ClextralEric LABAYE, prsident du McKinsey Global InstituteJean-Herv LORENZI, prsident du Cercle des conomistesAriel MENDEZ, directrice du LEST, universit de la MditerranePhilippe MOATI, professeur de sciences conomiques, universit Paris 7Erik ORSENNA, romancier, membre de lAcadmie franaiseSophie PENE, directrice de la recherche de lENSCIJean-Loup PICARD, ancien DG-A de ThalesJean-Franois PILLIARD, dlgu gnral de lUIMMGrgoire POSTEL-VINAY, directeur de la stratgie, DGCIS, ministre du Redressement productifDenis RANDET, dlgu gnral de lANRTChristian SAINT-ETIENNE, professeur dconomie industrielle au CNAMFrdric SAINT-GEOURS, prsident de lUIMMJean-Dominique SENARD, grant-associ commandit de MichelinJean-Claude THOENIG, universit de Paris-DauphineMarcel TORRENTS, PDG de la SDCEMAndr ULMANN, PDG de HRA PharmaPierre VELTZ, PDG de ltablissement public de Paris-SaclayEtienne WASMER, directeur des tudes en conomie lIEP Paris

    Le Conseil dorientation est compos de :

  • Les transformations du modle conomique sudois

  • Emilie Bourdu, Les transformations du modle conomique sudois, Paris, Presses des MINES, 2013.

    ISBN : 978-2-35671-048-2

    Presses des MINES - TRANSVALOR, 2013 60, boulevard Saint-Michel - 75272 Paris Cedex 06 - France [email protected] www.pressesdesmines.com

    La Fabrique de lindustrie 81, boulevard Saint-Michel -75005 Paris - France [email protected] www.la-fabrique.fr

    Photo de couverture : Delaunay Robert (1885-1941), Rythme. Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Jacqueline Hyde.

    Direction artistique : Franck Blanchet Mise en pages : Sandra Rodrigues

    Dpt lgal 2013 Achev dimprimer en 2013 (Paris) Tous droits de reproduction, de traduction, dadaptation et dexcution rservs pour tous les pays.

  • Les transformations du modle conomique sudoispar Emilie Bourdu

  • Les transformations du modle conomique sudois4

    INTRODUCTION

    VOLET 01

    Sommaire 4 Remerciements 7 Prface 9Rsum 11

    CHAPITRE 1Une croissance conomique retrouve, aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire

    CHAPITRE 2Une culture de linnovation et de linvestissement, facteur de productivit

    CHAPITRE 3La rsilience enviable de lindustrie sudoise

    LE MODLE SUDOIS : DE QUOI PARLE-T-ON ? 17

    CROISSANCE, INDUSTRIE ET INNOVATION 25

    26

    36

    44

  • Sommaire 5

    VOLET 02

    VOLET 03

    Conclusion 121 Bibliographie 127 Annexe 1. Lanalyse structurelle-rsiduelle 139Annexe 2. Contribution par secteur l'effort de R&D sudois 142

    CHAPITRE 6Des rformes structurelles lorigine dun nouveau modle de croissance conomique

    CHAPITRE 7Une fiscalit favorable aux entreprises

    CHAPITRE 4Le rle dterminant du dialogue social dans la comptitivit

    CHAPITRE 5Une logique dactivation de la politique de lemploi lefficacit reconnue

    CROISSANCE, INDUSTRIE ET INNOVATION 25

    EMPLOI ET COHSION SOCIALE 61

    POLITIQUES MACROCONOMIQUESET GRANDS ARBITRAGES

    87

    62

    89

    72

    110

  • 7Remerciements

    Cette synthse sur le modle conomique sudois a t tablie par La Fabrique de lindustrie, sous la coordination dEmilie Bourdu, partir des travaux de documenta-tion et danalyse de Mlle Clmence de Castelnau et de MM. Stphane Albernhe, Arthur Briquet et Paul-Andr Migeon.

    Mmes Christel Bories, Jacqueline Hnard, Ariel Mendez, Delphine Rudelli, Ulrike Schuerkens et MM. Gabriel Artero, Pierre Bitard, Olivier Bouba-Olga, Denis Ferrand, Andr Gauron, Dominique Gillier, Benjamin Huteau, Marc Ivaldi, Jean-Yves Larraufie, Jean-Loup Picard, Grgoire Postel-Vinay, Jean-Claude Thoenig, Pierre Veltz et Etienne Wasmer ont bien voulu ragir une version intermdiaire du document.

    Mmes Gita Paterson, prsidente de la Chambre de commerce sudoise et Louise Agerman, directrice gnrale du Cercle sudois, MM. Jonas Wendel, conseiller pour la politique conomique et commerciale et Robert Wentrup, conseiller commercial lAmbassade de Sude, ont accept de nous accorder des entretiens.

    M. Laurent Clavel nous a fait bnficier de son expertise et des documents produits par le Service conomique rgional de Stockholm. Il a fait preuve dune grande disponibilit et ractivit.

    Quils en soient tous chaleureusement remercis.

  • 9Prface

    Le modle sudois suscite curiosit et envie depuis plusieurs dcennies, pour ses perfor-mances conomiques, la qualit de son service public et son haut niveau de protection sociale. Confronte au dbut des annes 1990 une grave crise, la Sude a su assainir ses finances publiques et rformer ses institutions en profondeur, tout en veillant au maintien des protections sociales et au libre fonctionnement du march.

    Cette note de La Fabrique de lindustrie explore les causes de cette performance su-doise, quelles soient conomiques, sociales, politiques ou historiques. On trouve dans cet exemple, bien diffrent de lAllemagne et moins connu, beaucoup dides utiles aux dbats daujourdhui sur les rformes conomiques et la comptitivit industrielle. Mal-gr des aspirations analogues au maintien dun tat protecteur, dun bon niveau de ser-vices publics et dune conomie prospre, la France et la Sude diffrent par les moyens mis en uvre, et surtout par la manire dlaborer les choix collectifs. Au-del des rformes structurelles adoptes, qui ne conviendraient peut-tre pas toutes au contexte franais, cest lexprience sudoise de la rforme qui me parait clairante. La Sude est en effet capable dorganiser des rformes profondes sans blocage, prpares par un long processus dexpertise et de ngociation dmocratique qui favorise leur appropria-tion. Une telle mthodologie de la rforme ne se dcrte pas ; elle est le fruit dune longue histoire de collaboration entre les entreprises, ltat et les partenaires sociaux. La qualit du dialogue social est un des atouts dterminants de la Sude : des partenaires sociaux dont la lgitimit est trs forte mnent des ngociations en veillant ce que les salaires et les prestations restent compatibles avec la comptitivit dune industrie domine par de grands groupes exportateurs. Transparence et dcentralisation permettent aux citoyens de sassurer de la gestion efficace des deniers publics.

    Cette note offre une illustration motivante de ce quil y a raliser dans notre pays et de limportance de la mobilisation de tous pour susciter un choc de confiance. Le mouve-ment a t enclench avec des accords tels que celui du 11 janvier 2013 au service de la comptitivit des entreprises et de la scurisation de lemploi et des parcours profession-nels (ANI), qui complte le Pacte de comptitivit adopt le 6 novembre 2012. Il importe quil se poursuive pour permettre le redressement ncessaire de notre industrie.

    Louis Gallois

  • 11

    Rsum

    Alors que lindustrie sessoufle dans la plupart des pays dvelopps, lAllemagne est le plus souvent prise en exemple pour ses excellentes performances (Hnard, 2012). Mais un autre pays, la Sude, semble faire mieux encore. Ces deux pays ont su, durant ces vingt dernires annes, prserver davantage leur base industrielle que leurs voisins eu-ropens et conserver des balances commerciales trs positives. La Sude a assaini ses finances publiques, aujourdhui en excdent structurel, et a fortement rduit sa dette, tout en prservant un haut niveau de service public et de protection sociale. La Fabrique de lindustrie a donc souhait mieux comprendre les raisons du succs du modle sudois.

    Une conomie soutenue par la dynamique de grands groupes exportateursAujourdhui, la Sude prsente des performances trs enviables, en termes de compti-tivit, de croissance, de PIB par habitant, dinnovation, dexcdents commerciaux et de matrise des finances publiques.

    Le pays se place devant lAllemagne sur tous ces critres, ne lui laissant de peu que le leadership sur le poids de lindustrie dans le PIB (22,4 % en Allemagne, contre 19,3 % en Sude et 12,5 % en France en 2009). Entre 1995 et 2007, laccroissement de la valeur ajoute en Sude tait suprieur de huit points ce quil tait dans lUnion europenne. Notons cependant que la progression de lemploi tait infrieure de neuf points, ranon des importants gains de productivit que la Sude a raliss dans tous les secteurs dacti-vits et notamment dans les services, marchands et non marchands.

    Dans lindustrie, les gains de productivit ont notamment t rendus possibles grce linvestissement dans les TIC, dans la recherche et dveloppement et plus largement dans le capital immatriel. La Sude prsente lun des plus gros efforts de R&D dans le monde (exprim en % du PIB), du fait de linvestissement des acteurs privs. Dans quasiment lensemble des secteurs industriels quils soient low-tech ou high-tech et les ser-vices marchands, lintensit technologique1 est plus forte en Sude que dans le reste de lEurope.

    1 - Taux des dpenses de R&D sur la valeur ajoute

  • Les transformations du modle conomique sudois12

    Le socle industriel sudois est domin par des grands groupes, pour la plupart sous le contrle de grandes familles qui ont form des empires capitalistiques. Ces groupes par-ticipent largement au dynamisme des exportations. La structure de lindustrie sudoise, en termes de rpartition des entreprises par taille, ressemble celle de la France. La Sude nest pas une terre plus propice que cette dernire au dveloppement des startups ni mme aux ETI ; cela dmontre, si besoin tait, quun dveloppement conomique en-viable peut avoir des caractristiques diffrentes des exemples germanique et amricain.

    Y a-t-il des cots cachs cette performance impressionnante ? Des arbitrages en tous cas. De 1950 1990, la croissance a t un peu moins leve en Sude que dans le reste de lOCDE. Trs riche relativement ses voisins ou son propre pass dans les annes 1950, le pays a privilgi la construction dune socit galitaire mais a peu peu perdu sa place de leader en termes de PIB par habitant.

    Un progressisme coteux mais durable et consensuel

    Le succs sudois donne lieu diffrents types dexplications. Certains estiment que le pays a explor une troisime voie entre capitalisme libral et communisme, conduisant au dbut des annes 1970 une socit riche et galitaire, cumulant un des plus hauts PIB par habitant de la plante avec un trs haut niveau de protection sociale et de ser-vice public, tandis que le reste du monde croyait devoir choisir entre un enrichissement accompagn dimportantes ingalits (qui toutefois se rsorbaient pendant les Trente glo-rieuses) et lgalitarisme dans la pauvret. Pour dautres, le modle sudois des annes 1945-1975 a conduit lhypertrophie inefficace dun tat surprotecteur, la crise du dbut des annes 1990 ayant rendu cette impasse manifeste et forc le pays engager des r-formes dinspiration librale trs pousses (drglementations, libralisations, dcentrali-sations) grce auxquelles il a retrouv sa performance.

    Ces deux explications contiennent une part de vrit. La trajectoire de la Sude a connu des impulsions contradictoires, des crises et des accidents. Une population trs duque, de taille un peu plus rduite que celle de la rgion parisienne, a abord ces difficults, engag des dbats et cherch un consensus pour inflchir sa politique, parfois trs subs-tantiellement. Les Sudois sont trs attachs, au moins depuis 1940, un systme de pro-tection sociale et de services publics assurant la prise en charge du citoyen du berceau la tombe , laccs pour tous lducation, aux soins et des opportunits de pro-motion socio-professionnelle. Au risque de simplifier outrageusement, on pourrait dire que la Sude a dabord mis en place, de 1940 au dbut des annes 1980, un systme de

  • 13Rsum

    protection sociale et de service public efficace, gnreux mais trs coteux, puis a travaill depuis en rduire le cot en conservant lessentiel des acquis. Mme si le systme est aujourdhui un peu moins gnreux que dans les annes 1970, il se maintient au niveau des meilleurs standards occidentaux et son cot transparent et matris est globalement accept par la socit.

    Le dialogue social et la politique de lemploi au service de la comptitivit et de la limitation des ingalits

    En 1938, aprs une priode de mouvements sociaux violents, les syndicats ouvriers et patronaux ont sign les accords de Saltsjbaden. Des ngociations centralises, tires par des syndicats trs reprsentatifs, ont ensuite permis de fixer les salaires et dassurer la paix sociale, en recherchant le meilleur compromis acceptable entre bien-tre des indi-vidus et comptitivit des entreprises, sans grave accroc jusqu la fin des annes 1960. La mise en application concrte du principe travail gal, salaire gal conduisait la faillite les entreprises les moins productives (qui devaient verser les mmes salaires que leurs concurrentes les plus profitables) et favorisait la concentration des entreprises et la hausse de la productivit. Des politiques demploi actives, combinant formations, aides la mobilit, aides la cration demplois dans les entreprises, travaux dintrt gnral et recrutements dans la fonction publique, permettaient de maintenir le taux de chmage aux environs de 2 %. Cest de cette priode que date, en France notamment, lide que la Sude pouvait tre considre comme un pays modle .

    En 1969, une grve dure des mineurs a remis en cause la reprsentativit du syndicat ouvrier unique et du parti social-dmocrate qui lui tait trs li. La revendication gali-tariste sest durcie, la hirarchie des salaires sest crase encore davantage ; la perfor-mance, les responsabilits ou le niveau de formation ne permettaient plus un individu damliorer substantiellement sa rmunration. Tandis que lemploi dans le secteur priv stagnait, la poursuite dune politique de plein-emploi a conduit multiplier les embauches dans le secteur public au dtriment de la productivit de lconomie. Entre 1970 et 1985, le nombre de fonctionnaires est pass de 26 % 38 % de lemploi total.

    Aprs plusieurs dvaluations de la couronne, ltat a entrepris dans les annes 1980 le redressement des finances publiques. Il a pourtant fallu attendre la crise de 1991 pour que la Sude dcide de privilgier la matrise de linflation sur lobjectif de plein-emploi, dix quinze ans aprs la plupart des autres tats membres de lOCDE. Le taux de chmage est pass de 2 % 10 % en deux ans ; il oscille aujourdhui entre 6 % et 8 %. Le nouveau

  • Les transformations du modle conomique sudois14

    systme dassurance-chmage est moins gnreux, avec une rduction des allocations en cas de refus demploi convenable. Le chmage des jeunes est important (entre 20 et 25 %, comme en France depuis 10 ans, selon Eurostat) mais la politique active de lemploi limite le chmage de longue dure (moins de 20 % des chmeurs sudois, contre 40 % en France et dans le reste de lEurope et mme prs de 50 % en Allemagne).

    En dpit de ces rformes rcentes, la Sude reste aujourdhui un des pays les plus gali-taires de lOCDE, avec le reste de la Scandinavie et les Pays-Bas. Mme si les ingalits se sont accrues depuis 1970, le rapport entre les premier et dernier dciles est de 2,79 en Sude2, contre 3,39 en France, 4,21 au Royaume-Uni et 5,91 aux tats-Unis (OCDE, 2009).

    Une culture du consensus favorable aux rformes et une acceptation de limpt en contrepartie dun haut niveau de service public

    Si la Sude est capable dengager des rformes profondes sans blocage, cest que celles-ci sont chaque fois prpares par un long processus dexpertise et de ngociation.

    Par exemple, le processus conduisant la grande rforme fiscale de 1991 a t initi par des discussions et rapports dexperts ds 1984. La rforme a t annonce en 1986. Aprs un sommet runissant tous les chefs de parti et des reprsentants des groupes dintrt majeurs en octobre 1989, un consensus a t obtenu sur les grandes lignes de la rforme. Celle-ci a t mise en place comme prvu malgr deux changements de majorit gouver-nementale. La rforme des retraites, elle aussi, a fait lobjet dun travail prparatoire et dun large consensus. Cette dernire a t adopte en 1998, une majorit de 75 % des membres du Parlement sudois, aprs quinze ans de rflexion concerte, et ce malgr les changements de gouvernement.

    Toutes les tudes sur ce pays relvent que les Sudois consentent payer un impt le-v, convaincus de bnficier en contrepartie dun service public performant grce une grande transparence de la procdure budgtaire et au contrle des administrations. La trs large dcentralisation, entame en 1975 et confirme par tapes ensuite, confiant aux 290 communes la gestion des services sociaux et de lducation et aux 20 comts celle de la sant et des infrastructures, a rapproch la dcision dengagement dune dpense de ceux qui la financent.

    2 - Cest--dire que le revenu moyen du dcile le plus riche de la population sudoise reprsente 2,79 fois celui du dcile le plus pauvre.

  • 15Rsum

    Globalement, la fiscalit sudoise pse moins sur les entreprises que sur les individus, et plus sur les revenus du travail que sur ceux du capital. Plus prcisment, les revenus du capital sont taxs un taux fixe de 30 %, tandis que ceux du travail sont soumis un im-pt progressif, de 30 % quasiment ds la premire couronne environ 55 % au-del dun seuil quivalent 64 000 3. Contrairement lide que lon se fait parfois dun systme fortement redistributif, limpt sudois na donc pas pour objet de prlever les rentiers pour donner aux travailleurs : il assure une circulation solidaire et efficace de la valeur au sein de la population et en particulier de la classe moyenne. Il pargne largement les entreprises, ne taxant la richesse quelles produisent qu travers les revenus (du travail ou du capital) de ceux qui en bnficient.

    Rcemment, pour favoriser la transition nergtique, la Sude a mis en place une fiscalit cologique qui mnage la comptitivit des entreprises mais pse surtout sur le consom-mateur final. La taxe carbone, dont la croissance est programme, reprsentait 114 par tonne de carbone mis, en 2011, pour les particuliers. Les entreprises paient 30 % de ce taux (mais 60 % horizon 2015) et celles soumises au march europen des quotas en sont exemptes4. En mme temps, de nouveaux allgements des charges pesant encore sur le travail et des impts sur les socits ont t dcids, pour prserver la comptitivit des entreprises.

    En conclusionLe cas sudois frappe par le nombre danalogies avec le modle conomique franais : prminence des grands groupes exportateurs, rle important de ltat, attachement de longue date la redistribution des revenus et aux services publics. Mais il ne faut pas sy tromper : les deux pays ne sont que des faux-jumeaux. Quand la France peine se rformer, la Sude fait figure de social-dmocratie dcomplexe : elle maintient un tat-providence trs protecteur mais, lorsque le constat est tabli que les recettes antrieures ne fonctionnent plus, elle sait rassembler au-del des divergences idologiques et des intrts contradictoires pour concevoir et mettre en place des rformes structurelles prag-matiques. Cest notamment pourquoi une meilleure comprhension du fonctionnement sudois peut clairer les dbats sur les rformes conomiques et la comptitivit indus-trielle en France.

    3 - En France, ce revenu se situe dans la tranche 30 %, soit 38 % avec la CSG.4 - lexception des usines de cycle combine chaleur-lectricit (CHP) qui bnficient dun taux rduit (8 par tonne CO2 en 2011).

  • 17

    LE MODLE SUDOIS :DE QUOI PARLE-T-ON ?

    INTRODUCTION

    Au regard de diffrents indicateurs de per-formance conomique, la Sude fait figure de bon lve dans une Europe en crise ; et cette situation ravive les dbats sur les vertus supposes du modle sudois . En effet, dj forte dun tel succs durant les Trente glorieuses, et partageant avec la France une forme dtat-providence, la Sude suscite la curiosit depuis de nom-breuses annes. Ds 1970, Jean Parent, dans son ouvrage Le modle sudois, ana-lyse les facteurs de sa performance co-nomique entre le dbut du XXe sicle et la fin des annes 1960. cette poque, la Sude est vue comme lexemple typique dune synthse russie entre capitalisme et socialisme, alliant efficacit conomique et protection sociale des individus, image qui perdure aujourdhui.

    Ce modle a permis doffrir limmense majorit de la population un niveau de vie lev et de meilleures chances, tout en ga-rantissant une plus grande efficacit et ren-tabilit des entreprises , dclarait Sture Nordh, prsident de TCO (confdration syndicale sudoise des cols blancs ) de 1999 2011. La Sude fait donc partie de ces socits-modles, idales voire idali-ses, dont on tente de distinguer puis de rpliquer les caractristiques, dans le but dobtenir des performances similaires. Mais ce modle est-il aujourdhui ce quil tait hier ? Comment caractriser ses bonnes performances actuelles, notam-ment conomiques et industrielles ? Et, finalement, quentend-on par modle sudois ?

  • Les transformations du modle conomique sudois18

    1. Lactuelle russite sudoise

    Le tableau 1 rvle les bonnes perfor-mances de la Sude en 2011, en matire de croissance, de commerce extrieur, de matrise des finances publiques et dinnovation.

    A. Croissance et commerce extrieur

    Tableau 1 - Les performances sudoises en 2011

    Sources : OCDE, Usherbrooke, Banque mondiale, Eurostat.

    5 - Ce classement mesure le degr de comptitivit de 142 pays travers le monde, sur la base dune centaine dindicateurs. Il tient compte du fait que les pays ne se trouvent pas tous au mme niveau de dveloppement conomique, et donc que limportance relative des diffrents facteurs de comptitivit est fonction des conditions de dpart. Les composantes de la comptitivit sont regroupes en 12 piliers tels que les institutions, lducation et la sant, les infrastructures, lenvironnement macro-conomique, lefficacit du march financier et du march du travail, louverture technologique, linnovation

    La Sude semble stre dj releve de la crise de 2008, la diffrence de la plupart des pays europens. En 2011, la croissance sudoise (3,9 %) est plus de deux fois suprieure celle de la France

    (1,7 %) et de 0,9 point suprieure celle de lAllemagne (3 %). La mme anne, le FMI classe la Sude au 8e rang mondial en termes de PIB par habitant, devant lAllemagne et la France qui sont respec-tivement aux 19e et 20e rangs. Toujours en 2011, le classement des comptitivi-ts nationales du World Economic Forum (WEF)5, qui value le potentiel des cono-mies atteindre une croissance soutenue moyen et long termes, place la Sude en 3e position derrire Singapour et la Suisse. Elle perd une place par rapport 2010 mais reste dans le trio de tte, loin devant la France au 15e rang. LAllemagne, quant elle, est au 5e rang.

  • 19IntroductionLe modle sudois : de quoi parle-t-on ?

    6 - Voir Rugraff (2009).7 - Source Eurostat (2012).8 - A contrario, la Sude ne respecte pas le critre de convergence sur le taux de change la SEK varie beaucoup vis--vis de leuro et ne remplit pas non plus un critre technique sur lindpendance de la Banque centrale de Sude.

    B. Finances publiques

    Alors que lAllemagne demeure une rf-rence en matire dindustrie en Europe, la Sude a elle aussi su prserver son tissu industriel. Daprs le tableau prcdent, la valeur ajoute industrielle en 2009 y reprsente 19,3 % du PIB, seulement 3 points de moins quen Allemagne (avec laquelle lcart sest fortement rduit) et 7 points de plus quen France. La part de lindustrie sudoise dans le PIB est gale-ment suprieure la moyenne europenne (18 %).

    Forte de sa tradition exportatrice, la Sude affiche en 2011 une balance commer-ciale positive de 24 milliards de dollars, soit 5,7 % du PIB (contre 4,8 % en Alle-magne). La mme anne, la France accuse un dficit de plus de 56 milliards de dol-lars (2,3 % du PIB).

    C. Innovation et nouvelles technologies

    La Sude est reconnue pour leffort de ses entreprises en matire de R&D et plus largement pour leur investissement en innovation. Il est souvent tentant de lier cela un autre trait distinctif : son volon-tarisme en matire defficacit nergtique et ses efforts en matire dinnovation environnementale.

    Celui qui est endett nest pas libre , a affirm Gran Persson, Premier ministre social-dmocrate de 1996 2006. La dette sudoise est reste constante durant la r-cession mondiale (40,2 % du PIB en 2007, 39,5 % fin 2010), contrairement celle de ses homologues de lUE 15. Fin 2011, les plus bas niveaux europens dendette-ment ont t relevs, en dehors des pays dEurope centrale et orientale6, au Luxem-bourg (18,2 % du PIB), en Sude (38,4 %) et au Danemark (46,5 %)7.

    En 2011, le dficit budgtaire tait denvi-ron 100 milliards deuros en France, de plus de 560 milliards deuros dans lUnion europenne et de 390 milliards deuros dans la Zone euro (Eurostat, 2011). LAl-lemagne affichait elle aussi, cette anne-l, un dficit budgtaire modr denviron 26 milliards deuros. Seuls trois pays eu-ropens prsentaient un budget 2011 exc-dentaire : lEstonie, la Hongrie et la Sude. Le solde budgtaire sudois slve un peu plus dun milliard deuros. Cet exc-dent sexplique en grande partie par la rgle dor budgtaire mise en place dans le pays ds la fin des annes 1980.

    La Sude, contrairement la France et lAllemagne, respecte plusieurs critres de convergence tablis par lUE pour intgrer la zone euro : un dficit annuel en-de de 3 % du PIB et une dette publique infrieure 60 % du PIB. Elle a cependant refus jusqu prsent dabandonner sa monnaie nationale8.

  • Les transformations du modle conomique sudois20

    2. Aux origines du modle sudois

    Les indicateurs prcdents se concentrent volontairement sur les toutes dernires annes. Toutefois, la notion de modle sudois renvoie principalement, dans la littrature, lorganisation politique, co-nomique et sociale des annes 1945 1975.

    Si lon remonte un peu dans le temps, la croissance conomique sudoise a bnfi-ci de la neutralit du pays dans les dif-frents conflits mondiaux, notamment la Seconde Guerre mondiale. Son industrie sest dveloppe au dbut du XXe sicle, dans les industries du bois et des mtaux ferreux principalement, et a trouv des dbouchs importants lors de la recons-truction en Europe.

    A. La dcouverte du cas sudois dans les annes 1970

    Depuis mars 2002, dans le cadre de la stratgie de Lisbonne puis de la stratgie de croissance Europe 2020, les tats-membre de lUE se sont fixs un objectif de dpenses de R&D de 3 % du PIB. Au sein de lUE, seuls le Danemark, la Sude et la Finlande dpassent actuellement ce seuil. En 2011, la dpense intrieure de R&D en Sude reprsentait 3,4 % du PIB, largement au-dessus des taux allemand (2,8 %) et franais (2,3 %) et au-dessous de celui de la Finlande (3,9 %). Ces carts tiennent essentiellement aux efforts de R&D des acteurs privs.

    En parallle de cet effort dinvestissement et de renouvellement technologique, la Sude sest caractrise, notamment dans la dcennie 2000-2010, par une forte pr-valence des TIC, tant du ct de lactivit marchande que des usages. Le Forum co-nomique mondial publie ainsi le Network Readiness Index (NRI), un indice qui d-finit la place quoccupent les TIC dans la vie dun pays, lusage et le bnfice quil en tire ainsi que les interactions dans tous les domaines lis de prs ou de loin la connectivit. Depuis 2010, la Sude se situe au 1er rang selon cet indice. En 2011, lAllemagne tait 13e du classement, la France 23e.

    En toute logique, la Sude se retrouve galement trs bien situe dans les pal-mars internationaux portant sur linno-vation, qui agrgent bien souvent un volet sur la R&D et un autre sur la diffusion

    des TIC. LInsead (2012) classe ainsi 125 pays en fonction de la capacit de leurs infrastructures favoriser la crativit et linnovation. Pour 2011, la Suisse est pre-mire du classement, suivie par la Sude et Singapour, tandis que lAllemagne et la France se situent respectivement aux 15e et 24e places. La Sude tait dj en 2e position en 2010. Dans lensemble, les pays nordiques sont bien positionns dans ce domaine : Finlande (5e), Danemark (6e), Islande (11e) et Norvge (18e).

  • IntroductionLe modle sudois : de quoi parle-t-on ? 21

    9 - Alain Suppiot (1987) donne du no-coporatisme la dfinition suivante : () le no-corporatisme sert dsigner lmergence dassociations regroupant, sous les auspices ou avec laval de ltat, des reprsentants de groupes dintrts antagonistes, et assurant la conciliation de ces intrts grce au pouvoir normatif qui leur est reconnu .

    Le systme no-corporatiste9, reposant sur lquilibre des forces politiques et syndicales (ouvriers et patronat), a ga-lement eu un fort impact sur la dyna-mique de croissance du pays. Ds 1938, la Sude est sortie dune priode de vio-lents mouvements sociaux, de grves et de lock-out grce laccord de Saltsjbaden sign entre le syndicat national ouvrier LO (Landorganisationem Sverige) et le syndicat demployeurs SAF (Svenska Arbetsgivare Foreninger). Le syndicat LO entretenait dj lpoque une forte proximit avec le parti social-dmocrate, alors dominant au niveau de ltat. Ces forces politiques et syndicales ont main-tenu une relative paix sociale jusqu la fin des annes 1960. Leurs dcisions cen-tralises en matire de ngociation sur les salaires visaient la modration et lga-litarisme. Cest ainsi que la comptitivit de lindustrie sudoise a t amliore par la rgle travail gal, salaire gal grce un double effet : dune part celui de contenir les salaires dans lconomie, garantissant ainsi la comptitivit-prix des entreprises exportatrices, et dautre part celui dliminer les entreprises les moins productives, qui devaient payer les mmes salaires que les plus performantes, ce qui a

    encourag la rationalisation et la concen-tration de loutil industriel et provoqu une hausse des gains de productivit.

    Plus gnralement, cette politique dga-lit salariale a particip dune politique macroconomique donnant priorit au plein-emploi, passant par la promotion de politiques actives sur le march du travail mais aussi, si cela ne suffisait pas, par la cration de postes dans les services pu-blics, surtout partir des annes 1970. Le taux de chmage en Sude tait denvi-ron 2 % dans les annes 1970 et est rest trs bas jusquau dbut des annes 1990. Enfin, la Sude sest distingue entre 1945 et 1975 par la gnrosit de la pro-tection offerte tous ses citoyens dans les domaines de la sant, de lducation, de la scurit sociale et de la vieillesse. En contrepartie, la pression fiscale exerce sur les individus tait leve et le niveau des dpenses publiques important.

    Cest de cette priode que date la percep-tion dun modle sudois , fond sur un rgime de croissance social-dmocrate (Vidal, 2010). Dans les annes 1970 en effet, de nombreux scientifiques, polito-logues et experts ont tent de dcrypter ce modle, qualifi par Chabot (1972) de socialisme civilis ou capitalisme assagi . Son succs en matire de crois-sance conomique au dbut du XXe sicle, le haut niveau de protection des individus assur par ltat, la capacit des syndicats douvriers et demployeurs prendre des

    La notion de modle sudois renvoie principalement, dans la lit-trature, lorganisation politique, conomique et sociale des annes 1945 1975.

  • Les transformations du modle conomique sudois22

    Si la notion de modle sudois a pu se justifier il y a quarante ans et quelle ap-parat galement valide aujourdhui, il ne faut pas perdre de vue que de nombreux vnements ont pouss les Sudois d-battre des mrites et limites de ce cadre et le faire voluer profondment. En parti-culier, la Sude a travers une grave crise conomique au dbut des annes 1990, suite laquelle elle a revu ses objectifs et ses instruments de politique conomique (fiscalit, assurance-chmage et politique de l'emploi, politique montaire, etc.). Certains traits ressortent toutefois comme des constantes, travers les dcennies : elle na par exemple pas substantiellement entam ltat-providence, pas plus que son systme de protection sociale financ par un fort taux dimposition.

    lheure actuelle, la croissance a retrouv un niveau lev et les comptes publics sont en excdent, mme si le taux du chmage a bondi depuis les annes 1990, prs de 8 % aujourdhui. Avec des objectifs et des contraintes similaires ceux du systme

    franais, la Sude semble avoir russi lex-ploit de matriser ses finances publiques tout en fournissant un haut niveau de ser-vice public ses citoyens et en conservant sa base industrielle. Cest cet effet que cette note interroge les caractristiques du succs sudois actuel, les fondements de son modle et plus gnralement les liens et les rgularits entre la Sude dhier et celle daujourdhui. Elle analyse diffrentes fa-cettes de lcosystme sudois, des annes 1945 nos jours, telles que le dialogue so-cial, la croissance conomique, lindustrie, linnovation qui ont toutes eu des effets directs ou indirects sur sa comptitivit.

    B. Evolutions et ruptures partir des annes 1980

    dcisions dans un cadre ngoci et, enfin, la permanence dun gouvernement social-d-mocrate donnant la priorit au plein-emploi ont fait de la Sude un modle dobser-vation privilgi pour des pays comme la France.

    The swedish model is not a steady state. The model is adjusted according to changing preconditions, but the aim to combine high growth and employment rates with a sustai-nable social development remains the same.

    The Swedish Trade Union Confederation (LO), 2006, How the swedish model is working.

  • 23

  • 25

    CROISSANCE, INDUSTRIEET INNOVATION

    VOLET 01

    Durant les Trente glorieuses, la Sude tait incontestablement un pays prospre ; mais sa croissance sest rvle de plus en plus lente, y compris au moment o le modle sudois tait admir ltran-ger. Aprs une phase dinstabilit et de remise en question suite aux chocs ptro-liers, le pays a connu une grave crise en 1992, quil a gre avec un certain succs.

    Depuis 1993, la Sude a renou avec une croissance vigoureuse, tout en parvenant maintenir une base industrielle peu prs aussi stable quen Allemagne. Le socle in-dustriel sudois est domin par des grands groupes, eux-mmes largement aux mains

    de grandes familles possdantes. La Sude nest pas plus que la France une terre propice aux startups ni mme aux ETI ; cela dmontre, si besoin tait, quun d-veloppement conomique enviable peut se concevoir dans de telles conditions, qui scartent darchtypes allemand ou amricain.

    Cela tant, tournes vers linternational depuis longtemps et par ncessit, les entreprises sudoises doivent notamment leur force actuelle aux gains de producti-vit raliss depuis 1992, en partie grce des investissements volontaristes dans les TIC et le capital immatriel.

  • 26

    Parler de modle sudois renvoie intui-tivement lide dune performance dis-tinctive, la fois en termes de prosprit (niveau du PIB) et de dynamisme cono-mique (croissance du PIB). Cela sest globalement vrifi durant les Trente glo-rieuses, du moins au dbut, et au cours des deux dernires dcennies. Mais entre 1970 et 1993, la croissance du pays a t marque par de longs essoufflements et de profondes discontinuits. Il est important de les retracer pour comprendre ce quil reste aujourdhui du modle encens hier.

    Comme tous les pays occidentaux, la Sude a connu une croissance ininterrom-pue de laprs-guerre jusquau milieu des annes 1970. Elle a profit de cette prosp-rit pour mettre en place un certain nombre de cadres institutionnels conomiques et sociaux, qui laisseront de cette priode le souvenir de lge dor du modle su-dois . Lobjectif prioritaire de plein-em-ploi, en particulier, tait alors au cur de

    1. Une croissance soutenue avant 1970, malmene puis restaure aprs 1992

    CHAPITRE 1Une croissance conomique retrouve, aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire

    la politique conomique et la croissance lgrement infrieure celle des autres pays de lOCDE.

    Puis la Sude a subi comme ses voisins le contrecoup des chocs ptroliers, ds le dbut des annes 1970. Toutefois, le ralen-tissement y a t particulirement marqu et durable. Le dficit de croissance su-dois au regard de la moyenne des pays de lOCDE sest amplifi dans les annes 1970 et 1980, jusqu la crise bancaire du dbut des annes 1990 (cf. graphique 1). Le pays est alors entr en rcession pen-dant trois ans (cf. encadr 1).

    Les causes et la chronologie de cette crise font lobjet de vifs dbats (Vidal, 2010). Certains pensent quelle traduit lessouf-flement ou une drive progressive du

    Le dficit de croissance su-dois au regard de la moyenne des pays de lOCDE sest ampli-fie dans les annes 1970 et 1980, jusqu la crise bancaire du dbut des annes 1990.

  • 27Chapitre 1. Une croissance conomique retrouve,aprs deux dcennie s atones et une grave crise bancaire

    Graphique 1 - Croissance du PIB en Sude et dans lOCDE

    10 - Pour des lments prcis sur les mcanismes de la crise sudoise et les solutions apportes par ltat, voir galement Schoeffler (1993), Ecopublix (2008), Letondu (2009) ou Chabert et Clavel (2012).

    Encadr 1 - LA CRISE FINANCIRE ET IMMOBILIRE DE 1991-1992

    Avant les annes 1980, la Sude avait un systme daccs au crdit trs rglement relativement aux autres pays europens. Paralllement, le pays tait enserr dans une spirale inflationniste, caractrise par une succession de dvaluations de la couronne et dexigences daugmentation des salaires. La drgulation financire et du crdit faisait partie des mesures prises par le Gouvernement pour sortir de cette situation. Vidal (2010) fournit une description synthtique de la crise et de ses effets dentrainement10: Au cours des annes 1980, le systme financier sudois a t drglement, ce qui a favoris la croissance du crdit et lendettement des mnages, et lmergence dun cycle financier. Les agents privs ont utilis des crdits qui croissaient rapidement pour financer linvestissement en logements, et aussi la consommation : le taux dendettement des mnages a beaucoup augment de 1985 1989, et le taux dpargne a chut. Les banques sudoises finanaient ces crdits en empruntant massivement ltranger o les taux taient plus avantageux, sexposant graduellement un risque de change, et la bulle immobilire a gonfl : les prix ont augment en moyenne de 38 % entre 1989 et 2002 mais ont t multiplis par 9 en 10 ans pour les baux commerciaux au centre de Stockholm. Lclatement de la bulle est venu du choc de la runification allemande (que lAllemagne a principalement finance par lemprunt et donc via une augmentation de son taux dintrt). La Sude a t contrainte daugmenter son taux dintrt son tour, pour

    Source : OCDE.

  • Les transformations du modle conomique sudois28

    modle : le poids de ltat-providence et la perte de comptitivit extrieure auraient entrain sa chute. Dautres parlent dun choc plus brutal, qui serait la consquence de la libralisation financire enclenche dans les annes 1980. Dautres enfin esti-ment que le modle sudois daprs-guerre a toujours t sous-performant parce que dfavorable la croissance, prcisment cause de ses caractristiques qui fai-saient pourtant sa popularit ltranger (Krantz, 2004).

    Suite la rcession de 1991-1993, la lutte contre linflation est devenue prioritaire et lassainissement des finances publiques, engag au dbut des annes 1980, sest acclr. Plus gnralement, la Sude avait enclench avant la crise une srie de rformes dans les domaines de lemploi, des rgimes de retraite, de la fiscalit qui expliquent du moins en partie le dyna-misme retrouv de lconomie sudoise. Car en effet, la croissance est redevenue

    11 - Selon le Service conomique rgional de Stockholm, le sauvetage des banques a cot 4 % du PIB ltat au moment

    des mesures durgence, ramen 1,5 % ds 1997 et environ 0 quinze ans plus tard (Chabert et Clavel, 2012). Sajoutant au

    sauvetage des banques, les effets de trois ans de rcession et de mesures budgtaires contra-cycliques ont creus le dficit public

    9 % en 1992 puis 11 % en 1993. Le solde budgtaire est redevenu positif en 1998 (Letondu, op.cit.).

    positive en 1994 et sest acclre la fin des annes 1990, dpassant alors celle de lOCDE. En 2010, le PIB sudois semble l encore stre mieux relev de la crise de 2008-2009 que celui du reste de lOCDE (cf. graphique 1).

    Ramen par habitant, le PIB sudois a vivement augment sur la premire par-tie du XXe sicle mais, dans la seconde moiti, a cr moins vite que le PIB per capita moyen de lOCDE, au point de voir la Sude dcrocher rgulirement dans le classement de tte. Cest ll-ment le plus voqu dans la littrature par ceux qui entendent dmontrer la

    maintenir la parit de sa monnaie, mettant un coup darrt la progression des prix de limmobilier. Les taux de dfaut sur prts sont passs de 0,5 % 5 % en 1992, puis 11 % en 1993 lorsque la banque centrale a t contrainte de laisser flotter et donc chuter la couronne. Les banques, dont les emprunteurs taient insolvables, et qui avaient elles-mmes emprunt en devises trangres, ont fait progressivement faillite. Pour assainir les bilans bancaires, ltat a mis en place un plan de sauvetage des banques, accroissant sa dette publique11. Les nombreux licenciements, dabord dans la construction, ont entran un bond du chmage de 2 10 % de la population active, tandis que les mnages ont d restreindre leur consommation pour se dsendetter. La crise bancaire sest donc propage lconomie dans son ensemble. Cette crise nest pas identique celle des subprimes aux tats-Unis, bien quelle soit le rsultat de lclatement dune bulle immobilire : en Sude, il ne sagissait pas de prts accords des mnages pauvres et les pertes sur les prts hypothcaires des mnages sont restes finalement assez faibles.

    La croissance est redevenue po-sitive en 1994 et sest acclre la fin des annes 1990, dpassant alors celle de lOCDE.

  • Chapitre 1. Une croissance conomique retrouve,aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire 29

    contre-performance du modle : partir de 1970 pour les auteurs qui soulignent les drives dun systme antrieurement performant, ou ds 1950 pour ceux qui rcusent toute performance conomique du modle , tels Krantz (op.cit.) ou Henrekson (2001).

    Le tableau 2 permet de prendre la mesure de ce phnomne. En 1970, le PIB par habitant en Sude tait suprieur de 13 % la moyenne des 25 pays les plus riches

    Tableau 2 - PIB/habitant ajust en parit de pouvoir dachat dans les 25 pays les plus riches de lOCDE (moyenne OCDE = 100)

    de lOCDE. Le pays occupait alors la 4e place du classement. partir de 1970, il a dclin jusqu passer en dessous de la moyenne OCDE. En 1998, il occupait la 18e place. Il a repris ensuite une crois-sance suprieure la moyenne. En 2010, il tait de nouveau au-dessus de la moyenne OCDE (10e place du classement). Le clas-sement du FMI de 2011 situe la Sude au 8e rang, devant lAllemagne et la France qui sont respectivement aux 19e et 20e rangs.

    Sources : OCDE, National Accounts Main Aggregates 1960-1997, vol.1, 1999. OCDE, Main Economic Indicators (janvier 1999). OCDE Stat 2010.

  • Les transformations du modle conomique sudois30

    La sant de lconomie sudoise re-pose trs largement sur les exportations (Chabert et Clavel, 2012), qui reprsentent 50 % du PIB en 2010. Comme le montre le graphique 2, la part des exportations dans le PIB sudois a continuellement augmen-t depuis 1970 et jusqu la crise de 2008, en dehors dune priode de repli dans les annes 1980, et a toujours t suprieure ce que lon observe en Allemagne.

    La culture de lexport en Sude est en par-tie lie la taille rduite du pays (march

    2. Une croissance tire par le dveloppement spectaculaire des exportations

    Graphique 2 - Exportations de biens et services (en % du PIB)

    Source : Perspective Usherbrooke.

    de 9,5 millions de consommateurs), qui favorise son ouverture vers lextrieur. Elle sexplique galement par labon-dance de ses ressources naturelles (bois et minerai de fer notamment) dont on a vu plus haut quelles avaient t massive-ment importes aprs-guerre par lEurope en pleine reconstruction (Vidal, op.cit.). Par la suite, cette ouverture a t la fois confirme et facilite sur diffrents vo-lets rglementaires, fiscaux et douaniers notamment. Gwartney et al. (2001) com-parent ainsi plus dune centaine de pays sur la base dun indice composite douver-ture commerciale. En 1998, la Sude figu-rait au 14e rang, quand les tats-Unis et la France se plaaient respectivement aux 31e et 38e rangs12.

    12 - La Sude affiche 82 % de la note maximale, dtenue par Hong-Kong et Singapour. Les tats-Unis 77 % et la France 72 %.

  • Chapitre 1. Une croissance conomique retrouve,aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire 31

    Quelques annes plus tard, le 1er jan-vier 2005, la Sude devenait membre de lUnion europenne. Bandick (2011) montre que, mme si les rformes et lib-ralisations antrieures avaient dj fait de la Sude lune des conomies les plus globalises au monde , lentre dans lUE a marqu le coup denvoi dun accroisse-ment rapide des investissements directs (entrants) de ltranger, principalement sous la forme de fusions-acquisitions, qui sont un catalyseur des changes interna-tionaux. Au dbut des annes 2000, la Sude prsentait ainsi lune des propor-tions les plus leves de lOCDE dem-plois nationaux dtenus par des filiales de groupes trangers. Symtriquement, la Sude tait en 1990 lun des quatre seuls pays de lOCDE dont le stock des IDE sortants reprsentait plus de 20 % du PIB (Andersson et al., 1996). Enfin, un autre lment dexplication de cette forte ouverture aux marchs extrieurs est la matrise de langue anglaise par la population : Les Sudois nont pas n-cessairement un anglais acadmiquement parfait mais la connaissance pratique de langlais est trs largement rpandue (90,6 % de la population en 2007, contre 44,7 % en France ; source Eurostat), avec une grande aisance loral. Ceci est un atout pour partir la conqute des mar-chs internationaux. Lapprentissage de la langue commence trs jeune et passe

    13 - Eliasson et al., 2012.14 - Voir Clavel et Chabert (2012).15 - Comparer le taux douverture de deux pays de tailles trs diffrentes pose toutefois un problme mthodologique. Toutes choses gales par ailleurs, un petit pays est plus ouvert quun grand. Le march intrieur sudois est de taille un peu plus rduite que celui de lIle-de-France ; or le commerce de lIle-de-France avec le reste des rgions franaises nest pas comptabilis comme une exportation.

    beaucoup par lexpression orale. Dans lenvironnement des Sudois et au-del de lenseignement, certains lments faci-litent peut-tre cet apprentissage, comme le fait que les films soient sous-titrs mais jamais doubls ou encore le trs fort taux de connexion Internet de la population, et ce ds le plus jeune ge. (Service conomique rgional de Stockholm, DG Trsor).

    Dans labsolu, lexport concerne la plu-part des entreprises, savoir 80 % des entreprises de plus de 50 salaris dans le cas des secteurs manufacturiers13. En va-leur cependant, les exportations sont trs concentres. De grandes entreprises telles que Saab, Volvo, Ericsson, AstraZeneca, ABB ou Atlas Copco participent active-ment au dynamisme des exportations. En 2010, les 10 premiers groupes sudois reprsentaient prs de 33 % des exporta-tions de biens14. En France, selon le ser-vice des douanes (2011), les 10 premiers exportateurs assuraient 16 % des exporta-tions en 2007 et les 100 premiers expor-tateurs environ 38 % des exportations en 201115.

    La sant de lconomie sudoise repose trs largement sur les expor-tations qui reprsentent 50 % du PIB en 2010.

  • Les transformations du modle conomique sudois32

    Le deuxime trait caractristique de la Sude en matire douverture internatio-nale, cest que ses exportations excdent ses importations. Alors que lOCDE dans son ensemble na jamais cess daccrotre son dficit commercial de biens avec le reste du monde, la Sude est parvenue maintenir ses exportations nettes (cf. gra-phique 3).

    Plusieurs priodes mritent dtre distin-gues. Des annes 1960 la fin des annes 1980, la balance commerciale de biens sudoise peinait squilibrer de manire durable. La part de march mondiale de la Sude dans les exportations de biens et services diminuait alors que lOCDE dans son ensemble se maintenait (cf. graphique 4). Vidal (op.cit.) explique que la spcia-lisation internationale traditionnelle de la Sude la rendait trs vulnrable aux chocs et aux mutations des annes 1970 et 1980. Parmi ses principales spcialisations, il y avait les produits en bois et la sidrur-gie qui correspondent ses principales ressources naturelles. Ces branches sont de fortes consommatrices dnergie, et la croissance mondiale de ces produits a t trs ralentie partir des annes 1970. (p.13)

    Face la dtrioration de la comptitivit extrieure de ses entreprises, le gouver-nement a procd une srie de dvalua-tions de la couronne sudoise. La premire vague de dvaluations, entre 1977 et 1982, a permis damliorer la comptitivit et la

    rentabilit des entreprises exportatrices sur une courte dure. Ds la fin des an-nes 1980 en effet, la comptitivit-cot des entreprises stait une nouvelle fois dgrade, du fait de laugmentation des salaires et dune pousse de linflation en rsultant (Vidal, op.cit.). Oh et al. (2009) soulignent ainsi que la Sude a perdu 1/5e de sa part de march mondiale entre 1977 et 1992, en dpit dune dprciation de 50 % de la couronne face aux autres monnaies ; ils attribuent cette contre-per-formance une croissance insuffisante de la productivit des entreprises.

    La dernire dvaluation a eu lieu en 1992-1993, pendant la crise immobilire et ban-caire, au moment de labandon du taux de change fixe. Le solde commercial a alors nettement dcoll (cf. graphique 3) et la part de march de la Sude dans les exportations mondiales sest redresse sensiblement. La balance commerciale a toutefois subi deux priodes de repli, entre 1996 et 2001 puis partir de 2004, princi-palement en raison de la dgradation de la position de deux secteurs cls : les fabri-cants dquipements lectriques dabord et lindustrie automobile ensuite. Les prin-cipaux secteurs contribuant aujourdhui lexcdent commercial sudois sont, comme les deux prcdents, des indus-tries mures voire anciennes : par impor-tance dcroissante, lindustrie du papier, lindustrie pharmaceutique, lquipement pour centrales nuclaires, les quipements lectriques et le bois (cf. graphique 5).

  • Chapitre 1. Une croissance conomique retrouve,aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire 33

    Graphique 3 - Evolution de la balance commerciale des biensen Sude et dans lOCDE

    Graphique 4 - Parts de march mondiales de la Sude et de lOCDE dans les exportations de biens et services

    Source : OCDE.

    Source : OCDE.

  • Les transformations du modle conomique sudois34

    Graphique 5 - Solde commercial des huit premiers secteurs exportateurs nets et de lautomobile (en milliards USD)

    Source : OCDE.

  • Chapitre 1. Une croissance conomique retrouve,aprs deux dcennies atones et une grave crise bancaire 35

    Si la Sude peut prtendre au statut de mo-dle, cest soit du fait de son dynamisme conomique depuis laprs-guerre jusquen 1970, soit du fait de la vitalit quelle a re-trouve depuis 1993. Entre-temps, le pays a connu deux dcennies de moindre crois-sance et, en 1992, une crise brutale. Le gou-vernement a non seulement russi son plan de sauvetage des banques mais il a surtout engag une srie de rformes structurelles

    Conclusion dterminantes pour la reprise de lconomie et le maintien de lindustrie, dont les effets se ressentent encore aujourdhui. La dpr-ciation de la couronne fin 1992, lessor du commerce international, les mesures adop-tes par ltat sont autant de facteurs ayant facilit la sortie de crise. Chabert et Clavel (2012) estiment que la dprciation de la couronne en novembre 1992 a permis de gagner 5 points de croissance des expor-tations, soit une contribution d1,4 point la croissance du PIB en 1993.

  • 36

    Une forte culture de linnovation a pro-puls la Sude la pointe du dveloppe-ment technologique peut-on lire dans un livre publi par lInstitut sudois pour van-ter le dynamisme du pays16. Cette image de la Sude championne de la R&D et de linnovation est fortement ancre dans les esprits, constamment relaye par un nombre croissant de rapports et classe-ments internationaux17 18 19 20.

    On peut toutefois reprocher ces articles et rankings une tendance lamalgame : le comportement des entreprises est une chose (par exemple le niveau de dpense de R&D), celui des usagers prsents sur le mme territoire en est une autre (par exemple lusage des TIC parmi les sniors). Lier ces deux aspects, parmi dautres variables htrognes, pour en conclure la vitalit dune culture de linnovation peut sembler prcipit. Do limportance dy regarder de plus prs.

    1. Une grande partie des entreprises sudoises investissent plus en R&D que leurs homologues europennes

    CHAPITRE 2Une culture de linnovation et de linvestissement, facteur de productivit

    16 - Lagerberg et Randecker, 2010.17 - Dray, 2010.18 - Le Tableau de bord de linnovation publi par la Commission europenne (2011) classe ainsi la Sude au premier rang de linnovation, en 2010, parmi les pays membres de lUE.19 - La Harvard Business School (Porter Michael E., Stern Scott, 2010), de son ct, effectue une tude du potentiel dinnovation de 173 pays pour tablir un indice de capacit dinnovation nationale . En 2010, la Sude est classe huitime, derrire lAllemagne (3e) mais devant la France (9e). La Sude est 2e concernant le nombre dingnieurs qualifis par habitant, mais seulement 21e concernant les politiques dinnovation.20 - Selon lInsead (2012) enfin, et comme indiqu en introduction, la Sude figure au 2e rang mondial en 2011 concernant la capacit de son infrastructure favoriser la crativit et linnovation.21 - Les dpenses publiques de R&D reprsentent 1 % du PIB.22 - Selon le Service conomique rgional de Stockholm, les 10 premiers groupes sudois assurent 53 % de la R&D prive en 2009.

    Avec une dpense reprsentant 3,4 % du PIB en 2010, la Sude est un des pays au monde qui investissent le plus en R&D, ce qui lui vaut chaque anne lattention, les compliments et lenvie de nombreux observateurs, notamment europens. La part publique de cette dpense tant mino-ritaire21, cest ses entreprises et notam-ment aux plus grandes dentre elles22 que la Sude doit davoir dpass lobjectif des 3 % que se sont assign les pays membres de lUE dans le cadre de la stratgie de croissance UE 2020, contrairement, entre autres, la France et lAllemagne (cf. graphique 6).

  • 37Chapitre 2. Une culture de linnovation et de linvestissement,facteur de productivit

    Graphique 6 - Dpense intrieure de R&D (en % du PIB)

    Lhypothse dun biais mthodologique ou fiscal peut tre rapidement carte : dune part les donnes sont harmonises par Eurostat, dautre part il nexiste pas de crdit impt recherche ni de mesure qui-valente en Sude. Ds lors, une question importante pour comprendre ce particu-larisme et pour apprcier la probabilit que les entreprises franaises suivent un jour la mme voie est de savoir quel point il est structurel, cest--dire mca-niquement dtermin par la spcialisa-tion conomique du pays, ou au contraire culturel ou gographique . Une ana-lyse structurelle-rsiduelle (cf. annexe 1) a t mene cette fin, pour lanne 200723, concernant les entreprises industrielles (y.c. nergie), la construction et les ser-vices marchands, et en se donnant un

    Source : OCDE.

    ensemble de pays europens comme ter-ritoire de rfrence24 (cf. encadr 2 page suivante).

    Il en ressort que la Sude bnficie dune double dynamique. Sa spcialisation sec-torielle, favorable aux activits intensives en R&D, est un premier avantage indui-sant un supplment deffort de 0,7 point de PIB par rapport au territoire europen pris comme rfrence (cf. graphique 7). Mais surtout, les entreprises sudoises investissent bien plus en R&D que leurs partenaires europens des mmes secteurs, expliquant un deuxime surcrot deffort de 1,3 point de PIB. La somme des deux reprsente les 2 points de PIB qui sparent la Sude de lensemble des pays europens en matire deffort de R&D.

    23 - Lanne 2007 a t choisie compte tenu des donnes disponibles valeur ajoute, dpenses de R&D sur les bases de donnes de lOCDE. Lorsque la donne 2007 tait manquante, nous avons utilis les chiffres de 2006.24 - LASR ncessite la construction dun territoire de rfrence. Dans notre cas, la zone de rfrence europenne comprend les pays suivants : Autriche (2007), Belgique (2007), Finlande (2007), France (2006), Allemagne (2007), Grce (2007), Italie (2007), Pays-Bas (2007), Portugal (2006), Espagne (2007), Sude (2007).

  • Les transformations du modle conomique sudois38

    Encadr 2 - COMMENT EXPLIQUER LES CARTS DEFFORT DE R&D DUN PAYS LAUTRE ?

    Leffort de R&D priv, cest--dire le ratio entre la dpense de R&D et la valeur ajoute des entreprises, varie sensiblement dun pays lautre. Ces carts ont deux origines. Premirement, un pays peut dtenir un positionnement favorable dans des secteurs qui, par nature, sont intensifs en R&D : produits pharmaceutiques, instruments mdicaux, arospatial On appelle effet structurel cet impact mcanique de la spcialisation sectorielle du pays tudi. Deuximement, la part complmentaire de cet cart, qui dpend par construction de facteurs propres au territoire (particularismes institutionnels, culturels, micro et macro-conomiques) est appele effet gographique ou encore parfois effet rsiduel . Cest ce dernier effet qui permet de voir, le cas chant, si des secteurs mme peu intensifs en R&D contribuent au bon positionnement du pays en matire deffort de R&D. Lanalyse structurelle-rsiduelle (ASR) est une faon dexaminer ces carts et de les commenter (cf. annexe 1).

    Pour mmoire, les entreprises franaises, elles aussi, investissent plus en R&D que la moyenne de leurs concurrentes euro-pennes. Mais cela vient compenser les effets dune spcialisation sectorielle peu favorable. Si chacun des secteurs franais investissait au niveau de ses homologues europens, leur effort de R&D ne repr-senterait en effet que 1,46 % de leur valeur ajoute (effort de R&D thorique), sensi-blement au-dessous de la moyenne euro-penne (1,83 %), alors quil est de 1,89 % en ralit (cf. graphique 8).

    Dans le cas allemand, cest le contraire : les entreprises allemandes investissent plutt moins en R&D que leurs parte-naires europens, ce qui prive lAlle-magne denviron 0,1 point deffort de R&D, mais leur spcialisation sectorielle

    trs favorable induit in fine un supplment de 0,73 point par rapport la moyenne europenne (2,56 % versus 1,83 %).

    Le volontarisme des entreprises sudoises en matire de R&D est donc avr et im-portant. On mesure combien ce compor-tement est rpandu en dtaillant, secteur par secteur, les carts dintensit tech-nologique avec la moyenne europenne (cf. annexe 2).

    Mesurer le particularisme sudois en ma-tire dinvestissement priv dans la R&D est une chose ; lexpliquer en est une autre. En labsence de cause vidente, le Ser-vice conomique rgional de Stockholm (DG Trsor) voque plusieurs hypothses (cf. encadr 3).

  • 39Chapitre 2. Une culture de linnovation et de linvestissement,facteur de productivit

    Graphique 7 - Ecart des efforts de R&D des entreprises en Sude et dans lUE en 2007 (en % de la valeur ajoute des entreprises)

    Ecart structurel : 0,7pt

    Source : OCDE. Calculs La Fabrique de lindustrie.

    Secteurs considrs : industrie manufacturire (y.c. nergie), construction et services marchands.Lcart structurel mesure leffet de la spcialisation sectorielle ; lcart rsiduel reflte le comportement propre aux acteurs sudois.

    Graphique 8 - Dcomposition de leffort de R&D priv en 2007 (en % de la valeur ajoute des entreprises)

    Source : OCDE. Calculs La Fabrique de lindustrie.

    Secteurs considrs : industrie (y.c. nergie), construction et services marchands. N.B. : Donnes 2007 pour la Sude et lAllemagne, 2006 pour la France. * Leffort en R&D priv thorique est leffort de R&D priv du pays si chacun des secteurs, en fonction de son poids dans le PIB, avait investi au mme niveau que la moyenne des pays europens.

  • Les transformations du modle conomique sudois40

    Encadr 3 - HYPOTHSES POUR EXPLIQUER LAMPLEUR DE LEFFORT DES ENTREPRISES EN MATIRE DE R&D25

    Leffet tailleLa Sude est un petit pays. Son PIB de 2011 est environ 5 fois moins lev que le PIB franais. La structure conomique de la Sude tant caractrise par la prsence de grands groupes, lorsquun ou plusieurs dentre eux fournissent un effort lev dinvestissement en R&D, cela pse fortement sur leffort total du pays. Pour rappel, les 10 premiers groupes sudois assurent 53 % de la R&D prive en 2009.

    Les stratgies de certaines entreprisesDans les annes 2000, Ericsson a fait le choix de sorienter davantage vers la gestion des rseaux de tlcommunication que vers les quipements. Ce choix a t bnfique en termes de type de clients et de contrats, de rentres financires et a pouss lentreprise vers une activit plus intensive en recherche et dveloppement. Dans un autre domaine, les groupes Volvo et Saab se sont dsengags de leurs activits de construction automobile (vendues respectivement Ford en 1999 et GM en 2000) pour se concentrer sur celle des poids lourds (respectivement Volvo AB, qui possde notamment Renault VI et Scania). Ces derniers contiennent plus de technologies et l encore, sont au cur dun march dynamique, avec des clients beaucoup moins sensibles aux prix que ceux de la construction automobile. Naturellement, rien ne garantit que ces entreprises fassent toujours des choix stratgiques profitables. Cette explication est donc purement conjoncturelle.

    Patriotisme industriel, protectionnisme capitalistique et politique dattractivitLe capitalisme sudois a t marqu par lessor, la fin du XIXe et au dbut du XXe sicle, de quelques puissantes familles dindustriels (dont les Wallenberg), rejointes plus rcemment par dautres familles misant davantage sur le commerce (Ikea), la scurit (Securitas et ses spin-offs, tels que Loomis), les mdias. Le pouvoir de ces familles, qui affichent un certain patriotisme industriel, est notamment li une forme de protectionnisme capitalistique qui permet de garder le contrle des grands groupes mondialiss.

    De plus, dans un objectif affich dattractivit, la Sude rduit le taux de limpt sur les socits, qui est ainsi pass de 26,3 % 22 % le 1er janvier 2013, avec lobjectif datteindre 15 % moyen terme . Or, les entreprises sudoises tendent maintenir leurs centres de recherche et dveloppement proximit de leur sige. De plus, les fondations prives sont une tradition sudoise ; les plus grosses dentre elles, comme les trois principales fondations Wallenberg par exemple, financent largement les activits de R&D. Elles bnficient en change de certaines exonrations fiscales.

    25 - Service conomique rgional de Stockholm (DG Trsor).

  • 41Chapitre 2. Une culture de linnovation et de linvestissement,facteur de productivit

    Lexception du professeurLes professeurs et chercheurs, dans les universits et les grandes coles, sont dtenteurs de la proprit intellectuelle de leurs recherches, par exception la loi LAU de 1949. Cela permet une exploitation facile des rsultats et un passage plus simple de lide lentreprise, dautant plus que de nombreuses universits se sont dotes dincubateurs destins soutenir le transfert de technologie et la cration de start-up.

    Dans la plupart des pays europens, ainsi quau niveau de la Commission europenne elle-mme, de nombreux observateurs d-plorent que leffort de R&D ne dbouche pas suffisamment sur des activits inno-vantes et solvables : dpts de brevets avec octroi de licences, lancement de nouveaux produits, cration de nouvelles entre-prises Les mtriques utilises sont di-verses mais la frustration est la mme : la dpense de R&D, soigneusement mesure et ardemment encourage, ne saccompa-gnerait pas dune destruction cratrice comparable ce que lon croit observer aux tats-Unis. Ceci alimente de longue date le sentiment dun paradoxe , pos noir sur blanc par la Commission en 1995.

    La Sude nchappe pas ce dbat : le paradoxe sudois mobilise ainsi beau-coup dattention dans la littrature co-nomique. quoi sert davoir un niveau

    2. Les entreprises sudoises tirent-elles profit de cet investissement en R&D ?

    record de dpense de R&D si les activits innovantes tangibles, ou surtout statisti-quement traables, ne sen trouvent pas augmentes dautant ?

    Ds 1987, Ohlsson et Vinell affirment que les productions et exportations sudoises ne sont pas suffisamment alimentes par lef-fort de R&D. Edquist et McKelvey (1996) stonnent leur tour de la faible part des productions high-tech en Sude, malgr les budgets de R&D trs consquents qui sont investis par les entreprises ; ils baptisent paradoxe sudois ce syndrome qui sera confirm ensuite de multiples reprises. Les auteurs les plus sceptiques, tels Ejermo et Kander (2011), ne manquent pas dail-leurs de souligner quil a t tellement confirm, dans peu prs tous les pays europens et jusquaux tats-Unis eux-mmes (Jones, 1995), quil ny a peut-tre plus lieu de parler de paradoxe. Le dbat est cependant toujours actif, dune part parce que le constat est rgulirement affin et raffirm26, dautre part parce que cette pr-occupation reste totalement prgnante chez les dcideurs politiques (OCDE, 2005).

    26 - Ainsi, Bitard et al. (2008) maintiennent quil existe un paradoxe sudois quand on compare la Sude aux autres petits pays.

  • Les transformations du modle conomique sudois42

    Pour leur part, Ejermo et Kander (op.cit.) nadhrent pas la thse dun paradoxe spcifiquement sudois : ils attribuent de probables biais statistiques la diffrence de productivit de la R&D (exprime en nombre de brevets dposs par dollar de R&D dpens) quils mesurent entre la Sude et les tats-Unis. En revanche, ils soulignent que cette productivit de la R&D sest accrue en Sude de 40 % entre 1985 et 1998, y compris dans des secteurs manufacturiers moyennement ou faiblement intensifs en technologie. Ils rapprochent en outre ce sursaut, conscu-tif la sortie de crise de 1993 en Sude, dun mouvement analogue observable aux tats-Unis quelque dix ans plus tt. Ainsi, le phnomne fondamental selon eux na rien dun paradoxe national mais relve de lalternance entre des phases de transformation (de 20 25 ans) au cours desquelles la productivit de la R&D est modre et des phases de rationalisation (10 15 ans) o elle augmente signifi-cativement. On retrouve l lide que les conomies nationales parviennent, plus ou moins bien et plus ou moins vite, se saisir de nouveaux paradigmes techno-logiques ou rgimes technologiques (Malerba, 2004).

    La productivit de la R&D sest accrue en Sude de 40 % entre 1985 et 1998, y compris dans des secteurs manufacturiers moyennement ou fai-blement intensifs en technologie.

    27 - Voir aussi Oh et al. (2009).

    3. Leffort dinnovation est-il lorigine des gains de productivit observs en Sude ?

    Cest tabli, il est irraliste de rechercher un lien mcanique et linaire entre lin-vestissement en R&D et la croissance co-nomique (Aghion et Howitt, 1998). Dans le cas sudois, il est en revanche trs ins-tructif de rapprocher leffort de R&D des entreprises avec laccroissement de leur productivit.

    Comme le note Edquist (2011), les gains de productivit se sont acclrs en Sude la sortie de la crise, en 1993. Nombre dconomistes attribuaient ce rebond un phnomne de rattrapage et pensaient quil sessoufflerait en quelques annes. Or, la progression de la productivit est non seulement reste leve entre 1995 et 2005, mais elle a mme atteint lun des niveaux les plus levs au monde27.

    Deux explications de ce phnomne sont frquemment invoques. La premire porte sur les effets bnfiques des libra-lisations des annes 1980, via le renforce-ment de la pression concurrentielle sur les entreprises (Nickell, 1996). La seconde relve leffet de la diffusion des TIC dans lconomie, dmontr diverses reprises dans le cas sudois, partir du milieu des annes 1990.

  • 43Chapitre 2. Une culture de linnovation et de linvestissement,facteur de productivit

    Edquist en ajoute une troisime. Il sou-ligne en effet limportance, en Sude, des investissements dans le capital immatriel (ou intangible ), notion qui recouvre linformation numrise, la proprit intellectuelle (R&D, licences, design) et les comptences (les qualifications, le capital organisationnel et la marque). En rassemblant des sources htrognes, il montre que linvestissement priv dans le capital immatriel a reprsent 11 % du PIB en 2004, un effort similaire ce quil observe au Royaume-Uni et lgrement infrieur au cas nord-amricain (13 %). Cet investissement est pour lui lori-gine de la moiti des gains de productivit enregistrs en Sude, part justement non explique par les seuls apports des biens tangibles, le capital et le travail.

    Dans quasiment tous les secteurs indus-triels, quils soient low-tech ou high-tech , et les services marchands, lintensit tech-nologique des entreprises est plus forte en Sude que dans le reste de lEurope. De sorte que leffort de R&D du pays est bien

    Conclusion

    Edquist souligne limportance, en Sude, des investissements dans le capital immatriel (ou intangible ), notion qui recouvre linformation nu-mrise, la proprit intellectuelle et les comptences.

    plus lev que ce quinduit sa spcialisa-tion sectorielle. Ce comportement, avr, na pas dexplication vidente ; on peut douter que les politiques publiques din-novation en soient seules lorigine.

    Pourquoi les entreprises sudoises consentent-elles davantage que leurs homologues dpenser pour de la R&D, risque par nature ? Notons que ce com-portement nest ni universel les Alle-mands tirent trs bien leur pingle du jeu en investissant moins ni consensuel : le dbat autour du rendement de cette d-pense, en termes de brevets ou de produits nouveaux, nest pas tranch. Il semble in-contestable, en revanche, que les investis-sements en R&D et le dveloppement des TIC sont deux sources majeures de gains de productivit enregistrs par lconomie sudoise depuis le dbut des annes 1990.

  • 44

    Lconomie sudoise a ralis dimpor-tants gains de productivit depuis 1993 et semble tre parvenue maintenir sa base industrielle. Le poids de lindustrie dans le PIB est en effet de 19,3 % en 2009, bien au-dessus de ce que lon observe en France (12,5 %) ou au Royaume-Uni (14,5 %). Certes, sur longue priode, il tend dimi-nuer en Sude comme dans lensemble des pays industrialiss, mais plus lentement. Cette base industrielle, loin dtre exclu-sivement tourne vers des secteurs high-tech, repose galement sur des secteurs assez traditionnels encore comptitifs.

    1. Le regain du secteur manufacturier entre 1993 et 2007

    CHAPITRE 3La rsilience enviable de lindustrie sudoise

    En 2009, lindustrie manufacturire su-doise reprsentait un peu plus de 14 % de lemploi total et 19,3 % du PIB. Le graphique 9 montre plusieurs choses. Premirement, si lon raisonne en prix courants, le PIB industriel sudois a cr une allure rgulire de 1970 jusquen 2007, la notable exception de la crise 1991-1993.

    Mais, deuximement, si lon compare cette fois les courbes en volume et en valeur, on voit apparatre deux priodes bien distinctes. Entre 1970 et 1990, le niveau dinflation est tel que la croissance relle est 3,5 fois plus faible que la crois-sance nominale (1,8 % par an en moyenne, contre 6,7 % en apparence). Entre 1993 et 2007, au contraire, la matrise de linfla-tion amne constater une croissance relle plus forte que la croissance en valeur (6,3 % par an en moyenne, contre 5,6 %).

    Autrement dit encore, abstraction faite de linflation, le PIB manufacturier en Sude a progress 3,5 fois plus vite entre 1993 et 2007 quentre 1970 et 1990. Incontesta-blement, cest l un signe de la vigueur et de la comptitivit de lindustrie sudoise dans les deux dernires dcennies. Cette croissance sexplique, dans un premier temps, par un effet de sortie de crise et par la dvaluation de la couronne en 1992. Sur

    Le PIB manufacturier en Sude a progress 3,5 fois plus vite entre 1993 et 2007 quentre 1970 et 1990.

  • 45Chapitre 3. La rsilience enviable de lindustrie sudoise

    Graphique 9 - PIB manufacturier sudois (secteur nergie compris)

    plus longue priode, lessor des exporta-tions ainsi que les gains de productivit, tous deux mentionns prcdemment, ont jou un rle essentiel. On doit ici souligner que les gains de productivit ne se sont pas limits aux seules grandes entreprises exportatrices, souvent plus productives que les autres, ni aux seules entreprises high-tech. Oh et al. (op.cit.) avancent au contraire quils ont rejailli sur lensemble du tissu des entreprises, manufacturires ou non, indpendamment de leur taille et de leur intensit technologique.

    Entre 2007 et 2009, le PIB manufacturier sudois a naturellement dcru sous leffet de la crise mondiale. En 2011, il navait

    Bien que la Sude connaisse une crois-sance de son PIB industriel depuis les annes 1970, la part de lindustrie dans le PIB na cess de diminuer comme le montre le graphique 10 (page suivante).

    Ce mouvement de dsindustrialisation (-0,19 point de PIB par an entre 1970 et 2010) est une tendance commune aux

    2. Une dsindustrialisation plus lente que dans les autres pays dvelopps

    Source : OCDE.

    toujours pas retrouv son niveau de 2008, mme en valeur.

  • Les transformations du modle conomique sudois46

    Graphique 10 - Part du PIB industriel dans le PIB total (en %)

    Source : OCDE.

    pays dvelopps, comme le montre le tableau 3. Toutefois, la Sude se dsin-dustrialise presque deux fois moins vite que lAllemagne ou la France (-0,35 et -0,31 point respectivement chaque an-ne). Entre 1970 et 2010, les industries danoise et finlandaise nont perdu quant elles que respectivement 0,11 et 0,16 point de PIB par an.

    Sagissant de la part des effectifs indus-triels dans lemploi, la Sude suit l encore la tendance gnrale la baisse, observable dans les pays dvelopps. Le graphique 11 montre que la baisse en Sude est moins rapide quen France et en Allemagne.

    Deux explications du phnomne de dsindustrialisation des pays dvelopps mritent dtre releves. Dabord, cer-taines tches qui relevaient auparavant du secteur industriel sont aujourdhui externalises des socits de services (nettoyage, restauration, gestion des res-sources humaines, comptabilit, info-grance). Un ensemble demplois ont donc bascul statistiquement dans la cat-gorie tertiaire sans aucun changement sur le terrain. Ensuite, les gains de producti-vit, jusqu aujourdhui plus levs dans lindustrie que dans les services, font que le poids relatif des services augmente, dune part parce que les prix des produits

  • 47Chapitre 3. La rsilience enviable de lindustrie sudoise

    Tableau 3 - Evolution de la part du PIB industriel dans le PIB entre 1970 et 2010

    Graphique 11 - Part dans lemploi total de lindustrie manufacturire (en %)

    Source : OCDE.

    Source : OCDE.

  • Les transformations du modle conomique sudois48

    3. Une structure industrielle domine par les grands groupes

    Une des caractristiques de lindustrie su-doise est la prgnance de grands groupes tels que Saab, Volvo ou Ericsson qui sont pour la majorit dentre eux dte-nus par de grandes familles sudoises, comme la clbre famille Wallenberg. Un consensus rgne dans le pays pour prot-ger le contrle de ces groupes familiaux, dans lespoir que cela limitera les dloca-lisations28, les acquisitions de firmes su-doises par des groupes trangers tant la fois nombreuses et matire controverse. Lematre (2012) note que ces grandes fa-milles ont constitu de vritables sphres dinfluence, qui contrlent de faon di-recte ou indirecte (par des holdings) un ensemble dentreprises dans les secteurs de lindustrie, du commerce ou des ser-vices (Ericsson, Securitas, Electrolux, Ikea, AtlasCopco). Davis et Henrekson

    28 - La Sude sest ainsi oppose aux diffrentes tentatives de la Commission europenne dimposer une proportionnalit des droits de vote au montant du capital dtenu. En ltat actuel, il existe deux types dactions dans le pays comme le souligne Lemaitre (2012) : () les actions A qui donnent des droits de vote suprieurs, et les actions B. lorigine, le rapport pouvait aller de 1 1000. Il est aujourdhui limit 1 10 pour les nouvelles actions mises. Prs de 60 % des entreprises cotes la Bourse de Stockholm sont concernes par ce double systme dactions, qui permet aux investisseurs de long terme de contrler lentreprise sans pour autant possder une part trop importante du capital financier .

    manufacturs diminuent relativement ceux des services, dautre part parce que la richesse supplmentaire cre par ces gains de productivit est davantage uti-lise pour acheter des services que des produits industriels (selon une hypothse assez tablie dlasticit de la demande de services au revenu). La demande de pro-duits crot moins vite que la productivit et le besoin de main duvre industrielle diminue. Ces deux phnomnes, obser-vables dans toutes les conomies dve-loppes, sont souvent assimils au versant le moins inquitant du phnomne de dsindustrialisation.

    Dans le cas franais, il est peu prs cer-tain que ces deux phnomnes ne suffisent pas expliquer le recul de lindustrie dans le PIB, autrement dit que la comptitivit de lindustrie franaise a peu peu flchi au point de lui faire perdre rellement ses marges et ses parts de march, ce qui est autrement proccupant pour les parties concernes. Dans le cas sudois, la situa-tion est plus ambigu. Le Bureau natio-nal du commerce sudois (2010) expose la discussion peu prs exactement en ces termes mais se garde de trancher sur le diagnostic. Dune part, il confronte parit les points de vue de Djerf (2005), selon lequel lemploi industriel sudois sest maintenu si on lui ajoute la part des services externaliss, et de Nickell (2008) qui maintient quune dsindustrialisation relle opre en Sude. Dautre part, il

    voque lide que, notamment grce la rvolution numrique, les services pour-raient tre en train de rattraper leur retard sur lindustrie en matire daccroissement de la productivit. Quoi quil en soit, le Bureau national du commerce dplore moins le recul du secteur manufacturier en Sude quil ne se flicite de son aptitude se diversifier en intgrant des offres de services.

  • 49Chapitre 3. La rsilience enviable de lindustrie sudoise

    29 - Les avoirs des fonds de pension publics reprsentaient 27 % du PIB en 2010 (Severinson et Stewart, 2012).30 - Huteau et Larraufie, 2009.

    (1997) rappellent quen 1985, les cinq plus gros actionnaires dtenaient 44 % de tous les droits de vote des entreprises de plus de 500 salaris en Sude.

    Compte tenu du niveau douverture internationale de lconomie sudoise aujourdhui, il est difficile dapprcier si cette conception du capitalisme, la fois patrimoniale et patriotique, protge effec-tivement des prises de contrle trangres et, surtout, du risque dacclration de la dsindustrialisation. En revanche, il ne fait gure de doute quelle incarne un capitalisme patient , o le souci de la profitabilit court terme peut tre mis en balance avec lintrt de linvestissement long terme. Dans la mme perspective, on a pu galement se demander si lexis-tence de fonds de pension fortement dots en Sude29 ne contribuait pas, elle aussi, promouvoir des stratgies dinvestisse-ment de long terme, favorables au main-tien de la base industrielle. La rponse est

    incertaine, tant les rgles prudentielles qui simposent ces derniers sont contrai-gnantes. Les cinq fonds publics sudois ont, entre autres, interdiction dintervenir en dehors des marchs de capitaux, de pla-cer plus de 5 % de leurs avoirs dans des entreprises non cotes, de dtenir plus de 10 % des droits de vote dune mme entre-prise, de placer plus de 2 % de leurs avoirs dans des entreprises sudoises cotes

    Si lon fait abstraction de cet difice capi-talistique particulier, la structure indus-trielle sudoise est trs similaire celle de la France (cf. tableau 4). Les grands groupes et ETI industriels reprsentent peine 1 % des entreprises en Sude (soit 309 entreprises) mais concentrent presque 50 % de la main duvre industrielle et un peu plus de 60 % du chiffre daffaires total. Aucun des grands groupes sudois na t fond aprs la Seconde Guerre mondiale une exception prs, Tetra Pak, en 196930.

    Tableau 4 - Nomenclature des industries sudoise et franaise en 2010 (en %)

    Source : Statistiques structurelles dentreprises (OCDE), Insee.

    TPE : Trs petites entreprises.PME : Petites et moyennes entreprises.ETI-GG : Entreprises de taille intermdiaire et grands groupes.

  • Les transformations du modle conomique sudois50

    Cette concentration de lindustrie sudoise est ancienne31 et ne dois pas tre attribue par exemple la rcente vague de fusions-acquisitions. Elle est galement matire dbat. Un peu comme en France, o lon vante la puissance lexport des cham-pions nationaux tout en dplorant que les startups ou les ETI ne prosprent pas suffisamment, les conomistes sudois affichent leur perplexit voire leurs dsac-cords sur les avantages et inconvnients dune telle organisation.

    Davis et Henrekson (op.cit.), en parti-culier, livrent un rquisitoire sans com-plaisance sur la multitude des biais rglementaires, fiscaux et culturels qui, tout en tant trs favorables aux grands groupes tablis, dynamiques, exporta-teurs et capitalistiques, entravent la cra-tion puis lessor de nouvelles gnrations dentreprises. Braunerhjelm et Henrekson (2012) prsentent un point de vue compl-mentaire et plus rcent. Tout en concdant que la contrainte rglementaire et fiscale sur lentrepreneuriat sest un peu desserre (permettant par exemple lessor dun mar-ch du capital-risque au milieu des annes 1990), ils jugent dans lensemble lcosys-tme sudois exigeant voire dcourageant pour lentrepreneuriat. Ainsi par exemple, les quelque 1 % de chercheurs qui fondent

    une startup, en flux annuel, nont aucune chance den tirer un bnfice financier ; lesprance de gain serait plutt ngative par rapport leur situation antrieure. Soixante pour cent de ces chercheurs-entrepreneurs abandonnent dans les deux ans, dont les deux tiers reviennent leur poste dorigine. Autre exemple, les auteurs jugent complique la rglementation fis-cale qui sapplique aux PME, le lgislateur mettant un soin particulier ce quun reve-nu du travail (fortement tax) ne puisse pas tre prsent comme un revenu du capital (faiblement tax).

    Dans lensemble, le statut fiscal de len-trepreneur ou de celui qui investit dans une jeune entreprise semble dfavorable. Entre autres consquences observables, Zaring et Eriksson (2009) relvent que les acteurs tant entrs sur le march flo-rissant des TIC dans les annes 1990 re-lvent de deux catgories trs contrastes : des startups lesprance de vie relative-ment courte dune part et, dautre part, les filiales de groupes existants cherchant l une voie de diversifica